homelie - diocèse de Carcassonne et Narbonne

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homelie - diocèse de Carcassonne et Narbonne
HOMELIE
de Mgr Alain Planet, Evêque de Carcassonne et Narbonne
pour la Messe en mémoire de la Cène du Seigneur
2014
« Ce jour-là sera un mémorial pour vous » nous prescrit le livre de l’Exode et Jésus nous dit par deux fois :
« Faites ceci en mémoire de moi ». Et nous voici rassemblés ce soir dans la mémoire du Seigneur. Mais le mot
est trompeur et risque de nous égarer. La mémoire dont il est ici question n’est pas la faculté de
remembrance dont nous disposons par nature. Elle est d’abord œuvre de Dieu en lui-même. C’est Dieu
qui se souvient, c’est-à-dire qui fait coïncider ses gestes salutaires accomplis dans le passé avec notre
aujourd’hui et qui anticipe l’accomplissement de son projet de salut. Faire mémoire c’est donc se laisser
saisir dans la mémoire de Dieu. Notre évocation n’est que le support de notre élévation dans l’action
salvifique de Dieu. L’Esprit Saint est l’acteur de cette rencontre, c’est lui qui actualise pour nous la Pâque
d’Israël, nous rend présent à la Pâque du Seigneur Jésus et l’accomplit déjà pour tout l’univers.
Rendus présents, dans la foi, par l’Esprit Saint à l’événement fondateur de la mort et de la résurrection
du Seigneur nous en accueillons les fruits. Parce que le Fils de Dieu est venu vivre notre mort humaine,
parce qu’il a été fidèle jusqu’au bout de l’amour de son Père et dans l’amour de ses frères, parce que Dieu
l’a exaucé en le relevant d’entre les morts, notre mort est vaincue et nous devient passage à la vision
même de Dieu. Parce que dans son dernier repas Jésus nous a laissé le signe et le moyen de ce passage,
nous savons que la vie éternelle est déjà commencée, et que par ce sacrement nous sommes déjà
incorporés à lui, le Ressuscité, et établis en Dieu. Parce que la mémoire de Dieu n’a ni passé ni futur mais
est un éternel présent, nous habitons déjà sa victoire finale, celle du dernier jour de l’Histoire, puisque en
Jésus « la fin des temps nous a déjà rejoint »1.
Faire mémoire ce n’est donc pas seulement répéter les gestes du Christ ou relire en lui ce que l’Exode
annonçait, en figure, par des récits dont il est la clé. (Certes, l’Agneau véritable dont le sang nous sauve
de la mort c’est lui car c’est en lui que nous passons de l’esclavage à la liberté et de la vie à la mort). Faire
mémoire c’est laisser le Christ accomplir par son Corps qui est l’Eglise, un Corps dont nous sommes les
membres, le salut promis par le Père dont nos gestes, qui sont les siens, sont le signe visible et efficace.
C’est seulement en tentant de comprendre ce que Jésus accomplit vraiment que les signes : le pain béni,
offert et rompu, la coupe partagée, le lavement des pieds, prendront sens pour nous.
Ainsi le lavement des pieds ne peut pas se réduire à un geste pieux invitant à la philanthropie. C’est le
Seigneur qui l’accomplit. Et dans ce geste où Dieu se met, en Jésus, dans la condition d’esclave, dépouillé
du vêtement de sa divinité, c’est bien la Passion qui est signifiée. En Jésus, Dieu vient nous sauver dans
un acte de pure grâce où lui seul est acteur. Il se met au plus bas, plus bas que nous, car ainsi selon le
beau mot de Blaise Pascal : « Il n’y a aucun rapport de moi à Dieu ni à Jésus Christ juste. Mais il a été fait péché
pour moi […] il est plus abominable que moi »2. C’est pourquoi il peut rejoindre ce qui en nous, malgré le bain
du baptême, a encore besoin d’être lavé. Ces pieds sales d’avoir couru les chemins de traverse du péché
qui nous ont conduit si loin de lui et de sa justice. Le lavement des pieds est donc un acte de salut, parfait
1
2
I Co 10,11
B. Pascal Les Pensées, B 553/L 919)
sacramental de la Passion qui nous sauve. Alors, l’ayant accompli, ayant revêtu les habits de sa gloire, il
vient prendre place à la table de notre eucharistie pour royalement nous ordonner de faire de même.
Ainsi il n’y a pas de service chrétien du frère si, en Jésus et avec lui, nous ne consentons pas à être plus
bas que ceux que nous servons, leur redonnant la dignité royale qu’ils ont perdu dans la misère et le
péché. C’est pourquoi ce service, qui est notre première mission, n’a de sens que fondé sur l’amour de
charité : « Je vous donne un commandement neuf : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé, vous aussi aimezvous les uns les autres. En ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les
autres »3.Combien il nous faut appeler au secours la grâce de Dieu pour entrer dans cet amour. Comme
nous savons être aigres et durs dans nos conflits, y compris ceux que nous vivons en Eglise ; comme
notre besoin d’être reconnus est loin de l’abaissement du Fils de Dieu !
Mais servir nos frères c’est plus encore que de subvenir à leurs besoins matériels ou les aider à grandir en
humanité, c’est aussi, sans se décourager «mais avec douceur et respect »4, leur faire découvrir le visage de
Celui qui les sert et dont nous sommes le signe : Jésus, lui-même. En fait, l’annonce et le service sont une
même chose. « Evangéliser, pour l’Eglise, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son
impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même »5… « Cet ordre éminemment évangélique […] est celui
de la charité : comment en effet proclamer le commandement nouveau sans promouvoir dans la justice et la paix la véritable,
l’authentique croissance de l’homme ? »6… « L’œuvre de l’évangélisation suppose, dans l’évangélisateur, un amour fraternel
grandissant envers ceux qu’il évangélise »7. Il s’agit donc bien du service concret du frère et de sa dignité.
Entrons donc dans la mémoire du Seigneur, laissons-lui prendre notre propre mémoire en la sienne et
actualiser, parmi nous et en nous, son œuvre de salut. Proclamons donc dans la foi (« Il est grand le mystère
de la foi ! ») la mort du Seigneur, annonçant sa résurrection jusqu’à ce qu’il vienne. Faisons-le dans l’acte
eucharistique mais aussi par toute notre vie. Car il ne saurait y avoir d’annonce du salut sans son accueil
préalable et il ne saurait y avoir d’accueil du salut sans conversion de nos vies. A Corinthe, proclamer la
mort du Seigneur jusqu’à sa venue c’était sortir du scandale qui troublait cette Eglise : l’individualisme
méprisant les plus pauvres jusqu’au cœur de la communauté8. Et c’est cet accueil des pauvres parmi
nous, un accueil qui inclut l’annonce de la Bonne Nouvelle, qui sera la pierre de touche de la
proclamation du Royaume et de notre conversion.
Alors nous ne vivrons pas seulement des rites pittoresques mais un dynamisme capable d’atteindre
chaque génération et de réaliser dans le déroulement des siècles ce que Dieu a voulu. Entrons dans la
mémoire du Seigneur en faisant de nos vies (notre vie personnelle et notre vie en communauté
chrétienne), par la grâce des sacrements, un signe de la mort et de la résurrection de Jésus Christ où
puisse transparaître quelque chose de sa gloire en attendant le jour de sa manifestation.
3
Jn 13, 34-35
I P 3,16
5
Paul VI, Evangelii nuntiandi, 18
6
Ib. ,31
7
Ib. ,79
8
I Co 11, 17-33
4

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