Black and white et le mystère du balancier

Transcription

Black and white et le mystère du balancier
é d i t o r i a l
Black and white
et le mystère du balancier
■ G. Amarenco*
V
rai ou faux : la rééducation périnéale
est LE traitement de première intention de l’incontinence urinaire à l’effort ?
Vrai. Tout le monde est d’accord sur cette
assertion venant de l’expérience quotidienne des médecins, des kinésithérapeutes et... des patientes. L’ANAES en a
même fait une recommandation suite aux
très nombreux travaux publiés, malgré leur
absence de niveau de preuve… incontestable. En effet, et souvent pour des défauts
méthodologiques, les innombrables
études portant sur l’apport de la rééducation périnéale dans le traitement des
troubles vésico-sphinctériens n’ont pas un
niveau de preuve dépassant le grade B
(tableau). Cela peut poser, à terme,
quelques soucis. À l’heure où de nombreux médicaments ne sont plus remboursés en raison du “service médical rendu”
insuffisant ou insuffisamment démontré
(antitussifs, expectorants, anti-acides, traitement de la cataracte, antibactériens, certains corticoïdes...) [1], le même risque
existe pour la rééducation dans ses diverses indications : incontinence postprostatectomie, incontinence du postpartum, incontinence fécale. En effet, nos
autorités de tutelle sont malheureusement
engagées sur une voie pavée de “bonnes
raisons” économiques, et toute thérapeutique ne faisant pas preuve d’une incontournable et irréfutable efficacité est au
minimum sur la corde raide. Cela est d’autant plus vrai quand la problématique du
traitement est purement fonctionnelle, ce
* Service de rééducation neurologique et d’explorations
périnéales, hôpital Rothschild AP-HP, 33, bd de Picpus,
75571 Paris Cedex 12.
E-mail : [email protected]
[1]
La liste complète est disponible en ligne sur le site du
ministère de la Santé : www.sante.gouv.fr
(rubrique : point presse/les dossiers).
[2]
Site Internet :
http://www.anaes.fr/ANAES/framedef.nsf/WebMasterparpag
e/71e60e94c17622aec125667f0023974b?OpenDocument
qui est évidemment le cas de l’incontinence, certaines molécules étant d’ores et
déjà mal ou non remboursées (toltérodine), car considérées comme traitement
de confort.
Black and white… Prenons l’exemple de
l’apport de la rééducation périnéale dans
le traitement des troubles urinaires et penchons-nous sur la bible officielle qu’est le
rapport de l’ANAES[2]. Quelles en sont les
conclusions ? Que la rééducation périnéale
a un intérêt dans le traitement de l’incontinence, mais que les niveaux de preuve ne
dépassent pas, sauf exception, le grade C.
Que la principale des recommandations
est... de faire des études prospectives
démontrant enfin l’absence d’équivoque.
Que des études spécifiques doivent être
menées pour : évaluer l’action de la rééducation sur des populations spécifiques
(post-partum, par exemple), évaluer l’impact de la rééducation sur le long terme,
évaluer l’acceptation par les patientes des
techniques de rééducation, évaluer l’utilisation des techniques dites de prévention.
Et l’amalgame est bien l’un des autres soucis : les “simples” exercices du plancher
pelvien (instruction verbale, auto-exercices
à domicile), la rééducation par biofeedback
avec un thérapeute et l’électrostimulation
sont tous regroupés sous le même vocable
de “rééducation périnéale”, et les rares
études comparatives ne sont pas toujours,
très loin s’en faut, à l’avantage de la rééducation périnéale telle qu’elle est effectuée
dans notre cher Hexagone, que ce soit dans
l’incontinence d’effort de la femme ou dans
la gestion des fuites postprostatectomie.
Attention, donc, aux raccourcis possibles
du législateur, qui, par souci de simplicité
et d’économie, pourrait bien se faire le promoteur d’une “rééducation” limitée aux
“exercices du plancher pelvien”. Pourquoi
attention ? Car nous savons tous qu’il existe
de vraies indications de la rééducation par
biofeedback et que, parfois, elle seule est
efficace. Alors, point de querelle stérile,
mais au travail ! Et au vrai travail : scientifique, inattaquable, précis, rigoureux, pour
démontrer tout l’apport de la rééducation.
Mais avec réflexion : tout n’est pas rééducable ; tout n’est pas justiciable de nombreuses séances de rééducation. Réfléchissons aux populations cibles, à ces lots
homogènes de patientes pouvant et devant
réellement bénéficier de telles techniques…
et démontrons, médecins et kinésithérapeutes impliqués dans la sphère périnéale,
Tableau. Niveau de preuve et grade des recommandations (ANAES).
Niveau de preuve scientifique fourni par la littérature
(études thérapeutiques)
Niveau 1
• Essais comparatifs randomisés de forte puissance
• Méta-analyse d’essais comparatifs randomisés
• Analyse de décision basée sur des essais bien menés
Niveau 2
• Essais comparatifs randomisés de faible puissance
• Études comparatives non randomisées bien menées
• Études de cohorte
Niveau 3
• Études cas-témoins
Niveau 4
• Études comparatives comportant des biais importants
• Études rétrospectives
• Série de cas
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2003
Grade des recommandations
A
Preuve scientifique établie
B
Présomption scientifique
C
Faible niveau de preuve
C
Faible niveau de preuve
3
é d i t o r i a l
l’utilité de ces techniques. Pouvons-nous
alors laisser quelques impénitents, irresponsables et cupides, se faire les chantres
du “tout” rééducation ? Définitivement non.
Black and white… D’autant que la rééducation est rarement “radicale”. Son efficacité n’est malheureusement pas dans
tous les cas totale, binaire : de la patiente
bien améliorée, très améliorée, voire un
peu améliorée, à celle qui est totalement
et définitivement guérie, le continuum est
absolu. Ces résultat parfois nuancés ne
sont pas le propre de la rééducation : ils
sont retrouvés pour les autres traitements, qu’ils soient chirurgicaux ou médicamenteux. Mais qui accepterait pour
preuve dans une publication scientifique,
ou comme encouragement à une patiente
candidate à une opération, qu’une technique chirurgicale puisse n’être le fait
qu’“assez efficace”, et, qui plus est, pendant quelques mois seulement ? Considérerions-nous alors cela comme un “bon
résultat” ? Certes, non ! Et l’on ne pourrait
reprocher à personne de juger défavorablement cette technique. Pourtant, c’est
bien comme cela que nombre de rééducations périnéales sont effectuées. Les
chiffres sont abrupts : si 50 000 cures
d’incontinence à l’effort sont réalisées
chaque année en France, c’est que, théoriquement, 500 000 séances de rééducation (à simplement 10 séances par
femme) ont en définitive échoué… La rééducation périnéale ne doit pas être un
moyen de gérer les files d’attente des chirurgiens. La rééducation périnéale ne doit
pas être un pis-aller prescrit soit en
désespoir de cause par un généraliste ou
un gynécologue, soit pour se donner le
temps d’attendre un “traitement efficace”, médicamenteux ou chirurgical. La
rééducation périnéale ne doit pas être
une solution de repli pour les craintives
de la chirurgie (ou de ses résultats aléatoires, très détaillés dans les notices d’information). La rééducation est un vrai traitement efficace, et souvent de manière
définitive, mais démontrons-le par des
protocoles multicentriques, pour bien déterminer les catégories de patientes qui
vont en tirer pleinement bénéfice. Laissons aux autres patientes d’autres types
4
de traitement, qu’ils soient médicamenteux, chirurgicaux ou comportementaux,
voire psychanalytiques. Ne mélangeons
pas tout, car, à force de vouloir tout régler
par une seule et même méthode, cette
dernière devient insidieusement moins
crédible dans son indication originale.
Black and white… Si la rééducation périnéale est une technique de soin efficace, et
c’en est une, il faut bien alors considérer
que, comme tout traitement, elle puisse ne
pas être efficace et qu’elle ait quelques effets secondaires et indésirables. Certains
ont pu s’émouvoir de lire, dans cette revue,
quelques considérations sur les contraintes
bien connues de la rééducation. Il faut les
admettre : le nombre de séances nécessaires est souvent important, c’est une vérité. Dix à 15 déplacements pour une demiheure de traitement, même s’il s’avère
efficace, sont souvent mis en balance avec
la vie frénétique et l’absence de temps libre
que nous laisse notre société actuelle. Ces
séances restent une contrainte de temps, et
donc sociale, pour toutes ces femmes fort
occupées, tout à la fois mères de famille,
avec ce que cela comporte comme charge
de travail, travailleuses salariée ou libérales
et individus ayant peut-être quelques
heures à consacrer à leur intérieur et, pourquoi pas, à leurs loisirs… Au-delà de la
contrainte du temps qui passe et qui ne se
rattrape jamais, la rééducation périnéale,
malgré, bien évidemment, le tact, la pudeur, la discrétion de l’immense majorité
des thérapeutes, peut être mal
vécue – comme n’importe quelle consultation médicale intime, comme n’importe
quel acte médical ou n’importe quelle exploration de la sphère périnéale. Ce n’est
pas une injure pour les gynécologues, chirurgiens urologues, médecins de rééducation, sages-femmes, kinésithérapeutes, infirmières, etc., que de s’interroger sur le
vécu psychologique de tous ces actes, que
certaines vivent avec appréhension et parfois comme une réelle agression. Tout le
monde n’a pas eu une enfance heureuse,
sereine et protégée ; tout le monde a son
histoire, parfois ses histoires, parfois bien
tristes, parfois trop douloureuses pour ne
pas être enfouies dans la mémoire, et qui,
d’un coup, peuvent ressurgir à l’occasion
d’une situation qui peut (à tort bien évidemment, mais qui a le droit de juger ?),
par le contact plus qu’intime, renvoyer à un
passé un peu troublé… Cette rupture d’intimité nécessitée par la rééducation classique est d’ailleurs un des moteurs du succès de certaines techniques de
“rééducation” outre-Atlantique : magie et
succès de la chaise magnétique, où tout se
fait habillé, où toutes les contractions périnéales n’ont point besoin d’autre support
ou d’autre vecteur que les rebords de la
chaise… Pudibonderie, peut-être. Mais, en
tout cas, politiquement correct. Cette dimension est donc incontournable et, quelle
que soit l’atmosphère dans laquelle cette
rééducation sera proposée, certaines patientes peuvent en souffrir. Le temps, la disponibilité, l’idée même que l’on s’en fait en
termes de pénibilité et de vécu psychologique possible sont autant de bonnes raisons pour discuter de l’opportunité de la
rééducation, même mise en balance avec
d’autres techniques, notamment chirurgicales. Au dernier congrès de l’ICS, à Florence, Cardozo et al. ont rapporté une
étude sur des femmes ayant une incontinence urinaire à l’effort et à qui l’on demandait de choisir entre deux techniques de
soins possibles, rééducation et chirurgie,
après les avoir informées des différentes
modalités, des avantages et des inconvénients respectifs des techniques. Dans plus
d’un tiers des cas, ces femmes dûment informées préféraient surseoir à la rééducation périnéale et optaient d’emblée pour la
chirurgie.
Black and white… Alors, méfiance ! Si un certain nombre, non négligeable, de femmes, au
nom de leur qualité de vie, récusent la rééducation ; si, au nom de l’absence de preuve irréfutable d’efficacité, certains législateurs sont
tentés par, certaines économies ; si, au nom
d’un corporatisme d’une autre époque, certains thérapeutes veulent continuer à tout
rééduquer ; si, au nom d’un obscurantisme
bien fâcheux, certaines techniques ésotériques
éclosent ; si, au nom d’un dogmatisme malsain, de réelles études ne sont pas faites pour
démontrer la supériorité du biofeedback dans
des lots particuliers de patientes... Eh bien, certaines femmes auront eu raison, certains législateurs tout autant… La faute à qui ?
■
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2003