L`actu n°2011 du mardi 25 avril 2006 - L-ACTU.FR (14
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mardi 25 avril 2006 no 2 011 cahier no 1 0,48 € INTERVIEW CINÉ ISSN 1288 - 6939 Franck Dubosc au Camping p. 8 Le Dossier du mardi : DÈS 14 ANS L’essentiel de l’actualité en 10 minutes par jour tous les jours sauf dimanche et lundi FREUD 20 ANS APRÈS TCHERNOBYL L’ENFER Le 26 avril 1986, un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) explosait, libérant un nuage toxique. 20 ans après, enquête et témoignages. p. 2-7 Un homme chargé de mesurer la radioactivité découvre un bébé abandonné, près de Tchernobyl, en octobre 1986. Igor Kostin/Corbis Ce numéro comporte un second cahier, Le Dossier de l’actu, numéroté de I à IV. SANS FIN ● Il y a 20 ans, explosait le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine (Europe de l’Est). C’est le plus grave accident de l’histoire du nucléaire civil. CONTEXTE ● La catastrophe est inédite pour l’humanité. Les conséquences de la radioactivité dégagée par l’explosion sur la santé des personnes exposées et sur l’environnement ne sont pas encore toutes connues. Anna a vécu jusqu’à l’âge de 16 ans près de Tchernobyl « Enfant, on ne prend pas ça au sérieux » A nna Ridkina est née juste avant la catastrophe de Tchernobyl, à Dobrouch, au sud de la Biélorussie (Europe de l’Est). Sa région est donc devenue très contaminée quelques mois après sa naissance. « Nous vivions à quelques kilomètres de la zone d’où les gens ont été évacués, précise-t-elle calmement 20 ans plus tard. J’ai passé mon enfance là-bas. Nous savions que cela pouvait avoir des conséquences pour l’avenir. Mais on ne prend pas ça au sérieux quand on est enfant. Des gens autour de nous ne faisaient pas du tout attention. Dans ma famille, nous étions prudents : nous ne ramassions pas de champignons. » Ceux-ci concentrent en effet la radioactivité du césium 137. Anna vit aujourd’hui à Minsk. Sa famille habite toujours en zone contaminée. « Les enfants de la région partaient deux mois par an en cure de repos en zone non contaminée. À partir de l’âge de 8 ans, je suis allée 10 fois aux États-Unis sur invitation d’une famille. Les enfants des zones non contaminées étaient jaloux », dit-elle dans un sourire. Elle assure qu’à Dobrouch, « on ne se souvenait vraiment de Tchernobyl que le jour de l’anniversaire [de l’accident]. Puis on oubliait… » Et soudain, au détour d’une phrase, elle raconte que son père et ses sept oncles sont morts d’un cancer dans les années 1990. « Tous avaient travaillé comme liquidateurs (ndlr : personnes chargées de nettoyer et réparer après la catastrophe) à Tchernobyl. Mon B. Quattrone Son père et ses sept oncles morts de cancers père était ingénieur mécanicien. Mais il ne voulait jamais parler du travail qu’il avait fait à la centrale. Il est mort d’un cancer de la gorge. » À 16 ans, Anna est partie à Minsk, la capitale. Aujourd’hui, étudiante en langues, elle accompagne à l’étranger des enfants plus jeunes qui ont vécu la même chose qu’elle. Un drame sans fin. Elle dit qu’elle pourrait retourner vivre en zone contaminée. « Mais j’aurais peur d’avoir des enfants là-bas. » Bruno Quattrone, envoyé spécial en Biélorussie 2 ● l’actu - Mardi 25 avril 2006 - www.playbacpresse.fr CHIFFRES-CLÉS DE L’ÉVÉNEMENT 4 000 ● cas au moins de cancers de la thyroïde sont dus à Tchernobyl. Les enfants et adolescents sont les plus touchés. ● 441 réacteurs nucléaires ont été construits dans le monde. 1,7 million de personnes vivent encore en zone contaminée en Biélorussie, dont 500 000 enfants. Uniquement par abonnement ● Certaines maladies ne sont probablement pas encore apparues chez des personnes contaminées ou leurs descendants. Les effets des radionucléides durent des centaines, voire des milliers d’années. ● Aucune centrale nucléaire n’est aujourd’hui à l’abri d’un accident grave. Avec 58 unités, la France est le pays qui possède le plus de réacteurs nucléaires sur son sol après les États-Unis (104 réacteurs). HISTOIRE 26 avril 1986 : explosion d’un réacteur nucléaire en Ukraine Tchernobyl : l’Europe contaminée L Sarcophage de protection en très mauvais état « En France, témoigne Roland Desbordes, président de la CRIIRad, les autorités ont soutenu pendant plusieurs jours que le CXZfekXd`eXk`feiX[`fXZk`m\Xgi j(0/9@yCFILJJ@< :feZ\ekiXk`fe[\ Zj`ld(*.\eb`cf$ Y\Zhl\i\cjgXi d ki\ZXiib9h&d) EFIMß>< KZ_\iefYpc JLß;< <JKFE@< [\(/,~,,, [\+'~(/, LBI8@E< =@EC8E;< gclj[\(+/' qfe\`ek\i[`k\ [\,,,~(+/' 9<C>@HL< I<G%K:?ßHL< =I8E:< jXej[fee\j GFCF>E< 8CC<D8>E< df`ej[\) JL@JJ< ' (''bd C@KL8E@< [\('~+' [\)~(' B`\m ILJJ@< C<KKFE@< ;8E<D8IB IFP8LD<$ LE@ G8PJ$98J @IC8E;< ILJJ@< 8LKI@:?< JCFM8HL@< 9@yCFILJJ@< LBI8@E< KZ_\iefYpc DFC;8M@< ?FE>I@< IFLD8E@< JCFMyE@< :IF8K@< IekhY[07jbWie\ 9W[i_kc:[fei_j_ed W\j[hj^[9^[hdeXob 7YY_Z[dj9ecc_ii_ed [khef[dd[$ <JG8>E< pays avait été épargné. Le nuage radioactif était censé s’être arrêté aux portes du pays, puis avoir été repoussé par un anticyclone. En réalité, il traversait la France. » La partie la plus touchée fut le tiers @K8C@< 8IKGI<JJ< e samedi 26 avril 1986, à 1 h 23, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, explose. Une succession d’erreurs du personnel, pendant un essai de sécurité, est à l’origine de la catastrophe. La déflagration soulève la dalle supérieure du réacteur, d’un poids de 2 000 tonnes. La partie supérieure du cœur du réacteur se retrouve à l’air libre, en flammes. Pendant 10 jours, l’incendie envoie dans l’atmosphère des quantités énormes de radionucléides : césium 137, iode 131, strontium, plutonium… On en retrouve aujourd’hui encore des traces en Asie ou en Amérique. Mais l’Europe, de la Finlande à la Corse, de l’Écosse à la Grèce, est le continent le plus touché (voir carte ci-contre). >Iß:< est du pays, de l’Alsace et la Lorraine à la Corse, où l’on trouve encore aujourd’hui une contamination au césium 137 plus élevée qu’ailleurs dans le pays. À Tchernobyl, un sarcophage a été cons- truit en hâte autour du réacteur n° 4, pendant le deuxième semestre de 1986. Il devait contenir les matières radioactives. Mais il est aujourd’hui instable et fissuré. Il est prévu de le remplacer. B. Q. MOTS-CLÉS DE L’ÉVÉNEMENT Commissariat à l’Énergie Atomique. Instance française chargée d’effectuer des recherches scientifiques en vue de l’utilisation de l’énergie nucléaire. Césium 137 et iode 131 Éléments radioactifs. Le premier perd la moitié de sa radioactivité tous les 30 ans, le second tous les huit jours (avec un rayonnement plus intense). Après Tchernobyl, ils ont contaminé les sols, donc les aliments qui y poussent. Cogema Compagnie générale des matières nucléaires. Rebaptisé Areva NC, Pour vous abonner : 0825 093 393 (0,15 € TTC/min) Nuage radioactif ce groupe français est leader mondial du cycle du combustible nucléaire. Ensemble des polluants radioactifs propulsés dans l’atmosphère par l’explosion. CRIIRad Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité. Son laboratoire effectue des analyses de taux de radioactivité. Radioactivité Propriété d’un noyau atomique instable de se transformer en d’autres éléments. Cela produit de la chaleur et des rayons, dont certains sont très dangereux. Hiroshima et Nagasaki Villes japonaises frappées par les bombardements atomiques américains, en août 1945. Radionucléide Élément chimique radioactif. Thyroïde AFP CEA Glande située dans la gorge et secrétant des hormones. L’iode s’y fixe facilement. www.playbacpresse.fr - Mardi 25 avril 2006 - l’actu ● 3 Reportage en Biélorussie, pays d’Europe le plus contam « Une guerre face à un « E « Les gens ne comprennent pas le danger » « Il ne faudrait pas qu’ils habitent là-bas », recommande Vladimir Pozniak, directeur du sanatorium Zhdanovichi, près de Minsk, où 4 500 enfants des zones contaminées viennent chaque année en cure. « Le problème, c’est que les gens qui vivent dans ces zones très rurales ne veulent pas partir, observe Alfredo Pena Vega, un sociologue qui a travaillé en Biélorussie de 1995 à 2005. Ils font une abstraction totale de la catastrophe. C’est une façon de se dire : “Si j’y pense, je ne pourrai plus continuer à vivre ici. Alors j’oublie.“ Le souvenir de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle ces populations ont été déplacées, est encore vivace. Les gens qui ont été évacués après Tchernobyl parce qu’ils se trouvaient en zone très contaminée ont vécu ça comme un traumatisme, une troisième guerre. En pire, car c’est une guerre face à un ennemi invisible. Ils ne comprennent pas le danger. » L’OMS parle de simples « troubles mentaux » Wladimir Tchertkoff, journaliste, relativise : « Les vieux, oui, ils veulent rester. Les jeunes préféreraient partir, mais, par manque d’argent et à cause de difficultés administratives, ils ne le peuvent pas. Loukachenko (ndlr : le Président biélorusse) ne veut pas que ces zones soient évacuées. Et il profite, de fait, de l’attitude de l’Occident sur ce sujet. » Loin de demander l’évacuation des zones contaminées, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) encouragent en effet les gouvernements concernés à « revoir la classifica- TÉMOIGNAGES D’ADOS M arina et Julia ont 14 et 17 ans. Elles sont originaires du sud-est de la Biélorussie, d’une zone polluée. Aujourd’hui, elles vivent à Minsk. « Nos parents ont été déplacés à cause de la contamination, explique Marina. Mais je préférerais vivre dans la région où j’ai mes racines. » Malgré le danger ? « Oui. » Julia ajoute : « Ça ne me fait pas peur non plus. » Nous les quittons. À voix basse, dans le couloir, le responsable du sanatorium Zhdanovichi, où les deux adolescentes sont en cure, Les enfants sont particulièrement sensibles aux effets de la radioactivité (ici, un jeune malade atteint d’un cancer). tion des zones contaminées », affirmant que « de nombreuses zones considérées auparavant comme à risque sont en fait propres à l’habitation et à la mise en culture ». Car, au mieux, l’AIEA et l’OMS nient le lien entre la radioactivité et l’augmentation du nombre de malades en zones contaminées. Au pire, elles refu- sent même de reconnaître l’existence de ces maladies, évoquant des « troubles mentaux ». « Même à faible dose, le césium 137 est dangereux » Le médecin biélorusse Youri Bandajevsky étudie les effets du césium 137 sur le corps humain. « Je préférerais retourner là-bas » précise : « Elles sont ici car leur médecin scolaire a décelé une faiblesse dans leur organisme. Elles viennent d’arriver. Elles vont être examinées. » En écho sinistre, me reviennent les paroles de Natallia Demoukh, une prof rencontrée la veille et qui accompagne à l’étranger des enfants malades : « Même ceux qui sont gravement atteints ne comprennent pas le danger. Ils savent qu’il ne faut pas manger de myrtilles, qui concentrent la radioactivité, mais ils le font quand B. Q. même. La menace est invisible. » 4 ● l’actu - Mardi 25 avril 2006 - www.playbacpresse.fr B. Quattrone n 1985, juste avant la catastrophe de Tchernobyl, 90 % des enfants vivant dans les régions biélorusses qui allaient ensuite être contaminées n’avaient pas de problèmes de santé. En 2000, 80 % des enfants qui vivaient dans ces zones étaient malades. » Dans son laboratoire situé à la périphérie de Minsk, la capitale de la Biélorussie, le physicien Vassili Nesterenko (lire p. 5) égrène les chiffres. Et précise : « La situation est encore pire en zones fortement contaminées. À Narovlia, par exemple, le médecin chef a examiné 3 800 enfants. Tous sont malades. » 70 % des radionucléides rejetés dans l’air après l’explosion de Tchernobyl sont retombés sur le sol biélorusse. 20 ans après, près d’un quart du territoire de ce pays d’Europe de l’Est est toujours contaminé, principalement au césium 137. 1,7 million de personnes, dont 500 000 enfants, vivent dans ces zones. Uniquement par abonnement aminé par la pollution rejetée par Tchernobyl BILAN ALARMANT EN UKRAINE n ennemi invisible » AP/Oded Balilty B. Quattrone « Une catastrophe pourrait arriver en France » Il a constaté une augmentation du nombre de maladies cardiaques et de cataractes (maladie des yeux) chez les enfants des zones contaminées. Pour lui, « la présence de césium 137 dans le corps, même à faible dose, est dangereuse ». Mais ses travaux, comme ceux d’autres scientifiques biélorusses et ukrainiens, Analyse de Wladimir Tchertkoff : « Si on reconnaissait que les gens vivant en zone contaminée sont malades à cause de l’ingestion de radionucléides, il faudrait évacuer ces populations. Le monde entier verrait les vraies conséquences de Tchernobyl. Et cela remettrait en cause toute l’industrie du nucléaire, y compris en France, où elle a tant de poids. Alors, on ne fait pas de recherches sur les liens entre la radioactivité et les maladies. » Et Romain Chazel, vice-président de la CRIIRad, d’ajouter : « Il existe en Biélorussie de grands programmes internationaux liés aux conséquences de Tchernobyl. Les Français de la Cogema, par exemple, en font partie, via une association, le CEPN. Cela les intéresse de savoir comment on peut gérer une population qui vit en zone contaminée. Car ils ont bien compris qu’une catastrophe comme celle de Tchernobyl pourrait arriver en France. Mais ils n’ont pas intérêt à ce que les conséquences médicales soient connues dès maintenant. » Bruno Quattrone, envoyé spécial à Minsk (Biélorussie) Le combat isolé du Pr Nesterenko C B. Quattrone ne sont pas reconnus par l’AIEA et l’OMS, qui ne les ont pas pour autant contre-vérifiés. ’est une grande maison rose et blanche, à la périphérie de Minsk. À la fois laboratoire, siège et entrepôt de l’institut indépendant Belrad, créé en 1990 par le physicien Vassili Nesterenko. Belrad a deux types d’activités. Le premier : mesurer la radioactivité en zone contaminée. Celle des aliments, pour encourager les gens à manger « propre », et celle des habitants. « En 1990, il y avait 370 centres de contrôle de radioactivité soutenus par l’État, explique Alexander Devoino, directeur adjoint. Il n’en reste qu’une quarantaine. Il en faudrait 250. » Les minibus de Belrad (photo) qui sillonnent les zones contaminées sont équipés d’appareils de mesure du taux de radionucléides dans le corps humain. Un traitement à base de pomme Belrad propose aussi des traitements de Vitapecte-2, une poudre à base de pectine de pomme. Selon Nesterenko, une cure de trois semaines fait baisser de trois à cinq fois le taux de contamination de l’enfant. Des effets que d’autres scientifiques ne jugent pas si convaincants. En attendant, Belrad, qui tente de survivre financièrement grâce aux capitaux privés occidentaux, est seul ou B. Q. presque à agir sur le terrain. M usique à fond dans la voiture, discussion au McDo, comme souvent avec les jeunes Biélorusses… Vadim Litochko a 23 ans. Il est malade : un cancer des os, détecté il y a deux ans. Deux opérations plus tard, c’est un jeune homme en colère. Comme d’autres, le lien de sa maladie avec Tchernobyl n’est pas reconnu officiellement. Et il doit vivre avec ce doute. « Les médecins ne peuvent pas me dire à 100 % que mon cancer est lié à la catastrophe. Même si, moi, Pour vous abonner : 0825 093 393 (0,15 € TTC/min) j’en suis sûr. Tchernobyl est une menace qui pèse sur tout le monde ici. Mais on n’y pense pas tant qu’on n’est pas malade. » Son regard se perd un instant dans le vide, puis il reprend : « Il faut faire plus de prévention, parler et encore parler de ce qui se passe ici. À l’hôpital des enfants cancéreux, près de Minsk, il y a des enfants de toute la République que personne ne vient voir. Avec des amis motards, j’organise des collectes pour leur apporter B. Q. des cadeaux, des friandises. » B. Quattrone « On n’y pense pas tant qu’on n’est pas malade » En Ukraine, pays où se trouve la centrale de Tchernobyl (voir p. 3), les chiffres sont tout aussi alarmants. Selon un communiqué publié l’an dernier par l’ambassade d’Ukraine à Paris, plus de 2,6 millions d’Ukrainiens ont reçu le statut de « victimes de Tchernobyl ». 94 % des liquidateurs (les hommes qui ont travaillé à la centrale et dans ses environs dans les années suivant la catastrophe) ukrainiens sont atteints de maladies. C’est également le cas de 90 % des personnes évacuées des territoires fortement contaminés et de 85 % de celles qui vivent aujourd’hui en zone affectée par les radiations. Les examens médicaux montrent que la situation s’aggrave année après année. www.playbacpresse.fr - Mardi 25 avril 2006 - l’actu ● 5 Le bilan officiel de la catastrophe très contesté « On cache la vérité » U 20 000 morts, selon un physicien biélorusse Mais Georg Lepin, physicien qui a travaillé à Tchernobyl après l’accident (lire interview p. 7), totalise déjà plus de 20 000 décès. « Ce chiffre ne m’étonne pas. Il est certainement beaucoup plus proche de la vérité que ceux de l’AIEA et de l’OMS », réagit Jacques Lochard qui travaille depuis 15 ans en Biélorussie. Il dirige le CEPN, une association dont sont membres la Cogema et le CEA, et donc peu suspecte d’être antinucléaire. « Les experts de l’AIEA et de l’OMS ne font que prendre les chiffres qu’on leur donne. Ils ne vont pas sur le terrain. Leur rapport est honteux, irresponsable, d’une bêtise hallucinante » , s’emporte Jacques Lochard, furieux. Un cas différent de Hiroshima et Nagasaki « L’AIEA a pour première mission ”d’accroître et d’accélérer la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde”. Elle est là pour promouvoir le nucléaire. Elle ne va pas nous aider à connaître les conséquences de Tchernobyl », rappelle Michel Fernex, professeur à la faculté de médecine de Bâle (Suisse) et consultant scientifique de l’association Enfants de Tchernobyl Belarus. « Quant à l’OMS, elle est liée depuis 1959 à l’AIEA par un TÉMOIGNAGES D’ADOS E À Kiev (Ukraine), un mémorial a été érigé en l’honneur des liquidateurs, qui ont travaillé à Tchernobyl après l’explosion. AFP/Sergei Supinsky ne cinquantaine de morts jusqu’à présent et, au total, 4 000 décès prévus. Voilà le bilan humain de Tchernobyl que dressent l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) — prix Nobel de la Paix 2005 — et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans leur dernier rapport (septembre 2005). « Avancer de tels chiffres est criminel vis-à-vis des victimes de cette catastrophe. On cache la situation réelle », commente le médecin biélorusse Youri Bandajevsky, qui étudie les effets sur l’organisme de la contamination au césium 137. Les morts comptabilisés par l’AIEA et l’OMS sont principalement les hommes intervenus sur le site aussitôt après l’explosion. Et neuf enfants décédés d’un cancer de la thyroïde directement imputable au passage du nuage radioactif. subi un flash de radioactivité très violent. Ils ont été irradiés, mais il y a eu peu de retombées sur le sol. À Tchernobyl, pendant 10 jours, un incendie a envoyé dans l’air des radionucléides. Ils sont retombés en contaminant des territoires entiers. Cette radioactivité est toujours présente dans le sol. Les gens qui mangent ce qui pousse dans ces zones subissent une contamination interne. Tchernobyl est donc une nouveauté absolue pour tout B. Q. le monde. » « Tant que nous sommes en vie… » dans la forêt, de ne pas ramasser de champignons. Mais on y allait… Encore aujourd’hui, on vend dans cette région, au bord des routes, des champignons non contrôlés. » Vivre en zone contaminée ne les effrayait pas ? « Non. Nous n’avions pas peur. Mes parents ne vérifiaient pas si ce que nous mangions était contaminé. » Nastia enchaîne : « En Italie, lors d’une cure avec d’autres enfants biélorusses, B. Quattrone lles ont entre 19 et 21 ans. Nastia, Tatiana, Tonia, Natallia et Anna étudient le français à l’université de Minsk. Elles ont accepté de se réunir et d’évoquer Tchernobyl. Tonia vient de Jlobin, en zone contaminée. « Ma famille était originaire de Russie. Mon père avait été embauché dans une nouvelle usine métallurgique construite à Jlobin. J’avais 3 ans. Quand j’étais enfant, on me disait de ne pas aller accord qui stipule que, dans le domaine du nucléaire, elle ne peut s’exprimer sans l’accord préalable de cette dernière ! » Pour le journaliste Wladimir Tchertkoff, auteur de films documentaires sur Tchernobyl, la justification scientifique des chiffres de l’AIEA repose sur une confusion volontaire : « Pour estimer les conséquences de Tchernobyl, les experts de l’AIEA appliquent des observations faites à Hiroshima et Nagasaki. Ça n’a aucun sens ! À Hiroshima, les gens ont 6 ● l’actu - Mardi 25 avril 2006 - www.playbacpresse.fr pour changer d’air, j’ai passé une visite médicale. Le médecin italien a trouvé que j’avais une thyroïde trop grosse. De retour en Biélorussie, le médecin d’ici m’a dit : “Tu as une glande normale… biélorusse !” » Les cinq filles éclatent de rire. Tatiana ajoute, manière de dire que tout le monde ici doit vivre avec Tchernobyl : « Au collège, nous avons une matière appelée “sécurité radioactive”. Il y a de gros problèmes de santé. En sport, 90 % des étudiants ont une pathologie qui les empêche de faire la totalité des activités. » Toutes connaissent des jeunes atteints de cancer… Nastia : « Nous tâchons de ne pas y penser. Tant que nous sommes en vie… » Anna conclut : « Mais la B. Q. mortalité est très élevée. » Uniquement par abonnement INTERVIEW « La France est dans un piège atomique » G eorg Lepin a 75 ans. Ce physicien biélorusse a travaillé comme volontaire à Tchernobyl, en 1986, après l’explosion du réacteur n° 4. B. Quattrone La centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly (Loiret). Combien de temps avez-vous travaillé dans la zone de Tchernobyl après la catastrophe ? Georg Lepin : J’ai passé six ans, de 1986 à Vous étiez l’un des responsables des liquidateurs, ces hommes qui sont intervenus à la centrale juste après la catastrophe et qui, dans les années suivantes, ont été chargés de travailler sur ce site. Que faisaient-ils ? Dans quelles conditions ? Ils devaient surtout enterrer les produits radioactifs. Moi, j’étais un spécialiste, mais la plupart d’entre eux n’avaient aucun rapport avec le nucléaire. Ils ont d’autant plus souffert ensuite qu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils faisaient là-bas. Ils n’étaient pas protégés. Ces gens ont été envoyés à la mort. Le gouvernement les a fait venir de toute l’ancienne Union soviétique sans les informer sur les risques qu’ils couraient. C’était des personnes non qualifiées. Si elles avaient été formées, elles n’auraient pas accepté de faire un travail pareil. POUR AIDER • Financement des cures à base de pectine pour les enfants biélorusses : Institut Belrad. Tél. : 00 375 17 289 03 84 (parler anglais). E-mail : [email protected]. • Association d’aide aux enfants de Biélorussie Hope for the Future. Tél. : 00 375 17 290 65 71 (plusieurs membres parlent français, anglais, italien…). E-mail : [email protected]. • Association Enfants de Tchernobyl Belarus (en France). E-mail : [email protected]. Pour vous abonner : 0825 093 393 (0,15 € TTC/min) AFP/André Durand 1992, dans la zone des trois kilomètres autour de la centrale. J’ai travaillé sur la désactivation (ndlr : diminution de l’activité d’un élément radioactif) du toit du bloc des réacteurs nos 3 et 4, sur celle des équipements se trouvant dans ce bloc et sur celle de la ville de Pripiat, située à trois kilomètres du réacteur qui a explosé. Combien y a-t-il eu de liquidateurs ? Il n’y a pas de chiffres officiels, mais il y en a eu plus d’un million (ndlr : autour de 800 000 selon d’autres sources). Aujourd’hui, plus de 20 000 d’entre eux sont morts et plus de 200 000 sont handicapés à cause des effets de la radioactivité. Il faut filmer ces gens, enregistrer leur parole, conserver leur mémoire. Si on montrait leurs témoignages, on comprendrait mieux le danger du nucléaire. Je me bats pour cela, mais il faut de l’argent. Tchernobyl, c’est un crime des responsables sanitaires de l’État de l’époque. Tout pays qui a une centrale nucléaire sur son territoire est potentiellement responsable d’un crime. Les centrales atomiques sont des mines qu’on a posées, de ses propres mains, sur son propre terri- • La CRIIRad. Tél. : 04 75 41 82 50. Site Internet : www.criirad.com. • Pour aider Georg Lepin à enregistrer la parole des liquidateurs et à financer la traduction de ses livres en anglais : [email protected]. ALLER + LOIN À lire : • La Supplication, de Svetlana Alexievitch (J’ai lu). Témoignages de survivants de Tchernobyl. toire. Tous les pays en possédant devraient cotiser à un fonds mondial. Il servirait en cas d’accident. On l’a vu avec Tchernobyl : aucun pays n’a les moyens de résoudre seul une catastrophe de cette ampleur. En France, près de 80 % de l’électricité provient du nucléaire… Votre pays est enfermé dans un piège atomique. Avec le Japon, il détient la densité de réacteurs nucléaires la plus élevée. Mais le Japon cherche désormais des solutions alternatives à l’atome. La France, non. Si les Français ne comprennent pas ce danger maintenant, demain il sera trop tard. C’est une erreur de croire que ce qui est arrivé à Tchernobyl ne peut se produire en France. • Tchernobyl mon amour, de Chantal Montellier (Actes Sud). BD sur la catastrophe. • Les Silences de Tchernobyl, sous la direction de Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand (Autrement). Témoignages, analyses… • Tchernobyl, confession d’un reporter, d’Igor Kostine (Les Arènes). La catastrophe en photos. • Le Crime de Tchernobyl, de Wladimir Tchertkoff (Actes Sud). Enquête. • Atomic Park, de Jean-Philippe Desbordes (Actes Sud). Enquête sur les victimes du nucléaire. Entretien réalisé par B. Q. • Tchernoblues, de Roger Belbéoc’h (L’Esprit frappeur). • La Philosophie de ma vie, de Youri Bandajevsky (Jean-Claude Gawsewitch). Ce scientifique a été emprisonné 4 ans par le régime autoritaire biélorusse. À voir : • Tchernobyl, de David Desramé et Dominique Maestrali (DVD aux éditions Montparnasse). www.playbacpresse.fr - Mardi 25 avril 2006 - l’actu ● 7 Demain, en page 8 Les sorties ciné ● 7 novembre 1963 : naissance au Petit-Quevilly (Seine-Maritime). ● 1985 : rôle principal dans le film À nous les garçons, de Michel Lang. ● 1994 : Les Petites Annonces d’Élie, SON CV avec Élie Semoun. ● 1999 : présente son spectacle, J’vous ai pas raconté. ● 2004 : nouveau spectacle, Romantique. ● 2005 : joue dans Iznogoud, de Patrick Braoudé. ● 19 avril 2006 : sortie de Camping. Franck Dubosc joue dans Camping, dont il a co-écrit le scénario “ Je voulais garder une trace des vacances de mon enfance ” Franck Dubosc : Depuis 20 ans ! J’ai toujours fait du camping : la première fois, j’avais 8 mois ! J’avais envie de faire un film sur les vacances, pour garder une trace de mes souvenirs d’enfance. J’en ai d’abord fait un sketch, mais très « gaguesque », sans le côté émouvant. Puis j’ai croisé le réalisateur Fabien Onteniente. Lui avait envie de faire un film sur la classe populaire. Je lui ai parlé du camping. Le déclic s’est fait. Avec deux autres auteurs, nous nous sommes attelés au scénario. Vous interprétez un certain Patrick Chirac. Qui l’a imaginé ? On l’a créé ensemble. Ce personnage est un peu notre caution rigolote. C’est le séducteur des plages. Il nous fallait un personnage un peu plus caricatural. Il ressemble aussi à votre personnage de scène… Oui. Mon personnage de scène me ressemble et fait partie de moi. Je l’ai amené sur ce film en le rendant plus réaliste. Là, il a une femme et une petite fille. Je n’ai pas la prétention de savoir tout faire. Ce personnage, je sais le faire et le faire bien, donc pourquoi m’en priver ? J’aime faire rire et je sais faire rire avec lui. N’avez-vous pas envie d’explorer d’autres registres ? Disons que je ne cherche pas le contre-emploi à tout prix. Mais si on pense que je suis enfermé dans ce rôle, qu’on se rassure : c’est moi qui ai les clés. Certaines anecdotes du film appartiennent-elles à votre expérience ? Oui. L’emplacement 17, par exemple. Mes parents l’ont eu pendant 30 ans, sauf une année. Comment l’avez-vous construit ? Il a le maillot de bain de mon père, la voiture de mes voisins de camping, mon goût pour le chanteur Claude Barzotti… Comme beaucoup, il aime sa femme mais a envie de la tromper. Franck Dubosc. 3 avril. Hôtel Princede-Galles. Paris VIIIe. Vos vacances idéales ? Pas celles que je passe au soleil, au bout du monde. Franck Dubosc sur une plage des Bahamas n’est pas en vacances, il est en représentation. J’adorerais A. Nait-Challal Vous êtes à l’origine de ce film. L’idée vous trottait dans la tête depuis longtemps ? Dans Camping, Franck Dubosc est Patrick Chirac, un campeur séducteur qui a été finalement quitté par sa femme. camper avec ma femme, mes enfants et mes amis, aller à la pizzeria en sandalettes. Mais je ne peux plus. Et puis, j’ai goûté au luxe. Si je pouvais claquer des doigts le temps des vacances et ne plus être connu, j’apprécierais. Mais pas trop longtemps. Tout le reste me manquerait ! Entretien réalisé par Audrey Nait-Challal l’actu Play Bac Presse SARL*, 33, rue du Petit-Musc, Paris IV . e RÉDACTION : 21, rue du Petit-Musc, 75004 Paris. 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