nom des gens

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Entretien avec Michel Leclerc, réalisateur de Le Nom des Gens.
- Dans quelle tradition cinématographique, française ou étrangère, vous situeriez
vous avec Le Nom des gens ?
Dans une récente interview, Woody Allen se désolait du fait que les jeunes cinéastes
s’inspirent plutôt de Scorcese et de Tarantino que de lui. Or, depuis des années, j’essaye
désespérément de m’inspirer de lui, et même de le copier, (par exemple Annie Hall et Radio
Days pour « le nom des gens »), mais personne ne le remarque. Mon but ultime étant de
copier tous ses films un par un, mais j’ai bien peur que ma vie n’y suffise pas, mon rêve
secret étant qu’il finisse par me faire un procès pour plagiat, ce qui peut être me permettrait
de le croiser.
Par ailleurs, je pense que des films, comme « Le nom des gens » qui mêlent la comédie, à la
politique et à l’amour ont plutôt à voir avec une certaine tradition italienne, je pense
notamment aux films de Nanni Moretti, à « Nous nous sommes tant aimés » de Scola…. Pour
le personnage de Bahia, j’ai souvent pensé à Liza Minnelli dans le « Cabaret » de Bob Fosse,
une femme libre, scandaleuse et innocente, irrésistible car en lien direct avec son enfance.
globalement la tradition dans laquelle je m'inscris est celle de "la comédie qui parle
beaucoup".
- Avec ce film, voulez-vous également vous battre contre l'apathie politique qui a
frappé beaucoup de monde (de jeunes) ces dernières années ?
Le monde est devenu tellement complexe qu’il est difficile de se positionner politiquement
sans avoir l’impression aussitôt de se tromper. Par exemple on milite pour la réduction du
CO2, du coup les gens font des efforts et en conséquence, Total licencie le personnel d’une
raffinerie car on consomme moins d’essence. Où est la justice dans un cas comme celui là ?
On entend souvent que la gauche et la droite se confondent, que les hommes politiques sont
tous pourris, à mettre tous dans le même sac…. Il est important pour moi de dire que la
politique, c’est des idées et que les idées fondatrices de la gauche ne sont pas les mêmes
que celles de la droite et c’est toujours le cas. Mon film tente de rappeler quelques principes
fondamentaux de la gauche, le principe d'égalité, de liberté d'expression, la méfiance à
l'égard de l'argent, du nationalisme, le refus total de toute forme de racisme. Aujourd’hui
quelqu’un qui s’engage à gauche, comme Bahia, sait d’emblée que le monde est complexe,
elle sait qu’elle peut se tromper à un moment ou à un autre mais elle sait que celui qui ne
s’engage jamais se trompe toujours, c’est le choix qu’elle fait, c’est un pari. Et puis, pour un
jeune, s’engager en politique aujourd’hui, c’est prendre position sur des sujets obsessionnels
qui ne faisaient pas vraiment partie du champ politique il y a encore quelques années et qui
touchent désormais tout le monde : l’identité, le communautarisme, le rapport à l’histoire, le
rapport à l’étranger, la place des femmes, de la religion.
Vous identifiez vous plus à lui (un jospiniste pragmatique) ou à elle (une idéaliste
entière, prête à aller loin)?
J’ai naturellement plus tendance à m’identifier à Arthur Martin, dans cette manière d’être
prudent, de se dire qu’il vaut mieux vivre caché, d’être rigoureux dans ses raisonnements,
sérieux et intègre, d’être pudique, voire puritain mais il y a aussi chez moi un vieux fond de
révolte, d’allergie à l’autorité, de goût de la transgression, de plaisir à dire ce qu’il ne faut
pas dire, qui me rapproche plus naturellement du personnage de Bahia. Mais évidemment,
c’est Baya Kasmi, ma co-scénariste et compagne qui s’approche le plus de ce personnage,
d’ailleurs elle sort très souvent nue dans la rue.
Le Nom des gens par Pierre-Simon Gutman
Puisque le cinéaste le précise lui même, autant le dire d’entrée de jeu : Michel Leclerc
s’identifie en fait plutôt à lui, son jospiniste héros, le prudent mais intègre Arthur Martin.
Alors que sa scénariste, Baya Kasmi s’identifie plutôt à elle, une jeune femme idéaliste, libre,
fougueuse, et désireuse de changer le monde au plus vite. Elle et lui, donc, le plus vieux
sujet du monde qui renvoie au classique éponyme de Léo Mc Carey. Mais Leclerc se
reconnaît apparemment davantage en Woody Allen, avouant au passage que son rêve est de
reproduire tous les grands succès du new yorkais, les uns après les autres, jusqu’au risque
d’un procès pour plagiat qui lui permettrait de rencontrer enfin son héros. Une comédie
donc, une comédie qui parle même, selon la définition de son auteur. Une comédie d’une
tradition également toute italienne, sur un homme pudique qui rencontre une tornade,
décrite par son créateur comme scandaleuse et innocente. En réalisant LE NOM DES GENS,
Michel Leclerc fait plus qu’ajouter une belle pierre à une grande et noble tradition, il livre un
film qui est aussi un regard léger mais lucide sur l’engagement et la politique, de la part d’un
cinéaste qui admet la complexité intrinsèque du monde moderne mais refuse le tous pourris
et les amalgames gauche/droite actuels. Un cri de résistance, puisque comme le dit son
cinéaste, et l’on reconnaît bien là son indomptable héroïne : s’engager, c’est risquer de se
tromper, mais ne jamais s’engager, c’est se tromper forcément ! L’une des leçons
essentielles de cette comédie qui est aussi, par ailleurs, profondément romantique.
Semaine de la Critique – Cannes 2010

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