Agir avec les parents : pourquoi ? comment ?

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Agir avec les parents : pourquoi ? comment ?
LES FRANCAS DU VAL DE MARNE
Journée départementale « Place de l’enfant »
14 Novembre 2003 - Bonneuil sur Marne
Loisirs des enfants et des jeunes
Agir avec les parents :
pourquoi ?
comment ?
Mettre en cohérence les actions éducatives qui s’exercent en direction des enfants et des
jeunes au plan local suppose une action concertée des différents acteurs concernés :
parents, enseignants, animateurs…, mais aussi organisateurs, pouvoirs publics.
Au cours des années 2002 et 2003, l’association départementale des FRANCAS du Val de
Marne a mis en place un groupe de travail, constitué d’acteurs locaux pour réfléchir plus
particulièrement à la place des parents dans différentes structures d’accueil et recenser
les modalités à mettre en œuvre pour favoriser leur participation.
Par ailleurs, l'action que nous menons auprès d'un certain nombre de municipalités pour
l'élaboration de projets éducatifs locaux, a permis de mettre l'accent sur la nécessité
d'imaginer les conditions à créer pour mieux associer les parents à ce type de démarche.
La journée d’études du 14 novembre avait donc un double objectif :
dresser un état des lieux.
Quelle est la situation des familles aujourd’hui ?
Quelles possibilités de participation sont proposées ?
Quelles avancées peut-on constater dans les expériences mises en place, quelles
sont les difficultés rencontrées ?
créer une dynamique en direction des organisateurs de loisirs, pour leur
permettre de favoriser une plus grande implication des parents dans l'organisation
des loisirs de leurs enfants.
Ce compte-rendu présente les pistes d’action inventoriées dans le cadre de la table ronde
et dans les ateliers mis en place. Il se complète par l’intervention de Christophe JAUNET
(Université Paris 12) à propos de la situation des familles aujourd’hui.
Quelles pistes d’action ?
La table ronde réunissait des représentants de la Caisse d’Allocations familiales
(Nadine Papanti), de la Jeunesse et des Sports (Alix Barboux) et de la
Municipalité de Bonneuil (Mireille COTTET), avec pour objectif d’évoquer les
possibilités de participation offertes aujourd’hui.
Les ateliers mis en place dans le cadre de cette journée s’appuyaient sur
différentes formes d’action qui avaient recensées dans le travail préparatoire du
groupe de recherche-action.
Ils avaient pour mission de dégager :
- les objectifs des propositions faites,
- les conditions de réussite à réunir,
- les freins ou les difficultés à dépasser,
- les suites à donner.
Les formes d’action observées
A - Mise en place de conseils de parents dans les structures d’accueil.
B - Mise en place de groupes de paroles, d’échanges, d’ateliers favorisant
l’information et l’expression des parents,
C - Mise en place de projets d’actions en partenariat (fête de quartier, journée
portes ouvertes…)
D - Implication des parents dans le cadre d’une représentation instituée (dans
une association, dans un groupe de pilotage…).
Dans chaque atelier la discussion s’est engagée à partir des témoignages
suivants :
A -Brigitte LILLIER, coordinatrice petite enfance - Bonneuil
B - Annie LACHAUME, directrice centre de loisirs, Olivier STYRMBECK, animateur
centre de loisirs - Champigny
C - Allamy GUETTA, directeur adjoint de l'association des centres de loisirs de la
ville d'Orly, Demba GADJICO, directeur adjoint de la ferme pédagogique du
parc des meuniers - Villeneuve le Roi
D - Alain CONSTANTINIDIS, parent d'élève - L’Hay les Roses
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Agir avec les parents, pourquoi ?
Dans certains cas la participation des parents doit répondre à une nécessité
légale (dans le cadre de la mise en place de contrats éducatifs locaux ou de
contrats temps libre, par exemple).
Cependant, dans d’autres circonstances, cette participation répond à la volonté
d’établir, dans les actions éducatives relevant du temps libre, une
complémentarité entre les différents acteurs éducatifs et de créer une
cohérence de l’ensemble des actions éducatives en direction des enfants et des
jeunes et, en conséquence améliorer le fonctionnement des structures d’accueil.
Quelle que soit la situation, s’appuyer sur la participation des parents c’est
participer à l’accompagnement de la fonction parentale, c’est aussi
valoriser la capacité parentale dans le domaine de l’éducation, c’est encore
prendre en compte les différentes situations familiales (cerner les besoins,
les attentes, faire émerger de nouvelles questions) et rechercher les réponses
les plus adaptées possibles, en matière de vie quotidienne, de sécurité…
Répondre à ces objectifs, c’est en particulier :
- informer les parents (ce qu’est la structure d’accueil, comment elle
fonctionne, sur quels objectifs éducatifs et pédagogiques elle s’appuie…).
Cette information permet d’expliquer, parfois de rassurer. Elle est un outil de
sensibilisation, de médiation;
- découvrir les points de vue ou les pratiques des uns et des autres pour ce qui
relève de l’éducation ( ce que chacun en attend, comment on conçoit la
protection de l’enfant, son autonomie, la possibilité de prendre des
responsabilités…) ;
- créer du lien social entre les différents acteurs concernés par l’éducation des
enfants et des jeunes : permettre la rencontre (entre parents et
professionnels, entre parents…) par des moments conviviaux, en établissant
une relation de confiance ;
- permettre à chacun de trouver une place (ou de légitimer sa place), de jouer
un rôle, tout en fixant le cadre de l’intervention de chacun.
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Comment créer la relation avec les parents ?
Qui à l’initiative ? Faut-il aller vers les parents ou attendre qu’ils manifestent la
volonté de rencontrer l’équipe éducative ?
Les dispositifs contractuels (CTL, CEL) prévoient la présence de parents dans les
groupes de pilotage. Mais il faut savoir dépasser le cadre institutionnel et essayer
de concerner le maximum de parents. Ces rencontres formelles peuvent
permettre de mieux se connaître, des liens peuvent se tisser avec les parents,
des projets communs peuvent émerger.
Dans d’autres cas on constate que la relation s’établit à partir de questions liées
à la vie quotidienne de la structure d’accueil, que la sollicitation vienne de
parents ou de l’équipe éducative. Quand les membres de cette équipe sont
attentifs à la relation aux parents ces derniers les considèrent parfois comme des
personnes sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour aborder les questions qu’ils
se posent.
À plusieurs reprises il a aussi été noté que les enfants constituent des médiateurs
entre les parents et les professionnels : ce sont eux qui amènent les parents au
centre à l’occasion de tel ou tel événement.
Enfin il est également apparu que la rencontre pouvait naître de la mise en place
de moments conviviaux.
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Quelles conditions réunir ?
Au départ, une volonté, un état d’esprit…
Parmi les conditions qui, pour une équipe d’encadrement, permettent ou
favorisent la participation des parents il faut noter ce qui apparaît primordial :
d’une part avoir la volonté de rencontrer les parents, d’autre part, faire preuve
d’un état d’esprit, ou d’un comportement, qui traduise cette volonté : ouverture
d’esprit, capacité à écouter, ne pas apparaître comme des donneurs de leçon,
accepter le regard des parents, parfois leur jugement… Il est aussi noté que la
volonté du directeur de la structure ne suffit pas. Elle doit être partagée par
l’ensemble de l’équipe et surtout être relayée (ou soutenue) par la direction
politique de la structure.
Au-delà de cet état d’esprit, de cette volonté, la relation aux parents suppose-telle une formation ? D’une part, il semble qu’il soit nécessaire de sensibiliser les
membres de l’équipe éducative à la nécessité d’agir de manière concertée, au
bénéfice de l’enfant. D’autre part il convient de réfléchir ensemble aux conditions
à créer pour favoriser cette concertation, cette complémentarité, cette
cohérence.
Une nécessité : définir le cadre de la participation
Quel que soit le cas de figure considéré il convient de préciser quel est le rôle de
chaque participant.
Pourquoi associe-t-on les parents : pour les informer, pour enregistrer leurs
attentes, pour demander un avis, pour solliciter une participation à tel ou tel
projet, pour les associer à la décision ? Jusqu’où souhaite-t-on leur
participation ?
Autrement dit, dans certains cas les parents seront consultés, ils seront
seulement en situation d’usagers. Dans d’autres cas, ils pourront être associés à
la réalisation d’un projet commun et deviendront des partenaires, ils auront alors
un pouvoir de décision.
Cette condition apparaît fondamentale si les partenaires sont divers : dans un
conseil de centre on peut trouver les professionnels, les parents, des enfants,
peut être des enseignants si le centre est associé à l’école, éventuellement un
élu… Chacun doit donc bien discerner quel est son rôle, ce que l’on attend de lui.
Il a aussi été noté que, si dans certaines situations, un parent peut venir pour
exprimer ce qu’il attend du centre pour ses enfants, dans d’autres cas il pourra
être sollicité en tant que citoyen, à l’occasion d’un débat sur la laïcité, par
exemple.
Avancer progressivement, mais sûrement !
La participation des parents se construit petit à petit. Des occasions informelles
de rencontre, des moments conviviaux, pourront se prolonger par des rencontres
plus formalisées, sur des aspects bien particuliers (voir ci - dessous).
Cela suppose donc que la démarche mise en place dépasse la velléité, qu’elle
s’étale dans le temps, qu’elle puisse se pérenniser. Cela implique une certaine
permanence de l’équipe d’animation, ou, en tous cas, des comportements
identiques d’une équipe à l’autre (comment expliquer que l’équipe qui encadre
pendant l’année scolaire rencontre régulièrement les parents si ce n’est pas le
cas pour les équipes d’été ?).
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Quelques éléments qui favorisent la participation des parents
- bien connaître le contexte (la situation dans laquelle on agit) : les parents
souhaitent-ils s’impliquer, ont-ils déjà été sollicités, comment ont-ils réagi ?
Quelle est la situation sociale du quartier ? Qui sont les partenaires du
centre ?
- s’appuyer sur des aspects concrets (mise en place d’un règlement,
organisation d’une sortie, d’un événement particulier, présentation ou compte
rendu des activités…). D’une manière générale les parents pourraient être
concernés par tout ce qui relève du fonctionnement de la structure ou du
programme d’activités proposé. On note aussi que le fait de les associer à la
réalisation de projets favorise leur implication, souvent sur le long terme s’ils
sont présents dès le départ.
- se donner les moyens d’informer l’ensemble des parents en variant les formes
et les supports d’information (supports écrits, bulletin municipal, moments
conviviaux, expositions…), en vérifiant que l’information diffusée est
appropriable (compréhensible) par tous, en pensant que les enfants sont
souvent ceux qui peuvent convaincre les parents de se déplacer.
- créer les moyens favorisant la qualité de la rencontre : cela suppose qu’à
certains moments des personnes de l’encadrement soient disponibles pour
accueillir les parents, cela suppose aussi un lieu de rencontre. Dans certains
cas, il faut aussi penser que des familles souhaiteront bénéficier d’un accueil
plus individualisé.
- aller vers les parents : certaines activités « hors structure » permettent
d’aller à la rencontre des familles dans les quartiers, c’est le cas, par
exemple, de la « ludomobile », à Villejuif (circulation de jeux et de jouets
dans le quartier).
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Comment dépasser certaines difficultés ?
En premier lieu, il faut rappeler qu’il faut tenir compte du cadre réglementaire,
qu’il s’agisse d’accueillir les parents dans une structure, ou, éventuellement, de
les faire participer à des activités.
Aller au-delà des représentations, des craintes
D’une manière générale les différents partenaires éducatifs (parents,
enseignants, animateurs) ont des représentations des autres quand il n’ont pas
eu l’occasion de faire ou d’agir ensemble.
On note aussi la crainte d'être jugé, de perdre son « pouvoir », de ne pas savoir
faire.
Autant de raisons qui constituent des freins à la rencontre, à l’échange.
Il convient sans doute, dans un premier temps, d’apprendre à se connaître,
d’essayer de comprendre les motivations des uns et des autres pour pouvoir faire
tomber l’ignorance réciproque et les a priori idéologiques. Cela peut alors
permettre de définir la nature et la fonction de chacun et par conséquent les
différences des uns et des autres.
C’est la condition qui permettra d’arriver à un consensus minimal et à apprendre
à collaborer.
C’est dans la collaboration que vont se situer le mieux les compétences
particulières des divers acteurs qui vont s’enrichir mutuellement à partir
d’éléments tels que la connaissance des enfants, les comportements culturels,
les connaissances techniques…
Concrétiser la volonté de se rencontrer
Si la volonté de rencontre existe, elle peut ne pas être soutenue par les
organisateurs, et elle n’est pas toujours partagée par l’ensemble de l’équipe (ou
des équipes).
Par ailleurs elle se heurte parfois (souvent ?) à des contingences matérielles : où
trouver le temps de rencontrer les parents dans un cadre horaire restreint (celui
des heures d’ouverture de la structure) et qui ne correspond pas toujours au
rythmes de vie des parents, où recevoir les parents si les lieux d’accueil ne
prévoient pas cette fonction, de quel budget dispose-t-on pour organiser des
moments conviviaux ?
Enfin, pour différentes raisons, les propositions de rencontre sont parfois
sporadiques et ne s’inscrivent pas dans la continuité nécessaire.
On peut faire l’hypothèse que l’existence d’un cadre général faisant apparaître la
relation aux parents comme une condition nécessaire peut permettre de
dépasser un certain nombre de ces difficultés.
Ce cadre général peut être défini par le projet pédagogique de la structure qui
instaure l’accueil des parents comme un point de passage obligé et définit les
moyens conséquents (qui ? où ? avec quels moyens ?).
Il peut aussi être précisé dans une charte de qualité de l’accueil. Une telle charte
peut à la fois préciser les conditions à réunir pour informer, accueillir, pour ce qui
relève des personnels, des locaux… (Il faut noter que ce dispositif se met en
place dans certaines villes du département).
La définition des conditions à réunir devra aborder une des questions posées : le
temps de la rencontre relève t-il d’une action militante (hors temps de travail) ou
est-il partie intégrante de la mission de l’équipe d’encadrement et dans quelles
modalités ?
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Associer un maximum de parents
Il s’agit là d’une difficulté signalée dans l’ensemble des groupes, qu’il s’agisse de
concerner les parents au-delà de ceux qui sont présents « institutionnellement »,
de ceux qui fréquentent les rencontres proposées ou qu’il s’agisse d’aller vers des
personnes en difficulté sociale ou culturelle, ou encore de parents ne maîtrisant
pas le français ou même de concerner aussi les pères de famille.
Un certain nombre d’éléments inventoriés dans le chapitre « quelles conditions
réunir » apportent des éléments de réponse qu’il s’agisse de l’attitude
d’ouverture dont il faut faire preuve, des conditions d’information à créer, de la
nécessité de tenir compte de la réalité sociale du quartier, du cadre de
participation à préciser, des sujets à aborder, de la continuité à mettre en place…
Par contre il est constaté que l’accroche des parents en s’appuyant sur les
enfants eux-mêmes (moyen dont l’efficacité a été citée à plusieurs reprises) avait
ses limites avec les préados ou les ados qui recherchent une certaine autonomie
et veulent éviter l’intrusion des parents dans leur temps de loisir.
Il est également signalé le manque de moyens pour diffuser une information
adaptée à l’ensemble des parents, même si certains constatent que des
partenariats sont parfois possibles (avec les fédérations de parents, avec l’aide
de la municipalité…).
Enfin il est également constaté que des parents découvrant un centre en cours
d’année (ou s’associant à la réalisation d’un projet qui a déjà démarré) ont
parfois de la difficulté pour disposer des informations qui ont déjà été diffusées
ou encore pour intégrer la dynamique créée. L’existence d’une brochure
présentant les différentes propositions relevant du temps libre des enfants et des
jeunes (comme cela existe dans certaines villes) permet de répondre à la
première difficulté. Au-delà de cette possibilité il convient aussi de veiller à
l’intégration de nouveaux parents dans des actions déjà engagées.
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Comment continuer ?
Comment créer une dynamique en direction des organisateurs de loisirs, pour
leur permettre de favoriser une plus grande implication des parents ?
Quelle que soit la situation considérée (mise en place d’un conseil de centre, de
groupes d’échanges ou de rencontres, de projets communs…) il est possible de
résumer ainsi la démarche à mettre en œuvre :

créer les conditions préalables à la participation des parents
- s’informer de la réalité du quartier,
- sensibiliser les responsables de la structure, les élus à la nécessité de
s’appuyer sur la participation des parents,
- inscrire cette participation comme un point de passage obligé, dans le
projet pédagogique de la structure, dans une charte de qualité de
l’accueil,
- sensibiliser les équipes d’encadrement (pourquoi ? comment ? avec
qui ?),
- inventorier les moyens nécessaires (qui ? dans quel lieu ? avec quels
moyens ?),
- informer les parents.

mettre en œuvre les actions de concertation
- définir le cadre (pourquoi sollicite-t-on les parents ?),
- fixer le ou les moments les plus propices à la rencontre (quand ?),
- choisir les sujets à aborder (quoi ?),
- déterminer les formes de la rencontre (comment).
N.B. Si nous avons regroupé ici les questions à se poser il est évident que
les réponses à un certain nombre d’entre elles ne pourront être apportées
qu’en concertation avec les parents (se réunir à quel moment ? sur quels
sujets ?).

évaluer les actions entreprises
- avec l’équipe d’encadrement, les organisateurs,
- avec les parents.
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Journée départementale des FRANCAS
Bonneuil
14 novembre 2003
LES PARENTS AUJOURD’HUI
Approche sociologique
Christophe JAUNET
Maître de conférences
Université Paris XII Val-de-Marne UFR des Sciences de l’éducation et Sciences sociales
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LES MUTATIONS DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
ET LEURS IMPLICATIONS SUR LA FAMILLE
1.
2.
3.
Les mutations de la société française durant les trente dernières années.
La famille aujourd’hui : approche socio - démographique et analyse systémique.
Perspectives, pistes de recherche et propositions.
1 - LES MUTATIONS DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
Si l’on regarde la photographie de la France en 2003 et les mutations qui l’ont accompagnée
en trente ans, le bilan présente cinq changements majeurs sur le plan économique et social.
1.1. L’allongement de la vie avec des séquences profondément bouleversées
La trilogie qui faisait de l’enfance le temps de la formation, la maturité le temps de travail et
la vieillesse le temps de repos et de la retraite est aujourd’hui caduque.
Si le temps de l’enfance reste marqué par le temps scolaire, le temps de formation s’étend et
se fractionne, on parle d’éducation permanente et continue tout au long de la vie. L’accord
interprofessionnel du 20 septembre 2003 va d’ailleurs dans ce sens.
La vie professionnelle a perdu de son uniformité avec le chômage, la précarité et les
mutations.
L’entrée dans le troisième âge se fait graduellement et la sortie du monde professionnel se fait
progressivement : cessation progressive d’activité, préretraite, chômage de fin de carrière.
1.2. La mutation du travail
Au début des années 70 la France a dû amorcer une profonde mutation qui l’a fait passer
d’une économie industrielle et nationale à une économie postindustrielle et mondialisée.
60 à 70% des emplois créés se situent dans les activités de service.
Le travail a évolué dans sa durée et son contenu.
La durée du temps de travail est passée de 4000 heures par an au 19 ème siècle à 1500 heures
aujourd’hui et représente 14% de la vie éveillée d’un français ( Jean Boissonnat – la fin du
chômage, Calman-Levy, 2001).
Son contenu est devenu plus dense, (moins de temps pour accomplir une même tâche) et plus
polyvalent.
La précarisation s’est développée avec des emplois à temps partiel, des emplois intérimaires,
des contrats à durée déterminée et une dérégulation des horaires.
Enfin, le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans a quasiment doublé en quarante ans,
passant de 41% en 1962 à 80% aujourd’hui. Elles représentent 45% de la population active,
contre 35% au début des années 60.
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Alors que les femmes sont plus diplômées que les hommes, les inégalités restent criantes :
elles sont sur-représentées dans les chiffres du chômage, dans des formes d’emploi précaire :
CDD, intérim, stages et contrats aidés.
On les retrouve fréquemment dans les dispositifs d’insertion : les statistiques du Ministère de
l’emploi et de la solidarité nous indiquent que 61% des dossiers déposés auprès du Fonds
d’Urgence Sociale sont des personnes isolées avec ou sans enfants, dont 24% de familles
monoparentales. Les foyers dépourvus de tout emploi sont pour 57% des personnes isolées et
familles monoparentales.
Soulignons que les situations de précarité sociale touchent des familles à la tête desquelles se
trouvent des femmes seules. Pour la première fois depuis trente ans on observe un recul de la
proportion de femmes mères d’enfants de moins de trois ans sur le marché de l’emploi.
Les statistiques 2002 du Secours Catholique relatifs à l’accueil publiés fin octobre montrent
qu’elles représentent 29% du nombre total des personnes accueillies contre 26% en 1999. Les
trois quarts d’entre elles ne vivent que de transferts sociaux. 687 000 familles en situation de
pauvreté ont sollicité le soutien du Secours Catholique, 2,3% de plus qu’en 2001 soit 855 000
familles et 745 000 enfants.
Leurs salaires sont inférieurs aux hommes et moins présentes dans la réussite hiérarchique.
Un rapport récent de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale fait état
d’un certain nombre de blocages relatifs à l’égalité professionnelle hommes-femmes, et ce,
malgré l’adoption de la loi en 1972 qui portait sur l’égalité de rémunération, la loi de 1983
dite « loi Roudy » qui inscrit dans le code du travail le principe de l’égalité professionnelle
entre les hommes et les femmes.
Trente après la première loi, le rapport constate :
- que l’écart des rémunérations moyen entre les hommes et les femmes reste de 24%,
- que les femmes représentent 80% des 3,2 millions de salariés payés au smic ou en
dessous,
- que près de 30% d’entre elles travaillent à temps partiel contre moins de 5% des
hommes.
- Que seulement 34 plans d’égalité professionnelle ont été conclus en vingt ans.
Il est à noter que le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle créé en 2001 a été mis en
sommeil dès 2002.
1.3. La révolution des modes de vie
La plupart des sociologues s’accorde pour dire qu’une révolution des modes de vie s’est
produite au cours des années soixante.
L’ « enquête sur l’histoire familiale » réalisée en 1999 par l’INSEE montre une société
composée de microcellules familiales et d’individus isolés ainsi qu’une grande diversité des
modes de vie des français. Les grandes mutations de la famille en France montrent
l’émergence des familles recomposées, monoparentales, de Pacs, d’homoparentalité… .
Deux facteurs principaux permettent de cerner ces changements : Les codes moraux et la
question des temps sociaux.
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Les codes moraux, selon Henri Mendras, n’ont pas disparu mais se sont singularisés, dans
lesquels « chacun doit pouvoir choisir sa manière de vivre, sans que toutes considérations
morales soit imposées par un cadre abstrait, commun à tous et extérieurs aux individus ». Ce
constat peut se résumer en deux mots : permissivité et individualisme.
La réduction du temps de travail a produit une modification des modes d’utilisation des temps
sociaux. De plus en plus on assiste à des décalages temporels qui existent entre les activités
des uns et des autres, des dysfonctionnements entre les temps sociaux et les temps individuels.
Les femmes sont ainsi particulièrement concernées par les évolutions de la vie, de la famille.
Une mixité limitée de la fonction parentale font qu’elles ont beaucoup de difficultés à
conjuguer les temps de l’activité professionnelle, du conjoint, des enfants et de soi.
Une enquête réalisée en juin 2001 par la SOFRES et commentée par Francis Godard,
directeur de recherche au CNRS et François de Singly, professeur à l’Université Paris V,
apporte de ce point de vue un éclairage intéressant quant à la relation aux temps sociaux dans
la ville. En effet, il est noté un changement d’attitude par rapport au temps qui signifierait un
basculement durable des mentalités en matière de temporalités.
Ce sondage a été effectué auprès de 1145 personnes âgées de plus de 15 ans et habitant des
agglomérations de plus de 20 000 habitants.
Ainsi 51% des individus interrogés déclarent un manque de temps important ou assez
important. On note par ailleurs que le rapport au temps est déterminé selon trois déterminants
principaux :
Le premier déterminant est la catégorie sociale,
Le second est lié au niveau de revenu,
Le troisième renvoie à la situation familiale.
Avoir ou non une activité professionnelle, avoir ou non des enfants, avoir ou non un emploi
de responsabilité constituent les trois facteurs associés à la relation que l’on entretient avec le
temps.
Le manque de temps est différemment ressenti par les femmes qui sont 43% à le ressentir,
alors que les hommes sont 31% dans ce cas.
Par ailleurs, les hommes et les femmes en couple avec enfant déclarent dans 51% des cas
manquer de temps pour eux, 56% des femmes dans les familles monoparentales.
Temps de travail et temps pour soi se correspondent et cette relation est plus forte pour les
femmes et pour les parents.
Les personnes qui travaillent en horaires décalés éprouvent moins nettement que les
personnes en horaires classiques ce manque de temps, (46% contre 58%). Le fait de ne pas
vivre en même temps que leurs proches les autorise à prendre et à vivre du temps pour eux.
Néanmoins ces décalages posent d’autres problèmes dans l’usage de la ville.
A partir de ces grands constats une nouvelle demande s’exprime. Ainsi ce sont surtout les
services publics qui sont interpellés. Les horaires de certains services publics sont les deux
motifs de récrimination.
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Les demandes qui recueillent un grand nombre d’avis favorables vont vers une adaptation des
horaires au moment de la pause déjeuner, le soir et le samedi, surtout pour l’aménagement des
horaires scolaires et de ceux des crèches.
L’amélioration des conditions de la vie quotidienne porte essentiellement sur l’organisation
des services publics. Concernant la proximité des services, il est significatif de constater que
ceux qui ressentent le plus le manque de services de proximité sont les milieux les plus
fragiles socialement, ceux en âge d’élever des enfants.
Les deux mesures jugées les plus utiles pour améliorer l’organisation du temps personnel
concernent la création d’antennes de services publics dans les quartiers et en second lieu
l’amélioration des horaires des services publics et ce, par les ouvriers ou ceux qui recherchent
un emploi.
Ici la présence d’enfants est un fort déterminant de la demande d’amélioration du
fonctionnement des services publics.
L’étude se conclue par le constat que de nouveaux modes de vie urbain sont en émergence et
qu’ils appellent et appelleront des services urbains à la hauteur de ces nouvelles exigences.
1.4. Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC)
Les NTIC ont également modifié substantiellement nos pratiques et nos comportements. Elles
ont bouleversé notre propre vie domestique, nos achats, l’organisation de nos déplacements et
nos pratiques culturelles.
Elles ont rendues plus poreuses les limites classiques entre le privé et le professionnel, des
continuités entre temps de travail et temps hors travail. Au-delà elles abolissent les distances,
les lieux, les temps et les horaires.
1.5. La mobilité et l’appartenance territoriale
Dans la continuité des NTIC la mobilité s’est développée et nos lieux se sont multipliés et
diversifiés : entre le travail, les loisirs, les services et les commerces, comme ils se sont
diversifiés pour les enfants, l’époux, l’épouse.
Ce changement est dû à l’urbanisation intensive de l’après-guerre et par l’apparition d’une
ville aux fonctions éclatées sur le plan spatial.
La mobilité est ainsi devenue une valeur et un mode de vie spécifiquement urbains. Ce qui fait
que nos appartenances territoriales ne sont plus uniques mais fondées sur la multi appartenance.
En conclusion de cette première partie : ces mutations ont de ce fait impliquées des mutations
dans nos comportements de manière durable. Les analyses sociologiques montrent qu’il s’agit
bien d’un mouvement de fond se retrouvant dans l’ensemble des pays développés.
Néanmoins, pour compléter ce rapide panorama, il convient de souligner de nouvelles lignes
de clivage, dues à un effritement des clivages sociaux traditionnels, même si Pierre Bourdieu
considère qu’il demeure un noyau de positions dominantes autour des notions de capital
économique, capital social et capital culturel.
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Pour Robert Castel les grandes tendances qui définissent la société aujourd’hui sont la
précarisation de l’emploi, le chômage et l’exclusion, tendances lourdes que Castel qualifie par
le terme de « désaffiliation ».
Par conséquent, si l’on voulait résumer la nouvelle question sociale posée aujourd’hui, c’est
de savoir comment maintenir le lien social dans une société dominée d’un côté par
l’individualisme, le subjectivisme et l’hédonisme, et de l’autre par le multiculturalisme, le rôle
et la place de l’état - providence et enfin par les effets de l’évolution des mœurs sur la
cohésion sociale.
2 - LA FAMILLE AUJOURD’HUI
La famille et le couple ont subi un véritable ébranlement dans leur forme classique, du couple
marié avec ses enfants, élevés par l’épouse inactive et qui a ainsi constitué la norme morale
durant de nombreuses années.
Depuis le début des années 80 les grands changements familiaux se caractérisent
principalement par la baisse du nombre de mariages et l’augmentation du nombre de divorces.
Chute de la nuptialité :
de 417 000 mariages en 1972 qui constitue le maximum, on passe à 281 000 en 2002. L’âge
du premier mariage est de 30 ans pour les garçons et 28 ans pour les filles, le mariage semble
donc constituer un acte plus réfléchi.
Les remariages concernent d’anciens divorcés dans plus de 15% des cas.
Augmentation du nombre des divorces :
en 50 ans leur nombre a plus que triplé : 35 000 en 1950 à 114 000 en 2000. Aujourd’hui il se
conclut près de 40 divorces pour 100 mariages.
Le développement de la cohabitation hors mariage a été tel que 45% des premières naissances
en sont issues et trois mariages sur dix légitiment les enfants.
Les familles monoparentales représentent 8% du nombre total des ménages et 16% des foyers
avec enfants.
Entre les deux derniers recensements (1990-1999) leur nombre a augmenté de 21%, passant
de 1,4 million à 1,7million. Rappelons que la progression avait atteint 40% entre 1982 et
1990.
On trouve des femmes à leur tête dans 88% des cas. 13% des enfants de moins de quinze ans
sont élevés par un parent seul.
Globalement, les couples sans enfant et les personnes seules dépassent désormais en nombre
les ménages avec enfants. La proportion des solitaires a doublé en 30 ans.
Environ 50 000 pacs ont été enregistrés depuis novembre 1999, date d’entrée en vigueur de la
loi. (15.11.99)
Pour Martine Ségalen, trois questions essentielles sont posées pour la famille du XXIème
siècle et interpelleront l’état dans les prochaines années :
La question de la filiation ;
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La question des solidarités des générations ;
La situation des femmes.
Selon elle, l’insécurité de la filiation et la question de la désaffiliation font courir des risques
majeurs aux individus comme aux sociétés, même si les couples mariés avec enfants
composent encore la majorité des 24 millions de ménages on sait que les familles
recomposées ne cessent d’augmenter.
Le problème principal de ces familles est qu’elles sont fluctuantes et complexes, bien que la
loi de 1993 dit que le couple parental doit rester associé même si la relation conjugale est
achevée, les parents doivent exercer une responsabilité conjointe à l’égard de leurs enfants. En
cas de mésentente le juge doit statuer selon des critères liés à l’intérêt de l’enfant.
Par ailleurs, les filiations sont aujourd’hui dissociées, puisque l’on peut être élevé par le
compagnon de sa mère tout en maintenant des liens avec son père biologique.
Les procréations médicalement assistées brouillent les parentés, depuis le banal don de
sperme jusqu’au don d’ovules.
En ce qui concerne la nouvelle donne démographique, celle-ci interpelle directement les
pouvoirs publics, dans la mesure où elle aura des incidences majeures sur les relations
familiales intergénérationnelles.
Les personnes âgées sont de moins en moins à la charge de leurs enfants, mais bien au
contraire en position de redistribuer au sein du circuit familial. Ceci s’explique par le fait que
la génération des 60-75 ans bénéficient de retraites qui leur permettent de venir en aide lors
d’une crise familiale, d’accueillir les petits-enfants pour les vacances etc.
La remise en cause de ces équilibres ébranlerait l’équilibre familial. Louis Chauvel, chercheur
à l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques et à l’Observatoire Sociologique du
changement, note que la dynamique générationnelle est préoccupante. Hier les pauvres étaient
vieux et la pauvreté en extinction. Aujourd’hui les pauvres sont jeunes et plein d’un avenir
incertain. En 1975, l’écart de traitement entre les salariés de 50 ans et ceux de 30 n’était que
de 15%, aujourd’hui il est de 40%.
Enfin, la question du statut des femmes dans la famille et la société nécessite et nécessitera
l’intervention de l’état. Les jeunes femmes souhaitent aujourd’hui assumer une double
identité : elles souhaitent travailler, gage pour elles d’une certaine autonomie vis-à-vis du
mari (les demandes individuelles de divorce auprès des tribunaux sont dans 75% des cas le
fait de l’épouse) et en même temps s’occuper de leurs enfants, les socialiser au sein du
groupe.
Mais force est de constater que le répartition traditionnelle des rôles n’a guère changé, les
femmes assumant la plus grande part des tâches domestiques et de l’éducation des enfants.
D’après les enquêtes Insee, une femme salariée ayant au moins un enfant de moins de quinze
ans, consacre par jour deux fois plus de temps au travail domestique (un peu plus de cinq
heures) qu’un homme salarié.
3 - PERSPECTIVES
En guise de conclusion je propose deux pistes de réflexion :
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-
l’une concernant une structure réunissant parents, enfants et acteurs locaux de
l’enfance,
l’autre concernant la question de l’adaptation des temps des structures liés à l’enfance.
Au regard des mutations de la société et de la famille que nous venons d’aborder, la mise en
place d’une Agence Locale pour l’Enfance permet de créer un cadre institutionnel autour de
quatre fonctions :
- une fonction de concertation entre les acteurs de terrain, les adultes et les enfants et de les
impliquer dans des projets communs. Ce qui permet une régulation de l’offre et de la
demande sociale sur le territoire, dans la mesure où les populations bénéficiaires y sont
associées.
Je souligne que le ministre délégué à la famille a annoncé lors du conseil des ministres du
12 novembre dernier des mesures pour la prochaine conférence de la famille prévue au
printemps prochain dont l’un des axes de travail portera sur le thème de la famille et des
loisirs à travers des actions de communications à mettre en œuvre auprès des familles et
des adolescents afin de faciliter l’accès des jeunes aux activités de loisirs.
- deuxième fonction l’opérationnalisation qui vise à mettre en œuvre les orientations
retenues dans le projet local.
- troisième fonction, évaluation des actions mises en œuvre et prospective
- enfin régulation par l’accompagnement et la mise en cohérence des différentes actions
liées à l’enfance et l’incitation à travers l’innovation.
Deuxième piste de réflexion :adapter les temps des services publics de l’enfance à travers la
création d’un bureau des temps qui associe les responsables communaux et les familles afin
de mieux répondre à leurs attentes.
Par exemple, la ville de Paris qui a créé un bureau des temps a décidé de prolonger
l’ouverture des crèches au-delà de 18 H 30.
Mieux adapter les services publics c’est aussi écouter et connaître les besoins des familles à
partir des difficultés qu’elles rencontrent au quotidien pour la garde des enfants, des activités
de loisirs correspondant mieux aux attentes des enfants et des jeunes : d’autres communes ont
décidé d’ouvrir leur bibliothèque le dimanche ou d’accueillir les jeunes dans les gymnases de
la ville plus-tard le soir et le week-end.
Pour conclure je dirais qu’il manque des lieux, des services ouverts aux parents destinés à
favoriser le lien et la médiation parents/enfants autour d’un plaisir partagé, afin de se
retrouver et communiquer et trouver des réponses sur leur rôle de parents, sur les difficultés
qu’ils rencontrent avec leurs enfants, un lieu de réflexion et de médiation familiale.
Toutes les enquêtes le démontrent, les parents manquent de temps, d’argent et de
connaissances. Une étude du CREDOC indique que 48% des parents déclarent que la
connaissance manque et 46% que ce sont avant tout les moyens financiers qui sont
insuffisants.
Comment avoir accès à tout un niveau de compétence alors que les parents se sentent parfois
démunis face à leur rôle éducatif.
Toutes les familles sont aujourd’hui touchées par des problèmes qui peuvent surgir lors de la
séparation du couple, au moment d’une certaine vulnérabilité (perte de son emploi par
exemple), trouver le mode de garde de l’enfant qui correspond à leur besoin et à leurs attentes.
Ces différentes questions peuvent être traitées par l’agence locale pour l’enfance. Le chantier
est important, il faut l’ouvrir.
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