Mort du Dr Olivier Ameisen, promoteur du baclofène dans l`alcoolisme

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Mort du Dr Olivier Ameisen, promoteur du baclofène dans l`alcoolisme
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point de vue
Mort du Dr Olivier Ameisen, promoteur
du baclofène dans l’alcoolisme
dans une autobiographie atypique,1 publiée
en 2008. Un ouvrage né, expliquait-il alors
en substance, du silence de ses confrères face
à une auto-expérience peu banale qui lui
avait permis de continuer à vivre. Le silence
de ses confrères pour ne pas parler d’une
certaine condescendance, voire d’une véritable gêne. Gros échos immédiats dans les
médias. Puis les médias avec le temps se
firent plus distants. Il en souffrit – en silence.
Son histoire était-elle trop belle ? Médecin
faute d’avoir été musicien, pratiquant la
­cardiologie aux Etats-Unis, il était devenu
alcoolique et avait atteint des stades d’où
l’on ne revient habituellement pas. Seuls les
gra­ves alcooliques qui en sont revenus peu­
vent saisir. Après avoir tout tenté pour briser cet esclavage suicidaire, il avait in fine
«tenté le baclofène». Personne (ou
pres­que) ne savait, avant lui, que
l’on pouvait utiliser ce vieux
médi­cament neurologique
pour soi­gner les malades alco­o­li­ques.
Personne ne
D.R.
Il venait d’avoir 60 ans et il est mort au
­moment où il commençait à être entendu.
Depuis dix ans, il ne vivait plus que pour
promouvoir le baclofène dans le traitement
de la maladie alcoolique. Sans doute n’auraitil pas aimé que sa disparition prématurée
mette un terme à cette affaire hors du commun de santé publique. Ce ne sera pas le
cas. Et la question reste ouverte de savoir
quand cette affaire trouvera son épilogue.
Quand et de quelle manière.
Le Dr Olivier Ameisen restera comme
une personnalité médicale hors norme, une
forme de météore dans les cieux tourmentés
de la lutte contre les addictions. Il avait non
sans courage tout dit (ou presque) de lui
lu pour vous
Coordination : Dr Jean Perdrix, PMU ([email protected])
Less is more : le traitement de la bronchite
sans antibiotiques !
Un nombre important de bronchi­tes
virales est traité par antibiotiques.
Cette surutilisation des antibiotiques est problématique car elle
contribue à l’augmentation des résistances et à un risque important
d’effets secondaires pour un béné­
fice moindre (réduction de la durée
des symptômes d’une demi-journée). Dans cette étude randomisée
par cluster et contrôlée, les auteurs
ont testé un algorithme simple,
permettant d’estimer la probabilité
de pneumonie et donc de guider
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le choix d’une antibiothérapie chez
des patients avec une toux aiguë
non compliquée dans un contexte
ambulatoire. Deux stratégies d’implémentation de cet algorithme
étaient évaluées, l’une avec un
support papier, l’autre par ordinateur
et un groupe contrôle ne recevait
pas d’algorithme. Au total, 37 cabinets de médecine de premier recours (12 776 patients âgés de 13
à 64 ans) ont été randomisés dans
l’un des trois bras de l’étude. En
plus de l’algorithme, l’intervention
paya autant que lui de sa personne. Il expérimenta, augmenta les doses quotidiennes à
des niveaux jusqu’à dix fois supérieurs au
maximum autorisé. C’est ainsi qu’il avait atteint un stade inconnu : le désintérêt pour
les boissons alcooliques.
Il insistait : le désintérêt. Pas le dégoût ou
la nausée. Pas l’abstinence radicale et définitive, unique objectif de toute l’histoire de la
désintoxication alcoolique. Non, une forme
de détachement vis-à-vis de liquides pour
lesquels on se serait, la veille, damné. Sous
baclofène à doses massives et quotidiennes,
le malade peut regarder sans trembler une
bouteille de gin, de rhum, de vodka. Il peut
prendre un verre mais ce verre n’a plus d’intérêt et, surtout, n’appelle pas tous les autres.
La fin des ivresses, mais sans la rédemption
imposée de l’abstinence. Con­train­te : le traitement médicamenteux est a priori destiné
à être pris à vie. Etait-ce trop beau ? Certains
le pensèrent-ils doutèrent. La plupart dou­
tent encore. En France, quelques-uns firent
(et font) obstacle.
Pourtant plus de 50 000 personnes mala­
des alcooliques y sont «sous baclofène» alors
que cette spécialité n’a pas cette indication.
Au vu du fléau qu’est cette maladie, les essais
cliniques ont pris un retard considérable. Le
promoteur du baclofène en nourrit de vives
désillusions et put y percevoir une forme de
trahison de la part de ses pairs. Il en souffrit
– en silence.
En avril 2013, une centaine de personna­
lités, dont le Pr Didier Sicard, ancien prési­
dent du Comité national d’éthique, lancè­rent
un appel en faveur d’une «libération du baclofène». Un appel rappelant que l’alcool est
directement à l’origine de cent morts prématurées chaque jour en France. Cet appel
devait avoir un rapide prolongement. En juin,
comprenait une formation des soignants ainsi qu’une éducation des
patients à l’aide de brochures.
Dans le groupe ayant reçu l’intervention avec un support papier, la
prescription d’antibiotiques est
passée de 80% avant à 68% après
l’intervention (OR : 0,57 ; IC 95% :
0,40-0,82). Dans le groupe ayant
reçu l’intervention avec le support
ordinateur, la prescription a aussi
diminué : 74% avant pour 61% après
l’intervention (OR : 0,64 ; IC 95% :
0,45-0,91). Dans le groupe con­
trôle par contre, la prescription
d’antibiotiques n’a pas changé de
façon significative. Le fait de prescrire moins d’antibiotiques n’a pas
été associé à une augmentation
du taux de reconsultations ou
d’hospitalisations en urgence.
Commentaire : une intervention
multidimensionnelle associant un
algorithme mais également l’éducation des médecins et des patients
permet une diminution de 12-13%
de l’utilisation d’antibiotiques, mais
les taux restent élevés même
après l’intervention (60-70%).
Dr Carole Clair
Policlinique médicale universitaire,
Lausanne
Gonzales R, et al. A cluster randomi­zed
trial of decision support strategies for
reducing antibiotic use in acute bron­
chitis. JAMA Intern Med 2013;173:26773.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 août 2013
26.08.13 12:13
courrier
Suicide assisté en Suisse
A propos de l’article récent de
J.-Y Nau sur le suicide assisté
en Suisse. Rev Med Suisse
2013;9:1443.
Sur le suicide assisté, on parle
beaucoup de droits de l’homme,
d’autonomie de la personne et
d’autres sujets sur lesquels nous
devrions, entre France et Suisse,
trouver sans trop de peine un accord. Pourtant les divergences
restent marquées. Pour avoir eu à
me pencher de longue date sur la
problématique, j’arrive à la conviction qu’un facteur majeur est la différence forte de culture civique,
de vision des rapports à l’autorité
publique, entre nos voisins et nous.
Particulièrement en ce qui con­cerne
l’appréciation des conditions de
légitimité de l’intervention de l’Etat.
On dit familièrement que «le Suisse
respecte l’Etat mais s’en méfie» ;
dans le sens qu’il est très attentif à
ne pas lui donner des prérogatives
indues, qui ne sont pas indispensables pour la conduite politique
de la nation. Alors que, me paraît-il
(en espérant ne pas être arrogant),
dans la République française qui
reste peut-être influencée par le
régime monarchique qui l’a précédée, on se raccroche très vite,
dans toute situation incertaine ou
délicate, à la forte main de l’Etat ;
d’un Etat dans lequel on voit trop
absolument une sorte de garantie
de la prise des bonnes orientations/décisions. Et ceci même
quand sont concernés essentiellement des rapports privés entre
nous vîmes le Dr Olivier Ameisen participer
à l’hôpital Cochin de Paris à la première rencontre œcuménique sur le thème de «son»
baclofène. Il était silencieux. Le Pr JacquesLouis Binet, secrétaire perpétuel hono­raire
de l’Académie de médecine et président de
séance, le félicita «d’avoir le courage de ne
pas prendre la parole». Cela ne manquait
pas d’élégance. Il nous a semblé, alors, que
le Dr Ameisen était, déjà, ailleurs. Il est mort
le 18 juillet. D’une crise cardiaque survenue
durant son sommeil.
Lundi 22 juillet. On parle peu de guérison
lors des obsèques. Blonde et jeune ; coupe
au carré, pantalon, débardeur et chaussures
de sport ; mâchoires volontaires. Cambrure
à la Carmen, mais sans les poings sur les
hanches. Et un regard comme revenu des
abîmes. Dans la fournaise du cimetière Mont­
parnasse, elle est restée aux lisières du con­
voi, n’a pas dit un mot, n’a pas jeté le moment venu une pincée de terre sur le cercueil.
Au moyen d’un trombone accroché à son
sac en bandoulière, elle avait fixé un carton,
un carton minuscule sur lequel on parvenait
à lire, en orange et bleue «Guérie grâce à
O.A.» Il est des hommages plus voyants. Il
en est aussi de moins profonds.
On traite assez rarement de santé publi­
que lors des obsèques. Ce fut pourtant le cas
dans la fournaise du cimetière Montparnasse.
Quelques-uns ont rappelé les (nombreuses)
réticences confraternelles (spécialisées) à ad­
mettre qu’une nouvelle voie puisse s’entrou­
vrir dans la prise en charge (la guérison) de
la maladie alcoolique. Ils ont souligné, sans
personnes adultes et qui ont leur
discernement. Là, nous différons.
Nous ne voulons pas en Suisse
d’un Etat qui entre indûment dans
les foyers ; on peut dire qu’il ne
saurait y intervenir légitimement
que s’il y a tort, réalisé ou fort probable, pour autrui ; sinon il n’a pas
à interférer avec la libre détermination de chacun. Les pouvoirs publics n’ont en rien à se mêler de
«faire la morale».
Je mentionne ici une expérience
qui m’a marqué. Il y a quelques
­années, invité dans le Midi de la
France, je présentais l’assistance
au suicide, telle qu’elle est dite non
punissable par notre Code pénal à
son article 115, dans le cadre d’un
Diplôme universitaire «Accompagnement des souffrances de la fin
de la vie». Dans le débat qui a suivi,
j’ai été frappé par la question d’une
participante disant : «Mais alors,
ce que nous dit ce docteur suisse,
effet de tribune, quelques-unes des incohérences majeures de cette affaire sans précédent. Ils auraient pu aller plus loin : pourquoi ce silence, cet immobilisme, cette forme
d’amoralité des firmes pharmaceutiques con­
cernées se refusant à investir un centime
dans un essai clinique tout en continuant à
commercialiser leur molécule-générique, en
acceptant qu’elle soit prescrite en dehors de
ses indications officielles ? Le retour express
sur investissement ? La voracité des fonds
de pension ? La jungle primitive réinventée
par le capitalisme ?
On évoque peu fréquemment l’hyperes­
thésie lors des obsèques. Lundi 22 juillet, le
Dr Renaud de Beaurepaire n’a pas craint de
le faire en évoquant le caractère parfois difficile du défunt, un homme hypersensible
comme le sont nombre de ces artistes dont il
faisait à l’évidence partie. Ce médecin a parlé
brièvement et fort justement de celui dont il
a partagé le combat.2 Il a dit ses certitudes
prophétiques. Aujourd’hui, en France, des
milliers de médecins prescrivent du baclofène. Leur nombre ne cessera selon lui d’aug­
menter et le phénomène dépassera bientôt
l’Hexagone. Il a parlé de la victoire historique que constitue le feu vert de principe
(que n’a toujours pas donné l’Agence nationale de sécurité du médicament) pour des
prescriptions facilitées.
Même les obsèques ont une fin. En sortant
du cimetière Montparnasse par l’entrée prin­
cipale, on tombe sur les entreprises funéraires qui tiennent le haut du pavé du boulevard Edgard-Quinet. Sur les bancs canicu-
c’est qu’il n’y a pas qu’une seule
morale»… Dans des sociétés pluralistes, il n’y a évidemment pas
une seule morale ; les compéten­ces
de l’Etat dans l’éventuelle définition
d’une morale «nationale» sont extrêmement limitées. Ma (longue)
expérience en tant que médecin
officiel – et alors que j’ai servi l’Etat
avec beaucoup de loyauté, voire
de passion, m’a démontré qu’il y a
des choses que l’Etat et la loi ne
savent pas faire, ne savent pas
­régler de manière adéquate – et
que, partant, il ne faut pas leur
­demander de le faire. L’Etat ne
saurait rendre justice à la dimension
personnelle, privée, intime d’une fin
de vie, touchant aux relations d’un
malade et de ses proches, avec
son médecin et l’équipe soignante.
Dr Jean Martin
Ancien médecin cantonal vaudois,
1026 Echandens
laires, on trouvait, lundi 22 juillet, quelques
gentils clochards avinés. Dans la fournaise
et en terrasse, on buvait des bocks et des limonades. Surtout des bocks. Rue du Maine,
on pouvait lire, parmi d’autres immondices,
des affichettes collées sur des parcmètres :
«Les SDF ne sont pas tous des alcooliques !
Des vrais logements pour les SDF cleans !».
Ces affichettes pullulent. Elles ont des dimensions nettement plus grandes que le
message cartonné de la jeune femme guérie
du cimetière. Le combat est, aussi, là. Qui
sait qui l’emportera ? En toute hypothèse, le
Dr Olivier Ameisen manquera.
Certains ont pu comparer les travaux novateurs d’Olivier Ameisen (et l’incompréhension qui a suivi) au cas, célèbre, d’Ignace
Philippe Semmelweis (1818-1865). Les temps
ne sont plus les mêmes qui permettraient le
parallèle. Reste l’aveuglement médical collectif, ce mystère confraternel. Sans doute
faut-il ici lire ou relire la thèse de médecine
du Dr Louis-Ferdinand Destouches ; Céline
qui vomissait l’alcool. «Rien n’est gratuit en
ce bas monde. Tout s’expie, le bien, comme
le mal, se paie tôt ou tard. Le bien c’est beaucoup plus cher, forcément.»
Jean-Yves Nau
[email protected]
1 Ameisen O. Le dernier verre. Paris : Editions Denoël,
2008.
2 de Beaurepaire R. Vérités et mensonges sur le baclofène. La guérison de l’alcoolisme. Paris : Editions Albin
Michel, 2013.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 août 2013
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