Tomas Azcarate - Le débat sur la politique agricole commune après
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Tomas Azcarate - Le débat sur la politique agricole commune après
Le débat sur la politique agricole commune après 2014: verdissement et chaîne alimentaire, des réflexions bruxelloises personnelles1 García Azcárate Tomás2 1. INTRODUCTION L'objectif de cette réflexion n'est pas de présenter la proposition de réforme de la Politique Agricole Commune que la Commission a approuvé à la fin de 20113. Beaucoup plus modestement; je voudrais réfléchir à voix haute sur deux sujets qui me semblent important d'avoir en tête à l'heure de l'analyse de la proposition: • Le verdissement des aides • L'équilibre de la chaîne alimentaire 2. LE VERDISSEMENT DES AIDES La proposition est connue. Du coté de la Commission, on a beaucoup insisté sur la nécessité d'augmenter la légitimité du soutien à l'agriculture vis-à-vis de l'opinion publique et de justifier vis-à-vis des contribuables les montants, significatifs, des aides perçues par les agriculteurs. L'aspect légitimité est important, sans aucun doute et je crois avoir été l'un des premiers, en 1990 à l'avoir mis sur la table4. Mais il n'est pas le seul à devoir mettre sur la balance. 1Les avis exprimés dans cette contribution compromettent seulement à son auteur et non pas aux Institutions pour lesquels il travaille. 2Conseiller pour l'analyse économique des marchés agricoles à la Direction Générale de l'Agriculture et du Développement Rural de la Commission Européenne, Maître de Conférence de l'Institut d'Études Européennes de l'Université Libre de Bruxelles, membre de l'Académie de l'Agriculture de France. Courrier électronique : tomas.garcia-azcarate@ec europa.eu Page web: www.tomasgarciaazcarate.eu 3 Pour le contenu de la proposition de réforme, on peut aller sur le web de la Commission Européenne http://myintracomm.ec.europa.eu/dg/agri/Pages/focuson1210.aspx; sur la page du Commissaire à l'agriculture http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/ciolos/index_en.htm ou consulter les notes 16, 17 et 18 de mon cours de PAC http://tomasgarciaazcarate.eu/fr/university/209-notes 4 García Azcárate Tomás (1990): Hacia una nueva legitimidad para la Política Agraria Común. Palau 14 http://tomasgarciaazcarate.eu/fr/pac/348-la-reforme-de-1992-reforme-mac-sharry-et-ses-debats Le point que j'aimerai aborder est le lien entre la proposition de réforme est les défis de l'alimentation des habitants du monde, à l'horizon 2050 par exemple. Le point de départ notre réflexion pourrait être la prise de position des présidents du COPA et du COGECA qui auraient tous les deux soulignés: «Il est illogique de demander à chaque exploitation d'arrêter de produire sur un certain pourcentage des terres ( jachère écologique) alors que la demande alimentaire mondiale devrait augmenter de 70 % d'ici 2050 et que la production est menacée par des épisodes plus intenses de sécheresse, d'inondation et de tempête.»5. Cette référence à l'horizon 2050, aux 9 milliards d'habitants et à la nécessité d'augmenter la production agricole mondiale, d'ailleurs de 60% et non plus de 70% par rapport à l'année 2005 comme est en train de recalculer la FAO, apparaît souvent dans le débat. Soyons clair. Ces chiffres impressionnent mais il d'agit d'une augmentation de la production mondiale de l'ordre de 1% par an, alors que depuis 1961 on observe une croissance de plus de 2%. D'autres facteurs sont à prendre en compte, comme par exemple: • Les pertes actuelles en premier lieu après la récolte dans les pays en développement mais aussi dans la filière (y compris les ménages) dans les pays développés. Le Parlement Européen vient d'émettre un rapport édifiant sur le sujet, avançant que " près 50 % d'aliments sains sont gaspillés chaque année dans l'UE, par les ménages, les supermarchés, les restaurants et la chaîne alimentaire6". • D'après la FAO, Si les 42% des agriculteurs du monde que sont les agricultrices avaient le même accès aux intrants et aux financements que leurs homologues masculins, la production mondiale augmenterait entre 10 et 20% • L'inévitable changement qui se produira dans le mode de consommation des citoyens et citadins des pays développés vers une diète moins riche en viande et plus équilibrée. Dison le clairement, ce n'est pas aux pays développés en général, et l'Europe pour ce qui nous concernent, d'alimenter les pauvres du monde qui sont dans leurs majorité des paysans ou des habitants du monde rural, c'est au monde de s'alimenter. C'est un problème de droit à l'alimentation, d'indépendance nationale et stratégique et non pas un alibi pour le retour des politiques productivistes du passé. Toutefois, cette situation a des conséquences sur les équilibres actuels et futurs sur les marchés mondiaux, en premier lieu des céréales qui sont la clé de voute de notre agriculture. Toutes les prévisions existantes7 convergent vers une perspective de prix mondiaux plus fermes à l'avenir loin de la tendance lourde à la baisse des prix 5 http://www.euractiv.com/fr/pac/la-forme-de-la-pac-sous-le-feu-des-critiques-news-508334 6 http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20120118IPR35648/html/Il-est-urgent-der%C3%A9duire-de-moiti%C3%A9-le-gaspillage-alimentaire-dans-l'UE 7 Pour la Commission, http://ec.europa.eu/agriculture/publi/caprep/prospects2011/index_en.htm 2 même nominaux des produits agricoles caractéristiques entre autres du siècle dernier. Il y a, à mon avis, un vrai risque de "céréalisation" de l'agriculture européenne. Même avec la hausse des coûts de production induite par, en premier lieu, la hausse du prix de l'énergie et donc des carburants, des fertilisants et autres intrants, la production céréalière reste rentable; avec un niveau de risque limité; une exposition à la volatilité des cours et en présence physique nécessaire sur l'exploitation moindre que, par exemple, les viandes. Ainsi, le rapport de septembre 2011 de l'Institut de l'élevage sur "l'élevage allaitant français à l'horizon 2015 et perspectives 2035"8 signale bien l'attrait pour les grandes cultures dans les zones mixtes. Cette "céréalisation" de l'agriculture européenne, résultat de l'addition logique de décisions microéconomiques et individuelles de chaque entrepreneur en lien direct avec le marché, représenterait une mutation considérable et consoliderait l'éloignement entre les demandes de la société (et sa disponibilité pour fiancer l'agriculture européenne) et le monde agricole. Cela sonnerait le glas du soutien public à l'agriculture et impliquerait une restructuration massive. Les conséquences de ce scénario sont bien explicitées dans le scénario "libéralisation" de l'étude "Scénario 2020"9. D'ailleurs parmi les opposants au verdissement se trouve tous ceux qui veulent en finir avec, ou au moins réduire la voilure de, la PAC en ayant un œil aussi bien sur les discussions budgétaires de la prochaine période 20014-2020 mais aussi en préparant le terrain pour la PAC post 2020. Quelle aubaine se serait pour eux de priver la PAC d'une grande partie de sa légitimité. La Commission propose donc le verdissement des aides de la PAC sur le premier pilier, avec 3 obligations qui sont trois torpédos contre "céréalisation": le maintien des prairies permanentes; la diversité des productions et la préservation de réservoirs écologiques et des paysages. Et ceci doit se faire sur l'ensemble du territoire, et non pas sur le 20% couvert par les mesures agroenvironnementales et avec les fonds du premier pilier, c'est-à-dire sans cofinancement national ou régional obligatoire toujours aléatoire dans le contexte budgétaire actuel. Il s'agit donc d'un effort pour rendre compatible l'objectif de production et celui de légitimité publique de la PAC. On pourrait être flexible sur les moyens pour assurer l'efficacité des mécanismes et l'effectivité de l'équilibre recherché mais pas sur le cap à maintenir. 3. L'ÉQUILIBRE DE LA CHAÎNE ALIMENTAIRE Nous avons abordé marginalement au point précédent les tensions budgétaires. La proposition de la Commission est connue10. Il s'agit d'un gel en terme nominal des budgets disponibles pour la PAC aussi bien du premier pilier que du deuxième. 8 9 http://www.inst-elevage.asso.fr/IMG/pdf_Nouveau_pdf_dossier_sept_2011-v.pdf http://ec.europa.eu/agriculture/analysis/external/scenar2020ii/index_en.htm 10 http://ec.europa.eu/budget/reform/index_fr.htm 3 Mais même cette proposition, prudente car qui dit gel en termes nominaux dit réduction en termes réels, n'est pas acquise. Les propositions doivent donc être extrêmement mesurées dès qu'elles ont un impact budgétaire. C'est la raison pour laquelle toutes les propositions qui n'ont pas ou peu de coûts budgétaire doivent être examiné avec attention. Il s'agit par exemples de la politique de qualité pour avancer dans la segmentation stratégique des marchés et mieux informer les consommateurs; de l'indication de la matière première principale dans les produits agricoles transformés, en premier lieu les conserves et dérivés des fruits et légumes, de la politique de promotion pour capitaliser sur les marchés les efforts réalisés pour mieux produire et obtenir des meilleurs produits; du soutien à une alimentation saine et diversifiée comme l'Europe a commencé à la faire avec le programme des fruits et légumes et du lait à l'école; la promotion, ou de programme d''aide aux plus démunis qui est en péril . Mais il s'agit aussi de l'équilibre de la chaîne alimentaire pour éviter des spirales destructrices de valeur, au détriment de tous les acteurs mais en premier lieu du monde agricole et des petites et moyennes industries. Le sujet n'est pas nouveau. Déjà en 1969 on pouvait lire dans le Mémorandum Mansholt11 que "L'amélioration de la structure des marchés et des conditions de commercialisation est indispensable si l'on veut que les producteurs tirent pleinement parti des possibilités offertes par le marché unique." On y parlait, entre autres, de "concentration quantitative et d'adaptation qualitative de l'offre", "d'accroissement de la transparence du marché", de "organiser la diffusion permanente de l'ensemble des offres et des demandes présentes sur le marché, ainsi que de l'état des stocks", de la nécessaire "discipline des producteurs", de groupements de producteurs capables "au début de chaque campagne, en fonction des perspectives annuelles des marchés, étudier les conditions et les disciplines de mise en marché" et de bien d'autres choses. Dans sa Communication de 199012 sur les organisations interprofessionnelles, la Commission souligna que "l'objectif de rendre plus flexibles les mécanismes de soutien aux marchés n'est pas de remplacer l'ordre par l'anarchie mais de stimuler l'apparition de nouvelles structures dans lesquelles les producteurs et leurs organisations doivent jouer un rôle plus actif". D'abord, il convient de signaler que, même sans aucun changement, des possibilités importantes existent déjà. La Direction Générale de la Concurrence de la Commission Européenne a élaboré un rapport intitulé "How EU competition policy helps dairy farmers in Europe " où on souligne les marges actuellement existantes sans aucun changement législatif. On n'y trouve pas réponse à tous les problèmes 11 12 Le texte complet du mémorandum est disponible sur http://tomasgarciaazcarate.eu/fr/documentsinteressants/316-plan-mansholt SEC(90) 562 final. http://tomasgarciaazcarate.eu/es/documentos-interes 4 mais il fourmille d'éléments utiles pour trouver des solutions dans un nombre non négligeable de cas13. Deuxièmement, une exception est possible pourvu que soient respectées les principes de transparence, de proportionnalité et d'efficacité14. Autrement dit, les mesures qui pourraient être couvertes par cette exception doivent explicitement être prévues dans la O.C.M. unique; limitée à ce qui est strictement nécessaire pour l'accomplissement des objectifs de la mesure et efficacement contribuer à l'accomplissement de chacun des objectifs marqués par le Traité pour la politique agricole, y compris assurer des prix raisonnables aux consommateurs15. C'est la raison pour laquelle la proposition de la Commission comporte un important chapitre sur les organisations des producteurs, leurs associations et les interprofessions. Il s'agit de bâtir sur l'expérience acquise dans des secteurs comme le lait, les fruits et légumes ou le vin en sachant qu'il n'y a pas de réponse générale et généralisable pour tous les produits agricoles et tous les Etats membres. En cohérence d'ailleurs avec ce qui est proposé dans le cadre de l'OCM unique, une priorité claire est soulignée dans le cadre du développement rural pour les activités dites de "coopération" entre les acteurs de la filière. Avec le Traité de Lisbonne, l'approbation de la future PAC fera l'objet d'une codécision entre le Parlement Européen et le Conseil. La proposition de la Commission reflétait un équilibre entre la protection des consommateurs et des acteurs de la filière; entre la distribution et l'industrie; entre les industriels, et en premier lieu les petites et moyennes entreprises, et le monde agricole; entre l'objectif de compétitivité et celui d'équité; entre la légitime défense du revenu des producteurs et la nécessaire lutte contre l'inflation. Mais rien ne garantit que l'équilibre proposé par la Commission sera celui du Conseil et du Parlement Européen. Dans cette dernière instance, par exemple, les rapports Lyon sur la PAC post 201316; Bové sur l'amélioration du fonctionnement de 13 http://tomasgarciaazcarate.eu/fr/documents-interessants/361-how-eu-competitionpolicy-helps-dairy-farmers-in-europe. Aussi Cesarini, P. (2009): Ensuring a well functioning food supply chain in Europe: recent Commission initiatives and the role of competition authorities http://tomasgarciaazcarate.eu/fr/documents-interessants/360-ensuring-a-well-functioningfood-supply-chain-in-europe ) 14 Le discours en 2003 de Mario Monti, Commissaire Européen à la concurrence à la Monti est très intéressant http://tomasgarciaazcarate.eu/documents-interessants/291-2003?lang=fr 15 Marcos, F. (2010): una peligrosa llamada a la creación de cárteles de crisis. A propósito de la STS de 20 de enero del 2010 (CECASA). La Ley n°7415 (1-13)) 16 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=EN&reference=P7-TA2010-0286 5 la chaine alimentaire17; Dess sur la Communication de la Commission "La PAC à l'horizon 2020"18 et enfin Bové sur l'industrie des intrants agricoles19, ont tous été approuvés à une très large majorité et marquent donc un consensus fort du colégislateur sur l'importance du sujet. Le Comité Economique et Social Européen a aussi approuvé le rapport Narro qui va dans le même sens20: Nous n'avons pas le droit à l'échec. Mais la réussite passe par une réflexion pondérée qui prennent en compte l'ensemble des acteurs de la filière, des producteurs aux consommateurs. Pour cela, il faut que les mondes agricole et de la concurrence se comprennent, se parle, se dessine une image comme dirait le Petit Prince. 17 18 19 20 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=EN&reference=P7-TA-2010-0302 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=EN&reference=P7-TA-2011-0297 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=EN&reference=P7-TA-2012-0011 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2011:048:0145:0149:FR:PDF 6