Le Controle de la Constitution

Transcription

Le Controle de la Constitution
République Tunisienne
Conseil
Constitutionnel
« Contrôle de la constitutionnalité des lois et droits fondamentaux »
le professeur
Mohamed Kamel Charfeddine
Membre du Conseil Constitutionnel
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Le contrôle de la constitutionnalité
des lois et les droits fondamentaux
Mohamed Kamel CHARFEDDINE
Professeur universitaire et membre
du Conseil constitutionnel
Les droits fondamentaux sont consacrés dans la plupart des
textes internationaux modernes. Les juristes sont pratiquement
unanimes à dire que les droits des individus sont « fondamentaux »,
non seulement eu égard à leur consécration dans la Constitution,
mais également vu l’importance des valeurs et des principes
humains qu’ils renferment.
En acquérant une valeur constitutionnelle, ces droits sont
projetés dans les diverses lois émanant du pouvoir législatif, par
l’effet du principe de la hiérarchie des normes développé depuis le
début du dernier siècle par l’auteur autrichien Hans Kelsen,
principe soumettant la totalité de la législation à la Constitution en
tant que norme supérieure dans la hiérarchie.
Il est aujourd’hui également admis que la conformité et la
compatibilité des lois avec les dispositions de la Constitution
peuvent être garanties par l’existence d’une autorité chargée de
contrôler la constitutionnalité des lois.
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L’Assemblée Constituante n’a fait état, dans ses délibérations,
du contrôle de la constitutionnalité des lois que de façon incidente.
Le texte de la Constitution du 1er juin 1959 a, finalement, écarté ce
contrôle. Les constituants ont, peut-être, considéré que les
représentants du peuple et les institutions du nouvel Etat créé, ne
peuvent enfreindre les dispositions de la Constitution.
Mais dès la première décade, est apparue, dans la société, une
réclamation de contrôle de la constitutionnalité des lois, et
notamment celles consacrant les libertés publiques et les droits
fondamentaux comme la loi sur les associations ou la loi relative à
la presse. C’était à la fois une revendication politique et un moyen
de défense évoqué dans certaines affaires devant les tribunaux, ce
qui a nourri une controverse
théorique et juridictionnelle
concernant la compétence du juge ordinaire en matière de contrôle
de la constitutionnalité des lois.
Le 16 décembre 1987, c’est-à-dire quelques semaines après le
changement, une évolution importante a eu lieu avec la création de
la première institution chargée du contrôle de la constitutionnalité
des lois, dénommée à cette date «Conseil constitutionnel de la
République». Après quelques années d'activité, cette institution a
accédé au rang constitutionnel par l’effet de la révision
constitutionnelle en date du 6 novembre 1995 qui a consacré au
Conseil constitutionnel tout le chapitre neuf de la Constitution.
En 1998, une nouvelle modification de la Constitution a
prévu le caractère obligatoire des avis du Conseil.
Cette évolution, continue, a été couronnée par la loi
constitutionnelle du 1 juin 2002 qui a élargi la base des droits
fondamentaux dans la Constitution. Les nouvelles dispositions ont
en outre élargi les attributions du Conseil constitutionnel et
consolidé son indépendance.
Le régime actuel du contrôle de la constitutionnalité des lois
se caractérise par trois traits distinctifs faisant ressortir les aspects
de ce contrôle et ses caractéristiques. Je vous les présente comme
introduction générale du sujet.
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1) Consécration de l’indépendance du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel se compose de neuf membres dont
six, y compris le Président du Conseil, sont nommés pour une
durée de trois années renouvelable deux fois. Les trois autres sont
des membres ès qualités. Ce sont le Premier président de la Cour
de cassation, le Premier président du Tribunal administratif et le
Premier président de la Cour des comptes.
Pour garantir l’impartialité totale des membres du Conseil, le
sixième paragraphe de l’article 75 de la Constitution prévoit ce qui
suit : « Les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent pas
exercer des fonctions gouvernementales ou parlementaires. Ils ne
peuvent pas non plus assumer des fonctions de direction politique
ou syndicale ou exercer des activités susceptibles de porter atteinte
à leur neutralité ou à leur indépendance. » Par habilitation de la
Constitution, la loi organique du Conseil parue le 12 juillet 2004, a
ajouté d’autres cas d’incompatibilité avec la fonction desdits
membres.
2) Des attributions élargies du Conseil constitutionnel
concernant le contrôle des projets de loi a priori
Le Conseil est saisi des projets de loi sur initiative du
Président de la République.
Le contrôle comprend les projets de loi organiques et de loi
ordinaires. Il comprend également les amendements qui leur sont
apportés au moment de leur adoption par le pouvoir législatif, avant
la promulgation de la loi par le Président de la République.
Le contrôle exercé est un contrôle préventif, intervenant
avant la promulgation c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la
loi. C’est un contrôle qui vise à s’assurer de la conformité et de la
compatibilité du texte examiné avec les prescriptions de la
Constitution. Le Conseil émet alors un avis motivé et obligatoire,
qui est publié au Journal officiel.
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Il apparaît de ce qui précède que le droit constitutionnel
tunisien se caractérise par la distinction entre le contrôle de
conformité et le contrôle de compatibilité.
• Dans le contrôle de conformité, il s’agit de se limiter au texte de
la Constitution, à ses principes et à ses règles et de soumettre le
projet de loi examiné à ces prescriptions, selon une logique
déductive, afin de vérifier l’existence ou l’inexistence de la
conformité. Si la non-conformité se vérifie, une
inconstitutionnalité est alors soulevée, mettant en avant la
disposition constitutionnelle méconnue et en quoi consiste la
violation.
• Quant au contrôle de compatibilité, il procède d’une vision plus
large qui consiste à examiner la compatibilité entre, d’une part,
les fondements et les choix sur lesquels repose la Constitution,
c’est-à-dire les principes et les valeurs constitutionnellement
consacrés et, d’autre part, les dispositions du projet de loi
soumis qui seront ainsi examinées du point de vue de la
compatibilité et de l’harmonie.
On s’interroge ici à propos de l’étendue de la compétence
du Conseil dans le contrôle des projets de loi : est-ce que tous les
projets sont soumis à l’examen préalable du Conseil ?
La réponse à cette question importante se trouve dans l’article
72 de la Constitution. Cet article prévoit la règle de la saisine
obligatoire du Conseil constitutionnel «pour les projets de loi
organiques …ainsi que les projets de loi relatifs… à la nationalité,
à l’état des personnes, aux obligations, à la détermination des
infractions et des peines qui leur sont applicables, à la procédure
devant les différents ordres de juridictions, à l'amnistie, ainsi
qu'aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des
droits réels, de l'enseignement, de la santé publique, du droit du
travail et de la sécurité sociale. »
Ainsi, l’examen du Conseil constitutionnel sur la base de la
saisine obligatoire s’étend quasiment à la totalité des projets ayant
trait aux droits fondamentaux des individus.
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Certes, le contrôle se rapporte, uniquement, aux dispositions
de la Constitution. Mais l’organisation pyramidale des textes est, en
soi, d’ordre constitutionnel. En effet, les traités internationaux
remplissant les conditions requises ont, selon l’article 32 de la
Constitution, «une autorité supérieure à celle des lois ». Il s’agit
d’une règle impérative dont le respect s’impose, ce qui implique le
contrôle de la constitutionnalité des projets de loi de ce point de
vue également. Un tel contrôle vise, avant tout, à assurer le respect
de la règle constitutionnelle. La même démarche prévaut pour ce
qui est de la supériorité de la loi organique par rapport à la loi
ordinaire.
3) La nature conforme des avis du Conseil constitutionnel
L’article 75 de la Constitution définit clairement la nature de
ces avis : « l’avis du Conseil constitutionnel doit être motivé. Il
s’impose à tous les pouvoirs publics ».
Ces prescriptions constitutionnelles appellent certaines
observations :
- La motivation des avis du Conseil a de précieux avantages.
Elle souligne l’inconstitutionnalité et sa nature (non conformité ou
incompatibilité), la situe dans le projet soumis et fait état de ses
motifs, ce qui facilite la résolution du problème de
constitutionnalité. La motivation peut, le cas échéant, être positive.
Le Conseil souligne alors la conformité ou la compatibilité, avec la
Constitution, des dispositions qui nécessitent une telle motivation.
Par ailleurs, le procédé de la publication des avis du Conseil au
Journal officiel de la République tunisienne depuis 2004 représente
un renforcement de leur utilité et une participation enrichissante à
la consolidation de la culture juridique.
Le fait que l’avis s’impose à tous les pouvoirs législatif,
exécutif et juridictionnel est une réalité effective. Cette solution ne
contredit pas, par ailleurs, la fonction consultative de l’institution.
La question est clairement résolue par l’article 75 de la
Constitution dont les termes absolus signifient que l’avis s’impose
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à tous les pouvoirs : législatif, exécutif et juridictionnel. Pour le
pouvoir législatif, cette autorité découle aussi bien de l’article 75
précité que du troisième paragraphe de l’article 52 autorisant le
Président de la République à différer la promulgation de la loi
jusqu’après l’adoption des amendements apportés au projet sur la
base de l’avis du Conseil constitutionnel. Pour le pouvoir exécutif,
ladite autorité découle, également, des dispositions de l’article 23
de la loi organique relative au Conseil constitutionnel exigeant de
lever les inconstitutionnalités qui affectent le projet de loi avant de
le transmettre au pouvoir législatif.
Dans l’exercice de sa mission et tout en s’en tenant à la
légalité constitutionnelle, le Conseil a œuvré pour l’enrichissement
du contenu des droits fondamentaux consacrés par la Constitution
(I), tout en précisant les exceptions pouvant concerner lesdits droits
(II).
I- EVOLUTION
DU
CONTROLE
DU CONTENU
CONSTITUTIONNEL DES DROITS FONDAMENTAUX
Dés sa parution le 1 juin 1959,la Constitution prévoit, de
façon explicite, plusieurs droits et libertés fondamentales, tels que
le droit au travail, à la santé, à l’instruction et à la protection de la
famille (préambule), l’inviolabilité de la personne humaine et la
liberté de conscience (article 5), l’égalité en droits et en devoirs et
devant la loi (article 6), les libertés d’opinion, d’expression, de
presse, de publication de réunion et d’association ainsi que le droit
syndical (article 8), l’inviolabilité du domicile et le secret de la
correspondance (article 9), la liberté de circuler à l’intérieur du
territoire et d’en sortir (article 10), le droit de se défendre (article
12) , la personnalité de la peine (article 13), le droit de propriété
(article 14) et le droit d’élire et d’être candidat (article20).
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Dans le cadre de l’examen des projets de loi depuis 1987
jusqu’à aujourd’hui, le Conseil a émis des centaines d’avis dont
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bon nombre se réfèrent aux prescriptions de ce bloc constitutionnel
traditionnel, ce qui a permis de mieux préciser ses contours et
enrichir son contenu.
Avec la révision de la Constitution en 2002, est apparu un
nouveau bloc constitutionnel rénovant et consolidant, de façon
remarquable, le profil des droits fondamentaux des individus, en
prévoyant le droit à la protection des données personnelles (article
9) qu’est venu confirmes la loi organique du 27 juillet 2004 ainsi
que le droit de tout individu ayant perdu sa liberté à être traité
humainement, dans le respect de sa dignité (article 13) et surtout en
intégrant dans l’article 5 de la Constitution un pacte général des
droits fondamentaux des individus .
L’enrichissement des prescriptions constitutionnelles, a eu
sans doute, un effet important sur l’élargissement de l’examen du
Conseil dans son contrôle de la constitutionnalité des lois. Cette
distinction chronologique et substantielle permet de diviser la
présentation de la jurisprudence du Conseil en deux sections. La
première se réfère aux règles constitutionnels originelles (A).
Quant à la seconde, elle se fonde sur les règles constitutionnelles
récentes (B)
A- La référence aux dispositions constitutionnelles
originelles prévues par la Constitution depuis 1959
La Constitution prévoit dans sa version d’origine à peu près
la totalité des droits fondamentaux communs aux peuples attachés à
la dignité de l’Homme, à la justice et à la liberté. La Constitution
du 1er juin 1959 représente une réalisation d’une ambition
nationale après une longue lutte pour l’indépendance du pays. Elle
représente également une déclaration de la part du pouvoir
constituant soucieux de doter la Tunisie d’une Constitution qui
garantit l’inviolabilité de la personne humaine, ses droits et ses
libertés.
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Le Conseil constitutionnel s’est appliqué, depuis sa création
le 16 décembre 1987, à assurer la conformité entre le texte
constitutionnel et les projets de loi qui lui sont soumis, ce qui lui a
permis, vu la diversité des questions et des thèmes prévus par ces
projets, de former une jurisprudence constitutionnelle en évolution
permanente et qui embrasse pratiquement la totalité des droits
constitutionnels fondamentaux.
En témoignent des exemples ayant trait au suffrage direct, au
droit au travail, au droit à l’égalité, à la garantie de l’inviolabilité
du domicile au droit de défense et au droit de propriété. Ce sont des
exemples choisis de la jurisprudence du Conseil durant vingt ans.
1- Le droit au suffrage direct
En 1993, le Conseil constitutionnel a eu à examiner un projet
de loi organique modifiant et complétant le code électoral. Ce
projet prévoyait que chaque parti ayant obtenu des sièges dans le
cadre de la distribution nationale est tenu de présenter au ministre
de l’intérieur une liste de noms égale au nombre des sièges obtenu,
à condition que ces noms soient parmi les candidats.
Le Conseil constitutionnel a considéré que « ces dispositions
permettent à chaque parti ayant obtenu un siège ou plus lors de la
distribution nationale de se substituer aux électeurs dans le choix
d’un membre ou plus de la Chambre des députés, ce qui n’est pas
conforme aux dispositions de la Constitution prévoyant,
explicitement, l’élection des membres de la Chambre des députés
au suffrage direct, le caractère direct de l’élection excluant tout
intermédiaire entre l’électeur et l’élu » (avis en date du 15 octobre
1993).
Sans doute, le fait d’exiger le respect du droit du citoyen au
suffrage universel sans aucun intermédiaire protège une règle
constitutionnelle qui a fait l’unanimité au sein de l’Assemblée
Constituante et apparaît dans ses délibérations comme une évidence.
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2- Le droit au travail
La Constitution consacre, dans son préambule, le droit du
citoyen au travail. Dans un avis émis en 2003 (avis n° 31-2003 en
date du 30 avril 2003), le Conseil constitutionnel a considéré que
cette consécration constitutionnelle aboutit à contrôler les
dispositions du projet de loi soumis qui prévoit une peine
accessoire consistant en une privation de l’exercice d’une activité
du transport terrestre dans certains cas qui seront déterminés par
décret, ce qui est, selon le Conseil, incompatibles avec le
préambule de la Constitution. Ainsi, le Conseil appelle, en quelque
sorte, le pouvoir législatif à épuiser la totalité de sa fonction de
légiférer. La même inconstitutionnalité a été soulevée par le
Conseil pour ce qui est du droit à la santé prévu également par le
préambule de la Constitution, à l’occasion de l’examen de la
constitutionnalité du projet de loi modifiant et complétant la loi
relative aux maladies transmissibles (avis n° 27-2006 du 27 mai
2006).
3- Le principe d’égalité
L’égalité entre les individus était et demeure une notion
séduisante et une ambition de tous les peuples. L’égalité n’est-elle
pas le fondement de la justice et la source de toutes les libertés ?
Quelle est donc la signification de l’égalité et quel est son
contenu ?
La Constitution tunisienne consacre ce principe dans son
préambule et dans son article six, en adoptant une formulation
claire selon laquelle « tous les citoyens ont les mêmes droits et les
mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi». Ainsi, le principe de
l’égalité apparaît comme renfermant deux aspects complémentaires.
Le premier, celui de l’égalité devant la loi, est un principe
fondamental intangible. Il exprime l’idée même de justice.
Le second, celui l’égalité des droits et des devoirs, soulève
pour les conseils et les tribunaux constitutionnels diverses
difficultés d’interprétation. La Constitution permet, elle même, une
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certaine discrimination en autorisant l’amnistie et en prévoyant
l’équité. Le Conseil constitutionnel se
réfère à ce droit
fondamental depuis des années. Il l’a fait tout en enrichissant son
contenu et en faisant évoluer sa signification. A ce sujet, il est
unanimement admis que le droit des individus à l’égalité des droits
et des devoirs n’est pas absolu. La constitutionnalité de ce droit
n’interdit pas au législateur de consacrer des dispositions
déterminées à une catégorie autonome. En effet, est-il concevable
d’évoquer l’atteinte à l’égalité lorsque sont prises pour les mineurs,
les médecins ou les fonctionnaires, des dispositions spéciales
tentant compte de leurs intérêts et fixant leurs obligations, eu égard
à la spécificité et à l’autonomie de leurs situations juridiques ? La
différence entre les situations juridiques justifie une différence dans
le traitement.
On voit ainsi la difficulté que rencontre toute justice
constitutionnelle et qui consiste à déterminer la signification de la
catégorie autonome, afin de distinguer entre les cas où les
impératifs du droit à l’égalité sont ou ne sont pas respectés.
Le Conseil admet de façon générale que « le principe
d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie des
dispositions différentes en fonction de situations différentes» (avis
n°59-2006 du 2 novembre 2006). Mais il annonce aussitôt son
contrôle des critères déterminant la catégorie et fondant la
discrimination retenue. Si ces critères ne sont pas objectivement
déterminés, il s’agira, selon lui, d’une atteinte au droit à l’égalité,
contraire aux dispositions de l’article six de la Constitution (avis
n°42-2007 du 6 juin 2007). A l’inverse, ne porte pas atteinte à
l’égalité, le fait de prévoir des dispositions qui déterminent des
conditions et des critères objectifs et précis, mettant en avant
l’autonomie de la catégorie bénéficiaire des dispositions de la loi
par rapport au reste des individus (avis n° 15-2006 du 14 avril
2006).
Lors de l’examen d’un projet de loi modifiant certaines
dispositions du Code du travail, relatives aux représentants des
salariés et aux représentants syndicaux et prévoyant, pour eux, des
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mesures particulières visant leur protection du licenciement abusif,
le Conseil constitutionnel a clairement précisé sa position en ces
termes : « …les facilités et la protection spéciale prévues au profit
des … représentants du personnel… n’affectent pas le principe
d’égalité avec le reste des salariés de l’entreprise, du moment que,
de par leur qualité, lesdits représentants appartiennent a une
catégorie spéciale de personnel reposant sur des considérations
objectives, leur qualité ainsi que la nature de leurs missions dans la
défense des droits des travailleurs les mettent, par ailleurs, dans une
situation nécessitant leur protection lors de l’exercice desdites
missions » (avis n° 63-2006 du 20 décembre 2006 et également
l’avis n° 64-2006 du 20 décembre 2006).
Il est clair que le contrôle du Conseil ne s’est pas limité aux
seules considérations objectives justifiant l’existence d’une
catégorie spéciale de personnel. Il s’est étendu aussi, à ses
caractéristiques réelles au regard de la nature des missions du
personnel appartenant à cette catégorie.
Dans un autre avis remarquable, sur un projet de loi portant
amnistie d’infractions de change et fiscales, le Conseil affirme
qu’ « en autorisant l’amnistie, la Constitution a entendu par là
même qu’il est dans la nature du texte, portant dans le cas présent
sur les infractions de change et fiscales, de porter atteinte au
principe d’égalité affirmé par son article 6 ». Mais, le Conseil
précise, néanmoins, que l’autorisation de la Constitution, dans ce
cas, se fonde sur « un souci de satisfaire à un intérêt général selon
l'appréciation du législateur » (Avis n° 23-2007 du 23 mars 2007).
Le Conseil a déclaré, à plus d’une occasion, que le droit
d’égalité ne s’accommode pas d’une discrimination qui porte
atteinte à un droit fondamental de l’individu. En 2006, le Conseil a
examiné un projet de loi consacrant de nouvelles garanties au profit
des victimes et des responsables civils défendeurs en cassation dans
les affaires mettant en cause des crimes. Mais, le projet n’a pas
étendu ces garanties à ces mêmes personnes dans les affaires
mettant eu cause des infractions autres que les crimes. Le Conseil a
considéré que cette distinction ne repose pas sur des justifications
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juridiques ou de fait parce qu’elle prive certaines victimes et
responsables civils du bénéfice des nouvelles garanties. De plus,
ladite distinction n’est pas conforme au droit d’égalité devant la loi.
Il est certain que le Conseil a considéré la distinction inadmissible
parce qu’elle ne repose pas sur des critères objectifs précis et parce
qu’elle porte atteinte à un droit fondamental a savoir le droit
d’accès à la justice qui découle du principe d’égalité devant la loi et,
en l’espèce, devant le service de la justice judiciaire (Avis n° 442006 du 4 septembre 2006).
4- La garantie de l’inviolabilité du domicile
Le droit à la garantie de l’inviolabilité du domicile et du
secret de la correspondance est parmi les droits fondamentaux
prévus par la Constitution de 1959 dans son article 9. Le Conseil
constitutionnel a toujours imposé le respect de ce droit fondamental
et ce d’une manière constante depuis plusieurs années. Dans
plusieurs avis, le Conseil affirme, notamment, que l’inviolabilité du
domicile implique que l’accès aux locaux d’habitation à fin de
perquisition soit soumis au contrôle du juge en ce sens que la
perquisition soit le fait du juge d’instruction lui-même ou des
officiers de la police judiciaire désignés par la loi, dans le cadre
d’une commission rogatoire, et ce à l’exception du cas de flagrant
délit. Le Conseil a déduit la nécessité de ces garanties, et
notamment le contrôle du juge, des exigences découlant de la
notion de la garantie de l’inviolabilité du domicile telle que
consacrée par la Constitution et des dispositions relatives à l’accès
aux locaux d’habitation pour la perquisition par des agents habilités
à cet effet par la loi. Ainsi, le Conseil fait de l’intervention de la
justice une garantie fondamentale de l’inviolabilité du domicile en
cas de perquisition.
5- Le droit de la défense
Il ressort de la lecture de l’article 12 de la Constitution que le
droit de la défense est l'un des droits fondamentaux prévus pour
tout suspect en matière pénale.
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Depuis des années, la jurisprudence du Conseil
constitutionnel a été marquée par une tendance vers l’élargissement
du domaine du droit de la défense qui intéresse, outre les sanctions
pénales, les sanctions administratives et les procédures
disciplinaires et conservatoires pouvant toucher les titulaires de
droits, bien qu’elles n’aient pas un caractère pénal.
D’un autre côté, le Conseil constitutionnel a considéré que la
motivation des décisions est l'une des exigences du droit de la
défense dans la mesure où l’obligation de motiver les décisions de
la commission de discipline permettant à l’intéressé d’exercer ses
recours et à la justice d’exercer son contrôle, dérive de la règle du
respect des droits de la défense d’une part et pour l’exercice de son
contrôle par la justice, d’autre part » (Avis n° 50-2007 du 27 juin
2007). De plus, le Conseil a considéré que « la saisine se situe au
cœur de la procédure relative au jugement, ce qui exige d’offrir les
garanties suffisantes au saisi pour l’exercice de son droit à se
défendre ». Il en déduit que « le fait pour les agents appelés à
constater les infractions de saisir les instruments de mesure sans
rédiger, à cet effet, un procès verbal, rend les prescriptions du
projet de loi soumis incompatibles avec l’article 12 de la
Constitution » (Avis n°44-2007 du 6 juin 2007).
Le Conseil a montré, le même jour, que « l’établissement des
procès-verbaux et leur opposabilité influence le cours du procès ce
qui exige que les procès –verbaux contiennent des mentions
susceptibles de garantir les droits de la défense ». Par conséquent,
le Conseil a considéré que « si les dispositions soumises ont prévu
l’établissement du procès-verbal et précisé ses mentions, elles n’ont
pas prévu l’obligation de mentionner l’identité, la qualité et la
signature de l’auteur du procès-verbal, ce qui rend ce document
amputé de formalités susceptibles de priver le contrevenant de
l’une des garanties nécessaires à sa défense, le cas échéant, et les
dispositions en question du projet de loi incompatibles avec
l’article 12 de la Constitution» (Avis n° 47-2007 du 6 juin 2007).
Le droit de la défense est lié à un autre droit fondamental à
savoir la consécration de la présomption d’innocence. En effet,
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l’article 12 de la Constitution dispose que « tout prévenu est
présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à la suite
d’une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa
défense ». Et pour plus de garanties des droits du suspect, la
Constitution a consacré depuis 1959 le principe de légalité des
crimes, des délits et des peines qui lui sont applicables ainsi que
celle des contraventions pénales sanctionnées par des peines
privatives de liberté. La Constitution rejoint, ainsi, les exigences,
des dispositions de la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948 et tous les instruments internationaux ultérieurs.
Ces principes constitutionnels ont marqué la ligne de contrôle
tracée par le Conseil constitutionnel, depuis sa création en 1987,
concernant les projets de loi qui lui sont soumis, et ce d’une
manière constante dans des dizaines d’avis.
Le Conseil a considéré que du principe de légalité des
infractions et des peines résultent deux garde-fous du contrôle de
constitutionnalité :
Le premier est formel et impose l’exclusivité de la
compétence législative dans la détermination des crimes, des délits
et des peines qui leur sont applicables. Dans son avis du 26
septembre 1991, le Conseil a considéré que « le principe de légalité
des délits et des peines prévu par l’article 13 de la Constitution a
été consacré parce qu’il touche directement aux libertés
individuelles et empêche le pouvoir réglementaire de déterminer les
éléments de l’incrimination ». Le Conseil en déduit, par
conséquent, que « les dispositions de l’article premier du projet de
loi qui prévoient que toutes les matières et préparations
déterminées par un arrêté du ministre de la santé
publique "constituent des stupéfiants" et sont régies par la présente
loi, sont des dispositions qui ne sont pas conformes à la
Constitution parce qu’elles renvoient au pouvoir réglementaire, la
détermination de l’élément matériel de l’infraction relative aux
stupéfiants ce qui est contraire au principe de légalité ».
Le deuxième garde-fou concernant le contrôle de
constitutionnalité du principe de légalité a été proclamé par le
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Conseil depuis le 16 octobre 1996 (Avis concernant un projet de loi
relatif à la responsabilité et au contrôle technique dans le domaine
de la construction). Dans son avis du 16 octobre 1996, le Conseil
affirme que « le principe de légalité exige la précision et la clarté
dans la détermination des infractions et des peines qui lui sont
applicables afin de protéger les libertés individuelles ».
En fait, les dispositions pénales ne s’accommodent ni de la
généralité ni de l’ambiguïté dans l'incrimination, la précision est
exigée pour déterminer le fait incriminé (voir par exemple, l’avis n°
13-2000 du 5 avril 2000). Prenons un exemple :
Lors de son examen du projet de loi modifiant et complétant
le Code pénal, concernant la répression des atteintes aux bonnes
mœurs et de l’harcèlement sexuel, et qui prévoit qu’est puni de
l’emprisonnement « quiconque attire publiquement l’attention » et
par n’importe quel moyen, sur une occasion de commettre la
débauche, le Conseil a considéré que « l’expression "attirer
l’attention" inclut des comportements, des paroles et des gestes
susceptibles d’interprétations divergentes quant à savoir s'ils
constituent des faits incriminés ». Et le Conseil d’ajouter que « le
principe de légalité des délits et des peines consacré par l’article 34
de la Constitution exige la précision dans la détermination des faits
incriminés ».
Il explicite, également, qu’il « ressort de l’exposé des motifs
annexé au projet de loi soumis, que ledit exposé s’attaque aux faits
de nature à " attirer l’attention ", ce qui confirme l’ambiguïté du
texte, son manque de précision et l’incapacité de l’expression à
exprimer le sens voulu » .
Il rappelle que « la règle de la précision dans l’incrimination
pénale exige la détermination des faits incriminés dans la loi ellemême et l’utilisation d’une formulation linguistique montrant
clairement et sans équivoque le sens visé par le législateur pour la
détermination de n’importe quel élément de l’infraction si bien que
cette détermination soit suffisante en elle-même ».
Il en déduit, par conséquent, que « sur la base de ce qui
précède, la formulation de l’alinéa 2 de l’article 226 (bis) du projet
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soumis est incompatible avec l’article 34 de la constitution » (Avis
n° 20-2004 du 12 mai 2004).
La précision est exigée, également, dans l’imputation, dans le
lien entre la peine et l’obligation à la charge des personnes
intéressées (Avis n° 13-2001 du 31 janvier 1994) et dans la
détermination de la peine applicable (tel que le renvoi général aux
dispositions du Code pénal sans détermination précise de la peine
applicable) (par exemple, l’avis du 2 février 2000).
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Ces exemples jurisprudentiels traduisent clairement l’attitude
du Conseil vis- à- vis des principes et notions constitutionnels.
Seule la détermination de ces notions et la déduction de leurs
exigences permet un contrôle efficace de la constitutionnalité du
texte soumis, même si l’examen se rapporte à ses détails. En effet,
l’inconstitutionnalité peut être soulevée d’un seul mot parce que sa
formulation n’est pas précise ou parce qu’elle est inappropriée.
Ainsi, frapper les héritiers d’une sanction pénale et prévoir qu’elle
les atteint « solidairement » constitue, selon le Conseil, une
incrimination qui porte atteinte au principe de la personnalité de la
peine et à la présomption d’innocence parce que, remarque le
Conseil, elle permet de sanctionner des personnes dont la
responsabilité pénale n’est pas certaine (Avis n° 50-2003 du 3
octobre 2003). Cela dit, le projet de loi doit être modifié pour que
ses dispositions soient conformes avec la Constitution et ses
principes.
6- Le droit de propriété
On retrouve la même approche à propos d’un autre droit
fondamental qui est le droit de propriété. La formule de l’article 14
de la Constitution a résumé les riches débats au sein de
l’Assemblée Constituante : « Le droit de propriété est garanti. Il
est exercé dans les limites prévues par la loi ». La Constitution a
prévu, d’autre part, dans son article 34 que la loi détermine les
18
principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits
réels.
Dans plusieurs avis, le Conseil a soulevé des
inconstitutionnalités touchant au droit de la propriété privée. Il a
rappelé, notamment, que :
1/ L’exercice de ce droit ne relève pas du pouvoir réglementaire ce
qui fait que la reconnaissance d’une compétence générale, au
ministère chargé du patrimoine, pour ajouter des règlements
relatifs aux abords des monuments historiques, sans déterminer
les procédures d'édiction de ces règlements ou le contenu de ces
dernières dans le texte de loi, est incompatible avec le principe
de la garantie du droit de propriété et avec ce que prévoit
l’article 34 de la Constitution (Avis du 27 octobre 1992) .
2/ « L'exercice » du droit de propriété inclut tous les pouvoirs
reconnus au propriétaire, du droit d’acquisition jusqu’à celui de
disposition (Avis n° 17-2005 du 13 avril 2005).
3/ La garantie constitutionnelle du droit de propriété privée ne
concerne pas la propriété immobilière uniquement, mais aussi
les meubles tels que les bijoux objets de gage (Avis n° 46-2004
du 5 novembre 2004) ou les actions des sociétés (Avis n° 522005 du 8 août 2005).
4/ « Le non-respect de la valeur vénale du droit de propriété » est
incompatible avec les dispositions de la Constitution (Avis n°
16-2005 du 13 avril 2005).
Il est clair que cette approche large de l’examen du Conseil
permet d’étendre le contrôle du Conseil et de protéger plus
efficacement l'un des droits fondamentaux de l’individu.
B – L’enrichissement du système constitutionnel des
droits fondamentaux depuis 2002.
L’approche tunisienne des droits fondamentaux de l’homme
s’est fondée sur la conviction ferme que les différentes catégories
de droits fondamentaux sont interdépendantes et complémentaires.
19
Cette orientation s’est manifestée dès les premières années du
Changement .
L’Etat ayant opté pour une démarche sûre mais progressive
pour éviter tout retour en arrière ou reflux, cette volonté a conduit à
un enrichissement substantiel des dispositions de la Constitution en
vertu de la loi de révision constitutionnelle du 1er juin 2002
approuvée par référendum.
Il s’agit d’une révision constitutionnelle importante qui a
concerné 39 des 78 articles formant la Constitution.
La réforme constitutionnelle a eu divers objectifs. Il s’agit, en
matière des droits fondamentaux, des deux suivants :
- Le premier a consisté en l’élaboration d’un pacte de ces
droits dans les dispositions de la Constitution elle-même, c’est ce
qui s’est réalisé par l’ajout de trois paragraphes en tête de l’article 5
qui a condensé la philosophie de l’approche tunisienne moderne
des droits de l’homme dans des règles claires. Je voudrais rappeler
ces nouvelles dispositions littéralement :
• « La République tunisienne garantit les libertés fondamentales
et les droits de l’Homme dans leur acception universelle,
globale, complémentaire et interdépendante.
La République Tunisienne a pour fondements les principes de
l’Etat de droit et du pluralisme et oeuvre pour la dignité de
l’Homme et le développement de sa personnalité.
L’Etat et la société œuvrent à ancrer les valeurs de solidarité,
d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les
générations ».
• Le droit à la protection des données à caractère personnel
(inséré dans la Constitution en vertu de son article 9 et organisé
par la loi constitutionnelle n° 2004-63 du 27 juillet 2004).
• Soumission de la garde à vue au contrôle judiciaire et de la
détention préventive à l’autorisation juridictionnelle et
l’interdiction de toute détention arbitraire (article 12 alinéa 1 de
20
la Constitution). Ce qui fait que l’autorité judiciaire soit la
gardienne des libertés individuelles.
• Le droit de tout individu ayant perdu sa liberté à un traitement
humain et le droit de bénéficier du texte plus doux (article 13 de
la Constitution).
- Le second objectif de la réforme constitutionnelle de 2002 a
consisté dans le renforcement et la diversification des attributions
du Conseil constitutionnel.
Il est certain que l’enrichissement constitutionnel de la base
des droits fondamentaux aura une influence sur la jurisprudence du
Conseil. En effet, l’observation de cette jurisprudence, depuis la
révision de l’article 5 de la Constitution, permet de constater la
fonction de référence accordée au droit à la garantie de
l’inviolabilité de la personne humaine au regard des autres droits.
D’un autre coté, et toujours au regard de l’article 5 de la
Constitution dans sa nouvelle version, l’alinéa 2 de cet article
dispose que la République tunisienne a pour fondements « les
principes de l’Etat de droit ». Quel est le sens que renferme
l’expression « principes de l’Etat de droit » concernant les droits
des individus ? Et quel est son apport au système des droits
fondamentaux ?
Il est impossible, dans ce cadre, de présenter les
développements théoriques de la notion de l’Etat de droit. Je
voudrais me contenter de présenter la position du Conseil
constitutionnel sur cette question. A partir de cette notion
essentielle (Principes de l’Etat de droit), le Conseil a considéré
que : « Ces principes prescrivent, notamment, la soumission des
rapports liant les personnes entre elles et avec les pouvoirs publics
à l’ordonnancement juridique de l’Etat avec toutes ses composantes
et ce pour protéger les droits des personnes et leurs libertés ».
Ensuite, le projet de loi soumis (Code de douanes) prévoyant
que « le refus d’accorder l’autorisation ou son retrait n’ouvre le
droit, en aucun cas, à une demande d’indemnité ou de réparation du
21
préjudice », le Conseil fait observer que ces dispositions « peuvent
comprendre des cas de refus ou de retrait pouvant ne pas se fonder
sur des motifs légaux, ce qui aboutit à priver la personne concernée
de son droit à une réparation ou une indemnisation du préjudice et,
ainsi, des garanties qui sont à même de lui assurer le respect de ses
droits et notamment celles relatives au recours au juge et à la
réparation du préjudice causé
par la voie de fait de
l’administration ».
Le Conseil a fini par considérer la version soumise comme
incompatible avec la Constitution et notamment son article 5 (Avis
n°2-2007 du 24 janvier 2007).
Il s’avère, ainsi, que le Conseil fonde le droit de la personne à
la réparation du préjudice dû à l’agissement illégal de
l’administration, sur le droit de toute personne au recours qui est
l'une des exigences des principes de l’Etat de droit prévus par
l’article 5 de la Constitution après sa révision en 2002. Ce faisant,
le Conseil donne à l’expression un sens précis sans qu’il soit
exclusif.
Considérons la jurisprudence du Conseil à propos d’un autre
concept prévu par l’article 5 de la Constitution depuis la révision de
2002 : c’est le concept de « l’universalité des droits de l’homme ».
Le Conseil a estimé que les attributions conférées à la Cour
africaine des droits de l’homme et des peuples qu’il est projeté de
créer, ne constituent pas un abandon par l’Etat de sa souveraineté
mais plutôt une manifestation de l’exercice de cette souveraineté,
sur la base, notamment, de « l’article 5 de la Constitution prévoyant
la garantie par la République tunisienne,
des libertés
fondamentales et des droits de l’homme dans leur acception
universelle, globale, complémentaire et interdépendante ». Par
conséquent, le Conseil a considéré que « le protocole objet de
l’approbation s'insère dans le cadre de la réalisation de ces
objectifs » (Avis n° 32-2007 du 28 avril 2007).
Continuons la présentation de la jurisprudence du Conseil
concernant, toujours, les concepts prévus par l’article 5 de la
Constitution tels que le concept de " pluralisme".
22
Lors de son examen du projet de loi relatif au financement
public des partis politiques, le Conseil a fait observer que « les
dispositions soumises s’insèrent dans le cadre de l’objectif de
réalisation d’un principe constitutionnel prévu par l’article 5 de la
Constitution ». En effet, « il ressort du paragraphe 2 de l’article 5
de la Constitution que le pluralisme constitue un des fondements de
la République en tant que base de la construction de l’Etat et de la
société, de la consécration des libertés et de la réalisation de la
démocratie ». (Avis n° 80-2005 du 14 décembre 2005). Le Conseil
a adopté la même motivation pour dire que le projet de la loi
organique portant approbation du décret- loi relatif à la
composition des Conseil régionaux est compatible avec la
Constitution (Avis n° 73-2005 du 21 octobre 2005).
- Le concept de : « valeurs de solidarité et d’entraide »
Le nouveau concept constitutionnel (L’ancrage des valeurs de
solidarité et d’entraide entre les individus et les groupes) a permis
au Conseil de déclarer qu’il comporte des valeurs à la charge, non
seulement de l’Etat et des établissements publics, mais aussi des
individus.
Lors de son examen du projet de loi relatif à la promotion et à
la protection des personnes handicapées, le Conseil a proclamé que
« le projet de loi soumis, en prévoyant des sujétions spéciales à la
charge de l’Etat, des établissements publics et des particuliers,
s’insère dans le cadre de ce qui est prévu par le troisième
paragraphe de l’article 5 de la Constitution aux termes duquel,
l’Etat et la société œuvrent à ancrer les valeurs de solidarité et
d’entraide entre les individus, les groupes et les générations ».
Ce fondement a permis de justifier la reconnaissance de
privilèges, avantages et facilités au profit des personnes
handicapées, en matière d’emploi en leur réservant un taux
déterminé des recrutements (Avis n° 34-2005 du 23 juin 2005. A
propos du même fondement, cf. l’avis n° 26-2007 du 4 avril 2007).
***
23
- Le concept de : « La globalité des droits de l’homme » a
autorisé la discrimination positive
La fonction de texte de référence de l’article 5 de la
Constitution a permis au Conseil de faire évoluer sa lecture du
principe d’égalité prévu à l’article 6 de la Constitution. En effet, le
droit d’égalité est, désormais, regardé à travers les principes de
globalité, d’universalité, de complémentarité et d’interdépendance
des libertés et droits de l’homme et les valeurs de solidarité,
d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les
générations. Ces principes ont permis au Conseil de considérer la
discrimination positive et de l’admettre dans une lecture qui
combine les articles 5 et 6 de la Constitution.
Ainsi, dans son avis du 16 mars 2005 (Avis n°13-2005), le
Conseil a envisagé l’article 3 de la Charte arabe des droits de
l’homme qui était l’objet d’un projet de loi l’approuvant. Cet article
prévoyait que l’homme et la femme sont égaux en dignité humaine,
en droits et devoirs, dans le respect de la discrimination positive au
profit de la femme et que chaque Etat partie s’engage à prendre
toutes les mesures nécessaires pour assurer l’égalité des chances et
l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans la
jouissance de tous les droits prévus par la Charte.
Au début de sa motivation, le Conseil a rappelé le principe
d’égalité prévu par l’article 6 de la Constitution pour dire, ensuite,
que le premier paragraphe de l’article 5 de la Constitution prévoit
que la République tunisienne garantit les libertés fondamentales et
les droits de l’homme dans leur acception universelle, globale,
complémentaire et interdépendante. Il déduit, enfin, des deux
articles combinés, que l’engagement pris par la République
tunisienne, en vertu de la Charte arabe précitée d’assurer l’égalité
effective entre la femme et l’homme dans le cadre de la
discrimination positive au profit de la femme, «est compatible avec
ce qui est prévu par le premier paragraphe de l’article 5 de la
Constitution dans le cadre de la garantie de la globalité des droits
de l’homme et du moment que cette discrimination positive
n’affecte pas les droits fondamentaux garantis par la Constitution ;
24
a pour objectif unique de réaliser l’égalité effective entre la femme
et l’homme ; et est emprunte de proportionnalité entre le contenu
des législations en question et l’objectif précité et tant que ces
législations sont soumises au contrôle de la constitutionnalité quant
à leur contenu ». A cela s’ajoute le fait que la Charte elle-même
prévoit qu’il n’est pas permis de diminuer les droits acquis sur le
plan national.
***
Sur la base du même fondement et en adoptant les mêmes
garde-fous qu’il a fixés pour admettre la discrimination positive, le
Conseil a reconnu, la même semaine, la constitutionnalité des
dispositions d’un projet de loi qui institue une discrimination
positive au profit des personnes handicapées (Avis n°34-2005 du
23 juin 2005).
En somme, le Conseil voit, dans la discrimination positive au
profit de certaines catégories, une réalisation de l’égalité effective
et une consécration efficace du principe d’égalité et non une
atteinte à ce dernier. Mais, elle n’est admise que si les conditions
que le Conseil a déterminées et précisées, et notamment l’absence
d’atteinte à un droit fondamental, sont réunies.
A travers ces avis, vous pouvez constater que la révision
constitutionnelle de 2002 a eu pour effet d’élargir la base
constitutionnelle des droits fondamentaux et de les fonder sur des
valeurs et principes supérieurs, ce qui a permis, par voie de
conséquence, l’élargissement de l’examen du Conseil
constitutionnel et l’enrichissement du contenu de ses avis en
développant les modalités et l’efficacité du contrôle.
Néanmoins, le rang constitutionnel de tous les droits
fondamentaux ne signifie pas pour autant qu’ils sont des droits
absolus. Ils sont, en effet, des droits qui peuvent être limités en
vertu des prescriptions constitutionnelles elles-mêmes. Et c’est le
second aspect du contrôle de constitutionnalité.
25
II - L’EVOLUTION DU CONTROLE DES LIMITATIONS
LEGALES DES DROITS FONDAMENTAUX
Certains considèrent que le Constituant a affronté en 1959 un
problème qui consiste d’une part, dans la nécessité de reconnaître
les libertés pour lesquelles le peuple a milité en vue de l’obtention
de l’indépendance et d’autre part, la nécessité d’instaurer un Etat et
de le doter de l’autorité nécessaire pour réaliser l’œuvre nationale.
Ainsi, l’article 7 de la Constitution est venu consacrer le principe
de l’exercice de la plénitude des droits par les citoyens tout en
énonçant des limites à ce droit. En effet, l’article est rédigé dans les
termes suivants : « Les citoyens exercent la plénitude de leurs
droits dans les formes et conditions prévues par la loi. L’exercice
de ces droits ne peut être limité que par une loi prise pour la
protection des droits d’autrui, le respect de l’ordre public, la
défense nationale, le développement de l’économie et le progrès
social ».
En réalité, il ne s’agit pas, à nos yeux, d’une concurrence
entre deux objectifs, ni d’un conflit entre deux tendances, celle de
la liberté et celle de l’autorité lors de la proclamation d’une
République dont la première devise, faut-il le rappeler, est la liberté.
Bien au contraire, la rédaction de l’article précité ainsi que son
contenu témoignent d’une coexistence entre un principe et des
exceptions. Le principe étant le droit et la liberté, les exceptions
étant leurs limitations pour des raisons déterminées : « Les citoyens
exercent la plénitude de leurs droits dans les formes et conditions
prévues par la loi », c’est là le principe; « L’exercice de ces droits
ne peut être limité que par une loi », c’est l’annonce des exceptions
et de leurs fondements.
Il est clair que la même approche est adoptée dans la
rédaction de la plupart des articles de la Constitution qui consacrent
des droits fondamentaux. Tel est l’exemple de l’article 9 de la
Constitution qui dispose : « L’inviolabilité du domicile, le secret de
la correspondance et la protection des données personnelles sont
garantis, sauf dans les cas exceptionnels prévus par la loi ».
26
Il est également clair que même si la Constitution autorise le
législateur à limiter les droits fondamentaux, elle impose une
première garantie de nature formelle qui réside dans le caractère
législatif des exceptions et une seconde garantie de nature objective
d’après laquelle, la limitation doit être justifiée par la réalisation de
l’un des buts prévus par l’article 7 et retenus par la Constitution.
Néanmoins, la jurisprudence constitutionnelle a rencontré une
autre difficulté découlant du caractère complexe de la relation
émanant du principe et de ses exceptions. Cette difficulté peut être
résumée autour de la question suivante : n’y a-t-il pas de craintes
que les exceptions portent atteinte au principe, touchent son
contenu au point d’aboutir à sa disparition ? Cette question nous
invite à présenter avec plus de précision les lignes directrices
relatives à la limitation des droits fondamentaux de la part du
législateur, afin qu’elles soient respectueuses des dispositions de la
Constitution aussi bien en termes de compatibilité qu’en termes de
conformité. Il s’agit là d’une mission confiée au Conseil
constitutionnel qui s’est tenu aux normes explicites prévues par la
Constitution (il s’agit là de la première facette du contrôle de
limitation des droits) (A), tout en tenant compte de la nécessité de
prévoir des règles préservant la valeur supérieure des droits
fondamentaux reconnus par la Constitution (il s’agit là de la
deuxième facette du contrôle) (B).
A- Le contrôle de la forme et des objectifs de la loi
limitative :
Ces lignes directrices concernent, tel que nous l’avons
évoqué, la nature du texte comportant la limitation et son
fondement. Il s’agit donc de voir les moyens et les fins de la
limitation.
1- Les moyens de limitation des droits :
Les droits fondamentaux ne peuvent être limités que par une
loi. A ce propos l’article 28 de la Constitution exige que les lois
portant des limites aux droits fondamentaux prévus par les articles
27
8 (libertés politiques), 9 (inviolabilité du domicile, secret de la
correspondance et protection des données personnelles) et 10
(liberté de circuler et de fixer son domicile) aient caractère de lois
organiques.
Les autres droits constitutionnels tel que le droit de propriété,
celui de l’inviolabilité de la personne humaine et celui de l’égalité
peuvent être limités par une loi ordinaire.
Il est de tradition que le Conseil constitutionnel étende son
contrôle au plan de la forme en considérant que sa violation
constitue une non-conformité avec les dispositions de la
Constitution, ce qui soulève une inconstitutionnalité à dépasser.
A ce propos, il serait intéressent de citer quelques
illustrations :
Le premier exemple : L’avis n° 25 – 2000 du 2 juillet 2000
sur un projet de loi relatif à la promulgation du Code des
télécommunications. Le projet a comporté des dispositions relatives
au secret des communications et des informations transmissibles.
Le Conseil a d’abord considéré que le secret des
communications et des informations transmissibles rentre dans le
cadre du secret de la correspondance garanti par l’article 9 de la
Constitution, il s’agit donc d’une liberté individuelle garantie par la
Constitution. Il a ensuite déclaré qu’il ne pouvait pas être délimité
par une loi ordinaire, mais qu’il fallait se conformer aux
dispositions de l’article 28 de la Constitution en adoptant la forme
d’une loi organique.
Le deuxième exemple : L’avis n° 61- 2002 du 9 octobre 2002
sur un projet de loi relatif au soutien des efforts internationaux de
lutte contre le terrorisme. Le projet a comporté des dispositions
relatives à la perquisition tant que le nécessite la constatation des
infractions terroristes.
Le Conseil a considéré que « la prévision de cette exception
dans une loi ordinaire n’est pas conforme aux articles 9 et 28 de la
Constitution ». (Avis n°61-2002 du 9 octobre 2002)
28
Cette position a été renouvelée dans la jurisprudence du
Conseil relative à la garantie de l’inviolabilité du domicile en cas
de perquisition (exemple : Avis n° 74 -2005 du 21 octobre 2005 et
avis n° 56-2006 du 6 novembre 2006).
S’agissant du reste des droits, leur limitation est possible par
une loi ordinaire. Ce qui signifie l’impossibilité de les limiter par
un texte adopté par le pouvoir réglementaire. Le Conseil dispose à
ce propos d’une jurisprudence abondante. En effet, à titre
d’exemple, il a considéré que :
- Il n’est pas possible de limiter le droit du citoyen au travail
par référence à un texte à caractère réglementaire (Avis n°31-2003)
- L’exigence de l’obligation d’examen, de traitement et
d’hospitalisation affecte l’inviolabilité de la personne humaine ;
qu’elle doit, de ce fait, être régie par une loi et qu’il est
inadmissible de confier la détermination des maladies
transmissibles nécessitant un traitement obligatoire à un arrêté du
ministre chargé de la santé publique. (Avis n°27-2006)
- La limitation du droit de propriété en reconnaissant une
servitude aux opérateurs des réseaux publics de télécommunication,
ne peut être opérée par décret. (Avis n° 25-2000 du 12 juillet 2000)
Il s’agit là d’illustrations multiples, unifiées par l’idée que le
Conseil constitutionnel proclame que la limitation d’un droit
fondamental est, selon la Constitution, du ressort exclusif du
pouvoir législatif.
2- les motifs justifiant la limitation :
Le Conseil a prévu, de façon générale, que l’absence de l’un
des motifs prévus à l’article 7 de la Constitution constitue un cas de
non-conformité avec ses dispositions et par là même un cas
d’inconstitutionnalité. (Avis n° 14-2004 du 7 avril 2004 : limitation
du droit de la propriété)
Il a également prévu qu’ « il n’est pas possible de limiter
l’inviolabilité de la personne humaine que dans le cadre de ce qui
29
est prévu par l’article 7 de la Constitution ». (Avis n° 74-2001du 11
juillet 2001)
Ceci étant, on constate que les motifs de limitation obéissent
à la règle de l’interprétation limitative et qu’il ne serait pas possible
d’étendre leur champ.
Concrètement, le Conseil a exercé son contrôle sur les motifs
de limitation. Il a notamment considéré que :
- Les nécessités de « l’ordre public de la santé » autorisent la
limitation de la garantie de l’inviolabilité de la personne humaine :
«le droit de la personne humaine à la protection des informations
relatives à sa santé n’est pas un droit absolu ; il peut être limité eu
égard aux exigences de l’ordre public, dans les proportions
qu’exige ledit ordre public et de telle sorte que la garantie de
l’inviolabilité de la personne humaine ne soit pas vidée de son
contenu ». Le texte soumis au Conseil a imposé à certains
professionnels d’informer les autorités publiques sanitaires des
maladies transmissibles et de ne pas se prévaloir du secret
professionnel. (Avis n° 27-2006 du 27 mai 2006)
- Le Conseil a en outre considéré que la limitation des droits
des actionnaires des sociétés mutuelles de services agricoles « est
justifiée aussi bien par leurs objectifs de développement pour la
prospérité économique que par les prestations d’utilité publique
auxquelles elles s’adonnent et par leur gestion d’un service public
ou de propriétés publiques». (Avis n° 52-2005 du 8 août 2005)
Il a également démontré, à l’occasion d’un autre avis, que
« la prospérité économique et le développement social figurent
parmi l’ensemble des objectifs annoncés dans le préambule de la
Constitution et tel qu’ils ressortent de son article 7 ».
- « la prévision d’avantages financiers et fiscaux au profit
d’une catégorie d’investisseurs, dans des domaines économiques et
sociaux déterminés et pour des nécessités d’intérêt général, ne porte
atteinte au principe de l’égalité tant que ces dispositions concernent
une catégorie d’investisseurs et visent à réaliser la prospérité
30
économique et le développement social ». (Avis n° 72-2007 du 17
octobre 2007)
- Lors de l’examen d’un projet de loi organique comportant la
création d’un document de voyage spécial pour la «omra », le
Conseil a autorisé la limitation du droit reconnu par l’article 10 de
la Constitution à tout citoyen de circuler librement à l’intérieur du
territoire et d’en sortir, tant que «la limitation concerne un motif de
voyage déterminé et a été instituée par l’intérêt de l’ordre public».
Dans cette mesure, il a jugé la limitation compatible avec les
dispositions de l’article 7 de la Constitution. (Avis n° 70-2007 du 4
octobre 2007)
Les limitations dont la constitutionnalité a été retenue par le
Conseil, se diversifient en fonction du motif justifiant leur adoption
et prévu par la Constitution : droits d’autrui, sécurité publique et
défense nationale ou prospérité de l’économie et développement
social.
***
Cette diversité a démontré la nécessité d’imposer des
garanties supplémentaires inspirées de l’esprit des dispositions de
la Constitution et par la suprématie du principe de la garantie des
droits fondamentaux, afin d’instaurer un contrôle sur la portée des
limites.
B- Le contrôle de l’équilibre et de la proportionnalité :
Comment peut-on vérifier que les exceptions, dans leur
multiplicité, variété et dans l’étendue de leur portée, ne portent pas
atteinte à l’essence des principes et droits eux-mêmes ?
Le Conseil a adopté récemment, une nouvelle attitude qui
impose le contrôle des limites non sur le plan de la forme et de
l’opportunité seulement, mais également sur le plan de la portée
afin de déclarer leur compatibilité avec la Constitution.
- Lors de l’examen d’un projet de loi relatif aux maladies
transmissibles, contenant des dispositions obligeant certains
31
professionnels à déclarer ces maladies, le Conseil a signalé que la
limitation du droit de la personne humaine à la protection des
informations relatives à sa santé est possible « eu égard aux
exigences de l’ordre public de la santé, dans proportions qu’exige
ledit ordre public ». Il a ajouté que ceci doit être fait « de telle sorte
que la garantie de l’inviolabilité de la personne humaine ne soit pas
vidée de son contenu ». (Avis n° 27-2006 du 27 mai 2006).
- A l’occasion de l’examen du projet de la loi organique
relative à la protection des données personnelles, le Conseil a
constaté qu’il contient un article 4 qui écarte l’application de
plusieurs dispositions du projet contenant diverses garanties pour
les individus, relatives au « traitement des données personnelles par
les autorités, les collectivités territoriales et les établissements
publics à caractère administratif dans le cadre de la sécurité
publique, la défense nationale ou si elles s’avèrent nécessaires pour
l’exercice de leurs compétences ».
Le Conseil a considéré que «les exceptions ont été prévues
dans des termes généraux sans prévoir des contraintes et des limites
qui lient les organismes concernés dans leur traitement des données
personnelles…surtout que les dispositions générales du projet
soumis confirment l’impossibilité de traiter les donnés personnelles
en dehors du cadre de la transparence, de la fidélité et du respect de
la dignité de l’Homme ».
Le Conseil a constaté que «même si les exceptions prévues
dans l’article 4 du projet concernent des personnes publiques, elles
s’étendent aux principes généraux et leur portent atteinte, ce qui est
incompatible avec les dispositions de l’article 9 de la Constitution ».
(Avis n°27-2004 du 9 juin 2004)
- Par ailleurs, et lors de l’examen du projet de loi de finances
qui lui a été soumis, contenant un article qui prévoit le transfert au
profit de l’Etat des bijoux objets de gage, en garantie des prêts
octroyés par le Trésor et dont les propriétaires (débiteurs gagistes)
ne se sont pas présentés pour les reprendre après l’écoulement
d’une période de dix ans, le Conseil a considéré que « l’article 14
32
de la Constitution, tout en ayant garanti le droit de propriété, ne l’a
pas considéré un droit absolu, il a toutefois autorisé sa limitation »,
il a surtout ajouté que «la limitation ne peut aboutir à la perte par le
propriétaire de son droit et que l’absence de garanties permettant
aux propriétaires d’éviter ce transfert à l’Etat et de payer leurs
créances, est incompatible avec les dispositions de l’article 14 de la
Constitution ». (Avis n°43-2004 du 5 novembre 2004, suivi de
l’avis n° 46-2004 du 11 novembre 2004)
- Concernant également le droit de la propriété, le Conseil a
considéré que « la limitation qui affecte la garantie exigée en
matière de droit de propriété et qui consiste à respecter sa valeur
vénale du bien, soulève une inconstitutionnalité pour
incompatibilité avec les dispositions de l’article 14 de la
Constitution » (Avis n°16-2005 du 13 avril 2005).
- Dans un autre avis et à l’occasion de l’examen du projet du
Code des douanes, le Conseil a considéré à propos de la disposition
qui autorise l’administration des douanes à exercer une mainmise
unilatérale sur des immeubles ou des locaux privés sans
l’autorisation préalable de leur propriétaire, que « pareille
exception rompt l’équilibre puisqu’elle donne à l’administration
une possibilité constitutive d’une quasi emprise, ce qui ne permet
pas d’accorder à de tels actes limitatifs, la légitimité
constitutionnelle par leur simple insertion dans une loi » (Avis n°22007 du 24 janvier 2007).
Ces illustrations démontrent que le Contrôle exercé par le
Conseil dépasse l’aspect formel et s’étend à la portée, à l’équilibre
et à la proportionnalité.
D’ailleurs, le Conseil a exprimé dans cet avis l’intérêt qu’il
porte au contrôle de la proportionnalité et de l’équilibre entre les
préoccupations du respect du droit fondamental et du motif qui
justifie sa limitation, en énonçant, à plusieurs reprises, que « la loi
qui délimite le droit… ne doit pas se cantonner à mettre des
entraves relatives à l’exercice du droit mais doit établir des
procédures qui garantissent en elles-mêmes un équilibre entre les
exigences de respect de ce droit et le fondement qui justifie sa
33
limitation, selon l’appréciation du législateur et sous le contrôle du
Conseil constitutionnel ». (Avis n° 2-2007 du 24 janvier 2007 et
l’avis n° 48-2007 du 27 juin 2007)
Ceci étant, il ne faut pas que le contrôle de la proportionnalité
et de l’équilibre se transforme en un contrôle d’opportunité qui
relève de la seule appréciation du législateur ; autrement dit, le
contrôle de l’équilibre signifie pour le Conseil, le contrôle du
déséquilibre manifeste.
Le Conseil a mis en oeuvre ce contrôle, soit pour constater
une inconstitutionnalité, soit pour affirmer la constitutionnalité de
la limite.
A travers ces exigences, le Conseil constitutionnel réaliserait
fort probablement une meilleure compatibilité avec le principe de
garantie des droits fondamentaux et sa suprématie, afin que les
exceptions ne leur portent pas atteinte et n’en déforment pas leur
essence.
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