Le Controle de la Constitution
Transcription
Le Controle de la Constitution
République Tunisienne Conseil Constitutionnel « Contrôle de la constitutionnalité des lois et droits fondamentaux » le professeur Mohamed Kamel Charfeddine Membre du Conseil Constitutionnel 2 Le contrôle de la constitutionnalité des lois et les droits fondamentaux Mohamed Kamel CHARFEDDINE Professeur universitaire et membre du Conseil constitutionnel Les droits fondamentaux sont consacrés dans la plupart des textes internationaux modernes. Les juristes sont pratiquement unanimes à dire que les droits des individus sont « fondamentaux », non seulement eu égard à leur consécration dans la Constitution, mais également vu l’importance des valeurs et des principes humains qu’ils renferment. En acquérant une valeur constitutionnelle, ces droits sont projetés dans les diverses lois émanant du pouvoir législatif, par l’effet du principe de la hiérarchie des normes développé depuis le début du dernier siècle par l’auteur autrichien Hans Kelsen, principe soumettant la totalité de la législation à la Constitution en tant que norme supérieure dans la hiérarchie. Il est aujourd’hui également admis que la conformité et la compatibilité des lois avec les dispositions de la Constitution peuvent être garanties par l’existence d’une autorité chargée de contrôler la constitutionnalité des lois. *** 3 L’Assemblée Constituante n’a fait état, dans ses délibérations, du contrôle de la constitutionnalité des lois que de façon incidente. Le texte de la Constitution du 1er juin 1959 a, finalement, écarté ce contrôle. Les constituants ont, peut-être, considéré que les représentants du peuple et les institutions du nouvel Etat créé, ne peuvent enfreindre les dispositions de la Constitution. Mais dès la première décade, est apparue, dans la société, une réclamation de contrôle de la constitutionnalité des lois, et notamment celles consacrant les libertés publiques et les droits fondamentaux comme la loi sur les associations ou la loi relative à la presse. C’était à la fois une revendication politique et un moyen de défense évoqué dans certaines affaires devant les tribunaux, ce qui a nourri une controverse théorique et juridictionnelle concernant la compétence du juge ordinaire en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois. Le 16 décembre 1987, c’est-à-dire quelques semaines après le changement, une évolution importante a eu lieu avec la création de la première institution chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois, dénommée à cette date «Conseil constitutionnel de la République». Après quelques années d'activité, cette institution a accédé au rang constitutionnel par l’effet de la révision constitutionnelle en date du 6 novembre 1995 qui a consacré au Conseil constitutionnel tout le chapitre neuf de la Constitution. En 1998, une nouvelle modification de la Constitution a prévu le caractère obligatoire des avis du Conseil. Cette évolution, continue, a été couronnée par la loi constitutionnelle du 1 juin 2002 qui a élargi la base des droits fondamentaux dans la Constitution. Les nouvelles dispositions ont en outre élargi les attributions du Conseil constitutionnel et consolidé son indépendance. Le régime actuel du contrôle de la constitutionnalité des lois se caractérise par trois traits distinctifs faisant ressortir les aspects de ce contrôle et ses caractéristiques. Je vous les présente comme introduction générale du sujet. 4 1) Consécration de l’indépendance du Conseil constitutionnel Le Conseil constitutionnel se compose de neuf membres dont six, y compris le Président du Conseil, sont nommés pour une durée de trois années renouvelable deux fois. Les trois autres sont des membres ès qualités. Ce sont le Premier président de la Cour de cassation, le Premier président du Tribunal administratif et le Premier président de la Cour des comptes. Pour garantir l’impartialité totale des membres du Conseil, le sixième paragraphe de l’article 75 de la Constitution prévoit ce qui suit : « Les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent pas exercer des fonctions gouvernementales ou parlementaires. Ils ne peuvent pas non plus assumer des fonctions de direction politique ou syndicale ou exercer des activités susceptibles de porter atteinte à leur neutralité ou à leur indépendance. » Par habilitation de la Constitution, la loi organique du Conseil parue le 12 juillet 2004, a ajouté d’autres cas d’incompatibilité avec la fonction desdits membres. 2) Des attributions élargies du Conseil constitutionnel concernant le contrôle des projets de loi a priori Le Conseil est saisi des projets de loi sur initiative du Président de la République. Le contrôle comprend les projets de loi organiques et de loi ordinaires. Il comprend également les amendements qui leur sont apportés au moment de leur adoption par le pouvoir législatif, avant la promulgation de la loi par le Président de la République. Le contrôle exercé est un contrôle préventif, intervenant avant la promulgation c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi. C’est un contrôle qui vise à s’assurer de la conformité et de la compatibilité du texte examiné avec les prescriptions de la Constitution. Le Conseil émet alors un avis motivé et obligatoire, qui est publié au Journal officiel. 5 Il apparaît de ce qui précède que le droit constitutionnel tunisien se caractérise par la distinction entre le contrôle de conformité et le contrôle de compatibilité. • Dans le contrôle de conformité, il s’agit de se limiter au texte de la Constitution, à ses principes et à ses règles et de soumettre le projet de loi examiné à ces prescriptions, selon une logique déductive, afin de vérifier l’existence ou l’inexistence de la conformité. Si la non-conformité se vérifie, une inconstitutionnalité est alors soulevée, mettant en avant la disposition constitutionnelle méconnue et en quoi consiste la violation. • Quant au contrôle de compatibilité, il procède d’une vision plus large qui consiste à examiner la compatibilité entre, d’une part, les fondements et les choix sur lesquels repose la Constitution, c’est-à-dire les principes et les valeurs constitutionnellement consacrés et, d’autre part, les dispositions du projet de loi soumis qui seront ainsi examinées du point de vue de la compatibilité et de l’harmonie. On s’interroge ici à propos de l’étendue de la compétence du Conseil dans le contrôle des projets de loi : est-ce que tous les projets sont soumis à l’examen préalable du Conseil ? La réponse à cette question importante se trouve dans l’article 72 de la Constitution. Cet article prévoit la règle de la saisine obligatoire du Conseil constitutionnel «pour les projets de loi organiques …ainsi que les projets de loi relatifs… à la nationalité, à l’état des personnes, aux obligations, à la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables, à la procédure devant les différents ordres de juridictions, à l'amnistie, ainsi qu'aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels, de l'enseignement, de la santé publique, du droit du travail et de la sécurité sociale. » Ainsi, l’examen du Conseil constitutionnel sur la base de la saisine obligatoire s’étend quasiment à la totalité des projets ayant trait aux droits fondamentaux des individus. 6 Certes, le contrôle se rapporte, uniquement, aux dispositions de la Constitution. Mais l’organisation pyramidale des textes est, en soi, d’ordre constitutionnel. En effet, les traités internationaux remplissant les conditions requises ont, selon l’article 32 de la Constitution, «une autorité supérieure à celle des lois ». Il s’agit d’une règle impérative dont le respect s’impose, ce qui implique le contrôle de la constitutionnalité des projets de loi de ce point de vue également. Un tel contrôle vise, avant tout, à assurer le respect de la règle constitutionnelle. La même démarche prévaut pour ce qui est de la supériorité de la loi organique par rapport à la loi ordinaire. 3) La nature conforme des avis du Conseil constitutionnel L’article 75 de la Constitution définit clairement la nature de ces avis : « l’avis du Conseil constitutionnel doit être motivé. Il s’impose à tous les pouvoirs publics ». Ces prescriptions constitutionnelles appellent certaines observations : - La motivation des avis du Conseil a de précieux avantages. Elle souligne l’inconstitutionnalité et sa nature (non conformité ou incompatibilité), la situe dans le projet soumis et fait état de ses motifs, ce qui facilite la résolution du problème de constitutionnalité. La motivation peut, le cas échéant, être positive. Le Conseil souligne alors la conformité ou la compatibilité, avec la Constitution, des dispositions qui nécessitent une telle motivation. Par ailleurs, le procédé de la publication des avis du Conseil au Journal officiel de la République tunisienne depuis 2004 représente un renforcement de leur utilité et une participation enrichissante à la consolidation de la culture juridique. Le fait que l’avis s’impose à tous les pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel est une réalité effective. Cette solution ne contredit pas, par ailleurs, la fonction consultative de l’institution. La question est clairement résolue par l’article 75 de la Constitution dont les termes absolus signifient que l’avis s’impose 7 à tous les pouvoirs : législatif, exécutif et juridictionnel. Pour le pouvoir législatif, cette autorité découle aussi bien de l’article 75 précité que du troisième paragraphe de l’article 52 autorisant le Président de la République à différer la promulgation de la loi jusqu’après l’adoption des amendements apportés au projet sur la base de l’avis du Conseil constitutionnel. Pour le pouvoir exécutif, ladite autorité découle, également, des dispositions de l’article 23 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel exigeant de lever les inconstitutionnalités qui affectent le projet de loi avant de le transmettre au pouvoir législatif. Dans l’exercice de sa mission et tout en s’en tenant à la légalité constitutionnelle, le Conseil a œuvré pour l’enrichissement du contenu des droits fondamentaux consacrés par la Constitution (I), tout en précisant les exceptions pouvant concerner lesdits droits (II). I- EVOLUTION DU CONTROLE DU CONTENU CONSTITUTIONNEL DES DROITS FONDAMENTAUX Dés sa parution le 1 juin 1959,la Constitution prévoit, de façon explicite, plusieurs droits et libertés fondamentales, tels que le droit au travail, à la santé, à l’instruction et à la protection de la famille (préambule), l’inviolabilité de la personne humaine et la liberté de conscience (article 5), l’égalité en droits et en devoirs et devant la loi (article 6), les libertés d’opinion, d’expression, de presse, de publication de réunion et d’association ainsi que le droit syndical (article 8), l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance (article 9), la liberté de circuler à l’intérieur du territoire et d’en sortir (article 10), le droit de se défendre (article 12) , la personnalité de la peine (article 13), le droit de propriété (article 14) et le droit d’élire et d’être candidat (article20). *** Dans le cadre de l’examen des projets de loi depuis 1987 jusqu’à aujourd’hui, le Conseil a émis des centaines d’avis dont 8 bon nombre se réfèrent aux prescriptions de ce bloc constitutionnel traditionnel, ce qui a permis de mieux préciser ses contours et enrichir son contenu. Avec la révision de la Constitution en 2002, est apparu un nouveau bloc constitutionnel rénovant et consolidant, de façon remarquable, le profil des droits fondamentaux des individus, en prévoyant le droit à la protection des données personnelles (article 9) qu’est venu confirmes la loi organique du 27 juillet 2004 ainsi que le droit de tout individu ayant perdu sa liberté à être traité humainement, dans le respect de sa dignité (article 13) et surtout en intégrant dans l’article 5 de la Constitution un pacte général des droits fondamentaux des individus . L’enrichissement des prescriptions constitutionnelles, a eu sans doute, un effet important sur l’élargissement de l’examen du Conseil dans son contrôle de la constitutionnalité des lois. Cette distinction chronologique et substantielle permet de diviser la présentation de la jurisprudence du Conseil en deux sections. La première se réfère aux règles constitutionnels originelles (A). Quant à la seconde, elle se fonde sur les règles constitutionnelles récentes (B) A- La référence aux dispositions constitutionnelles originelles prévues par la Constitution depuis 1959 La Constitution prévoit dans sa version d’origine à peu près la totalité des droits fondamentaux communs aux peuples attachés à la dignité de l’Homme, à la justice et à la liberté. La Constitution du 1er juin 1959 représente une réalisation d’une ambition nationale après une longue lutte pour l’indépendance du pays. Elle représente également une déclaration de la part du pouvoir constituant soucieux de doter la Tunisie d’une Constitution qui garantit l’inviolabilité de la personne humaine, ses droits et ses libertés. 9 Le Conseil constitutionnel s’est appliqué, depuis sa création le 16 décembre 1987, à assurer la conformité entre le texte constitutionnel et les projets de loi qui lui sont soumis, ce qui lui a permis, vu la diversité des questions et des thèmes prévus par ces projets, de former une jurisprudence constitutionnelle en évolution permanente et qui embrasse pratiquement la totalité des droits constitutionnels fondamentaux. En témoignent des exemples ayant trait au suffrage direct, au droit au travail, au droit à l’égalité, à la garantie de l’inviolabilité du domicile au droit de défense et au droit de propriété. Ce sont des exemples choisis de la jurisprudence du Conseil durant vingt ans. 1- Le droit au suffrage direct En 1993, le Conseil constitutionnel a eu à examiner un projet de loi organique modifiant et complétant le code électoral. Ce projet prévoyait que chaque parti ayant obtenu des sièges dans le cadre de la distribution nationale est tenu de présenter au ministre de l’intérieur une liste de noms égale au nombre des sièges obtenu, à condition que ces noms soient parmi les candidats. Le Conseil constitutionnel a considéré que « ces dispositions permettent à chaque parti ayant obtenu un siège ou plus lors de la distribution nationale de se substituer aux électeurs dans le choix d’un membre ou plus de la Chambre des députés, ce qui n’est pas conforme aux dispositions de la Constitution prévoyant, explicitement, l’élection des membres de la Chambre des députés au suffrage direct, le caractère direct de l’élection excluant tout intermédiaire entre l’électeur et l’élu » (avis en date du 15 octobre 1993). Sans doute, le fait d’exiger le respect du droit du citoyen au suffrage universel sans aucun intermédiaire protège une règle constitutionnelle qui a fait l’unanimité au sein de l’Assemblée Constituante et apparaît dans ses délibérations comme une évidence. 10 2- Le droit au travail La Constitution consacre, dans son préambule, le droit du citoyen au travail. Dans un avis émis en 2003 (avis n° 31-2003 en date du 30 avril 2003), le Conseil constitutionnel a considéré que cette consécration constitutionnelle aboutit à contrôler les dispositions du projet de loi soumis qui prévoit une peine accessoire consistant en une privation de l’exercice d’une activité du transport terrestre dans certains cas qui seront déterminés par décret, ce qui est, selon le Conseil, incompatibles avec le préambule de la Constitution. Ainsi, le Conseil appelle, en quelque sorte, le pouvoir législatif à épuiser la totalité de sa fonction de légiférer. La même inconstitutionnalité a été soulevée par le Conseil pour ce qui est du droit à la santé prévu également par le préambule de la Constitution, à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité du projet de loi modifiant et complétant la loi relative aux maladies transmissibles (avis n° 27-2006 du 27 mai 2006). 3- Le principe d’égalité L’égalité entre les individus était et demeure une notion séduisante et une ambition de tous les peuples. L’égalité n’est-elle pas le fondement de la justice et la source de toutes les libertés ? Quelle est donc la signification de l’égalité et quel est son contenu ? La Constitution tunisienne consacre ce principe dans son préambule et dans son article six, en adoptant une formulation claire selon laquelle « tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi». Ainsi, le principe de l’égalité apparaît comme renfermant deux aspects complémentaires. Le premier, celui de l’égalité devant la loi, est un principe fondamental intangible. Il exprime l’idée même de justice. Le second, celui l’égalité des droits et des devoirs, soulève pour les conseils et les tribunaux constitutionnels diverses difficultés d’interprétation. La Constitution permet, elle même, une 11 certaine discrimination en autorisant l’amnistie et en prévoyant l’équité. Le Conseil constitutionnel se réfère à ce droit fondamental depuis des années. Il l’a fait tout en enrichissant son contenu et en faisant évoluer sa signification. A ce sujet, il est unanimement admis que le droit des individus à l’égalité des droits et des devoirs n’est pas absolu. La constitutionnalité de ce droit n’interdit pas au législateur de consacrer des dispositions déterminées à une catégorie autonome. En effet, est-il concevable d’évoquer l’atteinte à l’égalité lorsque sont prises pour les mineurs, les médecins ou les fonctionnaires, des dispositions spéciales tentant compte de leurs intérêts et fixant leurs obligations, eu égard à la spécificité et à l’autonomie de leurs situations juridiques ? La différence entre les situations juridiques justifie une différence dans le traitement. On voit ainsi la difficulté que rencontre toute justice constitutionnelle et qui consiste à déterminer la signification de la catégorie autonome, afin de distinguer entre les cas où les impératifs du droit à l’égalité sont ou ne sont pas respectés. Le Conseil admet de façon générale que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie des dispositions différentes en fonction de situations différentes» (avis n°59-2006 du 2 novembre 2006). Mais il annonce aussitôt son contrôle des critères déterminant la catégorie et fondant la discrimination retenue. Si ces critères ne sont pas objectivement déterminés, il s’agira, selon lui, d’une atteinte au droit à l’égalité, contraire aux dispositions de l’article six de la Constitution (avis n°42-2007 du 6 juin 2007). A l’inverse, ne porte pas atteinte à l’égalité, le fait de prévoir des dispositions qui déterminent des conditions et des critères objectifs et précis, mettant en avant l’autonomie de la catégorie bénéficiaire des dispositions de la loi par rapport au reste des individus (avis n° 15-2006 du 14 avril 2006). Lors de l’examen d’un projet de loi modifiant certaines dispositions du Code du travail, relatives aux représentants des salariés et aux représentants syndicaux et prévoyant, pour eux, des 12 mesures particulières visant leur protection du licenciement abusif, le Conseil constitutionnel a clairement précisé sa position en ces termes : « …les facilités et la protection spéciale prévues au profit des … représentants du personnel… n’affectent pas le principe d’égalité avec le reste des salariés de l’entreprise, du moment que, de par leur qualité, lesdits représentants appartiennent a une catégorie spéciale de personnel reposant sur des considérations objectives, leur qualité ainsi que la nature de leurs missions dans la défense des droits des travailleurs les mettent, par ailleurs, dans une situation nécessitant leur protection lors de l’exercice desdites missions » (avis n° 63-2006 du 20 décembre 2006 et également l’avis n° 64-2006 du 20 décembre 2006). Il est clair que le contrôle du Conseil ne s’est pas limité aux seules considérations objectives justifiant l’existence d’une catégorie spéciale de personnel. Il s’est étendu aussi, à ses caractéristiques réelles au regard de la nature des missions du personnel appartenant à cette catégorie. Dans un autre avis remarquable, sur un projet de loi portant amnistie d’infractions de change et fiscales, le Conseil affirme qu’ « en autorisant l’amnistie, la Constitution a entendu par là même qu’il est dans la nature du texte, portant dans le cas présent sur les infractions de change et fiscales, de porter atteinte au principe d’égalité affirmé par son article 6 ». Mais, le Conseil précise, néanmoins, que l’autorisation de la Constitution, dans ce cas, se fonde sur « un souci de satisfaire à un intérêt général selon l'appréciation du législateur » (Avis n° 23-2007 du 23 mars 2007). Le Conseil a déclaré, à plus d’une occasion, que le droit d’égalité ne s’accommode pas d’une discrimination qui porte atteinte à un droit fondamental de l’individu. En 2006, le Conseil a examiné un projet de loi consacrant de nouvelles garanties au profit des victimes et des responsables civils défendeurs en cassation dans les affaires mettant en cause des crimes. Mais, le projet n’a pas étendu ces garanties à ces mêmes personnes dans les affaires mettant eu cause des infractions autres que les crimes. Le Conseil a considéré que cette distinction ne repose pas sur des justifications 13 juridiques ou de fait parce qu’elle prive certaines victimes et responsables civils du bénéfice des nouvelles garanties. De plus, ladite distinction n’est pas conforme au droit d’égalité devant la loi. Il est certain que le Conseil a considéré la distinction inadmissible parce qu’elle ne repose pas sur des critères objectifs précis et parce qu’elle porte atteinte à un droit fondamental a savoir le droit d’accès à la justice qui découle du principe d’égalité devant la loi et, en l’espèce, devant le service de la justice judiciaire (Avis n° 442006 du 4 septembre 2006). 4- La garantie de l’inviolabilité du domicile Le droit à la garantie de l’inviolabilité du domicile et du secret de la correspondance est parmi les droits fondamentaux prévus par la Constitution de 1959 dans son article 9. Le Conseil constitutionnel a toujours imposé le respect de ce droit fondamental et ce d’une manière constante depuis plusieurs années. Dans plusieurs avis, le Conseil affirme, notamment, que l’inviolabilité du domicile implique que l’accès aux locaux d’habitation à fin de perquisition soit soumis au contrôle du juge en ce sens que la perquisition soit le fait du juge d’instruction lui-même ou des officiers de la police judiciaire désignés par la loi, dans le cadre d’une commission rogatoire, et ce à l’exception du cas de flagrant délit. Le Conseil a déduit la nécessité de ces garanties, et notamment le contrôle du juge, des exigences découlant de la notion de la garantie de l’inviolabilité du domicile telle que consacrée par la Constitution et des dispositions relatives à l’accès aux locaux d’habitation pour la perquisition par des agents habilités à cet effet par la loi. Ainsi, le Conseil fait de l’intervention de la justice une garantie fondamentale de l’inviolabilité du domicile en cas de perquisition. 5- Le droit de la défense Il ressort de la lecture de l’article 12 de la Constitution que le droit de la défense est l'un des droits fondamentaux prévus pour tout suspect en matière pénale. 14 Depuis des années, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a été marquée par une tendance vers l’élargissement du domaine du droit de la défense qui intéresse, outre les sanctions pénales, les sanctions administratives et les procédures disciplinaires et conservatoires pouvant toucher les titulaires de droits, bien qu’elles n’aient pas un caractère pénal. D’un autre côté, le Conseil constitutionnel a considéré que la motivation des décisions est l'une des exigences du droit de la défense dans la mesure où l’obligation de motiver les décisions de la commission de discipline permettant à l’intéressé d’exercer ses recours et à la justice d’exercer son contrôle, dérive de la règle du respect des droits de la défense d’une part et pour l’exercice de son contrôle par la justice, d’autre part » (Avis n° 50-2007 du 27 juin 2007). De plus, le Conseil a considéré que « la saisine se situe au cœur de la procédure relative au jugement, ce qui exige d’offrir les garanties suffisantes au saisi pour l’exercice de son droit à se défendre ». Il en déduit que « le fait pour les agents appelés à constater les infractions de saisir les instruments de mesure sans rédiger, à cet effet, un procès verbal, rend les prescriptions du projet de loi soumis incompatibles avec l’article 12 de la Constitution » (Avis n°44-2007 du 6 juin 2007). Le Conseil a montré, le même jour, que « l’établissement des procès-verbaux et leur opposabilité influence le cours du procès ce qui exige que les procès –verbaux contiennent des mentions susceptibles de garantir les droits de la défense ». Par conséquent, le Conseil a considéré que « si les dispositions soumises ont prévu l’établissement du procès-verbal et précisé ses mentions, elles n’ont pas prévu l’obligation de mentionner l’identité, la qualité et la signature de l’auteur du procès-verbal, ce qui rend ce document amputé de formalités susceptibles de priver le contrevenant de l’une des garanties nécessaires à sa défense, le cas échéant, et les dispositions en question du projet de loi incompatibles avec l’article 12 de la Constitution» (Avis n° 47-2007 du 6 juin 2007). Le droit de la défense est lié à un autre droit fondamental à savoir la consécration de la présomption d’innocence. En effet, 15 l’article 12 de la Constitution dispose que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à la suite d’une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense ». Et pour plus de garanties des droits du suspect, la Constitution a consacré depuis 1959 le principe de légalité des crimes, des délits et des peines qui lui sont applicables ainsi que celle des contraventions pénales sanctionnées par des peines privatives de liberté. La Constitution rejoint, ainsi, les exigences, des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et tous les instruments internationaux ultérieurs. Ces principes constitutionnels ont marqué la ligne de contrôle tracée par le Conseil constitutionnel, depuis sa création en 1987, concernant les projets de loi qui lui sont soumis, et ce d’une manière constante dans des dizaines d’avis. Le Conseil a considéré que du principe de légalité des infractions et des peines résultent deux garde-fous du contrôle de constitutionnalité : Le premier est formel et impose l’exclusivité de la compétence législative dans la détermination des crimes, des délits et des peines qui leur sont applicables. Dans son avis du 26 septembre 1991, le Conseil a considéré que « le principe de légalité des délits et des peines prévu par l’article 13 de la Constitution a été consacré parce qu’il touche directement aux libertés individuelles et empêche le pouvoir réglementaire de déterminer les éléments de l’incrimination ». Le Conseil en déduit, par conséquent, que « les dispositions de l’article premier du projet de loi qui prévoient que toutes les matières et préparations déterminées par un arrêté du ministre de la santé publique "constituent des stupéfiants" et sont régies par la présente loi, sont des dispositions qui ne sont pas conformes à la Constitution parce qu’elles renvoient au pouvoir réglementaire, la détermination de l’élément matériel de l’infraction relative aux stupéfiants ce qui est contraire au principe de légalité ». Le deuxième garde-fou concernant le contrôle de constitutionnalité du principe de légalité a été proclamé par le 16 Conseil depuis le 16 octobre 1996 (Avis concernant un projet de loi relatif à la responsabilité et au contrôle technique dans le domaine de la construction). Dans son avis du 16 octobre 1996, le Conseil affirme que « le principe de légalité exige la précision et la clarté dans la détermination des infractions et des peines qui lui sont applicables afin de protéger les libertés individuelles ». En fait, les dispositions pénales ne s’accommodent ni de la généralité ni de l’ambiguïté dans l'incrimination, la précision est exigée pour déterminer le fait incriminé (voir par exemple, l’avis n° 13-2000 du 5 avril 2000). Prenons un exemple : Lors de son examen du projet de loi modifiant et complétant le Code pénal, concernant la répression des atteintes aux bonnes mœurs et de l’harcèlement sexuel, et qui prévoit qu’est puni de l’emprisonnement « quiconque attire publiquement l’attention » et par n’importe quel moyen, sur une occasion de commettre la débauche, le Conseil a considéré que « l’expression "attirer l’attention" inclut des comportements, des paroles et des gestes susceptibles d’interprétations divergentes quant à savoir s'ils constituent des faits incriminés ». Et le Conseil d’ajouter que « le principe de légalité des délits et des peines consacré par l’article 34 de la Constitution exige la précision dans la détermination des faits incriminés ». Il explicite, également, qu’il « ressort de l’exposé des motifs annexé au projet de loi soumis, que ledit exposé s’attaque aux faits de nature à " attirer l’attention ", ce qui confirme l’ambiguïté du texte, son manque de précision et l’incapacité de l’expression à exprimer le sens voulu » . Il rappelle que « la règle de la précision dans l’incrimination pénale exige la détermination des faits incriminés dans la loi ellemême et l’utilisation d’une formulation linguistique montrant clairement et sans équivoque le sens visé par le législateur pour la détermination de n’importe quel élément de l’infraction si bien que cette détermination soit suffisante en elle-même ». Il en déduit, par conséquent, que « sur la base de ce qui précède, la formulation de l’alinéa 2 de l’article 226 (bis) du projet 17 soumis est incompatible avec l’article 34 de la constitution » (Avis n° 20-2004 du 12 mai 2004). La précision est exigée, également, dans l’imputation, dans le lien entre la peine et l’obligation à la charge des personnes intéressées (Avis n° 13-2001 du 31 janvier 1994) et dans la détermination de la peine applicable (tel que le renvoi général aux dispositions du Code pénal sans détermination précise de la peine applicable) (par exemple, l’avis du 2 février 2000). *** Ces exemples jurisprudentiels traduisent clairement l’attitude du Conseil vis- à- vis des principes et notions constitutionnels. Seule la détermination de ces notions et la déduction de leurs exigences permet un contrôle efficace de la constitutionnalité du texte soumis, même si l’examen se rapporte à ses détails. En effet, l’inconstitutionnalité peut être soulevée d’un seul mot parce que sa formulation n’est pas précise ou parce qu’elle est inappropriée. Ainsi, frapper les héritiers d’une sanction pénale et prévoir qu’elle les atteint « solidairement » constitue, selon le Conseil, une incrimination qui porte atteinte au principe de la personnalité de la peine et à la présomption d’innocence parce que, remarque le Conseil, elle permet de sanctionner des personnes dont la responsabilité pénale n’est pas certaine (Avis n° 50-2003 du 3 octobre 2003). Cela dit, le projet de loi doit être modifié pour que ses dispositions soient conformes avec la Constitution et ses principes. 6- Le droit de propriété On retrouve la même approche à propos d’un autre droit fondamental qui est le droit de propriété. La formule de l’article 14 de la Constitution a résumé les riches débats au sein de l’Assemblée Constituante : « Le droit de propriété est garanti. Il est exercé dans les limites prévues par la loi ». La Constitution a prévu, d’autre part, dans son article 34 que la loi détermine les 18 principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels. Dans plusieurs avis, le Conseil a soulevé des inconstitutionnalités touchant au droit de la propriété privée. Il a rappelé, notamment, que : 1/ L’exercice de ce droit ne relève pas du pouvoir réglementaire ce qui fait que la reconnaissance d’une compétence générale, au ministère chargé du patrimoine, pour ajouter des règlements relatifs aux abords des monuments historiques, sans déterminer les procédures d'édiction de ces règlements ou le contenu de ces dernières dans le texte de loi, est incompatible avec le principe de la garantie du droit de propriété et avec ce que prévoit l’article 34 de la Constitution (Avis du 27 octobre 1992) . 2/ « L'exercice » du droit de propriété inclut tous les pouvoirs reconnus au propriétaire, du droit d’acquisition jusqu’à celui de disposition (Avis n° 17-2005 du 13 avril 2005). 3/ La garantie constitutionnelle du droit de propriété privée ne concerne pas la propriété immobilière uniquement, mais aussi les meubles tels que les bijoux objets de gage (Avis n° 46-2004 du 5 novembre 2004) ou les actions des sociétés (Avis n° 522005 du 8 août 2005). 4/ « Le non-respect de la valeur vénale du droit de propriété » est incompatible avec les dispositions de la Constitution (Avis n° 16-2005 du 13 avril 2005). Il est clair que cette approche large de l’examen du Conseil permet d’étendre le contrôle du Conseil et de protéger plus efficacement l'un des droits fondamentaux de l’individu. B – L’enrichissement du système constitutionnel des droits fondamentaux depuis 2002. L’approche tunisienne des droits fondamentaux de l’homme s’est fondée sur la conviction ferme que les différentes catégories de droits fondamentaux sont interdépendantes et complémentaires. 19 Cette orientation s’est manifestée dès les premières années du Changement . L’Etat ayant opté pour une démarche sûre mais progressive pour éviter tout retour en arrière ou reflux, cette volonté a conduit à un enrichissement substantiel des dispositions de la Constitution en vertu de la loi de révision constitutionnelle du 1er juin 2002 approuvée par référendum. Il s’agit d’une révision constitutionnelle importante qui a concerné 39 des 78 articles formant la Constitution. La réforme constitutionnelle a eu divers objectifs. Il s’agit, en matière des droits fondamentaux, des deux suivants : - Le premier a consisté en l’élaboration d’un pacte de ces droits dans les dispositions de la Constitution elle-même, c’est ce qui s’est réalisé par l’ajout de trois paragraphes en tête de l’article 5 qui a condensé la philosophie de l’approche tunisienne moderne des droits de l’homme dans des règles claires. Je voudrais rappeler ces nouvelles dispositions littéralement : • « La République tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l’Homme dans leur acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante. La République Tunisienne a pour fondements les principes de l’Etat de droit et du pluralisme et oeuvre pour la dignité de l’Homme et le développement de sa personnalité. L’Etat et la société œuvrent à ancrer les valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les générations ». • Le droit à la protection des données à caractère personnel (inséré dans la Constitution en vertu de son article 9 et organisé par la loi constitutionnelle n° 2004-63 du 27 juillet 2004). • Soumission de la garde à vue au contrôle judiciaire et de la détention préventive à l’autorisation juridictionnelle et l’interdiction de toute détention arbitraire (article 12 alinéa 1 de 20 la Constitution). Ce qui fait que l’autorité judiciaire soit la gardienne des libertés individuelles. • Le droit de tout individu ayant perdu sa liberté à un traitement humain et le droit de bénéficier du texte plus doux (article 13 de la Constitution). - Le second objectif de la réforme constitutionnelle de 2002 a consisté dans le renforcement et la diversification des attributions du Conseil constitutionnel. Il est certain que l’enrichissement constitutionnel de la base des droits fondamentaux aura une influence sur la jurisprudence du Conseil. En effet, l’observation de cette jurisprudence, depuis la révision de l’article 5 de la Constitution, permet de constater la fonction de référence accordée au droit à la garantie de l’inviolabilité de la personne humaine au regard des autres droits. D’un autre coté, et toujours au regard de l’article 5 de la Constitution dans sa nouvelle version, l’alinéa 2 de cet article dispose que la République tunisienne a pour fondements « les principes de l’Etat de droit ». Quel est le sens que renferme l’expression « principes de l’Etat de droit » concernant les droits des individus ? Et quel est son apport au système des droits fondamentaux ? Il est impossible, dans ce cadre, de présenter les développements théoriques de la notion de l’Etat de droit. Je voudrais me contenter de présenter la position du Conseil constitutionnel sur cette question. A partir de cette notion essentielle (Principes de l’Etat de droit), le Conseil a considéré que : « Ces principes prescrivent, notamment, la soumission des rapports liant les personnes entre elles et avec les pouvoirs publics à l’ordonnancement juridique de l’Etat avec toutes ses composantes et ce pour protéger les droits des personnes et leurs libertés ». Ensuite, le projet de loi soumis (Code de douanes) prévoyant que « le refus d’accorder l’autorisation ou son retrait n’ouvre le droit, en aucun cas, à une demande d’indemnité ou de réparation du 21 préjudice », le Conseil fait observer que ces dispositions « peuvent comprendre des cas de refus ou de retrait pouvant ne pas se fonder sur des motifs légaux, ce qui aboutit à priver la personne concernée de son droit à une réparation ou une indemnisation du préjudice et, ainsi, des garanties qui sont à même de lui assurer le respect de ses droits et notamment celles relatives au recours au juge et à la réparation du préjudice causé par la voie de fait de l’administration ». Le Conseil a fini par considérer la version soumise comme incompatible avec la Constitution et notamment son article 5 (Avis n°2-2007 du 24 janvier 2007). Il s’avère, ainsi, que le Conseil fonde le droit de la personne à la réparation du préjudice dû à l’agissement illégal de l’administration, sur le droit de toute personne au recours qui est l'une des exigences des principes de l’Etat de droit prévus par l’article 5 de la Constitution après sa révision en 2002. Ce faisant, le Conseil donne à l’expression un sens précis sans qu’il soit exclusif. Considérons la jurisprudence du Conseil à propos d’un autre concept prévu par l’article 5 de la Constitution depuis la révision de 2002 : c’est le concept de « l’universalité des droits de l’homme ». Le Conseil a estimé que les attributions conférées à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qu’il est projeté de créer, ne constituent pas un abandon par l’Etat de sa souveraineté mais plutôt une manifestation de l’exercice de cette souveraineté, sur la base, notamment, de « l’article 5 de la Constitution prévoyant la garantie par la République tunisienne, des libertés fondamentales et des droits de l’homme dans leur acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante ». Par conséquent, le Conseil a considéré que « le protocole objet de l’approbation s'insère dans le cadre de la réalisation de ces objectifs » (Avis n° 32-2007 du 28 avril 2007). Continuons la présentation de la jurisprudence du Conseil concernant, toujours, les concepts prévus par l’article 5 de la Constitution tels que le concept de " pluralisme". 22 Lors de son examen du projet de loi relatif au financement public des partis politiques, le Conseil a fait observer que « les dispositions soumises s’insèrent dans le cadre de l’objectif de réalisation d’un principe constitutionnel prévu par l’article 5 de la Constitution ». En effet, « il ressort du paragraphe 2 de l’article 5 de la Constitution que le pluralisme constitue un des fondements de la République en tant que base de la construction de l’Etat et de la société, de la consécration des libertés et de la réalisation de la démocratie ». (Avis n° 80-2005 du 14 décembre 2005). Le Conseil a adopté la même motivation pour dire que le projet de la loi organique portant approbation du décret- loi relatif à la composition des Conseil régionaux est compatible avec la Constitution (Avis n° 73-2005 du 21 octobre 2005). - Le concept de : « valeurs de solidarité et d’entraide » Le nouveau concept constitutionnel (L’ancrage des valeurs de solidarité et d’entraide entre les individus et les groupes) a permis au Conseil de déclarer qu’il comporte des valeurs à la charge, non seulement de l’Etat et des établissements publics, mais aussi des individus. Lors de son examen du projet de loi relatif à la promotion et à la protection des personnes handicapées, le Conseil a proclamé que « le projet de loi soumis, en prévoyant des sujétions spéciales à la charge de l’Etat, des établissements publics et des particuliers, s’insère dans le cadre de ce qui est prévu par le troisième paragraphe de l’article 5 de la Constitution aux termes duquel, l’Etat et la société œuvrent à ancrer les valeurs de solidarité et d’entraide entre les individus, les groupes et les générations ». Ce fondement a permis de justifier la reconnaissance de privilèges, avantages et facilités au profit des personnes handicapées, en matière d’emploi en leur réservant un taux déterminé des recrutements (Avis n° 34-2005 du 23 juin 2005. A propos du même fondement, cf. l’avis n° 26-2007 du 4 avril 2007). *** 23 - Le concept de : « La globalité des droits de l’homme » a autorisé la discrimination positive La fonction de texte de référence de l’article 5 de la Constitution a permis au Conseil de faire évoluer sa lecture du principe d’égalité prévu à l’article 6 de la Constitution. En effet, le droit d’égalité est, désormais, regardé à travers les principes de globalité, d’universalité, de complémentarité et d’interdépendance des libertés et droits de l’homme et les valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les générations. Ces principes ont permis au Conseil de considérer la discrimination positive et de l’admettre dans une lecture qui combine les articles 5 et 6 de la Constitution. Ainsi, dans son avis du 16 mars 2005 (Avis n°13-2005), le Conseil a envisagé l’article 3 de la Charte arabe des droits de l’homme qui était l’objet d’un projet de loi l’approuvant. Cet article prévoyait que l’homme et la femme sont égaux en dignité humaine, en droits et devoirs, dans le respect de la discrimination positive au profit de la femme et que chaque Etat partie s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’égalité des chances et l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans la jouissance de tous les droits prévus par la Charte. Au début de sa motivation, le Conseil a rappelé le principe d’égalité prévu par l’article 6 de la Constitution pour dire, ensuite, que le premier paragraphe de l’article 5 de la Constitution prévoit que la République tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l’homme dans leur acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante. Il déduit, enfin, des deux articles combinés, que l’engagement pris par la République tunisienne, en vertu de la Charte arabe précitée d’assurer l’égalité effective entre la femme et l’homme dans le cadre de la discrimination positive au profit de la femme, «est compatible avec ce qui est prévu par le premier paragraphe de l’article 5 de la Constitution dans le cadre de la garantie de la globalité des droits de l’homme et du moment que cette discrimination positive n’affecte pas les droits fondamentaux garantis par la Constitution ; 24 a pour objectif unique de réaliser l’égalité effective entre la femme et l’homme ; et est emprunte de proportionnalité entre le contenu des législations en question et l’objectif précité et tant que ces législations sont soumises au contrôle de la constitutionnalité quant à leur contenu ». A cela s’ajoute le fait que la Charte elle-même prévoit qu’il n’est pas permis de diminuer les droits acquis sur le plan national. *** Sur la base du même fondement et en adoptant les mêmes garde-fous qu’il a fixés pour admettre la discrimination positive, le Conseil a reconnu, la même semaine, la constitutionnalité des dispositions d’un projet de loi qui institue une discrimination positive au profit des personnes handicapées (Avis n°34-2005 du 23 juin 2005). En somme, le Conseil voit, dans la discrimination positive au profit de certaines catégories, une réalisation de l’égalité effective et une consécration efficace du principe d’égalité et non une atteinte à ce dernier. Mais, elle n’est admise que si les conditions que le Conseil a déterminées et précisées, et notamment l’absence d’atteinte à un droit fondamental, sont réunies. A travers ces avis, vous pouvez constater que la révision constitutionnelle de 2002 a eu pour effet d’élargir la base constitutionnelle des droits fondamentaux et de les fonder sur des valeurs et principes supérieurs, ce qui a permis, par voie de conséquence, l’élargissement de l’examen du Conseil constitutionnel et l’enrichissement du contenu de ses avis en développant les modalités et l’efficacité du contrôle. Néanmoins, le rang constitutionnel de tous les droits fondamentaux ne signifie pas pour autant qu’ils sont des droits absolus. Ils sont, en effet, des droits qui peuvent être limités en vertu des prescriptions constitutionnelles elles-mêmes. Et c’est le second aspect du contrôle de constitutionnalité. 25 II - L’EVOLUTION DU CONTROLE DES LIMITATIONS LEGALES DES DROITS FONDAMENTAUX Certains considèrent que le Constituant a affronté en 1959 un problème qui consiste d’une part, dans la nécessité de reconnaître les libertés pour lesquelles le peuple a milité en vue de l’obtention de l’indépendance et d’autre part, la nécessité d’instaurer un Etat et de le doter de l’autorité nécessaire pour réaliser l’œuvre nationale. Ainsi, l’article 7 de la Constitution est venu consacrer le principe de l’exercice de la plénitude des droits par les citoyens tout en énonçant des limites à ce droit. En effet, l’article est rédigé dans les termes suivants : « Les citoyens exercent la plénitude de leurs droits dans les formes et conditions prévues par la loi. L’exercice de ces droits ne peut être limité que par une loi prise pour la protection des droits d’autrui, le respect de l’ordre public, la défense nationale, le développement de l’économie et le progrès social ». En réalité, il ne s’agit pas, à nos yeux, d’une concurrence entre deux objectifs, ni d’un conflit entre deux tendances, celle de la liberté et celle de l’autorité lors de la proclamation d’une République dont la première devise, faut-il le rappeler, est la liberté. Bien au contraire, la rédaction de l’article précité ainsi que son contenu témoignent d’une coexistence entre un principe et des exceptions. Le principe étant le droit et la liberté, les exceptions étant leurs limitations pour des raisons déterminées : « Les citoyens exercent la plénitude de leurs droits dans les formes et conditions prévues par la loi », c’est là le principe; « L’exercice de ces droits ne peut être limité que par une loi », c’est l’annonce des exceptions et de leurs fondements. Il est clair que la même approche est adoptée dans la rédaction de la plupart des articles de la Constitution qui consacrent des droits fondamentaux. Tel est l’exemple de l’article 9 de la Constitution qui dispose : « L’inviolabilité du domicile, le secret de la correspondance et la protection des données personnelles sont garantis, sauf dans les cas exceptionnels prévus par la loi ». 26 Il est également clair que même si la Constitution autorise le législateur à limiter les droits fondamentaux, elle impose une première garantie de nature formelle qui réside dans le caractère législatif des exceptions et une seconde garantie de nature objective d’après laquelle, la limitation doit être justifiée par la réalisation de l’un des buts prévus par l’article 7 et retenus par la Constitution. Néanmoins, la jurisprudence constitutionnelle a rencontré une autre difficulté découlant du caractère complexe de la relation émanant du principe et de ses exceptions. Cette difficulté peut être résumée autour de la question suivante : n’y a-t-il pas de craintes que les exceptions portent atteinte au principe, touchent son contenu au point d’aboutir à sa disparition ? Cette question nous invite à présenter avec plus de précision les lignes directrices relatives à la limitation des droits fondamentaux de la part du législateur, afin qu’elles soient respectueuses des dispositions de la Constitution aussi bien en termes de compatibilité qu’en termes de conformité. Il s’agit là d’une mission confiée au Conseil constitutionnel qui s’est tenu aux normes explicites prévues par la Constitution (il s’agit là de la première facette du contrôle de limitation des droits) (A), tout en tenant compte de la nécessité de prévoir des règles préservant la valeur supérieure des droits fondamentaux reconnus par la Constitution (il s’agit là de la deuxième facette du contrôle) (B). A- Le contrôle de la forme et des objectifs de la loi limitative : Ces lignes directrices concernent, tel que nous l’avons évoqué, la nature du texte comportant la limitation et son fondement. Il s’agit donc de voir les moyens et les fins de la limitation. 1- Les moyens de limitation des droits : Les droits fondamentaux ne peuvent être limités que par une loi. A ce propos l’article 28 de la Constitution exige que les lois portant des limites aux droits fondamentaux prévus par les articles 27 8 (libertés politiques), 9 (inviolabilité du domicile, secret de la correspondance et protection des données personnelles) et 10 (liberté de circuler et de fixer son domicile) aient caractère de lois organiques. Les autres droits constitutionnels tel que le droit de propriété, celui de l’inviolabilité de la personne humaine et celui de l’égalité peuvent être limités par une loi ordinaire. Il est de tradition que le Conseil constitutionnel étende son contrôle au plan de la forme en considérant que sa violation constitue une non-conformité avec les dispositions de la Constitution, ce qui soulève une inconstitutionnalité à dépasser. A ce propos, il serait intéressent de citer quelques illustrations : Le premier exemple : L’avis n° 25 – 2000 du 2 juillet 2000 sur un projet de loi relatif à la promulgation du Code des télécommunications. Le projet a comporté des dispositions relatives au secret des communications et des informations transmissibles. Le Conseil a d’abord considéré que le secret des communications et des informations transmissibles rentre dans le cadre du secret de la correspondance garanti par l’article 9 de la Constitution, il s’agit donc d’une liberté individuelle garantie par la Constitution. Il a ensuite déclaré qu’il ne pouvait pas être délimité par une loi ordinaire, mais qu’il fallait se conformer aux dispositions de l’article 28 de la Constitution en adoptant la forme d’une loi organique. Le deuxième exemple : L’avis n° 61- 2002 du 9 octobre 2002 sur un projet de loi relatif au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme. Le projet a comporté des dispositions relatives à la perquisition tant que le nécessite la constatation des infractions terroristes. Le Conseil a considéré que « la prévision de cette exception dans une loi ordinaire n’est pas conforme aux articles 9 et 28 de la Constitution ». (Avis n°61-2002 du 9 octobre 2002) 28 Cette position a été renouvelée dans la jurisprudence du Conseil relative à la garantie de l’inviolabilité du domicile en cas de perquisition (exemple : Avis n° 74 -2005 du 21 octobre 2005 et avis n° 56-2006 du 6 novembre 2006). S’agissant du reste des droits, leur limitation est possible par une loi ordinaire. Ce qui signifie l’impossibilité de les limiter par un texte adopté par le pouvoir réglementaire. Le Conseil dispose à ce propos d’une jurisprudence abondante. En effet, à titre d’exemple, il a considéré que : - Il n’est pas possible de limiter le droit du citoyen au travail par référence à un texte à caractère réglementaire (Avis n°31-2003) - L’exigence de l’obligation d’examen, de traitement et d’hospitalisation affecte l’inviolabilité de la personne humaine ; qu’elle doit, de ce fait, être régie par une loi et qu’il est inadmissible de confier la détermination des maladies transmissibles nécessitant un traitement obligatoire à un arrêté du ministre chargé de la santé publique. (Avis n°27-2006) - La limitation du droit de propriété en reconnaissant une servitude aux opérateurs des réseaux publics de télécommunication, ne peut être opérée par décret. (Avis n° 25-2000 du 12 juillet 2000) Il s’agit là d’illustrations multiples, unifiées par l’idée que le Conseil constitutionnel proclame que la limitation d’un droit fondamental est, selon la Constitution, du ressort exclusif du pouvoir législatif. 2- les motifs justifiant la limitation : Le Conseil a prévu, de façon générale, que l’absence de l’un des motifs prévus à l’article 7 de la Constitution constitue un cas de non-conformité avec ses dispositions et par là même un cas d’inconstitutionnalité. (Avis n° 14-2004 du 7 avril 2004 : limitation du droit de la propriété) Il a également prévu qu’ « il n’est pas possible de limiter l’inviolabilité de la personne humaine que dans le cadre de ce qui 29 est prévu par l’article 7 de la Constitution ». (Avis n° 74-2001du 11 juillet 2001) Ceci étant, on constate que les motifs de limitation obéissent à la règle de l’interprétation limitative et qu’il ne serait pas possible d’étendre leur champ. Concrètement, le Conseil a exercé son contrôle sur les motifs de limitation. Il a notamment considéré que : - Les nécessités de « l’ordre public de la santé » autorisent la limitation de la garantie de l’inviolabilité de la personne humaine : «le droit de la personne humaine à la protection des informations relatives à sa santé n’est pas un droit absolu ; il peut être limité eu égard aux exigences de l’ordre public, dans les proportions qu’exige ledit ordre public et de telle sorte que la garantie de l’inviolabilité de la personne humaine ne soit pas vidée de son contenu ». Le texte soumis au Conseil a imposé à certains professionnels d’informer les autorités publiques sanitaires des maladies transmissibles et de ne pas se prévaloir du secret professionnel. (Avis n° 27-2006 du 27 mai 2006) - Le Conseil a en outre considéré que la limitation des droits des actionnaires des sociétés mutuelles de services agricoles « est justifiée aussi bien par leurs objectifs de développement pour la prospérité économique que par les prestations d’utilité publique auxquelles elles s’adonnent et par leur gestion d’un service public ou de propriétés publiques». (Avis n° 52-2005 du 8 août 2005) Il a également démontré, à l’occasion d’un autre avis, que « la prospérité économique et le développement social figurent parmi l’ensemble des objectifs annoncés dans le préambule de la Constitution et tel qu’ils ressortent de son article 7 ». - « la prévision d’avantages financiers et fiscaux au profit d’une catégorie d’investisseurs, dans des domaines économiques et sociaux déterminés et pour des nécessités d’intérêt général, ne porte atteinte au principe de l’égalité tant que ces dispositions concernent une catégorie d’investisseurs et visent à réaliser la prospérité 30 économique et le développement social ». (Avis n° 72-2007 du 17 octobre 2007) - Lors de l’examen d’un projet de loi organique comportant la création d’un document de voyage spécial pour la «omra », le Conseil a autorisé la limitation du droit reconnu par l’article 10 de la Constitution à tout citoyen de circuler librement à l’intérieur du territoire et d’en sortir, tant que «la limitation concerne un motif de voyage déterminé et a été instituée par l’intérêt de l’ordre public». Dans cette mesure, il a jugé la limitation compatible avec les dispositions de l’article 7 de la Constitution. (Avis n° 70-2007 du 4 octobre 2007) Les limitations dont la constitutionnalité a été retenue par le Conseil, se diversifient en fonction du motif justifiant leur adoption et prévu par la Constitution : droits d’autrui, sécurité publique et défense nationale ou prospérité de l’économie et développement social. *** Cette diversité a démontré la nécessité d’imposer des garanties supplémentaires inspirées de l’esprit des dispositions de la Constitution et par la suprématie du principe de la garantie des droits fondamentaux, afin d’instaurer un contrôle sur la portée des limites. B- Le contrôle de l’équilibre et de la proportionnalité : Comment peut-on vérifier que les exceptions, dans leur multiplicité, variété et dans l’étendue de leur portée, ne portent pas atteinte à l’essence des principes et droits eux-mêmes ? Le Conseil a adopté récemment, une nouvelle attitude qui impose le contrôle des limites non sur le plan de la forme et de l’opportunité seulement, mais également sur le plan de la portée afin de déclarer leur compatibilité avec la Constitution. - Lors de l’examen d’un projet de loi relatif aux maladies transmissibles, contenant des dispositions obligeant certains 31 professionnels à déclarer ces maladies, le Conseil a signalé que la limitation du droit de la personne humaine à la protection des informations relatives à sa santé est possible « eu égard aux exigences de l’ordre public de la santé, dans proportions qu’exige ledit ordre public ». Il a ajouté que ceci doit être fait « de telle sorte que la garantie de l’inviolabilité de la personne humaine ne soit pas vidée de son contenu ». (Avis n° 27-2006 du 27 mai 2006). - A l’occasion de l’examen du projet de la loi organique relative à la protection des données personnelles, le Conseil a constaté qu’il contient un article 4 qui écarte l’application de plusieurs dispositions du projet contenant diverses garanties pour les individus, relatives au « traitement des données personnelles par les autorités, les collectivités territoriales et les établissements publics à caractère administratif dans le cadre de la sécurité publique, la défense nationale ou si elles s’avèrent nécessaires pour l’exercice de leurs compétences ». Le Conseil a considéré que «les exceptions ont été prévues dans des termes généraux sans prévoir des contraintes et des limites qui lient les organismes concernés dans leur traitement des données personnelles…surtout que les dispositions générales du projet soumis confirment l’impossibilité de traiter les donnés personnelles en dehors du cadre de la transparence, de la fidélité et du respect de la dignité de l’Homme ». Le Conseil a constaté que «même si les exceptions prévues dans l’article 4 du projet concernent des personnes publiques, elles s’étendent aux principes généraux et leur portent atteinte, ce qui est incompatible avec les dispositions de l’article 9 de la Constitution ». (Avis n°27-2004 du 9 juin 2004) - Par ailleurs, et lors de l’examen du projet de loi de finances qui lui a été soumis, contenant un article qui prévoit le transfert au profit de l’Etat des bijoux objets de gage, en garantie des prêts octroyés par le Trésor et dont les propriétaires (débiteurs gagistes) ne se sont pas présentés pour les reprendre après l’écoulement d’une période de dix ans, le Conseil a considéré que « l’article 14 32 de la Constitution, tout en ayant garanti le droit de propriété, ne l’a pas considéré un droit absolu, il a toutefois autorisé sa limitation », il a surtout ajouté que «la limitation ne peut aboutir à la perte par le propriétaire de son droit et que l’absence de garanties permettant aux propriétaires d’éviter ce transfert à l’Etat et de payer leurs créances, est incompatible avec les dispositions de l’article 14 de la Constitution ». (Avis n°43-2004 du 5 novembre 2004, suivi de l’avis n° 46-2004 du 11 novembre 2004) - Concernant également le droit de la propriété, le Conseil a considéré que « la limitation qui affecte la garantie exigée en matière de droit de propriété et qui consiste à respecter sa valeur vénale du bien, soulève une inconstitutionnalité pour incompatibilité avec les dispositions de l’article 14 de la Constitution » (Avis n°16-2005 du 13 avril 2005). - Dans un autre avis et à l’occasion de l’examen du projet du Code des douanes, le Conseil a considéré à propos de la disposition qui autorise l’administration des douanes à exercer une mainmise unilatérale sur des immeubles ou des locaux privés sans l’autorisation préalable de leur propriétaire, que « pareille exception rompt l’équilibre puisqu’elle donne à l’administration une possibilité constitutive d’une quasi emprise, ce qui ne permet pas d’accorder à de tels actes limitatifs, la légitimité constitutionnelle par leur simple insertion dans une loi » (Avis n°22007 du 24 janvier 2007). Ces illustrations démontrent que le Contrôle exercé par le Conseil dépasse l’aspect formel et s’étend à la portée, à l’équilibre et à la proportionnalité. D’ailleurs, le Conseil a exprimé dans cet avis l’intérêt qu’il porte au contrôle de la proportionnalité et de l’équilibre entre les préoccupations du respect du droit fondamental et du motif qui justifie sa limitation, en énonçant, à plusieurs reprises, que « la loi qui délimite le droit… ne doit pas se cantonner à mettre des entraves relatives à l’exercice du droit mais doit établir des procédures qui garantissent en elles-mêmes un équilibre entre les exigences de respect de ce droit et le fondement qui justifie sa 33 limitation, selon l’appréciation du législateur et sous le contrôle du Conseil constitutionnel ». (Avis n° 2-2007 du 24 janvier 2007 et l’avis n° 48-2007 du 27 juin 2007) Ceci étant, il ne faut pas que le contrôle de la proportionnalité et de l’équilibre se transforme en un contrôle d’opportunité qui relève de la seule appréciation du législateur ; autrement dit, le contrôle de l’équilibre signifie pour le Conseil, le contrôle du déséquilibre manifeste. Le Conseil a mis en oeuvre ce contrôle, soit pour constater une inconstitutionnalité, soit pour affirmer la constitutionnalité de la limite. A travers ces exigences, le Conseil constitutionnel réaliserait fort probablement une meilleure compatibilité avec le principe de garantie des droits fondamentaux et sa suprématie, afin que les exceptions ne leur portent pas atteinte et n’en déforment pas leur essence. 34