morsures de serpents a ouagadougou aspects

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morsures de serpents a ouagadougou aspects
MORSURES DE SERPENTS A OUAGADOUGOU
ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES, CLINIQUES,
THERAPEUTIQUES ET EVOLUTIFS A PROPOS DE 70 CAS
Y.J. DRABO*, S. SAWADOGO*, J. KABORE*, J. CHABRIER*, R. TRAORE*, C. OUEDRAOGO*
RESUME
Cette étude porte sur 70 cas de morsures de serpents
observées en 1994 dans un service de Médecine Interne
à Ouagadougou.
Un protocole d’étude clinique, épidémiologique et un
traitement standardisé ont été appliqués à chaque
patient.
Les morsures sont l’apanage de vipéridés ce qui explique la symptomatologie faite de douleur, d’œdème et
surtout d’hémorragies. Les accidents surviennent surtout le soir ou tôt le matin. Ils ont lieu au cours d’activités quotidiennes, notamment les travaux de champs.
Le traitement appliqué faisant appel devant tout signe
de gravité au sérum polyvalent antivenimeux a été
efficace. Un seul décès a été enregistré au cours de l’année contrairement à une étude antérieure où la mortalité était de 7,2 %. Les autres patients sont sortis guéris
et sans séquelles.
Cependant le coût du traitement est élevé limitant son
application systématique.
Mots-clés : morsures vipères, traitement, sérum
antivenimeux, complications.
SUMMARY
Snake bite at Ouagadougou. Epidemiological, clinical
and therapeutic aspects about 70 cases
This study concerns 70 cases of snake bite observed in
1994 in a service of Internal Medecine at Ouagadougou.
All patients who were included in the study were
submitted to a clinical, epidemiological and therapeutic
protocole. Clinical symptoms were : local pains, oedema
and haemorraghe due to snake biting (vipera). Accidents usually occur either in the evening or early
morning in the course of routine daily activities such as
farming.
The treatment which include antivenom polyvalent
serum was used at early sign of complications and
proved to be efficient. Only one case death was recorded
compared to 7,2 % mortality in a previous study. The
remaining 69 patients were cured and released without
sequeale.
H o w e v e r, the high cost of the treatment limits its
systematic application.
Key-words : Vipera bite, treatment, antivenom serum,
complications.
INTRODUCTION
Notre pays, le Burkina Faso est un pays sahélien situé au
cœur de l’Afrique. Il a un climat chaud et sec et une végétation de type tropical, boisée de plus en plus dense au fur
et à mesure que l’on descend vers le sud du pays. Cette
végétation fournie abrite de nombreuses espèces de serpents venimeux dont les plus fréquentes sont les vipéridés
(genre echis).
La population du Burkina Faso est dans la grande majorité
rurale avec 95 % d’agriculteurs et d’éleveurs. Il s’agit
donc de population en relation constante avec la campagne, les herbes, les forêts et…les serpents.
Même dans les villes comme à Ouagadougou, l’extension
des zones d’habitation spontanée, l’aménagement insuffisant des cités et les pratiques culturales même à l’intérieur des villes expliquent la fréquence encore élevée de
morsures de serpents.
Les morsures de serpents sont fréquentes, bien connues
des populations qui disposent de recettes empiriques toujours appliquées avant l’évacuation vers les Centres Médicaux. Ces morsures sont graves entraînant un nombre
encore important de décès.
Une étude rétrospective faite en 1993 dans le même service de Médecine Interne (18) rapporte 321 cas de morsures en 3 ans, soit 2 fois plus que les malades hospitalisés
pour diabète et affections cardio-vasculaires. Les décès ont
* Service de Médecine Interne - 01 BP 909 Ouagadougou (Burkina Faso)
Tirés à part : Y.J. DRABO - 01 BP 9090 Ouagadougou 01 (Burkina Faso)
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J. CHABRIER, R. TRAORE, C. OUEDRAOGO
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été estimés à 7,2 % avec surtout des complications hémorragiques.
Au cours d’une seconde étude prospective menée de 1992
à 1993 (15), il a été établi une efficacité certaine de la sérothérapie antivenimeuse comparativement aux autres
modalités thérapeutiques appliquées dans le service, nous
conduisant à proposer un protocole thérapeutique standardisé.
C’est pourquoi après un an d’application de ce protocole,
nous avons entrepris par le présent travail d’apprécier les
aspects épidémiologiques et cliniques des morsures des
serpents vus dans notre service et d’analyser les aspects
évolutifs ainsi que les indications et l'efficacité de la
sérothérapie.
(10)) qui seraient des indicateurs pronostiques. Une
extension rapide de l’œdème était un élément en faveur
de la prescription d’une sérothérapie,
. patients présentant des complications : hémorragies,
même minimes, coma, collapsus, complications rénales
(anurie),
. malades débilités : malnutris ou présentant une tare.
Il est administré à raison de 2 ampoules de 10 ml dans
250 cc ou 500 cc de sérum glucosé isotonique à passer en
1/2 h ou 1 h.
D’autres traitements ont été prescrits selon le cas :
. transfusion en cas d’anémie sévère,
. perfusion de macromolécules en cas de collapsus.
PATIENTS ET MÉTHODES
L’étude a concerné tous les malades admis dans le service
de Médecine Interne du 1er janvier 1994 au 31 décembre
1994 pour morsures de serpents. Ce service est celui qui
reçoit l’ensemble des malades adressés à l’Hôpital National de Ouagadougou pour cette pathologie.
Pour chaque malade un dossier médical standardisé a été
confectionné comportant l’ensemble des renseignements
sur :
. l’identité du malade, son origine, sa profession,
. les circonstances de l’accident,
. les signes cliniques,
. les complications et modalités évolutives,
. le traitement reçu.
Le protocole thérapeutique a comporté :
. une antibiothérapie prophylactique à base d’ampicilline
par voie orale 2 g/24 h à poursuivre pendant 5 jours (les
morsures se faisant chez des paysans en milieu souillé,
pratiquant presque tous des scarifications à visée thérapeutique),
. un antalgique : Baralgin ou paracétamol,
. sérothérapie antitétanique (chez les patients non vaccinés).
Le sérum antivenimeux polyvalent Ipser (anti échis, bitisnaja, dendroaspis) a été prescrit dans les conditions suivantes :
. œdème extensif : l’importance de l’œdème a été apprécié grâce à une surveillance horaire avec classification
en 4 stades (identique à celle adoptée par Manent et al
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Ont été proscrits :
. toute injection intramusculaire (fréquence des hématomes),
. toute transfusion dans les premières 48 h d’une hémorragie (risque d’aggravation de la CIVD),
. la prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens
(risque hémorragique accru).
RESULTATS
Aspects épidémiologiques
Selon le sexe
Nos patients se répartissent en 28 femmes et 42 hommes.
Selon la profession
60 patients étaient des cultivateurs ou des éleveurs (85,7 %),
3 des élèves (4,3 %),
7 (10 %) travaillaient dans l’administration ou dans le
secteur informel (commerçant).
Circonstance de l’accident
De la profession découle la majorité des circonstances de
survenue de la morsure :
. 65 morsures (93 %) ont eu lieu au champ ou dans la
brousse lors des travaux de désherbage et lors de la promenade ;
. 5 morsures (7 %) se sont déroulées dans des circonstances insolites : au cours du sommeil, à l’aérogare, aux
toilettes…
MORSURES DE SERPENTS…
L’heure de la morsure
40 cas de morsure (58 %) se sont produits le jour contre 30
(42 %) la nuit. Les heures les plus fréquentes sont : 12 à
15 h, 19 à 24 h et 6 h.
Période de l’année
Les périodes les plus propices sont :
. mars - avril,
. juillet, août, septembre, octobre et novembre correspondant pour les dernières aux périodes hivernales.
Selon l’origine des patients
La quasi totalité des malades provient de Ouagadougou et
des villages environnants. Seuls 5 patients (7 %) sont
venus d’autres provinces (Passoré, Kouritenga).
Parmi les malades mordus à Ouagadougou, on note la
prédominance des secteurs périphériques.
Le type de serpent
. dans 50 % des cas, le serpent responsable de la morsure
n’a pas été vu et n’a donc paspu être identifié,
. dans les autres cas où le serpent a été identifié, on notait
une seule couleuvre, les autres cas de morsure étant
l’œuvre de vipéridés.
Aspects cliniques
Siège de la morsure
. Au niveau du pied dans 70 % (49 cas),
. au niveau du membre supérieur : 30 % (21 cas).
Nous n’avons pas noté de morsure céphalique ou d’envenimations muqueuses (crachats de venins dans les yeux).
Signes cliniques
Tous les malades se sont présentés avec un œdème au
niveau du membre atteint. L’œdème a été classé en 4 stades
selon son étendue au niveau du segment de membres. Cette
extension était un élément important dans la décision
d’administration du sérum antivenimeux.
Au niveau du membre supérieur (morsure à la main) :
stade 1 : œdème localisé à la main,
stade 2 : avant bras,
stade 3 : bras,
stade 4 : épaule et au delà.
Au niveau du membre inférieur (morsure au pied) :
stade 1 : œdème localisé au pied,
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stade 2 : jambe,
stade 3 : cuisse,
stade 4 : au delà de la cuisse.
La douleur était également présente chez tous les patients.
Elle est l’élément annonciateur de la morsure.
Les autres signes cliniques sont considérés comme des
complications :
. les hémorragies : présentes chez 55 % des malades (40
malades).
Il s’agissait de :
. gingivorragies : 20 cas,
. hématurie : 8 cas,
. hématome : 3 cas,
. hémoptysie : 3 cas,
. hématémèse : 2 cas,
. épistaxis : 7 cas
. Coma : 2 cas,
. Anémie sévère ayant nécessité des transfusions : 3 cas,
. Thrombopénie : 5 cas,
. Infections sévères au niveau du point de morsure : 2 cas,
. Anurie : 2 cas.
Aspects thérapeutiques
Comme signalé dans le chapitre “Matériel et méthodes”,
tous les patients ont été systématiquement traités par :
sérum antitétanique (SAT), vaccin antitétanique (VAT),
antibiothérapie, antalgique.
Le sérum antivenimeux a été prescrit dans 53 cas soit 75 %
des malades.
Les indications ont été les suivantes :
. hémorragies : 40 cas,
. terrain fragile (sujet âgé) : 4 cas,
. grossesse : 1 cas,
. œdème extensif ou volumineux : 5 cas,
. autres complications :
. anurie : 1 cas,
. coma : 2 cas,
. collapsus : 3 cas.
Les éléments sus-cités sont ceux ayant directement présidé
à la prescription de la sérothérapie. Ces éléments étant
isolés ou associés entre eux. Ainsi on constate que tous les
patients présentant une complication majeure avaient des
signes hémorragiques.
3/4 des patients ont fait un traitement traditionnel avant
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toute hospitalisation (scarification, utilisation de la pierre
noire, application d’autres poudres traditionnelles).
EVOLUTION
L’évolution a été appréciée sur :
. la disparition ou l’amélioration significative des signes
cliniques : hémorragies extériorisées, syndrome local et
œdème,
. le taux de guérison,
. la fréquence des complications post-thérapeutiques et
des séquelles,
. la létalité.
Sur le plan de la symptomatologie, la sérothérapie a eu une
action favorable sur l’évolution des signes locaux. En effet,
l’œdème et les phénomènes inflammatoires ont régressé
plus rapidement chez les patients traités par le SAV, en
moyenne au bout de 4 jours. Cependant, certains patients
ont gardé un œdème résiduel lentement régressif sur plusieurs jours même après disparition des signes d’envenimation.
L’action de la sérothérapie a été surtout nette chez les
patients présentant une complication hémorragique où
l’hémorragie a été arrêtée au bout de 12 heures en moyenne. Dans les cas contraires, une nouvelle dose de SAV a été
administrée (4 patients).
Nous avons enregistré un cas de décès. Il s’agissait d’une
patiente de 65 ans admise plus de 10 jours après la morsure
dans un tableau hémorragique diffus avec collapsus et
coma. L’évolution fut rapidement défavorable malgré la
transfusion et le traitement du choc.
Tous les autres malades (69/70) soit 98,5 % sont sortis
guéris dans un délai d’hospitalisation variant de 48 heures à
15 jours.
Les séquelles observées étaient fonctionnelles (raideur,
difficulté à la marche). Elles ont progressivement régressé.
COUT DU TRAITEMENT
Nous n’avons estimé que le coût financier des médicaments
et les frais d’hospitalisation en faisant abstraction de l’arrêt
du travail (important en saison de travaux champêtres pour
un adulte) pour le malade et les accompagnants, des frais
occasionnés par les déplacements fréquents des accompagnants entre le domicile et l’hôpital.
Ce coût financier moyen est de 30.000 F (300 FF) dont
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19.000 F pour le SAV seul et 6.000 F pour le soluté et le
nécessaire de perfusion indispensable pour l’administration
du SAV. Ce coût correspond au salaire mensuel d’un
ouvrier spécialisé.
COMMENTAIRES
Les morsures de serpents sont courantes au Burkina Faso
comme c’est le cas dans la plupart des pays tropicaux (5).
Cette fréquence est forte même en ville. Roman Bénigno
avait établi depuis 1980 une cartographie des serpents venimeux rencontrés au Burkina Faso (ex. Haute Volta) dans
son excellent livre “les serpents de Haute Volta” (16). Les
vipéridés sont les espèces les plus fréquemment responsables d’envenimation (5, 15, 18).
Sur le plan épidémiologique
La répartition selon l’âge et le sexe ne présente pas de
caractère particulier. La morsure dépendant beaucoup plus
de l’activité professionnelle du sujet que de son âge et de
son sexe.
Cette activité professionnelle rend compte des circonstances de l’accident, et à un moindre degré de l’horaire et
du mois de l’année où survient la morsure (4, 15).
En effet, les patients sont en majorité des paysans, mordus
au champ comme le signalent également MITRAKUL en
Thaïlande (11) qui trouve 80 % des patients parmi les agriculteurs ainsi que Curie en Papouasie (3).
Les morsures pendant le sommeil ou à domicile sont également courantes. Ce fait est rapporté par Tilbury et Branch
en Afrique du Sud (20) qui avaient noté que 62 % de leurs
patients avaient été mordus à l’intérieur ou à proximité de
leur domicile et 12,5 % pendant le sommeil. Ces morsures
à domicile témoignent de l’insalubrité des lieux d’habitation où subsistent de hautes herbes et des fourrés dans
lesquels se cachent les serpents (15).
Les morsures ont lieu surtout au crépuscule et dans les
heures chaudes de la journée (12-15 h) où les serpents quittent leurs trous à la recherche de nourriture. Ceci explique
la fréquence des morsures de février, mars et avril où en
raison des températures avoisinant 40°, les serpents ne
peuvent tenir dans les gîtes et cherchent refuge dans les
hautes herbes et dans les feuillages, à l’ombre des arbres
affectionnés également par les hommes cherchant des abris.
Contrairement à CHIPPAUX et al. (4, 5) qui situent la sur-
MORSURES DE SERPENTS…
venue des morsures plutôt en période nocturne en Afrique
de l’Ouest, nous avons surtout observé des morsures diurnes probablement en rapport avec les activités agricoles et
les déplacements.
Un biais important dans la connaissance des morsures de
serpents est lié au fait que beaucoup de nos patients ne
voient pas le serpent responsable. De toute évidence ceci
est lié à l’horaire souvent nocturne et la réaction de fuite
après la morsure.
Sur le plan clinique
Les signes cliniques observés ici sont liés au type de serpent. En effet, les vipéridés le plus souvent en cause sont
responsables de troubles vasculotoxiques avec des troubles
de l’hémostase, un œdème extensif, la douleur, une nécrose
dans 10 % des cas, une toxicité neurologique pouvant conduire au coma (17, 5).
Nous n’avons pas noté de gangrène. Les troubles hémorragiques ont été plus fréquemment rencontrés. Ils sont
aggravés par des pratiques traditionnelles avec scarifications multiples, profondes, très hémorragiques en cas de
CIVD et/ou de thrombopénie sévère.
Selon plusieurs études (3, 17) ces hémorragies peuvent être
liées à une afibrinogénémie, une fibronolyse, la présence
d’hémorragine dans certains venins, à une CIVD, à une
thrombopénie ou à une lésion directe de l’endothélium. Ces
mécanismes pouvant être associés. Ainsi CHIPPAUX (4)
propose l’épreuve des cinq tubes pour différencier fibrinolyse et CIVD tandis que WARREL cité par REVAULT
(15) insiste sur l’importance du test sur tube sec pour
apprécier la qualité du caillot. Ce dernier test permet d’affirmer l’envenimation par echis sp (sang non coagulable).
L’atteinte rénale est également observée (1 cas dans notre
service). Elle est grave et peut nécessiter une épuration
rénale en l’absence de laquelle elle peut être mortelle.
AHLSTROM y consacre une étude chez les pygmées (1).
L’insuffisance rénale aiguë anurique est le fait de mécanismes divers : choc, hémolyse, CIVD, myoglobinurie,
immuns-complexes.
SUR LE PLAN THERAPEUTIQUE ET EVOLUTIF
Le traitement des morsures de serpents ne fait pas l’unanimité dans le monde. Plusieurs protocoles sont préconisés
selon les auteurs et les régions. En fait chaque région
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adapte le traitement en fonction de la nature du venin, des
troubles et lésions provoquées (2, 3, 4, 8, 9,11, 17, 19).
Jusqu’alors dans notre service chaque médecin appliquait le
traitement qu’il jugeait adapté associant à des degré divers :
héparinothérapie, transfusions, sérothérapie antivenimeuse
et antitétanique.
La controverse entre les auteurs se fait surtout autour de la
place du sérum antivenimeux et de son indication. Celui-ci
est en effet considéré par plusieurs auteurs comme
inconstamment efficace et surtout dangereux en raison des
réactions secondaires qu’il peut engendrer et qui peuvent
être mortelles (4, 15). Par contre, comme le recommande
KERRIGAN (9) qui a obtenu 94,6 % de guérison avec un
protocole identique au nôtre, MITRAKUL ( 11) qui la
considère comme la “meilleure réponse” lors d’envenimation par Vipera Russeli et selon les travaux d’autres auteurs
(4, 5, 14, 15), la sérothérapie antivenimeuse est largement
utilisée avec succès.
L’évaluation de notre traitement va en effet à l’encontre de
l’opprobre jeté sur le sérum antivenimeux. Aucun de nos
malades n’a présenté une réaction secondaire importante ;
constatation faite par SAOUADOGO et REVAULT dans le
même service (15, 18).
Par ailleurs, ce protocole semble un succès car la mortalité
a été pratiquement nulle (un décès chez une patiente vue
tardivement) contrairement à celle de l’étude faite de 1989
à 1991 où la mortalité avoisinait 8 % (18) et à celle de
1992-1993 où elle était de 2 %.
Cependant, il persiste la difficulté d’établir une indication
précise de la sérothérapie. Cette indication devant s’appuyer
sur l’existence d’éléments pronostiques défavorables : s’il est
indiscutable que la mise en évidence d’un test sur tube sec
positif (sang incoagulable), d’une thrombopénie ou d’une
anémie avec retentissement viscéral constituent des éléments de gravité justifiables d’une sérothérapie, les examens complémentaires ne sont pas toujours pratiqués chez
nos patients démunis.
Par ailleurs, si la classification évolutive de l’œdème en
5 stades sensés représenter une classification pronostique,
permet d’affirmer la réalité d’une envenimation, elle n’est
pas à notre avis un élément suffisant pour établir un pronostic. En effet, les patients sont souvent vus tardivement
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alors que l’œdème a régressé. Un patient présentant un
œdème stade 1 peut être emporté par une autre complication. Par contre, tous les patients présentant un œdème
stade 5, avaient une complication. C’est pourquoi dans
notre étude, bien plus que le stade de l’œdème, c’est la présence d’une complication (notamment hémorragique la
plus fréquente) qui a constitué l’élément important pour
l’indication de la sérothérapie.
Notre protocole connaît des limites surtout financières car
il est cher, largement au dessus des moyens de la plupart
des Burkinabè. Un allégement de ce coût pourrait être
apporté si le sérum antivenimeux pouvait être inclus dans
la liste des médicaments essentiels et génériques et à ce
titre vendu à moindre coût.
L’utilisation de l’héparinothérapie est peu recommandée
par nous, car l’absence d’examens complémentaires ne
nous permet pas d’affirmer l’existence d’une CIVD,
principale indication de l’héparine.
De même la crainte de la CIVD nous oblige à ne pas utiliser dans les premières heures, la transfusion sanguine où le
risque de majoration de l’hémorragie est grand (par poursuite de la consommation) (3).
Malgré la fréquence des morsures de serpents dans les
zones tropicales, un nombre relativement peu important
d’études ont été consacrées à cette pathologie. Les connaissances sont encore imparfaites sur les venins, leur toxicité
et les mécanismes physiopathologiques. Si bien que le
traitement des morsures de serpents reste empirique et un
consensus est loin d’avoir été obtenu sur ce point.
L’utilisation d’une antibiothérapie prophylactique est
rendue nécessaire par le milieu constamment souillé où se
déroule la morsure (travaux des champs dans la boue,
marche pieds nus) et par les pratiques de scarification faites dans des conditions septiques. C’est ce qui explique
également la sérothérapie antitétanique et la vaccination
antitétanique chez ces malades non vaccinés dans la majorité des cas.
CONCLUSION
Notre étude montre l’efficacité du protocole que nous utilisons. Elle montre surtout que le sérum antivenimeux peut
être utilisé avec succès sans effets secondaires notables
(pour notre courte série).
Elle ouvre la voie pour une étude plus large, couvrant
l’ensemble du pays ce qui permettra une évaluation et des
conclusions plus précises concernant les différents types de
serpents, les lésions qu’ils provoquent et l’efficacité du
traitement.
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