Les Portugais prêts à reconduire le champion de l`austérité

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Les Portugais prêts à reconduire le champion de l`austérité
samedi 3 - dimanche 4 octobre 2015 LE FIGARO
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L'ÉVÉNEMENT
Les Portugais prêts à reconduire
le champion de l’austérité
Sur fond de reprise économique, le premier ministre devrait être réélu dimanche.
ANNE CHEYVIALLE
£@AnneCheyvialle
ENVOYÉE SPÉCIALE À LISBONNE
EUROPE À la veille d’élections législatives, la campagne se perçoit à
peine dans les rues de Lisbonne. Les
affiches se font discrètes et les distributions de tracts très rares. La
crise et les restrictions budgétaires
sont passées par là. Les partis politiques aussi ont réduit leurs dépenses.
Le pays est passé par trois années de
récession entre 2011 et 2013, perdant près de 7 points de PIB, et une
mise sous tutelle de l’intransigeante
troïka (BCE, FMI et Union européenne). En échange d’une aide de
78 milliards d’euros, le gouvernement conservateur de Pedro Passos
Coelho a coupé dans les dépenses,
réduit les aides sociales et les salaires des fonctionnaires, supprimé
des jours de congés, augmenté les
impôts pour redresser les finances
publiques. Une potion amère pour
les Portugais qui s’est accompagnée
d’une forte hausse du chômage et
d’une émigration massive.
Le chemin de la croissance
Les efforts ont porté leurs fruits,
défendent les partisans de l’austérité, salués aussi par les partenaires
européens, à Bruxelles et Berlin. Le
Portugal fait figure de bon élève de
la zone euro, à côté du laxisme grec.
« L’austérité a été provoquée par
une hausse insensée des dépenses ;
nous n’avions pas le choix. Le Portugal est l’anti-Grèce ! », ponctue
Jorge Braga de Macedo, ancien ministre des Finances, proche du gouvernement. Cela fait maintenant
18 mois que le Portugal a retrouvé
son indépendance financière et
repris le chemin de la croissance. Lisbonne a même
remboursé en anticipation
une partie des prêts au FMI.
Mois après mois, les signaux
de reprise se confirment :
boom des exportations, regain de confiance, hausse de la
consommation et des investissements, baisse du chômage. « Le
pays s’est structurellement renforcé », souligne Jean-Louis Daudier
de Coface, citant le retour de la
croissance, l’amélioration du risque
souverain et la réduction des déséquilibres extérieurs. L’an dernier, le
Portugal a enregistré le premier excédent commercial depuis 1993
contre un déficit de 10 % du PIB en
2010. Si le pays a bénéficié d’éléments extérieurs - baisse de l’euro
et de la facture énergétique - le redressement tient aussi aux efforts
structurels. Les investissements directs étrangers reviennent en force,
attirés par le regain de compétitivité et les incitations fiscales. Le chef
du gouvernement surfe sur la reprise pour l’emporter dimanche. Il
promet aussi de desserrer l’étau
budgétaire. Donnée perdante il y a
quelques mois, la coalition de droite
est créditée dans les derniers sondages de six points d’avance sur
l’opposition socialiste. Une réélection dimanche serait une première
en zone euro. Aucun gouvernement
n’a survécu à la crise et aux cures
d’austérité. « Le péril grec joue »,
note le politologue, Antonio Costa
L'économie portugaise en bonne voie
CROISSANCE DU PIB, en %
Portugal
Zone euro
2%
2
1,5 %
1,5 %
0
-2
2,5 millions de pauvres
-4 %
-4
2008
2009
2010
2011
TAUX DE CHÔMAGE, en %
2012
2013
2014 2015*
Portugal
Zone euro
20
16,4 %
13,5 %
15
10
5
11,1 %
7,7 %
2008
Source : Eurostat
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015*
Infographie
*prévisions
Pinto. Les images cet été des files de
retraités grecs devant les guichets
de banques ont marqué les Portugais. « Personne n’échange la certitude contre l’incertitude », a martelé
le chef du gouvernement pendant
la campagne. Si l’argument porte
dans les milieux d’affaires exportateurs, le Portugais de la rue est plus
critique.
« Les classes moyennes ne voient
pas d’amélioration dans leur quotidien. Au contraire, nombre d’entre
eux se sont appauvris », déplore
Henrique Pinto, de la fondation
Caritas. Plus de 2,5 millions de Portugais, soit une personne sur quatre, sont sous le seuil de pauvreté,
précise-t-il. La situation reste difficile pour de nombreuses entreprises. « Je traite encore beaucoup
de dossiers de faillite et de recouvrement de crédit », illustre l’avocate
Ines Serra Lopes. L’endettement
colossal des entreprises et des ménages, ajouté à une dette publique
de 127 % du PIB, restent un frein
majeur à une reprise sans nuage. ■
Une
victoire
des socialistes
impliquerait
un retour
aux vieilles
politiques
démagogiques
qui ont poussé
le pays vers
la faillite
»
PEDRO PASSOS COELHO,
PREMIER MINISTRE
DU PORTUGAL
FRANCISCO LEONG/AFP
Défilé printemps-été
lors de la Fashion Week
de Porto, vendredi.
PEDRO LOPES/
BRAZIL PHOTO PRESS
Porto
2,7 %
Déficit public
prévu en 2015
Lisbonne
Le textile à la conquête du monde après dix ans de crise
A
REPORTAGE
Troquer son fournisseur en Italie
au savoir-faire mondialement reconnu pour le Portugal, un pays
longtemps cantonné dans le bas de
gamme, le pari était risqué pour
Susanna Horal. La jeune graphiste
suédoise a lancé depuis trois ans
une marque de chaussures de luxe
avec sa compatriote styliste, Heidi
Göral. Des modèles exclusifs faits
main vendus plus de 1 000 euros à
New York, Londres ou Tokyo. Susanna vient de passer trois jours
chez son nouveau fabricant dans un
village au sud de Porto, région traditionnelle de la chaussure, pour
vérifier la qualité des premières
pièces.
La voilà rassurée, satisfaite du
résultat, conquise à la fois par le
dynamisme et le professionnalisme de la petite entreprise familiale
et sous le charme du pays et de son
accueil. Sans donner son nom, secret de fabrication oblige, la jeune
graphiste loue « l’esprit de battant » du chef d’entreprise « qui
travaille plus vite qu’en Italie » pour
un prix 30 % moins élevé. « Nous
avons décidé de changer car nos
coûts de production ne cessaient
d’augmenter, précise-t-elle, critiquant le manque de fiabilité de son
sous-traitant milanais. Mais sans le
label « made in Italy », le risque
est de perdre des clients exigeants.
« Pour l’instant, nous n’avons
39,9 %
Poids des
exportations
dans le PIB,
contre
26 % en 2005
36e
Le Portugal
a gagné 15 places
en 2014 dans
le classement
de compétitivité
du Forum
économique
mondial
aucun retour négatif », glisse-t-elle, tout sourire.
Dans les locaux d’Apiccaps à
Porto, l’association portugaise industries de la chaussure, Joao Mario, le directeur exécutif, le reconnaît : « Le déficit d’image du
Portugal est notre grand défi ! Pour
un produit de même qualité, un
concurrent italien vend encore 18 %
plus cher que nous ! » C’était beaucoup plus au début des années
2000, à plus de 30 %.
Entre-temps, il y a eu l’arrivée en
force de la Chine suite à son adhésion, en 2001, à l’Organisation
mondiale du commerce. En quelques années, le textile portugais,
fleuron national de l’industrie, a
perdu 30 % de la production et des
emplois. La concurrence chinoise a
contraint les entreprises survivantes à s’adapter, investir, innover et
se diversifier.
Créé en 1995, le groupe LMA, spécialiste du vêtement de sport, fournissait les plus grandes marques,
Nike, Adidas ou Puma, jusqu’à équiper 22 équipes du Mondial de football de 2002. En 2005 et 2006, victime des Chinois, il perd plus de 40 %
de son chiffre d’affaires. « Nous
avons totalement repensé la société,
développé des nouvelles niches comme les textiles techniques pour policiers et pompiers, recruté du personnel plus formé », raconte le directeur
général, Manuel Barros, depuis la
Fashion Week de Porto. Depuis
2007, son chiffre d’affaires n’a cessé
d’augmenter jusqu’à une année
2014 record, à 7 millions d’euros, et
le nombre de ses clients a été multiplié par trois. « Adidas est revenu
vers nous car les prix en Asie ont augmenté ! », se félicite l’entrepreneur.
Les exportations portugaises ont
aussi profité de la dépréciation de
l’euro. Les ventes de textile ont fortement augmenté aux États-Unis,
de 33 % entre janvier et juillet. « Il y
a un regain d’appétit pour notre linge
de maison haut de gamme », illustre
Braz Costa, directeur général de
Citeve, centre d’innovation technologique du textile. Le secteur, qui
pèse 10 % dans les exportations to-
“
Adidas est revenu
vers nous car les prix en
Asie ont augmenté !
”
MANUEL BARROS, DIRECTEUR GÉNÉRAL
DU GROUPE LMA
tales du pays, contribue au redressement de la balance commerciale,
dopée par le regain de compétitivité. Les mesures d’économie prises
pour surmonter la crise ont fait
baisser le coût du travail. Miguel
Frasquilho, président d’Aicep,
l’agence pour les investissements
extérieurs et les exportations, met
en avant « les réformes structurelles
et le plan export du gouvernement
assorti d’aides financières et
d’exemptions fiscales ». En dix ans,
le poids des exportations dans le PIB
est passé de 26 % à presque 40 %.
Le terrain de chasse est sorti de la
seule sphère européenne. « L’objectif de 50 % est atteignable d’ici à
2020, ajoute-t-il. La crise a fait évoluer les mentalités des entrepreneurs
qui étaient centrés sur la demande
interne. Ils ont compris que notre
marché de 10,5 millions de personnes
est trop restreint ! »
Dans les couloirs de la Fashion
Week de Porto, installée dans le bâtiment historique des douanes, la
tonalité est au beau fixe. Les acheteurs internationaux se pressent
dans les stands, à l’affût des nouveautés. Signe du renouveau portugais, les fabricants ne sont plus seulement sous-traitants, ils lancent
leur propre marque à l’exemple de
Mad Dragon Seeker ou la célèbre
styliste Katty Xiomara. L’entrée du
salon est dédiée aux dernières innovations technologiques poussées
par le Citeve. S’y côtoient tissus à
microprocesseurs pour l’automobile, vêtements anti-feu, enveloppes
photovoltaïques pour ballons dirigeables ou encore chaussettes médicales à nanoparticules pour diffuser un traitement anti-veineux.
« Nous aidons les entreprises à entrer
dans les chaînes de valeur mondiale », insiste Braz Costa. Sur place, les
hommes d’affaires s’en félicitent, la
crédibilité du Portugal s’est nettement améliorée depuis que le pays
s’est affranchi de la tutelle des ses
créanciers internationaux. ■
A. C. (À PORTO)
HAVRE
FISCAL DES
RETRAITÉS
EUROPÉENS
Le Portugal est devenu
la destination privilégiée
des retraités européens,
attirés par le climat,
la douceur de vivre
et les avantages fiscaux
octroyés par
le gouvernement.
Il faut résider six mois
minimum pour être
exonéré de l’impôt
sur le revenu. Selon
les données de Bercy,
617 Français ont franchi
le pas en 2013 mais le
dispositif était encore
très récent. Ils seraient
plusieurs milliers
aujourd’hui. Lisbonne
et Porto sont aussi
devenus très prisées
des touristes. Le secteur
connaît une croissance
à deux chiffres, profitant
de l’insécurité
dans les pays arabes
et de l’arrivée
des compagnies
low-cost.