L`expérience des parents d`un enfant d`orientation homosexuelle
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L`expérience des parents d`un enfant d`orientation homosexuelle
Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille MODULE 1 – QUELQUES ENJEUX SPÉCIFIQUES RENCONTRÉS PAR LES PERSONNES DE LA DIVERSITÉ SEXUELLE, LEUR COUPLE ET LEUR FAMILLE À DES ÉTAPES CLÉS DE LEUR CHEMINEMENT DE VIE 1.1 L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE : SAVOIRS ISSUS DES RECHERCHES ET PERSPECTIVES D’INTERVENTION (K. LAVOIE & I. CÔTÉ), SERVICE SOCIAL, VOL. 60, N° 1, 2014. 1.2 LES STRATÉGIES IDENTITAIRES DES LESBIENNES ET DES GAIS VIVANT DANS DES RÉGIONS NON MÉTROPOLITAINES DU QUÉBEC, L. CHAMBERLAND ET J. 1.3 VIEILLIR DANS LA COMMUNAUTÉ GAIE ET LESBIENNE, EXTRAIT DE NOUVEAU REGARD SUR L’HOMOPHOBIE ET L’HÉTÉROSEXISME (B. RYAN), 2003, PAGES 59-60. 1.3.1 CHARTE DE LA BIENTRAITANCE ENVERS LES PERSONNES AÎNÉES LESBIENNES, GAIES, BISEXUELLES ET TRANSIDENTAIRES 1.4 LES ENJEUX DE SANTÉ MENTALE CHEZ LES AINÉS GAIS ET LESBIENNES (J. BEAUCHAMP & L. CHAMBERLAND), SANTÉ MENTALE AU QUÉBEC, VOL. XL, NO 3, AUT. 2015. MODULE 2 – LES COMPÉTENCES À DÉVELOPPER POUR MIEUX INTERVENIR AUPRÈS DES PERSONNES DE LA DIVERSITÉ SEXUELLE, LEUR COUPLE ET LEUR FAMILLE 2.1 PRINCIPAUX PROBLÈMES PSYCHOSOCIAUX RENCONTRÉS PAR LES PERSONNES DES DIVERSITÉS SEXUELLES 2.2 DÉVELOPPER UNE INTERVENTION EXEMPTE DE BIAIS HÉTÉROSEXISTE (I. DEMCZUK & L. PERERS), 2.3 COMMENT ABORDER LA QUESTION DE LA SEXUALITÉ AVEC LES CLIENTÈLES ? BIBLIOGRAPHIE POUR EN SAVOIR PLUS MODULE 3 – RÉSILIENCE ET CAPACITÉ D’AGIR CHEZ LES PERSONNES DE LA DIVERSITÉ SEXUELLE 3.1 3.2 3.3 3.4 RÉSILIENCE ET EMPOWERMENT, (D’APRÈS MICHEL DORAIS, LE MÉTIER D’AIDER, VLB ÉDITEUR, 2015) PARENTALITÉ ET JEUNES TRANSGENRES : UN SURVOL DES ENJEUX VÉCUS ET DES INTERVENTIONS À PRIVILÉGIER POUR LE DÉVELOPEMENT DE PRATIQUES TRANSAFFIRMATIVES (A. PULLEN-SANSFAÇON), SANTÉ MENTALE AU QUÉBEC, VOL XL, NO 3, 2015 VIVRE AVEC DE MULTIPLES BARRIÈRES, GROUPE METISS/AGIR, 2015 (EXTRAITS). PROGRAMME NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE 2015-2025 MODULE 4 – PISTES DE PRÉVENTION POUR DIMINUER LES FACTEURS DE RISQUE ET AUGMENTER LES FACTEURS DE PROTECTION CHEZ LES PERSONNES DE LA DIVERSITÉ SEXUELLE 4.1 4.2 4.3 4.4 4.5 ON NE VA PAS S’ARRÊTER EN SI BON CHEMIN, DE SAINS ET SAUFS, (M. DORAIS & E. VERDIER), VLB, 2005, P. 148-49. POWER POINT «VERS LA MISE EN ŒUVRE D’ACTIONS CONCERTÉES VISANT L’ÉLIMINATION DE L’HOMOPHOBIE LES 4 TYPES DE PRÉVENTION DE L’INTIMIDATION HOMOPHOBE SELON DONN SHORT («DON’T BE SO GAY», UBC, 2013). LA TRANSPHOBIE EN MILIEU SCOLAIRE AU QUÉBEC (L. CHAMBERLAND ET AUTRES), 2011, P. 22-33. L’INTERVENTION AUPRÈS DES CLIENTÈLES ISSUES DE LA DIVERSITÉ SEXUELLE, RÉSUMÉ D’APRÈS UN TEXTE DE SYLVIE THIBEAULT, UQO, (RECHERCHES #49) BIBLIOGRAPHIE POUR EN SAVOIR PLUS 3 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 1.1 Article « L’expérience des parents d’un enfant d’orientation homosexuelle : savoirs issus des recherches et perspectives d’intervention » Kévin Lavoie et Isabel Côté Service social, vol. 60, n° 1, 2014, p. 15-33. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1025131ar DOI: 10.7202/1025131ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] 9 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille L’expérience des parents d’un enfant d’orientation homosexuelle : savoirs issus des recherches et perspectives d’intervention LAVOIE, Kévin Étudiant à la maîtrise Travail social Université du Québec en Outaouais CÔTÉ, Isabel Professeure Travail social Université du Québec en Outaouais RÉSUMÉ Au cours des trente dernières années, plusieurs chercheurs et intervenants sociaux se sont intéressés à l’expérience des jeunes de minorités sexuelles, particulièrement en ce qui concerne le dévoilement de leur orientation sexuelle et ses répercussions sur le plan de la santé physique et mentale. Or, peu d’études ont exploré le point de vue des parents d’un enfant d’orientation homosexuelle. L’objectif principal de cet article est de faire l’état des connaissances à propos de l’expérience singulière de ces parents, au regard de la diversité de leurs réactions à l’annonce de l’homosexualité de leur enfant et l’émergence de leur nouvelle identité parentale et conjugale. Cette démarche s’inscrit dans une volonté d’acquérir une compréhension et une analyse critique de ce phénomène, en plus de documenter les pratiques d’intervention psychosociale et communautaire développées à l’intention des parents. Mots-clés : Dévoilement de l’orientation sexuelle, homosexualité, parent, enfant, jeune ABSTRACT Over the last thirty years, many researchers and practitioners have focused on the experience of sexual minorities youth, particularly in regard to the disclosure of their sexual orientation and its implications for their physical and mental health. However, few studies have explored the perspective of parents of a gay or lesbian child. The main objective of this article is to review the state of knowledge about the unique experience of these parents, in terms of the diversity of their reactions to the coming out of their child’s homosexuality and the emergence of their new parental and spousal identity. This is part of an effort to gain an understanding and a critical analysis of this phenomenon, in addition to documenting the psychosocial and community practices developed for those parents. Keywords: Coming out, Sexual orientation, Homosexuality, Parent, Child, Youth Service social – Volume 60, numéro 1, 2014 10 Cahier de documents d'accompagnement 16 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE INTRODUCTION Depuis plus de trente ans, plusieurs spécialistes en recherche sociale et en intervention clinique se sont intéressés à l’expérience des jeunes des minorités sexuelles, particulièrement en ce qui concerne le dévoilement de leur orientation sexuelle1 et de ses répercussions sur le plan individuel (LaSala, 2013). Aujourd’hui, les gais et les lesbiennes divulguent leur réalité affective à leur entourage plus tôt dans leur vie, comparativement aux générations précédentes (Dube, 2000 ; Schope, 2002). Considérant l’acceptation croissante de la diversité sexuelle et la présence accrue de modèles positifs dans la société, certains jeunes prennent conscience de leur attirance envers les personnes de même sexe, cheminent vers l’acceptation de leur homosexualité et la dévoilent parfois à l’aube de leur adolescence. Or, malgré les avancées légales survenues au Québec et au Canada mettant fin à toute discrimination juridique envers les personnes homosexuelles, l’égalité sociale n’est pas encore pleinement atteinte pour les membres des communautés gaies et lesbiennes. L’homophobie, la lesbophobie et l’hétérosexisme sont encore présents dans les établissements scolaires (Chamberland et al., 2011 ; Émond et Bastien Charlebois, 2007 ; Taylor et al., 2010), les milieux de travail (Chamberland, 2007 ; Dowling et Buxton, 2005) et le réseau de la santé et des services sociaux (Brotman et al., 2006 ; Robinson, 2009). Exacerbées par le stress lié au statut minoritaire (Meyer, 2003), les oppressions homophobes et hétérosexistes peuvent engendrer des effets négatifs sur la santé physique et mentale des personnes homosexuelles (Julien et Chartrand, 2005). Ces dernières sont plus susceptibles d’avoir une faible estime de soi, de ressentir de l’anxiété et d’adopter des comportements à risque lorsqu’elles se sentent isolées, incomprises et rejetées par leurs pairs (Rohner, 2004 ; Ryan, 2003). L’absentéisme et le décrochage scolaire sont aussi des répercussions négatives associées à la victimisation (Walton, 2004), de même que la dépression et la détresse suicidaire (Charbonnier et Graziani, 2013 ; Dorais et Lajeunesse, 2000). Les craintes réelles ou appréhendées liées au dévoilement de leur orientation sexuelle accentuent considérablement la vulnérabilité des personnes gaies et lesbiennes, particulièrement à l’adolescence (D’Augelli, 2002 ; Savin-Williams, 2001). Craignant le rejet et l’ostracisme, ces jeunes sont susceptibles de vivre des moments d’angoisse à l’idée de se confier à leurs parents, surtout s’ils sont dépendants d’eux sur le plan financier ou émotionnel (D’Augelli et al., 1998 ; Paul et al., 2002). Ils attendront parfois de quitter le giron familial avant de révéler leur homosexualité, profitant de points tournants dans leur vie pour le faire, comme la poursuite d’études postsecondaires dans une autre ville. Malgré ces appréhensions, plusieurs souhaitent tout de même aller de l’avant dans leur processus de coming out auprès de leurs parents, afin de cesser de mentir par omission ou pour rendre leurs relations plus authentiques (Savin-Williams, 2001 ; Strommen, 1990). 1 Cette expression, aussi appelée coming out ou « sortie du placard », réfère au processus par lequel une personne gaie ou lesbienne dévoile, annonce ou confie son homosexualité à son entourage (les amis et amies, les membres de la famille, les camarades de classe, les collègues de travail, etc.). 11 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille REVUE SERVICE SOCIAL 17 Lorsqu’ils dévoilent leur orientation sexuelle, les jeunes sont susceptibles de se confier d’abord à leurs amis, ensuite à leur mère et, finalement, à leur père (Carnelley et al., 2011 ; Charbonnier et Graziani, 2011 ; Savin-Williams et Ream, 2003). Les recherches démontrent que l’acceptation et le soutien parental sont des facteurs de protection contre les effets négatifs de la victimisation sur le bien-être et la santé mentale des jeunes gais et lesbiennes (D’Augelli et al., 2005 ; Needham et Austin, 2010 ; Padilla et al., 2010). À cet égard, les parents ont un rôle important à jouer auprès de leur enfant (Goldfried et Goldfried, 2001). Leur réaction initiale est un facteur déterminant quant à la qualité de la relation qu’ils entretiendront avec leur enfant après le dévoilement de son orientation sexuelle (Ben-Ari, 1995). À la lumière de ces différents constats, il apparaît pertinent de s’enquérir du point de vue des parents d’un enfant gai ou lesbienne. L’objectif principal de cet article est de faire une synthèse des connaissances sur l’expérience des parents en contexte de dévoilement de l’homosexualité de leur enfant, à travers une recension de la documentation sur le sujet. Les recherches ont été analysées de manière à répondre aux questions suivantes : comment réagissent-ils à cette annonce ? Comment s’adaptent-ils à cette nouvelle facette de leur vie familiale ? Quelles sont les interventions sociales à favoriser pour le soutenir ? Puisque la vaste majorité des études se sont penchées presque exclusivement sur le vécu de parents d’enfants d’orientation homosexuelle et que les expériences des personnes bisexuelles sont peu documentées (Watson, 2014), nous avons choisi de circonscrire notre démarche et de ne pas généraliser les résultats aux réalités associées à la bisexualité. Divisé en quatre parties, cet article marque une volonté d’acquérir une compréhension et une analyse critique de ce phénomène, en plus d’amorcer une réflexion sur les pratiques sociales auprès des familles. La première partie propose un survol des réactions des parents en réponse à la divulgation de l’orientation sexuelle de leur enfant, tandis que la deuxième présente les défis associés à leur nouvelle identité en tant que parents d’un enfant non hétérosexuel. La troisième section explore les pratiques psychosociales et communautaires développées à leur intention. Enfin, la dernière partie expose les limites des études recensées et les prospectives de recherches sur le sujet. L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE Phénomène émergent s’il en est, l’expérience des parents d’un enfant gai ou lesbienne demeure peu documentée à l’heure actuelle. La majorité des écrits sont d’origine étasunienne et reposent majoritairement sur des récits anecdotiques ou des témoignages rétrospectifs de parents (D’Amico et al., 2012). Bien que le Québec se démarque par ses mesures progressistes en matière de diversité sexuelle et de lutte contre l’homophobie (Audet, 2007 ; Gouvernement du Québec, 1997 ; Gouvernement du Québec, 2009), peu de recherches se sont attardées à l’expérience des parents d’un enfant non hétérosexuel (D’Amico, 2010). Longtemps consacrées aux aspects biologiques et médicaux associés à l’homosexualité, les études occidentales sur les minorités sexuelles appréhendent depuis une quinzaine d’années seulement l’expérience des personnes homosexuelles en tenant compte de leurs réalités sociales et familiales (LaSala, 2013 ; Tremblay et al., 2007). 12 Cahier de documents d'accompagnement 18 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE La démarche documentaire La méthode utilisée pour effectuer cette recension respecte les normes habituellement préconisées pour ce genre de démarche (Cooper, 2010 ; Curtis et Curtis, 2011). Elle a pour but d’identifier les thèmes centraux examinés jusqu’à maintenant par les chercheurs, d’intégrer les savoirs issus des recherches et d’en dégager les contradictions et les limites. Différentes bases de données couramment utilisées en sciences sociales ont été consultées pour effectuer la recension des écrits dont PsycARTICLES, Sage Journals Online, SocINDEX, Social Services Abstracts, Taylor & Francis, Cairn et Érudit. Les mêmes mots-clés ont été utilisés pour les bases de données anglophones soit « coming out », « youth », « homosexual* » et « parental reaction » alors que les mots-clés « homosexu* », « adolescen* » et « parent* » ont été employé pour les bases de données francophones. Le corpus a été complété par l’ajout d’articles pertinents référencés dans la bibliographie de ceux repérés dans les bases de données. Seuls les articles publiés depuis le début des années 1990 ont été considérés. Pour être retenus, les articles et autres documents devaient traiter de la diversité des réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité d’un enfant, des enjeux et des considérations associés à l’émergence d’une nouvelle identité parentale et familiale ou, encore, aborder plus spécifiquement les pratiques d’intervention psychosociale ou communautaire visant à soutenir les parents. Une quinzaine de ces articles se basent sur le point de vue des parents eux-mêmes, 19 traitent plutôt de la perception des jeunes quant à la réaction de leurs parents lors du dévoilement et 15 offrent une perspective croisée. La recension des écrits a permis de rassembler 49 documents (n = 49) contributifs à l’articulation de cette problématique, dont 29 études empiriques, 3 recensions, 4 articles ou chapitres de livre de facture théorique, 12 articles ou monographies d’orientation clinique et une thèse de doctorat. Ce matériau provient majoritairement de recherches en psychologie, mais aussi d’autres disciplines comme le travail social et la thérapie conjugale. Enfin, les articles publiés dans d’autres langues que le français ou l’anglais n’ont pas été retenus. Les réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité de leur enfant « Maman, Papa… j’ai quelque chose d’important à vous dire » Le dévoilement de l’homosexualité d’un enfant est vécu de différentes façons de la part des parents. Les réactions oscillent entre le positif et le négatif et peuvent même être contradictoires (D’Amico et al., 2012). Contrairement à la croyance populaire, ce moment n’est pas toujours le précurseur d’une crise familiale (Savin-Williams et Dube, 1998). Il est toutefois synonyme de bouleversements, lesquels varient selon divers facteurs, tels que les croyances religieuses, l’origine ethnique, l’accessibilité à des ressources de soutien et le niveau de connaissances par rapport aux réalités homosexuelles des parents (Bertone et Franchi, 2014 ; Goodrich, 2009 ; Savin-Williams, 1998). Selon Strommen (1989), la moitié des parents réagissent négativement lors du coming out de leur enfant. Les résultats des recherches plus récentes précisent que les réactions parentales vont au-delà de la dichotomie rejet/acceptation et qu’elles s’inscrivent plutôt dans un spectre d’émotions et de comportements, comprenant la honte, la culpabilité, le déni, la détresse, la tristesse et la colère (Armesto et Weisman, 2001 ; Saltzburg, 2004 ; Willoughby et al., 2006). 13 Cahier de documents d'accompagnement REVUE SERVICE SOCIAL Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 19 Dans le cadre d’une étude réalisée auprès de huit parents d’un enfant gai ou lesbienne, Susan Saltzburg (2004) s’est intéressée à la variabilité des réactions parentales, à travers une démarche rétrospective et phénoménologique. Ses résultats montrent que les réactions des parents sont plurielles et diversifiées. Certains d’entre eux se demandent si c’est de leur « faute » si leur enfant est comme « ça », accentuant leurs sentiments de culpabilité et de blâme à propos de leurs compétences parentales. D’autres exprimeront des craintes par rapport au bien-être de leur enfant et de ses perspectives d’avenir, tandis que d’autres refuseront d’accueillir la nouvelle, croyant qu’il ne s’agit que d’une phase passagère. Certains parents se sentiront trahis, interprétant le fait de ne pas avoir été mis au courant en premier comme le gage d’un manque de confiance envers eux. Finalement, quelques-uns réagiront plus violemment en reniant leur enfant ou en le sommant de quitter la maison familiale. D’Amico et ses collègues (2012) abondent dans le même sens, mais soulignent également que le coming out d’un enfant peut aussi avoir des répercussions positives. En effet, certains parents estiment que cet événement leur a permis de faire preuve de soutien et de sollicitude, en plus d’être une occasion de conforter leur sentiment d’amour inconditionnel envers leur enfant. D’autres associent le coming out de leur fille ou de leur fils à une preuve d’audace ou de courage, ce qui leur procure un sentiment de fierté. La façon dont se déroulera le dévoilement peut également avoir un impact sur les réactions des parents. Selon Ben-Ari (1995), une façon positive d’annoncer son homosexualité telle que « je suis gai et heureux » est liée à une plus grande réceptivité chez les parents, comparativement à une formulation plus neutre (par exemple : « je suis gai ») ou négative (« mon problème est que je suis gai »). Plusieurs facteurs peuvent influencer les réactions parentales. L’adhésion à des traditions et valeurs hétérosexistes et à une vision stéréotypée des rôles de genre semble attiser le rejet des personnes d’orientations non hétérosexuelles (D’Augelli, 2006 ; Heatherington et Lavner, 2008 ; Ryan et al., 2009). De même, l’adhésion à une religion qui condamne l’homosexualité peut exacerber le désespoir des parents ou les tensions entre les membres de la famille (Bertone et Franchi, 2014). Certaines caractéristiques du système familial sont également à considérer. Les résultats de la recherche conduite par Willoughby et ses collègues (2006) auprès de 72 jeunes hommes âgés de 18 à 26 ans montrent que les réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité de leur fils sont liées à la cohésion familiale et à l’exercice de l’autorité parentale. Les réactions semblent plus positives chez les familles présentant une plus forte cohésion et dont les parents sont perçus comme impliqués auprès de leurs enfants, contrairement à celles des parents présentant un style parental autoritaire et dont la cohésion familiale est moins affirmée. En outre, des éléments de l’environnement familial peuvent moduler le niveau de cohésion et le degré d’adaptabilité des familles, dont leur niveau de connaissances avérées sur les réalités gaies et lesbiennes et la fréquence des contacts qu’elles entretiennent ou non avec des membres de la diversité sexuelle (Darby-Mullins et Murdock, 2007 ; Reeves et al., 2010). Contrairement aux idées reçues, les réactions parentales lors du dévoilement ne diffèrent pas en fonction du sexe de l’enfant ou celui du parent (Charbonnier et Graziani, 2011 ; D’Amico et Julien, 2012 ; Saltzburg, 2004). Toutefois, elles entraînent des répercussions différentes quant à l’adaptation du jeune à la suite du dévoilement de son orientation sexuelle. L’étude réalisée au 14 Cahier de documents d'accompagnement 20 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE Québec par D’Amico (2010) auprès de 53 dyades parents/enfant démontre que les réactions de la mère et celles du père influent différemment sur le processus d’adaptation des jeunes. Utilisant un devis de recherche mixte, cette recherche a permis d’identifier trois facteurs de classification des réactions parentales, issus de l’analyse factorielle, soit le soutien apporté à l’enfant, la détresse exprimée par le parent et les doutes entretenus quant à la stabilité de l’orientation sexuelle de l’enfant. Les réactions négatives de la mère et un manque de soutien de sa part sont liés à des difficultés d’affirmation identitaire et de détresse psychologique chez le jeune, tandis que les réactions négatives du père et les doutes qu’il exprime quant à la stabilité de l’orientation sexuelle de son enfant sont liés à des épisodes de détresse suicidaire et à des problèmes de consommation de drogues vécus par ce dernier au cours de la dernière année. Ces résultats sont concordants avec ceux de l’étude menée en France par Charbonnier et Graziani (2011) auprès de 33 jeunes lesbiennes et de 49 jeunes gais. Si les réactions parentales en réponse au dévoilement de l’orientation sexuelle de leur enfant ne diffèrent pas significativement entre les pères et les mères, il reste néanmoins que les jeunes interrogés considèrent que l’attitude maternelle évolue plus rapidement vers une plus grande acceptation. Contrairement à l’étude québécoise de D’Amico (2010), les résultats montrent que, si les réactions paternelles négatives sont liées aux idéations et à l’agir suicidaires, les attitudes négatives des mères ne semblent pas avoir d’impacts particuliers. Vers une nouvelle identité parentale et familiale « Je suis le parent d’un enfant pas comme les autres » Apprendre que son enfant est gai ou lesbienne provoque une redéfinition de l’identité parentale (Goodrich, 2009 ; Grafsky, 2014). La négociation d’un passage vers cette nouvelle identité s’inscrit dans un processus d’adaptation (D’Augelli, 2005). Certaines études ont comparé ce processus à celui d’un deuil, évoquant le cadre d’analyse en cinq étapes développé à l’origine par Kübler-Ross (1969) où le choc, le déni, la colère et la négociation se succèdent pour mener finalement à l’acceptation. Des études ultérieures ont toutefois précisé que ce processus n’est pas linéaire, et que son apport conceptuel et clinique est reconnu pour une variété de situations potentiellement stressantes. En ce sens, l’usage du terme « deuil » pour référer à des événements autres que la mort, tel le coming out d’une personne, est jugé inadéquat. Savin-Williams et Dube (1998) estiment qu’une adhésion trop rigide à ce modèle mène à une vision réductrice de l’expérience des parents et ne rend pas compte de la diversité de leurs réactions potentielles, ce qui peut avoir pour effet d’accentuer leur détresse et de les déposséder de leur pouvoir d’agir. Les perceptions qu’entretiennent les parents par rapport à l’homosexualité en général influenceront grandement ce processus ; par exemple, un parent craignant que son enfant soit victime d’ostracisme ressentira de la tristesse plutôt que du déni, tandis qu’un autre éprouvera peut-être de la colère s’il considère que l’homosexualité est un choix et que son enfant fait fausse route en adoptant un tel « style de vie ». La capacité de résilience des parents, reflétée entre autres par leurs habiletés de communication et leur ouverture d’esprit, est considérée comme un atout qui les prédispose à vivre sainement ce processus (Lee et Lee, 2006). À travers une recension des recherches empiriques, Heatherington et Lavner (2008) proposent un modèle conceptuel novateur intégrant trois 15 Cahier de documents d'accompagnement REVUE SERVICE SOCIAL Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 21 dimensions qui influencent le processus d’adaptation des parents, soit les réactions initiales de la mère, du père et de la fratrie lors du coming out, les interactions entre les membres de la famille et le bien-être familial. Les variables individuelles (culture, ethnie, religion, etc.) et relationnelles (cohésion entre les membres, adaptabilité de la famille, etc.) sont également prises en considération dans ce cadre d’analyse. Les éléments associés aux nouvelles constellations familiales, par exemple la présence des beaux-parents dans le cas des familles recomposées ou celle des membres de la famille choisie, ne sont toutefois pas compris dans ce modèle. Certains parents amorcent leur processus d’adaptation avant même la sortie du placard de leur enfant (Aveline, 2006 ; D’Augelli et al., 2008). Les comportements qui dérogent aux stéréotypes de genre sont alors perçus comme des indices trahissant une orientation homosexuelle. Les parents qui, par exemple, observent leur enfant jouer avec des jouets typiques de l’autre sexe (un garçon joue avec des poupées, une fillette s’amuse avec des camions) sont susceptibles d’entretenir certains doutes quant à son orientation sexuelle. À ce propos, D’Augelli et ses collègues (2005) ont interrogé 293 jeunes d’orientation homosexuelle ou bisexuelle au sujet de leur coming out à leur entourage. La majorité d’entre eux (n = 194) appartenait à un groupe dont les parents présumaient de leur orientation non hétérosexuelle, tandis qu’un deuxième groupe (n = 99) était constitué de jeunes dont les parents ne le savaient pas. Les résultats indiquent que les jeunes du premier groupe affirment avoir ressenti moins de craintes avant de révéler leur homosexualité ou leur bisexualité à leurs parents, et ont bénéficié d’un plus grand soutien de leur part après le dévoilement. De plus, ils dénotaient une moins grande homophobie intériorisée, contrairement aux répondants du deuxième groupe. Les chercheurs émettent l’hypothèse selon laquelle les réactions des parents se sont avérées plus positives lors du coming out des jeunes du premier groupe, puisqu’ils avaient déjà entamé, parfois inconsciemment, leur processus d’acceptation. Outre les réactions initiales présentées dans la section précédente, l’expérience des parents d’un enfant gai ou lesbienne est façonnée par d’autres éléments, dont celui de leur propre coming out. En effet, ces parents ont désormais le choix de dévoiler ou non leur statut minoritaire en tant que mère ou père d’un enfant d’orientation homosexuelle. Dès lors, ils doivent faire face à des craintes similaires à celles vécues par les personnes gaies et lesbiennes (Crosbie-Burnett et al., 1996 ; Goodrich, 2009). La peur du rejet et du jugement d’autrui s’immisce alors dans leur vie (Strommen, 1990). À la question « est-ce que votre fille à un amoureux ? » ou « comment se prénomme la copine de votre fils ? », les parents sont soudainement confrontés à la présomption d’hétérosexualité qui marginalise quotidiennement les membres de la diversité sexuelle. Les moments propices aux échanges et aux discussions, telles les réunions de famille et les activités de loisirs, sont autant d’occasions qui viennent exacerber le stress ressenti par les parents, particulièrement lorsque ces derniers ne sont pas à l’aise avec leur nouvelle identité (LaSala, 2000 ; Phillips et Ancis, 2008). Malgré tout, les chercheurs estiment que la grande majorité des parents finissent par accepter l’orientation sexuelle de leur enfant, sans toutefois en tirer un sentiment de fierté (Goodrich et Gilbride, 2010 ; Hunter, 2007). 16 Cahier de documents d'accompagnement 22 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE Perspectives d’intervention Les réponses sociales aux besoins spécifiques des parents d’un enfant d’orientation homosexuelle ont été documentées à partir de récits de pratique de thérapeutes et de psychologues cliniciens. Bien que les interventions décrites dans les articles et les livres publiés à ce sujet aient rarement fait l’objet d’une évaluation empirique, les savoirs d’expérience des spécialistes de la relation d’aide auprès des minorités sexuelles convergent vers deux objectifs principaux (Woodward et Willoughby, 2013). D’abord, l’intervention auprès des parents doit viser à améliorer la cohésion familiale et non pas à changer l’orientation sexuelle du jeune. L’apprentissage de techniques de communication efficaces et adaptées à leurs réalités et l’acquisition de nouvelles traditions familiales sont considérés comme les moyens à privilégier (Hunter, 2007). Ensuite, l’intervention doit favoriser l’acquisition de connaissances générales sur l’homosexualité. Cela permet de diminuer les peurs liées à l’inconnu, tout en offrant une vision positive et saine de cette orientation sexuelle (Saltzburg, 2004). Ces pratiques d’intervention sont décrites dans cette section en tenant compte des structures communautaires existantes au Québec, de l’accueil de la demande d’aide à l’évaluation des besoins, en passant par l’accompagnement et le soutien social entre pairs. Accueil de la demande d’aide Les personnes gaies et lesbiennes ont cheminé parfois pendant de nombreuses années avant d’être en mesure de dévoiler leur orientation sexuelle. LaSala (2000) rappelle que les parents ont eux aussi besoin de temps pour accepter le fait que leur enfant soit attiré par des personnes du même sexe. Lors du premier contact avec un parent en demande d’aide, plusieurs intervenants estiment qu’il est judicieux de le laisser « ventiler » ses émotions, sans recadrer immédiatement l’homophobie ou les préjugés décelés possiblement dans certaines paroles (Hunter, 2007). L’expression libre des craintes et des malaises ressentis par le parent est une étape importante, et ce, pour trois raisons. D’abord, elle favorise l’émergence d’un lien de confiance entre l’intervenant et le parent en permettant à ce dernier d’aborder, peut-être pour la première fois, une situation qui le bouleverse. Les techniques d’écoute active, de reformulation et de validation sont alors privilégiées. Ensuite, elle procure des informations quant aux perceptions entretenues par le parent à l’égard des personnes homosexuelles et, de façon plus subtile, son degré d’adhésion aux stéréotypes de genre. Sous le couvert de commentaires tels que « ça ne me dérange pas que ma fille soit lesbienne, mais elle est trop butch » ou « mon fils m’a dit qu’il est gai, mais pourquoi ne peut-il pas se comporter comme un vrai homme ? », le parent évoque son inconfort par rapport aux comportements et aux attitudes qui transgressent les modèles féminins et masculins traditionnels (Grossman et al., 2005 ; Kane, 2006). Finalement, elle laisse entendre au parent que ses réactions sont tout à fait normales et qu’elles sont le gage de son attachement avec son enfant, et non pas un désaveu à l’égard de ses capacités parentales. À l’aide d’une simple remarque telle « ce que j’entends à travers ce que vous me racontez, c’est que vous aimez énormément votre enfant et que vous souhaitez 17 Cahier de documents d'accompagnement REVUE SERVICE SOCIAL Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 23 son bien-être », la culpabilité ressentie jusqu’alors peut se transformer en sentiment de compétence. De fait, l’expression de la demande d’aide des parents est une occasion de normaliser leur situation, en plus de stimuler l’appropriation de leur pouvoir d’agir. Évaluation des besoins et accompagnement Par ailleurs, LaSala (2000) suggère aux praticiens sociaux de favoriser le maintien des contacts réguliers entre l’enfant et ses parents, sans nécessairement aborder de près ou de loin le sujet de l’orientation sexuelle. Par exemple, lors de conversations téléphoniques, les membres de la famille sont invités à discuter de sujets neutres susceptibles de ne pas aviver les tensions et dépourvus de jugements de valeur. L’objectif est de préserver le lien familial, aussi infime soit-il, tout en laissant le temps aux parents de cheminer à leur rythme et à l’enfant de conserver un lien avec sa famille d’origine. Une rupture complète des liens risque de compromettre la possibilité de les rétablir plus tard. Pour sa part, Green (2000) souligne l’apport important, et souvent négligé par les thérapeutes, de la « famille choisie », c’est-à-dire des individus que la personne homosexuelle identifiera comme importants dans sa vie, étant donné l’absence ou le rejet de sa famille d’origine. Bien qu’il n’y ait pas de lien de parenté entre eux, la personne gaie ou lesbienne entretient des liens significatifs avec les membres de sa famille choisie. Ces liens ne se substituent pas toujours à ceux qui ont été rompus avec la famille d’origine, mais peuvent s’additionner à ceux qui existent déjà. Selon Green (2000), la présence et le soutien des membres de la famille choisie doivent être reconnus, voire encouragés, de la part des intervenants sociaux. Lors de l’évaluation du fonctionnement social, les relations basées sur les affinités choisies plutôt que sur le lien de sang doivent être alors considérées afin d’identifier la richesse du réseau social de la personne et les sources potentielles de soutien. Tout au long de l’accompagnement des parents, l’intervenant peut leur suggérer diverses lectures afin de leur procurer des sources d’informations adéquates et vulgarisées. L’acquisition de connaissances exemptes de préjugés est jugée propice à la déconstruction de conceptions stéréotypées ou dépréciatives associées à l’homosexualité (Hunter, 2007). Bien que les ouvrages disponibles sur le sujet proviennent majoritairement des pays anglo-saxons et relèvent du domaine de la psychologie populaire (Martin et al., 2010), certains sont tout de même disponibles en français, dépeignent le contexte québécois et sont rédigés à l’intention des jeunes (Dorais et Verdier, 2005) ou de leurs parents (Giasson, 2007). En outre, Saltzburg (2007) souligne les mérites d’une intervention thérapeutique basée sur l’approche narrative, au cours de laquelle les parents sont invités à réfléchir et à réécrire leur histoire familiale en posant un regard non hétérosexiste. Le but est de se détacher de la situation pour être en mesure d’en cerner les ramifications et, éventuellement, de recadrer les attentes des parents (Long et al., 2006). Cette démarche s’accompagne de préoccupations éducatives visant à les sensibiliser aux réalités gaies et lesbiennes à l’aune des enjeux liés à l’homophobie. Soutien social et pratiques communautaires Les besoins exprimés par des parents en demande d’aide ont fait émerger différentes initiatives communautaires et associatives à travers la francophonie. À titre d’exemple, des outils de sensibilisation à l’intention des parents ont été développés en France (Association Contact, 18 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Cahier de documents d'accompagnement 24 L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE 2007) et en Belgique (Ex æquo et Tels Quels, 2009), principalement sous forme de brochures. Plus près de nous, au Québec, l’organisme RÉZO a mis en ligne en 2013 un site Internet2 à l’intention des parents et des proches de jeunes gais. Cette plateforme comprend une panoplie de vignettes d’informations vulgarisées permettant de répondre directement aux questions que se posent les parents, ainsi que des capsules vidéos présentant des témoignages de personnes interpellées de près ou de loin par l’expérience familiale associée au coming out d’un fils. Une liste exhaustive de ressources est également offerte. Plusieurs organismes québécois à but non lucratif proposent des services spécialisés pour les parents d’enfants de minorités sexuelles, dont le programme Jeunesse Idem3 situé à Gatineau et le groupe montréalais de l’association pancanadienne Parents, Families and Friends of Lesbians and Gays (PFLAG)4. Ce type d’entraide fournit un espace permettant aux parents de ventiler leurs émotions, de normaliser leurs réactions et d’atténuer leur sentiment de honte, en plus de leur offrir l’occasion de briser leur isolement (Broad, 2011 ; Saltzburg, 2009). Le Groupe régional d’intervention sociale de Québec5 offre depuis 2008 un service de soutien entre pairs. Après un premier contact téléphonique ou en personne avec un intervenant professionnel, le parent est invité à rencontrer un autre parent pour pouvoir échanger et discuter en toute confidentialité. Il pourra alors évoquer les questions qui le préoccupent (par exemple : « qu’est-ce que j’ai fait pour que mon enfant soit comme ça ? » ou « qu’est-ce que j’aurais dû faire ? ») sans craindre les jugements d’autrui. Le contact avec des parents ayant intégré leur nouvelle identité parentale et pouvant raconter leur cheminement avec sérénité procure des modèles positifs à ceux qui entament leur processus d’adaptation (Hunter, 2007 ; Lee et Lee, 2006). Limites des recherches et prospectives Cette synthèse des écrits a permis de mieux comprendre les réactions des parents et leurs processus d’adaptation suite au dévoilement de l’orientation homosexuelle de leur enfant. Néanmoins, il importe de souligner certaines limites des études recensées, tant sur le plan méthodologique que sur l’étendue des connaissances actuelles. D’abord, la majorité des études sont de nature qualitative et reposent sur des échantillons de petite taille. Leur homogénéité est déplorée, puisque la plupart des parents interrogés sont des mères d’origine caucasienne issues de la classe moyenne (Goodrich et Gilbride, 2010; Saltzburg, 2004). Le point de vue des pères comme celui des parents issus de communautés ethnoculturelles sont peu représentés dans le cadre des recherches, limitant considérablement la pluralité et la diversité des 2 Visitez le site : « Et si mon fils était homosexuel : un endroit pour apprendre, comprendre, aider et partager » à l’adresse : [www.monfilsgai.org]. 3 Le programme Jeunesse Idem est un service d’information et de soutien pour les jeunes des minorités sexuelles et leurs proches de la région de l’Outaouais : [www.jeunesseidem.com]. 4 PFLAG Canada est un organisme national qui vise à soutenir les parents et les autres membres de la famille de personnes non hétérosexuelles. Un réseau de sections locales réparties à travers le pays développent des ressources éducatives en matière d’orientation et d’identité sexuelles, en plus de proposer des services entre pairs de soutien individuel et de groupe : [www.pflagcanada.ca]. 5 Le GRIS-Québec a pour mission de promouvoir une vision positive de l’homosexualité et de la bisexualité en vue de favoriser une intégration harmonieuse des personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles dans la société : [www.grisquebec.org]. 19 Cahier de documents d'accompagnement REVUE SERVICE SOCIAL Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 25 expériences parentales. Également, peu d’études ont documenté le point de vue des membres de la fratrie, c’est-à-dire des frères et sœurs de la personne qui s’identifie comme gai ou lesbienne (Toomey et Richardson, 2009). Pourtant, la fratrie a une influence évidente sur les interactions familiales (D’Augelli et al., 2010 ; Heatherington et Lavner, 2008 ; Hilton et Szymanski, 2011). Par exemple, un conflit de loyauté peut survenir lorsqu’un frère ou une sœur d’orientation homosexuelle sollicite le soutien des membres de sa fratrie. Cette dernière peut faciliter le processus d’adaptation de parents bouleversés, en leur proposant une nouvelle perception de la situation. Par ailleurs, les collectes de données ont souvent été effectuées par l’entremise d’associations ou de groupes d’entraide réunissant des parents qui souhaitent mieux comprendre et accepter leurs enfants. L’étude québécoise de D’Amico (2010) présente également ce biais puisque les dyades parents-enfants ont été recrutées principalement au sein d’organismes communautaires voués à la diversité sexuelle. Les chercheurs reconnaissent que les parents recrutés dans le cadre de leurs projets de recherche témoignent d’une plus grande aisance à parler de leur vécu et acceptent mieux l’orientation sexuelle de leur enfant que les parents plus isolés, ou ceux aux prises avec certains problèmes d’adaptation (Broad, 2011). Finalement, la vaste majorité des recherches ont documenté les réactions initiales des parents peu de temps après l’annonce de l’homosexualité de leur enfant. Peu d’entre elles ont exploré les répercussions à long terme et le processus d’adaptation parentale et familiale (Goodrich et Gilbride, 2010 ; Heatherington et Lavner, 2008). Certaines réalités liées au dévoilement d’une orientation non hétérosexuelle restent méconnues. C’est le cas de l’expérience des personnes bisexuelles, a fortiori celle de leurs parents. D’une part, il existe une certaine représentation de la bisexualité voulant qu’elle soit une phase transitoire entre les catégories dichotomiques et binaires de l’homosexualité et de l’hétérosexualité (Brewster et Moradi, 2010 ; Russel et Seif, 2010 ; Sheets et Mohr, 2009). D’autre part, une auto-identification bisexuelle est moins courante compte tenu des préjugés tenaces qui y sont associés (par exemple, la sexualité débridée des personnes bisexuelles ou leur incapacité à entretenir des relations conjugales saines et satisfaisantes) et l’invisibilité ou l’absence d’une communauté bisexuelle (Brewster et Moradi, 2010 ; Sheets et Mohr, 2009). Conséquemment, les personnes bisexuelles sont plus nombreuses à utiliser d’autres termes que ceux liés directement à l’orientation sexuelle pour se définir (Diamond, 2008 ; Fortin, 2010). La plupart des études portant sur les jeunes des minorités sexuelles ne comprennent pas d’échantillons assez grands pour cerner des différences significatives entre les jeunes gais et lesbiennes et ceux s’identifiant comme bisexuels. Les chercheurs sont alors enclins à généraliser les résultats obtenus auprès des gais et des lesbiennes à la population bisexuelle (Russel et Seif, 2010). Ces considérations expliquent en partie la tendance à englober les personnes bisexuelles dans l’acronyme « LGB » ou l’expression « minorités sexuelles » sans qu’il y ait reconnaissance de leurs particularités ou expériences spécifiques, notamment en ce qui a trait à la biphobie sociale et intériorisée. Ces limites mettent en lumière le potentiel que recèle cet objet d’étude peu documenté, particulièrement au Québec. Ce constat invite donc à explorer d’autres pistes de recherche et à approfondir les travaux précédents. À cet effet, il serait intéressant de constituer des 20 Cahier de documents d'accompagnement 26 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille L’EXPÉRIENCE DES PARENTS D’UN ENFANT D’ORIENTATION HOMOSEXUELLE échantillons composés de jeunes gais et lesbiennes et de leurs parents, afin de trianguler les différents points de vue concernant leur situation familiale et de comparer leurs expériences respectives. En ce sens, des efforts supplémentaires seraient nécessaires pour inclure le regard des pères et celui des membres de la fratrie. Il en va de même pour les parents issus de communautés ethnoculturelles, puisque leur expérience est façonnée par une double discrimination, soit celle basée sur l’orientation sexuelle de leur enfant et celle liée à leur appartenance culturelle d’origine (LaSala et Frierson, 2012). Les difficultés pour rejoindre ce groupe de la population dans le cadre d’études scientifiques font en sorte que les recherches à ce sujet sont peu nombreuses et s’attardent principalement à l’expérience des jeunes (D’Amico et al., 2008 ; Potoczniak et al., 2009). CONCLUSION L’expérience des parents d’un enfant gai ou lesbienne n’est pas homogène ni unidimensionnelle. Les recherches montrent qu’elle se conjugue plutôt au pluriel et se vit de différentes façons, selon une panoplie de facteurs individuels, conjugaux et sociaux. Les réactions des parents à l’annonce de l’homosexualité de leur enfant revêtent des expressions diversifiées et parfois même contradictoires, au prisme de bouleversements familiaux. Outre les sentiments de culpabilité, de honte ou de crainte, ces parents expérimentent une variété d’émotions qui vont au-delà de la dichotomie du rejet et de l’acceptation. Le dévoilement de l’homosexualité d’un enfant peut même entraîner des répercussions positives. Cet événement s’inscrit dans un processus d’adaptation au cours duquel les parents endossent une nouvelle identité en tant que mère et père d’un enfant d’une autre orientation sexuelle que celle de la majorité. L’émergence de cette nouvelle identité met en lumière certaines difficultés auxquelles sont parfois confrontés les parents, dont la remise en question de leurs compétences parentales, la présomption de l’hétérosexualité de leur enfant et, conséquemment, leur propre coming out en tant que parent d’un fils gai ou d’une fille lesbienne. Un long chemin reste néanmoins à parcourir avant de bien cerner l’ensemble des éléments entourant le coming out d’un jeune et les réactions de ses parents, ainsi que les stratégies d’adaptation mises en place par chaque membre de la famille pour en surmonter les difficultés. Les interactions sociales et les dynamiques familiales sont aussi à prendre en considération. Certaines questions de recherche demeurent en suspens, notamment en ce qui concerne les familles issues de communautés culturelles et les réalités des personnes bisexuelles et de leurs parents. Dans un contexte où les questions liées à la diversité sexuelle ont obtenu récemment une reconnaissance sociale et étatique (Gouvernement du Québec, 2009), mieux comprendre l’expérience des parents d’enfants de minorités sexuelles permet de développer des réponses sociales adaptées à leurs besoins spécifiques, tout en favorisant le bien-être des jeunes. LAVOIE, Kévin Étudiant à la maîtrise Travail social Université du Québec en Outaouais 21 Cahier de documents d'accompagnement REVUE SERVICE SOCIAL Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 27 CÔTÉ, Isabel Professeure Travail social Université du Québec en Outaouais RÉFÉRENCES Armesto, J., et A. 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Assurer aux personnes aînées LGBT un traitement égalitaire exempt de toute manifestation homophobe et transphobe. Claude Monet, La cabane des douaniers, effet de matinée, (détail), huile sur toile, 1882. Christie’s Images / Getty Images 2. Assurer aux personnes aînées LGBT un environnement exempt d’homophobie et de transphobie. 3. Prendre les mesures nécessaires pour que les personnes qui œuvrent auprès des personnes aînées ou les côtoient, adoptent une attitude positive à l’égard de l’homosexualité et de la transidentité. 4. Respecter le choix d’une personne aînée de dévoiler ou non son orientation sexuelle ou sa transidentité. 5. Assurer la confidentialité des informations obtenues relatives à l’orientation sexuelle ou à la transidentité d’une personne aînée, à moins d’avoir obtenu son consentement pour les divulguer. 7. Soutenir dans leurs démarches les personnes aînées victimes d’homophobie et de transphobie tant de la part des intervenants que des autres bénéficiaires. 8. Manifester des signes d’ouverture à l’égard des personnes aînées isolées du fait de leur orientation sexuelle ou de leur transidentité. 9. Encourager le respect et l’ouverture d’esprit des bénéficiaires à l’égard des personnes aînées LGBT. 10.Inclure la lutte contre l’homophobie et la transphobie dans les programmes de formation destinés aux personnes œuvrant auprès des personnes aînées. 11. S’abstenir de présumer de l’orientation sexuelle d’une personne et respecter son expression ou son identité de genre. 6. Prendre les mesures nécessaires pour contrer les manifestations homophobes et transphobes, qu’elles soient verbales, psychologiques ou physiques, incluant les gestes, les moqueries et les insinuations. Programme En partenariat avec Gai Écoute 1 888 505-1010 / www.gaiecoute.org Pour que vieillir soit gai www.fondationemergence.org 45 Produit avec le soutien du programme Québec ami des aînés (QADA) du ministère de la Santé et des Services sociaux, Secrétariat aux aînés. Amendée en janvier 2015. Dans ce contexte, la présente charte propose aux personnes qui œuvrent auprès des personnes aînées ou les côtoient, d’adhérer aux principes suivants : Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 1.4 Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes Julie Beauchampa Line Chamberlandb résumé La plupart des gais et lesbiennes aînés ont été marqués dans leur trajectoire de vie par des expériences de discrimination et de stigmatisation reliées à leur orientation sexuelle. Ces expériences négatives peuvent avoir eu des impacts sur leur parcours de vie et sur leur santé mentale. Même si, actuellement, la majorité des aînés gais et lesbiennes ont et maintiennent une bonne santé mentale, il ressort des études que les personnes non hétérosexuelles sont plus à risque de développer certains problèmes tels que l’anxiété, la dépression, les idéations suicidaires et la consommation excessive d’alcool et d’autres substances. Cet article présente les facteurs pouvant fragiliser la santé mentale des aînés gais et lesbiennes, soit la victimisation et l’exposition à diverses formes de préjudices au cours du parcours de vie, la gestion continue du dévoilement ou de la dissimulation de l’orientation sexuelle, le degré d’homophobie intériorisée ainsi que la solitude ; et les facteurs potentiels de protection tels que les capacités de résilience, le réseau social et le soutien social. Cet article conclut sur les implications quant à la prise en compte des besoins propres aux aînés gais et lesbiennes. Des recommandations sont mises de l’avant dans une perspective de reconnaissance des enjeux touchant les aînés gais et lesbiennes, et d’amélioration des services qui leur sont offerts. a. Étudiante au doctorat en sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM) ; ex-boursière du Programme stratégique de formation en recherche transdisciplinaire sur les interventions en santé publique : Promotion, Prévention et Politiques Publiques (P) des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et du Réseau de recherche en santé des populations du Québec (RRSPQ). b. Ph. D., professeure, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM) – Titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie. Santé mentale au Québec, , XL, no , - 47 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 174 ! Santé mentale au Québec, , XL, no mots clés homosexualité, gais, lesbiennes, aînés, santé mentale, vieillissement, stigmatisation, résilience, réseau social, soutien social, homophobie intériorisée The mental health issues among gay and lesbian elders abstract Most gay and lesbian elders have experienced discrimination and stigmatization related to their sexual orientation in their life trajectory. These negative experiences may have had an impact on their life course and on their mental health. Even if the majority of gay and lesbian older adults actually have and maintain good mental health, studies show that non-heterosexual people are at a greater risk of developing certain difficulties, such as anxiety, depression, suicidal thoughts and excessive consumption of alcohol and other substances. This article presents the factors that may weaken the mental health of older gay and lesbian people, such as victimization and the exposure to various forms of prejudice in their life course, the continuous management of the disclosure or dissimulation of their sexual orientation, the degree of internalized homophobia, as well as loneliness; and also presents the potential protective factors, such as building resilience, social networks and social support. This article concludes by illustrating the implications concerning the specific needs of the gay and lesbian elders. Some recommendations are also formulated with regards to recognizing the issues affecting gay and lesbian older adults as well as improving the services that are offered to them. mots clés homosexuality, gays and lesbians, aging, mental health, stigmatization Introduction Les gais et lesbiennes qui font partie de la génération des aînés ont traversé des périodes historiques caractérisées par des changements majeurs des attitudes envers l’homosexualité. Avant les années , celle-ci était réprouvée de toutes parts, sanctionnée à la fois comme un crime, une maladie et un péché. Au Canada, les comportements homosexuels ayant lieu en privé entre adultes consentants ont été décriminalisés en (Smith, ). En , l’homosexualité comme déviance sexuelle fut retirée du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-II), mais le diagnostic de l’homosexualité égodystonique, applicable aux personnes éprouvant des malaises ou perturbées par leur orientation homosexuelle, ne fut éliminé qu’en (Drescher, ). Cinq ans plus tard, soit en , l’Organisation mondiale de la santé décidait à son tour de retirer l’homosexualité de la 48 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 175 Classification internationale des maladies (Drescher, ). La laïcisation des institutions a affaibli le poids du religieux dans la définition des normes sexuelles. Au cours des deux dernières décennies, des changements politiques et législatifs ont progressivement mis fin à des années de discrimination légale, en octroyant l’égalité de droit aux personnes homosexuelles et en reconnaissant leurs réalités conjugales et familiales, notamment avec la loi sur l’union civile et les nouvelles règles de filiation adoptées au Québec en et la loi canadienne donnant accès au mariage aux conjoints de même sexe en (Corriveau, ). De telles transformations à la fois reflètent et contribuent à l’émergence d’un discours positif sur l’homosexualité. La perspective du parcours de vie invite à examiner les expériences des aînés gais et lesbiennes dans leur globalité, à la fois sous l’angle individuel, comme un ensemble de trajectoires idiosyncrasiques survenues sur les plans développemental, identitaire, familial, conjugal, éducationnel, professionnel et résidentiel, et sous l’angle sociétal (Bessin, ; Cavalli, ). La plupart des gais et lesbiennes aînés ont été marqués dans leur trajectoire de vie par des perceptions et des expériences négatives reliées à leur orientation sexuelle. Dans un contexte hostile, voire menaçant, cacher son homosexualité n’était pas un choix, mais une façon de se protéger des conséquences dramatiques qui pouvaient advenir si celle-ci devenait connue (Knauer, ). Aujourd’hui, un enjeu majeur qui concerne cette population est son invisibilité sociale que l’on peut attribuer à une convergence de facteurs (Auger et Krug, ; Blando, ; Shankle, Maxwell, Katzman et Landers, ). La discrimination et la stigmatisation y ont certes contribué en incitant plusieurs gais et lesbiennes aînés à dissimuler ou taire leur orientation sexuelle, en particulier hors du cadre de leur vie privée (Addis, Davies, Greene, McBride-Stewart et Shepherd, ; Brotman, Ryan et Cormier, ; Knauer, ). Pour plusieurs, les appréhensions d’un rejet, d’une subtile mise à distance, d’un traitement inéquitable demeurent présentes. D’autre part, l’hétérosexisme et l’âgisme entretiennent l’occultation de leurs réalités. L’idéologie hétérosexiste se traduit au quotidien par la présomption d’hétérosexualité dans les interactions sociales : une personne est considérée comme hétérosexuelle à moins de dévoiler son homosexualité à chaque nouvelle occasion, ce qui va à l’encontre des habitudes de prudence et de discrétion acquises au fil des ans par nombre d’aînés gais et lesbiennes (Chamberland et Petit, ). L’âgisme nourrit des préjugés persistants quant à l’asexualité des aînés, surtout parmi les cohortes les plus âgées, 49 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 176 ! Santé mentale au Québec, , XL, no et entretient le tabou sur les interrogations concernant les formes d’expression affectives et sexuelles chez les personnes de ce groupe d’âge (Brotman et al., ; Knauer, ; Price, ). Une conséquence majeure de l’invisibilité sociale des gais et lesbiennes aînés est la faible prise en compte de leurs trajectoires particulières et de leurs besoins propres dans les services institutionnels et communautaires s’adressant à la cohorte des aînés, de même que dans les activités offertes dans les milieux gais et lesbiens, qui ne sont pas, eux-mêmes, exempts de préjugés âgistes. Cette situation est appelée à se transformer avec les changements démographiques en cours et avec l’arrivée d’une cohorte générationnelle ayant participé aux diverses luttes pour l’égalité, la reconnaissance des droits ou autour du VIHsida. Il est difficile de chiffrer la part de la population aînée non hétérosexuelle dans la population totale : les estimations varient entre % et % selon l’Institute of Medecine (IOM, ) – soit de à millions de personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles (GLB) de plus de ans aux États-Unis d’ici (Fredriksen-Goldsen et Muraco, ) – à % selon Auger et Krug (). Quoi qu’il en soit, le poids relatif des aînés gais et lesbiennes va s’accroître avec le vieillissement de la population. La composition de la cohorte des personnes de ans et plus sera transformée avec l’avancée en âge d’une génération homosexuelle plus affirmée sur le plan identitaire et plus revendicatrice sur le plan politique. Les études sur la santé et le bien-être des aînés gais et lesbiennes sont récentes et peu nombreuses. En ce qui concerne le Québec et le Canada, il n’existe pas de données populationnelles ni d’études se basant sur des échantillons vastes et diversifiés. L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes menée par Statistique Canada vise à recueillir des renseignements sur l’état de santé, l’utilisation des services de santé et les déterminants de santé de la population canadienne. Une mesure de l’orientation sexuelle faisant appel à l’autoidentification y a été ajoutée en , mais elle s’applique seulement aux répondants et répondantes de à ans (Chamberland, BeaulieuPrévost, Julien, N’Bouké et de Pierrepont, ). Cependant, plusieurs recherches menées principalement en Amérique du Nord, en GrandeBretagne, en Irlande et en Australie se sont intéressées aux inégalités dans l’état de santé et dans l’accès aux services de santé en défaveur des aînés gais et lesbiennes, aux impacts de la stigmatisation et des discriminations vécues tout au long du parcours de vie, mais également au développement de capacités d’adaptation et de résilience suscep- 50 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 177 tibles d’amener cette population à mieux envisager les défis du vieillissement. Le présent article se penche sur les enjeux relatifs à la santé mentale qui ont émergé de la documentation scientifique sur les aînés gais et lesbiennes : l’état de santé mentale, les facteurs qui la fragilisent et ceux qui offrent une protection favorisant le maintien d’une bonne santé mentale, pour se terminer avec quelques recommandations afin de mieux répondre aux besoins des aînés gais et lesbiennes. La santé mentale des aînés gais et lesbiennes : que sait-on ? Selon les études disponibles, provenant principalement des États-Unis, la majorité des aînés gais et lesbiennes ont une bonne santé mentale (D’Augelli, Grossman, Hershberger et O’Connell, ; FredriksenGoldsen et al., ; Jessup et Dibble, ; Lévy et al., ; Lyons, Pitts et Grierson, ; McCann, Sharek, Higgins, Sheerin et Glacken, ; Orel, ; Shippy, Cantor et Brennan, ). Le tableau présente les caractéristiques des principales études citées dans cet article ainsi que leurs limites respectives. Dans une recherche menée par Grossman, D’Augelli et O’Connell () auprès de personnes GLB âgées de à ans en Amérique du Nord ( sites de recherche aux États-Unis et au Canada), % des participants considèrent avoir une bonne santé mentale. L’enquête nationale de Fredriksen-Goldsen et al. () auprès de personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (LGBT) de à ans vivant aux États-Unis révèle que la perception par les participants de leur état de santé mentale globale est positive et que % d’entre eux sont satisfaits de leur vie. Par ailleurs, des études portant sur des populations d’âge varié constatent que les personnes GLB sont plus à risque de développer des problèmes de santé mentale que la population hétérosexuelle en général (Addis et al., ; Fredriksen-Goldsen, Kim, Barkan, Muraco et HoyEllis, ; Meyer, ). King et al. () concluent de leur revue systématique et de leur méta-analyse d’études portant sur la santé mentale des personnes GLB en comparaison des personnes hétérosexuelles (cohortes, cas témoins ou études transversales) que les risques de dépression, de troubles d’anxiété, de dépendance à l’alcool et à d’autres substances sont , fois plus élevés dans la population GLB comparativement à la population hétérosexuelle (tous âges confondus), alors que le risque de tentative de suicide est deux fois plus élevé. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’une part appréciable des aînés GLB disent avoir éprouvé des problèmes de santé mentale au cours de 51 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 178 ! Santé mentale au Québec, , XL, no leur vie, principalement des épisodes de dépression et des pensées suicidaires (McCann et al., ). De même, parmi les participants à l’enquête de Fredriksen-Goldsen et al. (), près du tiers disent avoir eu des symptômes de dépression et d’anxiété et % des idéations suicidaires au cours de leur vie. Dans leur étude, Jenkins Morales, King, Hiler, Coopwood et Wayland () estiment les proportions de personnes LGBT ayant probablement vécu une dépression à , % parmi la génération des baby-boomers et , % parmi la génération précédente, qualifiée de silencieuse. Lorsque des problèmes de santé mentale se manifestent ou persistent avec l’avancée en âge chez les aînés gais et lesbiennes, ils demeurent similaires à ceux observés à l’âge adulte : dépression, anxiété, risque suicidaire, consommation excessive d’alcool et de substances, stress, auxquels s’ajoute le sentiment de solitude (Fredriksen-Goldsen et al., ; Grossman et al., ; McCann et al., ; Orel, ; Reisner et al., ). Dans la recherche de Shippy et al. (), % des participants rapportent des sentiments dépressifs alors que % des participants à l’étude de Grossman et al. () disent avoir eu des pensées suicidaires. Enfin, nous disposons d’une étude pancanadienne menée auprès d’un échantillon d’hommes gais et bisexuels âgés de ans et plus. Parmi les hommes gais et bisexuels, près des trois quarts qualifient leur santé mentale d’excellente ou de très bonne alors que % rapportent au moins un problème de santé mentale. Les principales préoccupations rapportées en santé mentale touchent l’anxiété, la solitude et la dépression. Globalement, le portrait de santé mentale qui en ressort est plus positif chez les ans et plus comparativement aux - ans (Lévy et al., ). Dans l’état actuel, les recherches demeurent trop fragmentaires pour que l’on puisse dresser un portrait précis de l’ampleur des problèmes de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes. Néanmoins, deux constats semblent se dégager : une majorité d’aînés gais et lesbiennes se perçoivent comme ayant une bonne santé mentale, alors qu’une minorité non négligeable, mais variable selon les études, rapportent des problèmes ou des préoccupations relatives à leur santé mentale. Les variations selon les études peuvent être attribuables aux biais d’échantillonnage ainsi qu’aux différentes catégories d’âges considérées. 52 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 179 Tableau 1 Liste des principales études citées Auteurs, année de publication Pays D’Augelli et Grossman (2001) États-Unis (18 sites) Canada (1 site) D’Augelli et al. (2001) Grossman et al. (2001) Population (âge, orientation sexuelle, genre) Méthodes/ Recrutement N = 416 Questionnaire/ A = 60-91 ans Organisations et (m = 68,5) groupes sociaux OS = 92 % gais et lesbiennes et 8 % bisexuels G = 71 % hommes et 29 % femmes Principales variables ou principaux thèmes Limites méthodologiques Caractéristiques de santé mentale (estime de soi, solitude, homophobie intériorisée, risque de suicide), caractéristiques de santé physique, utilisation et abus de substances, réseau de soutien social, expériences de victimisation reliées à l’orientation sexuelle et les expériences avec le VIH/sida - Échantillon de convenance - Critère de recrutement : auto-identification selon l’orientation sexuelle - Recrutement dans les organisations identifiées comme gaies FredriksenGoldsen et al. (2011) États-Unis N = 2 560 Questionnaire/ A = 50-95 ans Organisations (m = 66,5 ans) OS = 61 % gais, 33 % lesbiennes, 5 %, bisexuels, 1 % queers/autres G = 62,9 % hommes, 37,2 % femmes, 6,8 % transgenres Caractéristiques générales, santé physique et mentale, satisfaction de la vie, qualité de la vie, conditions de santé, comportements de santé, dépistage de santé, accessibilité aux services de santé, divulgation, victimisation, discrimination, stigmatisation, caractéristiques de la prestation de soins et de la réception de soins et services nécessaires - Échantillon de convenance - Critère de recrutement : auto-identification selon l’orientation sexuelle - Enquête de nature transversale, ce qui limite la possibilité de mesurer les relations temporelles entre les variables Jenkins Morales et al. (2014) États-Unis N = 151 Questionnaire A = 50-79 en ligne/ (m = 59,2) Organisations OS = 49 % gais, 36,4 % lesbiennes, 7,3 % bisexuels, 7,3 % autres identifications G = 47,7 % hommes, 45,7 % femmes, 3,9 % transgenres (2 à l’extérieur des catégories) Barrières dans l’accessibilité aux services, divulgation de l’orientation sexuelle, expériences de violence et victimisation, et santé mentale - Échantillon de convenance - Critère de recrutement : autoidentification selon l’orientation sexuelle - Recrutement dans les organisations LGBT - Le recrutement en ligne 53 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 180 ! Santé mentale au Québec, , XL, no Auteurs, année de publication Pays Population (âge, orientation sexuelle, genre) Méthodes/ Recrutement Principales variables ou principaux thèmes Limites méthodologiques Lévy et al. (2012) Canada N = 411 hommes gais et bisexuels A = 55-65 + Questionnaire en ligne/ Organisations Variables sociodémographiques, indicateurs de l’état de santé, préoccupations relatives à la santé et aux relations interpersonnelles - Le recrutement en ligne : plus difficile de rejoindre les hommes plus âgés - Sousreprésentation des hommes de 65 ans et plus Lyons et al. (2013) Australie N = 415 hommes gais (99 %) A = 40-60 + Questionnaire en ligne/ Organisations et autres sites reliés Variables démographiques, mesures de santé mentale positive et variables psychosociales - Le recrutement en ligne ne rejoint pas les hommes gais sans accès à Internet - Enquête de nature transversale : impossibilité de déterminer les directions de la causalité McCann et al. (2013) Irlande Questionnaire N = 144 A = 55-80 + (m = 60) OS = 61 % gais, 20 % lesbiennes, 9 % bisexuels, 6 % ne s’identifient pas, 2 % hétérosexuels, 2 % autres G = 65 % hommes, 27 % femmes, 7 % transgenres, 1 % autres Entrevues N = 36 A = 55-74 OS = 22 gais, 13 lesbiennes, 1 bisexuel G = 22 hommes, 11 femmes, 2 transgenres, 1 autre - Questionnaires par la poste ou par téléphone - Entrevues semi-dirigées/ Organisations Questionnaire : variables démographiques, expérience de vie, orientation sexuelle et identité de genre, santé et bien-être, expériences dans les services et enjeux de santé mentale Entrevue : questions sur les expériences et les perceptions d’être une personne aînée LGBT en Irlande ainsi que sur la santé mentale - Échantillon non probabiliste - Critère de recrutement : auto-identification selon l’orientation sexuelle - Sousreprésentation des femmes et des personnes de 70 ans et plus 54 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 181 Auteurs, année de publication Pays Population (âge, orientation sexuelle, genre) Méthodes/ Recrutement Principales variables ou principaux thèmes Limites méthodologiques Orel (2004) États-Unis N = 26 A = 65-84 (m = 72,3) G et OS = 10 hommes gais, 13 femmes lesbiennes, 3 femmes bisexuelles Groupes de discussion et entrevues/ Organisations Besoins et préoccupations en tant que personnes aînées GLB et leur degré de satisfaction vis-à-vis des prestataires de services - Échantillon de convenance - Critère de recrutement : auto-identification selon l’orientation sexuelle - Faible nombre de participants dans les groupes de discussion - Autosélection : souvent dépendant du degré d’activité et de participation dans la communauté GLB Shippy et al. (2004) États-Unis N = 233 hommes gais A= 50-82 (m = 62) Questionnaire/ Organisations Caractéristiques sociodémographiques, satisfaction de la vie, santé, prestation des soins, besoins personnels et réseau social et de soutien social - Échantillon de convenance - Échantillon constitué d’hommes gais relativement jeunes (m = 62) Les facteurs affectant négativement la santé mentale La théorie du stress découlant d’un statut minoritaire (minority stress), élaborée par Meyer (, ), propose un cadre d’analyse des écarts en santé mentale entre les personnes GLB et les personnes hétérosexuelles en identifiant des facteurs pouvant engendrer un stress chronique chez les personnes dont l’orientation sexuelle ne se conforme pas aux attentes culturelles hétérosexistes : d’une part, les facteurs externes, c.-à-d. ceux relatifs à la victimisation et à l’exposition à diverses formes de préjudices, d’autre part, les facteurs internes, c.-à-d. ceux référant aux dimensions subjectives telles que l’homophobie intériorisée et la gestion continue du dévoilement ou de la dissimulation de l’orientation sexuelle dans les différentes sphères de vie. Le cumul de tels facteurs crée des environnements stressants pour les personnes GLB et affecte leur bien-être, pouvant ainsi mener au développement de problèmes de santé mentale (Chamberland et Petit, ; Fish, ; IOM, ). Pour sa part, de Vries () propose de 55 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 182 ! Santé mentale au Québec, , XL, no distinguer trois formes de stigmatisation : la stigmatisation réelle ou vécue (enacted stigma) qui se traduit par des comportements et des manifestations homophobes tels que le rejet, les préjugés ou la violence ; la stigmatisation ressentie ( felt stigma) correspondant aux effets des expériences négatives antérieures vécues ou observées reliées à l’orientation sexuelle et qui se reflètent dans l’adoption de comportements de protection pour prévenir la stigmatisation anticipée ; et la stigmatisation intériorisée (internalized stigma) qui réfère à l’homophobie intériorisée. Les recherches démontrent que la majorité des aînés gais et lesbiennes ont connu des expériences de stigmatisation et de discrimination en lien avec leur orientation sexuelle pendant leur parcours de vie. Les participants à l’étude de Grossman et al. () rapportent avoir subi diverses formes de violence dans le passé : insultes verbales ( %), menaces de violence ( %), voies de fait ( %) et avec une arme ( %), discrimination au travail ( %), menace de dévoilement de leur orientation sexuelle (outing) ( %). Les résultats sont similaires dans l’étude irlandaise de McCann et al. () qui prend également en compte la violence conjugale et la violence sexuelle rapportées par respectivement % et % de leurs participants. Ces violences peuvent avoir été répétées. Selon l’enquête de Fredriksen-Goldsen et al. (), les deux tiers des participants ont été discriminés ou victimisés au moins trois fois au cours de leur vie. Selon l’étude de Jenkins Morales et al. (), dans la majorité des cas, les expériences de violence et de discrimination n’ont pas été rapportées aux autorités. Les personnes ayant dévoilé leur orientation sexuelle plus tôt dans leur vie sont davantage enclines à avoir vécu des expériences de discrimination, de stigmatisation et de harcèlement (D’Augelli et Grossman, ; Jenkins Morales et al., ). Il ressort également de l’étude de D’Augelli et Grossman () que la santé mentale des aînés GLB ayant été attaqués physiquement en raison de leur orientation sexuelle est plus fragile. Selon Koh et Ross (), le développement de symptômes psychiatriques n’est pas lié à l’orientation sexuelle en soi, mais à la stigmatisation. L’affirmation visà-vis des autres peut être vue comme une mesure indirecte du degré de confort par rapport à son orientation sexuelle, mais elle expose également à la stigmatisation. Ces résultats montrant l’ampleur des expériences de victimisation vécues par les aînés gais et lesbiennes dans leur parcours de vie appuient la théorie de Meyer selon laquelle la prévalence de problèmes de santé mentale est attribuable à l’accumulation de stresseurs sociaux liés à l’orientation sexuelle (Meyer, ). Outre celle de D’Augelli et Grossman (), il manque toutefois 56 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 183 d’études qui permettraient d’analyser plus en profondeur les effets persistants au cours de la vieillesse de la stigmatisation vécue dans le passé, de même que les facteurs pouvant en atténuer les répercussions négatives. De plus, selon D’Augelli et Grossman (), font aussi défaut les études explorant à quel âge ou à quel stade de la vie la victimisation reliée à l’orientation sexuelle a le plus d’impact négatif. L’acceptation de son orientation sexuelle ainsi que la gestion de son dévoilement ou de sa dissimulation peuvent également avoir des impacts sur la santé mentale. Dans l’étude de Lévy et al. () chez les hommes gais et bisexuels de ans et plus, l’acceptation de l’orientation sexuelle ainsi que la peur qu’elle soit découverte constituent des préoccupations de santé importantes pour près de % des participants. De même, constatent Chamberland et Petit () dans leur recension des études sur les lesbiennes âgées, ces dernières doivent composer avec les jugements intériorisés qui réprouvent le lesbianisme et les craintes d’être étiquetées, ce qui entraîne des difficultés d’ajustement qui se traduisent par des indices de précarité sur le plan de la santé mentale (faible estime de soi, niveau élevé de détresse psychologique, idées suicidaires) et des comportements à risque, telle la consommation d’alcool ou de drogue. La gestion de la divulgation ou non de son orientation sexuelle est un processus continu qui perdure tout au long de la vie. Les répercussions peuvent être dramatiques lors d’un événement comme la perte d’un conjoint ou d’une conjointe, particulièrement quand la relation n’était pas ouvertement connue (Orel, ). À ce sujet, McCann et al. () ont constaté que certains des participants ressentaient que leur deuil n’était pas véritablement reconnu par la famille, les amis et la communauté plus large, et que cette non-reconnaissance se répercutait sur leur santé mentale. D’autre part, le sentiment de solitude peut affecter la santé mentale des aînés gais et lesbiennes et il semble que le degré d’homophobie intériorisée peut intensifier ce sentiment (Jacobs et Kane, ). La faible intensité de la vie sociale et la solitude ressentie font partie des difficultés fréquemment rapportées par les aînés GLB (Grossman et al., ). Selon l’étude de Jenkins Morales et al. (), la majorité des baby-boomers (, %) et des aînés de la génération silencieuse (, %) disent manquer « parfois » ou « souvent » de compagnie, et respectivement , % et , % d’entre eux se sentent « souvent » exclus. La solitude préoccupe plus du quart des répondants de l’enquête canadienne auprès des hommes gais et bisexuels de ans et plus (Lévy et al., ). Le sentiment de solitude et les symptômes dépressifs seraient égale- 57 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 184 ! Santé mentale au Québec, , XL, no ment associés au fait d’avoir vécu des expériences de victimisation antérieurement (Grossman et al., ; Jenkins Morales et al., ). Il faut rappeler que les gais et les lesbiennes vieillissants sont plus nombreux à vivre seuls que les hommes et les femmes hétérosexuels (Addis et al., ), qu’un grand nombre n’ont pas eu d’enfants et qu’un réseau de soutien social restreint pourrait augmenter leur risque de vivre de la solitude et de l’isolement social (Shippy et al., ). En somme, concluent Fredriksen-Goldsen et Muraco () dans leur recension de la documentation scientifique, la solitude, une faible estime de soi, l’homophobie intériorisée et la victimisation – passée, actuelle ou anticipée – en raison de l’orientation sexuelle sont des prédicteurs d’une santé mentale fragile. Les facteurs de protection : résilience, réseau social et soutien social Des études ont suggéré une série de facteurs associés à une bonne santé mentale chez les gais et lesbiennes aînés et offrant un potentiel de protection contre les effets négatifs de la stigmatisation, entre autres : revenus élevés et sécurité financière, occupation d’un emploi à temps plein, bonne santé physique, bon fonctionnement cognitif, estime positive de soi, capacités de résilience, vision positive de son orientation sexuelle (ou faible degré d’homophobie intériorisée), être en couple, avoir des amis proches, présence d’un réseau social, disponibilité du soutien social, implication dans la communauté LGBT, vivre peu de solitude, croire que le public a une opinion positive vis-à-vis des homosexuels et ne pas avoir vécu de discrimination dans la dernière année (Brown, Alley, Sarosy, Quarto et Cook, ; D’Augelli et al., ; Grossman et al., ; Jones et Nystrom, ; Lyons et al., ). On l’aura constaté, cette liste inclut à la fois des facteurs généraux qui ne sont pas propres aux personnes GLB et des facteurs qui leur sont propres (p. ex. homophobie intériorisée) ou dont la concrétisation prend des formes qui leur sont particulières, comme les attitudes de la population à leur égard. Nous aborderons dans les paragraphes suivants les enjeux relatifs aux capacités d’adaptation et de résilience des aînés gais et lesbiennes ainsi qu’au maintien d’un réseau social. En premier lieu, il faut souligner, et de nombreuses études l’ont démontré, que les aînés gais et lesbiennes ont développé des capacités d’adaptation et de résilience (crisis competence) relativement aux évènements dramatiques qu’ils peuvent avoir vécus, tels que les expériences 58 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 185 de discrimination, et pour réduire les tensions liées au processus du coming out. C’est sans doute là une des pistes d’explication du constat de plusieurs études, à savoir qu’une large majorité se disent généralement heureux au cours du vieillissement (Butler, ; de Vries, ; Fredriksen-Goldsen et Muraco, ; Friend, ; Metlife, ; Morrow, ). Ces capacités acquises au long du parcours de vie peuvent aider les aînés gais et lesbiennes à maintenir une bonne santé mentale et à surmonter les difficultés souvent associées au vieillissement, y compris pour les hommes vivant avec le VIH (Butler, ; Fredriksen-Goldsen et al., ; McCann et al., ; Metlife, ; Orel, ; Wallach, ). Des entrevues auprès d’hommes québécois de à ans vivant avec le VIH ont mis en évidence sept dimensions de cette résilience : la maturité, l’acceptation de soi, l’autonomie, les épreuves surmontées, l’appréciation de la valeur de la vie, l’attitude positive et le sentiment d’être chanceux (Wallach, ). Selon l’étude de King et Orel () auprès de hommes gais de à ans, dont vivant avec le VIH, un niveau plus élevé de résilience est associé à moins de problèmes de santé mentale alors qu’un niveau plus faible est corrélé à davantage de besoins de santé non satisfaits et à un report dans la recherche de services de santé physique ou mentale. Encore une fois, l’analyse montre que la stigmatisation et l’homophobie intériorisée affectent négativement le niveau de résilience. Par ailleurs, plusieurs recherches ont déjà démontré l’importance de la famille de choix, des amis, du réseau social et du soutien social dans la vie des aînés gais et lesbiennes comme des éléments contribuant à leur santé et à leur bien-être (de Vries et Megathlin, ; Grossman et al., ; Lyons et al., ; Masini et Barrett, ; Shippy et al., ). Fredriksen-Goldsen et al. () avancent que l’étendue du réseau social et la disponibilité du soutien constituent des facteurs potentiels de protection pouvant diminuer les symptômes de dépression. Ces constats n’étonnent pas en soi, mais le maintien d’un réseau familial et social pose des défis uniques pour les aînés gais et lesbiennes compte tenu des possibles ruptures antérieures de liens sociaux et des préjugés persistants à leur égard, notamment dans leur propre cohorte générationnelle. D’autres études font ressortir certaines particularités du soutien social en rapport avec l’orientation sexuelle. Ainsi, selon l’étude de Grossman et al. (), la solitude ressentie est à l’inverse de la grandeur du réseau de soutien social et la connaissance de l’orientation sexuelle par les membres de ce réseau accroît la satisfaction quant au soutien reçu. D’autre part, les recherches montrent que la 59 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 186 ! Santé mentale au Québec, , XL, no présence d’un conjoint ou d’une conjointe engendre des impacts positifs relativement à la solitude, à l’homophobie intériorisée, à l’étendue du réseau social ainsi qu’à la connaissance de l’orientation sexuelle par les membres de ce réseau, ce qui rejaillit sur le sentiment de bien-être et la santé mentale (Chamberland et Petit, ; Grossman et al., ). La communauté LGBT pourrait aussi jouer un rôle phare auprès de la population gaie et lesbienne vieillissante en lui offrant des services et des programmes adaptés à ses réalités (Fredriksen-Goldsen et Muraco, ; Shippy et al., ). Selon l’évaluation d’un programme d’intervention visant à réduire le risque de transmission du VIH ayant ciblé des hommes gais vieillissants ( ans et plus) et présentant des symptômes de dépression, d’anxiété et de solitude, il ressort que le développement d’un réseau de soutien social contribue à réduire les symptômes de dépression, d’anxiété sociale et de solitude des participants (Reisner et al., ). Ce portrait, général et non exhaustif, rend compte de la complexité des enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes. Il est important de souligner que des limites méthodologiques ont été soulevées dans les recherches présentées (voir Tableau ). Une première limite concerne l’échantillonnage : toutes les études recensées font appel à des échantillons de convenance, donc non représentatifs de l’ensemble de la population des aînés gais et lesbiennes. Les modes de recrutement favorisent l’autosélection des participants et des biais peuvent en découler. Ainsi, le recrutement à travers des organisations LGBT rejoint en premier lieu les personnes présentes ou actives dans ces organisations, donc moins isolées socialement. Quant au recrutement en ligne, il rejoint plus difficilement les personnes aînées, en particulier les plus âgées, n’ayant pas accès ou peu familières avec Internet. En second lieu, le critère de recrutement le plus souvent retenu est celui de l’auto-identification selon l’orientation sexuelle, ce qui peut exclure des personnes ayant des comportements homosexuels, mais ne s’identifiant pas comme telles ou n’endossant pas les termes « gai » ou « lesbienne ». Enfin, l’enquête transversale ne permet pas de saisir les phénomènes dans leur évolution temporelle. Dans l’ensemble, le faible nombre d’études empiriques, en particulier au Québec, permet difficilement d’affiner le portrait offert. Il faut donc insister sur la diversité des expériences, des parcours de vie et des ressources de ces aînés. 60 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 187 Implications et recommandations Les différentes formes de discrimination et de stigmatisation sur la base de l’orientation sexuelle ainsi que le stress lié au processus de divulgation/dissimulation de l’orientation sexuelle peuvent également avoir des effets sur l’accès aux services sociaux et de santé par les aînés gais et lesbiennes, de même que sur la prise en compte de leurs besoins par le personnel médical et professionnel (Addis et al., ; Brotman et al., ; IOM, ; Jessup et Dibble, ; Knauer, ; McCann et al., ; Orel, ). Un constat récurrent dans les recherches sur l’accessibilité et l’adaptation des services offerts dans divers types de milieux est celui de l’hétérosexisme qui sévit dans le système de santé (Fish, ). Que ce soit dans les grandes villes (Brotman et al., ; Brotman et al., ; Sussman et al., ) ou dans les communautés rurales (Knochel, Quam et Croghan, ), il semble que la plupart des fournisseurs de services aux aînés ne perçoivent pas de différences entre les clients hétérosexuels et non hétérosexuels, tout en mettant l’accent sur la nécessité de traiter tout le monde sur le même pied d’égalité. Cependant, le fait qu’ils soient peu conscientisés par rapport aux parcours de vie des aînés gais et lesbiennes et qu’ils hésitent à aborder ouvertement les questions d’identité et de sexualité limite leur capacité de répondre adéquatement à leurs besoins en tenant compte de la spécificité de leur réseau familial et social. Les présomptions hétérosexistes ne favorisent guère la divulgation de l’orientation sexuelle ni la mise en place d’un cadre de communication accueillant et soutenant. La combinaison de l’âgisme et de l’hétérosexisme peut compromettre l’accès des aînés gais et lesbiennes à des ressources adaptées à leurs réalités et à leurs parcours de vie non seulement dans le système de santé, mais aussi dans leur communauté de vie, ce qui peut nuire à la prévention, retarder l’établissement d’un diagnostic et d’un traitement, ou encore entraîner le refus de tout recours à un service ou de toute demande d’aide (Jessup et Dibble, ). Ces contraintes à l’accessibilité des services peuvent à leur tour entraîner l’aggravation de problèmes de santé physique et mentale chez les aînés GLB (Brotman et al., ). D’autre part, les aînés gais et lesbiennes ont exprimé des inquiétudes quant à leur acceptation et leur traitement dans les résidences pour aînés (Brotman et al., ; Hughes, ; Orel, ; Stein, Beckerman et Sherman, ), et ces craintes peuvent s’amplifier avec la fragilisation de l’état de santé et la diminution des capacités. 61 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 188 ! Santé mentale au Québec, , XL, no Il ressort de recherches américaines que les programmes de formation sur les expériences de vie et les besoins des aînés gais et lesbiennes offerts dans les organisations publiques de santé ont des impacts positifs sur le développement des compétences culturelles des praticiens, en favorisant une meilleure compréhension des disparités en matière de santé, une connaissance des ressources LGBT et l’adoption de comportements préconisant des environnements respectueux et inclusifs pour les aînés non hétérosexuels (Hardacker, Rubinstein, Hotton et Houlberg, ; Porter et Krinsky, ). Jacobs et Kane () proposent plusieurs recommandations pour améliorer la formation des intervenants auprès des hommes gais et bisexuels aînés. Selon eux, une meilleure connaissance du contexte sociohistorique dans lequel ceux-ci ont vécu et des impacts de l’homophobie intériorisée, en particulier chez les hommes vieillissants, leur permettrait de concevoir des stratégies visant à changer leurs perceptions et leurs attitudes négatives vis-à-vis de leur orientation sexuelle. Les intervenants formés seraient également plus aptes à encourager l’acquisition de compétences et le développement de stratégies d’adaptation permettant de diminuer le sentiment de solitude des aînés gais. Ces recommandations sont en cohérence avec celles de King et Orel () qui mettent l’accent sur une meilleure compréhension par les intervenants et les praticiens des effets de l’homophobie intériorisée sur l’accessibilité et l’utilisation des services, mais également sur l’identification de stratégies de résilience afin d’accroître le recours aux services et d’améliorer l’état de santé. En dernier lieu, ce portrait général laisse entrevoir que les lacunes sont nombreuses sur le plan de la connaissance et qu’il importe de poursuivre des études portant sur les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes afin de mieux comprendre les facteurs de stress et de protection pouvant affecter leur santé mentale au cours du vieillissement. Références Addis, S., Davies, M., Greene, G., MacBride-Stewart, S. et Shepherd, M. (). The health, social care and housing needs of lesbian, gay, bisexual and transgender older people : A review of the literature. Health and Social Care in the Community, (), -. doi:./j.-...x Auger, J. A. et Krug, K. (dir.) (). Under the Rainbow : A Primer on Queer Issues in Canada. Halifax et Winnipeg : Fernwood Publishing. Bessin, M. (). Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique. 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Journal of Gay & Lesbian Social Services, (), -. doi:./.. 64 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les enjeux de santé mentale chez les aînés gais et lesbiennes ! 191 Jenkins Morales, M., King, D., Hiler, H., Coopwood, M. S. et Wayland, S. (). The Greater St. Louis LGBT health and human services needs assessment : An examination of the silent and baby boom generations. Journal of Homosexuality, (), -. doi:./.. Jessup, M. A. et Dibble, S. L. (). Unmet mental health and substance abuse treatment needs of sexual minority elders. Journal of Homosexuality, , -. doi:./.. Jones, T. C. et Nystrom, N. M. (). Looking back… looking forward : Addressing the lives of lesbians and older. Journal of Women & Aging, (-), -. King, M., Semlyen, J., Tai, S. S., Killaspy, H., Osborn, D., Popelyuk, D., et Nazareth, I. (). 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Revue canadienne de santé mentale communautaire, (), -. 66 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 69 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 71 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 72 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 73 Cahier de documents d'accompagnement Peur du rejet lors des études ou de l’emploi Peur d’être discriminé-e ou congédié-e Peur d’être humilié-e Anticipation de l’homophobie dûe aux expériences vécues à l’adolescence Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Choix de carrière motivé par l’anticipation du rejet plutôt que par un intérêt réel Manque d’estime de soi Dépendance économique possible Manque d’initiative possible Manque de persévérance ou de détermination Développement de stratégies d’adaptation au milieu de travail, quel qu’il soit. Valoriser les expériences de vie, les stratégies adaptatives et les compétences acquises. Encourager la personne à prendre sa place dans la société et à connaître ses droits. Aider à motiver ou orienter la personne vers des études ou des emplois possibles. Outiller l la personne à trouver (ou créer) un emploi et à le conserver. 74 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Activités à risque chez les hommes : Expérimentation sexuelle sans protection Augmentation des risques face aux ITSS Socialisation limitée à la sexualité Survalorisation de la sexualité Préoccupation excessive relative à l’image corporelle Consommation abusive de drogues et d’alcool Manque d’estime de soi Anxiété Consommation de stéroïdes anabolisants Idéations et gestes suicidaires Troubles alimentaires Prostitution chez les jeunes Activités à risque chez les femmes : Relations hétérosexuelles non-protégées (grossesse et ITSS) Ambivalence face à l’orientation sexuelle Consommation abusive de drogues et d’alcool Anxiété Diffuser une information pertinente et inclusive sur les sexualités gaie et lesbienne. Normaliser les relations amicales et amoureuses entre personnes du même sexe. Contribuer à une meilleure image sociale de l’homosexualité. Référer aux groupes de soutien ou des ressources spécialisées existants (ou en susciter la création). Démystifier et normaliser la sexualité entre personnes de même sexe. Manque d’estime de soi Prostitution chez les jeunes 75 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 76 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 77 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 78 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 79 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 80 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 81 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 82 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 83 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille PATHOLOGISATION ET INDIFFÉRENCIATION DE L’HOMOSEXUALITÉ : DEUX VISIONS À DÉPASSER par Lynda Peers avec la collaboration de Irène Demczuk 84 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 85 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 86 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 87 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 88 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 89 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Les minorités sexuelles, concepts, prémisses et structure d’une approche clinique adaptée (K. Igartua & R Montoro) , Santé mentale au Québec, vol XL, no 3, aut. 2015. 91 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 95 Cahier de documents d'accompagnement 1 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille B. Cyrulnik, Les Vilains Petits Canards, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 19. 97 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille - 98 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille J. Lecomte, Guérir de son enfance, Paris, Odile Jacob, 2010. G. Garcia Marquez, Vivre pour la raconter, Paris, Grasset, 2003. 4 Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte, 2013. 2 3 99 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Extrait d’une conférence de Alain Touraine prononcée dans le cadre du colloque «Les professions sociales à l’aube du 3 e millénaire» et parue dans Informations Sociales, no 5, 1981. 5 100 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 3.2 Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus et des interventions à privilégier pour le développement de pratiques transaffirmatives Annie Pullen Sansfaçona résumé Cet article explore les connaissances les plus récentes sur l’expérience des jeunes trans et de leur famille, et propose des pistes d’intervention pour les professionnels travaillant directement ou indirectement avec ces populations. La première partie de l’article étaye le contexte sociopolitique dans lequel grandissent les jeunes trans. Cette discussion est suivie d’une recension des écrits sur les connaissances relatives à l’expérience des jeunes trans et de leur famille. Finalement, l’article propose deux pistes d’intervention à privilégier pour travailler avec ces populations, et ce, dans une perspective de travail transaffirmative. Notamment, on y propose de réapprendre le genre et de comprendre la complexité des parcours et expériences des personnes transgenres, ainsi que de promouvoir l’autodétermination et le soutien des familles vers l’atteinte de leurs besoins. mots clés parentalité, enfants et jeunes transgenres, intervention auprès des parents, personne-environnement, oppression Trans Youth and their Parents: an exploration of experiences and interventions in a trans-affirming perspective abstract This article explores the most recent knowledge on the experiences of trans youth and their parents. The article also explores best practices for professional who work with those families. Finally the article proposes two main principles of intervention to work with those populations, highlighting the importance of a a. Professeure agrégée, École de service social, Université de Montréal. Santé mentale au Québec, , XL, no , - 101 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 94 ! Santé mentale au Québec, , XL, no transaffirmative perspective. In particular, it is proposed to challenge the current way of understanding gender and to appreciate the complexity of the various trajectories young people may take. Furthermore, we suggest focusing the intervention on promoting self-determination of the young person as well as to support families so they can better meet their child’s needs. Objectives To provide comprehensive review of current knowledge on the experience of parenting a transgender youth, and to propose some reflections on directions for working with those families. Method Written as a theoretical paper, this article employs a systematic literature review to identify promising interventions with families who support a transgender youth. Results Because families of transgender children and youth experience difficulties both on personal and social levels, many of which are coming from social stigmatization and lack of knowledge about their experience, it is proposed that practitioners work toward interventions that not only facilitate families support, but also works toward a more just and inclusive society by broadening access to services and by challenging oppressive structures that contribute to the difficulties experiences by children, youth and their families. Conclusion The paper proposes that practitioners working with families of transgender children must be guided by an reviewed conception of gender and an understanding of the multiplicity of contexts that may affect the person’s trajectory, as well as promoting self-determination and supporting families in meeting their needs. keywords parenting, transgender youth, oppression, interventions, trans affirmative intervention Introduction Dans cet article, le terme « jeune trans » fait référence aux mineurs qui s’identifient en dehors des règles des genres masculin et féminin conventionnels. Ces jeunes rencontrent de nombreux obstacles, mais le soutien familial et les interventions transaffirmatives, de manière plus générale, constituent des pistes de plus en plus reconnues pour leurs bienfaits auprès de ces populations. Cependant, les familles qui soutiennent un enfant trans vivent aussi des enjeux, par exemple un sentiment d’anxiété et des difficultés dans la recherche de services répondant à leurs besoins et à ceux de leur jeune. À partir d’une recen. Par interventions transaffirmatives, on entend toute intervention qui soutient le développement de l’identité affirmée de la personne, plutôt qu’une intervention qui tente de la modifier. 102 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus ! 95 sion des écrits, cet article a pour but principal de dégager les pistes d’intervention les plus prometteuses pour travailler avec ces familles, et ce, dans une perspective transaffirmative. Ainsi, l’article propose d’explorer le contexte sociopolitique actuel quant aux questions d’identité de genre, les écrits décrivant l’expérience des jeunes trans et ceux concernant les parents qui les soutiennent. Tout au long de cet article, les arguments favorisant une intervention transaffirmative se dégagent et permettent de conclure en discutant deux principes d’intervention, soit réapprendre le genre et comprendre la complexité des parcours et expériences des personnes transgenres, ainsi que de promouvoir l’autodétermination et le soutien des familles vers l’atteinte de leurs besoins. Contexte sociopolitique La pleine reconnaissance légale et civile des personnes trans n’est pas atteinte au Canada, et les lois visant l’atteinte de cette égalité explicite se font toujours attendre dans plusieurs provinces canadiennes, ainsi qu’au fédéral. D’une part, au Canada et au Québec, l’identité de genre n’est pas expressément mentionnée dans les lois interdisant la discrimination. Dans une certaine mesure, elle peut toutefois être visée par certains motifs de distinction illicites énoncés dans la Charte québécoise, comme le « sexe » et l’« état civil ». Qu’à cela ne tienne, même en cette matière, la situation juridique des personnes trans demeure précaire, comme le rappelait récemment un juriste (voir Sauvé, à paraître). Sur la scène fédérale, plusieurs projets ont été proposés pour inclure l’identité de genre au sein de la Charte canadienne, mais ces efforts n’ont toujours pas porté leurs fruits. La plus récente action dans ce sens est le projet de loi C, qui visait à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel afin d’inclure une protection explicite de l’identité ou l’expression sexuelle. Cette loi, déposée à la Chambre des communes en par Randall Garrison, député NDP de Esquimalt–Juan de Fuca (Colombie-Britannique), est finalement morte au Sénat en après le déclenchement des élections. D’une autre part, bien que certaines provinces canadiennes permettent aux mineurs le changement de mention de sexe à l’acte de naissance sans modifications chirurgicales, le Québec se fait attendre. . C’est le cas notamment de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, du Manitoba, de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse, qui ont adopté, ou sont sur le point de le 103 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 96 ! Santé mentale au Québec, , XL, no Alors que la nouvelle « loi » permet aux personnes majeures de changer leur mention de sexe à l’acte de naissance sans subir de modifications chirurgicales préalables, les personnes mineures en sont exclues. Par conséquent, les personnes mineures doivent continuer de traverser l’enfance et l’adolescence avec des documents d’identité civile (notamment acte de naissance et autres cartes d’identité) qui ne correspondent pas à leur identité de genre. Le contexte sociopolitique demeure donc précaire pour ces jeunes et leur famille. Jeunes transgenres et expériences d’oppression Une grande partie des études publiées sur le sujet des jeunes trans ciblent la question du développement de l’identité (Grossman et al., ; Pollock et Eyre, ), souvent à partir d’un point de vue étiologique (Wren, ; Zucker, ; Roen, ), ou concernent essentiellement le traitement médical et l’intervention psychosociale (Zucker, ; Zucker, ; Langer, ; Roberts et al., ; Vries et al., ; Mallon, ; Grossman et D’Augelli, ). Ce que l’on sait de ces études, c’est que le développement de l’identité se produit dans la majorité des cas avant l’âge adulte (Beemyn et Rankin, ; Olson, Forbes et Belzer, ), souvent dès ou ans (Ehrensaft, ), et que le sentiment d’incongruence entre l’identité de genre et le sexe assigné émerge vers l’âge de , ans (intervalle de à ans) (Grossman et Anthony, ). Aussi, l’identité affirmée des jeunes trans serait aussi ancrée que celle des jeunes cisgenres (Olson, Key et Eaton, ). De plus, les jeunes trans seraient nombreux, quoique la majorité d’entre eux resteraient invisibles à leur famille et leur entourage étant donné la grande pression à se conformer socialement (Schneider, ; Hellen, ). Selon Schneider (), on cite que enfant sur est trans ou de genre non conforme, mais ces chiffres sont souvent débattus dans les écrits et demeurent difficiles à estimer (voir Pyne, a). Quoi qu’il en soit, ces jeunes font partie des populations les plus vulnérables de la société et font face à des difficultés disproportionnées relativement aux autres jeunes de leur âge. Par exemple, ils sont plus susceptibles d’être victimes d’abus et de violence (Nuttbrock et al.. ; Nuttbrock faire, une loi permettant aux mineurs d’obtenir un changement de mention de sexe sans intervention médicale. . Dans ce texte, nous nous référons aux jeunes en tant que mineurs, mais certaines publications incluent des groupes allant jusqu’à ans. 104 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus ! 97 et al., ; Roberts et al.. ), de vivre des expériences de cyberintimidation et d’intimidation (Blumenfeld et Cooper, ). Selon Chamberland et coll. (), plusieurs jeunes transgenres ne se sentent pas en sécurité à l’école. Ils sont surreprésentés chez les populations itinérantes (Quintana, Rosenthal et Krehely, ; Crossley, ) et sont plus à risque de se faire arrêter ou incarcérer (Garnette et al., ). Ils sont aussi plus à risque de développer des dépendances à la drogue ou à l’alcool (Newcomb, Heinz et Mustanski, ) ; de prendre des risques lorsqu’ils ont des relations sexuelles, ou de compter sur la prostitution comme source de revenu, surtout lorsqu’ils sont sans logement (Walls et Bell, ). Ils vivent également plusieurs problèmes de santé mentale et de la détresse psychologique (Menvielle, ; Nuttbrock et al., ), incluant des stress posttraumatiques (Roberts et coll., ). Le taux de suicide chez les personnes trans est très élevé (Liu et Mustanski, ; Goldblum et al., ). Bauer et coll. () estiment que % des personnes trans en Ontario ont eu des pensées suicidaires et que % ont fait une tentative de suicide. La même étude souligne d’ailleurs que % parmi ces personnes avaient moins de ans lorsqu’elles ont fait leur première tentative (Bauer et coll., ). Plusieurs facteurs ont une incidence sur l’épanouissement du jeune, tel l’accès ou non à des soins de santé, médicaux et psychosociaux (Singh, ; Burgess, ), ou l’accès ou non à des soins respectueux de leur autodétermination (Minter, ; Olson et coll., ). L’accès ou non aux communautés qui soutiennent le genre affirmé (Burgess, ; Singh et al., ), et aux médias sociaux (Singh, ) est aussi reconnu comme un des facteurs ayant une incidence sur le développement du jeune. Finalement, le soutien familial, qu’il s’actualise dans la sphère privée (à la maison, de la part de la famille restreinte seulement) ou de manière publique (Ajeto, ), est considéré comme central au bien-être des jeunes trans (Travers et coll., ; Singh et coll., ). En effet, le niveau de détresse psychologique est moins élevé chez les jeunes trans recevant le soutien de leurs parents que chez ceux n’en bénéficiant pas (Travers et coll., ; Schneider, ). De plus, une récente étude sur les jeunes trans en Ontario souligne que le taux d’idéations suicidaires chez eux diminue de % et que les jeunes ont tendance à avoir une meilleure santé mentale, et une bonne estime de soi, lorsqu’ils vivent dans une famille avec un soutien parental fort (Travers et al., , dans Pyne, b). En outre, l’ensemble de ces facteurs peut influencer, d’une manière ou d’une autre, la santé mentale et le bien-être du jeune ainsi que l’exclusion qui est vécue. Il importe 105 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 98 ! Santé mentale au Québec, , XL, no de noter que les expériences des jeunes trans sont très diversifiées, et les parcours qu’ils empruntent souvent uniques, influencés notamment par leurs conditions de vie et la position sociale qu’ils occupent en société (genre, « race », classe sociale, orientation sexuelle, habileté physique ou mentale, etc.). D’ailleurs, certaines recherches montrent que les jeunes femmes trans racisées vivent des difficultés amplifiées et qu’elles sont surreprésentées dans les statistiques sur les meurtres de personnes trans (Transgender Europe et Tansrespect versus Transpobia, ). De plus, certains contextes complexifient l’intégration des jeunes trans, compte tenu de l’importance de la stigmatisation présente dans certaines communautés religieuses (Glenn, ) ou communautés culturelles (Saketopoulou, ). Une attention particulière à l’égard du contexte dans lequel vit le jeune et la famille est donc essentielle à toute intervention. Par contre, peu importe le contexte, les jeunes trans ont un important besoin de soutien et de protection dans la société actuelle, mais les services qui leur sont offerts se font encore rares. Expérience de parentalité Si le soutien fort des parents à l’égard de leur jeune est essentiel à son épanouissement, le processus menant à cette acceptation n’est pas vécu sans difficulté, et peut être lent (Pullen Sansfaçon et coll. ; Brill et Peper, ). Par contre, ce qui semble motiver les parents à soutenir leur jeune s’articule souvent autour du désir de protéger son enfant de certaines difficultés, notamment celles décrites plus haut (Pullen Sansfaçon et coll., ; Susset, ). De plus, selon la recherche de Pullen Sansfaçon et coll. (), dont les données ont été obtenues en contexte québécois, les parents passent souvent par une période de choc lorsqu’ils découvrent que leur enfant est trans. Les soutenir dans le processus d’acceptation est essentiel afin de les aider à plusieurs niveaux : à repérer des ressources d’aide pertinentes et actuelles, à composer avec la stigmatisation et à développer des stratégies visant à mieux défendre les droits de leur enfant (Riley et coll., ). Par ailleurs, il est important de noter que les parents vivent souvent, d’une manière indirecte, des expériences de stigmatisation et d’oppression lorsqu’ils soutiennent leur enfant (Cook-Daniels, ). Les conflits familiaux émergent parfois au sein des familles (Pullen Sansfaçon, ). Si l’acceptation n’est pas un processus facile, les pères démontreraient plus de difficulté à accepter leur enfant que les mères 106 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus ! 99 à le faire (Landolt et coll., , dans Susset, ). De plus, soutenir et défendre l’identité affirmée du jeune dans le voisinage ou la famille étendue, ainsi que décider du moment et de la manière de divulguer l’identité du jeune dans d’autres sphères tels les écoles ou les centres de santé s’avèrent une source de tension et de stress importante pour le parent (Pullen Sansfaçon et coll., ). La prise de décision, de manière générale, peut être perçue comme anxiogène (Pullen Sansfaçon et coll., ; Wren, ). Notamment, décider de laisser son enfant aller à l’école vêtu conformément à son genre affirmé, donner son consentement afin de permettre au jeune d’amorcer des traitements hormonaux à l’adolescence et soutenir le changement de nom officiel à l’acte de naissance en sont tous des exemples. L’anticipation à l’égard d’un regret ou d’une récrimination future de la part de leur enfant est également vécue comme un lourd fardeau pour les parents, et plusieurs peuvent se sentir sous pression, par volonté de vouloir prendre la bonne décision ou adopter la meilleure posture (Wren, ; Pullen Sansfaçon et coll., ; Susset, ). Trouver des services constitue également un enjeu pour les parents. Accéder aux ressources non spécialisées, sans vivre de difficultés particulières ou de situations de discrimination, est une première étape, et trouver des services qui répondent spécifiquement aux besoins des jeunes et de leur famille en est une deuxième (Pullen Sansfaçon et coll., ). En effet, il semblerait que les jeunes trans fassent face à de nombreuses barrières lorsqu’ils veulent accéder aux services sociaux et de santé, voire se fassent parfois refuser l’accès à des services pourtant offerts à la population en général (Sing et al., ). De plus, peu d’espaces sécuritaires et de ressources sont disponibles pour ces familles (Riley et coll., ), et il s’avère souvent difficile pour les parents de trouver du soutien (Zamboni, ). Cela dit, l’accès aux ressources est essentiel pour soutenir les parents dans ce processus d’adaptation et de transition, et les aider à mieux comprendre la situation vécue par leur enfant (Susset, ; Grossman et D’Augelli, ; Wren, ). Réapprendre le genre et comprendre la complexité des parcours et expériences Selon les écrits recensés, nous pouvons dégager que les parcours des jeunes trans et de leurs familles peuvent différer énormément d’une personne à l’autre, dépendamment du soutien reçu, et de l’ouverture 107 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 100 ! Santé mentale au Québec, , XL, no de la communauté qui les entoure, notamment. Ainsi, le jeune et sa famille pourront aller chercher des services ou consulter un professionnel à différents moments de leur parcours. Par conséquent, une compréhension des genres au-delà du modèle binaire (mâle-femelle) est essentielle à une intervention affirmative auprès des familles et du jeune (APA, ) afin de respecter toutes les identités et l’expérience individuelle de chacun. Ainsi, pour développer des interventions efficaces avec la famille de ces jeunes, les professionnels devraient, comme le souligne la psychologue américaine Diane Ehrensaft, « réapprendre le genre en faisant la différence entre le genre et le sexe, et ce, même si certains programmes de psychologie s’obstinent à enseigner des théories qui ne tiennent pas compte des données empiriques les plus récentes » ( : -). Ainsi, une intervenante qui a « réappris le genre » comprendra qu’il existe plusieurs expressions et identités de genre, et que ces expressions et identités font partie de la diversité humaine et ne sont pas des problématiques, des déviances ou des situations causées par le parent, comme l’ont longtemps soutenu certaines études (voir par exemple Zucker et Bradley, ). D’ailleurs, le World Professional Association in Transgender Health ( : ) a récemment déclaré que « l’expression du genre, y compris les identités de genre, n’est pas typiquement associée au sexe assigné à la naissance et que des expressions et identités de genre sont un phénomène commun de l’humanité, et culturellement diversifié, [qui] ne devrait pas être jugé comme intrinsèquement pathologique ou négatif » (traduction libre). Cette manière différente d’appréhender le genre demande nécessairement un changement de paradigme de la part du professionnel, mais trouve un soutien grandissant dans les écrits et les associations professionnelles. Ainsi, il importe de mieux comprendre ce qu’est l’identité de genre, et de prendre conscience qu’elle peut naturellement s’exprimer sur un continuum, et non de manière strictement binaire. D’ailleurs, les « thérapies correctives de genre », qui visaient autrefois à renforcer les comportements stéréotypés, sont de plus en plus controversées (Tosh, ) et même interdites dans certains endroits, notamment en Ontario depuis juin . Par ailleurs, l’Association canadienne des travailleurs sociaux (ACTS) et de l’Association canadienne des écoles de travail social (ACFTS) affirment que les travailleurs sociaux doivent non seulement travailler selon des pratiques transaffirmatives, mais aussi qu’intervenir pour changer l’identité de genre chez un jeune « est considéré comme contraire à l’éthique et constitue un abus de 108 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus ! 101 pouvoir et d’autorité » (ACFT/ACFTS, : ). D’autres organisations professionnelles, telles que l’American Psychological Association (APA), ont également émis des consignes qui invitent les psychologues à se distancer des interventions visant la conversion et encouragent le travail thérapeutique à se faire davantage avec les familles, dans le but de favoriser une acceptation plus grande de l’enfant (APA, ; APA, sans date). Aussi, on observe depuis plusieurs années un mouvement de dépathologisation, qui s’est surtout concrétisé avec la publication du DSM (Alessandrin, ). En effet, si le DSM-TR parlait du trouble de l’identité sexuelle (au sein duquel l’identité trans était diagnostiquée comme un trouble, comme un problème de santé mentale), la publication du DSM parle maintenant de la dysphorie de genre, lorsqu’il y a souffrance découlant de la non-concordance entre l’identité de genre et le sexe assigné à la naissance, et des pressions sociales qui l’accompagnent. Les identités trans, comme telles, ne sont plus diagnostiquées et l’affirmation de ces identités est de mise. Par ailleurs, les jeunes ayant accès à des services qui visent à les soutenir dans leur identité de genre affirmée présenteraient moins de problèmes de comportement que les jeunes étant suivis selon des thérapies réparatrices ou de conversion (Hill et coll., , dans Pyne, b). Ces interventions permettent entre autres d’améliorer la santé, le sentiment de bien-être et la qualité de vie en général des personnes trans (Witten, , dans APA, ). Bien que certains débats sur ces questions perdurent, on observe que les associations professionnelles, de plus en plus, reconnaissent l’importance des approches transaffirmatives visant l’autodétermination de la personne, d’une part, et le soutien du jeune et de sa famille dans le processus d’acceptation, d’autre part. Promouvoir l’autodétermination et soutenir les familles dans l’atteinte de leurs besoins Nous avons souligné plus haut que les interventions visant à soutenir les familles devraient cibler le soutien du jeune et l’adaptation des parents à la réalité de leur enfant, compte tenu de leur vulnérabilité aux sentiments d’anxiété et à l’isolement social. Dans cette logique, il est important de se préparer à ce qu’une personne se présente avec des pièces d’identité non conformes à leur identité/expression de genre, et que cette même personne demande qu’on s’adresse à elle en utilisant 109 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 102 ! Santé mentale au Québec, , XL, no certains pronoms/prénoms de son choix. Le respect de l’identité de genre est essentiel dans l’intervention avec les jeunes et leurs familles. De plus, les professionnels devraient encourager les familles à utiliser les pronoms et prénoms qui respectent l’identité affirmée du jeune, et les aider à trouver des ressources appropriées pour être mieux épaulées relativement aux possibles difficultés d’adaptation mentionnées plus haut. De plus, compte tenu du contexte actuel, les professionnels travaillant avec ces familles devraient également les soutenir dans la lutte pour la défense de leurs droits et dans des interventions stimulant le changement social. Car si plusieurs familles nécessitent des interventions en vue d’un changement personnel (l’acceptation de l’enfant, par exemple), d’autres auront besoin d’un soutien visant le changement à la source des problèmes, c’est-à-dire les conditions de vie opprimantes – maintenues, par exemple, à travers les structures organisationnelles ou les lois - qui affectent les jeunes et leur famille sur une base régulière. En effet, la famille des jeunes trans doit aussi faire face à des situations d’oppression (risques de rejet social et familial, de déni de reconnaissance civile, non-respect de l’identité à l’école, etc.), situations qui demandent souvent des réponses qui vont au-delà du changement personnel. Ainsi, il importe de repérer les obstacles sur les plans juridique, social et institutionnel qui nuisent à l’épanouissement des jeunes trans et de leur famille, et de tenter d’agir sur ces barrières sociales et structurelles. Conclusion Dans cet article, il a été question de l’expérience des jeunes trans, mais aussi de leur famille. À partir d’une discussion critique des écrits, il a été possible d’établir que les familles des jeunes trans vivent aussi des situations difficiles, même si ces situations sont différentes de celles vécues par les jeunes. Qu’il soit question d’anxiété, d’isolement, de situations de rejet et de conflit, ou des difficultés d’accès aux services, les recherches démontrent comment les difficultés se vivent sur plusieurs plans, de l’individu à la structure dans laquelle il vit et interagit. Ainsi, des interventions ayant pour cible l’individu, mais aussi la structure dans laquelle il évolue, sont nécessaires afin de créer des espaces plus inclusifs pour ces familles, mais aussi pour les jeunes trans. La prise de conscience professionnelle de ces enjeux, et le développement d’interventions visant à soutenir le jeune et sa famille constituent les interventions les plus prometteuses. 110 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Parentalité et jeunes transgenres : un survol des enjeux vécus ! 103 RÉFÉRENCES Ajeto, D. A. (). 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Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 123 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 124 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 125 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 126 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 127 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 128 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 129 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 130 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 131 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 132 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 133 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 134 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 135 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 136 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 137 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 138 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 139 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 140 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 141 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 142 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 143 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 144 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 145 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 3.4 Vous pouvez consulter le Programme national de santé publique 2015-2025 en visitant l’hyperlien ci-dessous : http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2015/15-216-01W.pdf 147 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 151 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille On aura compris tout au long de cet ouvrage à quel point il est essentiel de minimiser tes facteurs de vulnérabilité tout en renforçant tes facteurs de protection devant l’adversité que constituent la méconnaissance de la diversité sexuelle et les préjugés, les intolérances, parfois les violences qu’elle rencontre. Autrement dit, ce qui rend plus fort aura toujours avantage à être développé, alors que ce qui affaiblit moralement ou socialement aura avantage à être amenuisé. Récapitulons quelques-uns de ces éléments. FACTEURS DE VULNÉRABILITÉ FACTEURS DE PROTECTION A la remorque de ce pensent les autres Esprit critique face aux préjugés Honte ou haine de soi Fierté de soi et de ses réalisations Isolement Recherche de soutien et solidarité Peur des autres Affirmation de soi Silence Prise de parole Crainte de se révéler à autrui Risque assumé d’être visible Accpetation du rejet et de la «tolérance» Exigence du respect des droits et libertés et d’une pleine égalité Objet de ridicule Sujet humoristique actif Ignorance de la diversité sexuelle Partage et développement de connaissances Respect des points de vue les plus intélérants (sous prétexte que «toutes les idées se valent») Respect sans compromis de soi et de ses pairs Impossibilité de se défendre Habiletés d’autodéfense Posture de victime Posture d’acteur social Acceptation passive des étiquettes Refus des étiquettes imposées Soumission aux pressions des autres quant à son style de vie Choix créatif de son style de vie 153 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 155 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 156 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 157 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 158 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 159 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 160 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 161 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 162 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Lutter contre l’intimidation (en grande partie d’après Donn Short, «Don’t Be So Gay», UBC, 2013) On sait d’après les recherches évaluatives sur ce qui fonctionne ou a fonctionné ailleurs au Canada et dans le monde que les bons programmes de lutte contre l’intimidation (y compris de nature homophobe) : impliquent les parents ; assurent une discipline de vie claire dans le milieu scolaire (dans «sanctions» formatives, qui ne visent pas seulement des «arrêts d’agir» mais surtout l’adoption et le maintien de comportements différents et socialement acceptables); sont à la fois intensifs et étendus dans le temps plutôt que conjoncturels; touchent autant les jeunes et leurs parents que leurs professeurs (formation et supervision)6. Comme le suggère le professeur Donn Dhort dans son ouvrage «Don’t Be So Gay. Queers, Bullying and Making Schools Safe» ( (UBC, 2013) , on pourrait regrouper en 4 catégories les stratégies possibles de lutte à l’intimidation. Elles visent respectivement à assurer : le contrôle des élèves; la sécurité des élèves; l’équité entre les élèves; la promotion de la justice sociale. Le contrôle (par exemple, pas d’armes à l’école) et la sécurité (par exemple un local où les jeunes peuvent se réfugier si intimidés ou violentés par des pairs, ou encore une personne aidante à qui se référer en tout temps) sont à l’évidence très utiles à court terme. Cependant, ces mesures n’exercent aucune action préventive à moyen et long terme. En plus, de telles mesures sont tendance à «personnaliser» les problèmes liés à l’intimidation en mettant beaucoup de poids sur le contrôle (ou l’exclusion) des intimidateurs et sur la faculté des intimidés à se protéger adéquatement ou à dénoncer l’intimidation une fois celle-ci survenue. Alors que l’intimidation n’est pas seulement ou essentiellement un problème personnel, ni même relationnel, mais plutôt un problème qui survient suite à la stigmatisation sociale de certaines catégories d’enfants, qui se distinguent par exemple par leur apparence, leurs intérêts, leurs facultés physiques ou intellectuelles, leur appartenance ou leur origine familiales, sociales, ethniques, religieuses, leur orientation sexuelle présumé ou révélée, etc.). Promouvoir l’équité, c’est établir des mesures concrètes qui font en sorte que tous les jeunes, quelles que soient leur singularité, leur appartenance ou leur identité, se sentiront compris, protégés et respectés par l’école. Ce serait un incontournable pour prévenir véritablement l’intimidation dans le moyen et le long terme. Ce n’est néanmoins pas encore suffisant pour avoir un effet sur les motifs les plus insidieux et persistants de stigmatisation. Des mesures de rattrapage proactives, pouvant parfois s’apparenter à de la 6 Idem, p. 70. 163 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille «justice réparatrice», sont souvent requises pour faire en sorte que tous les enfants, y compris les plus stigmatisés se sentent et soient accueillis et protégés par l’école. C’est pourquoi des mesures de promotion de la justice sociale doivent travailler à «banaliser» et à rendre légitimes les différences qui sont objets d’étiquetage et de stigmatisation persistantes et répétées. C’est l’unique façon de «démarginaliser» durablement, à court, moyen et long terme les jeunes qui sont les plus intimidés. Tant que certains attributs seront sujets à discrédit, dire simplement non à l’intimidation ne règlera pas le problème Par exemple, tant que ce qui est perçu comme féminin chez un garçon (son apparence, son poids, ses goûts, ses intérêts, etc.) sera considéré comme un moins, les insultes «fif» et «tapette» prévaudront dans les cours d’école, comme c’est actuellement souvent le cas. L’école doit en ce sens lutter contre la double honte chez les jeunes intimidés: honte d’être harcelé-e ou intimidé-e (et d’en être blâmer éventuellement; les victimes sont encore très souvent les premières blâmées); honte du motif pour lequel on est harcelé-e (c’est-à-dire sa «différence»). Cela fait en sorte que les jeunes harcelés ne se plaignent guère ou hésitent beaucoup à le faire, tant auprès de leur famille qu’auprès des autorités concernées, scolaires ou autres. Or, ce silence aggrave le problème. Les jeunes stigmatisés ont souvent l’impression, parfois fondée vu l’inaction des autorités dans des cas similaires au leur, qu’ils n’auront pas la même écoute et la même protection que les autres (d’où la nécessité de programmes mettant l’accent sur l’équité). L’attribut pour lequel un jeune est harcelé étant perçu par ses intimidateurs (et parfois par lui-même) comme un défaut ou une tare, une prévention efficace doit agir sur les perceptions erronées et les préjugés des jeunes. D’où la nécessité de programmes promouvant la justice sociale pour les groupes historiquement les plus stigmatisés (comme les jeunes LGTB, par exemple). Lutter contre l’intimidation, c’est agir à sa source, sur les motifs mêmes qui la rendent possible et l’encouragent. Par exemple, en combattant activement les préjugés sexistes, homophobes, racistes ou xénophobes, cela à travers des activités qui valorisent (c’est de l’équité) et même célèbrent les différences (c’est de la justice sociale : on doit en faire un peu plus pour rappeler que certaines différences ont injustement été stigmatisées et que l’on entend aujourd’hui les reconnaître pleinememt comme partie intégrante et positive de la diversité humaine). Les caractéristiques des jeunes à risque d’être stigmatisés et marginalisés, l’école doit, et peut, les rendre non seulement acceptables mais légitimes aux yeux de tous – y compris à leurs propres yeux, car ces jeunes en viennent parfois, hélas, aussi à se détester eux-mêmes. Quelles activités favorisent et valorisent l’inclusion des enfants ou des adolescents «différents» dans nos écoles ou institutions actuellement ? Se poser la question constitue un premier pas essentiel. Rendre l’intimidation impopulaire (comme on le fait de plus en plus) est certainement un pas dans la bonne direction mais n’a pas beaucoup d’effet sur les racines du problème. De surcroît, rejeter le problème uniquement sur les intimidateurs ne règle guère le problème, a fortiori si on les exclut de la recherche de solutions. Les jeunes intimidateurs ont autant besoin d’aide que leurs victimes si on veut qu’ils trouvent d’autres façons, constructives pour eux et pour autrui, de se valoriser et de fonctionner en société. L’intelligence et l’énergie des intimidateurs peuvent être canalisées autrement. Confronter et refuser, à bon droit, des conduites inacceptables ne devrait jamais signifier rejeter les personnes qui les posent, a fortiori si ce sont des jeunes encore en développement. 164 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Enfin, ce travail d’éducation et de sensibilisation ne peut se faire qu’en impliquant la communauté : parents, enseignants, professionnels, etc. La recherche montre que seule une mobilisation et une responsabilisation collective arrive à diminuer sensiblement le problème de l’intimidation. 165 Cahier de documents d'accompagnement 4.4 Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille La transphobie en milieu scolaire au Québec 5. Les facteurs de vulnérabilité et de résilience Si les impacts de la transphobie sont importants, ce ne sont pas tous les jeunes qui en souffriront également. Ses conséquences dépendent notamment de certains facteurs personnels, tels que le cheminement parcouru jusqu’à maintenant par le jeune, ses résultats scolaires, sa motivation et ses aspirations futures. Par exemple, Antonin aime beaucoup l’école et savait déjà, dès le secondaire, qu’il voulait être enseignant au cégep. Christopher, quant à lui, a de bons résultats scolaires, ce qui se répercute sur sa motivation. En revanche, Benoît ne se perçoit pas comme un bon élève et rapporte avoir un caractère conflictuel, ce qui influence son rendement scolaire. Cette section permet de dénombrer sept facteurs possibles de vulnérabilité ou de résilience pour les jeunes trans dans le contexte du milieu scolaire, soit : l’attitude de la direction, les attitudes du personnel enseignant, le fait de parler des transidentités en classe, le rôle du personnel d’intervention, le réseau amical, les organismes trans, et les parents et la famille. 5.1. L’attitude de la direction [La direction] m’a dit que j’étais un cas à problèmes. (Christopher, homme trans, niveau secondaire) La direction d’une école joue un rôle important quant aux attitudes ou comportements qui seront tolérés ou non dans l’établissement scolaire. Il semble toutefois qu’en matière de manifestations transphobes et homophobes, plusieurs directions ne prennent pas concrètement position. Cette situation est notamment imputable au manque de ressources dans les écoles selon une de nos informatrices clés, une femme transsexuelle qui enseigne au secondaire et qui mentionne : La direction a tellement de problèmes dont elle doit s’occuper. Je pense qu’il y a bien des choses qu’elle néglige, pas juste l’homosexualité. Il y a bien des réalités que les jeunes vivent et dont les directions se sont désengagées, par manque de ressources. C’est aux profs qu’il revient de parler de ça. Cette enseignante n’est pas la seule à penser que la direction ne prend pas assez au sérieux certaines situations. La majorité des participants, participantes ont témoigné que la direction de leur école ne leur donnait pas le soutien nécessaire pour faire face à la transphobie et à l’homophobie vécues à l’école. Christopher note que la direction de son école n’a pas effectué un suivi adéquat suite à des agressions transphobes : — Intervieweur : Est-ce que tu dirais que ton secondaire était ouvert à la différence? — Participant : Pas du tout. Tout au long de mon secondaire, j’ai été une victime d’attaques à tous les jours presque. Et la situation a été rapportée plusieurs fois à la direction. Et il n’y a pas grand-chose qui a été fait. Il y a eu plusieurs rencontres avec ma mère. Ils lui ont dit que si elle n’était pas contente, elle n’avait qu’à me changer d’école. (Christopher, homme trans, niveau secondaire) 167 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Qu’il s’agisse d’agressions verbales ou physiques, les participants, participantes estiment que la direction ne sanctionne pas assez sévèrement les coupables pour que cela soit pris au sérieux. Une situation vécue par Antonin illustre bien la situation. Après qu’il eut écrit deux articles pour le journal de l’école qui traitaient d’homosexualité et de transsexualité, quelques élèves lui ont envoyé un courriel dans lequel une fille prétendait être amoureuse de lui. Antonin rapporta cet incident à la direction. Les élèves en question ont été rencontrés par la direction quelques semaines plus tard, sans qu’aucune sanction soit appliquée. Pour Antonin, cet événement a été vécu comme un important manque de soutien. La situation semble un peu différente au cégep. Premièrement, les jeunes ressentent moins le besoin d’aller voir la direction, car ils ne sont pas aux prises avec des manifestations transphobes aussi violentes (plusieurs jeunes rapportent même n’avoir vécu aucun problème au cégep). Deuxièmement, d’après les témoignages recueillis, la direction au collégial est davantage perçue comme une alliée prête à intervenir en cas de problèmes. Lorsqu’on demande aux participants, participantes ce que les directions d’établissements scolaires pourraient faire pour soutenir les jeunes trans, outre le suivi et la sanction d’agressions transphobes, ils souhaitent que la direction endosse un rôle plus actif pour l’intégration et l’acceptation des jeunes trans. Les jeunes suggèrent notamment de mettre des affiches de sensibilisation sur les transidentités, d’inclure les réalités transidentitaires au sein des politiques institutionnelles et de s’assurer que tout le personnel de l’école soit minimalement sensibilisé à leurs expériences et réalités. Les jeunes trans se sentiraient ainsi moins isolés et le personnel serait plus outillé pour les aider. Enfin, leurs pairs seraient mieux informés au sujet des transidentités, ce qui contribuerait selon eux à diminuer les attitudes et comportements transphobes. 5.2. Les attitudes du personnel enseignant Les attitudes du personnel enseignant sont un facteur à ne pas négliger. Plusieurs participants, participantes rapportent que certains enseignants, enseignantes tiennent des propos homophobes : En FPS [Formation personnelle et sociale], on n’en parlait pas de transsexualité, c’était exclu. Il y a un de mes profs qui était plutôt transphobe. Il avait même dit que c’était le choix de la personne d’être lesbienne ou quelque chose comme ça. Par rapport aux transsexuels, il devait être fermé. Non, ça ne faisait pas partie du discours. J’avais même un prof de français qui disait que l’homosexualité est une maladie, mais il avait 58 ou 59 ans. Ce n’est pas terrible quand tu te dis que des profs ont cette vision-là. (Antonin, homme trans, niveau secondaire) J’avais un prof d’éducation physique qui lâchait des remarques homophobes à tout bout de champ. (Christopher, homme trans, niveau secondaire) Les jeunes trans interviewés soulignent aussi que des membres du personnel enseignant, tout comme la direction, ne donnent pas de soutien aux élèves qui subissent de la transphobie. Par exemple, ils n’interviennent pas toujours lorsque des commentaires transphobes sont faits en classe. Françoise Susset explique que plusieurs enseignants, enseignantes laissent les élèves réguler entre eux les conduites de genre. Elle souligne aussi que certains pensent de façon erronée que les jeunes trans attirent le trouble : 168 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille [Les enseignants sont] une mine d’informations intéressantes. « Ah! Il ne s’aide pas, ce jeune-là! — Comment ça qu’il ne s’aide pas? — Ah! Il s’habille vraiment flamboyant puis il est très maniéré patati patata… » Je leur dis toujours : « Allez donc lui demander depuis combien d’années il se fait écœurer ce jeune-là? » C’est presque garanti que ce jeune-là, ça fait depuis la deuxième année de l’école primaire qu’il se fait écœurer. Souvent, c’est son moyen de protection. […] Je leur dis : « Allez voir un petit peu c’est quoi son histoire à ce jeune ! Il n’était pas le petit gars qui passait inaperçu jusqu’à l’année passée puis que, tout d’un coup, il disait qu’il était flamboyant. » Et puis, c’est ça. Je le vois chez mes clients transsexuels. Selon les participants, participantes, le fait que les membres du personnel enseignant soient souvent mal informés quant aux transidentités constitue une barrière importante au soutien qu’ils peuvent offrir aux jeunes trans. Je suis sûr qu’il y a énormément d’enseignants dans les écoles qui ne savent même pas c’est quoi une personne transsexuelle. Ça ne fait juste pas partie de leur vocabulaire. (Christopher, homme trans, niveau secondaire) J’imagine qu’il y en a beaucoup qui ne savent pas du tout c’est quoi, qui ne seraient pas capables de définir, ou à peine… Et s’ils avaient une idée de ce que c’est d’être transgenre ou transsexuel, différents genres dans le fond, ça pourrait peut-être les aider à mieux les intégrer. (Alex, transgenre en questionnement, niveau secondaire) C’est sûr que si les professeurs au secondaire connaissaient ça, ils pourraient peutêtre remarquer un peu des choses qui clochent ou quelque chose du genre. S’ils savent c’est quoi, ça serait aussi peut-être plus facile pour les personnes qui feraient une transition au secondaire […], si elles savent comment intervenir aussi. Même chose au cégep. (Julie, femme trans, niveau secondaire et collégial) Par ailleurs, des enseignants, enseignantes peuvent constituer un élément important dans le processus de résilience pour les jeunes trans en milieu scolaire. Certains jeunes interviewés avaient développé, à l’école secondaire, un lien de confiance assez fort avec un ou une enseignant, enseignante pour se confier quant à leur réalité. Benoît mentionne comment certains peuvent démontrer une ouverture d’esprit : Sauf le prof de bio. Il avait l’air intéressé. Je me suis dit : « Enfin quelqu’un ». (Benoît, homme trans, niveau secondaire) Christopher, de façon similaire, raconte comment cette ouverture a été pour lui très bénéfique : — Intervieweur : Quand tu allais te confier à la prof de mathématiques, est-ce que ça aidait un peu? — Participant : Oui. J’avais quelqu’un à qui en parler dans ces lieux-là. C’est très, très important pour moi. (Christopher, homme trans, niveau secondaire) 169 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Un ou une enseignant, enseignante peut démontrer son ouverture en parlant de la diversité sexuelle en classe, en ayant de bons rapports avec le groupe ou encore en mentionnant qu’elle ou il est présent pour ses élèves. Les enseignants, enseignantes gais et lesbiennes, ou ouverts à l’homosexualité, sont perçus comme étant plus aptes à comprendre la réalité des jeunes trans : — Intervieweur : Alors, est-ce que tu dirais que les professeurs étaient ouverts à la transsexualité ou au transgendérisme? — Participant : Bien, il y en a plus que d’autres, oui. Je reviens à mon prof de morale. Je pense que lui, il peut être plus ouvert par rapport à toute la diversité sexuelle parce que ça, il en parlait un peu. Il ne parlait pas spécifiquement du transgendérisme, mais il parlait de diversité, d’homosexualité. Ça m’avait l’air de quelqu’un d’ouvert de ce point de vue là. (Alex, transgenre en questionnement, niveau secondaire) Dans le même ordre d’idées, Christopher affirme : Je le sentais juste. Après que je sois allé la voir à quelques reprises, elle m’a dit qu’elle était homosexuelle puis elle m’a dit qu’elle savait que c’était terrible, que la direction ne prenait pas de mesures et quand elle était dans la salle des enseignants, elle entendait les autres profs qui disaient des conneries sur les transsexuels. Elle m’a dit qu’il y avait des enseignants qui ont dit que ces personnes-là, il fallait leur faire prendre des médicaments, qu’il fallait les enfermer. (Christopher, homme trans, niveau secondaire) 5.3. Le fait de parler des transidentités en classe Il semble que le fait de parler des transidentités en classe pourrait favoriser la résilience chez les jeunes qui vivent des expériences transphobes difficiles. Selon les participants, participantes, un ou une enseignant, enseignante bien informé à ce sujet et qui entretient un bon rapport avec son groupe risque davantage de se préoccuper de la transphobie dans sa classe et dans l’école, et de sensibiliser les élèves quant à l’importance de respecter les personnes trans. Antonin souligne le rôle capital que peuvent jouer les enseignants, enseignantes dans leur classe sur ce plan. Il mentionne : Si le prof en parle n’importe comment, ça ne fonctionnera pas. Mais si le prof est à l’aise, est ouvert aux questions et est là pour les rassurer en même temps, je pense que ça pourrait être vraiment positif. Puis, pour la personne qui est FtM ou MtF dans la classe, ça peut juste être vraiment une expérience positive, même si… Il faut que l’élève soit conscient qu’il peut avoir toutes sortes de réactions dans la classe. Parce que s’il n’est pas ouvert au fait qu’il y a peut-être des gens qui vont peut-être mal réagir, ça risque de vraiment le blesser. En même temps, s’il se rend compte que le prof a une bonne maîtrise du sujet et une bonne ouverture, peut-être que ça va le mener à aller vers le prof pour se renseigner. Je pense que ça pourrait être positif. (Antonin, homme trans, niveau secondaire) 170 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Le témoignage de Claude montre justement comment le silence (ne pas parler des transidentités, ne pas sanctionner les commentaires transphobes en classe) peut amener des jeunes en questionnement sur leur identité de genre à se replier sur eux-mêmes : Peut-être que ça m’aurait permis de comprendre plus tôt qui j’étais. Mettre un mot sur ce que je ressentais, du pourquoi j’étais différente des autres. Savoir pourquoi je me cherchais autant. Mais il n’y a jamais personne qui nous en a parlé. (Claude, homme trans en questionnement, niveau secondaire) Les discours tenus par le personnel enseignant en classe sont donc d’une grande importance dans le parcours identitaire et scolaire des jeunes trans. 5.4. Le rôle du personnel d’intervention Une enseignante au secondaire, faisant partie de nos informateurs clés, croit que les intervenants, intervenantes devraient, dans toutes les écoles, être minimalement outillés pour aider les jeunes trans. Dans son école, ça semble être le cas : Probablement que le jeune [qui questionne son identité de genre] serait référé à un groupe de gais et lesbiennes. Je pense qu’il y a des efforts pour que les groupes de gais et lesbiennes puissent plus intervenir ou nous référer. Je pense que oui, le jeune qui voudrait s’ouvrir au psychoéducateur de l’école finirait par tomber sur de bonnes ressources. J’ai confiance aux professionnels qui sont dans nos écoles par rapport à ça. (Femme trans enseignante au secondaire) Les jeunes trans interviewés ne semblaient pourtant pas partager son point de vue et n’étaient pas tentés d’aller les consulter. Ils fournissent plusieurs raisons pour expliquer cela. Premièrement, le personnel d’intervention est peu présent dans l’école. Deuxièmement, certains jeunes ne souhaitent tout simplement pas le consulter. Troisièmement, les jeunes doutent de sa compétence quant aux transidentités. Claude déplore ainsi l’insuffisance de ressources psychologiques à l’intérieur des écoles : À mon école, je savais qu’il y avait une psychologue. Je ne l’avais jamais vue. Je ne savais pas c’était quoi son nom. Et j’avais entendu dire qu’elle venait une fois par semaine, sur rendez-vous. En tout cas, elle n’était pas là vraiment pour ceux qui en avaient besoin. Moi, la psychologue, je ne l’avais jamais vue. (Claude, homme trans en questionnement, niveau secondaire) Pour sa part, Françoise Susset, qui reçoit plusieurs jeunes en pratique privée, affirme qu’il est plutôt rare de voir des jeunes aller consulter par eux-mêmes. L’initiative revient habituellement aux parents, ce qui peut expliquer en partie la réticence des jeunes à réclamer de l’aide de la part du personnel d’intervention de leur milieu scolaire. 171 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille C’est très rare que ce soit parce qu’un jeune aurait dit : « Ah maman, il faudrait que j’aille consulter » ou « J’ai besoin d’aide parce que je suis mélangé par rapport à mon identité ou mon orientation ». C’est pour ça que l’école primaire m’intéresse plus à la limite parce que comme ils ne font pas leur job à l’école primaire et que les jeunes sont exposés à l’homophobie, que ce soit à la première, deuxième, troisième année, tout ça, c’est intériorisé. Ce n’est pas vrai que c’est à 12 ans qu’un enfant va venir cogner à la porte d’un psy ou aller parler de ces affaires-là facilement. Enfin, la compétence des intervenants, intervenantes en milieu scolaire quant aux transidentités est questionnée. Benoît a vécu des expériences très différentes dans deux écoles. Dans un cas, le psychologue de l’école l’a référé au CLSC, ce qui montre le manque d’outils de cet intervenant à l’égard des transidentités d’une part mais, d’autre part, cela indique son professionnalisme alors qu’il a fourni à l’étudiant les ressources nécessaires pour trouver de l’aide. Dans l’autre cas, Benoît a été confronté à un psychoéducateur peu ouvert aux questionnements qu’il vivait, ce qui ne l’a pas incité à se confier davantage à ce dernier : J’ai vu un psychoéducateur une fois. J’avais une bonne relation avec lui. Je lui ai dit que je pensais être gars dans ma tête et il m’a dit : « Tu dépasses mon domaine, sors du bureau! » C’est ridicule. Ça faisait longtemps que je le voyais. Depuis secondaire 2 que je le voyais et je lui ai dit ça vers le milieu de secondaire 3 environ. Spécial. (Benoît, homme trans, niveau secondaire) En somme, les raisons évoquées ici par les jeunes interviewés semblent indiquer que la consultation du personnel d’intervention ne constitue pas, pour eux, un facteur de résilience capital étant donné qu’ils et elles les consultent peu. Néanmoins, il est possible de penser que la présence d’intervenants, intervenantes réellement outillés (en travail social, psychologie, psychoéducation ou autre) et disponibles pour répondre à leurs besoins pourrait s’avérer un facteur de résilience important puisque certains ont affirmé que dans ce contexte, ils les consulteraient davantage. 5.5. Le réseau amical Le réseau amical représente un facteur de résilience très important pour les jeunes interviewés. Les amis, amies peuvent leur venir en aide sur plusieurs plans : soutien et acceptation; protection psychologique et physique; aide à l’affirmation identitaire. Premièrement, les amis, amies sont parfois les seuls pairs qui acceptent la différence des jeunes trans, ce qui peut contribuer à combattre le sentiment d’isolement souvent vécu dans les premières années du secondaire. Claude, par exemple, parle de ce sentiment de rejet initial et comment, par la suite, les amitiés qu’il a tissées lui ont permis de se sentir moins seul parce que ses amis, amies acceptaient son identité. Deuxièmement, certains jeunes interviewés rapportent se sentir en sécurité avec leurs amis, amies, tant sur le plan psychologique que physique. Claude soutient que les amis, amies qu’il s’était faits lui offraient une protection physique. Néanmoins, comme le souligne l’enseignante au secondaire que nous avons 172 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille interrogée à ce sujet, cette protection de la part du réseau amical n’est pas toujours offerte et demeure limitée : Il y a des amis qui vont se tenir debout, mais […] quand le Brutus va venir dire un commentaire con, c’est pas tous les amis qui vont supporter l’élève. Les amis ne veulent pas nécessairement partager le problème de l’élève parce que s’ils se mettent à défendre l’élève, Brutus va leur tomber dessus aussi. Je pense que d’avoir un réseau d’amis, c’est le fun pour l’élève, il n’est pas tout seul, mais ça va pas l’aider nécessairement à éviter l’homophobie. (Femme trans, enseignante au secondaire) Troisièmement, le cercle amical peut aider les jeunes trans à développer et consolider leur identité et l’affirmer fièrement. Plusieurs participants, participantes ont effectué leur premier coming out trans auprès de leurs amis, amies. À l’exception d’un seul cas, ces derniers ont bien réagi, ce qui ne signifie pas qu’aucun ajustement ne soit nécessaire par la suite. Je n’ai eu aucune mauvaise réaction. Ma meilleure amie qui a été la première à le savoir, elle l’a tellement bien pris qu’elle m’a même attirée dans un magasin et m’a payé une partie de mes premiers vêtements. C’était la première fois que je magasinais dans un magasin de femmes. C’est elle qui m’a attirée et qui m’a dit : « Prends ce que tu veux! » (Julie, femme trans) Plusieurs jeunes trans racontent que leurs amis, amies les ont aidés à s’épanouir dans leur identité trans, comme le montrent les citations de Marie-Ève et de Benoît : [Mes amies] m’offrent de l’aide. En plus, c’est des filles, alors elles comprennent les problèmes des filles. Elles peuvent me soutenir là-dedans. Il y en a qui ne comprennent pas, mais je ne leur en veux pas. Elles sont quand même assez jeunes. Il y en a une de 12 ans que je connais qui me soutient très bien là-dedans. (Marie-Ève, femme trans en questionnement, niveau secondaire) [Mes amis] sont fiers de dire à leurs autres amis qu’ils ont un ami transsexuel. (Benoît, homme trans, niveau secondaire) 5.6. Les organismes trans Les modèles dans la vie des jeunes sont importants et cela est aussi vrai pour les jeunes trans. Ces jeunes trouvent parfois du soutien et de la reconnaissance auprès d’autres personnes trans pouvant servir de modèles. Les liens qui peuvent être établis avec ces personnes trans « modèles » sont possibles grâce à des connaissances qui fréquentent des organismes trans ou directement auprès de ces organismes fréquentés par plusieurs personnes trans (ATQ, Projet 10). En ce sens, les organismes centrés sur les besoins des personnes trans sont des facteurs de résilience importants : 173 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Je trouve ça génial. […] Quand j'ai été aux réunions pour la première fois, je me suis sentie moins seule. J'ai vu d'autres personnes, d'autres têtes. J'ai vu des personnes à n'importe quel niveau de leur transition. […] Il y a aussi la ligne d'écoute de l'ATQ [Association des transsexuels et transsexuelles du Québec] qui m'a très bien aidée aussi, pas juste simplement pour demander des renseignements. Ils étaient là aussi pour écouter, pour que je puisse parler de mes questionnements. Même si je n'attendais pas de réponse, ils étaient là pour écouter. Pendant les premiers mois, j'ai appelé l'ATQ plusieurs fois. Si l'ATQ n'existait pas, je ne serais pas là. (Julie, femme trans) Plusieurs participants, participantes confirment avoir eu recours aux services de ces organismes à un moment au cours de leur parcours identitaire. 5.7. Les parents et la famille Un dernier facteur à considérer, qui peut entraver ou faciliter la résilience des jeunes trans en milieu scolaire, est la qualité des relations familiales. Pour plusieurs raisons, certains jeunes interviewés n’ont pas fait leur coming out auprès de leur famille. Pour ceux et celles l’ayant fait, trois relatent que leur famille a initialement mal réagi, avant de tolérer puis d’accepter leur identité trans. Christopher rapporte néanmoins qu’il ne parle plus ni à sa sœur, ni à son frère à la suite de son coming out. Trois autres encore soulignent que leur famille a bien réagi dès le départ. À ce propos, Julie mentionne : Ma famille, à chaque fois que j'évolue, ils trouvent ça génial. Comme cet été, je pars en vacances et je me suis acheté mes deux premiers costumes de bain. Donc évidemment, ça va être la première fois que je me baigne en tant que Julie. Quand je disais ça sur Facebook, tout le monde était comme : « Ah oui, c'est super, ça ! » Tout le monde aime savoir que j'évolue. (Julie, femme trans) Notons pour terminer que malgré certaines expériences familiales très positives quant à leur coming out, les participants, participantes se confient généralement peu à leur famille lorsqu’ils et elles vivent des difficultés à l’école liées à leur identité ou leur expression de genre. De même, l’implication et l’acceptation des parents par rapport à leur enfant trans ne conduit pas nécessairement à un soutien de ce dernier dans son milieu scolaire. 174 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille CONCLUSION Les entretiens menés avec les jeunes trans dans le cadre de cette recherche exploratoire, bien que ne pouvant pas mener à des conclusions fermes étant donné le nombre limité de participants, participantes ont tout de même permis de valider des constats rapportés dans la revue de littérature à ce sujet. En effet, il semble que la majorité des jeunes trans interviewés ont commencé à se questionner sur leur identité de genre pendant leurs études de niveau secondaire et plusieurs ont amorcé une transition de sexe ou de genre entre le secondaire et le cégep ou encore durant leurs études collégiales. Il est difficile d’évaluer le nombre réel de jeunes trans au Québec, mais s’il suit la mouvance internationale, il est probablement croissant comme le montrent les recherches. Nous pouvons également soutenir que les jeunes trans ayant participé à notre étude, tout comme ceux présentés dans les recherches nord-américaines ou françaises, expérimentent diverses formes de discrimination, de harcèlement et de violence, et ce, particulièrement au niveau secondaire. Les jeunes trans interviewés en ont rapporté plusieurs : qu’il s’agisse de l’exclusion et du rejet dont ils sont victimes, du harcèlement verbal et des agressions verbales (injures, insultes, rumeurs, menaces, name calling, etc.) ou encore du harcèlement et des agressions physiques (se faire suivre, se faire enfermer dans les casiers, se faire lancer des objets, se faire battre, etc.). Les jeunes trans représentent ainsi un des groupes les plus vulnérables et les plus visés, notamment par la transphobie, mais aussi par l’homophobie. En effet, plusieurs de ces jeunes, qu’ils soient homosexuels, lesbiennes ou non, sont étiquetés comme tels à partir de leur expression de genre atypique et subissent ainsi, comme les jeunes lesbiennes, gais et bisexuels, bisexuelles, des attitudes et des comportements homophobes venant de leurs pairs, parfois même du personnel scolaire. Ces jeunes sont aussi confrontés à des difficultés spécifiques dans le milieu scolaire, telles que changer de prénom au sein de l’école ou se servir des toilettes et des vestiaires. Pour certains jeunes, le fait d’être victimes de transphobie et d’homophobie aura une incidence importante sur leur bien-être psychologique (isolement, troubles du sommeil ou d’appétit, dépression, insécurité) et sur leur cheminement scolaire (absentéisme, baisse de la motivation, de la concentration et du rendement scolaire, décrochage). D’autres seront plus résilients par rapport à ces situations. Cette première exploration dans l’univers des jeunes trans a justement permis de cerner certains facteurs de vulnérabilité et de résilience. Notons le rôle prépondérant du réseau amical et du personnel enseignant qui peuvent être d’importants alliés dans le milieu scolaire. Le soutien amical permet parfois de contrer l’isolement et peut encourager le jeune à s’épanouir dans sa nouvelle identité. Quant aux enseignants, enseignantes, en discutant de diversité sexuelle et de genre en classe, en sanctionnant les attitudes transphobes et homophobes, en se montrant ouverts, ils sont tout désignés pour recevoir les confidences des jeunes trans ainsi mis en confiance et les encourager dans leur cheminement identitaire et scolaire. En revanche, une attitude inverse de leur part peut être vécue très difficilement par les jeunes trans, qui ne se sentent pas respectés ou soutenus dans leur identité et les problématiques qu’ils vivent. D’autres facteurs, comme l’attitude de la direction, la présence d’intervenants, intervenantes outillés au sujet des transidentités, le contact avec des organismes trans et l’entourage familial ont aussi été identifiés comme des éléments pouvant favoriser la résilience chez ces jeunes. 175 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille RECOMMANDATIONS Compte tenu des résultats présentés dans ce rapport, notamment des facteurs de vulnérabilité et de résilience dénombrés, nous proposons les recommandations suivantes aux institutions québécoises d’enseignement de niveaux secondaire et collégial 10. La plupart des recherches consultées stipulent par ailleurs qu’une sensibilisation à ces enjeux devrait être amorcée le plus tôt possible, idéalement au niveau primaire. S’informer sur la diversité sexuelle et les transidentités Si la direction, le personnel enseignant et de soutien, les intervenants, intervenantes en milieu scolaire sont mieux informés, ils pourront mieux intervenir auprès des jeunes trans. Des jeunes interviewés rapportent qu’ils étaient mieux informés que les professionnels, professionnelles de leur école sur les transidentités. 1. Inviter le personnel de l’école à lire de la documentation disponible sur le sujet. 2. Recevoir une formation par des organismes communautaires qui travaillent auprès des personnes trans ou encore des témoignages de personnes trans. 3. Consigner de la documentation, des dépliants et des vidéos sur les réalités trans, disponibles pour le personnel et les élèves. 4. Fournir les ressources nécessaires aux jeunes trans lorsqu’ils demandent de l’aide ou les référer à des ressources extérieures. À ce sujet, nous vous invitons à consulter l’annexe du présent rapport qui présente les coordonnées d’organismes et d’associations trans au Québec. Favoriser un climat d’ouverture et de respect eu égard à la diversité sexuelle et aux transidentités Le fait d’instaurer dans l’institution scolaire un climat d’ouverture et de respect à l’égard de la diversité sexuelle et des transidentités incitera les jeunes trans à se confier au personnel, à prendre conscience de leur identité ou à l’exprimer, en plus de sensibiliser les autres élèves à l’importance du respect des différences. 1. Discuter de diversité sexuelle et de transidentités en classe, et questionner les normes relatives aux genres et aux orientations sexuelles. 10 Ces recommandations sont inspirées de celles proposées par les auteurs, auteures recensés dans la revue de littérature présentée, notamment : Lambda Legal et NYAC, 2008; Holman et Golberg, 2006; Beemyn, 2005b; Beemyn et coll., 2005; Dykstra, 2005; McKinney, 2005; Sausa, 2005; GSA Network, 2004. L’article de Beemyn et coll. (2005) est intéressant en ce qui concerne les recommandations aux institutions scolaires quant aux transidentités, puisqu’il propose des recommandations de niveau débutant, intermédiaire et avancé pour rendre les milieux scolaires plus inclusifs dans diverses sphères. 176 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 2. Favoriser le développement d’un sens critique chez les élèves sur ces sujets. 3. Placer des affiches d’organismes LGBT dans l’école pour démontrer aux élèves que l’établissement est ouvert à la diversité sexuelle. 4. Démontrer des signes d’ouverture, de même qu’une certaine disponibilité, lorsque des jeunes parlent de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. 5. Indiquer dans l’agenda ou les autres documents remis aux élèves les politiques et les sanctions à l’égard d’attitudes ou d’actes transphobes ou homophobes. 6. Respecter les jeunes trans en utilisant le prénom choisi et les pronoms adaptés. Être proactif dans le traitement des plaintes de transphobie et d’homophobie Plusieurs participants, participantes de notre recherche ont souligné que peu de mesures étaient mises en place pour lutter contre la transphobie et l’homophobie à l’école et que, trop souvent, la responsabilité de trouver une solution pour éviter ces situations difficiles leur incombait. En ce sens, les écoles devraient être proactives pour protéger leurs élèves contre ces agressions. 1. Adopter des politiques et des règlements antidiscriminatoires basés sur l’expression et l’identité de genre ainsi que sur l’orientation sexuelle. 2. Mettre en place une procédure officielle pour déposer une plainte concernant des attitudes ou des actes transphobes ou homophobes. 3. Rendre cette procédure publique et facile à entreprendre pour les élèves victimes de tels préjudices. 4. Ne pas responsabiliser les jeunes victimes des situations qu’ils vivent. Adapter les structures administratives nécessaires La rigidité des structures administratives est parfois la source de nombreuses difficultés rencontrées par les jeunes trans dans leur parcours identitaire et scolaire. L’adaptation de ces structures afin de les rendre inclusives et de favoriser l’intégration de ces jeunes s’avère donc nécessaire. 1. Mettre en place une politique pour les changements de prénom et de pronoms à l’interne. Dans la mesure du possible, le prénom d’un ou une élève trans devrait être modifié dans le système informatique de l’établissement et donc dans tous les services et correspondances (nouvelle carte étudiante, etc.). Le personnel de l’école devrait être informé si un ou une élève désire se faire interpeller par un prénom autre que celui inscrit à son acte de naissance. 2. Modifier les formulaires, au fur et à mesure de leur renouvellement, pour offrir diverses alternatives quant aux identifications : nom d’usage ajouté au nom officiel, autres options que le masculin et le féminin pour le sexe, etc. 177 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 3. Demander aux enseignants, enseignantes de faire preuve de discrétion et de respect quant au prénom d’usage et aux pronoms appropriés s’appliquant aux jeunes trans pour éviter de révéler inutilement leur statut aux autres élèves. Aménager les espaces sexués. Les toilettes et les vestiaires représentent des lieux dans lesquels les jeunes trans sont souvent harcelés ou agressés. Il est important d’aménager ces espaces ou de trouver une solution satisfaisante pour les jeunes trans concernés. Il serait pertinent aussi de faire preuve de souplesse quant à certaines activités sexuées (éducation physique) ou quant au port d’uniformes. 1. Aménager des toilettes mixtes ou neutres de genre dans l’école. À défaut de pouvoir fournir de telles installations, faciliter la recherche d’une entente individuelle avec l’élève trans, par exemple en lui permettant d’utiliser les toilettes du personnel. 2. Aménager des cabines privées pour se changer et se doucher à l’intérieur des vestiaires sportifs afin de fournir l’intimité nécessaire aux jeunes trans. 3. Permettre aux jeunes trans de choisir eux-mêmes les espaces sexués (par exemple, s’il y a une division des casiers entre garçons et filles) ou les activités sexuées (par exemple, les équipes de sports) dans lesquels ils désirent s’inscrire. 178 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille 4.5 L’intervention auprès des clientèles issues de la diversité sexuelle Les réponses des intervenants cliniques et des travailleurs sociaux et leur modification suite à l‟avènement du mouvement de libération gai Par Sylvie Thibault Ph.D.,t.s. Note sur l’auteure: Docteure en travail social, est professeure au Département de travail social et des sciences sociales de l'Université du Québec en Outaouais (UQO). Elle s'intéresse à la violence conjugale et plus spécifiquement à ses manifestations dans les couples de même sexe depuis plusieurs années. Elle aborde aussi dans ses travaux les questions soulevées par l'intervention auprès des clientèles issues de la diversité sexuelle. CENTRE D’ÉTUDE ET DE RECHERCHE EN INTERVENTION SOCIALE (CÉRIS) UNIVERSITÉ DU QUÉBEC EN OUTAOUAIS (UQO) Série : Recherches, numéro 49 ISBN : 978-2-89251-391-2 Mars 2010 1 179 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION GÉNÉRALE…………………………………………………………..…… 1 INTRODUCTION……...………………………………………………………………………. 2 DES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS COMME ÉLÉMENTS DE CHANGEMENT ………... 3 L‟EFFET DE L‟ÉMEUTE DE STONEWALL ………………………………………………... 3 LE RETRAIT DE L‟HOMOSEXUALITÉ DU DSM-III. ……………………………………... 4 UN CHANGEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE MAJEUR ……………………………………… 5 L‟HOMOSEXUALITÉ COMME VARIABLE NORMALE DE LA SEXUALITÉ ………….. 5 MODÈLES ALTERNATIFS D‟INTERVENTION AUPRÈS DES CLIENTÈLES GAIES ….. 6 La thérapie «gay-affirmative ………………………………………………………….. 6 Le service social auprès des clientèles gaies …………………………………………... 6 Le modèle «advocacy », le modèle écologique, et l'approche orientée vers les forces : adaptation aux réalités gaies……………………………………………………… 7 LES CENTRES COMMUNAUTAIRES GAIS : PRATIQUES ET EXPÉRIENCES ALTERNATIVES ………………………………………………………………………………………. 9 Services sociaux spécialisés pour les homosexuels au Québec ………………………. 10 ÉPIDÉMIE DU VIH/SIDA : UNE EXPERTISE SPÉCIFIQUE DANS LE TRAVAIL AUPRÈS DES PERSONNES ATTEINTES……………………………………………………….. 10 Au Québec……………………………………………………………………………….. 11 Nécessaire formation ………………...………………………………………………… 12 EN CONCLUSION …………………………………………………………………………….. 13 BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………………………………... 14 i 180 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille INTRODUCTION GÉNÉRALE Ce document est le deuxième d‟une trilogie issue d‟un examen de synthèse doctoral qui portait sur trois aspects de l‟approfondissement des connaissances nécessaires à la compréhension du phénomène de la violence conjugale chez les couples d‟hommes gais. Chacun de ces aspects fera donc l‟objet d‟une publication distincte. Rappelons que la première partie, intitulée « L‟homosexualité : Du péché à la reconnaissance sociale. État des origines et du développement de la réponse de la société occidentale à l‟homosexualité masculine » était consacrée à l‟évolution des perceptions sociales envers l‟homosexualité dans la société canadienne et plus particulièrement, dans la société québécoise du 20ème siècle. Pour ce faire, des outils documentaires et historiques hérités de la Grande Bretagne, des États Unis, de la France et bien entendu, du Québec, ont été utilisés. Le présent document fait suite au premier texte. Il fait plus spécifiquement état des questions liées à l‟intervention auprès des hommes gais et de l‟influence du mouvement de libération gai sur celle-ci. Encore ici, nous pourrons reconnaître certaines influences nordaméricaines. La prise en compte des caractéristiques du mouvement gai québécois et du climat politique des trente dernières années, nous amènera pourtant à distinguer les particularités propres à la réalité québécoise. 1 181 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille INTRODUCTION Les théories, système d'idées et d'énoncés qui expliquent la pratique du service social, fournissent les éléments nécessaires au développement de modèles et de principes de pratique à partir desquels celle-ci peut évoluer. Plutôt que d'être basé uniquement sur les normes et les rôles de la profession, le service social est d‟une part, redevable aux sciences sociales, comportementales et biologiques, (Appleby & Anastas, 1998) et d’autre part, historiquement et socialement déterminé (Payne, 1991). De son côté, la pratique du service social auprès des clientèles gaies et lesbiennes est surtout influencée par l'évolution des connaissances et des perceptions envers l'homosexualité, ainsi que par les changements qui marquent les contextes sociaux et politiques dans lesquels elle s'applique. Ce texte a comme objectif d‟examiner les principaux éléments qui ont influencé la pratique du service social, tout comme celles des professionnels en santé mentale, auprès des clientèles homosexuelles et plus particulièrement des hommes gais. Nous remettrons d‟abord en perspective deux événements majeurs qui ont influencé les pratiques auprès des homosexuels soit, l'émeute de Stonewall, aux États-Unis, et le retrait de l'homosexualité du DSM-III. Nous tenterons ensuite de décrire brièvement les modèles d'intervention spécifiques au service social et adaptés à l'intervention auprès de cette clientèle. Par la suite, nous situerons le contexte dans lequel se sont développés les services communautaires sociaux et de santé spécifiques aux hommes gais, en s‟attardant à la situation de ces services au Québec. Nous terminerons cette partie en abordant l‟expertise développée en intervention auprès des personnes atteintes du VIH / Sida et la nécessaire formation des intervenants. 2 182 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille DES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS COMME ÉLÉMENTS DE CHANGEMENT l‟histoire des gais nord-américains. Rappelons rapidement que ce soir du 27 juin 1969, lors d‟une descente policière, les hommes gais qui fréquentaient le Stonewall Inn, à New York, ont spontanément refusé d‟être une fois de plus la cible de répression et ont résisté farouchement à « l‟intrusion policière injustifiée ».1 Jusqu‟à ce jour il existait bien un mouvement homophile, préoccupé par les droits civils de la population homosexuelle. Mais l‟émeute de Stonewall provoque l‟organisation d‟un mouvement de libération gai beaucoup plus engagé « en soulignant simultanément le caractère institutionnel de l‟oppression envers l‟homosexualité et la force collective des gais »2. Après l‟émeute le mouvement s‟organise et prend forme. Malgré cet élan, les militants gais prennent vite la mesure du défi qui les attend. Ils réalisent bien que le fait d‟assumer individuellement son orientation homosexuelle ne garantit pas aux hommes gais la capacité de prendre conscience de l‟oppression et de la discrimination dont sont victimes tous les homosexuels. Comme plusieurs autres minorités opprimées, les hommes gais ont souvent intériorisé les messages critiques et les préjugés destructeurs de la culture dominante au point de les reproduire eux-mêmes (Dorais, 1982). Les années soixante-dix sont incontestablement marquées par des changements sociaux majeurs. En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse, plusieurs événements se chevauchent et s‟influencent mutuellement. Les perceptions sociales envers les homosexuels, l‟évolution des recherches scientifiques à leur sujet, la prise de conscience par les homosexuels de l‟oppression dont ils sont l‟objet et la radicalisation des moyens de pressions et des actions politiques utilisés pour la contrer sont tous des facteurs qui ont alimenté ces changements. Lorsqu‟arrive le temps de rendre compte de l‟influence de chacun de ces éléments sur la pratique auprès des hommes qui s‟identifient comme gais, on s‟aperçoit que tous ces facteurs doivent être situés dans le contexte sociopolitique de l‟époque et considérés dans leur ensemble. Toutefois, des événements majeurs marquent non seulement la façon dont sont perçus les homosexuels et l‟homosexualité, mais aussi la façon dont les professionnels de la santé et les divers praticiens les recevront et les traiteront. Les événements-clés que sont l‟émeute de Stonewall Inn, dans la ville de New-York, et le retrait de l‟homosexualité de la troisième version du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-III) sont deux des actions politiques les plus importantes mises en place par le mouvement de libération gaie. C‟est dans ce contexte que la conscientisation des hommes gais devint rapidement une priorité pour l‟organisation de la lutte. On assiste alors à la mise en place de groupes de soutien et de solidarité qui « puissent permettre aux gais…de vaincre leur conditionnement auto-oppressif d‟une part et de développer des pratiques individuelles et collectives en accord avec une vision de l‟homosexualité désormais débarrassée des préjugés traditionnels d‟autre part »3. Avant d‟aborder plus à fond l‟influence du mouvement de libération gai sur le développement des connaissances et sur l‟intervention des divers professionnels de la santé et de la santé mentale auprès des hommes gais, nous ferons une parenthèse pour faire un rapide retour sur les circonstances entourant l‟émeute de Stonewall, et nous préciserons le contexte dans lequel s‟est déroulé le retrait de l‟homosexualité du DSM-III. La prochaine partie de ce texte sera donc consacrée à ces jalons importants qui d‟après Mallon (1998) ont forgé la perception des praticiens et de la société envers les homosexuels. 1 Dorais, M. (1982). Mouvement social gai et luttes institutionnelles : des services sociaux pour les personnes d‟orientation homosexuelle. Revue internationale d’action communautaire, 47(7) : 132. 2 Idem 3 Dorais, M. (1982). Mouvement social gai et luttes institutionnelles : des services sociaux pour les personnes d‟orientation homosexuelle. Revue internationale d’action communautaire, 47(7) : 132. L‟EFFET DE L‟ÉMEUTE DE STONEWALL L‟émeute de Stonewall Inn est à plusieurs égards un des événements les plus marquants de 3 183 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Cette étape marque donc le début de services offerts sous forme d‟entraide qui sont en opposition complète avec les pratiques professionnelles moralisatrices et religieuses qui prévalaient jusqu‟à ce jour. Nous verrons plus tard comment se sont développés les services de santé et les services sociaux issus de cette première initiative. Mais d‟abord, attardonsnous à l‟autre fait marquant qui a influencé les pratiques professionnelles auprès des clientèles gaies, soit le retrait de l‟homosexualité du DSM -III perturbation afin d‟attirer l‟attention sur leurs revendications, exigeant que la psychiatrie développe une attitude « gay-affirmative » envers l‟homosexualité (Morgan & Nerison, 1993). Leurs efforts n‟ont pas été vains puisque, dans le but d‟éviter de nouvelles confrontations, l‟Association (APA) accepte que les militants gais puissent avoir leur propre panel à la convention de 1971 qui doit se tenir à Washington D.C. Les participants du panel demandent alors que l‟homosexualité soit retirée de la nomenclature diagnostique. Ils invitent un participant, anonyme, qui dénonce l‟oppression dont il est victime en tant que psychiatre gai et révèle l'existence d‟un réseau gai clandestin au sein de l’American Psychiatric Association (Morgan & Nerison, 1993). LE RETRAIT DE L‟HOMOSEXUALITÉ DU DSM-III. Parallèlement au développement des connaissances médicales et psychiatriques sur l‟homosexualité, se développent, au début du XXème siècle, diverses nomenclatures qui guident les psychiatres, les médecins et autres praticiens dans son traitement. Au depuis des années 40, il existe au moins trois nomenclatures psychiatriques, et aucune d‟entre elles ne concorde avec l’International Statistical Classification, liste pré-établie par l’American Psychiatric Association de tous les diagnostics et troubles psychiatriques. Cette dernière décide de mettre fin à la confusion en développant un outil national standardisé. Ainsi, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) est publié en 1952. Cette première édition du DSM présente, parmi sa liste de troubles mentaux, les déviations sexuelles comme une sous-catégorie générique du trouble de personnalité sociopathe. L‟homosexualité y est mentionnée comme un exemple de déviation au même titre que le travestisme, la pédophilie et l‟exhibitionnisme (Krajeski, 1996). Cette liste devient par la suite l‟outil diagnostique standard aux États-Unis et un peu plus tard au Canada. Ce n'est que deux ans plus tard, en 1973, après de longs jeux politiques de coulisse, que l'American Psychiatric Association (APA) vote le retrait de l‟homosexualité du Diagnostic and Statistical Manual (DSM). Par la suite, l’Association of Lesbian and Gay Psychologists (ALGP) est créée et se joint à l’American Psychological Association (ApA), adoptant les énoncés d‟une politique affirmative à l‟égard des hommes gais. La ApA réitère son orientation, en affirmant, en 1975, que l‟homosexualité en soi ne suppose aucune lacune, et en appelant les psychologues à être les premiers à éliminer la stigmatisation de la maladie mentale. (Morgan & Nerison, 1993). Le retrait de l'homosexualité de la troisième version du Diagnostic and Statistical Manual (DSM-III) représente une étape décisive dans la façon dont sera désormais traitée l‟homosexualité, puisqu‟il créé le statut de minorité visible pour les homosexuels et encourage l‟adoption de pratiques non discriminatoires de la part des professionnels en santé mentale (Robertson, 2004). Soulignons que cette réussite est le résultat d'efforts soutenus de militants gais qui ont contribué de façon significative à la reconnaissance de l'homosexualité comme une variation normale de la sexualité humaine. En influençant les ordres professionnels afin qu‟ils statuent sur les pratiques, le militantisme et à certains égards, la Au début de l‟année 1970, l’American Psychiatric Association (APA) devient un des centres d‟intérêt du mouvement de libération gai. C‟est principalement dû au fait que celle-ci détient le contrôle de la nomenclature diagnostique qu‟elle devient la cible d‟efforts concertés de la part de militants gais afin que soit retirée l‟homosexualité de la liste officielle. Des militants gais assistent, cette année là, à la convention annuelle de l‟association qui a lieu à San Francisco. Ils emploient des techniques de 4 184 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille radicalisation des groupes de pression, ont favorisé l‟émergence de pratiques alternatives pour plusieurs professionnels. La contestation des pratiques et la contribution des hommes gais à une nouvelle construction du savoir afin de documenter leur existence et leur expérience seront l‟objet de la prochaine partie de ce texte. discours scientifique dominant « établis à leurs dépends »6 et commencent à constituer un savoir qui alimente à son tour la vie politique, intellectuelle et culturelle des mouvements de libération gais, sans oublier les pratiques professionnelles de nombreux domaines d‟intervention. Avec l‟explosion et la radicalisation du militantisme, la fin des années soixante-dix constitue une période importante pour le développement des connaissances et des nouvelles pratiques. Des intellectuels « explorent les implications politiques et culturelles des mouvements gais et féministes et élaborent des perspectives théoriques radicalement nouvelles…plutôt que de s‟attarder aux causes de l‟homosexualité, leurs analysent partent d‟un questionnement sur l‟oppression des personnes homosexuelles, ses formes, ses origines sociales et historiques, ses conséquences sur les individus, de même que sur les liens entre pouvoir et sexualité »7. UN CHANGEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE MAJEUR Rappelons que, le début des années 70 est une « période caractérisée à la fois par l‟agitation sociale et la révolution sexuelle »4. On assiste à un changement épistémologique majeur, entre autres grâce à l‟émergence d‟un courant critique du discours scientifique jusqu‟alors monopolisé par la médecine, la psychiatrie, la psychologie et la sexologie. Les hommes gais se positionnent eux-mêmes comme sujet et non plus comme objet de recherche. Une première génération de chercheurs entreprend de décrire et de documenter l‟expérience de l‟homosexualité (Chamberland, 1997). Portés par le mouvement de libération gai, et ses actions de plus en plus politiques, ils affirment les valeurs positives de l‟homosexualité en la situant comme un phénomène psychologique et social et en établissant les racines de son oppression (Hurteau, 1991). « Diffusé à l’intérieur des communautés, présenté de manière accessible, ce savoir alimente la quête d‟une identité collective à travers la redécouverte de ses racines et la création de représentations positives de l‟homosexualité »5. Ce savoir alimente la conscientisation des groupes gais et nourrit l‟organisation du mouvement de libération qui, de plus en plus engagé, souligne à la fois le caractère institutionnel de l‟oppression et la force collective du mouvement (Chamberland, 1997). La suite de ce texte fera rapidement état de d‟un des facteurs d‟influence et de contribution à ce savoir, soit l‟émergence des études gaies. Les publications issues de ce courant de réflexion deviennent vite des références pour les praticiens qui rejètent le modèle médical et pathologique d‟intervention auprès des clientèles gaies. Le Journal of Homosexuality consacre des numéros entiers à la description d‟approches thérapeutiques spécifiques à ces groupes (Coleman, 1987, in Silverstein, 1996; Gonsiorek, 1982, in Silverstein, 1996; Ross, 1988 in Silverstein, 1996). La publication de ces revues scientifiques et de livres offrant une approche alternative de traitement pour les hommes gais a été instrumentale pour la sensibilisation et l‟éducation de nombreux intervenants concernant les besoins des communautés gaies. Les praticiens ne se concentrent donc plus sur l'homosexualité en tant que maladie, mais bien 4 Chamberland, L. (1997).Du fléau social au fait social. L‟étude des homosexualités. Sociologie et sociétés, 29 (1) : 5. L‟HOMOSEXUALITÉ COMME VARIABLE NORMALE DE LA SEXUALITÉ 5 Idem : 7 L‟émergence des « études gaies » est directement liée au contexte politique des années soixante-dix dans lequel il s‟inscrit. À cette époque, les hommes gais dénoncent le 6 Chamberland, L. (1997).Du fléau social au fait social. L‟étude des homosexualités. Sociologie et sociétés, 29 (1) : 5 7 idem :7 5 185 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille sur la façon d'intervenir auprès de personnes gaies, c‟est-à-dire des hommes menant une vie saine (Tully, 2000). Mettant l'emphase sur la santé, l'intérêt de l'intervention thérapeutique vise davantage l'évaluation de la situation, les questions générales de santé psychologique, la monogamie, l'homophobie intériorisée et d'autres questions liées à la réalité de ces groupes minoritaires. homosexual desire and fixed homosexual orientations are pathological. Gay affirmative therapy uses traditional psychotherapeutic methods but proceeds from a nontraditional perspective. This approach regards homophobia, as opposed to homosexuality, as a major pathological variable in the development of certain symptomatic conditions among gay men”.8 Parallèlement à l‟évolution des connaissances spécifiques à l‟expérience gaie, on assiste à l‟émergence de diverses alternatives développées autour de l'intervention, dont le premier modèle appelé «gay affirmative ». Nous aborderons maintenant les caractéristiques et les principes sur lesquels sont basés ces divers modèles d'intervention. La psychothérapie « gay-affirmative » accepte donc l‟homosexualité comme un potentiel humain fixe et tente de soulager les effets néfastes de l‟homophobie intériorisée (Silverstein, 1996). Ce modèle est aussi nommé « gay positive », pour y intégrer les non-gais qui travaillent auprès des hommes gais, sans y inclure le volet « revendications sociales » qui fait partie du modèle « gay affirmative ». Ce même modèle se transforme de plus en plus en « GLBT positive », faisant donc référence aux personnes gaies, lesbiennes, mais aussi aux personnes bisexuelles et transsexuelles, reflétant ainsi la diversité évoquée par Dorais (1999). D'après Mallon (1998), l’utilisation des approches traditionnelles, qui perçoivent l‟homosexualité dans une perspective de développement péjorative, ne soutient ni ne prépare le praticien à travailler de façon compétente auprès des personnes gaies (Mallon, 1998). MODÈLES ALTERNATIFS D‟ INTERVENTION AUPRÈS DES CLIENTÈLES GAIES La thérapie « gay-affirmative » Le but premier du modèle d'intervention alternatif « gay affirmative » est de présenter aux intervenants, indifféremment de leur orientation théorique, un ensemble de principes et de conditions qui puissent les guider pour travailler de façon efficace et respectueuse auprès des clientèles gaies et lesbiennes (Davies, 1996). Ce modèle, influencé par nombre de thérapeutes, dévie des pratiques fondamentales de la plupart des écoles, et de ce fait, réclame un nom qui lui soit propre. Krajeski (1986), souligne d‟ailleurs la difficulté de trouver un nom qui décrive de façon précise un type de thérapie qui estime l'homosexualité, au même titre que l'hétérosexualité comme étant un attribut naturel et normal. Plusieurs auteurs ont contribué à l'élargissement des connaissances sur les modèles thérapeutiques auprès des clientèles gaies, tel que Garnets et al. (1991), Morin (1991), Slater (1995, in Mallon 1998), et plus récemment Davies (1996). Celui-ci propose un modèle de thérapie qui puisse être utilisé par toutes les écoles d‟intervention. Il souligne que tous les outils d'intervention propres à chacune des écoles peuvent être incorporés. En fait, Davies suggère de les bonifier avec l'utilisation des concepts d'affirmation gaie ainsi qu'avec les connaissances sur la diversité de la sexualité L‟expression « gay-affirmative », d‟abord employée par les professionnels gais, est la plus courante et la plus utilisée dans la littérature (Davies, 1996). Malyon (1982) la décrit en ces termes: “Gay affirmative therapy is not an independent system of psychotherapy. Rather it represents a special range of psychological knowledge which challenges the traditional view that 8 Malyon, A.K. (1982). Psychotherapeutic implications of internalized homophobia in gay men. Journal of homosexuality 7 2/3: 69. 6 186 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille humaine. Quoique le modèle «gay affirmative » puisse être utilisé par des professionnels issus de toutes écoles de formation, nous nous intéresserons principalement aux contributions spécifiques du service social dans le développement ou l'adaptation de modèles pour l‟intervention auprès des clientèles gaies et lesbiennes. culture à prédominance hétérosexuelle. Berger souligne que ce modèle ne fait pas la promotion de l‟homosexualité comme style de vie mais veut plutôt rendre légitimes des comportements sexuels individuels, qu‟ils soient hétérosexuels ou homosexuels, en autant qu‟ils n‟interfèrent pas sur les droits d‟autres individus. D‟après Berger, ce modèle d‟intervention reconnaît la personne gaie comme un membre légitime d‟une minorité qui, comme toutes les autres minorités, cherche à faire réparer les torts subis par une société, en théorie, basée sur des principes égalitaires. Le service social auprès des clientèles gaies Le service social contemporain perçoit les besoins humains et les problèmes comme étant générés par les transactions entre la personne et son environnement. Le but de la pratique du service social est d'augmenter, ou de restaurer le fonctionnement psychosocial de la personne, ou de changer les conditions sociales d'oppression ou de destruction qui affectent de façon négative les interactions entre la personne et son environnement (Appleby & Anastas, 1998). Des travailleurs sociaux et travailleuses sociales se sont appliqués à adapter les modèles d'intervention spécifiques au travail social à la pratique auprès des clientèles gaies et lesbiennes. Les modèles proposés reprennent les principesde base de trois approches utilisées en travail social soit, le modèle «advocacy », le modèle écologique, et l'approche orientée vers les forces. Mallon (1998) pour sa part, préconise l'utilisation de la perspective écologique en l'adaptant aux besoins spécifiques des clientèles gaies, et plus particulièrement, auprès d'adolescents en processus d'identification homosexuelle. Pour Mallon, la perspective de « la personne dans son environnement », est une influence centrale sur la base des connaissances théoriques de la profession du service social. Elle est aussi utile et pertinente en tant qu‟approche dans la pratique du service social auprès des hommes gais. Appleby et Anastas (1998) décrivent le modèle écologique comme étant un cadre de référence composé de cinq domaines, ou niveaux, interreliés. Ces domaines sont : l'historique, l'environnement structurel, le culturel, le familial et l'individuel. Pour ces auteurs, les vies et les conditions sociales des hommes gais doivent être évaluées en relation avec chacun de ces domaines. Le modèle de pratique écologique reconnaît que les transactions entre les individus et leur environnement sont les produits de tous ces domaines et qu'ils peuvent être complexes. Donc, comme le soulignent Appleby & Anastas, cette approche accentue la perception d'évolution et d'adaptation de l'être humain dans toutes ses transactions avec son environnement. Le modèle «advocacy », le modèle écologique, et l'approche orientée vers les forces : adaptation aux réalités gaies Un des pionniers du service social auprès des clientèles gaies, Berger, a écrit abondamment sur le travail social auprès des personnes qui s‟identifient comme homosexuelles (1977, 1982, 1983, 1990). Il développe, au cours de sa pratique, deux modèles d‟intervention pour travailler auprès de cette clientèle, soit le « advocate model » (1977), que nous décrirons brièvement dans ce texte, et le « definitional model » (1983). Le sentiment d'absence de pouvoir, qui menace la santé, l'adaptation sociale et la vie de ceux et celles qui vivent de l'oppression, impose une énorme tâche d'adaptation aux hommes gais (Germain et Gitterman, in Mallon 1998). La compréhension du rapport destructeur qui existe entre les hommes gais et leur environnement à prédominance hétérocentrique est intégrale dans Le modèle d‟intervention « advocacy », s‟attarde autant aux besoins de la communauté gaie qu‟aux individus qui la composent (Berger, 1977). La nature du problème présenté en intervention est redéfinie à partir du point de vue du système client qui cherche à maintenir un mode de vie individuel à l‟intérieur d„une 7 187 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille le processus de développement de la connaissance de la pratique avec les personnes gaies (Mallon, 1998). La tâche du praticien peut être d'assister le client, directement ou indirectement, dans le processus de développement d'une identité gaie positive, de gérer l'information concernant la stigmatisation de l'identité ou de plaider en faveur d'environnements non-homophobes et nonhétérosexistes. Avec l'utilisation de ce modèle, l'attention de l'intervenant est dirigée vers les problèmes qu'a la personne gaie à «vivre ». (Appleby & Anastas, 1998). choix subjectifs, l'individu créé ses propres circonstances. Parmi les principes clés autour desquels s'articule l‟approche orientée vers les forces, Van Wormer et al. (2000) soulignent l'importance que prennent certains d'entre eux dans un contexte d'intervention auprès des clientèles gaies, soit «présumer la santé plutôt que la pathologie », «mettre l'accent sur l'actualisation et la croissance personnelle » et «reconnaître que le «personnel » est politique et que le politique est « personnel » ». Parce que cette approche s'utilise avec les groupes et les communautés, aussi bien qu'en intervention individuelle, Van Wormer et ses collègues soutiennent que la perspective d'intervention axée sur les forces permet à la fois de promouvoir l'actualisation du potentiel personnel, d'aider les clients à trouver leurs forces, à encadrer leurs choix, à reprendre leur pouvoir et à supporter les autres à faire la même chose. Cette approche est aussi enrichie par l'intégration du paradigme d'un continuum sexuel comme cadre de référence de l'orientation sexuelle, plus flexible et plus adéquat pour refléter la réalité biopsychosociale d'un individu, que la simple dichotomie hétérosexuel/homosexuel. Pour Shernoff (1998), il est essentiel pour le travailleur social d'incorporer la perspective écologique dans sa pratique auprès de clients appartenant à des groupes marginalisés par le genre, l'ethnie ou par l'orientation sexuelle. C'est par l'utilisation de cette approche que le praticien sera en mesure de comprendre, et de refléter au client, comment les biais et les préjugés de la culture hétérosexiste l'ont influencé et ont contribué à sa réalité psychosociale. Dans l'intervention auprès des hommes gais, selon l'exemple de Shernoff, cela signifie que le travailleur social doit être conscient que l'homophobie, autant intériorisée que sociale, tout comme les biais hétérosexistes, affectent le développement, l'estime de soi et le fonctionnement social et personnel du client. L‟approche écologique met donc l‟emphase, non seulement sur l‟individu, mais aussi sur l‟environnement. Cette approche donne lieu à l‟entraide et permet donc aux praticiens d‟intervenir sur les milieux de vie, comme par exemple en combattant les préjugés. Pour Van Wormer et al. (2000), ce qu'ont à vaincre les minorités sexuelles, tout comme doivent le faire les praticiens, est la longue conspiration du silence qui a servi à empêcher des générations de gens de partager la vérité sur leur vie sociale et amoureuse. Il est donc important de garder à l'esprit que les histoires personnelles prennent forme dans un puissant contexte sociopolitique. En adoptant l'approche orientée vers les forces, et mettant l'emphase sur la multitude de façons avec lesquelles les hommes gais ont réussi à survivre avec grâce, humour et bonne volonté, Van Wormer et al. (2000) nous rappellent que nous ne pouvons toutefois perdre de vue la dure réalité qu'est la leur, soit de vivre sous les assauts moralistes constants et les sarcasmes envers la diversité sexuelle. L‟approche orientée vers les forces développées par Saleebey (1992), découle de la perspective « d'empowerment » (Tully, 2000). Se détournant de la perspective positiviste, cette approche soutient que la réalité peut être interprétée à travers l'expérience individuelle. Les concepts de relations sociales et d'individus ne peuvent être appréhendés en dehors du contexte social dans lesquels ils évoluent. Tully souligne que l'influence humaniste apporte à la perspective d'empowerment l'idée qu'il existe une différence entre le monde des choses et l'expérience individuelle et qu'en faisant des L‟intervention auprès des hommes gais reste encore aujourd‟hui un défi de taille, puisque comme le mentionne Dorais, « le problème 8 188 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille d‟intériorisation de l‟oppression pose un grand défi pour l‟intervenant. En effet, ce dernier a généralement intériorisé les mêmes jugements de valeurs qui sont précisément à l‟origine des difficultés personnelles et sociales que vivent ceux et celles qui ont demandé son aide » 9. les problèmes d‟alcool, des conférences et de l‟éducation communautaire (Dorais, 1982). Certains centres ajoutent des services offerts par des professionnels gais ainsi que des consultations légales et médicales. La plupart de ces organisations à but non-lucratif offrent un service d‟écoute téléphonique et de référence, « qui constituent la porte d‟entrée à l‟ensemble des services offerts »12. Silverstein (1996) attribue la formation de ces cliniques à deux éléments historiques importants, soit les changements apportés par le mouvement de libération gai, et la montée de la recherche sur la sexualité comme discipline scientifique. L‟intervention auprès des hommes gais a donc subi au cours des années des transformations majeures. L‟évolution de ces pratiques peut aussi être attribuable à un autre facteur déterminant, soit l‟apparition progressive de nouveaux lieux d‟intervention que sont les groupes et les centres communautaires spécifiquement gais. Ces cliniques dispensent des services à coûts minimes aux hommes gais et aux femmes lesbiennes qui vivent de la détresse émotive et qui ne veulent pas changer leur orientation sexuelle. Ces services se distinguent donc de toutes les autres thérapies axées sur la pathologie, offertes jusqu‟à présent par la p l u pa r t de s pr of ess i on n el s. A l or s qu‟antérieurement la communauté professionnelle était obsédée par l‟étiologie et le traitement de l‟homosexualité, les centres de services gais ignorent ces questions et se concentrent sur les besoins de la personne (Silverstein, 1996). Au Québec, c’est principalement à Montréal que l‟on assiste à l‟émergence de cliniques offrant des services adaptés aux clientèles gaies et à la mise en place de centres communautaires gais. Nous aborderons donc maintenant la mise en place de La prochaine partie de ce texte abordera brièvement l'implantation de ces centres communautaires gais pour ensuite faire état de la situation du Québec en matière d‟intervention auprès des clientèles gaies. LES CENTRES COMMUNAUTAIRES GAIS : PRATIQUES ET EXPÉRIENCES ALTERNATIVES La mise en place de centres de consultation ou de « counseling » spécifiquement gais est une des étapes les plus significatives dans la volonté d‟offrir des traitements alternatifs aux populations gaies. Elle représente une ouverture importante dans l'accessibilité de soins et de services adaptés aux réalités gaies et lesbiennes et constitue un virage significatif dans les pratiquoixante-dixes des professionnels en santé physique et mentale. Dès le début des années s, des centres de services de consultation sont mis sur pieds dans plusieurs grandes villes des États-Unis et du Canada. « Au Canada, presque tous les groupes gais s‟orientent vers la création de services sociaux pour les gais et l‟obtention de droits légaux »10. Les services sont généralement dispensés par des hommes gais et des femmes lesbiennes, offrant du soutien entre pairs, ce qui fit émerger, comme le note Dorais : « le concept de services communautaires « pour et par » les gais…eux-mêmes »11 . On y propose généralement des services de consultation individuelle, de couple et familiale, du soutien aux jeunes et à leurs parents, des groupes de conscientisation, des programmes concernant 9 Dorais, M. (1981). Pour une conception positive de l‟homosexualité. Revue québécoise de Sexologie, 2 (1) :43 10 Higgins, R. (1998) Identités construites, communautés essentielles. De la libération gaie à la théorie queer.pp. 109-133, in Lamoureux, D. sous la direction de (1998).Les limites de l’identité sexuelle. Montréal : les éditions du remue-ménage :118. 11 Dorais, M. (1982). Mouvement social gai et luttes institutionnelles : des services sociaux pour les personnes d‟orientation homosexuelle. Revue internationale d’action communautaire, 47(7) : 133. 12 Dorais, M. (1982). Mouvement social gai et luttes institutionnelles : des services sociaux pour les personnes d‟orientation homosexuelle. Revue internationale d’action communautaire, 47(7) : 133. 9 189 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille pouvoir professionnel »14. Mais ces initiatives reflètent la reconnaissance de la spécificité de certains enjeux de santé qui affectent les gais. services sociaux spécifiques aux clientèles gaies. Services sociaux spécialisés homosexuels au Québec pour les Ces réussites sont aussi redevables à d‟autres acteurs qui jouent un rôle important dans l‟évolution et la mise en place de services adaptés aux besoins des homosexuels, soit les professionnels « de l‟univers psychosocial ». En effet, ces centres de consultation offrent aussi aux professionnels gais, ou « gay-sensitive », un lieu où il est possible de faire des apprentissages sur les problèmes émotionnels des hommes gais et leur permet de rencontrer d‟autres professionnels gais (Silverstein, 1996). Montréal, comme plusieurs autres grandes villes nord-américaines, compte en 1974-1975, des centres communautaires et d‟autres types d‟espaces associatifs (Higgins, 1998). À cette époque, les services communautaires anglophones sont très actifs. Une collaboration étroite entre le Centre de services sociaux VilleMarie, (établissement du ministère des Affaires sociales qui dessert la population anglophone de Montréal) et des groupes militants gais permet la mise en place du « Gay Social Services Project ». Ce projet est animé et contrôlé par des représentants de la communauté même et fait partie intégrante du C.S.S. Ville-Marie. La réussite de ce projet incite les groupes gais francophones à mettre sur pied une initiative semblable (Dorais, 1982) Comme le soulignent les auteurs recensés, l‟intervention auprès des hommes gais doit, non seulement tenir compte des réalités individuelles et familiales, mais doit nécessairement intégrer les contextes communautaires, socio-politiques et historiques dans laquelle elle évolue. C‟est d‟ailleurs cette spécificité du travail social qui a permis à ces professionnels de faire face à un des plus difficiles moments de l‟histoire moderne des communautés gaies, soit l‟épidémie du VIH / SIDA. En 1981, après avoir surmonté plusieurs difficultés d‟ordre politique, divers groupes gais francophones, appuyés par de nombreux organismes de consultation psychologique, de santé mentale, de groupes populaires et d‟universitaires, réussissent à convaincre le Centre de services sociaux du Montréal métropolitain d‟offrir des services spécialisés aux clientèles gaies de son territoire. « Ce faisant, ce dernier acceptait de revoir sa pratique et de mettre un terme à la pratique traditionnelle toute imprégnée du vieux schéma psychiatrique de guérison et de culpabilisation de l‟homosexuel »13. ÉPIDÉMIE DU VIH/SIDA : UNE EXPERTISE SPÉCIFIQUE DANS LE TRAVAIL AUPRÈS DES PERSONNES ATTEINTES. Parmi les événements qui ont marqué la pratique du service social auprès des clientèles gaies, l'épidémie du VIH-SIDA doit être considérée comme étant très significative (Mallon, 1998). Lorsque les premiers cas d‟infection au VIH ont été rapportés aux États-Unis, les infections opportunistes qui lui sont reliées ont d‟abord été diagnostiquées chez des hommes gais vivant à San Francisco. Le SIDA est alors une « maladie gaie » appelée GRID ou « Gay Related Immune Disease », et assume donc toute la stigmatisation déjà attachée à l‟homosexualité (Mallon, 1998). Cette stigmatisation s’intensifie Il importe ici de souligner la transition entre la perspective communautaire préconisée au départ par le mouvement de libération gai, qui visait la déprofessionnalisation et la désinstitutionalisation des services, et cette initiative. La différence est certes liée au fait que ces projets sont issus de la communauté et des groupes gais. « Non-professionnels et professionnels se lient pour développer des services nouveaux et consolider l‟action politique…perpétuel dilemme qui oppose déprofessionnalisation et professionnalisation, pouvoir communautaire à concrétiser et réel 13 Renaud, G. (1982). Mouvement homosexuel et modernisation technocratique : l‟exemple des services sociaux spécialisés pour les homosexuels. Revue internationale d‟action communautaire, 447(7) : 136. 14 Idem : 138 10 190 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille lorsque les utilisateurs de drogues injectables, dont un petit pourcentage sont gais, sont identifiés comme étant un autre groupe à risque pour cette infection (Appleby & Anastas, 1998). diversité des milieux de pratique dans lesquels s‟exerce la profession. Comme le soulignent ces auteurs, les travailleurs sociaux se sont fait remarquer par leur engagement militant, par leur action sociale et par le soutien apporté aux communautés gaies dans la revendication de soins et de services appropriés aux personnes vivant avec le VIH. L‟épidémie n‟a pas épargné le Québec. L‟épidémie du VIH touche intimement la vie de la plupart des hommes gais, de leurs amants, leurs amis, leurs familles. Le VIH est une des questions de santé publique les plus émotives qui confrontent la société, et ce principalement à cause de l‟homophobie et les attitudes négatives envers l‟utilisation de drogues qui lui sont liées. (Altman, 1998 in Appleby & Anastas, 1998). Peu importe la source d‟infection, le résultat est la stigmatisation pour le client et la stigmatisation secondaire pour ceux et celles qui font partie de son système de soutien social. La stigmatisation en retour affecte le développement de politiques liées au VIH, la distribution des services, et le financement (Appleby &Anastas, 1995). Au Québec Au Québec, la période d‟après la descente au bar Truxx15 s’est traduite par l’explosion d‟associations de défense de droits mais aussi de groupes voués à l‟organisation d‟activités sportives et culturelles spécifiquement gaies. D‟autres initiatives se mettent en place, notamment celles qui offrent des services adaptés aux clientèles gaies par le biais d‟une collaboration avec le Centre de services sociaux de Ville-Marie et le Centre de services sociaux du Montréal métropolitain. Ces projets auront été de courte durée puisque des coupures budgétaires majeures dans le système de santé au début des années quatre-vingt obligent ces établissements à abolir ces services adaptés. Pour contrecarrer cette menace, et répondre à certaines publications et éditoriaux suggérant que les pratiques sexuelles des hommes gais étaient responsables de la propagation du virus du VIH/Sida, un numéro spécial de American Psychologist (1988) est exclusivement consacré au Sida. D‟autres publications spécialisées ont publié des numéros spéciaux dédiés entièrement à des questions concernant la réalité gaie Journal of Counseling and Development, (1988); The Counseling Psychologist, (1991); American Psychologist (1991) (Morgan & Nerison, 1993). Du reste, lorsque quelques années plus tard se manifeste l‟épidémie du Sida, les organisations gaies québécoises ne sont pas « préparées au point de vue politique à faire face à l‟épidémie du Sida »16. Rapidement les efforts se sont concentrés sur l‟urgence d‟agir afin de diminuer le nombre de nouvelles infections par la prévention ciblée et offrir les soins et le soutien nécessaires aux personnes souffrant du sida en phase terminale ainsi qu‟à leurs proches. Les écrits sur le sujet sont abondants, nourris par des professionnels, praticiens et chercheurs, de toutes les disciplines. Les travailleurs sociaux ont contribué de façon significative à la documentation concernant la santé mentale et les aspects psychosociaux liés à l‟intervention auprès des personnes vivant avec le VIH (Appleby & Anastas, 2000). En outre, le mouvement gai québécois n‟a pas été en mesure d‟exercer de pressions efficaces sur le gouvernement pour que les programmes de prévention du VIH, conçus spécifiquement Pour Appleby & Anastas (2000), il n‟est pas surprenant que les travailleurs sociaux aient été parmi les premiers professionnels à offrir des services aux personnes infectées et affectées par le VIH. Ils expliquent cette attitude d‟abord par la présence significative d‟hommes gais, engagés dans la profession, mais surtout par la 15 Voir le cahier I de cette série: L‟homosexualité : Du péché à la reconnaissance sociale. État des origines et du développement de la réponse de la société occidentale à l‟homosexualité masculine, CÉRIS. 16 Lavoie, R. (1998). Deux solitudes : les organismes sida et la communauté gaie in Demczuk, I., & Remiggi, F. W. (1998). Sortir de l’ombre. Histoires des communautés lesbienne et gaie de Montréal. : 11 191 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille pour les gais, soient mis en place. Comme l‟explique Higgins (1998), cette lutte a donc été mené par d‟autres, en l‟occurrence des homosexuels touchés par le VIH, mais dont la plupart n‟avaient pas été impliqués jusqu‟à ce moment dans les groupes communautaires existants. Lorsque des or ganismes communautaires sont finalement créés en 19841985 pour répondre aux énormes besoins suscités par l‟épidémie, les connaissances concernant le VIH-sida ont déjà évolué, le profil des personnes atteintes s‟est transformé et le portrait de l‟épidémie se modifie notamment avec l‟avènement des multithérapies. Malgré le fait que les hommes gais sont ceux qui sont le plus touchés par l‟épidémie, les groupes de lutte contre le sida se croient obligés d‟adopter un profil non gai. On assiste donc, selon Lavoie (1998), à une « déshomosexualisation » du sida, ce qui provoque le mécontentement des militants gais et engendre des tensions importantes entre les groupes gais d‟une part et les organismes de lutte contre de sida, d‟autre part. Se développeront dès lors des réseaux parallèles que Lavoie appellera « les deux solitudes »17. besoin d‟enrichir la base des connaissances et les principes sur lesquels est basée la profession dans le but d‟enseigner, de former et de superviser les futurs praticiens à la réalité de ces clientèles. Nécessaire formation Le service social a une longue tradition dans l‟intérêt et la défense des droits de nombreuses minorités et groupes marginalisés (Appleby et Anastas, 2000). Cultiver une base de connaissances pour la pratique auprès des clientèles gaies mais aussi bisexuelles et transsexuelles, dans le but de préparer les étudiants et les praticiens à intervenir de façon efficace et respectueuse, semble de plus en plus nécessaire (Mallon, 1998). À cet effet, on remarque, jusqu‟en juin 1998, l'absence d'accréditation requise au sujet de l'orientation sexuelle dans les programmes et les politiques des écoles de service social au Canada. Les curriculums des écoles de service social évitaient les questions gaies et lesbiennes (O'Neill in van Wormer et al.), 2000). En juin 1998, de nouveaux standards pour la formation en service social ont été introduits par l'ACESS (Association canadienne des écoles de service social) dans le but d'aborder de multiples bases d'oppression, incluant l'orientation sexuelle. Il s‟agit maintenant d‟une norme très claire pour l‟Association Canadienne des Écoles de Service Social, et à défaut, une école peut ne pas être accréditée. Mentionnons la présence d‟un caucus GLBT (gai, lesbienne, bisexuel, transsexuel) au sein de l‟ACESS qui est très actif, et qui permet de faire avancer la réflexion de l‟association sur les questions touchant l‟orientation sexuelle. Au milieu des années quatre-vingt-dix, on assiste à un retour des préoccupations plus larges sur la santé des hommes gais. Le gouvernement du Québec publie des orientations ministérielles pour l‟adaptation des services aux réalités homosexuelles, mais suite au changement de gouvernement, le dossier reste lettre morte. On commence alors à penser à de nouvelles approches préventives pour contrer la banalisation du VIH mais aussi pour sensibiliser les hommes gais à d‟autres enjeux de santé spécifiques aux homosexuels. Une étude réalisée par l‟organisme communautaire Séro-Zéro, qui travaille auprès des hommes gais dans une perspective de prévention du VIH mais aussi sur la démystification de l‟homosexualité auprès de jeunes gais, fait aussi état de la nécessité d‟adapter les services de santé aux réalités des hommes gais mais aussi de la nécessité d‟implanter certains services spécifiques, particulièrement en santé mentale. Certaines écoles de service social mettent en place des initiatives tel que le Projet Interaction, de l‟Université McGill, dédié à la santé et au bien-être des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles, de leurs familles et de leurs communautés. Pour ce faire, le projet s'engage à collaborer à l'amélioration de la conception et de la livraison des services sociaux pro-gais, et à contribuer à éliminer la La pratique auprès des clientèles gaies, apporte donc de nouvelles exigences qui renforcent le 17 Idem 12 192 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille discrimination grâce au développement de formation spécialisée en intervention clinique, à des initiatives de recherche, et à de la mobilisation éducative et communautaire. préjugés et oppressives. des approches traditionnelles L‟épidémie du VIH/Sida ne peut non plus être passée sous silence. Ce fléau n‟a pas épargné le Québec et nécessite toujours que soient adaptées les pratiques des divers intervenants aux changements qu‟il suscite chez les individus mais aussi dans les communautés gaies. Il est clair que les interventions des travailleurs sociaux, peu importent leurs lieux de pratique, doivent contribuer à la lutte contre la discrimination perpétuée à l‟égard des personnes homosexuelles à l‟intérieur des services offerts. La reconnaissance de l‟expertise des groupes communautaires et le soutien à ces organismes pourraient en partie contribuer à l‟augmentation des connaissances des professionnels de la santé face à l‟homosexualité et aux besoins des hommes gais, qui en retour ne pourront qu‟améliorer les interventions faites auprès de ces clientèles. Malgré la reconnaissance des besoins des communautés gaies en matière de services et d‟interventions adaptés, de grandes lacunes subsistent, principalement en ce qui concerne la formation des intervenants. Encore trop peu d‟intervenants des services de santé et des services sociaux sont formés pour répondre aux besoins spécifiques des clientèles gaies. Outre les services spécifiques aux besoins des personnes qui vivent des problèmes de santé et de vie liés au VIH, à la consommation de drogues et d‟alcool ou des difficultés d‟adaptation à une orientation homosexuelle, peu de réponses adaptées sont offertes présentement aux hommes gais qui vivent d‟autres problématiques. Les pratiques des intervenants sensibilisés aux réalités des hommes gaies devront donc, pour les prochaines années, prendre en compte l‟évolution constante des besoins de cette clientèle. La reconnaissance de l‟union entre personnes de même sexe, la parentalité, les conséquences directes de l‟efficacité des multithérapies sur les pratiques sexuelles des hommes gais et surtout sur les jeunes qui n‟ont pas été touchés par les premières campagnes de prévention et de sensibilisation au VIH/Sida, ne sont que quelques exemples des changements rapides qui influenceront les pratiques. Souhaitons que les services puissent réagir à temps, et efficacement. EN CONCLUSION L‟intervention auprès des clientèles gaies a connu une évolution rapide, tout comme celle des perceptions sociales envers l‟homosexualité. Fruit du hasard? Rien n‟est moins sûr. L‟influence indéniable d‟événements tels que Stonewall et le retrait de l‟homosexualité du DSM-II ne peut être ignorée, mais n‟expliquent pas à eux seuls ces bouleversements majeurs. La redéfinition de l‟homosexualité à partir de l‟expérience de ceux qui la vivent est sans contredit un tournant épistémologique majeur qui a par la suite influencé non seulement les champs de connaissances théoriques mais aussi, de nombreux domaines d‟intervention. En se positionnant eux-mêmes comme sujet plutôt qu‟en objet de recherche, les hommes gais se permettent d‟être entendus. Des connaissances et des pratiques adaptées mais aussi des milieux d‟intervention ouverts sur de nouvelles réalités sont devenus nécessaires. L‟apparition de centres communautaires et de groupes de soutien spécifiquement gais, basés sur l‟intervention « par et pour » permet à des hommes de prendre conscience, individuellement mais surtout collectivement, de l‟oppression dont ils sont l‟objet. Ces milieux ont aussi contribué de façon significative au développement de pratiques individuelles et collectives débarrassées des 13 193 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille Higgins, R. (1998) Identités construites, communautés essentielles. De la libération gaie à la théorie queer.pp. 109133, in Lamoureux, D. sous la direction de (1998).Les limites de l’identité sexuelle. Montréal : les éditions du remue -ménage. BIBLIOGRAPHIE Appleby, G.A., & Anastas, J.W.(1998). Not just passing phase. Social work with gay, lesbian and bisexual people. New York : Columbia University press. Berger, R.M.(1977). An advocate model for intervention with homosexuals. Social Work, 22(4) :280-283. Higgins, R. (1998). Des lieux d‟appartenance : les bars gais des années 1950, in Demczuk, I., & Remiggi, F. W.. (1998). Sortir de l’ombre. Histoires des communautés lesbienne et gaie de Montréal. 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D’autre part, les personnes LGBT peuvent également faire face à de nombreuses difficultés d’origine culturelle, 197 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille structurelle ou psychosociale dans leur accès et leur utilisation des services sociaux et de santé. Dans l’ensemble du système de santé, les services demeurent hétérocentriques, c’est-à-dire fondés sur des présupposés hétérosexuels et négligeant les clientèles provenant des minorités sexuelles. Les soins seraient fréquemment administrés par des intervenants qui ne sont pas au courant des problématiques de santé de ces populations. Des recherches populationnelles récentes ont par ailleurs démontré que certaines minorités sexuelles sont plus nombreuses à déclarer des besoins de santé non satisfaits au Canada (Tjepkema, 2008). Au Québec, avec la publication du rapport intitulé De l’égalité juridique à l’égalité sociale (CDPDJ, 2007), plusieurs recommandations ont été adressées au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) en vue d’offrir des services mieux adaptés aux besoins des minorités sexuelles. Cependant, en raison des défis relatifs à la coordination et au financement des orientations prévues, leur mise en œuvre demeure inégale et inachevée dans les divers secteurs de la santé et des services sociaux. Le Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie a par la suite proposé plusieurs pistes d’action au MSSS, dont celle de « définir des lignes directrices relatives à l’inclusion des réalités des personnes de minorités sexuelles […] dans les politiques, les programmes et les recherches relevant du réseau de la santé et des services sociaux » (Ministère de la Justice, 2011 : 11). L’adaptation C’est dans ce contexte qu’une recherche-action participative sur l’adaptation des services a été réalisée au CSSS Jeanne-Mance entre 2011 et 2013, un établissement dont le territoire comporte une forte concentration de personnes LGBT1. La recherche avait comme premier objectif de documenter, à l’aide d’entrevues avec des informateurs clés, les pratiques spécifiques de cet établissement en matière d’adaptation des services (voir Dumas, 2013). Parmi les pratiques relevées, on peut citer le soutien du CSSS au Comité sur la santé des minorités sexuelles (CSDMS). Créé en 2005, le comité a été reconnu officiellement dans le Plan d’action local en santé publique 2010-2015. Cette reconnaissance permet notamment de dégager du temps pour les intervenants qui participent à des rencontres mensuelles et d’offrir le soutien nécessaire à la réalisation de leur plan d’action. Depuis 2005, le comité organise des formations ponctuelles à l’interne, ce qui constitue une seconde pratique spécifique au sein du CSSS. Ainsi, une formation a été offerte en mai 2012 sur les réalités complexes des personnes transgenres et transsexuelles en ce qui concerne l’accès et l’utilisation des services sociaux et de santé (traitements hormonaux et chirurgicaux, suivi du processus de transition, etc.). Une conférence sur le risque suicidaire chez les personnes LGBT a été présentée par la Chaire de recherche sur l’homophobie en février 2013 et une formation sur l’homoparentalité a été donnée en mai 2013 par la Coalition des familles homoparentales du Québec. D’autres pratiques spécifiques au CSSS sont liées à la lutte aux ITSS, notamment le travail de proximité qui permet d’offrir des services à des populations vulnérables difficiles à rejoindre autrement. Des infirmiers du CSSS sont régulièrement présents dans les saunas et dans les locaux de plusieurs organismes communautaires pour le dépistage et la vaccination. L’équipe ITSS offre également des groupes de soutien aux personnes atteintes du VIH ou de l’hépatite C. Un autre volet est l’organisation communautaire, qui a permis de soutenir le développement, l’implantation et le suivi d’une Charte OK, par laquelle les propriétaires de saunas s’engagent à favoriser la prévention des ITSS dans leurs établissements. Ces pratiques illustrent l’éventail des moyens déployés jusqu’à maintenant par le CSSS Jeanne-Mance pour améliorer l’adéquation des services offerts avec les besoins des personnes LGBT. Les entrevues ont 198 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille également fait ressortir un certain consensus parmi les professionnels quant aux qualités nécessaires à l’interaction entre usagers et professionnels : bon accueil, développement d’un lien de confiance et identification des besoins spécifiques. Des techniques de communication appropriées sont nécessaires pour développer ce lien de confiance, de même qu’une aisance à aborder les questions de sexualité, d’orientation sexuelle et d’identités de genre avec ces clientèles variées. Quant à la nécessité d’offrir des services spécialisés ou des programmes distincts s’adressant spécifiquement aux personnes LGBT, les opinions des personnes interviewées sont partagées : plusieurs s’y opposent en invoquant des risques tels que la stigmatisation et la ghettoïsation des minorités sexuelles ainsi que la déresponsabilisation des autres points de services du réseau de la santé. Toutefois, pour ce qui est des personnes transgenres, certains sont d’avis qu’une sous-équipe spécialisée interdisciplinaire avec des ressources dédiées pourrait s’avérer nécessaire pour répondre aux besoins spécifiques de soins et de services autour de la transition. L’adéquation Un second objectif de la recherche visait à mesurer l’adéquation perçue des services sociaux et de santé par les usagers LGBT du CSSS Jeanne-Mance et des autres établissements de santé au Québec. Ce volet a été réalisé à l’aide d’un questionnaire en ligne ayant rejoint 736 participants (moyenne d’âge de 36 ans) comprenant une proportion égale d’hommes et de femmes (49,7 % et 50,3 %), parmi lesquels 8,7 % s’identifient comme transgenres. Sur le plan des orientations sexuelles, 25,8 % des participants se sont identifiés comme lesbiennes, 42,8 % gai-es ou homosexuel-les, 14,9 % bisexuel-les et 11,7 % se définissent autrement (par exemple Queer). Une proportion de 32,3 % réside à l’extérieur de la région de Montréal. Près de la moitié (44,4 %) déclarent au moins une maladie chronique (santé physique, mentale ou sexuelle) diagnostiquée par un professionnel de la santé, une proportion similaire aux données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de Statistique Canada (Tjepkema, 2008). Près de six participants sur dix ont un médecin de famille (61 %) et plus des trois quarts (82 %) ont eu recours à des services sociaux et de santé au cours des deux dernières années, y compris ceux du CSSS Jeanne-Mance. Environ la moitié des répondants rapportent avoir déjà discuté de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre avec un professionnel de la santé ou avec leur médecin de famille. Près d’un participant sur dix (9%) indique avoir déjà évité de demander un service de santé en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Cette proportion grimpe à 30 % parmi les personnes transgenres. Le questionnaire proposait également une série d’indicateurs de satisfaction, sous forme d’énoncés au sujet des services reçus et de l’interaction avec les professionnels de la santé et des services sociaux : évaluation de l’écoute, de l’empathie, du respect, de la compréhension de la situation de l’usager, de la non-présupposition de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, etc. Les scores de satisfaction sont élevés pour plusieurs de ces dimensions et le portrait global est somme toute positif, notamment en ce qui a trait à la perception de la qualité de l’accueil, du respect, de l’écoute et de la compétence des intervenants par rapport aux réalités LGBT. Les analyses comparatives révèlent toutefois des différences significatives quant aux scores de satisfaction selon les sous-groupes : les personnes transgenres et les femmes de minorités sexuelles accordent des scores moyens moins élevés, par exemple en ce qui concerne la présupposition de l’orientation sexuelle et les compétences à propos des réalités propres aux femmes lesbiennes ou bisexuelles, de même qu’aux personnes transgenres. Ces deux groupes sont donc globalement moins satisfaits des services offerts. Toutefois, en ce qui concerne les services du CSSS Jeanne-Mance, ces différences entre sous-groupes sont moins prononcées, ce qui semble suggérer que les usagers des 199 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille services de l’établissement sont plus satisfaits que ceux et celles utilisant d’autres points de services au Québec. Ce moindre écart peut s’expliquer, entre autres, par l’expérience des intervenants du CSSS avec les minorités sexuelles, étant donné la forte concentration de ces populations sur le territoire, mais aussi leur aisance à discuter de sexualité avec les minorités sexuelles, notamment au sein de l’équipe ITSS, comme l’explique un intervenant interviewé dans le cadre du premier volet de la recherche : « Lorsque tu viens travailler à l’équipe ITSS, à la fois au niveau personnel et professionnel, tu dois être à l’aise d’accueillir ce genre de clientèle et de parler de toutes sortes d’aspects de la sexualité dont les pratiques sexuelles ». Le questionnaire en ligne comprenait aussi des questions ouvertes portant sur les expériences des répondants avec les services. L’analyse de ce corpus permet d’identifier les éléments constitutifs d’expériences positives : une attitude de la part de l’intervenant qui soit chaleureuse, positive, sans jugement et sans discrimination, sans présupposition de l’orientation sexuelle, la possession de bonnes connaissances sur les enjeux de santé des LGBT, la prise de temps pour développer un lien de confiance : « Je me souviens de l'attitude très empathique et chaleureuse de l'infirmière. Elle a été à l'écoute, ouverte, très positive » (femme queer, 30 ans). « Ma docteure fut très ouverte et disponible. Elle ne manifeste pas de préjugés ni de propos homophobes lors de nos rencontres. Une confiance mutuelle est installée » (lesbienne, 34 ans). « L'infirmière n'a pas présumé de mon hétérosexualité et m'a demandé le sexe de mes partenaires sexuels » (homme gai, 24 ans). « Depuis 2005 que je suis avec mon médecin à la clinique [nom de la clinique]. Je suis allé voir ce médecin à cause de sa connaissance sur la transsexualité. L’accueil était superbe, le respect présent et une approche humaine, très professionnelle » (lesbienne et transgenre, 55 ans). À l’opposé, des éléments associés à des expériences plus difficiles ou mixtes sont rapportés : méconnaissance par les professionnels des réalités liées à la santé des personnes LGBT, notamment au sujet des personnes transgenres (accès à l’hormonothérapie et au suivi du processus de transition, refus de prodiguer des soins, entre autres) et des femmes de minorités sexuelles (présupposition d’une orientation sexuelle hétérosexuelle, connaissance insuffisante des risques de transmission des ITSS entre femmes, par exemple) : « Cela a très bien été jusqu'à ce que je lui dise que je voulais une transition sexuelle et que j'avais besoin d'aide là-dedans. Après, elle m'a dit qu'elle ne pouvait rien faire pour moi. Que je devais trouver par moimême quelqu'un pour m'aider. Ce fut très désagréable » (femme trans, hétérosexuelle, 24 ans). « La psychoéducatrice du CLSC a été très respectueuse et sa contribution a été utile. Toutefois, pour obtenir le rendez-vous, il ne fallait pas mentionner que la transidentité faisait partie du contexte (femme trans et hétérosexuelle, 59 ans)». « J'ai essayé d'aborder la question avec mon gynécologue. Très mauvaise expérience. Pas ouvert à prendre le temps de discuter, aucun signe LGBT, le personnel supposait que j'étais hétéro [...]. J'ai attendu l'année d'après pour aborder le sujet, du bout des lèvres. Encore aujourd'hui, il me demande toujours si j'ai “un petit chum” à chaque rendez-vous (femme bisexuelle, 24 ans) ». 200 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille « De manière générale, les médecins ne s'intéressent pas à l'orientation sexuelle d'une personne, et assument trop souvent que vous êtes hétérosexuelle quand vous êtes une femme. J'ai déjà dit à un médecin avoir eu une relation avec une autre femme, car elle [la relation] était non protégée et que j'avais des inquiétudes et les “dangers” potentiels de cette relation ont été complètement banalisés » (femme queer, 32 ans). « À aucun moment, on ne m'a expliqué qu'il y avait aussi des moyens de se protéger durant les relations avec des femmes. À ce jour, je ne suis pas plus éclairée sur le sujet » (lesbienne, 35 ans). Les participants étaient invités à émettre des suggestions pour l’amélioration des services. Figure au premier rang une meilleure formation des professionnels de la santé et des services sociaux, tant pour la formation académique que pour la formation continue. D’autres suggestions portent sur la lutte contre l’hétérosexisme, encore trop souvent présent dans la prestation des services, la promotion du dialogue entre les professionnels et les usagers LGBT, par exemple en exposant des signes d’ouverture dans l’environnement (affiches, dépliants et autres supports d’informations), et la sensibilisation du personnel aux réalités des familles homoparentales. Résonance Le portrait global de la satisfaction des personnes LGBT quant à leurs expériences avec les services sociaux et de santé en général est positif sur plusieurs dimensions telles que l’accueil, l’ouverture, la politesse, le respect. Toutefois, les résultats suggèrent que du travail reste à accomplir sur plusieurs aspects, tels que les connaissances sur les problématiques de santé des personnes LGBT, les signes d’ouverture dans l’environnement et l’hétérosexisme perçu par les usagers, notamment parmi les femmes de minorités sexuelles. Les personnes transgenres se heurtent encore à plusieurs obstacles particuliers dans leur accès et leur utilisation des services. Ces résultats sont en résonance avec la littérature scientifique, par exemple sur l’hétérosexisme qui est l’expression d’une des formes d’inégalités sociales en matière de santé auxquelles peuvent être confrontées les minorités sexuelles. Ces constats seront soulignés, parmi d’autres, dans la proposition de recommandations pour l’amélioration des services et la formation du personnel non seulement au CSSS Jeanne-Mance, mais dans l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux au Québec. Le CSSS Jeanne-Mance, pour sa part, a déjà démontré sa volonté de mieux répondre aux besoins des minorités sexuelles en introduisant des pratiques spécifiques sur le plan de l’organisation, de la formation et du travail de proximité. Il est à souhaiter que son exemple soit suivi ailleurs au Québec. Note 1 : Recherche réalisée par Jean Dumas, boursier du programme 4P (promotion, prévention et politiques publiques), Réseau de recherche en santé des populations du Québec, sous la supervision de Line Chamberland. Références Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) (2007). De l’égalité juridique à l’égalité sociale : vers une stratégie nationale de lutte contre l’homophobie, Rapport de consultation du Groupe de travail mixte contre l’homophobie. Dumas, J. (2013). « L’évaluation des services sociaux et de santé offerts aux minorités sexuelles par le 201 Cahier de documents d'accompagnement Adapter nos interventions aux réalités des personnes de la diversité sexuelle, de leur coupple et de leur famille CSSS Jeanne-Mance », Service Social, 59, 1 : 63-80. Institute of Medecine (2011). The Health of Lesbian, Gay, Bisexual, and Transgender (LGBT) People: Building a Foundation for Better Understanding, Washington (DC), National Academies Press. Ministère de la Justice (2011). Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie 2011-2016, Gouvernement du Québec. Tjepkema, M. (2008). Utilisation des services de santé par les gais, les lesbiennes et les bisexuels au Canada, Composante du produit no 82-003-X, Rapports sur la santé au catalogue de Statistique Canada. Articles similaires: Minorités sexuelles et accès aux services : l’interface Orientation sexuelle, intervention et hétéronormativité: Quelqu’un dans votre vie? 202