Lecture Jeune
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33e année trimestriel Lecture Jeune Revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents ES T L U E D R A ES ATU N ÉR U E TT SJ LE LA LI T E mars 2011 N°137 I Retrouvez Lecture Jeunesse sur le Web ! Un site Internet www.lecturejeunesse.com Un groupe « Lecture Jeunesse » sur Facebook Le blog de Lecture Jeunesse http://bloglecturejeune.blogspot.com Sommaire Éditorial page 2 Rencontre avec… Agnès Desarthe page 3 Dossier Les jeunes adultes et la littérature page 7 Parcours de lecture Livres accroche Et après Lecteurs confirmés Ouvrages de référence page 36 page 46 page 59 page 70 En savoir plus page 73 Index page 76 22 Édito de lecture Parcours Livres accroche Sonia de Leusse - Le Guillou Littératures 1 « Littérature pour jeunes adultes », décembre 2000. Pour approfondir la réflexion, on pourra également consulter certains articles du n° 96, Lecture Jeune, « Le marketing : un savoir-faire au service de la lecture ? », septembre 2002. 2 Voir la notice critique sur L’Enfance des loisirs p. 71. 3 Pour reprendre les termes d’Anne Besson dans son article « Ensembles romanesques et genres populaires : propositions de formalisation », La Revue des livres pour enfants, n° 256, « Livres en série », décembre 2010. 4 Notamment évoquées lors de la journée organisée par Livres Hebdo en novembre 2010, « Editeur, libraire, bibliothécaire : quels métiers dans 10 ans ? ». 1 Jeune s’interrogeait déjà sur l’existence d’une Dans son n° 96, Lecture littérature destinée aux young adults, lui reconnaissant « une manière renouvelée de dire le monde, ses excès et ses espoirs » et l’émergence d’un public spécifique. Christine Ferrand remarquait l’influence des séries télévisées sur cette production, la « réinsertion de la fiction dans le social » et soulignait le paradoxe de ce lectorat convoité par les éditeurs : les études2 le confirment, en grandissant, les adolescents et jeunes adultes délaissent les livres. Pourtant, publications, anglicismes et étiquettes se multiplient. Les romans dits cross-age, cross-over, ou « passerelles » seraient-ils devenus la littérature populaire du XXIe siècle, voire une « locomotive éditoriale3 » ? Pour Daniel Delbrassine, on peut en effet se demander si la littérature jeunesse n’influencerait pas sa consœur, dite générale. Ainsi, les frontières – que certains éditeurs tendent à brouiller –, deviennent de plus en plus floues : des teenagers aux trentenaires, qui sont donc ces « jeunes adultes » qu’ils prisent ? Olivier Galland propose trois grands repères pour définir cette « nouvelle jeunesse » aux bornes élargies, tandis que Claude Poissenot synthétise les grandes tendances de son rapport aux livres, confirmant l’obsolescence de la lecture comme héritage des générations passées. Les littératures dites de l’imaginaire profitent de cet affranchissement des jeunes de la caution de leurs aînés. Mais quels que soient les genres, les publications pour young adults pullulent. Si le marketing joue un rôle non négligeable dans l’augmentation des ventes, les stratégies mises en place par les maisons d’édition sont loin d’être homogènes mais, comme le souligne Sandra Painbéni, les « clients » de ce segment de marché sont bien au rendez-vous ! Confirmant le renouveau de la profession4, le community manager semble ainsi un métier d’avenir si l’on se réfère aux procédés de communication d’Hachette Jeunesse ou Gallimard Jeunesse. La bibliothèque, elle, doit se passer de cross-age manager pour l’aider à classer ces livres en rayon ! Quelques structures ont choisi de centrer leur réflexion sur ces productions « passerelles », leur consacrant un espace ou une reconnaissance bibliographique. Loin d’apporter des réponses définitives, ce numéro qui soulève nombre de questions souhaite proposer pistes théoriques et pratiques pour réfléchir à une notion aujourd’hui incontournable et sans cesse en redéfinition. Lecture Jeune - mars 2011 Rencontre avec… Agnès Desarthe par Sonia de Leusse-Le Guillou page 4 à 8 4 Rencontre avec… Agnès Desarthe Auteur Propos recueillis par Sonia de Leusse-Le Guillou « Je n’étais pas la même à trente ans. J’étais un être tout à fait particulier à huit ans. Je considère mon adolescence comme autonome en regard de la suite. La femme que je suis aujourd’hui est déracinée, détachée, incompréhensiblement solitaire. Je fus très entourée. Je fus très sociable. Je fus timide. Je fus réservée. Je fus raisonnable. Je fus folle. » Mangez-moi, Paris, Éditions de l’Olivier, 2006, p. 27. Agnès Desarthe Pour en savoir plus et voir sa bibliographie complète, consultez son site Internet : http://www.agnesdesarthe.com/ A l’occasion de son stage sur les « romans passerelles », Lecture Jeunesse a rencontré Agnès Desarthe, romancière qui écrit à la fois pour les adultes, les adolescents et les enfants. Le registre tragi-comique caractérise l’ensemble de sa production littéraire. L’auteur, qui ne cesse de s’étonner de l’absurdité de la condition humaine, revendique volontiers sa sympathie pour son jeune lectorat dont elle apprécie la curiosité et la vigueur. Lecture Jeune : Sur votre site Internet, on trouve une petite biographie (http://www.agnesdesarthe.com/). Je dois avouer que cela m’a étonnée : vos personnages ont toujours beaucoup de mal à se définir. C’est une épreuve angoissante, presque terrifiante pour eux. Ça ne l’a pas été, pour vous ? Agnès Desarthe : Alors, cette biographie me coûte – vous avez tout à fait raison – je l’ai écrite au départ pour une espèce de dictionnaire de la littérature (dont je ne sais plus le titre). On sent effectivement dans ce texte un côté « mauvais élève », un peu arrogant. Je la trouve même complètement « adolescente », cette présentation. Elle me gêne énormément parce que je ne m’y reconnais pas du tout. Mais qui se reconnaîtrait dans sa biographie ? Je crois que c’est un exercice périlleux. Vous commencez par le commencement… un problème ! LJ : Mais il est tout de même révélateur, ce texte : l’humour qu’on y trouve est la grande constante de votre œuvre. C’est, à mon sens, ce qui lie votre production jeunesse et adulte. Par exemple, vous ménagez toujours des effets de surprise. Est-ce pour dérouter le lecteur ? Agnès Desarthe : Non, je dois avouer que je ne pense jamais au lecteur quand j’écris. Si je pensais à lui, je crois que je ne parviendrais Lecture Jeune - mars 2011 55 pas à écrire, parce que je serais comme une adolescente devant son miroir, qui se regarde, qui se demande comment on va la voir… Il ne faut pas penser au regard de l’autre. Il y a une phrase de Virginia Woolf que j’aime beaucoup et qui est très libératrice : « à quoi bon écrire si on ne se rend pas ridicule ? ». Si on s’interrogeait sur l’avis du lecteur, la question du ridicule nous tuerait. Mais je pense à la lectrice que je suis quand j’écris, et j’aime être dérangée, surprise, bousculée. J’essaie donc, dans mes romans, de créer autant de surprise que la vie nous en propose. LJ : Certains de vos personnages se retrouvent dans des situations clownesques. Vous mêlez humour et gravité, personnages comiques et tragiques1. AD : Cet équilibre précaire est emblématique de la condition humaine qui me paraît complètement absurde. Bizarrement, cette tension me rend joyeuse, parce que je me dis qu’il faut profiter de la vie ! Pour moi, être vivante, c’est être un clown, mais un clown triste parce que nous allons mourir. La tristesse et la joie sont simultanément présentes. 1 On peut penser à l’Écossaise de Dans la nuit Brune, à certains comiques de situations – Simone (Les Bonnes Intentions) qui apporte à manger à M. Dupotier en montant sur une échelle, parce qu’il est enfermé chez lui. On peut évoquer Niniche également (Les Bonnes Intentions), sorte de nouveau Schmürz de LJ : C’est ce rapport ambigu au monde mais aussi au langage, que vous explorez dans vos romans ? Dans La Plus Belle Fille du monde, par exemple, la narratrice, Sandra s’est rendu compte de la trahison des mots2. Cela reflète-t-il votre propre rapport à l’écriture ? AD : Oui, j’ai vraiment éprouvé ce sentiment de déception avec le langage, notamment face à la beauté ; l’écrivain est toujours un peu « en-dessous ». Avec la langue, il y a un grand risque de puiser des clichés dans l’inconscient collectif et linguistique, d’associer des pièces de lego déjà assemblées. Il faut fournir un effort d’imagination, essayer de créer des réactions chimiques entre les mots. Vian, dans Les bâtisseurs d’Empire. 2 « En grandissant on découvre que pour dire les choses on dispose de très peu de moyens, il faut mélanger plusieurs mots comme avec les couleurs. Rouge + jaune = orange. Mais en beaucoup plus compliqué, et surtout en beaucoup plus décevant. La plupart du temps on est à côté de la plaque, c’est même un miracle qu’on puisse parvenir à se comprendre. », La Plus Belle Fille du monde, p. 68. 3 Agnès Desarthe, mon écrivain préféré, LJ : Vous établissez des passerelles entre les mots, les émotions, en « cré[ant] des réseaux de sens inédits3 ». Dans Le Principe de Frédelle, vous dressez cette fois des ponts entre l’enfance et l’âge adulte4. Pouvez-vous revenir sur la notion d’enfance et ce qu’elle évoque pour vous ? L’École des loisirs, 2006, p. 85. AD : L’enfance s’apparente à de la sauvagerie. L’éducation, que je décris comme un chantier pharaonique, est une forme de répression réussie. Mais que reste-t-il en nous de cette répression ? Nous fait-elle glorieusement passer de l’état animal à l’état humain ou garde-t-on des séquelles de l’animal blessé ?5 La croissance est un phénomène gigogne, à la manière des poupées russes : le petit, emboîté dans le moyen, puis dans le grand. La conscience de cet emboîtement me permet de mener à bien ce travail de passerelles. Je mets en scène les tensions entre des enfants et des adultes parce que, pour moi, celles-ci sont dues au fait que l’une des poupées résiste à l’intérieur de l’adulte. sent pas leurs propres vêtements et envisagent Lecture Jeune - mars 2011 4 « Les enfants, presque sans exception, sont fous. […] De 0 à, mettons, 10 ans, les enfants ont des attitudes de déments. […] [Ils] se jettent à l’eau sans savoir nager, ne reconnaisde se marier avec leurs parents », Le Principe de Frédelle, p. 10. 5 C’est un thème qu’Agnès Desarthe aborde Dans la nuit brune (éditions de l’Olivier, 2010) avec le personnage de Jérôme, l’enfant sauvage, qui est pour elle un « avatar de n’importe quel enfant. N’importe quel enfant est un enfant sauvage, trouvé par ses parents, qui apprennent à le connaître ». 6 Rencontre avec Agnès Desarthe 6 La Plus Belle Fille du monde, p. 45. 7 Dans la nuit brune, p. 69. 8 Si l’on se réfère au sondage de l’AFEV (Association de la Fondation Etudiante pour la Ville) de mars 2010, près d’un Français sur deux déclare avoir une image négative de la jeunesse. 56 % des jeunes sont taxés d’irresponsables et 62 % considérés comme peu ou pas actifs, cité par A. Piquard et S. Laurent, La Planète « Jeunes », Dossiers et Documents, LJ : À l’enfance succède l’adolescence que vous définissez avec humour : « Les ados, c’est comme des enfants en pire, les adultes détestent. Ils nous trouvent mous, paresseux, impolis, insolents, idiots, bruyants, taciturnes6 ». Vous les comparez aussi à des bonsaïs : « Les jeunes sont très fragiles, très sensibles. […] C’est un peu comme les bonsaïs : petits dehors, grands dedans, et inversement. Cette démesure les fragilise considérablement7 »… AD : Lorsque j’ai écrit La Plus Belle Fille du monde, c’était le moment où il y avait eu ce merveilleux fait divers aux États-Unis : un état très conservateur avait décidé, pour lutter contre les vagues d’avortements, de légaliser l’abandon quel que soit l’âge de l’enfant. Et des Américains étaient arrivés d’autres États pour abandonner qui ? leurs ados ! Ça m’a fait beaucoup rire ! Sandra, la narratrice, s’empare de cette affaire et commence une enquête pour déterminer pourquoi les adultes détestent les enfants ! Personnellement, je ne me reconnais pas du tout dans le discours radical, massif, sans nuance, qui consiste à affirmer que les adolescents « ne lisent pas, sont arrogants, croient qu’ils savent tout mais ne savent rien »8... Ceux que je côtoie sont polis, agréables, fiables, beaux, propres ! Cependant, l’adolescence est un passage compliqué et déstabilisant pour les adultes qui se trouvent alors menacés dans leur intimité, leur intériorité par ces jeunes. L’adulte n’est plus le pourvoyeur absolu. Il devient invisible. C’est un moment très instructif et en même temps extrêmement violent. Mais selon moi c’est quand même un problème de représentation de l’adolescence franco-français, parce que je n’ai pas vécu cela en Angleterre, en Suède, en Allemagne, ni dans les pays méditerranéens. Le Monde, n°404, janvier 2011. Voir aussi l’article de M. Choquet, « On a construit une image du jeune qui fait peur aux adultes », ibid. p.5 9 La Plus Belle Fille du monde, p. 48 et 49. LJ : Dans La Plus Belle Fille du monde, Sandra demande à sa mère : « Ce que je veux savoir en fait, c’est si tu te rappelles à quel moment ça s’est arrêté. – Quoi ma chérie ? – L’enfance. A quel moment tu as su que c’était fini ? ». La réponse est intéressante : « Je n’ai jamais pensé que c’était fini »9. Ce sont les poupées russes que vous évoquiez tout à l’heure. Comment ce long passage enfance-adolescence-adulte s’opère-t-il pour vos personnages ? AD : Comme cette question de passage d’âges m’intéresse beaucoup, je l’utilise pour créer des tensions chez les personnages. C’est-à-dire que pour qu’une histoire ait une structure, une force, une trajectoire, il faut mettre des obstacles en travers de la route des personnages et voir comment ils se débrouillent. Comme si, pendant la nuit, on posait des fils barbelés, des embûches sur leur chemin. Après, le matin se lève et on regarde comment ils s’en sortent. En fait, ce sont surtout les adultes qui ont des problèmes, les enfants assez peu. Dans la littérature de jeunesse, les enfants ne sont pas menacés par leur appartenance à un âge défini. Par contre, c’est plus problématique pour les adultes car ils ont la sensation qu’être adulte, c’est savoir, être infaillible. Lecture Jeune - mars 2011 7 Ce statut est pesant. J’aime les moments où les personnages doivent lâcher prise, lorsqu’on a l’impression que l’individu émerge de son costume. Je mets beaucoup en scène ce ressort tragi-comique. LJ : J’ai presque envie de parler d’une inversion entre vos personnages adultes et adolescents. On dit des adolescents qu’ils sont pris dans une espèce d’inertie. Or, ce sont plutôt les adultes qui sont dans cet état d’esprit dans vos romans. AD : Tout à fait. Cela me fait penser à une question que me posaient les journalistes sur « Comment faire lire les enfants ? » Je répondais que la façon la plus simple, c’est qu’on lise soi-même. Si votre enfant vous voit absorbé dans un livre, il aura peut-être la curiosité de le faire aussi. Les journalistes me répondaient : « Mais si on n’aime pas lire ? » Si vous n’aimez pas lire, pourquoi voulez-vous que votre enfant aime ça ? La lecture, c’est le plaisir libre, individuel, volé, comme doit être le plaisir. Par ailleurs, pour revenir à votre question, c’est vrai que vous pouvez avoir cette impression d’inversion. C’est le souvenir que j’ai de ma propre adolescence. Je me souviens de cette force, de cet appétit. Le fait d’écrire pour les enfants radicalise ce phénomène, la question « peut-on tout écrire pour les enfants ? » étant récurrente en littérature jeunesse. Je crois que c’est l’inverse, on peut tout écrire pour les enfants, mais pas pour les adultes. LJ : Vous autocensurez-vous plus pour les adultes ? AD : Je m’autocensure et on me censure. Il me semble qu’on retrouve ici ce rapport d’inversion. Une des difficultés que j’éprouve lorsque je me représente mon lectorat – quand il s’autoconvoque – une des choses qui pour moi définit très clairement la frontière entre les enfants et les adultes, c’est que les adultes savent, ou du moins sont censés savoir. Quand on s’adresse à des enfants, ils demandent « Pourquoi ? ». Les enfants veulent comprendre, posent des questions, savent qu’ils ne savent pas. On peut donc tout dire, aborder tous les sujets. Par exemple, si je décide d’écrire un livre sur la littérature ou la technique littéraire et que je vais voir Olivier Cohen, aux Éditions de l’Olivier, pour le lui annoncer, il me répondra que Marthe Robert a déjà travaillé sur la question. Tandis que sans avoir prévenu mon éditeur de l’École des Loisirs, je lui ai présenté un matin La Plus Belle Fille du monde – qui porte sur les techniques littéraires, le roman, enfin, sur ma « cuisine d’auteur » – eh bien c’est vraiment devenu un livre ! Il y a aussi la question des formats. Vous êtes un écrivain et avez écrit un texte de cinquante-trois pages : personne ne le publiera. C’est un problème marketing, il faut vendre des romans. En littérature jeunesse, on nous encourage. Tous les formats sont possibles. Le lectorat est curieux, a les oreilles et les yeux grands ouverts. Il est partant pour parler de la mort ou de la beauté. J’ai donc l’impression qu’en littérature jeunesse, on a beaucoup plus de liberté du point de vue du format, du ton et des genres. C’est la raison pour laquelle je manie l’édition jeunesse comme un lieu de privilèges et de contrebandes. Lecture Jeune - mars 2011 8 Rencontre avec Agnès Desarthe On y jouit d’une plus grande ouverture, c’est pourquoi je ne trouve pas que mes textes soient punis de se trouver en collection jeunesse. S’ils n’y étaient pas, ils n’existeraient pas. Bibliographie d’Agnès Desarthe L’Ecole des Loisirs : Albums • Juanita le pingouin, illustré par Marjolaine Caron, (épuisé) • L’Expédition, illustré par Willi Glasaeur, (épuisé) • Les Pieds de Philomène, illustré par Anaïs Vaugelade, 1997 • Petit Prince Pouf, illustré par Claude Ponti. 2002 Dans la collection Mouche • Abo, le minable homme des neiges, illustré par Claude Boujon,1991 (épuisé) • La Fête des pères, illustré par Benoît Jacques, 1992 • Le Roi Ferdinand, illustré par Marjolaine Caron, 1992 • Benjamin, héros solitaire, illustré par Véronique Deiss, 1993 • La Femme du bouc émissaire, illustré par Willi Glasauer, 1993 • Les Grandes Questions, illustré par Véronique Deiss, 1999 • Les Trois Vœux de l’archiduchesse Von der Socissèche, illustré par Anaïs Vaugelade, 2000 • Le Monde d’à côté, illustré par Anaïs Vaugelade, 2002 • A deux c’est mieux, illustré par Catharina Valckx, 2004 • Igor le labrador, illustré par Anaïs Vaugelade. 2004 • C’est qui le plus beau ?, illustré par Anaïs Vaugelade, 2005 • Les Frères chats, illustré par Anaïs Vaugelade, 2005 • Je veux être un cheval, illustré par Anaïs Vaugelade, 2006 • Mission impossible, illustré par Anaïs Vaugelade, 2009 Dans la collection Neuf • Dur de dur, 1993 (épuisé) • Tord ce qu’on ne dit pas, 1995 • Comment j’ai changé ma vie, 2004 Dans la collection Médium • Je ne t’aime pas, Paulus, 1991 • Les Peurs de Conception, 1992 • Poète maudit, 1995 • Je manque d’assurance, 1997 • Je ne t’aime toujours pas, Paulus, 2005 • La cinquième saison, collectif, recueil de nouvelles, 2006 (textes de G. Brisac, A. Desarthe, A. Cathrine, O. Adam, J. Lambert) • La Plus Belle Fille du monde, 2010 Editions de l’Olivier : Nous vous invitons à lire l’intervention d’Agnès Desarthe « Pourquoi développer le goût de la lecture » (colloque sur l’avenir du livre, organisé par Sophie Barluet pour le CNL, 22 février 2007) : http://www.agnesdesarthe.com/ textes/colloque%20lecture.pdf • Quelques minutes de bonheur absolu, roman,1993 • Un secret sans importance, roman, prix du Livre Inter 1996, 1996 • Cinq photos de ma femme, roman, 1998 • Les Bonnes Intentions, roman, 2000 • Le Principe de Frédelle, roman, 2003 • Mangez-moi, roman, 2006 • Le Remplaçant, récit, “figures libres”, 2009 • Dans la nuit brune, 2010 • Agnès Desarthe et Geneviève Brisac : V.W. ou le Mélange des genres, essai (sur Virginia Woolf),2004 Lecture Jeune - mars 2011 Le dossier Les jeunes adultes et la littérature Les 18-30 ans, la « nouvelle » jeunesse ? par Olivier Galland page 10 à 13 La lecture « détraditionalisée » par Claude Poissenot page 14 à 17 Les collections « jeunes adultes » : un véritable segment de marché et non une fantaisie d’éditeurs par Sandra Painbéni page 18 à 24 Les éditeurs jeunesse et les réseaux sociaux : zoom sur Hachette et Gallimard Jeunesse par Anne Clerc page 25 à 27 Goncourt des lycéens et roman adressé à la jeunesse : quels points communs ? par Daniel Delbrassine page 28 à 32 Les littératures « passerelles » en bibliothèques par Lecture Jeunesse page 33 à 34 10 Les -30 ans, Les18adaptations Le Dossier dossier littéraires la « nouvelleau » jeunesse ? Cinéma Olivier Galland Jean-baptiste Coursaud Olivier Galland est un sociologue, directeur de recherche au CNRS, au Groupe d’études des méthodes de l’analyse sociologique de l’université Paris- IV. Il est aussi chercheur associé au Laboratoire de sociologie quantitative (CRESTINSEE). 1 L’âge moyen des premières règles est passé de 17 ans à 14 ans entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. Actuellement, il est de 12 ans en Italie, 12,6 ans en France, 13,5 ans en Allemagne, confirmant une précocité croissante. Source : INSERM. 2 À ce sujet, voir l’article de Sylvie Octobre « Nouvelles cultures et institutions de transmission » in Lecture Jeune n° 133, Culture numérique. Nouveaux espaces d’expression et de création adolescentes, mars 2010. Sur Internet, la synthèse « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de cultures ? », Sylvie Octobre : http://www2.culture.gouv.fr/culture/ deps/2008/pdf/Cprospective09-1.pdf Sociologue Taiunique/Gaïa Les 18-30 ans représentent-ils une nouvelle classe d’âge ? La jeunesse semble aujourd’hui s’étirer à l’intérieur de bornes d’âge à la fois de plus en plus précoces et de plus en plus tardives : d’un côté, l’adolescence survient plus tôt, tant sur le plan physiologique (comme le montre le rajeunissement tendanciel de l’âge aux premières règles1) que social – les adolescents ou même les pré-adolescents bénéficiant aujourd’hui d’une « autonomie relationnelle2 » qui leur permet de gérer leurs relations amicales hors du contrôle de leurs parents. A l’autre extrémité, la jeunesse se termine de plus en plus tard sous l’effet de facteurs multiples – prolongation des études, stabilité professionnelle et vie en couple retardées3. De la jeunesse aux jeunes adultes Si l’on prend une définition large on peut considérer que la jeunesse s’étend de 14 -15 ans à 30 ans. Elle se découpe en plusieurs phases qui peuvent être résumées en trois séquences : l’adolescence – les années collège et lycée – durant laquelle on reste évidemment dépendant économiquement de ses parents, mais où la « socialisation horizontale » du groupe des pairs a pris une importance grandissante au détriment de la « socialisation verticale » s’effectuant par les générations aînées ; la post-adolescence (les 18-25 ans) qui peut être définie comme une phase où les jeunes gèrent des formes de semi-indépendance, en commençant à s’éloigner de la famille tout en bénéficiant toujours de son soutien, les étudiants étant le cas le plus typique de cette séquence ; enfin, une dernière phase (les 25-30 ans) est celle que vivent les jeunes adultes qui ont acquis la plupart des attributs de l’indépendance économique – un emploi stable, un logement personnel – mais qui retardent le moment de fonder une famille et d’avoir un enfant (l’âge moyen du premier enfant est aujourd’hui de 30 ans). Quelques idées reçues sur les « jeunes adultes » Il faut cependant écarter beaucoup d’idées fausses qui ont cours sur la recomposition de la jeunesse. L’une des plus tenaces associée au film Tanguy serait que les jeunes Français repoussent délibérément le moment d’acquérir leur autonomie en profitant à l’excès du confort du domicile familial. Or ce cliché n’est pas confirmé par les données : certes, les jeunes Français, dans les années 1980-1990, ont eu tendance à quitter leurs parents plus tard, mais ce comportement s’explique complètement par la prolongation des études et par les difficultés d’accès à l’emploi. Le retard mis à quitter ses parents ne va pas au-delà de ce qui est imposé par ces circonstances économiques et sociales. Lecture Jeune - mars 2011 aïa 11 11 Une autre idée contestable est que cette redéfinition de la jeunesse serait en réalité le résultat d’une recomposition générale du cycle de vie qui ôterait à l’âge adulte tout caractère de stabilité et finalement toute consistance dans sa définition. La théorie développée par certains sociologues serait que, la précarité se généralisant, l’âge adulte ne pourrait plus être considéré comme un repère solide auquel les jeunes aspireraient à accéder. Là encore, cette hypothèse n’est pas confirmée par les données empiriques. Certes, la précarité de l’emploi s’est accrue, mais cet accroissement, dans un pays comme la France, s’est effectué précisément au détriment presque exclusif des jeunes, les adultes dans la force de l’âge restant remarquablement épargnés. Cette situation tient au fonctionnement du marché du travail, organisé autour de la dichotomie CDD-CDI4. Les jeunes sont donc cantonnés, de quelques mois à quelques années selon leur niveau de diplômes, dans des emplois temporaires5. Cependant, au terme de cette phase de transition, la plupart d’entre eux accède au fameux CDI (70 à 80 % à trente ans), dont la possession signifie aujourd’hui l’entrée dans une nouvelle phase de la vie, où des projets – résidentiels, de vie en couple, de fondation d’une famille – peuvent commencer à se construire. Cette phase de transition, angoissante pour beaucoup de jeunes, peut se révéler périlleuse pour ceux d’entre eux qui ne bénéficient pas des soutiens nécessaires, notamment familiaux, pour la clore de manière positive. En réalité, la jeunesse française est polarisée en deux groupes dont les destins sociaux s’écartent de plus en plus les uns des autres. Cette fracture à l’intérieur de la jeunesse repose essentiellement sur le niveau d’études. Les jeunes sans diplômes, qui restent très nombreux en France à la fin des études initiales (près d’un jeune sur cinq) connaissent des difficultés grandissantes pour s’intégrer dans la société. Les thèses sur la « lutte des générations » doivent être relativisées au regard de cette fracture à l’intérieur de la jeunesse qui à bien des égards est plus grave. Elles doivent l’être aussi en tenant compte du rôle d’accompagnement que les parents jouent en France, pour une grande partie des jeunes, durant cette phase de transition. Une solidarité intergénérationnelle informelle s’exerce là, puissamment. Le problème est qu’évidemment, les jeunes qui ont le moins d’atouts personnels pour s’en sortir sont aussi ceux qui disposent des soutiens familiaux les plus faibles. Les valeurs des jeunes adultes Les repères qui constituent l’armature du statut adulte n’ont donc pas disparu. Les jeunes n’ont pas non plus renoncé, dans leurs représentations de l’avenir, à y adhérer. Les enquêtes montrent qu’ils se rallient à des conceptions relativement classiques du statut adulte, fondées sur le travail et la famille. Par ailleurs, les enquêtes montrent un spectaculaire rapprochement des classes d’âge autour d’un socle de valeurs commun. Dans les années 1970-1980, on constatait encore une séparation assez nette entre les jeunes et les adultes autour des valeurs de permissivité6. Les années 1990-2000 ont vu cette fracture s’effacer largement et être repoussée au-delà de 60 ans. Autour de quel Lecture Jeune - mars 2011 3 En 1982, 55 % des femmes de 20 à 24 ans vivaient en couple, contre 29 % des hommes de cet âge. En 2006, 16 % des hommes sont en couple, contre 31 % des femmes. Source : INSEE. 4 « L’âge moyen d’entrée dans la vie active est de 23 ans et ne cesse de reculer. Celui du premier CDI, lui, est de 28 ans. Et la situation empire encore en fonction de l’origine sociale et géographique : dans les zones urbaines sensibles, 43 % des jeunes hommes sont au chômage », A. Piquard et S. Laurent, La planète “Jeunes“, Dossiers et Documents, Le Monde, n° 404, janvier 2011. 5 Dans son ouvrage, Devenir adulte, sociologie comparée de la jeunesse en Europe (PUF, 2008) Cécile Van de Velde a démontré pour sa part que l’allongement de la jeunesse est loin de revêtir transversalement les mêmes traits en Europe occidentale : en fonction des modes d’intervention de l’Etat, des systèmes éducatifs et des cultures familiales, chaque société tend à institutionnaliser différentes formes de passage à l’âge adulte. 6 La tolérance en matière de mœurs progresse. Les Français sont de plus en plus nombreux à admettre l’idée que chacun puisse choisir, sa manière de vivre. Lorsqu’on examine l’évolution d’un score de permissivité construit à partir des réponses à plusieurs questions (sur l’homosexualité, le divorce, l’avortement, etc.), la progression du « libéralisme des mœurs » apparaît nettement. Elle est générale, mais s’effectue à des rythmes différents suivant les classes d’âge : la progression est modérée chez les jeunes qui étaient les plus permissifs en 1981, tandis qu’elle est beaucoup plus vive dans les classes d’âge intermédiaires. De ce fait, les positions des Français âgés de 18 à 60 ans sont maintenant très proches les unes des autres depuis la fin des années 1990. 12 Les 18 -30 ans, la « nouvelle » jeunesse ? socle de valeurs jeunes et adultes se sont-ils rassemblés ? Celui-ci peut être défini par l’expression « d’individualisation ». L’individualisation signifie que doit être reconnu à chacun le droit de choisir sa façon de vivre, dans le domaine privé, indépendamment des conventions morales ou religieuses qui réglaient les mœurs autrefois. Dans les années 1960, les jeunes étaient les pionniers du mouvement d’individualisation. À cette époque, ces revendications prenaient un tour générationnel très marqué : les jeunes et les adultes s’opposaient par leurs façons de vivre. Cette phase est terminée. D’ailleurs, par certains aspects, les jeunes des années 2000 paraissent plus « sages » que leurs devanciers : le caractère anti-institutionnel et anti-autoritaire des mouvements de jeunesse des années 1960 s’est presque totalement effacé. Conflits générationnels 7 Entre novembre 2008 et janvier 2009, l’association Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) a interrogé, sur leurs pratiques culturelles, 7433 jeunes de 13 à 30 ans. Plus de 51,3 % disent n’être pas intéressés par le musée, le théâtre ou l’opéra, trop chers. Seul rescapé culturel, le cinéma, plébiscité par 94 % des jeunes interrogés. Résultats complets de l’enquête sur www.joc.asso.fr 8 « La génération des moins de 30 ans a grandi au milieu des téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux et autres écrans dans un contexte marqué par la dématérialisation des contenus et la généralisation de l’Internet à haut débit : elle est la génération d’un troisième âge médiatique encore en devenir. » Olivier Donnat, Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique. Éléments de synthèse 1997-2008. http:// www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr Cela signifie-t-il que les clivages générationnels ont totalement disparu ? En fait, il n’en est rien mais ces divergences se sont déplacés sur de nouveaux enjeux. On l’a dit, les valeurs générales organisant la vie personnelle et les rapports entre les personnes sont très largement communes aux jeunes et aux adultes. C’est sur le terrain culturel que de nouvelles divisions sont apparues. Plusieurs facteurs y ont contribué. Tout d’abord, l’émergence d’une adolescence plus précoce et plus autonome à l’égard des parents s’est accompagnée du développement d’une nouvelle culture de classe d’âge, portée par les industries du loisir, des médias et des biens de consommation destinés aux jeunes. Cette culture est à la fois une culture de l’apparence (se construire un « style ») et une culture communicationnelle (évidemment amplifiée par l’usage d’Internet, du téléphone portable, etc. Cette « culture jeune » est différente par bien des aspects de la « culture jeune » des années 1960. Elle n’a plus de caractère anti-institutionnel. Elle est beaucoup plus qu’à l’époque une culture de masse rassemblant tous les jeunes, quelles que soient leurs origines (même si des clivages sociaux existent à l’intérieur de la « culture jeune »)7. Comme le démontre Olivier Donnat dans sa récente enquête sur Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, les jeunes adultes privilégient la « culture de l’écran » au détriment de pratiques plus classiques, dont la lecture8. Et surtout, elle s’éloigne plus radicalement de la culture scolaire que valorisent les parents et le monde adulte en général. Beaucoup de jeunes, et pas seulement les « mauvais élèves », ressentent une distance croissante entre leurs centres d’intérêts qu’ils partagent avec leurs pairs, et ce que leur enseigne l’école. Le caractère très académique et très sélectif de la méritocratie à la française n’arrange pas les choses. La culture communicationnelle et horizontale que valorisent les jeunes est à mille lieux de la culture verticale et unilatérale qui fonde la conception traditionnelle de l’enseignement en France. Les jeunes ressentent l’école comme un lieu de classement, très peu comme un lieu de socialisation, surtout si on conçoit cette socialisation de façon large comme le processus qui progressivement imprégnera les jeunes des valeurs de la République et de la citoyenneté. Lecture Jeune - mars 2011 13 Il y a donc dans la jeunesse française une sorte de repli identitaire qui va de pair avec l’affaiblissement du sentiment d’appartenance collective. Cette tendance n’est pas irrémédiable, mais il y a certainement beaucoup à faire pour retisser des liens solides entre les jeunes et la société. @ Sur notre blog (http://bloglecturejeune.blogspot.com), rencontre avec Cécile Van de Velde, auteur de Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, PUF, 2008 (Le Lien social). L’ouvrage de Cécile Van de Velde, sociologue, analyse l’entrée dans la vie adulte en Europe occidentale à partir de quatre pays. La comparaison s’appuie sur une enquête statistique et une analyse qualitative. L’hypothèse de travail parie sur l’effet structurant des sociétés, à partir du mode d’intervention de l’état, des systèmes éducatifs liés au marché du travail, des normes d’indépendance de la famille. Pour les jeunes Danois, l’essentiel est « de se trouver », par la construction d’un itinéraire individuel posant l’entrée dans l’âge adulte comme horizon lointain. Les familles acceptent un départ précoce qui inaugure une période d’expérimentations alternant études et emplois de courte durée, célibat et union libre. L’état garantit l’indépendance financière des jeunes à partir de 18 ans, sans tenir compte des revenus des parents. Le premier enfant, un véritable emploi, marquent vers 30 ans la fin de cette période. Les jeunes Britanniques, désireux de s’assumer au plus vite, affichent une logique d’émancipation individuelle par étapes: indépendance résidentielle, études courtes, emploi. Une forte pression financière pèse sur la durée des études : les « petits boulots » complètent un système de prêts individuels garantis par l’État, ce qui a pour résultat de rendre les étudiants moins dépendants de leur famille. La recherche d’un emploi stable dès la sortie des études débouche sur une entrée précoce dans la conjugalité et dans la parentalité. Pour les jeunes Français, l’âge adulte est pensé comme l’âge du définitif. La jeunesse, associée au temps des études et de l’insertion professionnelle, devient un investissement plein d’embûches, scellant le destin social de l’individu. L’avenir vécu comme inquiétant, le présent est ambigu, entre un rêve d’indépendance résidentielle précoce et une dépendance financière envers les parents, que l’État renforce, en attribuant des bourses en fonction des revenus de la famille. Quant aux Espagnols, la cohabitation tardive avec la famille jusque vers trente ans est la norme: partir serait vécu comme une trahison. L’installation dans la vie adulte se prépare longuement, elle associe départ et mariage, suppose des études souvent longues prises en charge par la famille et un passage presque obligé par le chômage. L’ouvrage invite à questionner la conception de la jeunesse comme classe d’âge: elle entraîne une grande ambiguïté des rapports entre générations, entretenue par la politique des États, une fâcheuse tendance à lier les aides à des critères d’âge sans considération de la continuité des parcours individuels, une méconnaissance de la mobilité individuelle imposée par le marché du travail. Lecture Jeune - mars 2011 Quelques publications d’Olivier Galland Ouvrages • Les Jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ?, Armand Colin, 2009. • Les Etudiants en France. Histoire et sociologie d’une nouvelle jeunesse, Presses universitaires de Rennes, avec Louis Gruel et Guillaume Houzel (eds), 2009. Articles • « Une nouvelle adolescence », Note critique, Revue française de sociologie, 2008, 49-4, p. 819826, 2010. • « Nouvelles adolescences », Ethnologie française, 1, janvier 2010. • « Introduction : une nouvelle classe d’âge ? » Ethnologie française, 2010, janvier, p. 5-10. Sur Internet • « Adolescence, post-adolescence, jeunesse: retour sur quelques interprétations », Revue française de sociologie, 42, 2001. http://www.crest.fr/ckfinder/ userfiles/files/Pageperso/galland/galland_fichiers/ado_postado_vf.pdf • « Une nouvelle adolescence », Note critique, Revue française de sociologie, 49-4, 2008. http://www.crest.fr/ckfinder/ userfiles/files/Pageperso/galland/ galland_fichiers/NC%20Galland_ 2008.pdf 14 La lecture Le dossier « détraditionalisée» Claude Poissenot Claude Poissenot est maître de conférences en sociologie à l’IUT Nancy-Charlemagne (Université Nancy 2). Il enseigne notamment aux étudiants des filières Métiers du livre. Depuis son doctorat sur les jeunes et la bibliothèque municipale, il poursuit ses travaux sur les publics des bibliothèques, notamment à travers sa réflexion sur la « nouvelle bibliothèque : http://penserlanouvellebib.free.fr/ 1 Signe d’un trouble caractéristique de l’époque, le lien qui a longtemps été fait dans les discours entre la lecture et la littérature semble se défaire au point de rendre problématique toute confusion entre les deux. Synthèse Une façon de penser la lecture (ou la littérature1) consiste à faire prévaloir ses mérites. La lecture devient alors primordiale et constitue un corpus précieux (un « trésor ») qu’il s’agit d’aborder avec la déférence qui s’impose. Les textes forment un patrimoine que chaque nouvelle génération se doit de recevoir en héritage. En réalité, cette transmission ne s’opère pas de façon simple et automatique2. Les parents ne peuvent pas transmettre ce qu’ils ne détiennent pas. Et parmi les enfants qui pourraient hériter, faut-il encore que ce patrimoine fasse sens à une époque où leur autonomie de goûts prévaut. Parce qu’elle perd de son influence, la tradition ne suffit plus à fournir la signification à la lecture. La « détraditionalisation3 » ébranle en profondeur nos sociétés4. Face à l’injonction d’« être soi-même », nos contemporains, et encore plus les jeunes qui sont à un âge qui leur impose de se construire comme autonomes, ne peuvent compter sur l’héritage automatique d’une « tradition ». Ils doivent bricoler leurs significations en sélectionnant des valeurs et des récits de soi qui font (ou non) une place à des fragments de traditions. Dans ce contexte, l’image sociale de la littérature se trouve dégradée, ce qui fragilise son passage d’une génération à la suivante5. Par ailleurs, l’audiovisuel qui se développe sur de multiples écrans influence l’imaginaire des jeunes. Le basculement des univers fictionnels, de l’écrit vers l’image, opère une profonde mutation dans la manière dont nos contemporains « s’évadent » et génère une « culture jeune6 ». Cet environnement ne saurait laisser intact les pratiques de lecture et plus généralement le rapport des jeunes adultes à cette activité. L’évolution de la lecture au cours de l’adolescence, puis chez les jeunes adultes en témoigne, comme la nature de leurs pratiques à cet âge. 2 F. de Singly l’avait bien montré dans « Savoir hériter : la transmission du goût de la lecture chez les étudiants », E. Fraisse (dir.), Les Etudiants et la lecture, Paris, PUF, 1993, pp. 49-71. 3 À ce sujet, voir l’article de Sylvie Octobre, « Nouvelles cultures et institutions de transmission », Lecture Jeune, n° 133, Culture numérique, nouveaux espaces d’expression et de création adolescentes, mars 2010. L’évolution de la lecture à l’adolescence Quand ils quittent l’adolescence pour devenir de jeunes adultes (nous situerons ce passage autour de 18 ans), les jeunes ont déjà un parcours de lecteurs. Dans le cadre scolaire et familial, ils ont été confrontés à cette pratique. On peut donc reconstituer l’évolution qu’elle a connue lors de la période de l’enfance et de la préadolescence. L’enquête sur les 6-14 ans7 dévoilait une évolution contrastée de la lecture entre l’entrée à l’école primaire et la fin du collège. Au primaire, sa pratique quotidienne est bien installée puisqu’elle concerne presque la moitié des enfants entre le CP et le CM2. L’entrée au collège se Lecture Jeune - mars 2011 15 traduit par un premier repli de la lecture qui s’accentue nettement en 4e et en 3e (ils ne sont plus que 35 % et 28 %). L’activité s’efface des pratiques personnelles. Entre le CM2 et la 3e, elle perd 8 places dans la hiérarchie des passe-temps cités par les jeunes. Cette évolution correspond à une montée en puissance de la sociabilité juvénile (qui gagne 4 places) mais aussi de la musique (+12). Elle ne saurait être réduite à une extinction de la lecture puisque progresse aussi le passetemps de l’informatique, ordinateur et Internet (+5). L’imposante et récente enquête8 sur les 11-17 ans offre la possibilité de saisir l’évolution de la lecture au cours de l’ensemble de la scolarité secondaire. On repère immédiatement que la baisse de la lecture de livres à la fin du collège se poursuit au lycée. Si 14,5 % des jeunes de 11 ans affirment ne jamais lire ou presque de livre, ils sont 46,5 % parmi ceux de 17 ans. La bande dessinée n’échappe pas à ce recul puisque les non lecteurs passent de 20 % à 60 %. La lecture de magazines résiste mieux : la proportion de non lecteurs reste quasiment stable. À un peu plus de dix ans d’intervalle, le constat dressé par C. Baudelot, M. Cartier et C. Détrez9 selon lequel la poursuite de la scolarité secondaire se traduit par un investissement plus faible dans la lecture de livres est confirmé. La fréquentation des bibliothèques suit une évolution comparable puisque s’ils étaient 44,5 % à 11 ans à avoir franchi les portes d’une bibliothèque dans l’année, ils ne sont plus que 21 % à 17 ans. En réalité, les adolescents délaissent le support papier pour les écrans où ils développent probablement d’autres modalités de lecture. L’usage quotidien d’un ordinateur passe de 14,5 % chez les jeunes de 11 ans à 69 % à 17 ans (26 % à 13 ans et 57 % à 15 ans). C’est à la fin du collège, au moment où la lecture de livres se replie fortement que se déploient les usages des ordinateurs. Cet outil est davantage sollicité car il permet de multiples utilisations. Le nombre moyen d’usages déclarés passe de 2,6 à 11 ans à 4,6 à 15 ans et 4,9 à 17 ans. L’ordinateur qu’on allumait surtout pour les jeux vidéo, sert de plus en plus à communiquer (messagerie, chat, forum) à télécharger de la musique ou des films, à créer (textes, dessins ou photos), mais aussi à faire des recherches documentaires. Une enquête10 montre que, chez les 12-18 ans, Internet surpasse les autres médias (télévision, radio, magazines) lorsqu’il s’agissait de « choisir leurs sorties ou loisirs » mais aussi pour les « rapprocher de ceux qui leur ressemblent », ainsi que « pour l’école ». Cet outil s’impose pour satisfaire des dimensions variées de l’identité juvénile. Internet se présente ainsi comme une pratique culturelle qui séduit les adolescents par sa faculté à s’adapter à la diversité des dimensions identitaires (scolaire, amicale et personnelle), qui composent leur personne. La lecture « papier » enregistre un repli quand on compare les jeunes de 11 ans à ceux de 17 ans, mais le suivi des mêmes individus entre les deux âges conduit à la même conclusion. L’enquête (L’Enfance des loisirs) ne repère aucune évolution à la hausse de la lecture de livres ou de bandes dessinées et au contraire, plus d’1/4 des jeunes de 11 ans ont suivi une trajectoire en baisse. La lecture de magazines connaît des fluctuations variées sur une tendance globale stable. Lecture Jeune - mars 2011 4 Sur cette notion et plus largement sur l’analyse sociologique de l’individu, voir X. Molénat, L’Individu contemporain, Auxerre, Sciences Humaines Editions, 2006. On peut aussi se reporter à la synthèse de C. Le Bart, L’Individualisation, Paris, Sciences Po, Les Presses, 2009. 5 On trouve des développements de ces idées dans M.-C. Blais, M. Gauchet, D. Ottavi, Conditions de l’éducation, Paris, Stock, 2008. 6 Pour aller plus loin sur la question des « cultures adolescentes », nous vous invitons à relire l’article de Christine Détrez, « Portraits d’adolescents : typologies de rapports aux pratiques culturelles », Lecture Jeune, n° 125, Cultures adolescentes, mars 2008. 7 S. Octobre, Les Loisirs culturels des 6-14 ans, Paris, La Documentation française, 2004. 8 S. Octobre, C. Détrez, P. Mercklé, N. Berthomier, L’Enfance des loisirs, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris, 2010. 9 Et pourtant ils lisent..., Paris, Le Seuil, 1999. 10 J.-F. Barbier-Bouvet, « Les rapports des adolescents avec la presse magazine », Parcours en bibliothèques : des adonaissants aux jeunes adultes, Congrès ABF, Reims, juin 2008. 16 La lecture « détraditionalisée » Il reste que si les ados réduisent la lecture de livres et de bandes dessinées, ceux qui maintiennent cette activité y demeurent autant attachés à 17 qu’à 11 ans (41,5 % contre 44 %). À l’inverse, la lecture de magazines qui se maintient mieux connaît un reflux de l’investissement affectif dans la pratique (18,5 % déclarent qu’elle leur manquerait beaucoup s’ils en étaient privés à 17 ans contre 31 % à 11 ans). Cette forme de lecture paraît davantage inscrite dans les pratiques banales alors que la lecture de livres ou de bandes dessinées s’accompagne d’un engagement que seule une minorité de jeunes parvient à conserver en avançant dans l’âge. Évolution de la lecture des jeunes adultes 11 Résultats accessibles sur le site : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr 12 Nous utilisons ici les résultats d’une enquête Livres-Hebdo/IPSOS réalisée en septembre 2009. Après le temps des études secondaires, comment évolue la lecture chez les jeunes adultes ? Si on analyse l’évolution par âge, l’enquête Pratiques culturelles des Français11 signale une légère érosion entre les 15-19 ans et les 25-34 ans. Les non-lecteurs de livres passent de 22 % à 28 % mais la proportion de personnes déclarant lire peu ou pas reste stable à 55 %. La baisse paraît plus nette s’agissant de la lecture de bandes dessinées puisque la proportion de nonlecteurs passe de 43 % à 60 %. Comme dans la période antérieure, la lecture de magazines résiste bien puisque 48 % des 25-34 ans déclarent en lire régulièrement (ils étaient 52 % avant 25 ans). Mais si la période de l’adolescence tend à être homogénéisée par le cadre scolaire, les jeunes adultes (ici entendus comme les 18-30 ans 12) voient au contraire leurs trajectoires se diversifier. Certains poursuivent leurs études (24 %) alors que d’autres entrent sur le marché du travail et sont célibataires (14 %), certains se mettent en couple (21 %) et d’autres entrent dans la parentalité (28 %). En quoi ces différents statuts influencent-ils les pratiques de lecture ? Les jeunes qui sont encore étudiants conservent une relation plus soutenue avec la lecture que tous les autres : 95 % déclarent au moins un genre de livre lu contre environ 3/4 chez les autres. Ce résultat tient d’abord au fait que les étudiants se distinguent d’une partie des autres jeunes adultes par une plus grande proximité avec la lecture, encore d’actualité, du fait du contexte universitaire qui est le leur. A contrario, la découverte du monde du travail, la mise en couple comme l’entrée dans la parentalité conduit à un recul de la lecture de livres. C’est la vie en couple sans enfant qui s’accompagne d’une pratique la moins fréquente : le nombre moyen de livres lus (y compris les bandes dessinées) est de 10 pour les jeunes en couple sans enfant contre 17 chez les jeunes célibataires actifs et de 12 chez les jeunes parents. La reformulation identitaire des conjoints dans le cadre du processus de conjugalisation (c’està-dire par lequel les conjoints construisent leur appartenance au couple et ajustent leurs comportements respectifs) se traduit par un retrait de cette pratique personnelle. Elle peut se trouver remplacée par d’autres pratiques culturelles (télévision, sorties, etc.). Ils sont ainsi moins nombreux que tous les autres à déclarer lire le soir ou le week-end c’est-à-dire à des moments de socialisation conjugale. Lecture Jeune - mars 2011 17 Les jeunes adultes et la lecture Globalement, la lecture prend une place secondaire dans les loisirs des 18-30 ans. Seuls 6 % en font leur activité préférée et seul un quart disent qu’ils ne pourraient pas s’en passer. Activité longtemps à part dans la galaxie des loisirs, elle s’est banalisée : 2/3 des jeunes adultes estiment que « le livre est un produit de consommation comme un autre ». Si 43 % déclarent avoir lu des livres pratiques, 38 % des bandes dessinées, 35 % des romans policiers ou d’espionnages, 34 % des romans de SF, fantastique ou heroic-fantasy, ils ne sont plus que 22 % à dire avoir lu des œuvres de la littérature française ou étrangère13. Il reste des traces de leurs pratiques souvent scolaires, celles que les générations passées leur laissent en héritage. Mais d’autres lectures ont pris une place autrement plus importante. Et l’écart est encore plus net quand on observe non plus les pratiques mais les préférences. Si c’est presque un tiers qui met en avant les romans de Science-Fiction, fantastique ou heroic-fantasy mais aussi les romans policiers ou d’espionnages ainsi que les livres pratiques, il ne s’en trouve plus que 13 % pour élire les classiques comme s’ils étaient trop chargés d’un passé scolaire dont il s’agirait de s’émanciper. La lecture reformulée Les jeunes adultes élaborent leur relation à la lecture au fil de leur adolescence. Leur pratique continue d’évoluer avec leur entrée progressive dans l’âge adulte. Mais les enquêtes convergent vers le constat d’une pratique reformulée. La lecture semble bien soumise à la volonté des jeunes (« la lecture si je veux » pourrait-on dire !). Elle s’incarne désormais davantage sur des écrans. A ce jour, aucune enquête ne présente en détails les différentes pratiques de lecture des adolescents et des jeunes adultes sur écran : lisent-ils des romans ? Des articles de magazine ou sur Wikipédia, des blogs ? Se contententils de lire (et d’écrire) des mails, de publier des commentaires sur les forums ? Les jeunes adultes reformulent donc largement la lecture par son support, mais pour ce qui est de la lecture traditionnelle, force est de constater la place modeste occupée par ce qui relève de l’héritage des générations antérieures au profit de formes plus « populaires » (romans policiers, Science-Fiction, fantasy, etc.) et en phase avec des interrogations qui leur sont propres14. L’offre éditoriale tient compte de cette évolution par la mise en avant de jeunes héros devant surmonter des épreuves dans des univers imaginaires, mais aussi par une plus grande proximité avec l’univers des images que ce soit dans le graphisme des couvertures ou dans l’articulation avec l’actualité cinématographique ou télévisuelle. Reste que le désarroi des prescripteurs face à ces évolutions de la lecture ne se ressent pas sur le marché éditorial, en surproduction, face à une jeunesse qui délaisse la lecture… Reste aussi les succès des littératures dites de l’imaginaire, au détriment d’une production littéraire diversifiée. Serait-ce la mort du « don des morts15 » ? La lecture détraditionalisée… Lecture Jeune - mars 2011 13 La catégorie utilisée dans cette enquête est un peu floue car on ne sait pas s’il s’agit uniquement de littérature contemporaine. Par ailleurs, cette catégorie sous-entend que la littérature française et étrangère, sont des genres à part entière alors qu’il n’en est rien. 14 C’est une des interprétations du succès des « séries » et des « cycles » dans l’offre romanesque pour les jeunes selon Anne Besson (« Ensembles romanesques et genres populaires : proposition de formalisation », Revue des livres pour enfants, n° 256, décembre 2010, pp. 99-106. 15 En référence à l’essai de Danièle Sallenave, Le Don des morts (1991), Gallimard. Quelques publications de Claude Poissenot • « Faire littérature : aux lecteurs absents », Lecture Jeune n° 128, « Des romans violents », décembre 2008. • « L’effet bibliothèque. Caractéristiques et fréquentation des bibliothèques publiques », in Argus, vol. 36, n° 1, Printemps-été 2007. http://archivesic.ccsd.cnrs. fr/sic_00172648/fr/ • « Composantes de l’identité juvénile et usages des BM et des CDI » in 54e congrès de l’Association des Bibliothécaires Français, Reims, 12 juin 2008. http://www.abf.asso.fr/fichiers/ media/IMG/pdf/poissenot.pdf. • Voir aussi les articles sur le blog de Livreshebdo.fr : http://www.livreshebdo.fr/weblog/ claude-poissenot/23.aspx Les collections « jeunes adultes » : 18 Le dossier Sandra Painbéni est consultante et enseignantchercheur en marketing de la culture à l’ESC La Rochelle. Elle est l’auteur d’une thèse sur le rôle de la prescription littéraire dans le processus de décision d’achat de romans. 1 Le Livre d e Po che Jeunesse propose également une "souscollection" estampillée "Jeunes adultes", depuis janvier 2011. » 2 À ce sujet, voir le site de la Fnac.com qui propose désormais une sélection estampillée « ados et young adults www.fnac.com. 3 Christine Baker (« Scripto », Gallimard Jeunesse), Tibo Bérard (« eXprim’ », éditions Sarbacane), Natacha Derevitsky (« Pocket Jeunes adultes », Pocket Jeunesse), Sylvie Gracia (« DoAdo », Le Rouergue), Bénédicte Lombardo (« Territoires », Fleuve Noir), Thierry Magnier (« Babel J », Actes Sud). 4 La loi Haby est une loi française du 11 juillet 1975. Elle prévoit notamment la mise en(lplace d’un « Collège pour tous » (le « secondaire ») en continuité de l’« École pour tous » e « primaire »). C’est la raison pour laquelle on parle dès lors de « collège unique ». Cette loi poursuit le processus de démocratisation un véritable segment de marché, et non une fantaisie d’éditeurs Sandra Painbéni Etude Dans le secteur de l’édition littéraire en France, on observe depuis une dizaine d’années la création de collections se situant à la frontière entre adolescents et adultes. Ces romans dits cross-age, crossover ou « passerelle » s’adresseraient en priorité aux adolescents et « jeunes adultes », sans toutefois le mentionner sur la couverture et réduire les lecteurs potentiels à une tranche d’âge. Ce mouvement initié par la collection « DoAdo » (1998) semble s’accélérer ces dernières années avec des collections comme « eXprim’ » chez Sarbacane (2006), « Black Moon » chez Hachette Jeunesse (2008) ou encore le lancement de « Territoires » aux éditions du Fleuve Noir (avril 2011)1. Cette offre éditoriale s’avère plus récente et plus floue en France qu’aux États-Unis où la littérature young adults a un rayon dédié en librairie2. Néanmoins, on compte déjà de nombreux succès commerciaux à commencer par la série Harry Potter de J.K. Rowling (Gallimard Jeunesse) et, plus récemment, Twilight de Stephenie Meyer (Hachette Jeunesse) ou Hunger Games de Suzanne Collins (Pocket Jeunesse) qui ont su séduire les adolescents comme les plus grands. Ces collections comprennent des premières éditions, souvent en grands formats et des collections de poche, rééditant des succès de la littérature générale et/ou de la littérature jeunesse. Visentelles à élargir le lectorat et à prendre en compte ces jeunes adultes ou s’agit-il de séduire les adolescents en leur donnant l’illusion que l’on s’adresse à eux comme à des adultes ? Comment les textes sont-ils choisis ? Y a-t-il des stratégies éditoriales adaptées aux jeunes adultes ? Comment communique-t-on sur ces collections ? Qui en sont les lecteurs ? Finalement, est-ce un véritable segment de marché ou une offre existante, « marketée » différemment ? Afin de répondre à ces questions, des entretiens semi-directifs ont été menés avec un échantillon d’éditeurs de ces collections3. Voici les enseignements que nous pouvons en tirer. Des collections « jeunes adultes » pour combler un manque sur le marché français Les éditeurs des collections jeunes adultes visent un objectif commun : combler un manque sur le marché éditorial français. Dans les années 1980, la massification scolaire (collège unique 4) fait émerger l’adolescence comme une classe d’âge spécifique. Les éditeurs décident d’adopter une stratégie de niche et de développer une offre éditoriale pour cette jeunesse scolarisée, différente des collections jeunesse existant depuis l’après-guerre. L’Ecole des Loisirs lance « Médium » en 1983 et Gallimard Jeunesse « Page Blanche » en 1987. Auparavant, « le lecteur passait presque directement de la Comtesse de Ségur et d’Enid Blyton à Mauriac ou Camus, qu’il ne comprenait pas forcément », rappelle de l’enseignement, initié par les lois votées sous Jules Ferry dans les années 1880. Lecture Jeune - mars 2011 s»: 19 Christine Baker, directrice éditoriale de Gallimard Jeunesse. « Page Blanche » a permis de publier des histoires plus complexes que celles présentes dans la collection « Folio Junior » et d’élargir le lectorat aux plus grands des adolescents. « Page Blanche » a disparu pour laisser place à « Scripto » et aux titres hors séries en grands formats en 2002, afin d’être plus en phase avec ce public. D’autres éditeurs suivront alors le mouvement5. Les éditions du Rouergue ont lancé, en 1998, une collection dédiée aux 13 ans et plus, « DoAdo », alors que cette maison publiait exclusivement des albums. Cité nique-le-ciel de Guillaume Guéraud a donné le ton d’une littérature jeunesse sans concession, moins affiliée au monde scolaire6. La collection « eXprim’ » vise un public un peu plus âgé (à partir de 14-15 ans) puisque son éditeur, Tibo Bérard, l’a voulue « ancrée dans le réel, musicale, urbaine mais inscrite dans une vraie fiction » pour se démarquer d’une « littérature plus sobre » et déclencher un choc de lecture comme il l’a vécu lui-même en lisant l’œuvre de James Ellroy. Mais il s’adresse avant tout à « une jeunesse d’esprit ». Dans l’ensemble, ces éditeurs s’affranchissent de la tranche d’âge sociologique des « 1825 ans » et c’est à la lecture du manuscrit qu’ils savent d’emblée s’ils répondent aux attentes de leur lectorat. Des textes « coups de cœur » Les éditeurs l’affirment, la publication d’un texte dans une collection « jeunes adultes » fait nécessairement suite à un coup de cœur littéraire : des œuvres que les éditeurs estiment importantes pour ce lectorat, car elles abordent ses préoccupations quotidiennes (relations amoureuses, rapports avec les parents, etc.) via des romans dits « miroirs » et/ou des questions contemporaines auxquelles les jeunes sont sensibles (environnement, télé-réalité, etc.). « eXprim’ » se positionne sur les romans de culture urbaine. La collection « DoAdo », quant à elle, aborde ces questions sous un angle souvent social (le monde rural, la scolarité…), voire militant, alors que « Scripto » a une visée pédagogique : aider les jeunes à comprendre leurs transformations et les évolutions de la société à travers des histoires sentimentales ou fantastiques, écrites par des auteurs français ou étrangers. En effet, une autre caractéristique des collections jeunes adultes est l’avènement des littératures dites « de l’imaginaire » pour la plupart anglophones et produites en série. Depuis Harry Potter, on compte de nombreux succès comme Uglies de Scott Westerfeld (2007, Pocket Jeunesse). Dernièrement, Twilight a fait des émules et de nouvelles collections renouvellent le genre du fantastique, de « Black Moon » chez Hachette Jeunesse, à « Darkiss » aux éditions Harlequin ou encore « Castelmore » chez Bragelonne. Dans la même maison que Pocket Jeunesse (Editis), la nouvelle collection « Territoires » regroupe quatre univers : SF-Fantasy, Fantastique, Bit-lit7, Thriller. Les collections appartenant à des grands groupes d’édition ont la possibilité d’acheter des manuscrits aux enchères8 comme Pocket, Hachette ou encore Gallimard Jeunesse. L’achat de ces textes, principalement anglo-saxons, ne constitue pas pour autant un gage de succès car les droits sont de plus en plus acquis avant la publication à l’étranger et un éventuel succès hors des frontières ne se répète pas toujours sur le marché français9. Lecture Jeune - mars 2011 5 Le phénomène Harry Potter (le 1er tome de la série a été publié en 1998 aux éditions Gallimard Jeunesse) a engendré des bouleversements notables dans le monde de l’édition jeunesse, amorçant l’idée d’une littérature cross-age, avec un personnage qui a grandi avec son lectorat. Suite à ce succès, les collections pour ados et jeunes adultes n’ont cessé de fleurir en France. 6 La collection « DoAdo » sera la première à s’affranchir de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. « La loi [de 1949] est imparfaite mais sûrement nécessaire et rien n’empêche les éditeurs qui pensent qu’on peut s’adresser à des ados comme à des adultes de s’affranchir de cette loi en ne s’y référant pas. C’est ce que font déjà les éditions Sarbacane pour la collection « eXprim’ » et les éditions du Rouergue pour la collection « DoAdo ». Aucune référence à la loi de 1949 n’est mentionnée dans leurs ouvrages, ce qui dit bien que le public visé n’est pas l’enfant (petit ou grand et donc pas l’adolescent) mais ceux qu’on peut nommer les jeunes adultes. », Claude André, « Que faire de la loi de 1949 ? » sur le blog de Citrouille, l’Association des Librairies spécialisées en jeunesse, 28 janvier 2008, http://lsj.hautetfort.com 7 « Littérature mordante pour les jeunes filles », soit un sous-genre de la Fantasy urbaine inventé en France et correspondant à la paranormal romance aux États-Unis. 8 En 2006, 16,5 % des 7000 nouveautés jeunesse étaient des traductions – contre 19,5 % en 2005 –, dont 70 % de l’anglais, Livres Hebdo, n° 682, 23 mars 2007. 9 Il ne faut cependant pas oublier d’évoquer le succès des séries d’auteurs francophones comme Pierre Bottero (L’Autre, La Quête d’Ewilan, Le Pacte des Marchombres…) ou encore Anne Robillard (Les Chevaliers d’Emeraude). Ndlr. 20 Les collections « jeunes adultes » : un véritable segment de marché, et non une fantaisie d’éditeurs 10 Par exemple, Les Cœurs fêlés de Gayle Forman, publié initialement aux éditions XO, la série Uglies de Scott Westerfeld, L’Armée des ombres de Joseph Kessel, L’Attrape-cœurs de J.D. Salinger… 11 Loi n°49-956 du 16 juillet 1949 : les publications destinées à la jeunesse « ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ou sexistes. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse ». 12 « La littérature jeunesse ne se cantonne plus à une offre littéraire "classique". Elle propose maintenant des titres grand public, mainstream, et il me semble que c’est une tendance globale du marché. Les auteurs se sont emparés des catégories de fiction adulte qui séduisent les adolescents et les ont intégrées à leur propre univers fictionnel, sans que ce soit une démarche marketing ou un travail de commande de la part des éditeurs. » Anne Coquet, « Darkiss », la collection pour "ados" des éditions Harlequin », Lecture Jeune n°136, décembre 2010. Certaines collections de poche puisent dans leur fonds éditorial les titres qui seront à même de séduire des « jeunes adultes ». L’objectif est d’élargir la cible des lecteurs potentiels. Avec un graphisme de couverture ciblant ce public, la plupart des titres parus chez « Babel J » font partie du catalogue d’Actes Sud. « Pocket Jeunes adultes » accueille elle aussi des succès de la littérature générale et des collections jeunesse, qu’il s’agisse de best-sellers ou de romans classiques10. Il en est de même pour la collection de poche « Pôle Fiction » de Gallimard Jeunesse, qui reprend des titres édités par « Scripto » ou des hors séries. Quelles que soient les modalités d’acquisition, un manuscrit est accepté à condition qu’il soit cohérent avec la maturité supposée de ces lecteurs et avec l’univers propre à chaque collection. Les particularités des romans « jeunes adultes » Les entretiens avec les éditeurs de romans jeunes adultes révèlent cependant des particularités au niveau du contenu. Certains reconnaissent se fixer des interdits et se différencier en cela de la littérature pour adultes, par responsabilité morale vis-à-vis des jeunes. Natacha Derevitsky, directrice de Pocket Jeunesse, tout comme Christine Baker (Gallimard Jeunesse) considèrent qu’il y a des évidences et refuseraient d’éditer tout texte prônant le racisme, le militantisme, la perversité ou toute autre forme d’instrumentalisation. D’autres, à l’instar de Thierry Magnier (« Babel J »), dénoncent l’hypocrisie de la loi de 194911 : « si nous, éditeurs, décidons qu’un bouquin est bon pour les adolescents, ce n’est pas de la provocation. Et puis un bouquin ne peut pas être dangereux. On peut l’arrêter quand on veut ». Pourtant, Je reviens de mourir d’Antoine Dole (« eXprim’ ») a suscité ce type de polémiques dans la presse en 2008 : un roman pervertissant les femmes et ouvrant l’horizon du suicide, qui n’a donc pas sa place au rayon jeunesse, ce à quoi l’éditeur a répondu que ses livres étaient pour tous les publics. Au sein des maisons d’édition, aucune ambiguïté n’apparaît entre littérature jeunesse versus générale. Dès la lecture, chaque roman est associé à l’une ou l’autre catégorie en fonction de son degré de complexité et du style employé, puis publié dans la collection la plus adaptée. Si aucune n’apparaît adéquate, une nouvelle collection peut être créée, comme « Territoires ». Les titres à paraître seront plus adultes dans les thématiques (notamment l’entrée dans la vie active, la sexualité) et l’âge des personnages que chez Pocket Jeunesse, mais leur univers sera plus accessible qu’au Fleuve Noir car il abordera l’imaginaire sous toutes ses formes alors que les titres du Fleuve sont axés « SF-Fantasy » et répondent ainsi à « des codes très précis », selon Bénédicte Lombardo, responsable de cette nouvelle collection. La collection « Darkiss » aux éditions Harlequin est née elle aussi de ce même constat : les auteurs proposent des romans qui intègrent des qualités à même de séduire le public jeunes adultes12. Certains éditeurs (Tibo Bérard et Natacha Derevitsky) soulignent également l’importance du page turner dans les romans destinés aux jeunes adultes, c’est-à-dire raconter des histoires assez captivantes pour tenir le lecteur en haleine et lui donner envie de poursuivre sa lecture jusqu’à son terme. Le langage employé dans la littérature pour jeunes adultes revêt également des spécificités. Les références à la culture anglosaxonne sont nombreuses : les titres des collections « Black Moon », « Castelmore », « Darkiss » jouent sur les sonorités anglaises. Certains Lecture Jeune - mars 2011 21 titres eux aussi sont en anglais comme Web-Dreamer d’Anne Mulpas (« eXprim’ ») ou Hunger Games (Pocket Jeunesse), car plus parlants pour le lectorat ; ou dans un français parfois familier (notamment Barjo de Michaël Coleman, « DoAdo Noir » ; 15 ans. Charmante mais cinglée de Sue Limb, « Scripto »), pour la même raison. Bénédicte Lombardo a choisi le titre Un blog trop mortel pour le roman de Madeleine Roux (« Territoires »), en écoutant des stagiaires de la maison répéter devant leur écran : « Ah, ce blog il est trop mortel ! ». Les textes comportent aussi parfois de l’argot ou du verlan et de nombreuses références culturelles partagées par les jeunes adultes. Ainsi, la collection « eXprim’ » propose une bande-son au début de chacun de ses romans. L’emploi d’un tel langage fait souvent l’objet de critiques de la part des journalistes, considérant que les éditeurs ont une logique de séduction pour attirer les jeunes. Tibo Bérard chez « eXprim’ » assume « le fait d’agripper les jeunes » et aime bien « leur proposer des univers qui leur ressemblent pour qu’ils découvrent des textes qu’ils ne connaissent pas, mais qui devraient vraiment les fasciner ». Par conséquent, les références culturelles (noms propres et marques cités dans les romans) sont un moyen d’attirer ce public et non utilisées à des fins de communication marketing du type name-dropping ou placement de produits (et/ou de marques). Cette démarche relève du teasing, dans le but de sensibiliser le lecteur en amont. La communication n’est donc pas dans le roman, mais autour du roman car, comme le rappelle Laurence Santantonios, « un livre qui existe quelque part, sans que personne ne le sache, est un livre mort »13. Une communication multi-supports, mais de plus en plus axée sur les médias sociaux pour atteindre les « jeunes adultes » L’ampleur de la communication sur les romans jeunes adultes varie selon le budget des collections. Celles des maisons de grande taille (Pocket Jeunesse, Hachette Jeunesse, « Territoires » et dans une moindre mesure, « Scripto » chez Gallimard Jeunesse) ont un budget communication et marketing élevé, des services dédiés et au moins une attachée de presse, ce qui facilite la mise en place de campagnes dans les médias traditionnels (principalement la presse écrite généraliste et spécialisée comme Phosphore ; l’affichage, spécifiquement pour les publications du groupe Éditis), les opérations commerciales dans les librairies (en particulier lors du lancement de nouveautés), les relais de prescription via les bibliothécaires et les enseignants. De surcroît, l’émergence des blogs et autres médias sociaux rend la communication sur Internet d’autant plus nécessaire pour ces éditeurs qu’ils ont un public « jeune adulte », fréquentant assidûment la Toile. Il n’est donc pas rare qu’un webmaster ou community manager gère la présence de ces collections sur les sites et les médias sociaux. Les éditeurs de plus petite taille (« DoAdo », « eXprim’ ») communiquent avec des moyens limités14. C’est d’autant plus difficile quand « on est réputé pour publier des livres pas forcément faciles à vendre », explique Sylvie Gracia, éditrice de « DoAdo » au Rouergue « et que l’on n’a pas les moyens de certains éditeurs qui font du forcing auprès de l’Education nationale ». Certes, les romans ne sont pas toujours adaptés au programme scolaire Lecture Jeune - mars 2011 13 Santantonios L. (2005), in Lardellier P. et Merlot M. (coll.) (2007), Demain, le livre, Paris, L’Harmattan, p. 43. 14 À l’exception de « Babel J », qui ne communique plus sur ses titres et ne prévoit pas de nouveautés car la politique actuelle d’Actes Sud vise à accorder la priorité à d’autres projets éditoriaux. 22 Les collections « jeunes adultes » : un véritable segment de marché, et non une fantaisie d’éditeurs 15 En particulier Le Figaro, Le Monde et Télérama qui s’intéressent aux publications de cette collection et chroniquent en moyenne un à deux livres par an. Une salariée du Rouergue a pour mission d’entretenir des liens étroits avec ces deux catégories de prescripteurs. 16 En cours de modernisation jusqu’au printemps 2011. 17 Le Garçon qui volait des avions, Elise Fontenaille. et les bibliothécaires jouent un rôle prépondérant dans la promotion de l’édition jeunesse. Mais elle déplore un manque de curiosité chez certains enseignants vis-à-vis des nouveautés. C’est pourquoi « DoAdo » mise avant tout sur la prescription des bibliothécaires, puis sur celle de la presse15. « eXprim’ » bénéficie également du réseau des bibliothèques, mais d’une plus forte présence dans les lycées (les auteurs étant régulièrement invités pour des lectures), d’une plus grande visibilité dans la presse (généraliste et spécialisée), ainsi qu’en librairie. Malgré ces disparités, tous les éditeurs regrettent l’absence d’émissions télévisées consacrées à la littérature jeunesse, subissent le recul de la presse généraliste (diminution du nombre de pages littéraires et de journalistes spécialisés en jeunesse) et la baisse de fréquentation des librairies. Ils recherchent donc un contact direct avec leur lectorat, d’où l’utilisation des médias sociaux. Gallimard Jeunesse a ouvert un blog16 (http://onlitplusfort.com/) et une page Facebook associée « On lit plus fort/Gallimard Jeunesse ». Parmi les autres éditeurs interrogés, certains ont une page Facebook pour leur collection (« Pocket Jeunesse », « eXprim’ » chez Sarbacane) et/ou certains titres. C’est notamment de cette façon que « DoAdo » a prévu de faire son entrée sur ce média à l’occasion d’une prochaine publication17. « eXprim’ » a particulièrement innové en diffusant des lectures et des bandes-annonces de romans sur les sites Dailymotion ou Youtube. Elle a aussi proposé à des fans rencontrés dans les salons de parler librement des romans sur leur blog ou profil Facebook et de participer à des opérations ponctuelles de street marketing (c’est-à-dire la distribution de flyers à la sortie des cinémas et des lycées) pour le lancement de nouveautés. Ces nouveaux prescripteurs littéraires sont notamment à l’origine du bouche-à-oreille positif de La Mort, j’adore ! d’Alexis Brocas (vendu à près de 5 000 exemplaires) et contribuent, plus globalement, à accroître le lectorat. Un lectorat mixte à partir de l’adolescence et sans limite d’âge Seules les « grandes » maisons ont les moyens de réaliser des études de marché pour connaître précisément leur lectorat. Les « petits » éditeurs en ont une connaissance empirique qu’ils estiment suffisante via les libraires et les rencontres dans les festivals, salons, lycées. Ces collections sont lues dès l’adolescence (à partir de 13-15 ans) et sans limite d’âge car beaucoup d’adultes, jeunes et moins jeunes, les choisissent par intérêt personnel pour les thématiques traitées ou les séries paranormales. Les parents y voient aussi un moyen de mieux comprendre leurs ados. Le cœur de cible regroupe les adolescents et les jeunes adultes, mais les éditeurs refusent de mentionner un âge sur les romans sachant qu’il fluctue selon la maturité et les attentes du lecteur. Par ailleurs, ces collections attirent un public mixte quoique majoritairement féminin, les filles étant historiquement plus lectrices que les garçons d’après les études statistiques sur les pratiques de lecture des Français. Quant à leurs goûts littéraires, « les filles sont toujours dans le sentimental et les garçons dans l’action. Si, en revanche, il y a de l’action et des sentiments, ça peut toucher les deux », constate Natacha Derevitsky (Pocket Jeunesse). En effet, Tibo Bérard a identifié « deux veines de la collection eXprim’ » : d’un côté, le polar hip-hop (comme Sarcelles-Dakar d’Insa Sané) attirant Lecture Jeune - mars 2011 23 plutôt les garçons à partir de 20 ans et, de l’autre, une « veine plus solaire » (dont La Fille du papillon d’Anne Mulpas) plaisant aux filles dès 16-17 ans, voire plus jeunes. Il n’y perçoit pas pour autant une dichotomie entre sexes. « Pôle fiction », première marque poche pour ados et jeunes adultes lancée par Gallimard Jeunesse en juin 2010, se décline en deux genres : « Filles », avec des séries comme Georgia Nicholson de Louise Rennison ; ou « Fantastique », qui réédite entre autres Le Combat d’hiver de JeanClaude Mourlevat. La littérature « jeunes adultes » : un véritable segment de marché Les entretiens menés auprès des éditeurs de collections jeunes adultes permettent de conclure à l’existence d’un segment de marché. Ce segment est né sous l’impulsion des auteurs car, historiquement, la plupart de ces collections ont été créées pour offrir un espace à des manuscrits jugés de qualité, mais inadaptés aux collections existantes. À côté de ces nouveautés, « Babel J », « Pocket Jeunes adultes » et « Pôle fiction » souhaitent donner une deuxième vie à des titres existants pour les faire découvrir à un public plus jeune. Parmi l’abondance de romans, il s’agit de rendre disponibles et visibles au sein d’une collection des œuvres dignes d’intérêt pour les jeunes adultes. C’est donc plus qu’une offre existante marketée différemment. Certes, ces livres sont relookés pour attirer un lectorat différent. Par exemple, la réédition de Sous le règne de Bone de Russel Banks (« Babel J ») montre en couverture « un Jamaïcain avec des dreadlocks et torse nu », indique Thierry Magnier. Mais selon lui « ce n’est pas un péché ». Il assume, comme la majorité des éditeurs, la part de marketing dans l’objet livre dès lors que la cohérence avec le contenu est maintenue. Ainsi, ces collections n’ont rien d’une « fantaisie » d’éditeurs. Elles répondent à une tendance du marché de l’édition jeunesse en France : une explosion des auteurs français et anglo-saxons qui s’adressent à un lectorat « jeunes adultes », de plus en plus de titres, divers prix littéraires et manifestations dont le Salon du livre de Montreuil. Le prochain Salon du Livre de Paris de mars 2011 met aussi à l’honneur les jeunes adultes avec la programmation thématique « Serial Lecteurs ». Ce mouvement positif pourrait être suivi plus massivement, d’après les éditeurs interviewés. La presse généraliste y prête surtout attention lors du Salon de Montreuil et un certain mépris persiste à l’égard de cette littérature, comme en témoignent les propos récents de François Busnel18 : « une invention marketing destinée à écouler une production souvent mièvre »19. En librairie, les rayons dédiés aux jeunes adultes se limitent à des initiatives individuelles. Selon leur taille et leur politique éditoriale, les romans jeunes adultes sont placés en jeunesse, en littérature générale ou dans les deux espaces20. Ce segment gagnerait à être mieux considéré par les médias et valorisé par les libraires afin d’éviter la situation d’hyperchoix en littérature générale, ce qui risquerait de produire une « best-sellerisation »21 de l’offre au détriment de la diversité. Gageons, comme Tibo Bérard, que « dans dix ans, les tables des librairies seront beaucoup plus mixées » ! Mais pour l’heure, a fortiori dans les grandes surfaces culturelles spécialisées comme la Fnac et Virgin, « elles sont surtout beiges et jaunes ». Lecture Jeune - mars 2011 18 Directeur de la rédaction du magazine Lire, rédacteur en chef du service livres de L’Express et animateur de l’émission littéraire « La Grande Librairie » sur France 5. 19 Busnel F. (2010), « Lisez jeunesse ! », L’Express-Lire, 24 novembre. 20 À ce sujet, voir Charonna C. (2010), « Jeunes adultes : une génération convoitée », Livres Hebdo, n°843, 26 novembre, pp. 18-19. 21 Ndlr : un éditeur comme Hachette Jeunesse assume exploiter au maximum la « best-sellerisation » du secteur et devancer les attentes des lecteurs. 24 Les collections « jeunes adultes » : un véritable segment de marché, et non une fantaisie d’éditeurs Publications et communications de Sandra Painbeni : • « Les prix littéraires français font-ils vendre des romans ? Le rôle prescripteur de ces labels d’après les professionnels de l’édition et les consommateurs », 11th International Conference on Arts and Cultural Management (AIMAC), Antwerp, Belgium, 3rd -6th July, (à paraître en 2011). • « La télévision fait-elle encore vendre des romans ? Le rôle prescripteur des programmes littéraires (ou culturels) post-”Apostrophes” », 15e Journées de Recherche en Marketing de Bourgogne Marketing des activités culturelles, du tourisme et des loisirs, novembre (2010). • « L’impact de la prescription littéraire dans le processus de décision d’achat d’un roman », 14e Journées de Recherche en Marketing de Bourgogne - Marketing des activités culturelles, du tourisme et des loisirs, novembre (2009). • « La publication du roman Les Bienveillantes de Jonathan Littell : un événement littéraire mondial », Cahiers de recherche de l’ESCE, avril, n° 12 (2009). • « “Chercher au cœur” d’Amazon », Futuribles, octobre, n° 323 (2006). • « Former au marketing et innover », Marketing Magazine, décembre, supplément n° 82 (2003). Nom de la collection « Médium » Année de création 1982 « DoAdo » 1998 « Romans » 1998 « Romans ados » 2000 « Scripto » et hors séries 2002 « Wiz » 2002 « Pocket Jeunes Adultes » (coll. poche) « Macadam » «15-20» «eXprim’» Publications hors séries chez Pocket Jeunesse « DoAdo noir » « Babel J » (coll. poche) Editeurs L'école des Loisirs éditions du Rouergue Editions Thierry Magnier Actes Sud Junior Gallimard Jeunesse Albin Michel Jeunesse 2003 Pocket Jeunesse 2004 2004 2006 Milan Jeunesse éditions Intervista éditions Sarbacane 2006 Pocket Jeunesse 2006 éditions du Rouergue 2006 (plus de parutions depuis 2009) « DoAdo Monde » 2007 « Black Moon » « Grands Formats » 2008 2009 « Bliss » 2009 « eXprim’ noir » 2009 « La Martinière J.Fiction » 2010 « Darkiss » « Castelmore » « Pôle Fiction » (coll. poche) « Territoires » 2010 2010 2010 2011 Actes Sud Junior éditions du Rouergue Hachette Jeunesse Thierry Magnier Albin Michel Jeunesse éditions Sarbacane éditions La Martinière Jeunesse éditions Harlequin Bragelonne Gallimard Jeunesse Fleuve Noir Ndlr : les principales collections ados et jeunes adultes en littérature jeunesse (en gras celles qui ne sont pas sous la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse). Les formats poches (rééditions de succès parus en grands formats en littérature générale et/ou en jeunesse) sont indiqués en couleur. Lecture Jeune - mars 2011 Les éditeurs jeunesse et les 25 réseaux sociaux : zoom sur 25 Le dossier Hachette et Gallimard Jeunesse Anne Clerc Les blogs et les réseaux sociaux, outils dont se sont emparés massivement les adolescents et les jeunes adultes, ont influencé les services marketing des maisons d’édition jeunesse. Les sociabilités littéraires s’étant largement développées sur Internet, les éditeurs doivent compter sur ces « e-prescripteurs » d’un nouveau genre : tout à la fois lecteurs et critiques, ils se constituent en communautés influentes. Pour revenir sur ces changements, nous avons interviewé Céline Dehaine et Antoinette Rouverand, respectivement responsables marketing jeunesse de Gallimard et d’Hachette. Le cas de Lecture Academy et d’Hachette Jeunesse Printemps 2008. Le tome 4 de la saga Twilight, Révélation, est annoncé pour le mois d’octobre1. Les blogueuses2 sont nombreuses à contacter Hachette Jeunesse pour en savoir plus sur cette parution et le phénomène prend suffisamment d’ampleur pour que l’éditeur accélère la mise en ligne de son site communautaire et participatif : Lecture Academy3. La plateforme n’a cessé d’évoluer pour répondre aux attentes des « internautes-lecteurs ». Outre un catalogue, il présente des « actus » sur les titres à paraître, des films, etc. Lecture Academy dispose également d’un forum (2009) où les adolescents peuvent échanger sur leurs lectures, mais pas seulement : 30 % du trafic est lié à la rubrique « Autres » où il est question de sujets plus personnels (les problèmes amoureux, l’amitié, etc.). Comme le souligne Antoinette Rouverand, « le site référence les livres mais nous voulions des fonctionnalités plus participatives, des commentaires de lecteurs. Nous avons mis en place des suggestions de lecture : « vous avez aimé (…), vous aimerez aussi ». Dans le même registre, les romans peuvent être sélectionnés à partir de critères qui peuvent sembler de prime abord subjectifs : « Dis-nous de quelle humeur tu es aujourd’hui » ; « Dis-nous en un peu plus sur toi… », etc. Le choix repose non seulement sur les caractéristiques habituelles (auteur, date de parution, collection, etc.) mais aussi sur ce qui définit l’adolescent. Fin 2010, le site a été relooké et un « chat » privé a été mis en place, dépassant largement le simple site d’éditeur. Lecture Academy s’adapte aux pratiques des adolescents pour qu’ils investissent le site et qu’ils soient fidèles 4. Dans les mois à venir, Antoinette Rouverand souhaite augmenter encore le trafic sur le site, en « recrutant un nouveau public, qui connaît moins la production et pour cela, communiquer sur les sites fréquentés par les jeunes : www.ados. fr, www.teemix.fr, www.melty.fr, etc. » Du site à la page Facebook… Il faut noter que le forum est investi par les plus jeunes des lecteurs (12-15 ans), un public essentiellement féminin. Le site propose des Lecture Jeune - mars 2011 Analyse 1 «Au début, nous ne saisissions pas tout ce qui se passait sur Internet. Puis nous avons reçu des réactions de lecteurs et repéré quelques blogs très nourris, avec de nombreux commentaires. Ils m’ont impressionnée, ils en savaient plus que nous! (…) Nous ne voulions pas être intrusifs, nous avons cherché une bloggeuse pour être notre ambassadrice aux USA, pour la sortie du tome 4. Via un concours, Noémie a été choisie. Son blog est étonnant, le nombre de visites sidérant! Elle est allée à New York, a rencontré Stephenie Meyer et a eu son livre à minuit. Le récit de son voyage a reçu plus de 50 000 visites! Son blog (http://fascination50.skyrock.com) est devenu le site officiel de Fascination, il est vivant, nourri, mieux qu’un site institutionnel qui aurait été une pâle «copie», et Skyrock l’a promu.», Antoinette Rouverand, «Le Succès de la série Twilight», Lecture Jeune n°128, décembre 2008. 2 Selon Antoinette Rouverand, « les jeunes adultes sont à l’origine du phénomène Twilight. En 2008, les blogueuses qui nous ont contactées avaient pour la plupart entre 20 et 25 ans » 3 www.lecture-academy.com. 40 000 visiteurs en 2008. Il faut noter que la collection « Black Moon » a été lancée la même année. 4 Sur le forum, « nanou11 », 19 ans, en parle en ces termes : « J’ai découvert le site au dos d’un livre, Black Moon, et je suis venue par curiosité. Au départ, j’ai apprécié les concours et les actualités, je n’osais pas aller sur le forum. J’aime beaucoup être au courant de ce qui se passe dans le monde des livres, même si cela concerne surtout Black Moon. Vous êtes ouverts à beaucoup de choses et par exemple ma plus belle surprise c’est quand vous avez parlé de Final Fantasy XIII, là je me suis dit : c’est décidé je pose mes bagages ici ». 26 Les éditeurs jeunesse et les réseaux sociaux : zoom sur Hachette et Gallimard Jeunesse 5 Cette présence a des répercussions sur la fréquentation du site Lecture Academy et génère 4 % du trafic. 6 Une vidéo « bande-annonce » d’un livre. sous-communautés : « Black Moon », « Fashonista » et « Aventures et Frissons ». Si la première est fortement fréquentée (plus de 15 000 membres), le deux autres ne comptent que 3 000 membres chacune. Cet échec relatif serait lié au refus des adolescents d’être « dans des cases » là où la collection « Black Moon » est moins segmentée et investie par les 15-25 ans. On retrouve ces jeunes adultes sur la page « Facebook5 » (7 598 personnes « aiment » « Black Moon ») où l’on peut en savoir plus sur les adaptations au cinéma, sélectionner des couvertures, visionner des trailers6, des entretiens filmés d’auteurs, etc. Les lecteurs peuvent même en savoir plus sur le travail des éditrices qui communiquent sur l’avancement de leurs projets : « Et voilà ! Le guide officiel illustré de la saga Twilight est fini, il ne reste plus qu’à faire valider la couverture et tout sera prêt. Sans transition, Isabel V. s’attaque à l’intégration des dernières corrections du Retour de l’ange 1. Objectif : avoir bouclé avant 15h30 pour enchaîner sur la couverture du Cercle Secret 3. Quelle journée ! » … Et sans oublier les blogueurs ! 7 Quelques blogs référents sur les littératures « jeunes adultes » : • http://oiseausecret.canalblog.com • http://blogclarabel.canalblog.com • http://www.autrecotedumiroir.net • http://www.miladyevey.com • http://www.place-to-be.fr • http://www.blog-o-book.com … Au-delà des outils Internet mis en place par Hachette Jeunesse, la communication sur le Web passe bien entendu par l’envoi de services de presse aux blogueurs les plus influents sur la toile, pour la plupart des jeunes adultes, devenant des partenaires privilégiés des attachés de presse. Depuis deux ans, ces derniers les ont intégrés à leur plan de communication, ciblant ceux qui ont le plus grand nombre de visites et un réseau dense7. Ces partenariats, plus ou moins formels, reposent sur un échange simple : un livre contre une critique, qu’elle soit ou non positive… Les internautes sont d’autant plus nécessaires aujourd’hui que les médias classiques sont réfractaires à cette littérature young adults. Comme le rappelle Antoinette Rouverand, « même la presse « grand public » et féminine comme Biba ou Cosmopolitan ne chronique pas nos romans ! ». Dans ces communautés web, la littérature adolescente et jeunes adultes est évoquée et les frontières entre les publics et les genres semblent abolies... Gallimard Jeunesse et On lit plus fort 8 C’est la volonté de l’éditeur de ne pas avoir des chroniqueurs âgés de plus de 20 ans. Les éditions Gallimard Jeunesse ont lancé le blog On lit plus fort en janvier 2009, en s’appuyant sur un réseau de 200 chroniqueurs de 12 à 20 ans8, majoritairement féminin et préalablement « recruté ». Lecteurs de romans en avant-première, blogueurs, ces jeunes rédacteurs alimentent en partie le blog de On lit plus fort, installé sur la plateforme Skyblog. Céline Dehaine revient sur la réflexion qui a présidé au lancement du blog : « avant 2009, nous options pour une stratégie marketing assez classique : de l’achat presse, de la publicité dans la presse jeunesse (et parentale). Mais, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup de blogs dédiés à la littérature et nous voulions prendre la parole de manière moins institutionnelle. » Le blog présente indifféremment les titres du catalogue « ados ». Sur la colonne de droite, deux groupes sont néanmoins identifiés : « Harry Potter/fantastique » et « Lectures filles », dans lesquels on peut lire les avis critiques des adolescents. A l’heure actuelle, le blog ne bénéficie pas d’une forte fréquentation (7 400 visites depuis son lancement), Lecture Jeune - mars 2011 27 victime de son orientation généraliste, qui plus est sur une plateforme investie par et pour les adolescents et dont les fonctionnalités sont limitées. Un blog délaissé et une page Facebook plébiscitée ! A contrario, la page Facebook On lit plus fort (créée en février 2010) est l’une des plus actives, tous éditeurs confondus, avec 12 639 9 personnes qui « aiment ça » ! On retrouve, comme chez Hachette Jeunesse, un public sensiblement différent entre le blog (plutôt des 1115 ans) et la page Facebook (entre 15 et 25 ans). Gallimard Jeunesse bénéficiant d’une bonne image auprès des prescripteurs, ils seraient nombreux parmi les membres. Récemment, sur le « mur » de la page, un appel est lancé en direction des chroniqueurs : « @chroniqueurs_ olpf : venez poster sur le mur vos avis sur les derniers romans que vous avez reçus ! ». Le réseau est sollicité. En retour, ils peuvent écouter, voir, lire des interviews d’auteurs, participer à des concours, etc. Un nouveau métier : le community manager Qu’il s’agisse d’Hachette ou de Gallimard Jeunesse, cette présence sur les réseaux sociaux a généré de nouveaux emplois se consacrant exclusivement à la communication sur Internet. Ainsi, Céline Dehaine a évoqué le rôle du community manager, chargé « d’identifier des réseaux et de s’infiltrer dans les conversations sur les forums pour parler d’un livre ». Par ailleurs, le prestige de la maison Gallimard est tel que le secteur jeunesse, pour des publications plus « littéraires », peut encore s’appuyer sur la presse pour prendre le relais. Par exemple, La Douane Volante de François Place ou encore la série A comme Association d’Erik L’Homme et Pierre Bottero ont été chroniqués dans L’Express, Télérama, Lire, Le Figaro, etc. Les parents sont toujours très prescripteurs, surtout sur les titres destinés aux plus jeunes. Par conséquent, Gallimard Jeunesse communique sur des supports variés afin de sensibiliser des cibles hétéroclites : adolescents, parents, Education nationale… D’autres éditeurs jeunesse s’appuient également sur ces réseaux sociaux et repensent leur communication Web10. Les auteurs prennent part eux aussi au mouvement. Fabrice Colin, pour son dernier opus, Bal de givre à New York,11 a animé la page Facebook du roman (2 500 membres), rencontré des blogueuses, publié, commenté les critiques sur son blog et rédigé une préquelle12 « inédite » pour les fans ! Cécile Roumiguière participe activement à la communication des Blue Cerises, la série dont elle est directrice de collection, investit la blogosphère, Facebook et proposera bientôt une application pour IPhone. Les réseaux sociaux tendent à modifier chaque maillon de la chaîne du livre, de l’éditeur au lecteur, en passant par l’auteur ; tous commentent, communiquent, émettent des opinions, se voient attribuer de nouvelles qualifications. Enfin l’avis du lecteur « jeune adulte » – relativement rare si l’on s’en tient aux pratiques culturelles13 – semble devenir incontournable et « sacré ». Lecture Jeune - mars 2011 9 « Voici le top 5 actuel des pages d’éditeurs francophones les plus importantes en terme de membres : 1. Gallimard jeunesse (On lit plus fort) : 12 639 2. Fluide glacial : 12 004 3. Larousse : 9 773 4. BD Gallimard : 6 502 5. Ankama éditions : 5 385 » Livres Hebdo, « Les professionnels vont pouvoir renouveler leurs pages Facebook », 15 février 2011. 10 Albin Michel Jeunesse propose un nouveau site consacré à la collection « Wiz » offrant également une plus grande interactivité : www.wiz.fr. Actes Sud Junior consacre un site à sa collection « Romans Ados » : http://www.actes-sud-junior.fr/collections/romans_ado/ 11 Bal de Givre à New York, Fabrice Colin, Albin Michel Jeunesse, « Wiz », 2011. 12 Le terme « préquelle » est un anglicisme désignant ici un texte réalisé après une œuvre donnée, mais dont l’action prècède celle de l’œuvre initiale . 13 Voir l’article de Claude Poissenot, « La Lecture « détraditionnalisée » » p. 14 de ce dossier. Goncourt des lycéens et 28 roman adressé à la jeunesse : Le dossier quels points communs ? Daniel Delbrassine Analyse Daniel Delbrassine Enseignant en lycée technique et titulaire du cours de Littérature pour la jeunesse à l’Université de Liège. Formateur des bibliothécaires belges depuis 2000, il a publié une thèse sur Le Roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception (SCERENCRDP de Créteil – La joie par les livres, 2006, coll. « Argos Références »). Cet article commandé par la rédaction de la revue Lecture Jeune paraît conjointement dans Lectures, n°170, marsavril 2011, publiée par le Ministère de la Culture de la Communauté française Wallonie-Bruxelles (www.bibliotheques.be). 1 L’auteur estime en effet, que la majorité des adolescents, membres du jury du Goncourt des lycéens ont eu accès à la littérature de jeunesse et aux collections dédiées, de leur propre chef ou dans le cadre du programme scolaire. Après quelques années d’exposition aux romans pour adolescents1, quels sont les choix des jeunes lecteurs au sortir du secondaire ? Les six derniers romans élus dans le cadre du Goncourt des lycéens nous donnent un échantillon de leurs préférences. S’inscrivent-ils dans une logique de continuité ? Ces œuvres présentent-elles des points communs avec celles adressées aux 12-16 ans qui constituent leurs premières expériences du roman ? Né en 1988 sous les bons auspices de son grand frère, le Goncourt des lycéens permet à un jury âgé de 16 à 18 ans de distinguer un titre parmi les romans de la rentrée littéraire. Plus de 1 500 lycéens2 concernés, une dizaine de titres en lice, (ceux retenus par l’Académie Goncourt), et une décision finale rendue à Rennes. Le label soutenu par la FNAC est aujourd’hui bien établi et le bandeau rouge sur la jaquette de couverture agit comme argument de vente en librairie. Le palmarès offre quelques indications sur les goûts et préférences des jeunes jurés, qui terminent leur parcours de formation secondaire. À l’initiative de la rédaction de Lecture Jeune, nous avons retenu les six derniers titres primés pour les comparer avec les usages en vogue dans le domaine du roman expressément adressé à la jeunesse. Les six auteurs élus entre 2005 et 2010 n’ont à peu près aucun lien avec la littérature de jeunesse3 et ne pouvaient donc pas être connus de la plupart des jeunes membres du jury. Cela devrait aussi éviter toute proximité ou influence littéraire qui biaiserait la comparaison envisagée. • Sylvie Germain, Magnus, Albin Michel, 2005. • Léonora Miano, Contours du jour qui vient, Plon, 2006. • Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck, Stock, 2007. • Catherine Cusset, Un brillant avenir, Gallimard, 2008. • Jean-Michel Guenassia, Le Club des Incorrigibles Optimistes, Albin Michel, 2009. • Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Actes Sud, 2010. Des thématiques semblables À la lecture de l’ensemble, l’impression qui domine est celle de romans souvent très pessimistes, où la question du Mal hante des personnages plongés dans la violence et la haine. Trois auteurs au moins proposent des héros torturés, qui semblent écrasés par le poids d’un destin tragique. La narratrice de Contours du jour qui vient ouvre son récit sur la scène où elle doit être immolée par le feu, après avoir été rejetée par une mère qui prétend voir dans sa fille de 9 ans la trace d’un « esprit malin »… Épargnée mais chassée, elle est vendue et retenue Lecture Jeune - mars 2011 29 afin d’être exploitée sexuellement… Le Rapport de Brodeck donne un florilège de la violence et de la haine en tous temps et en tous lieux : avant, pendant et après la guerre, dans une grande ville, un petit village isolé, ou un camp de concentration. Le héros de Philippe Claudel n’a d’autre alternative que de périr ou se soumettre et fuir, presque toujours seul face aux sentiments les plus bas. Le Magnus de Sylvie Germain est torturé par son passé, amnésique d’une enfance marquée par un drame inconnu dont seul lui reste un ours en peluche. Et la voix qui s’adresse au héros de Mathias Enard semble vouloir résumer l’existence de tous : « La vérité, c’est qu’il n’y a rien d’autre que la souffrance… ». Le Club des Incorrigibles Optimistes est lui aussi un roman marqué par les tragédies de l’Histoire, puisque les amis du jeune héros ont tous souffert de la violence des régimes totalitaires d’Europe de l’Est. Mais ce roman de 750 pages assume bien son titre, puisque le héros adolescent trouve toujours sur sa route un adulte bienveillant, par exemple pour lui rappeler que « …Tu es vivant, profites-en pour vivre » (p. 98). Et le héros de conclure : « …Il faut bien commencer un jour, se lancer, couper les fils, avancer sans les petites roues, se casser la gueule, se relever et recommencer. » (p. 515). On ne manquera pas de revenir ici sur une critique maintes fois formulée à l’égard des romans adressés à la jeunesse : trop sombres, désespérants, négatifs… On rappellera par exemple la polémique initiée par Le Monde des livres en novembre 2007, lorsque Marion Faure4 se demandait « Pourquoi les livres destinés aux adolescents sontils si noirs ? » Elle parlait d’une « surenchère de noirceur et de sensations négatives », d’« univers sombres, voire malsains ». À aucun moment n’a été posée la question de savoir si ces thématiques répondent à une demande de la part des lecteurs. Lorsqu’ils choisissent de décerner leur Goncourt à Philippe Claudel ou Sylvie Germain, les lycéens offrentils un démenti à tous ceux qui ont voulu les « protéger », alors même qu’ils désirent sans doute voir le monde tel qu’il peut être et non tel qu’on voudrait le leur montrer ? L’ensemble des textes choisis par le jury lycéen témoigne d’une volonté de regarder l’Homme et le vaste monde bien en face, sans euphémismes lénifiants ni silences protecteurs. Voyages et initiation Cette ouverture sur le « vaste monde », c’est par exemple le choc brutal de l’Afrique avec Léonora Miano : au cœur des superstitions et des sectes, avec l’Europe en point de mire, comme un eldorado où « C’est pour faire le trottoir qu’elles partent toutes ». C’est aussi la vie d’Elena/Helen, l’héroïne de Catherine Cusset qui se construit Un brillant avenir peu à peu au gré des fuites et des exils, de Bessarabie en Roumanie, en Israël puis aux États-Unis, en passant par l’Italie. C’est encore cet univers indéterminé des Alpes germaniques créé par Philippe Claudel, pour son Rapport de Brodeck : on y étouffe à la ville comme à la campagne, sous le poids des mentalités imbéciles et des haines primaires. C’est enfin l’Istanbul de 1506, avec la découverte du monde ottoman par les yeux d’un artiste italien. Que de voyages dans l’espace et dans le temps… Lecture Jeune - mars 2011 2 Pour en savoir plus sur le Goncourt des lycéens : http://www.goncourt-des-lyceens-2010. ac-rennes.fr/ 3 Après consultation du catalogue Opale Plus de la B.N.F. Il en va de même pour leurs 17 autres prédécesseurs depuis 1988. 4 « Un âge vraiment pas tendre », Marion Faure, Le Monde, 30 novembre 2007. 30 Goncourt des lycéens et roman adressé à la jeunesse : quels points communs ? 5 Terme forgé par Jean Cayrol pour désigner les récits des survivants qui témoignent des camps de concentration et d’extermination. 6 « La deuxième guerre mondiale dans le littérature de jeunesse. Romans et albums. », Daniel Delbrassine, Enjeux, Namur, n° 79, 2010, p.97-118. Et même un voyage pour nulle part, avec les fragments de récit lazaréen5 qui s’intercalent dans le « rapport » de Brodeck revenu d’un camp, ou avec les bribes de souvenirs qui remontent de la mémoire de Magnus, orphelin rescapé de la destruction de Hambourg en 1943 et adopté par un « médecin » nazi de Bergen-Belsen. Le roman de Sylvie Germain, avec son héros amnésique, fonctionne comme le dévoilement progressif des soubresauts atroces de l’Histoire. Un peu à la manière du Club des Incorrigibles Optimistes, dont le héros adolescent découvre peu à peu, à travers les témoignages de ses amis, les tragédies humaines engendrées par les régimes communistes d’Europe orientale. C’est ici la mémoire historique qui se transmet, selon un procédé typique du roman historique pour la jeunesse6, où témoin et confident sont mis en scène dans la fiction. La révélation donnée au héros s’opère simultanément chez le jeune lecteur, dans un parallèle où l’on se demande à qui s’adressent les propos du vieux Sacha : « Je t’ai choisi parce que tu es d’une génération qui a été épargnée. (…) Tu sauras quoi faire pour conserver la mémoire de ceux qui méritent d’être sauvés de l’oubli. » (p. 751) Plusieurs textes choisis par les lycéens offrent une structure très fréquente dans le roman adressé aux adolescents, celle d’un parcours initiatique. Ainsi l’héroïne de Léonora Miano se donne-t-elle un projet clair : « Un jour, je la mettrai au jour, ma vie » (p. 96). Après ses premières règles, elle retrouve sa grand-mère, dont elle reçoit le récit de ses origines, rétablissant le lien de la filiation avec ses ascendants. C’est alors que le bananier planté à sa naissance porte pour la première fois quelques fruits… Les 750 pages de J.-M. Guenassia sont rythmées par les premières fois, qui scandent l’accession progressive du héros au statut d’adulte (admis au club, accepté comme adversaire aux échecs, introduit au ciné-club…), au long d’un parcours jalonné par la découverte de la mort et du deuil, de l’amitié et de l’amour, de la violence, de la lâcheté, du suicide… Tous les tabous sont là, mais jamais affrontés sans le coup de pouce d’un adulte attentif. Qu’en est-il de l’amour et de la sexualité ? Les six romans sont-ils plus audacieux ? On trouvera quelques situations forcément peu concevables dans le roman pour adolescents, comme le quatuor formé par Magnus, May, son « mari » et l’amant de celui-ci, dans le roman de Sylvie Germain. Chez Mathias Enard, l’attraction sensuelle du héros pour la danseuse andalouse et l’homosexualité latente ou déclarée auraient sans doute peu de chance d’être abordées ainsi dans un texte pour la jeunesse. Mais la plupart des œuvres pourraient, de ce point de vue, être conformes à la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. On remarquera par exemple la pudeur du récit de Guenassia ou les nombreux non-dits chez Claudel et chez Miano. Quatre récits mettent l’accent sur l’analyse psychologique très fine des rapports entre les parents et leurs grands enfants. Catherine Cusset montre ainsi comment Helen et sa belle-fille vont parvenir à s’apprivoiser avec le temps. De même, chez Miano, Guenassia et Germain, la question des relations entre les générations est un enjeu central. Ce choix des lycéens ressemble une fois encore à ceux des adolescents… Lecture Jeune - mars 2011 31 Le choix du JE On sait que le roman adressé aux adolescents est marqué par une nette préférence pour le JE narrateur-héros qui s’exprime « Ici et Maintenant », dans une forme de récit que les spécialistes dénomment « énonciation de discours »7. Ce JE ne s’exprime pas avec une vision des faits a posteriori, mais au moment des faits racontés, comme dans un « direct » audio-visuel. On peut commencer par constater que ce dispositif se trouve adopté dans la moitié des six textes retenus par le jury des lycéens. Léonora Miano donne la parole à une héroïne qui témoigne, au présent, d’une enfance malheureuse et s’adresse sporadiquement à sa mère (« Je t’aime, maman ») dans une espèce de dialogue chargé d’émotions ambivalentes. Le héros de Jean-Philippe Guenassia est un adolescent en conflit avec ses parents, et sa vision des événements est celle de cet âge, à l’exception de quelques passages où surgit le regard rétrospectif de l’adulte qu’il deviendra. Il s’exprime lui aussi sur le mode du Je-Ici-Maintenant pour nous livrer toute sa vie intime. Philippe Claudel met en scène un narrateur-héros qui s’adresse au lecteur pour lui servir un récit qui semble s’élaborer au fur et à mesure. Il témoigne dès le début de ses difficultés à prendre en charge ce rôle : « Je vais essayer. Je ne promets pas que j’y arriverai. » (p. 14). Brodeck ressemble à s’y méprendre à ces narrateurs bavards de romans pour adolescents, qui partagent des confidences avec le lecteur. Catherine Cusset a choisi la forme plus classique du récit en IL avec focalisation par les yeux du personnage principal, mais elle opte parfois pour l’énonciation de discours en formulant certaines scènes au présent. On remarquera qu’il s’agit toujours de moments-clés, comme la description quasi-anatomique d’un premier baiser : « Elle ferme les yeux, la tête levée comme les héroïnes de ces romans à l’eau de rose qu’elle lisait à quatorze ans. Les lèvres de Jacob sont contre les siennes. (…) » (p. 127). Cet usage préférentiel du discours, tout comme la précision minutieuse du ralenti, s’apparente aux usages du roman adressé aux adolescents lorsqu’il traite cette scène souvent centrale dans l’intrigue. Chez Mathias Enard surgit parfois un JE qui s’adresse au héros : ces monologues très intimes forment des chapitres qui s’intercalent dans le récit principal. Une observation s’impose : les auteurs primés et leurs collègues qui s’adressent spécialement aux adolescents montrent des coïncidences étonnantes en matière de choix narratifs : voix, perspective, énonciation semblent marquées des mêmes préférences pour un JE narrateur, qui s’exprime dans un contexte immédiat, celui de l’« Ici et Maintenant ». Ces choix sont-ils motivés par les mêmes objectifs ? S’agit-il de stratégies de séduction du lecteur, axées sur la mise en place d’une tension propre au « direct » et d’une relation lecteur/ héros de nature à créer une sensation de proximité exceptionnelle ?8 Dans la mesure où ces moyens littéraires ne sont pas réservés à un public donné, on est en droit de penser que les auteurs primés en ont fait usage très spontanément. Lecture Jeune - mars 2011 7 Le roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception, Daniel Delbrassine, SCEREN-CRDP de Créteil/ La joie par les livres, 2006, p. 125-132. 8 op. cit., 2006, p. 237-270. 32 Goncourt des lycéens et roman adressé à la jeunesse : quels points communs ? Au-delà des frontières, le goût de la littérature 9 Le Magazine littéraire, n° 409, mai 2002, « Pourquoi l’autobiographie ? », Thomas Clerc, Le Monde, 2-11-2002. 10 « Des romanciers pour la jeunesse qui ne le restent pas : circulation des auteurs entre le champ de la littérature de jeunesse et celui de la littérature générale », Daniel Delbrassine, L’Edition de jeunesse francophone face à la mondialisation, L’Harmattan, 2010, p. 161-173. Ce qui nous intéresse davantage, ce sont les préférences des lycéens. Plusieurs questions se posent ici, auxquelles aucune réponse ne pourra être apportée. Les membres du jury ont-ils – inconsciemment – retrouvé avec plaisir des usages littéraires auxquels ils étaient habitués ? Ou alors, peut-être le jury n’a-t-il opéré aucun choix significatif, parce que les stratégies de séduction à l’œuvre dans le roman pour adolescents sont devenues monnaie courante dans la littérature générale ? Cette dernière hypothèse impliquerait une évolution concomitante des romans pour la jeunesse et des romans pour les adultes vers une écriture marquée par l’énonciation de discours. C’est sans doute le moment de rappeler le succès des écritures du JE en littérature générale depuis dix ou quinze ans au moins, à travers des formes comme l’autofiction par exemple9. Quand on sait que beaucoup d’écrivains pour la jeunesse deviennent, à terme, des auteurs pour les adultes10, on est en droit de se demander s’ils n’importent pas dans le champ de la littérature générale des usages littéraires éprouvés ailleurs. Ces auteurs ne sont sans doute pas des « voyageurs sans bagages »… Là où on attendra une différence notoire, c’est sans aucun doute dans la complexité narrative des récits. Il est certain que les six romans primés présentent des difficultés pour un lecteur littéraire en cours de formation. Dans les incipit par exemple : le début de Contours du jour qui vient est déroutant, nous laissant sans réponse face aux questions canoniques (Où ? Qui ? Quand ?). Magnus ne nous donne aucune mention précise du contexte historique et géographique jusqu’à la page 33. Deux JE narrateurs sur trois pratiquent la rétention d’information (Miano, Claudel). La structure de certains romans s’avère complexe, comme Le Rapport de Brodeck, où trois récits coexistent : le « rapport sur l’Ereignis », le témoignage sur les camps, et l’aventure vécue au jour le jour qui forme la trame de l’intrigue. La chronologie est bouleversée dans la plupart des récits, parfois après une justification ex ante, comme chez Sylvie Germain. Deux récits (Enard et Germain) sont entrecoupés d’extraits d’autres textes qui leur font écho, donnant au roman l’apparence d’un modèle à construire. Le roman historique de Mathias Enard fait surgir quelquefois un auteur-narrateur qui pousse le lecteur à une distanciation critique, à travers des formules du genre « On ignore…, appelons-le…, on connaît… » (p. 11). Tous ces procédés ne sont pas absents du roman pour la jeunesse, mais ne s’y trouvent évidemment pas aussi abondamment représentés : il s’agit là d’une différence somme toute bien compréhensible, puisque les deux publics n’en sont pas au même stade de leur formation à la lecture littéraire. Il n’en reste pas moins que, tant du point de vue des thématiques que des options narratives, les romans primés par les lycéens ne se distinguent pas fondamentalement des textes proposés à leurs cadets. Lecture Jeune - mars 2011 Des espaces « passerelles » Le dossier en bibliothèques @ Bibliothécaires 33 Projets Sur notre blog (http://bloglecturejeune.blogspot.com) retrouvez l’article en intégralité et des compléments d’informations. Rencontre avec Claire Isnardon, bibliothécaire à Angers, Anne Marinet, responsable de l’espace Intermezzo de Toulouse, Djamila Abdelmalek et Fanny Fourrier, bibliothécaires d’Intermezzo. Angers1 et sa sélection « Passerelle » Le projet est né de la volonté de faire découvrir au public adolescent la littérature contemporaine et inversement, faire connaître la littérature jeunesse aux adultes. Afin d’établir une sélection d’ouvrages, un comité de lecteurs professionnels a été mis en place pour que chaque titre lu soit validé par des représentants des deux secteurs : adulte et jeunesse. Les critères étaient les suivants : « littérature non expérimentale présentant des qualités sur le plan littéraire (écriture) et de lisibilité (construction, style). » Pour faire vivre cette sélection, le réseau des bibliothèques d’Angers a travaillé en partenariat avec les lycées2 de la ville. Ces actions ont rencontré un vif succès auprès des jeunes, qui ont eux aussi, présenté des titres, au fil des rencontres en classe. En juin 2010, à l’issue de l’année scolaire, une classe de 2nde a proposé un spectacle autour de cette sélection : lectures, mises en scène de romans et des vidéos ont été projetées3. Au-delà des actions en direction des groupes, les romans « passerelles » sont empruntés4 dans les établissements de la ville. Identifiés par un logo, chaque établissement valorise à sa manière la sélection (tables de présentation). Deux bibliographies5 ont été publiées, en 2008 et en 2011. Elles comptent entre 44 et 48 titres se répartissant entre collections pour adolescents et littérature générale. Les romans sont classés par thèmes (5) : « Faits de société », « Mes amis, mes amours », etc. En 2011, la bibliographie propose également des bandes dessinées. Actuellement, les bibliothécaires d’Angers poursuivent leur réflexion sur cette sélection « Passerelle », souhaitant l’améliorer encore et remarquant que « les témoignages » sont plébiscités par le public. Enfin, l’équipe souhaite investir encore plus les lycéens, en valorisant leur participation et leurs créations. Lecture Jeune - mars 2011 1 http://www.bm.angers.fr/ Le réseau des bibliothèques de la ville d’Angers compte 10 établissements. Une équipe de 7 personnes s’investit régulièrement sur le projet « passerelle » Budget : 2 626,28 € pour la réalisation et l’impression de la sélection (3 000 ex.). 1 500 € pour la mise en valeur de l’action « passerelle » les 9 et 10 juin 2011 : visionnage de tous les clips réalisés par les lycéens au cinéma « les 400 coups » (ateliers d’écriture, prêts de caméra et montage réalisé en amont avec une association locale, « Cinéma parlant ») et intervention de l’auteur Matthieu Robin. Entre 2007 et 2010 : 15 à 20 rencontres annuelles dans les lycées ; 500 à 600 élèves sensibilisés chaque année. 2 Claire Isnardon rappelle qu’après le collège, les lycéens ont tendance à déserter la bibliothèque. 3 http://bm.angers.fr/animations/videos/ index.html?tx_angersvideos_pi1%5Bvideo_ id%5D=399 http://bm.angers.fr/animations/videos/ index.html?tx_angersvideos_pi1%5Bvideo_ id%5D=398 4 Essentiellement les adultes et notamment un public féminin, entre 30 et 50 ans… 5 http://bm.angers.fr/lire-ecouter-voir/ passerelle-quand-la-frontiere-entre-romansjeunesse-et-adulte-n-existe-plus/index.html 34 Des espaces « passerelles » en bibliothèques 6 Le réseau des bibliothèques de Toulouse : 27 établissements. http://www.bibliotheque.toulouse.fr/pole_ intermezzo.html L’espace Intermezzo (500 m2) se situe au 2ème étage de la médiathèque José Cabanis. Les fonds (3 000 documents) sont décloisonnés : la fiction (la littérature ado, classique et contemporaine, chick lit,) côtoie les documentaires adultes et jeunesse mêlés, les DVD documentaires, les livres audios, albums susceptibles d’intéresser les ados voire les adultes, la presse (une trentaine d’abonnements), etc. Une douzaine de postes Internet sont proposés. L’espace compte 10 salariés. Budget acquisition pour l’espace Intermezzo : 30 000 €. La sélection Du9 a été réalisée par les services transversaux de la communication et de l’action culturelle, gérée par un graphiste en interne et éditée par l’imprimerie municipale. 7 L’espace Intermezzo propose un fonds « d’albums sans frontières » s’adressant à un large public. 8 http://www.lapreface.net/ 9 Biba, Elle, Le Monde, Telerama, Le Monde des ados, Phosphore… 10 Sur les romans les plus empruntés ces 2 dernières années, on compte 16 romans fantastiques dans la lignée de Twilight dont les lectrices – public majoritaire – sont âgées de 20 à 35 ans. Intermezzo compte néanmoins, 27 % d’adolescents. 11 21 groupes accueillis en 2009 dont 6 collèges, 2 lycées, 2 classes de BTS, etc. 12 L’option «Littérature et société » en classe de 2nde a permis des rencontres tout comme la participation de certaines classes au Goncourt des Lycéens. 13 http://www.bibliotheque.toulouse.fr/ page_nos_publications_telecharger.html 14 http://blogapart.bibliotheque.toulouse.fr/ L’espace « Intermezzo » à Toulouse6 Cet espace « passerelle » a été pensé en amont de la programmation de la médiathèque José Cabanis (2004), pour les ados et les jeunes adultes, mais aussi pour les «faibles lecteurs ». L’équipe voulait un espace intimiste et convivial, une sélection attractive et accessible, en donnant priorité aux images. Une place importante est accordée aux mangas, à la bande dessinée mais aussi aux documentaires illustrés et aux albums7. Les récits de vie, les témoignages sont très demandés et ont été intégré aux romans. Deux comités de professionnels, l’un pour la fiction et le second pour la bande dessinée, se réunissent entre 5 et 7 fois par an (60 à 70 livres par comité) pour choisir les ouvrages à présenter dans l’espace. Un partenariat a été mis en place avec la librairie La Préface8, qui présélectionne les romans en littérature générale et contemporaine. L’équipe d’Intermezzo propose elle aussi des titres en repérant les nouveautés dans la presse9. Qui fréquente cet espace ? S’il y avait essentiellement des adolescents (1218 ans) durant les premières années, les jeunes adultes (15-30 ans) s’y sont substitués. Ces derniers relativement « autonomes », nécessitent une médiation individuelle moindre10. En revanche, les accueils de groupes11 sont nombreux. Ceux des scolaires, portent sur des thématiques ou projets littéraires12. Le 2ème aspect lié au projet « Passerelle » sera développé entre 2011 et 2012 et concerne les personnes en difficulté de lecture. Ainsi, l’espace collabore déjà avec des associations de lutte contre l’illettrisme, de soutien scolaire, etc. De même, Intermezzo s’interroge sur l’apprentissage de la langue, l’emploi, l’accès à la formation de ce public, et se demande comment proposer des livres faciles sans être enfantins. Les coups de cœur des bibliothécaires de cet espace – régulièrement actualisés sur l’OPAC – font l’objet d’une sélection annuelle, Du9 sous la couv’13. Enfin, un blog14 présente l’actualité d’Intermezzo, les coups de cœur des bibliothécaires, qu’ils s’agissent de romans, films, spectacles, etc. Le blog est peu fréquenté et sera repensé en 2011. Intermezzo a évolué au fil des ans, s’adaptant aux pratiques culturelles des adolescents et des jeunes adultes. Ainsi, depuis avril 2010, la Wii est mise à disposition du public suite à une demande émanant des adolescents (On y retrouve 73 % d’adolescents et 21 % d’adultes). Intermezzo fait des émules, comme à la médiathèque square Paul Lafond de Pau, qui dispose d’un espace similaire depuis avril 200915. Les romans les plus empruntés dans l’espace Intermezzo ces deux dernières années : 1. Eternels. Evermore, T.1, Alyson Noel, Michel Lafon, 2009 2. Le Baiser du vampire, T.4, Melissa de la Cruz, Albin Michel Jeunesse, « Wiz », 2009 3 et 4. Le Journal d’un vampire, T.1 et T.2, LJ Smith, Hachette Jeunesse, « Black Moon », 2009 5. Midnighters. Le Long Jour bleu, T.3, Scott Westerfeld, Pocket Jeunesse, 2009 15 http://mediatheques.agglo-pau.fr Lecture Jeune - mars 2011 35 Parcours de lecture Livres accroche Littératures Bandes dessinées Documentaires page 36 à 40 page 41 à 43 page 44 à 45 Et après Littératures Bandes dessinées Documentaires page 46 à 53 page 54 à 55 page 56 à 59 Lecteurs confirmés Littératures Bandes dessinées Documentaires Ouvrages de référence Lecture Jeune - mars 2011 page 59 à 65 page 66 à 67 page 68 à 69 page 70 à 72 36 36 Parcours de lecture Livres accroche accroche Littératures Livres 1I Gilles Abier Actes Sud Junior, 2010 (D’une seule voix) 72 p. 7,80 € 978-2-74279-237-5 Genre Monologue Mots clés Humour Mensonge Star Le Jour où je suis devenue mytho Tessa n’en peut plus ! Joanna passe son temps à raconter sa vie en attirant l’attention de tout le monde. L’adolescente prétentieuse présente ses nouveaux escarpins dans les détails, évoque ses projets de tournage et décrit ses prochaines vacances aux Antilles. En un mot, Joanna est insupportable. Pour lui clouer le bec, Tessa, sans savoir pourquoi, déclare soudainement avoir couché avec Robert Pattinson, le célèbre acteur des films Twilight. Et pour assumer son mensonge, la jeune fille est prête à tout… Chacun connaît dans son entourage une jeune femme exaspérante et vantarde, à l’image du personnage de Joanna. Dès le début, le lecteur s’identifie donc à Tessa, jeune fille banale, qui a bien l’intention de remettre cette pimbêche à sa place. Le rythme de ce récit très drôle et le suspense s’intensifient au fil des pages, faisant s’enchaîner les surprises pour le plus grand bonheur des lecteurs. ■ Déborah Mirabel 2 I iBoy Kevin Brooks Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Sabine Boulongne La Martinière Jeunesse, 2011 (La Martinière J. Fiction) 282 p. 12,90 € 978-7-32 44-486-4 Genre Roman fantastique Mots clés Violence Bandes d’adolescents Internet Tom, 16 ans, vit avec sa grand-mère dans une cité de la banlieue de Londres où les gangs font la loi. Sa vie bascule quand il reçoit sur la tête un iPhone jeté du haut d’une tour. Lorsqu’il se réveille, après 17 jours passés dans le coma, il découvre qu’il a de minuscules particules de téléphone dans le cerveau, lui conférant des pouvoirs immenses : il peut, par la seule force de son esprit, surfer sur Internet ; il a accès à tous les portables et bases de données du monde entier, peut intercepter toutes les communications et se revêtir à volonté d’une sorte d’armure électromagnétique qui lui permet aussi d’envoyer des chocs électriques très violents. Tom va devenir « iBoy » et se servir de ses nouveaux pouvoirs pour venger son amie Lucy, atrocement agressée par un gang de la cité. A la lecture de ce résumé, on pourrait croire que Tom va devenir le Superman de l’ère numérique, mais le roman est beaucoup plus subtil que cela et développe une vraie réflexion sur la violence et le mal. Le héros, un adolescent tout à fait ordinaire, est vite dépassé par ses nouveaux pouvoirs et se rend compte qu’ils peuvent se retourner contre lui. Il réalise aussi que la vengeance n’apaise pas la douleur et qu’elle ne rendra pas la vie à son amie... L’écriture limpide et les thématiques traitées pourront plaire aux garçons, même faibles lecteurs. Son extrême violence le destine aux plus âgés (à partir de 14 ans). La fin ouverte laisse penser que l’auteur envisage peut-être une suite... ■ Soizik Jouin Lecture Jeune - mars 2011 37 Réseau de lecture : Interface de M.T. Anderson (Gallimard Jeunesse 2004, « Scripto ») évoque un futur où chacun a, implanté dans le cerveau, une « interface », qui permet d’être connecté en permanence et de communiquer, mais aussi d’être manipulé par une société de consommation qui dévore l’individu. 3 I Derrière les volets Benoît a ses rituels : chaque matin, il ouvre ses volets en même temps que Viviane qui vit en face de chez lui, de l’autre côté de la cour. Lorsqu’un jour, les volets restent clos, Benoît s’inquiète et décide de mener l’enquête. Le jeune garçon est contraint de sortir de sa réserve et de ses habitudes, lui qui ne supporte pas le moindre écart à son emploi du temps, au point de téléphoner à sa mère quand elle a cinq minutes de retard ! Même s’il ne s’agit pas d’un véritable roman policier, le jeune lecteur se laissera prendre au jeu. Ainsi verra-t-il défiler les voisins, personnages aussi variés qu’emblématiques de nos sociétés individualistes : de la vieille dame qui vit seule au couple marginal, en passant par « l’inévitable » jeune fille, nouvellement arrivée dans l’immeuble. Cette dernière ne laisse pas le héros insensible et l’aidera à sortir de ses habitudes. Tour à tour témoin et observateur, le lecteur se régale à chaque ligne, entre deux rais de volet de cette enquête jubilatoire. ■ Laurence Guillaume Eléonore Cannone Rageot, 2010 (Heure noire) 160 p. 7,10 € 978-2-7002-3611-8 Genre Roman policier Mots clés Mystère Amitié 4 I Echecs et but ! Le jeune narrateur, passionné d’échecs, semble promis à un grand avenir. Monsieur Martini l’a repéré au cours d’une partie et l’entraîne désormais jusqu’à ce que ses connaissances ne soient plus suffisantes pour en faire un champion. L’adolescent quitte alors sa grand-mère pour vivre en ville et loge désormais au-dessus du bar « Le Paradis », qui abrite les supporters de football de l’équipe des « Rouges »… Le héros se passionne vite pour ce sport. Grâce à son nouvel ami Mickey, fils de "Dieu", le tenancier du bar, il fait l’expérience de l’excitation et la joie de soutenir une équipe victorieuse. Ce troisième roman d’Axl Cendres confirme son goût pour les univers singuliers où l’humour est omniprésent. Les personnages fantaisistes et au verbe gouailleur donnent au roman une couleur particulière. Le narrateur, introverti, découvre l’univers tonitruant des supporters, démontrant ainsi qu’échecs et sport d’équipe peuvent faire bon ménage ! L’auteur réussit à entraîner le lecteur dans l’univers du football, métaphore de la passion. Au fil des pages, le roman gagne en intensité et la ferveur sportive laisse place à la violence, présentant une autre facette de cet univers. Le sport est rarement traité en littérature de jeunesse si ce n’est via des stéréotypes masculins ; ce récit se démarque donc dans la production actuelle ! ■ Colette Alves Lecture Jeune - mars 2011 Axl Cendres Sarbacane, 2010 (Exprim’) 184 p. 13,50 € 978-2-84865-423-2 Mots clés Échecs Football Passion 38 Livres accroche 5 I Quelle mouche nous pique ? Hervé Giraud Thierry Magnier, 2010 (Nouvelles) 183 p. 9,80 € 978-2-884420-859-0 Genre Nouvelles Mots clés Amitié Humour Adolescence Eyup, Joseph et le narrateur de ces nouvelles construisent au fil du livre de petits moments de vie du haut de leurs 13 ans : une boum, un business de films pornographiques, des bandes dessinées échangées ou encore des histoires de filles… Douze courts récits plantent les décors classiques d’une jeunesse attachante et pleine d’humour. Ces nouvelles proposent des situations dans lesquelles les adolescents peuvent reconnaître leurs travers et leurs audaces, leurs faiblesses ou leurs coups de cœur. Elles ont aussi l’avantage de mélanger les caractéristiques de jeunes gens très contemporains, avec d’autres dont on soupçonne qu’elles appartiendraient plus aux propres souvenirs de l’auteur. Chaque nouvelle se suffit à elle-même et possède un ton propre. L’ensemble constitue une chronique attentive du quotidien adolescent sur un ton direct, réaliste et drôle. ■ Sophie Lartigue Réseau de lecture : Les personnages nous renvoient à l’univers du film Les Beaux Gosses (2009) de Riad Sattouf. 6 I Le Pierrot infernal Claire Mazard Oskar, 2010 176 p. 7,95 € 978-2-3500-0609-3 Genre Roman policier Mots clés Crime Enquête Les premiers jours de l’été bercent l’amour naissant entre Simon et Capucine. Cafés en terrasse, promenades main dans la main, les deux jeunes étudiants profitent d’un Paris nonchalant. Ce matin-là, à l’aube, ils se retrouvent à la foire du Trône encore déserte avant que Simon ne se rende au fast-food où il travaille. La découverte du cadavre d’une jeune femme défigurée met fin brutalement à leur insouciance. Et, quelques jours plus tard, lorsqu’ils sont à nouveau témoins d’un autre crime similaire, les soupçons du commissaire Palmero se tournent vers Simon. Les meurtres s’enchaînent et les preuves compromettantes s’accumulent. Malheureux hasard ou réelle culpabilité ? « On joue encore à Pierrot et Colombine ? » L’introduction de ce court roman pose rapidement le ton et invite le lecteur à participer à un jeu de piste haletant. L’enquête bien ficelée s’amuse avec les émotions des personnages, tour à tour apeurés, suspicieux, déterminés. Se fier aux évidences ou croire celui que tout accuse, écouter son cœur ? Les théories et les certitudes se tissent aussi rapidement que le récit les piétine. Indices trop grossiers pour être vrais, détails trop insignifiants pour y prêter attention, le lecteur hésite et revoit son jugement au fil des pages, pour mieux être surpris par le dénouement. ■ Amélie Mondésir 7 I Un flingue et du chocolat Otsuichi Trad. du japonais par Patrick Honnoré Milan Jeunesse, 2010 384 p. Lindt, un jeune garçon d’une dizaine d’années, vit seul avec sa mère depuis le décès de son père survenu quelques mois plus tôt. Par le biais de la presse, il suit au quotidien les aventures de Royce, célèbre détective lancé à la poursuite du non-moins célèbre cambrioleur Goddiva, qui dérobe de manière spectaculaire les biens les plus Lecture Jeune - mars 2011 Littératures précieux des personnes riches. Même s’il rêve de rencontrer Royce et de devenir son assistant, Lindt est forcé d’affronter la dure réalité de la misère dans laquelle il vit. Mais son univers bascule lorsqu’il découvre par hasard, cachée dans la reliure d’une bible offerte par son père, une mystérieuse carte qui semble appartenir à Goddiva... C’est une enquête policière originale, centrée sur un jeu de fauxsemblants, les héros ne se révélant pas forcément être ceux que l’on croit. Il est question de la mise en scène de l’information opérée par les médias, qui peuvent créer de toutes pièces un héros taillé pour plaire au plus grand nombre. En outre, l’auteur aborde des sujets sensibles tels que la pauvreté, les relations entre pairs et le regard des autres (notamment le regard sur les immigrés). Il est également question de deuil puisque le jeune héros doit faire face au décès soudain d’un père dont il était très proche. Au final, le lecteur suit avec plaisir les découvertes de Lindt à travers un récit riche et divertissant. ■ Delphine Lacoste 39 15,90 € 978-2-7459-3586-1 Genre Roman policier Mots clés Amitié Deuil Racisme 8 I Jake Ransom et l’ombre du Roi Squelette Jake et Kady, frère et sœur, sont orphelins depuis que leurs parents archéologues ont disparu mystérieusement trois ans auparavant. Jake pense qu’il doit suivre leurs traces pour les retrouver. Un jour, les deux adolescents sont conviés à l’exposition des vestiges mis à jour par leurs parents, au British Museum. Pendant la visite, un incident va les projeter dans un monde parallèle peuplé de dinosaures et de civilisations disparues depuis des millénaires (néanderthaliennes, mayas, romaines, ou encore vikings). Toutes ces tribus vivent paisiblement dans une cité nommée Calypsos, à l’ombre d’une étrange pyramide qui les protège et leur permet de parler la même langue : « le tout le monde ». Jake et Kady vont chercher à rentrer chez eux et combattre l’énigmatique Roi Squelette qui veut s’accaparer les pouvoirs de la pyramide. Les personnages, que tout opposait au départ, vont peu à peu se découvrir des liens fraternels forts et enfin échanger sur la disparition de leurs parents. L’auteur montre comment des personnages tant masculins que féminins peuvent se dépasser face au danger. C’est en définitive un livre très plaisant, au rythme palpitant, qui fait passer un message de tolérance et renseigne sur des civilisations à présent disparues. ■ Nicolas Beaujouan James Rollins Trad. de l’anglais par Leslie Boitelle Pocket Jeunesse, 2010 308 p. 13,50 € 978-2-266-18272-2 Genre Roman fantastique Mots clés Civilisations disparues Paix Relation frère/sœur 9 I Malice, T.1 Seth, Kady et Luke sont inséparables, jusqu’au jour où ce dernier disparaît mystérieusement. Ses deux amis décident de mener l’enquête et découvrent que Luke s’est procuré le dernier livre à la mode : Malice. D’après la rumeur qui se répand au lycée, il suffirait d’invoquer le mystérieux Tall Jack pour être emporté et fait prisonnier dans cette Lecture Jeune - mars 2011 Chris Wooding Ill. de Dan Chernett Trad. de l’anglais par Faustina Fiore Casterman, 2009 408 p. 40 Livres accroche 14,95 € 978-2-203-02434-2 Genre Roman fantastique Mots clés Amitié Horreur bande dessinée d’horreur. Se pourrait-il que les bruits qui courent correspondent à la réalité ? Chris Wooding nous emporte dans une fiction bien construite à cheval entre l’horreur et le fantastique. Les dangereuses aventures de Seth et Kady tiennent le lecteur en haleine. Le monde de Malice s’élargit peu à peu, au rythme du parcours des héros, dont le regard sur cet univers-prison évolue au fil du temps. L’écriture est simple, dynamique et ponctuée de nombreux dialogues. Autre intérêt de l’ouvrage : les insertions de bandes dessinées servant la mise en abîme originale de la narration. Ces passages établissent une connexion entre les lecteurs réels du roman et les personnages du récit, qui, en lisant la bande dessinée, suivent sans le savoir les aventures de leurs petits camarades piégés dans le monde de Malice. Malgré le graphisme peu esthétique de la couverture et des passages en bande dessinée, on ne lâche pas facilement ce bon livre accroche. ■ Marianne Toqué Réseau de lecture : Le tome 2, Ravage, est disponible chez Casterman. Pour en savoir plus sur l'auteur, nous vous invitons à consulter son site Internet : www.chriswoodin.com Lecture Jeune - mars 2011 41 Parcours de lecture Livres accroche BD 10 I Enid. Quatre sœurs, T.1 Les cinq sœurs Verdelaine vivent seules dans un grand manoir délabré, depuis la mort de leurs parents. L’aînée, Charlie, âgée de 23 ans, joue la mère de substitution tentant tant bien que mal de subvenir aux besoins de la fratrie. Les jeunes filles n’en oublient pas pour autant l’insouciance et le bonheur de leur adolescence. Charlie, Geneviève, Bettina, Hortense et Enid connaissent les émois amoureux, les disputes et les fous rires entre sœurs, le bonheur des balades le long de la plage et les jeux dans le jardin au pied du sycomore « grinçant ». Cati Baur, sous le charme de la série de Malika Ferdjoukh, rêvait d’adapter le roman en bande dessinée. Les lecteurs de la revue Je Bouquine connaissent déjà les saynètes illustrées de Lucie Durbiano sous la forme d’un feuilleton mensuel. Ici, l’adaptation, fidèle au roman, s’en détache néanmoins en proposant, outre l’humour, un univers empreint d’onirisme, de tendresse et de chaleur. Le dessin de Cati Baur, rond et coloré, s’attarde sur les détails et les ambiances et s’émancipe de l’œuvre de Malika Ferdjoukh. Fidèle à la série publiée à L’Ecole des Loisirs, ce premier volume porte pour sous-titre Enid, la benjamine du clan, effrayée par les bruits dans les maisons et à la recherche de fantômes. Les opus suivant mettront en avant chacune des sœurs, aux caractères si proches et différents à la fois. Ce bel univers séduira les plus jeunes lectrices, qui se délecteront de (re)découvrir ces Quatre sœurs. ■ Anne Clerc Malika Ferdjoukh Ill. de Cati Baur Delcourt, 2011 160 p. 13,95 € 978-2-7560-2008-2 Mots clés Sœur Amour Humour 11 I Garance Cette année encore, Léopold retrouve Garance le temps des vacances d’été. Ils pêchent et s’amusent comme tous les enfants de leur âge. Mais Garance a un secret : son père, que tout le monde croit mort, vivrait sur une île au centre de l’océan et serait à l’origine des vagues qui s’échouent sur la plage. Pour le lui prouver, Garance s’embarque avec Léopold sur une petite barque, direction le centre de l’océan… Le lecteur découvre ici un conte onirique empreint de magie et de poésie. Cette bande dessinée enchantera même ceux qui sont peu enclins à ce genre. Économe en paroles, l’ouvrage laisse toute leur ampleur aux aquarelles. La douceur du monde de l’enfance est omniprésente. Et bien que ce livre soit publié en jeunesse, la subtilité du scénario et le graphisme abouti sauront emporter l’adhésion des plus jeunes comme des plus grands ! ■ Thomas Bailly Lecture Jeune - mars 2011 Séverine Gauthier Ill. de Thomas Labourot Delcourt, 2010 (Jeunesse) 30 p. 9,40 € 978-2-75602-097-6 Mots clés Conte Amour Séparation 42 Livres accroche 12 I Nanja Monja, T.1 Shizuka Ito Trad. du japonais par David Deleule Glénat, 2011 (Shonen) 223 p. 6,90 € 978-2723-4814-6-5 Genre Shonen Mots clés Ruralité Magie Taro est un orphelin vivant seul dans le paisible village de Hananoki. Cet adolescent, passionné d’astronomie, fut recueilli bébé au pied d’un grand arbre consacré : le Nanja Monja. Une nuit, alors qu’il observe les étoiles, il aperçoit une jeune fille en dégringoler. Accourant au secours de l’accidentée, Taro ne trouve que des vêtements au pied du gigantesque végétal. Plus tard dans la nuit, un agent de police vient à son domicile avec la photo de la jeune fille qui semble être recherchée. A nouveau seul, Taro remarque d’étranges traces de pas dans sa cuisine. Il découvre rapidement la jeune fille cachée dans un pot, réduite à la taille d’une souris ! Pour les deux adolescents commence alors une aventure rocambolesque qui leur permettra de percer les secrets du majestueux Nanja Monja. Shizuka Ito retranscrit admirablement l’ambiance bienveillante mais sans chaleur humaine d’un village coupé du monde. L’utilisation d’éléments fantastiques s’immisce à merveille dans le quotidien tranquille des habitants. Doté d’un trait tout en douceur, l’auteur esquisse une galerie de personnages pittoresques et attachants. Première série traduite du mangaka, l’histoire de Nanja Monja rappelle celle des Chapardeurs de Mary Norton, adaptée actuellement au cinéma par les studios Ghibli sous le titre Arrietty. Cependant, les deux œuvres ne partagent que leur influence initiale et chacune s’attache à raconter une histoire bien distincte. Voici donc le premier des six tomes d’une série accessible à tout type de lecteur avide de fable bucolique et de mystères. ■ Pierre Pulliat Nouvelle collection : L’univers de Nanja Monja n’est pas sans rappeler l’œuvre de Timothée de Fombelle, Tobie Lolness, publiée aux Editions Gallimard Jeunesse en 2006. 13 I Cat Street, T.1 Yoko Kamio Trad. du japonais par Elodie Lepelletier Kana, 2010 184 p. 6,25 € 978-2-5050-0832-3 Genre Shojo Mots clés École active Hikikomori Depuis ses 9 ans, Keito vit recluse chez elle et ne voit jamais personne. Elle ne va plus à l’école et ne parle même pas aux membres de sa famille. Autrefois, Keito était une enfant enjouée mais après un choc émotionnel, elle est tombée en dépression. Le hasard l’amène cependant à découvrir l’école active « El Liston », dont la vocation est de réintégrer les adolescents dans la société. Le phénomène de l’Hikikomori, forme de dépression qui consiste à se replier sur soi-même et à n’avoir aucun contact avec l’extérieur, est un sujet sensible au Japon car il touche de plein fouet la jeunesse. Yoko Kamio nous fait découvrir cet aspect de la culture japonaise et les solutions qui sont mises en place pour soigner ces jeunes, notamment grâce à des écoles spécialisées qui basent leur enseignement sur le développement de la créativité et l’expérimentation. Loin de la mièvrerie de certains shojo, cette série riche en émotions et au scénario subtil, dresse des portraits extrêmement réalistes d’adolescents en pleine reconstruction. Cat Street aborde donc un sujet difficile avec beaucoup de justesse et donne une autre dimension au shojo. Lecture Jeune - mars 2011 BD À noter aussi la particularité des dessins, car si le style est propre au shojo, l’intention du mangaka est d’attribuer des caractéristiques spécifiques à chacun de ses personnages. ■ Frédéric Leray 14 I Monster Soul, T.1 et T.2 Il y a longtemps, une terrible guerre opposa les monstres et les humains et ces derniers furent les vainqueurs. Depuis, les monstres vivent cachés dans des labyrinthes souterrains comme celui où demeurent Aki, Touran, James, Mamii et Joba, connus sous le nom des « Blacks Hairs ». Qui pourrait penser que ces individus un peu déjantés mais pacifistes sont recherchés ? En effet, ils ont plutôt le cœur sur la main et ne se battent qu’en dernier recours… Hiro Mashima est un petit génie du manga ! Auteur des séries devenues cultes Rave et Fairy Tail, il démontre, encore une fois, qu’il est capable d’inventer des personnages incroyablement attachants, pourvus d’une véritable épaisseur, d’un caractère, d’un passé riche et évidemment tragique. L’humour et le développement des personnages constituent les atouts majeurs de cette série. Le style d’Hiro Mashima est reconnaissable au premier coup d’œil. On peut ne pas apprécier ces personnages, mais il est impossible de nier son grand talent de dessinateur, capable de trouver la bonne accroche, le bon découpage des scènes. Certes, on retrouve des monstres et des combats violents, mais ce manga relève aussi de la farce, le rendant accessible à toutes les tranches d’âge. Une série « accroche » sans la moindre difficulté de lecture et qui se compose de deux tomes. ■ Frédéric Leray Lecture Jeune - mars 2011 Hiro Mashima Trad. du japonais par Taro Ochiaï Pika, 2010 192 p. 6,95 € 978-28116-0294-9 978-28116-0295-6 Genre Shonen Mots clés Fantastique Humour Monstre 43 44 Parcours de lecture Livres accroche 15 I Elisabeth Combres et Florence Thinard Gallimard Jeunesse, (Demain, le monde) 2010 112 p. 19,95 € 978-2-07-063431-6 Mots clés Guerre Paix Monde contemporain Documentaires Pourquoi la guerre ? Comment la paix ? Ce documentaire est le deuxième de la collection « Demain, le monde » qui s’adresse à la sensibilité et l’intelligence des jeunes lecteurs pour les inciter à se poser des questions comme des citoyens éclairés. La guerre a toujours existé mais aujourd’hui, les conflits ont changé de nature, de mobiles et d’échelle. L’ouvrage est composé de trois parties, précédées d’une courte problématique : « Voir », « Comprendre », « Agir ». La première partie décline 76 entrées telles que le métier de photographe de guerre, l’utilisation des images, ce qui déclenche un conflit, la place des civils, l’intervention des associations humanitaires, etc. Chaque entrée est accompagnée d’un texte qui informe et questionne. Dans la partie « Comprendre », des réponses sont fournies, étayées par des exemples contemporains : « communication politique et propagande », « l’espionnage », « le terrorisme », « les armes qui menacent l’humanité », « les génocides », « l’ONU bafouée mais indispensable », « comment construire la paix ? ». La troisième partie de 6 pages fournit des suggestions d’actions à l’échelle individuelle et des informations concernant le pacifisme, la non-violence, les instances internationales : ONU, Unesco, Unicef, UA, OSCE, Croix-Rouge, l’Union européenne, le prix Nobel de la paix. Les textes sont concis, la présentation aérée, l’œil guidé par des icônes et un code couleur. Le lecteur se repère facilement dans l’ouvrage grâce à un sommaire, un index, un glossaire. C’est un excellent documentaire dont il faut recommander la lecture. ■ Colette Broutin 16 I Sang pour sang vampires Alain Korkos La Martinière Jeunesse, 2010 184 p. 14,90 € 978-2-7324-4202-0 Mots clés Vampire Cinéma Littérature Alors que la production regorge d’ouvrages documentaires sur les vampires, pour la plupart médiocres, ce reportage se démarque et démontre brillamment aux adolescents que bien avant Twilight, ces dangereux séducteurs faisaient déjà des ravages dans la littérature et au cinéma ! Le mythe est ici traité dans son ensemble, Alain Korkos abordant autant les sources folkloriques que littéraires ou cinématographiques. L’ouvrage constitue une véritable somme de connaissances exposées aux néophytes du genre. Le documentaire décline la thématique du vampire – chauve-souris, mort-vivant, et autres attributs – sans employer un ton trop didactique. Après les « incontournables », Alain Korkos analyse le personnage de Buffy, et les différentes séries télévisées Lecture Jeune - mars 2011 45 qui reprennent le genre, en montrant comment la figure effrayante a évolué peu à peu pour devenir un personnage bienveillant. Le choix iconographique est en parfait accord avec le texte, et la maquette soignée. Superbement illustré, ce documentaire s’adresse à tous, pour le plaisir de voir et revoir ces images accompagnées d’un commentaire plein d’humour. Cependant, une bibliographie et une filmographie auraient complété avantageusement le glossaire intitulé « Petit précis vampirique ». ■ Cécile Robin-Lapeyre Réseau de lecture : A consulter, pour développer le sens critique des lecteurs plus âgés, les analyses d’images d’Alain Korkos dans le blog laboiteaimages.blog.lemonde.fr Lecture Jeune - mars 2011 46 Parcours de lecture Et après Littératures 17 I Petites histoires de quartiers Julia Billet Océan Editions, 2010 (Océan ados) 200 p. 11 € 978-2916-533-99-5 Genre Nouvelles Mots clés Inégalités Quotidien Ces 17 nouvelles nous présentent des inégalités sous toutes leurs formes, inégalités qui sont le quotidien de certains. En s’appuyant sur les travaux de l’Observatoire des inégalités (www.inegalites.fr), le recueil met en scène les petites et grandes différences encaissées, surmontées ou combattues, dans des situations plus ou moins banales, plus ou moins graves ou absurdes. Le handicap physique, l’exclusion sociale ou encore les souffrances psychologiques sont ainsi finement abordées. Les récits décrivent ces différences dues au sexe, aux origines... Chacun y réagit à sa manière et l’écriture invite au questionnement. Ce cinquième titre de la collection présente un objectif pédagogique affiché : « informer pour savoir où agir pour changer le monde ». L’auteure séduira ses lecteurs en s’engageant dans cette démarche avec beaucoup d’originalité et de talent. Pédagogie et vrai plaisir de lecture sont réconciliés ! ■ Sophie Lartigue 18 I Yvon Kader, des oreilles à la lune Jean-Pierre Cannet 48 p. 6€ 978-2-211-20353-1 Genre Théâtre Mots clés Handicap mental Différences Dès les premiers mots, le personnage d’Yvon ne laisse guère parler les autres – ses parents, son frère, tous ceux qu’il croise – et domine la pièce. La tension monte en quatre scènes : Yvon Kader, que l’on voit naître puis devenir adolescent, veut juste être comme tout le monde, aimer, travailler, avoir des enfants. Mais sa révolte gronde, entre dérision et violence verbale – il est laid, il n’est pas normal, face de lune – jusqu’à ce que cela soit enfin dit : il est mongolien. Dans les cinq scènes suivantes, ne restent que ses tentatives pour être comme les autres. Mais comme l’oiseau qui se fracasse contre la vitre chaque fois qu’il croit voir le ciel, il se heurte à sa différence, qui l’exclut, malgré la bienveillance qui l’entoure d’ordinaire. Son souhait final ouvre des abîmes : il demande une ceinture de dynamite à Ben Laden découvert à la télévision, et devenu pour lui le Père Noël des laisséspour-compte. Les répliques fusent, les jeux de mots mettent la souffrance à distance, les images poétiques disent la rage de vivre. Mais ce qui l’emporte, c’est un sens sûr du suspense qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin. Une fin qui devrait toucher un jeune public adolescent par sa retenue et sa force dans l’évocation de la différence et de la solitude. ■ Nicole Wells Lecture Jeune - mars 2011 47 19 I La Foule, elle rit La scène se passe dans un pays où, pour trouver du travail, il faut s’exiler et traverser la mer au péril de sa vie. La vieille mère aimante, usée par la vie, a trois fils, Frère-Frère, Frère-Frère Second Du Nombre et Zou le plus jeune qui a un vrai talent de clown, pour la plus grande joie de son entourage. Les deux aînés sont déjà partis et Zou s’apprête à faire la même chose. Dans cette famille, il n’y a pas vraiment de frontière entre le monde des morts et celui des vivants. C’est ainsi que Zou apprend de la voix même de ses frères les circonstances terribles de leur mort et reçoit leurs conseils. Clandestin, il passe la frontière en faisant rire la police au lieu de se cacher. Mais trouver un emploi dans un cirque minable n’est pas faire fortune et la mère de Zou meurt avant qu’il puisse la rassurer et l’aider. Cette histoire pourrait être désespérante. Ce n’est pas le cas : aucun des personnages ne se lamente devant la dureté de son destin. Leur échec malgré leur courage et l’amour indéfectible qui les lie font de leur histoire une tragédie. Mais la mort n’est pas une séparation définitive ; le dialogue, la tendresse continuent à tisser des liens entre eux. Le lecteur se surprend à sourire et à espérer. ■ Nicole Wells Jean-Pierre Cannet L’Ecole des loisirs, 2010 (Théâtre) 47 p. 6€ 978-2-211-20194-0 Genre Théâtre Mots clés Famille Exil 20 I La Maison du pont Jan, 17 ans, a une crise de « vagalame » qui le pousse à tout quitter – sa famille, sa copine Gill, ses études – et à devenir gardien d’un pont à péage. Aidé de Tess, la fille de son patron qui devient sa meilleure amie, il reprend lentement pied dans la vie. Mais ce fragile équilibre est rapidement bouleversé par l’arrivée d’Adam, un vagabond au passé flou qui s’installe un peu de force avec lui. Qui est réellement cet adolescent fascinant ? Et d’où vient-il ? Publié en Angleterre en 1992, le roman analyse l’étrange cohabitation d’un trio en quête identitaire, vacillant entre bonheur et angoisse, violence et désir de l’autre. Aiden Chambers décrit cette atmosphère trouble dans un style qui jongle avec l’humour, l’angoisse et la poésie, en mêlant les voix des trois principaux protagonistes aux voix extérieures de Gill et des parents inquiets de Jan. La réussite de ce magnifique roman tient non seulement à la retranscription précise des questionnements existentiels propres à l’adolescence, mais aussi à sa fin inattendue qui donne un nouvel éclairage à tout le récit. ■ Marianne Joly Aiden Chambers Trad. de l’anglais par Elodie Leplat Thierry Magnier, 2010 (Grands Formats) 432 p. 18,50 € 978-2-84420-856-9 Genre Roman psychologique Mots clés Dépression Folie Amitié 21 I Gone. Mensonges, T.3 Depuis six longs mois, les enfants tentent de survivre, enfermés dans une énorme bulle alors que tous les adultes ont disparu. Orsay, surnommée la prophétesse, affirme que les adultes attendent leurs enfants de l’autre côté du mur et qu’il suffit de la suivre dans cet audelà. L’étrange Nerezza et Jill à la voix magique l’accompagnent. Lecture Jeune - mars 2011 Michael Grant Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Julie Lafon Pocket Jeunesse, 2010 442 p. 48 Et après 19 € 978-2-266-18423-6 Genre Roman d’anticipation Mots clés Science-fiction Prophétie Mais cet appel enchanteur ne cache-t-il pas la volonté monstrueuse du Gaïaphage d’anéantir les enfants ? Pour enrayer cette tentation du suicide collectif, Astrid, qui veut instaurer des lois et craint la dictature, choisit de mentir aux enfants. Un désastre se prépare. En effet, la bande des Humains, conduite par Zil, noue une alliance avec Caine pour prendre le pouvoir sur les mutants. De nouveaux mensonges et trahisons déchaînent la violence dans la ville. Sur la petite île de SaintFrançois de Sales, cinq orphelins, confrontés à Caine, tentent de lui échapper par un subterfuge mais y parviendront-ils ? Enfin, qui se cache derrière l’apparence de Brittney devenue un affreux zombi ? Est-ce un ange revenu pour tuer Drake ou est-ce Drake lui-même, incarnation du mal absolu ? Cependant, Sam et ses compagnons résistent encore, ce qui laisse présager le quatrième tome prévu pour fin 2011, intitulé L’Epidémie. La narration enchaîne les situations dramatiques sur un rythme rapide, sans transition, quitte à piéger le lecteur hésitant dans l’interprétation des événements. Mais dans un volume qui s’intitule Mensonges, il n’est pas étonnant que le lecteur soit manipulé par l’écrivain ! ■ Colette Broutin 22 I Menteuse Justine Larbalestier Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Alice Marchand Gallimard Jeunesse, 2010 313 p. 13,50 € 978-2-07-063113-1 Genre Roman psychologique Mots clés Mensonge Loup-garou Micah a 17 ans et raconte sa vie avant et après l’assassinat de Zach, un garçon de son lycée qu’elle rencontrait presque tous les jours en secret à Central Park. Mais est-ce bien vrai ? Car Micah est une menteuse compulsive qui ment à ses amis, à ses parents et même au lecteur. Elle a besoin de ces mensonges pour cacher un très grand secret qu’elle va dévoiler peu à peu. Ce roman très original et assez dérangeant malmène notre confort de lecture car Micah ne cesse de nier ses propos, hésitant entre vérité et mensonge. D’ailleurs, les trois parties du livre s’intitulent « Où je dis la vérité », « Où je dis la vraie vérité », et « La vérité authentique et véritable ». La fin du roman n’apporte pas vraiment de réponse : Micah est-elle victime d’une malédiction familiale ou une adolescente extrêmement perturbée qui vit mal sa féminité et ses différences ? A-t-on basculé du réalisme au fantastique ? On ne le saura jamais ! C’est au lecteur de construire sa propre histoire. Ce récit tout à fait passionnant permet de s’interroger sur le pacte implicite passé entre le narrateur, censé dire la vérité, et le lecteur, qui en principe le croit… Mais ce roman s’adresse à de bons lecteurs car sa construction complexe et sa fin ouverte peuvent être déstabilisantes, voire frustrantes. ■ Soizik Jouin Autre avis : Justine Larbalestier investit un thème qu’elle avait déjà abordé dans un précédent roman paru à l’époque chez Panama (Audelà de la porte. Dans les griffes de la sorcière, T.1). La présence du paranormal n’est jamais loin, mais accompagnée d’un questionnement sur la réalité et la véracité des événements surnaturels. Le doute est omniprésent, car les éléments fantastiques peuvent être expliqués soit par la folie, soit par le mensonge, le lecteur placé dans une délicate position où il doit démêler le vrai du faux. Le récit s’accompagne d’une Lecture Jeune - mars 2011 Littératures réflexion sur la nature de la vérité, la façon dont se crée le mensonge, sur les raisons qui nous poussent à mentir. Mais il est aussi question des bénéfices que l’on tire de la confiance, du pouvoir de la parole – à la fois outil de manipulation et de création – portes ouvertes sur d’autres univers où tout est possible. ■ Aurélie Forget 23 I Le Bout du monde Nash habite la planète Oméga, sur laquelle la technologie règne en maître ; une planète où tout est contrôlé, aseptisé. L’adolescent possède un esprit rebelle et s’ennuie ferme. Après une ultime incartade, il est envoyé dans un camp pour adolescents sur Toy, planète où vivent des « primitifs », des humains qui ne connaissent pas la technologie. Mais le vaisseau qui transporte Nash s’écrase avant d’arriver à bon port et l’adolescent est le seul survivant. Il est recueilli par un habitant de la planète Toy, éleveur d’animaux. Nash découvre alors un tout autre mode de vie, basé sur l’entraide et la communion avec la nature. Ce roman de science-fiction aborde des thématiques intéressantes : il est question du développement à outrance de la technologie qui peut aboutir à une déshumanisation des individus. L’auteur dénonce également une vision ethnocentriste des peuples considérant ceux qui ont fait un choix de vie différent comme des sous-hommes. Les valeurs de solidarité et d’altruisme sont mises en avant et sont notamment illustrées par la relation amoureuse de Nash avec une adolescente de Toy malgré leurs différences culturelles. Par ailleurs, en vivant dans la nature, le héros découvre également la spiritualité qui lui ouvre d’autres mondes, infinis ceux-là. C’est d’ailleurs cet aspect que tente de retranscrire (assez maladroitement) la couverture du livre (peu attractive), mais il faut passer outre pour se laisser emporter par ce roman au suspense haletant. ■ Delphine Lacoste Loïc Le Borgne Syros, 2010 (Soon) 336 p. 15,90 € 978-2-74850-984-7 Genre Science-fiction Mots clés Technologie Amitié Solidarité 24 I Mal-morts Avec ce titre intriguant, Jean-Marc Ligny centre son récit sur la source du mal dont souffre son héroïne, Elodie, une jeune adolescente « pas comme les autres ». Ces mal-morts (fantômes d’accidentés, d’assassinés, de suicidés…) hantent, à l’insu de tous, le monde des vivants et s’attaquent à toute personne vulnérable pour lui pomper sauvagement son énergie vitale. Elodie est une de leur proie depuis longtemps, mais elle a réussi à ne pas succomber. A ce combat épuisant et apparemment désespéré s’ajoute celui – fort courant dans les romans pour adolescents – qui l’oppose à ses parents qui internent finalement leur fille dans une clinique psychiatrique. Cet événement central déclenche chez l’adolescente des désirs de fugue, des sentiments de solitude, d’angoisse et d’incompréhension. Assez noir par certains thèmes évoqué avec retenue (l’anorexie, la tentation du suicide, la mort), le récit est tempéré par la chaleur d’amitiés inattendues, la présence de la musique et une passion Lecture Jeune - mars 2011 Jean-Marc Ligny L’Atalante Jeunesse, 2010 (Le Maèdre) 282 p. 12 € 978-2-84172-518-2 Genre Roman psychologique Mots clés Solitude Angoisse Mort 49 50 Et après pour un chanteur comme en rêvent nombre d’adolescentes ! Cette petite touche de mièvrerie après beaucoup de tension n’altère pas la qualité du roman. Jean-Marc Ligny ne donne pas seulement la parole à Elodie mais multiplie les points de vue. Jouant sur une tension entre psychiatrie et fantastique, il évite les clichés fréquents dans les récits de fantômes. Au fil de ce livre à l’écriture fluide, le lecteur adolescent (surtout pas trop jeune) s’attache à une héroïne émouvante et peut laisser courir son imagination après un dénouement surprenant. ■ Marie -Françoise Brihaye 25 I Face de lune Jack London Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Louis Postif Phébus, 2010 (Libretto) 185 p. 11 € 978-2-7529-0481-2 Genre Roman fantastique Mots clés Surnaturel Mort Vengeance Alors que l’œuvre de Jack London est lue dans le monde entier, que les mots « aventure » et « révolte » reviennent toujours pour la résumer, il semble que l’on puisse encore redécouvrir cet auteur. Ces huit nouvelles envoûtantes, réunies ici pour la première fois dans une édition française, dévoilent en effet une nouvelle facette de l’écrivain et son goût pour l’étrange. Ces récits dérangent et laissent souvent planer un sentiment d’inquiétude qui ravira les amateurs de sueurs froides. Des meurtres prémédités (Face de lune, L’Homme-léopard) ouvrent ce recueil, avant que nous ne soyons entraînés dans d’autres situations tout aussi angoissantes, entre duels acharnés (L’Ombre et l’éclair, Un canyon tout en or) et spiritisme (Planchette). Le tout dans un décor américain (la Californie ou Chicago), à la charnière des XIXe et XXe siècles. Très accessibles, ces nouvelles mettent au jour un Jack London au registre inhabituel. Si la tonalité parfois très sombre de certains textes peut dissuader un jeune public, les adolescents adeptes d’atmosphères étranges découvriront des histoires passionnantes. La parution de ce nouveau tome des œuvres de Jack London est l’occasion de saluer le travail de réédition mené par les éditions Phébus depuis plus de dix ans. ■ Benoît Petit 26 I Zone tribale Pascale Maret Thierry Magnier, 2010 (Romans) 171 p. 9€ 978-2-84420-838-5 Genre Roman social Mots clés Banlieue Violence Amour Dans une cité parisienne, Souf, 16 ans, vit au rythme des bagarres entre les bandes du quartier. Il fait aussi partie de « la première tribu », groupe dans lequel il se sent exister et reconnu, ce qui est loin d’être le cas lorsqu’il est à l’école ou en famille. Cette société secrète est dirigée par Chaka, petit trafiquant charismatique, qui prône un discours raciste, antisémite et revendique la supériorité des Noirs. La vie de Souf va changer le jour où les jumeaux Angie et Fred viennent habiter dans la cité. Souf tombe immédiatement amoureux d’Angie, sentiment qui est loin d’être réciproque car Angie est pour sa part amoureuse de Maxime. Poussé par la jalousie et galvanisé par les discours antisémites de Chaka, Souf souhaite se venger du jeune homme. Une occasion se présente qui l’entraînera bien au-delà de ce qu’il désirait et mettra son humanité à rude épreuve. L’aventure se finira dans le sang… Lecture Jeune - mars 2011 Littératures 51 Cette histoire n’est pas sans nous rappeler le fait divers du Gang des barbares qui a coûté la vie à Ilan Halimi en 2006. Le personnage de Chaka est clairement inspiré de leur chef, Youssouf Fofana qui lui-même s’inspirait du leader de la tribu Ka prônant la suprématie du peuple noir descendant des kémites d’Égypte. Pascale Maret a choisi de traiter un sujet difficile : comment un adolescent peut être pris dans une spirale infernale alors qu’il n’est pas mauvais mais profondément perdu. Avec simplicité, cet auteur arrive comme toujours à faire réfléchir le lecteur, sans jamais alourdir le texte de clichés. Un roman coup de poing par son sujet mais au texte simple et vivant grâce à l’alternance des points de vue (un narrateur omniscient et la voix d’Angie). Zone tribale ne peut pas laisser indifférent. ■ Marilyne Duval 27 I Vampire Academy. Sœurs de sang, T.1 La société des vampires qui, on le sait depuis Twilight, vit sans se faire remarquer à côté de celle des humains, est très hiérarchisée. Au lycée Saint-Vladimir, chacun apprend à tenir son rôle. Celui de Rose, une jeune Dhampir, est de protéger son amie Lissa, princesse vampire, des monstrueux Strigoï. Mais Lissa, qui a des pouvoirs très particuliers, a bien d’autres ennemis et Rose devra aller très loin pour la sauver … « Castelmore » est la toute nouvelle (et première) collection de littérature pour ados de l’éditeur Bragelonne, spécialisé dans la fantasy et le fantastique. Ce titre est une très bonne surprise car il réussit à renouveler le thème vampirique, exploité jusqu’à plus soif ces derniers temps. L’auteur réussit à créer un monde cohérent et à mettre en place une société violente, sans pitié et profondément inégalitaire. Certaines scènes sont très fortes comme celles décrivant les « sources », des humains complètement accros à la salive des vampires et qui laissent ces derniers boire leur sang chaque jour. L’écriture est beaucoup plus mature que dans d’autres collections de ce genre (Richelle Mead a écrit plusieurs titres de fantasy pour adultes) et s’adresse plutôt aux plus de 13 ans. L’intrigue est originale, les personnages attachants et complexes : on attend la suite avec impatience ! Ne vous laissez surtout pas arrêter par la couverture, peu avenante… ■ Soizik Jouin Réseau de lecture : On pense beaucoup à Patricia Briggs dont la série Mercy Thompson (4 volumes parus chez Milady) décrit avec humour les aventures d’une sympathique héroïne dans un monde où vampires, loups-garous et autres créatures cohabitent à côté des humains. Richelle Mead Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Karen Degrave Castelmore, 2010 308 p. 12,90 € 978-2-36231-000-3 Genre Roman fantastique Mots clés Vampire Ecole 28 I Chenxi et l’étrangère 1989. Anna, une adolescente australienne, passe ses vacances à Shanghai pour apprendre la calligraphie. Un jeune homme, Chenxi, recruté par son père, va lui servir de guide et d’interprète dans la ville. Très vite, la jeune fille est attirée par ce garçon qui parle peu et ne Lecture Jeune - mars 2011 Sally Rippin Trad. de l’anglais par Marie Cambolieu Mijade, 2010 52 Et après 288 p. 12 € 978-2-87423-055-4 Mots clés Chine Amour Culture laisse rien transparaître de ses émotions. Au fur et à mesure qu’elle découvre la vie et les mœurs des Chinois, elle comprend que Chenxi a une vie bien plus complexe qu’il ne veut bien le montrer. Opposant au régime communiste, il doit bientôt fuir. Anna, elle, pense surtout à sa peinture et à l’amour, et l’auteur parvient à trouver les mots justes pour décrire les sentiments de l’adolescente et la relation qu’elle construit peu à peu avec Chenxi. La jeune Australienne paraît donc bien naïve face aux problèmes politiques qui la dépassent. Pourtant, le choix de l’année 1989 n’est pas banal dans l’histoire de la Chine, puisque le massacre de la Place Tian’anmen aura lieu en juin. Les éléments historiques sont clairement exposés et le point de vue d’une étrangère sur la ville permet d’avoir un regard distancié. En refermant le livre, il est certain que le lecteur souhaitera en savoir plus sur l’Histoire de la Chine et sa culture. ■ Déborah Mirabel 29 I J’ai le vertige Jennifer Roy Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuèle Sandron Alice Jeunesse, 2011 256 p. 12,90 € 978-2-87426-129-9 Genre Témoignage Mots clés Shoah Nazisme Seconde Guerre mondiale Le 1er septembre 1939, l’invasion de la Pologne par les forces armées nazies marque le début de la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à la fin du conflit, les Juifs de la ville de Lodz (en Pologne) vont être entassés dans un ghetto, le plus grand après celui de Varsovie. Syvia, qui vient d’avoir 5 ans, partage le quotidien tragique de ces quelques deux cent soixante-dix mille prisonniers, touchés par la faim, les maladies et la violence des nazis. Avec sa famille, son père, sa mère et sa grande sœur Dora, Syvia va mener un long combat pour survivre, en échappant notamment aux rafles menées contre les enfants. Parmi les huit cents survivants libérés par les troupes russes le 19 janvier 1945, on ne compte que douze enfants… Le témoignage de Syvia est d’autant plus poignant que Jennifer Roy trouve ici le ton juste, tout à la fois naïf et lucide, sans fioriture, en choisissant pour narratrice une enfant confrontée au déchaînement de la violence et à l’incompréhensible. En s’appuyant sur les souvenirs de sa tante, Syvia Perlmutter, l’auteur célèbre la mémoire des millions de victimes des camps de la mort, Juifs ou non, par les yeux de ceux qui ont, d’une certaine manière, porté l’espoir pendant la guerre : les enfants. Une chronologie insérée à la fin du livre permet par ailleurs de retrouver les dates essentielles. Ce récit a été plusieurs fois récompensé aux Etats-Unis depuis sa sortie en 2006 sous le titre Yellow Star. ■ Benoît Petit Réseau de lecture : Sur le même sujet, nous vous invitons à (re)voir l’excellent film Le Pianiste réalisé par Roman Polanski (2001). 30 I Dis-lui Rémi Stéfani Casterman, 2011 un CD inclus (10 chansons et 1 clip) 216 p. 15,95 € C’est dans un lieu incertain, entre fleuve et mer, que se nouent les relations entre ces personnages à la dérive. D’un côté Albertine, 17 ans, qui a plaqué l’école (et sa mère) pour devenir serveuse dans un bistrot en attendant le retour de son père, capitaine au long cours. De l’autre Carmen, échouée dans le bar d’à-côté après avoir fui l’atrocité Lecture Jeune - mars 2011 Littératures des violences familiales et enfin il y a Dan, le marin écorché vif, dans les bras duquel Albertine va trouver refuge. Sur fond d’embruns et de vent iodé, les protagonistes s’ouvrent les uns aux autres, révélant leurs blessures secrètes et leur passé trouble. Car Albertine découvre, au fur et à mesure, la sombre histoire qui les lie : c’est sur le bateau commandé par son père, Lukas, que Mathieu, le frère de Dan, a mystérieusement disparu. Quel rôle le patibulaire Steel, employeur d’Albertine et ami de longue date de Lukas, a-t-il joué dans ce drame ? L’intrigue, au dénouement tragique, est servie par une écriture poétique et limpide, suscitant de nombreuses émotions chez le lecteur. Enfin, l’originalité de ce roman réside dans sa bande-son : Albertine, tout au long du récit, ne quitte jamais sa guitare et compose plusieurs chansons, que l’on retrouve sur le CD accompagnant l’ouvrage et dont les paroles sont retranscrites au fil des chapitres. Un texte très poignant soutenu par un concept original, mêlant littérature et musique. ■ Marianne Joly 978-2-203-03750-2 Mots clés Amour Musique Famille 31 I Marina Le narrateur, Òscar Drai, entreprend le récit d’un épisode de sa vie d’adolescent qui l’a marqué à jamais. C’était un garçon solitaire, élève dans un collège de Jésuites, à Barcelone, en 1980. Un jour, sa curiosité l’amène à rencontrer, dans une splendide demeure à l’abandon, un père et sa fille, Marina. Il est d’emblée fasciné par ce couple et suit la jeune fille dans l’exploration de la ville, du cimetière de Sarrìa, à une vaste maison en ruines, en passant par les vieux quartiers délabrés noyés de brume. Les deux adolescents sont ainsi lancés dans une quête dangereuse pour découvrir la vérité concernant un mystérieux docteur Kolvenik. Plus leur enquête progresse, plus ils sont menacés par des êtres monstrueux aux relents de pourriture sur lesquels plane la marque d’un papillon noir. Ce récit passionnant s’inspire du roman de Mary Shelley, Frankenstein, et reprend les codes du genre : amour, haine, défi à la mort, atmosphère fantomatique. Les péripéties s’enchaînent et le suspense atteint son paroxysme dans une scène grandiose d’incendie très cinématographique. Car une des qualités du récit tient à l’évocation d’une Barcelone hivernale et brumeuse, aux ruelles oubliées, aux grandes demeures bourgeoises en ruines, à ce gigantesque Théâtre royal, écrin d’un amour perdu. C’est un livre facile à lire mais plein de charme car il parle aussi d’amour romantique et de mort. ■ Colette Broutin Autre avis : Amours passionnées, sombres histoires d’argent et de pouvoir, vengeance et transformations : tous les ingrédients sont réunis pour faire monter le suspense dans ce thriller se déroulant dans une somptueuse ambiance gothique. Si Marina n’est peut-être pas un des meilleurs romans de Zafón, on se laisse tout de même emporter dans le tourbillon de l’intrigue. ■ Marianne Joly L’ouvrage paraît en même temps aux éditions Robert Laffont et chez Pocket Jeunesse ; si le texte est le même, les couvertures diffèrent, le premier s’adressant aux adultes et le second aux adolescents. Ndlr. Lecture Jeune - mars 2011 Carlos Ruiz Zafòn Pocket Jeunesse, 2011 334 p. 19 € 978-2-266-21302-8 Genre Roman fantastique Mots clés Amour Mort Barcelone 53 54 Parcours de lecture Et après BD 32 I Le Petit Livre des Beatles Hervé Bourhis Dargaud, 2011 160 p. 19,90 € 9782205063493 Genre Biographie Mots clés Beatles Rock Hervé Bourhis résume la vie du groupe de rock au plus grand nombre de superlatifs dans une biographie dessinée en noir et blanc de 160 pages. Un pari osé mais largement remporté. La progression chronologique est claire, chaque double-page est composée de cases renfermant une anecdote ou un événement majeur de la carrière des Beatles. Ludique et formellement lisible, cet ouvrage esthétiquement soigné nous fait (re)découvrir l’histoire riche du groupe de musiciens le plus marquant des années 1960. Tout commence à Liverpool en 1940 avec la naissance du messianique Lennon et continue de nos jours avec les membres restants. En prime, l’auteur livre une chronique pour chaque enregistrement du groupe, un exercice rafraîchissant mené avec un ton décalé et sans fanatisme aveugle. Car si la plume de Bourhis trahit sa propre passion pour les Fab’four, elle n’oublie jamais de présenter leurs excès. Que l’on soit admirateur ou non du groupe, ce livre renferme une multitude d’histoires folles et offre un regard amusé sur les 50 dernières années musicales. Cet opuscule constitue une passerelle idéale pour lancer une animation ou un débat sur le rock. À ranger au côté du Petit Livre Rock, l’encyclopédie dessinée des musiques amplifiées, tout aussi indispensable et du même auteur. ■ Pierre Pulliat 33 I Mattéo, deuxième époque (1917-1918) Jean-Pierre Gibrat Futuropolis, 2010 80 p. 16 € 978-2-7548-0114-0 Mots clés Révolution russe Anarchisme Bolchevisme On a laissé Mattéo, déserteur malgré lui et on le retrouve militant anarchiste, volontaire pour participer à la Révolution russe. Il embarque pour Petrograd avec son copain Gervasio, exaltés à l’idée de participer aux combats pour un monde nouveau. Il est chargé d’en faire le reportage photographique et assiste aux affrontements entre Bolcheviks, Russes blancs, Socialistes révolutionnaires et Anarchistes. Dans ce contexte, il rencontre Léa, jeune femme moderne, aux mœurs libres, dévouée à la lutte révolutionnaire pour instaurer le bolchevisme, quitte à devoir éliminer ses adversaires. Il croise Lénine, mais perd ses illusions en découvrant la Tchéka, police politique, et la propagande idéologique qu’il sert par ses photos. Mattéo est un sentimental au grand cœur facilement manipulé par Léa jusqu’au moment où il préfère rejoindre Juliette, son grand amour inaccessible. Totalement désabusé, il se livre à la gendarmerie française et se voit condamné à vingt ans de bagne. Une fois de plus, on est en admiration devant la qualité du Lecture Jeune - mars 2011 55 trait et la palette des couleurs qui donnent vie à tous ces hommes et femmes, dans le quotidien des combats et le tumulte de la Révolution d’octobre. C’est une bande dessinée qui invite aussi à une relecture de l’Histoire et, à ce titre, peut passionner les adolescents. ■ Colette Broutin 34 I La Marche du crabe. La Condition des crabes, T.1 Toutes les espèces ont évolué depuis leur apparition. Toutes ? Sauf une... celle du Cancer Simplicimus Vulgaris. Ce pauvre crabe de Gironde marche toujours en marge de l’Histoire. Son destin est tout tracé ; il naît avec un itinéraire défini et mourra sans avoir jamais pu en changer ! S’il lui venait l’idée incongrue de modifier sa trajectoire, de tyranniques tourteaux le rappelleraient à sa condition : le Simplicimus Vulgaris a toujours suivi la même direction et doit continuer à filer droit. Seulement voilà, 3 énergumènes risquent de révolutionner l’écosystème grâce à une découverte de taille : la solidarité ! Et oui, l’union pourrait bien faire la force des crustacés rebelles et varier leurs parcours. Mais dans cette deuxième moitié du XXe siècle, les obstacles sont nombreux sur le chemin de la libération : entre l’invasion des vacanciers, les tortures d’enfants sadiques ou la pollution, les plages charentaises ne sont pas de tout repos pour les crabes... Si l’on doit probablement la justesse de certaines scènes ou personnages à des souvenirs d’enfance de l’auteur, il est inutile d’avoir passé ses étés dans les rochers girondins ou bretons pour parcourir cet album avec une réjouissance non dissimulée ! Arthur de Pins adapte et développe avec brio La Révolution des crabes, son court-métrage primé en 2004 au festival d’Annecy. Ses illustrations jonglent très habilement avec les points de vue, transformant le lecteur en géant, un seau à la main, ou lui coinçant les pattes dans le sable la seconde d’après... Style, netteté des dessins, choix de la mise en page, tout concourt à servir l’humour de cette bande dessinée originale qui distille sa critique sociale de la marche des hommes et de l’oppression sous toutes ses formes. Osons-le, j’en « Pins » pour cette bande dessinée à mettre sur la trajectoire de tout lecteur vulgaris ou évolué ! ■ Sonia de Leusse-Le Guillou Réseau de lecture : Le site sur lequel vous pouvez visionner le court métrage : http://www.lamarcheducrabe-lefilm.com/ Lecture Jeune - mars 2011 Arthur de Pins Éditions du Soleil, 2010 (Noctambule) 120 p. 17,95 € 978-2302-01266-0 Mot clès Humour Critique sociale Animal 56 Parcours de lecture Et après Documentaires 35 I Chico Mendes : « Non à la déforestation » Isabelle Collombat Actes Sud, 2010 (Ceux qui ont dit non) 95 p. 7,80 € 97-827-4279218-4 Mots clés Déforestation Engagement Aujourd’hui, beaucoup ignorent qui fut Chico Mendes et le combat qu’il a mené afin de préserver la forêt amazonienne. A l’heure où les voix pour la sauvegarde de la planète se font de plus en plus nombreuses, cet homme apparaît comme un précurseur. Né dans une famille de seringueros (ceux qui récoltent le caoutchouc), autodidacte et syndicaliste, il s’est imposé comme le rassembleur des habitants de la forêt qui se sont élevés contre la déforestation. Il fut assassiné en 1988 par des propriétaires terriens. Cet ouvrage poignant nous fait découvrir un homme dont la vie, mais surtout la mort, força ses concitoyens et la communauté internationale à prendre conscience de la catastrophe écologique liée à la déforestation en Amazonie. Depuis sa création en 2008, la collection « Ceux qui ont dit non » poursuit son engagement : proposer aux lecteurs une réflexion sur des sujets encore brûlants d’actualité en mettant en scène des personnalités fortes qui ont eu un jour le courage de se révolter pour faire triompher la liberté ou la justice. La collection possède désormais un site Internet (http://www. ceuxquiontditnon.fr). ■ Juliette Buzelin 36 I Mordechaï Anielewicz : « Non au désespoir » Rachel Hausfater Actes Sud, 2010 (Ceux qui ont dit non) 95 p. 7,80 € 9782742790821 Mots clés Shoah Ghetto Les ouvrages sur la Shoah ne manquent pas mais le destin de Mordechaï Anielewicz est méconnu du grand public. Ce jeune homme est pourtant le meneur de la révolte du ghetto de Varsovie. Si le combat était perdu d’avance, c’était un moyen pour Mordechaï Anielewicz de rendre aux Juifs leur honneur, leur dignité en leur donnant la liberté de choisir leur propre mort. Son suicide ainsi que celui de son état major marquera la fin de l’insurrection. Le choix de cette personnalité peu connue pour traiter de la résistance au désespoir est tout à fait opportun. ■ Juliette Buzelin Mise en réseau : Le Pianiste (livre de Wladyslaw Szpilman et film de Roman Polanski). Lecture Jeune - mars 2011 57 37 I La Fabrique de filles Naît-on fille ou bien est-on conditionnée à le devenir ? C’est la question que se pose ce nouvel ouvrage de la collection « Femmes ! », aux éditions Syros. Après une courte introduction interrogeant les stéréotypes féminins dans notre société, l’auteur retranscrit plusieurs témoignages de femmes s’exprimant sur la famille, la maternité, l’éducation, etc. Suit un dossier très fourni qui analyse la manière dont sont « fabriquées » les filles tant dans le milieu familial que médiatique, professionnel ou politique. On comprend notamment que, contrairement aux idées reçues, une fille ou un garçon ne naissent pas avec un cerveau différent, mais que c’est la manière sexuée dont nous sommes élevés qui permet au cerveau de développer tel ou tel hémisphère. L’ouvrage se termine par une série d’entretiens passionnants (avec deux anthropologues, une sociologue et une historienne) dressant un état des lieux des recherches en cours : on y apprend, entre autres, avec Françoise Héritier, que ce sont les femmes, à l’ère préhistorique, qui ont inventé l’agriculture. Ce documentaire très complet, qui ne sombre jamais dans un militantisme aveugle, amène le lecteur (et pas seulement les lectrices, on l’espère !) à prendre conscience du conditionnement perpétuel auquel nous sommes sujettes et rappelle, à juste titre, que les droits acquis par les femmes sont récents et encore fragiles. ■ Marianne Joly Réseau de lecture : La Domination masculine de Bourdieu et le film éponyme de Patric Jean (2007). On pourra également (re)voir Notre univers impitoyable de Léa Fazer (2008). Enfin, soulignons le travail des éditions Talents Hauts qui défendent la lutte pour l’égalité des sexes et s’adressent principalement aux enfants et aux adolescents (www. talentshauts.fr). Laure Mistral Syros/Amnesty International, 2010 (Femmes !) 256 p. 13,50 € 978-2-74-850835-2 Mot clès Condition féminine 38 I Cranach. Le pouvoir des images. Ce précieux petit livre a été publié dans le cadre de l’exposition « Cranach et son temps », présentée au musée du Luxembourg, à Paris, du 9 février au 23 mai 2011. On y découvre un des plus grands artistes allemands de la Renaissance. Il naît en 1472, en Franconie, et meurt en 1553, à Weimar, après avoir servi pendant plus de cinquante ans les trois électeurs de Saxe. Il est connu comme un des plus grands portraitistes de son temps et comme graveur remarquable, à la tête d’un atelier très productif. Il offre ses services à de grands prélats catholiques, mais, comme ami de Luther, il conçoit, au moment de la Réforme, toute une imagerie protestante illustrant la Bible. Ainsi réalise -t-il plus de cinquante variantes d’Adam et Eve. Il traite aussi de thèmes mythologiques, comme cet Hercule chez Omphale, où il ridiculise le héros ! Conscient du pouvoir des images, il peint un certain nombre d’allégories porteuses de significations morales parfois sophistiquées. Enfin, ses Lecture Jeune - mars 2011 François-René Martin Découvertes Gallimard/Réunion des Musées nationaux, 2011 48 p. 8,40 € 978-2-07-013261-4 Mot clès Renaissance allemande Lucas Cranach l’ancien 58 Et après personnages féminins, au charme délicat et à la grâce virginale, unissent le sensuel au spirituel. Le format de cette collection permet, en dépliant les pages, de découvrir de grandes reproductions accompagnées de commentaires indispensables à la compréhension. En fin d’ouvrage, toutes les oeuvres sont répertoriées avec les dates, dimensions, supports, techniques, provenances et sources photographiques. C’est un documentaire de très grande qualité à conseiller vivement ! ■ Colette Broutin 39 I La Liberté Cyril Morano et Eric Oudin Eyrolles, 2010 (Petite philosophie des grandes idées) 186 p. 23,90 € 978-2-212-54733-7 Genre Essai Mots clés Liberté Philosophie Etre libre, c’est faire ce qu’on veut. Mais la liberté de notre volonté est-elle réelle, ou ne serait-elle qu’une illusion ? De l’Antiquité à nos jours, d’Epicure à Sartre, les auteurs de cet ouvrage se proposent d’expliquer simplement les idées essentielles de 12 philosophes célèbres qui ont abordé ce thème. L’exposé théorique alterne avec de courts extraits d’œuvres du penseur et avec de brefs exemples tirés de la vie quotidienne. Le propos est intéressant ; les auteurs, professeurs de philosophie, s’expriment dans un langage aussi simple et clair que possible, mais quelques passages restent tout de même un peu ardus. ■ Jean Ratier Lecture Jeune - mars 2011 59 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Littératures 40 I Le Cœur régulier A l’annonce du décès de son frère, Nathan, la narratrice, Sarah, quitte brusquement son mari et ses deux enfants. Elle tente de retrouver la trace du disparu dans une petite station balnéaire japonaise tout en sombrant dans la dépression. Le récit alterne l’évocation de leur vie d’avant, l’amour complice entre le frère et la sœur, leur goût pour la nature à l’écart des conventions, puis leurs divergences. Elle a choisi le mariage, une vie confortable, un métier lucratif en abandonnant ses idéaux alors que Nathan, lui, a voulu devenir écrivain, quitte à vivre misérablement de petits boulots, tout en condamnant une société capitaliste sans âme. Sarah est persuadée que Nathan s’est suicidé mais, dans ce village japonais, elle découvre un petit groupe d’hommes et de femmes qui lui délivre peu à peu une autre image de son frère, celle d’un homme ayant retrouvé le goût de vivre. Dans ce microcosme se reconstruisent des êtres brisés et le personnage de Sarah, en les côtoyant, prend la mesure de ce qui vaut la peine d’être aimé. Au sein de cette atmosphère liquide, brumeuse et grise, elle « exécute un léger pas de côté » pour saisir le sens de sa propre vie. Dans un temps qui semble suspendu, elle observe, avec la distance d’une étrangère, les rituels quotidiens japonais et cet homme, Natsume Dombori, qui consacre sa vie à retenir, au bord de la falaise, les désespérés. Grâce à lui, elle trouve l’apaisement, « le cœur régulier », et la force de retrouver sa famille pour bâtir une nouvelle vie. Olivier Adam réussit à renouveler ses thèmes de prédilection en situant une partie du récit au Japon. C’est un beau roman même si, dans les passages situés en France, les personnages, les antagonismes sociaux et les conflits familiaux manquent d’originalité. ■ Colette Broutin Réseau de lecture : Je vais bien, ne t’en fais pas, roman d’Olivier Adam (2000) a été adapté au cinéma en 2006 par Philippe Lioret. Olivier Adam Editions de l’Olivier, 2010 232 p. 18 € 978-2-87929-746-0 Genre Roman Mots clés Deuil Suicide Relation frère/sœur 41 I Princesse des os Sous le règne d’Hadrien, la Rome antique est plus que jamais un lieu où les intrigues et les complots sont omniprésents. Lucretia grandit dans une famille patricienne et vit très mal la disparition de son père, mort en campagne, et le remariage de sa mère avec son beau-frère. Alors qu’elle s’oppose à son oncle qui veut la marier, son jeune cousin, devenu presque un frère, est enlevé. Face à son oncle crédule et à un centurion corrompu, elle va faire surgir la vérité : son cousin a été enlevé par des adoratrices d’Hécate, chargées de le sacrifier pour assouvir les fins vengeresses d’une famille aristocratique déchue. Ce roman très sombre met en place un récit policier au cœur de l’Empire romain et décrit avec précision les rapports hiérarchiques de Lecture Jeune - mars 2011 Charlotte Bousquet Gulfstream Éditeur, 2010 (Courants noirs) 288 p. 13,50 € 987-2-35488-081-1 Genre Polar historique 60 Lecteurs confirmés Mots clés Rome Antiquité Sorcellerie cette société, tout en traçant le parcours d’une jeune fille éprise de liberté. En outre, les évolutions de la société romaine, confrontée au nombre toujours croissant des chrétiens, sont également évoquées. Comme dans ses autres titres, la collection pédagogique propose de manière ingénieuse et non rébarbative des annexes et un glossaire permettant au lecteur d’approfondir ses connaissances. Ce roman vaut par son cadre et le rendu fantastique qu’a su en donner l’auteur, mais également par la profondeur et la psychologie de ses personnages attachants, ou monstrueux. L’angoisse monte au fil des pages : le petit Titus survivra-t-il à ses monstrueux ravisseurs ? ■ Nicolas Beaujouan 42 I Nicholas Dane Melvin Burgess Trad. de l’anglais par Laetitia Devaux Gallimard jeunesse, 2010 (Hors série) 14 € 978-2-0706-2421-8 Genre Roman social Mots clés Pédophilie Violence Délinquance Muriel se shootait de temps en temps à l’héroïne. Son fils l’ignorait jusqu’au jour où elle est morte dans la cuisine de leur petite maison de Manchester. Pour Nicholas Dane, cet adolescent des années 1980, la perte de sa mère n’est que la première épreuve à surmonter. Lorsqu’il est placé par une assistante sociale trop zélée dans un foyer pour délinquants, sa vie bascule dans les ténèbres : détresse morale, perversion, bestialité, sévices sexuels pédophiles deviennent son quotidien dans cet enfer où il faut apprendre à survivre. Comment Nicholas Dane peut-il reconstruire sa vie après les séquelles physiques et mentales laissées par le foyer de Meadow Hill ? Son avenir semble scellé : fils d’une junkie, orphelin, considéré comme un rebelle dont il faut se méfier, Nicholas n’est-il pas prédestiné à tomber à son tour dans la délinquance et dans l’engrenage odieux de la brutalité ? Avec son tempo narratif soutenu, on se laisse facilement happer par ce roman très structuré dont on peut souligner la complexité des personnages. On pénètre leur intimité avec une grande acuité : l’auteur a finement retracé la psychologie des bourreaux et des victimes, dont parfois, les rôles risquent de s’inverser. Le suspense maintient le lecteur à la frontière entre empathie et voyeurisme. Comme à la parution de chacun des livres de Melvin Burgess, la violence de son univers ne laisse pas indifférent : ses détracteurs diront qu’il s’y complaît, ses lecteurs salueront son réalisme et son analyse sociale acerbe. L’éditeur, lui, ne prend pas de risque en précisant sur sa 4e de couverture que le roman « ne convient pas aux jeunes lecteurs ». Certes, il faut une certaine maturité pour se confronter à cet ouvrage pourtant sans difficulté de lecture. Mais l’amplification de certaines scènes permet une distance salutaire et rappelle que – même très documentée – il s’agit bien d’une fiction. ■ Sonia de Leusse-Le Guillou Réseau de lecture : Le film Sleepers de Barry Levinson (1996). Pour ceux qui aimeraient en savoir plus sur Melvin Burgess, nous vous invitons à consulter son site Internet : www.melvinburgess.net 43 I Plaguers Jeanne-A Debats L’Atalante, 2010 (La Dentelle du cygne) 334 p. Les Plaguers sont apparus dans une société post-apocalyptique et totalitaire vers 2105, après la grande Extinction (disparition des espèces vivantes à l’exception de l’être humain à cause d’une pollution prégnante). Ces jeunes adolescents souffrent de plaies, d’anomalies Lecture Jeune - mars 2011 Littératures génétiques (don ou malédiction selon le point de vue). Ils peuvent faire réapparaître des espèces disparues, manipuler les éléments (eau, terre, feu, air), faire pousser différentes formes de végétation, etc. Haïs et rejetés pour leurs singularités, ils sont regroupés de force dans des réserves, sortes de domaines non pollués, isolés et paradoxalement paradisiaques. Quentin, le narrateur, raconte son apprentissage de la vie avec son amie Ilya dans cette société protégée, structurée et hiérarchisée même si souplesse et tolérance sont la règle. Cette réserve a ses rites, ses conflits, ses secrets, ses tragédies, d’autant plus qu’elle est en partie constituée d’adolescents perturbés, aux problèmes identitaires complexes. En outre, ces jeunes mutants ne sont aucunement coupés du fonctionnement du monde et les inquiétantes perturbations énergétiques de « l’extérieur » constituent une menace tout aussi grave pour eux que pour le reste de l’humanité. Dans ce roman ambitieux et atypique, Jeanne A-Debats propose une science-fiction pleine de sensations et d’émotions. Ses personnages, très inattendus pour certains, évoluent et se métamorphosent dans un univers hors du commun mais qui fait écho à des préoccupations contemporaines – l’environnement, l’épuisement des ressources naturelles, le renouvellement des sources d’énergie, la montée des inégalités et la violence de l’exclusion. Plaguers a été sélectionné pour le prix Bob Morane 2011. ■ Marie-Françoise Brihaye 18 € 978-2-35832-053-5 Genre Science-fiction Roman initiatique Mots clés Exclusion, identité Energie quantique 44 I Petite sœur, mon amour Skyler est le fils aîné de Betsey et Bix Rampike, nouveaux riches portés par la réussite professionnelle de Bix. La relation entre les parents est compliquée, ce qui rejaillit forcément sur les enfants. Dès son plus jeune âge, Skyler, peu à l’aise socialement, est pris en charge par divers médecins qui lui diagnostiquent tous les troubles psychiques possibles et imaginables et lui prescrivent toutes sortes de médicaments. Bliss, la cadette, Edna Louise de son vrai prénom, fait les frais des rêves brisés de sa mère qui a toujours voulu être patineuse artistique. Un matin de janvier 1997, le jour de ses 7 ans, Bliss est retrouvée au fond de la chaufferie, le crâne fracassé, dans une position étrange et légèrement aguicheuse. Un pervers sexuel, Gunther Ruscha, obsédé par Bliss, finit par avouer le crime et se suicide peu de temps après en prison. Pour Skyler, l’enfer commence. Entre établissements scolaires spécialisés et centre de désintoxication à cause de tous les médicaments qu’il ingère, Skyler, abandonné par ses parents, passe dix ans dans une espèce de brouillard psychique et affectif. S’emparant d’un fait divers qui a passionné l’Amérique, Joyce Carol Oates nous livre sa version des faits dans un roman sombre, tragique et fascinant. On y retrouve les thèmes qu’elle affectionne particulièrement : la famille dysfonctionnelle, la perversion de la religion, la bêtise des médecins et psychologues, l’obsession de l’argent et de la célébrité. C’est un véritable document à charge contre tous les excès américains, contre ces modes de vie outranciers érigés comme modèles mais qui basculent dans l’absurde, et dont les premières victimes sont forcément Lecture Jeune - mars 2011 Joyce Carol Oates Trad. de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban Philippe Rey 672 p. 14 € 978-2848761695 Genre Roman psychologique Mots clés Fait divers Tragédie 61 62 Lecteurs confirmés les enfants. C’est une lecture passionnante mais qui ne laissera pas le lecteur indemne. L’aventure en vaut la peine, tant il est rare d’assister au dépeçage minutieux et méthodique de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus détestable et de plus touchant. Un roman bouleversant. ■ Cécile Chartres Autre avis : A travers l’œuvre de Joyce Carol Oates, que ce soit en littérature générale ou dans les romans qui s’adressent au public adolescent, apparaissent de manière récurrente des personnages adolescents tourmentés, filles ou garçons, ne rentrant pas dans les normes de la société américaine. La « religiosité » imprègne les familles bien-pensantes, et le sport - avec l’importance que lui confèrent les médias - devient une sélection suprême. L’auteur montre une certaine empathie avec ces êtres sacrifiés par leurs parents, qui ont subi un traumatisme dans l’enfance, victimes d’adultes manipulateurs. Rongés par la douleur et la culpabilité, les héros de Petite sœur, mon amour tout comme dans le roman Un endroit où aller (Albin Michel Jeunesse, 2010) trouvent refuge dans l’absorption à outrance de calmants. Ces enfants, éprouvés par la violence, deviennent des témoins borderline, chroniqueurs de cellules familiales qui volent en éclat. Malgré sa longueur, le roman touchera un public de jeunes adultes, les 15-25 ans, non seulement par sa thématique, mais aussi par sa forme : un journal, entrecoupé de fac-similés et par le procédé d’interpellation directe du lecteur. ■ Cécile Robin-Lapeyre 45 I Bifteck Martin Provost Phébus, 2010 (Roman) 128 p. 11 € 978-2-7529-0476-8 Genre Conte Mots clés Voyage Bretagne Etats-Unis André est l’héritier d’une longue lignée de bouchers bretons. Il a 14 ans et vit à Quimper avec ses parents, juste au dessus de l’échoppe familiale où il mène une vie plus que paisible, à peine ébranlée par les débuts de la Première Guerre mondiale. Alors que les époux sont partis au front, André devient l’objet de convoitises de toutes les Quimpéroises qui se pressent chaque jour plus nombreuses à la boucherie, dans l’espoir de recevoir ses faveurs. Mais voilà, tout a une fin, y compris la guerre : le retour des maris interrompt les jouissances d’André ainsi que la bonne santé de l’entreprise familiale. Lorsqu’un jour un nourrisson est abandonné devant les marches de la boutique, les parents d’André sont aussi courroucés qu’André est ému. Mais quand le septième enfant arrive, les grands-parents mettent fin à leurs jours de manière rocambolesque. André, poursuivi par un mari jaloux, décide de quitter la Bretagne pour l’Amérique sur une petite coquille de noix et avec sa jeune progéniture ! Si dans un premier temps le livre tient du conte plus ou moins réaliste, le texte largue ensuite les amarres et vire au fantastique. L’auteur, par ailleurs réalisateur du film Séraphine, livre non sans humour un récit d’initiation où le jeune André, précocement père, devient un adulte fasciné par ses enfants qui s’émancipent avant même d’avoir été élevés. Le lecteur regrettera un dénouement décevant, sans rapport avec ce qui précède. Bifteck demeure néanmoins une histoire drôle et originale, servie par une narration sans temps mort. Un roman alléchant qui saura séduire les jeunes adultes. ■ Nicolas Beaujean Lecture Jeune - mars 2011 Littératures Réseau de lecture : Les Aventures d’Arthur Gordon Pym, d’Edgar Allan Poe, semble avoir été une source d’inspiration pour Martin Provost lorsqu’il décrit les conditions difficiles du voyage transatlantique de son héros et l’île qu’il découvre. Les Mamelles de Tirésias, Apollinaire, 1917 (drame surréaliste). 46 I Wendy et Lucy Deux nouvelles de ce recueil ont fait l’objet d’adaptations à l’écran par la réalisatrice Kelly Reichardt ; peu de points communs entre elles, si ce n’est le cadre, l’Ouest américain, et des personnages qui veulent aller jusqu’au bout de leur quête. L’auteur décrit les problèmes sociaux d’une Amérique qui tente de se définir dans un espace ni urbain ni sauvage. Chaque texte possède cependant un univers propre et une thématique différente : la violence des relations entre les enfants, la difficulté de communication entre jeunes et adultes, l’ami d’enfance qui a mal tourné, un homme qui malgré sa réussite sociale se retrouve seul… Dans la dernière nouvelle, qui donne son titre au recueil, une jeune fille quitte avec sa chienne le Sud des Etats-Unis et l’ouragan Kathrina, pour chercher du travail dans une conserverie d’Alaska. Mais le roadmovie s’interrompt lorsque sa voiture tombe en panne. Arrêtée pour un petit larcin dans un supermarché, elle perd sa chienne et l’équipée tourne court. Wendy sacrifie ce qu’elle a de plus cher – l’amour de sa chienne – et reprend la route seule : le voyage symboliserait-il ce passage douloureux vers l’âge adulte ? Beaucoup d’émotion dans les portraits de gens ordinaires, de jeunes qui partent à la dérive, de losers, et de solitaires. Un recueil idéal pour faire découvrir aux lycéens l’art de la short story, en comparant les nouvelles et les films qui en ont été adaptés. ■ Cécile Robin-Lapeyre Réseau de lecture : Nous vous invitons à (re)voir le film Wendy et Lucy réalisé par Kelly Reichardt (2008). Jon Raymond Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru Albin Michel, 2010 (Terres d’Amérique) 283 p. 22 € 978-2-226-21513-0 Genre Nouvelles Mots clés Etats-Unis 47 I Vivement l’avenir Comme dans La Tête en friche, Marie-Sabine Roger porte une nouvelle fois son attention sur des « cabossés » de la vie. Au départ, un cadre un peu glauque, une bourgade du Nord, grise, avec son canal, son élevage industriel de volailles, ses lotissements, le tout sur fond de crise. Deux narrateurs, Alex, une jeune femme désabusée, qui parcourt la France de CDD en CDD, se voulant libre de toute attache et Cédric, 28 ans, amoureux rejeté, sans vrai travail, sans rêve, résigné, passant son temps au bord du canal. Alex loge chez un couple qui vit chichement et doit s’occuper d’un handicapé lourd. Le récit pourrait tourner au tragique et à l’ennui mais Marie-Sabine Roger évite le sordide avec beaucoup de naturel. Au contraire, elle fissure ces situations de solitude, propose des rencontres qui auraient semblé improbables. Ainsi Alex, presque malgré elle, se prend de compassion pour « Roswell », l’handicapé auquel elle a donné Lecture Jeune - mars 2011 Marie-Sabine Roger Rouergue, 2010 (La Brune) 302 p. 19 € 978-2-8126-0144-6 Mots clés Crise Handicap Solidarité 63 64 Lecteurs confirmés ce surnom, certes maladroit et laid, mais débordant de candeur et de gentillesse. Ils s’apprivoisent et s’adoptent petit à petit au prix d’un long apprentissage. C’est un même élan de solidarité envers le « monstre » qui animera bientôt Cédric et son copain Olivier, un obèse plus fin qu’on ne le croit. Si l’on excepte un dénouement proche du conte, l’auteur n’édulcore pas la réalité. Sa sensibilité et sa tendresse pour ses personnages les rendent très attachants. Elle sait capter leur intimité au quotidien, leurs failles, leur sensibilité. Son roman plein d’humour (jusque dans le choix des titres de chapitres) sonne juste et dégage une énergie communicative. Sa langue assez gouailleuse, riche de sentences fortes et souvent détournées, réjouit le lecteur. Marie-Sabine Roger a le sens de la formule et sème son récit de néologismes poétiques. Un titre émouvant qui saura ravir les plus grands adolescents. ■ Marie-Françoise Brihaye Réseau de lecture : Son roman La Tête en friche (Le Rouergue, 2009) a été adapté au cinéma par Jean Becker en 2010. 48 I Daddy est mort… Retour à Sarcelles Insa Sané Sarbacane, 2010 (Exprim’) 280 p. 15 € 978-2-84865-422-5 Genre Roman noir Mots clés Banlieue Délinquance Vengeance Ce quatrième roman d’Insa Sané succède à Sarcelles-Dakar et on y retrouve un certain nombre de protagonistes de cette « Comédie Urbaine ». Daddy vit à Sarcelles. Ce Noir de 20 ans va bientôt être père, ce qui lui donne l’espoir de construire, enfin, une vie heureuse. Abandonné par sa mère, Eléonore, prostituée et droguée, il a été élevé par son grand-père, ancien champion de boxe. Mais le passé le rattrape quand sa mère lui révèle l’identité de son père, scellant ainsi sa mort certaine et déclenchant de sanglantes opérations punitives entre bandes de Sarcelles et du 19e arrondissement de Paris. Ce roman policier est écrit comme un drame romantique, en cinq épisodes, qui mêle le sang, l’amour, les larmes et le rire dans le contexte des bas-fonds urbains de 1995 ! Il s’agit bien d’un récit où le conteur, maître de la parole, entraîne son lecteur en brossant une large fresque où il manipule ses acteurs. Les rôles sont distribués dans le « casting » préliminaire et chacun joue sa partition dans le ton de son personnage : d’un côté l’Ogre et ses flics pourris, de l’autre le Pasteur, insaisissable chef de gang et trafiquant de drogue. Difficile d’échapper au déterminisme social pour ces jeunes de banlieue. Comment exister, si ce n’est en trafiquant soi-même et en commettant bien des folies par amour, car il n’est pas question de travailler comme leurs parents, usés à la tâche. Certes les « pourris » sont éliminés grâce à l’obstination de l’honnête policier noir mais, au fond, c’est une morale bien conformiste qui sous-tend le récit : les rôles féminins se limitent, encore une fois, essentiellement à la maman et la putain, et le salut reste la famille traditionnelle. Quant à la verve de l’auteur, imprégnée du rythme du slam, elle n’échappe pas aux outrances faciles et caricaturales, multipliant les citations littéraires et l’autopromotion. Est-ce indispensable pour légitimer ce texte ? A trop vouloir rappeler des contextes historiques – Commune de Paris, émeutes des banlieues de 1995 –, et l’actualité politique, le risque existe de verser dans le démonstratif, quitte à agacer le lecteur. ■ Colette Broutin Lecture Jeune - mars 2011 Littératures 65 49 I La Couleur des sentiments En 1962, à Jackson, Mississipi, trois femmes racontent leur vie. Aibileen et Minny sont noires et bonnes dans des familles blanches. Skeeter, jeune fille blanche, rejoint ses parents, propriétaires d’une plantation de coton, après quatre années d’université. Dans cette société conservatrice, la perspective de se marier et de mener la vie de ses amies, occupées par leurs toilettes, les invitations à prendre le thé et les parties de bridge, ne la tente guère. Elle voudrait devenir écrivain et parvient à convaincre les deux bonnes de témoigner de leur vie quotidienne au service des Blancs. Dans un contexte ségrégationniste, l’entreprise est dangereuse. Cependant, malgré la peur de perdre leur travail, de subir la violence du Ku Klux Klan, elles unissent leur courage et leur énergie pour rédiger ces témoignages bouleversants. Ce livre vaut par le choix d’une écriture en prise directe avec le quotidien des bonnes dans cette société blanche dominante et sûre de son bon droit. Presque entièrement dialogué, il restitue les humiliations racistes et les propos méprisants que doivent encaisser Aibileen et Minny mais aussi leur dévouement et leur amour pour ces enfants blancs dont elles ont la charge. Au-delà des péripéties et des multiples obstacles qui entravent leur projet, c’est toute une société qui est évoquée avec ses comportements, ses clivages, ses refus de remettre en cause un ordre qui assure le pouvoir de la bourgeoisie blanche. Ce livre est à conseiller vivement car il permet de comprendre comment s’est construit, et s’est maintenu, le racisme et combien il est difficile d’oser s’en libérer. ■ Colette Broutin Kathryn Stockett Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Girard Jacqueline Chambon/Actes Sud, 2010 526 p. 28,80 € 978-2-7427-9291-7 Mots clés Mississipi Racisme Maître et serviteur 50 I Francesca de Rimini Pour mettre un terme à la guerre qui oppose les Guelfes et les Gibelins, Guido Polenta, gouverneur de Ravenne, est prêt à marier sa fille, Francesca, au fils aîné de Malatesta de Verrucchio, Giovanni, puissant chef des Guelfes. Mais celui-ci est affecté d’une jambe difforme et le père hésite à sacrifier sa fille, si belle, à la raison d’état. Alors qu’une mauvaise blessure retarde la cérémonie et compromet la paix, il se décide à célébrer un mariage par procuration. Paolo, le frère cadet de Giovanni, prêtera serment à sa place. Le destin tragique des jeunes gens est scellé quand leurs regards se découvrent dans le miroir dévoilé. Dante, dans le 5e chant de la Divine Comédie, évoque, en quelques lignes, les ombres de ces damnés voués aux flammes de l’Enfer pour avoir commis l’adultère. Il faut garder en mémoire que Dante, bouleversé par leur sort, s’évanouit au récit de leurs malheurs. Jacques Tournier fait revivre le contexte du drame, l’évolution des sentiments de Francesca et de Paolo pleins de noblesse et de poésie, la sombre jalousie de Giovanni qui les poignarde sauvagement. Les paysages, les couleurs, les variations de la lumière, les sons, les odeurs, tout invite à imaginer l’atmosphère sensuelle dans laquelle les amants se rejoignent. C’est un excellent roman, écrit dans une langue simple, dotée d’un charme puissant. ■ Colette Broutin Lecture Jeune - mars 2011 Jacques Tournier Editions du Seuil, 2010 118 p. 14 € 978-2-02 102242-1 Genre Roman historique Mots clés Italie médiévale Amour Adultère Crime 66 Parcours de lecture Lecteurs confirmés BD 51 I Les Larmes de l’assassin Anne-Laure Bondoux Ill. de Thierry Murat Futuropolis, 2011 128 p. 18 € 978-2-754-80360-1 Mots clés Enfance Chili Assassin « Ici, personne n’arrive par hasard. Car ici, c’était le bout du monde, le sud extrême du Chili où la côte fait de la dentelle dans les eaux froides du Pacifique. » Ainsi débute l’album de Thierry Murat qui nous propose une adaptation originale du roman d’Anne-Laure Bondoux, Les Larmes de l’assassin. Angel, meurtrier en cavale rejoint ces terres reculées, où vit un couple de paysans qu’il tue sans scrupule. Il épargnera leur jeune garçon, Paolo. Commence alors une cohabitation improbable entre ces deux êtres, laissant deviner qu’Angel pourrait s’attacher à cet enfant solitaire. Luis Secunda, un écrivain cultivé, viendra briser cet équilibre précaire, en s’installant lui aussi, dans ces lieux isolés. L’illustrateur n’a conservé que l’essence de l’œuvre, préférant laisser toute sa place au dessin. Les textes courts encadrent les images et les dialogues sont limités, donnant toute son intensité au lien indicible qui unit Angel, Paolo et Luis. Les pleines pages sont nombreuses et les planches, découpées en deux ou trois cases uniquement, donnent à voir des personnages noyés dans des panoramas hostiles. Le contraste entre le roman et les illustrations est saisissant. Les couleurs sombres, les ombres sur les visages donnent toute sa gravité au récit, destiné initialement à un lectorat jeunesse. Les paysages arides font écho aux personnalités sombres d’Angel et de Paolo, seuls face à leurs destinées. Sur la dernière page, Paolo, devenu adulte, revient sur les terres de son enfance, espérant enfin trouver « de la lumière ». Une belle adaptation publiée aux éditions Futuropolis qui sera l’occasion, pour les plus grands des adolescents, de découvrir l’œuvre d’AnneLaure Bondoux. ■ Anne Clerc 52 I L’Île aux 100 000 morts Fabien Velhmann Ill. de Jason Glénat, 2011 (1000 feuilles) 56 p. 15 € 978-2723476799 Mots clés Piraterie Humour noir La jeune Gweny scrute l’océan chaque matin dans l’espoir de trouver une bouteille flottant dans la mer. Une curieuse manière d’essayer de retrouver son père qui l’a abandonnée après avoir découvert une carte au trésor dans l’un de ces contenants insubmersibles. Un jour, et ce malgré la faible probabilité de voir son vœux s’accomplir, Gweny repêche un flacon renfermant une carte. Déterminée, elle se rend dans une taverne pour enrôler dans son périple une bande de pirates avides de faire fortune. Cap pour l’Île aux cent mille morts, promesse de richesse et de vérité ! Dès leur arrivée les événements prennent une tournure désagréable pour tout l’équipage. L’île abrite en effet une curieuse école de bourreaux et les bouteilles servent à ferrer les plus cupides afin de fournir des cobayes pour les Travaux Pratiques des Lecture Jeune - mars 2011 67 élèves… Preuve que l’esprit est plus fort que le muscle, le personnage de Gweny se montre effroyable en usant de ruses alambiquées pour manipuler à sa guise sa bande de soiffards sanguinaires. La rencontre entre le dessinateur norvégien Jason (Attends…, Low Moon) et le conteur Velhmann (Spirou, le Marquis d’Anaon) est une célébration pour les amateurs de périples décalés et d’humour noir savoureux. Le dessin épuré, parfaitement exécuté, est en rupture avec les habituels récits de pirateries réalistes ; de même que la mise en page privilégie une structure simple. Loin d’être une faiblesse, le parti pris graphique offre plus d’espace aux dialogues proprement truculents. Cette histoire complète offre un moment de lecture unique à réserver toutefois aux lecteurs aguerris. ■ Pierre Pulliat Lecture Jeune - mars 2011 68 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Documentaires 53 I Marguerite Duras à 20 ans. L’amante Marie-Christine Jeanniot Au Diable Vauvert, 2011 (À 20 ans) 168 p. 12 € 978-2-84626-286-6 Genre Biographie Mots clés Amour Humiliation Famille Les photos les plus connues de Marguerite Duras sont celles d’une vieille femme aux traits marqués, celles d’un écrivain tel un sphinx énigmatique. Aussi lit-on avec un grand intérêt ce petit livre consacré à la jeune femme, de sa jeunesse indochinoise à ses années de formation parisienne. On y découvre les blessures, les humiliations mais aussi le désir, le projet irréductible d’échapper à sa famille et de devenir écrivain. C’est une jeune fille très séduisante, aux mœurs libres, voire vénales, qui étudie l’économie et le droit à Paris puis devient fonctionnaire au Ministère des colonies. Comme il est intéressant de lire ses propos dans Les Cahiers du cinéma : « Si j’avais fait des études littéraires, Sorbonne et compagnie, ou Normale Sup, je ne serais jamais devenue un écrivain. Je serais devenue une confiture d’écrivain, un professeur écrivain ». Marguerite Donnadieu a toujours écrit, mais il lui faut surmonter le refus de son premier roman, La Famille Taneran, par Raymond Queneau, lecteur chez Gallimard, en 1941. Ce n’est qu’au bout de dix années, après avoir vécu l’Occupation, qu’elle réussit à percer dans le milieu littéraire parisien. Elle fréquente écrivains et hommes politiques avec lesquels elle tisse des relations amoureuses ou amicales qui traverseront toute son existence. Il faut donc recommander ce petit livre tout en le complétant, bien sûr, par la lecture de son œuvre. ■ Colette Broutin Réseau de lecture : Marguerite Duras. Vérité et légendes. Photographies inédites d’Alain Vircondelet, Éditions du Chêne, 1996. 54 I Gallimard. Un éditeur à l’œuvre Alban Cerisier Gallimard, 2011 (Découvertes Gallimard) 176 p. 14,30 € 978-2-07-044169-3 Mots clés Edition Gallimard Histoire Publié sous une élégante couverture ivoire à titre rouge, L’Otage de Paul Claudel inaugure en mai 2011 le comptoir d’édition de la de la Nouvelle Revue Française (NRF), revue littéraire créée deux ans plus tôt par André Gide, Jean Schlumberger et quelques amis. A sa tête un jeune homme qui a du goût, des relations, de la fortune : Gaston Gallimard. Ainsi débute une formidable aventure intellectuelle, éditoriale et familiale ! Le documentaire, richement illustré, revient sur les succès mais aussi les déconvenues de la maison Gallimard qui a su traversé un siècle d’Histoire : comment édite-t-on sous l’Occupation ? Comment conserver son indépendance dans un secteur qui a connu des crises majeures ? Le catalogue compte aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers de titres, Lecture Jeune - mars 2011 69 des collections mythiques (la Blanche, La Bibliothèque de la Pléiade, Du Monde entier, Série noire, folio…), des auteurs devenus classiques : Camus, Sartre, Aragon, Kafka – le fonds représente 60 % du chiffre d’affaires de la maison…. En 1972, Gallimard crée un département jeunesse et le succès d’Harry Potter dans les années 2000 lui permet aujourd’hui encore de conserver son autonomie. Qu’en est-il de l’avenir de la maison ? Elle « doit de donner les moyens de prolonger son action dans un nouveau contexte technologique induisant de nouvelles pratiques culturelles… Il faut avoir la foi dans les valeurs civilisatrices de la lecture pour tenir sa place à l’ère des écrans. » Un ouvrage passionnant pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’édition. ■ Anne Clerc Réseau de lecture : De nombreux événements auront lieu tout au long de l’année pour fêter le centenaire des éditions Gallimard. La BnF accueille l’exposition « Gallimard, 1911-2011 : un siècle d’édition », du 22 mars au 2 juillet 2011. Lecture Jeune - mars 2011 70 Parcours de lecture Ouvrages de référence 55 I Les Princes, les princesses et le sexe des anges Dossier spécial : actes du colloque du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis Editions Erès (La lettre de l’enfance et de l’adolescence. Revue du GRAPE. Numéro 82), 2010 130 p. 19,95 € 978-2-7492-1336-1 Genre Actes de colloque Mots clés Merveilleux Fantastique Adolescence Ce dossier spécial rassemble les interventions des universitaires, chercheurs, écrivains, sociologues, psychanalystes qui ont participé au colloque organisé, les 27 et 28 mai 2010, au Conservatoire national des arts et métiers, par le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis. En fin de volume, on trouve leurs présentations, une sélection bibliographique ainsi que le résumé de leurs interventions, toutes passionnantes. Ces communications sont regroupées dans deux grands thèmes : « Merveilleux, rêves et enfance », « Fantastique, fantasmes et adolescence ». Pierre Péju analyse la figure de la jeune fille merveilleuse « révélatrice parfaite des divers systèmes idéologiques ou économiques qui ont caractérisé la société occidentale et l’ordre socioculturel dominant », des contes traditionnels à la presse people. Elle se doit d’être belle, objet des désirs et possède une puissance magique qui, dans la société postmoderne, lui est conférée par les marques. Elle est sommée de ne plus avoir aucun tabou, d’être « sexy », « porno-chic », « déjantée », emblème de la société de consommation. Mais dans ces conditions, possède-t-elle encore une face cachée et subversive ? Anne Defrance dresse un historique des contes merveilleux français (Charles Perrault, Mme d’Aulnoy, Mme Leprince de Beaumont…) et propose une typologie des princes et des princesses, synthèse fort utile pour se repérer dans la forêt des contes. Du côté du fantastique, il faut souligner l’exposé de Françoise Dupeyron-Lafay consacré au personnage de Lilith, « femme fatale et princesse vampire » dans le roman de George MacDonald paru en 1895, traduit en français en 2007. Cet auteur anglais dont les œuvres ont largement inspiré C. S. Lewis, G. K. Chesterton ou Tolkien, mérite d’être mieux connu par les lecteurs français. Elle suit l’évolution fascinante du personnage, des origines bibliques à la fiction littéraire et picturale de la fin du XIXe siècle. Mais qu’en est-il des héros et héroïnes dans la littérature contemporaine ? Isabelle Smadja analyse ces personnages dans les romans de fantasy et constate que garçons et filles, dont les aspirations se sont diversifiées, occupent des rôles relativement stéréotypés et que les mutations les plus décisives sont du côté des objets merveilleux. Ces nouvelles technologies numériques et les avancées neuroscientifiques véhiculent désirs et angoisses. Christine Détrez se livre à une analyse semblable dans un corpus de dix romans au succès confirmé.Elle pose la question de la perception de ces héros par les adolescents et des représentations qu’ils peuvent incarner aujourd’hui. Lecture Jeune - mars 2011 71 Quant aux psychanalystes, ils montrent le rôle joué par ces contes et récits dans la construction inconsciente des sujets et confèrent, comme Benoît Virole, la fonction initiatique de passage à l’âge adulte à l’utilisation massive de jeux vidéo en ligne par les adolescents. Enfin, Tristan Garcia-Fons interroge la figure de l’ange-adolescent, très présente dans la création contemporaine, en analysant une sélection de films où les héros incarnent ce douloureux passage à l’âge adulte et l’abandon des illusions infantiles. ■ Colette Broutin 56 I L’Enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence Cet essai revient sur la diversité des pratiques culturelles des adolescents, en suivant environ 4 000 enfants, depuis l’âge de 11 ans (en 2002) jusqu’à leurs 17 ans (en 2008). Un outil précieux qui vient compléter l’ouvrage d’Olivier Donnat sur Les Pratiques culturelles des français à l’ère numérique. Les chercheurs se sont penchés sur l’ensemble des activités qui font le quotidien des jeunes : Internet, télévision, écoute de la radio, pratiques sportives et culturelles, lecture, etc. Et nous nous rendons compte qu’au fil du temps, de nombreuses transformations surgissent. Par exemple, si 33,5 % des 11 ans déclarent lire, ils ne sont plus que 9 % à 17 ans, tandis que l’ordinateur est devenu leur première activité quotidienne (69 % contre 14,5 % à 11 ans). Les grands adolescents, plus autonomes, plus libres dans leurs emplois du temps, reconfigurent leurs usages et leurs agendas délaissant la lecture. La deuxième partie de l’étude analyse ces usages en prenant en compte la part du genre et de l’origine sociale qui influence fortement encore le rapport des adolescents à la culture. La troisième partie de l’essai questionne la transmission et la filiation. Là encore, la famille, l’école, les institutions culturelles et les copains jouent un rôle déterminant dans l’accès aux pratiques culturelles. Le dernier chapitre s’intéresse à des parcours « atypiques », mettant en évidence le jeu croisé des déterminations (poids de la famille, effets de l’école, des copains) sur les trajectoires de loisirs des adolescents. En effet, certaines filles profitent de tous les « avantages » favorisant une consommation culturelle forte qu'elles délaissent pourtant au terme de l’adolescence. Et à l’inverse, des garçons cumulant de nombreux handicaps sont pourtant très investis culturellement. Il s’agit d’un ouvrage nécessaire et complexe qui interroge les médiateurs du livre à une époque où la lecture est délaissée. Les portraits qui ponctuent l’enquête confèrent une certaine « humanité » à une étude statistique rigide et sérieuse et rappellent que chaque individu suit un parcours propre, au-delà des chiffres et des principes sociologiques… A l’issue de cet essai, une interrogation demeure : à quand une étude évoquant les pratiques de lecture des adolescents sur écran ? ■ Anne Clerc Lecture Jeune - mars 2011 Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé et Nathalie Berthomier La Documentation française, 2010 (Questions de culture) 427 p. 20 € 978-2-11-097545-4 Mots clés Pratiques culturelles Adolescence 72 Ouvrages de référence 57 I Le Pouvoir fascinant des histoires Marie Saint-Dizier Editions Autrement, 2009 (Mutations) 239 p. 21 € 978-2-7467-1340-6 Genre Essai Mots clés Littérature de jeunesse Marie Saint-Dizier choisit de parler de la littérature de jeunesse du point de vue de l’écrivain, qui est le sien. A quoi servent les livres de jeunesse ? A rendre possible une rencontre, dont l’auteur décline les modalités en trois chapitres. Elle est d’abord une rencontre organisée par les adultes qui ont leur vision de ce que doit être le monde des enfants. Ils sélectionnent des œuvres destinées à les protéger. L’univers de leurs livres, pétri de bonnes intentions, se partage entre des héros qui se plient aux normes adultes et d’autres, au contraire, en rébellion. Elle est surtout la rencontre de l’enfant lecteur avec des histoires, des personnages. Parmi une offre hétéroclite, entre livres et images de bandes dessinées ou de films, il sait se frayer sa voie, trouver ce qui prend sens pour lui, avec le plaisir, qui en découle, d’inventer ses propres histoires à partir de dialogues ou d’images tirées des livres. Il y a des classiques que l’on revisite toute sa vie parce que leur message se renouvelle chaque fois. La réalité de cette rencontre est confirmée par les écrivains qui acceptent de parler de leur rapport vivant à la littérature de jeunesse, dans le dernier chapitre. De cette lecture, le prescripteur potentiel sort revigoré. Au-delà des répartitions par tranches d’âge, on affirme que le lecteur adolescent glane son bien, en fonction de ses élans, de ses besoins, d’influences imprévisibles. Et aussi que la littérature de jeunesse reste la référence à laquelle chacun revient avec émotion pour constater qu’elle parle tout au long de la vie et nourrit une existence adulte. Ce livre chaleureux se présente comme un témoignage de ce que la lecture a représenté pour l’auteur : un espace de rencontre vital, dont l’évocation fait naître, à son tour, des souvenirs de lectures fondatrices chez l’adulte. ■ Nicole Wells Lecture Jeune - mars 2011 En savoir plus Formations page 74 Index page 76 74 En savoir plus Formations Lecture Jeunesse Programme Premier semestre 2011 Nos stages et journées d’étude se déroulent à Paris à des dates prédéterminées. Les rencontres d’auteurs et d’éditeurs sont organisées dans le cadre de nos formations et sont désormais ouvertes à un large public. Les journées d’étude abordent des problématiques professionnelles et de société, croisant les regards de spécialistes de la jeunesse et de la lecture, ainsi que les créateurs. Les programmes détaillés seront annoncés sur notre site Internet : www.lecturejeunesse.com Stages ● Les mangas Découvrir un genre plébiscité par les jeunes niveau « repères » Problématique La France est le second pays lecteur de mangas après le Japon. Les jeunes se sont emparés de ces livres dont les héros et valeurs, étonnamment, leur ressemblent. Comment mieux appréhender la qualité littéraire et graphique de ces ouvrages ? Comment se repérer dans les courants et les genres pour être à même de conseiller les lecteurs adolescents ? Dates : 23-24-25 mars 2011 Clôture des inscriptions : 23 février 2011 ● Les littératures graphiques Romans graphiques, albums, bandes dessinées, mangas… Problématique Les adolescents d’aujourd’hui ont une culture de l’image très étendue. Ils sont lecteurs de mangas et de bandes dessinées. On voit se développer dans le secteur de l’édition des formes hybrides : romans graphiques, récits illustrés, albums… Fondées sur la force et la singularité du rapport entre le texte et l’image, elles offrent des pistes d’entrée dans la lecture riches et étonnantes. Comment leur faire découvrir et apprécier ces nouvelles formes visuelles dans le domaine du livre ? Quels liens tisser entre ces littératures graphiques ? ● Les documentaires Quelle place pour les ouvrages documentaires dans la construction des savoirs à l’heure d’Internet ? Problématique Pour leurs recherches scolaires, les adolescents utilisent Internet avant de se tourner vers le livre documentaire, oubliant qu’il peut constituer une étape du repérage tout en suscitant le plaisir de la lecture. Comment prendre en compte la demande de renseignements scolaires et le besoin de découvertes personnelles dans la constitution d’un fonds qui soit à la fois cohérent et repérable ? Dates : 25-26-27 mai 2011 Clôture des inscriptions : 25 avril 2011 ● Les romans. Accompagner les parcours de lecture des jeunes niveau « repères » Problématique Comment se repérer dans la production d’ouvrages de fiction, pour proposer aux jeunes des livres adaptés à leurs parcours de lecteurs ? Dates : 6-7-8 juillet 2011 Clôture des inscriptions : 6 juin 2011 Dates : 11-12-13 mai 2011 Clôture des inscriptions : 11 avril 2011 Lecture Jeune - mars 2011 75 Inscriptions Tarifs des stages Catherine Escher 405 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 305 € TTC (Prise en charge personnelle) Renseignements pédagogiques 65 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 35 € TTC (Prise en charge personnelle) 15 € TTC (étudiants) Tél. : 01-44-72-81-50 [email protected] Sonia de Leusse-Le Guillou Tél. : 01-44-72-81-52 Anne Clerc Tél. : 01-44-72-81-53 Tarifs des journées d’étude Tarifs des rencontres 25 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 20 € TTC (Prise en charge personnelle) 10 € TTC (étudiants) Tarifs des formations sur site Nos formations peuvent être organisées sur sites (devis à la demande). ● Le théâtre et les adolescents Les spécificités du texte théâtral : de l’écrit à la mise en scène Problématique On assiste à un véritable renouveau du répertoire théâtral contemporain jeune public. Quelles pistes d’entrées singulières en lecture peut-on trouver dans ces textes et leurs mises en scène pour le public adolescent ? Dates : 22-23-24 juin 2011 Clôture des inscriptions : 22 mai 2011 Journée d’étude Le tour d’un genre, la fantasy Comment expliquer l’engouement des jeunes lecteurs pour la fantasy ? Nous vous proposerons lors de cette journée des éléments de définition théorique, des repères historiques, des analyses d’œuvres, ainsi que les éclairages concrets d’auteurs, d’éditeurs, de médiateurs et de lecteurs « fans ». Dates : 17 mars 2011 ● Conduite de projets Accueillir des adolescents en bibliothèque Espaces, collections, services, médiations Problématique L’adolescence est un moment de passage à prendre en compte et à accompagner. La fréquentation des bibliothèques par ce public constitue une problématique singulière. Comment considérer ses besoins pour en améliorer l’accueil et répondre à ses attentes ? Dates : 8-9-10 juin 2011 Clôture des inscriptions : 8 mai 2011 Lecture Jeune - mars 2011 76 Index Auteurs A notice B notice Abier, Gilles Adam, Olivier Berthomier, Nathalie Billet, Julia Bondoux, Anne-Laure Borgne (Le), Loïc Bourhis, Hervé Bousquet, Charlotte Brooks, Kevin Burgess, Melvin C Cannet, Jean-Pierre Cannone, Eléonore Cendres, Axl Cerisier, Alban Chambers, Aiden Collombat, Isabelle Combres, Elisabeth 1 40 56 17 51 23 32 41 2 42 notice 18, 19 3 4 54 20 35 15 D notice E notice Debats, Jeanne-A Détrez, Christine Ferdjoukh, Malika G Gauthier, Séverine Gibrat, Jean-Pierre Giraud, Hervé Grant, Michael 43 56 10 notice 11 33 5 21 H notice I notice J notice K notice L notice Hausfater, Rachel Ito, Shizuka Jeanniot, Marie-Christine Kamio, Yoko Korkos, Alain Larbalestier, Justine Ligny, Jean-Marc London, Jack 36 12 53 M notice O notice P notice R notice S notice T notice V notice W notice Maret, Pascale Martin, François-René Mashima, Hiro Mazard, Claire Mead, Richelle Mercklé, Pierre Mistral, Laure Morano, Cyril Oates, Joyce Carol Octobre, Sylvie Otsuishi Oudin, Eric Pins (de), Arthur Provost, Martin Raymond, Jon Rippin, Sally Roger, Marie-Sabine Rollins, James Roy, Jennifer Ruiz Zafòn, Carlos Saint-Dizier, Marie Sané, Insa Stéfani, Rémi Stockett, Kathryn Thinard, Florence Tournier, Jacques Velhmann, Fabien Wooding, Chris 26 38 14 6 27 56 37 39 44 56 7 39 34 45 46 28 47 8 29 31 57 48 30 49 15 50 52 9 13 16 22 24 25 Lecture Jeune - mars 2011 77 Index Titres B notice C notice Bifteck Bout du monde (Le) Cat Street, T. 1 Chenxi et l’étrangère Chico Mendes : « Non à la déforestation » Cœur régulier (Le) Couleur des sentiments (La) Cranach. Le Pouvoir des images. 45 23 13 28 35 40 49 38 D notice E notice F notice Daddy est mort… Retour à Sarcelles 48 Derrière les volets 3 Dis-lui 30 Echecs et but ! Enfance des loisirs (L’) Enid. Quatre Sœurs T. 1 Fabrique de filles (La) Face de lune Flingue ou du chocolat (Un) Foule, elle rit (La) Francesca de Rimini G Gallimard. Un éditeur à l’œuvre Garance Gone. Mensonges, T. 3 I iBoy Île aux 100 000 morts (L’) J J’ai le vertige Jake Ransom et l’ombre du Roi Squelette Jour où je suis devenue mytho (Le) 4 56 10 37 25 7 19 50 notice 54 11 21 notice 2 52 notice 29 notice M notice Maison du pont (La) Mal-morts Malice T. 1 Marche du crabe, La Condition des crabes, T. 1 (La) Marguerite Duras à 20 ans. L’amante Marina Mattéo, deuxième époque (1917-1918) 22 14 36 N notice P notice Nanja Monja, T. 1 Nicholas Dane Petit Livre des Beatles (Le) Petite sœur, mon amour Petites histoires de quartiers Pierrot infernal (Le) Plaguers Pouvoir fascinant des histoires (Le) Pourquoi la guerre ? Comment la paix ? Princes, les princesses et le sexe des anges (Les) Princesse des os 12 42 32 44 17 6 43 57 15 55 41 Q notice S notice V notice Quelle mouche nous pique ? Sang pour sang vampires Vampire Academy. Sœurs de sang, T. 1 Vivement l’avenir 5 16 27 47 W notice Y notice Z notice Wendy et Lucy Yvon Kader, des oreilles à la lune Zone tribale 46 18 26 8 1 L Larmes de l’assassin (Les) Liberté (La) Menteuse Monster Soul, T. 1 et T. 2 Mordechaï Anielewicz : « non au désespoir » 51 39 20 24 9 34 53 31 33 Lecture Jeune - mars 2011 78 Index Genres et mots clés Genres A notice B notice Actes de colloque Biographie C 55 32, 53 notice Conte 45 E notice Essai 39, 57 M notice N notice Monologue Nouvelles P Polar historique R Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman 1 5, 17, 46 notice 41 notice 40, 49 d’anticipation 21 fantastique 2, 8, 9, 25, 27, 31 historique 50 initiatique 43 noir 48 policier 3, 6, 7 psychologique 20, 22, 24, 44 social 42 S Science-fiction Shojo manga Shônen manga T Témoignage Théâtre notice 23, 43 13 12, 14 notice 29 18, 19 Mots clés A notice Adolescence 5, 55, 56 Adultère 50 Amitié 3, 5, 7, 9, 20, 23 Amour 10, 11, 28, 30, 31, 50, 53 Anarchisme 33 Angoisse 24 Antiquité 41 Assassin 51 B notice C notice Bandes d’adolescents Banlieue Barcelone Beatles Bolchevisme Bretagne Chili Chine 2 48 31 32 33 45 51 28 Cinéma Civilisations disparues Condition féminine Conte Crabe Crime Crise Critique sociale Culture 16 8 37 11 34 6, 50 47 34 28 D notice Déforestation Délinquance Dépression Deuil Différences 35 42, 48 20 7, 40 18 E notice Echecs Ecole Ecole active Edition Energie quantique Enfance Engagement Enquête Etats-Unis Exclusion Exil 4 27 13 54 43 51 35 6 45, 46 43 19 F notice Fait divers Famille Fantastique Folie Football 44 19, 30, 53 14, 55 20 4 G notice H notice Gallimard Ghetto Guerre Handicap Handicap mental Hikikomori Histoire Horreur Humiliation Humour Humour noir 54 36 15 47 18 13 54 9 53 1, 5, 10, 14, 34 52 I notice L notice M notice Identité Inégalités Internet Italie médiévale Liberté Littérature Littérature de jeunesse Loup-garou Lucas Cranach l’ancien Magie Maître et serviteur Mensonge Lecture Jeune - mars 2011 43 17 2 50 39 16 57 22 38 12 49 1, 22 Merveilleux Mississipi Monde contemporain Monstre Mort Musique Mystère 55 49 15 14 24, 25, 31 30 3 N notice P notice Nazisme Paix Passion Pédophilie Philosophie Piraterie Pratiques culturelles Prophétie 29 8, 15 4 42 39 52 56 21 Q notice R notice Quotidien Racisme Relation frère/sœur Renaissance allemande Révolution russe Rock Rome Ruralité S Science-fiction Seconde Guerre mondiale Séparation Shoah Sœur Solidarité Solitude Sorcellerie Star Suicide Surnaturel T Technologie Tragédie V Vampire Vengeance Violence Voyage 17 7, 49 8, 40 38 33 32 41 12 notice 21 29 11 29, 36 10 23, 47 24 41 1 40 25 notice 23 44 notice 16, 27 26, 48 2, 42 45 79 Ours Lecture Jeune 190, rue du Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris Tél. : 01 44 72 81 50 - Fax : 01 44 72 05 47 Courriel : [email protected] Site : www.lecturejeunesse.com Directrice de la publication Bernadette Seibel Directrice de la rédaction Sonia de Leusse-Le Guillou (81-52) Rédactrice en chef Anne Clerc (81-53) Administration Catherine Escher (81-50) Comité de rédaction Madeleine Couet-Butlen, Marie-Christine Jacquinet, Chantal de Linares, Annick Lorant-Jolly, Audrey Messin, Bernadette Seibel, Véronique Soulé, Jean-Claude Utard Conception Réalisation Isabelle Dumontaux Correction Maud Simonnot Photographie de couverture © Dorothy Shoes Ont collaboré à ce numéro Colette Alves, Thomas Bailly, Nicolas Beaujean, Cyrielle Bonnot, Marie-Françoise Brihaye, Colette Broutin, Anne Clerc, Tiphaine Desjardin, Marilyne Duval, Sébastien Féranec, Aurélie Forget, Laurence Guillaume, Elise Hoël, Marion Jagu, Marianne Joly, Soizic Jouin, Delphine Lacoste, Sophie Lartigue, Frédéric Leray, Amélie Mondésir, Déborah Mirabel, Elsa Pellegri, Benoît Petit, Pierre Pulliat, Charlotte Plat, Jean Ratier, Cécile Robin-Lapeyre, Sonia Seddiki, Marianne Toqué, Nicole Wells Impression L’ARTESIENNE - Dépôt légal : mars 2011 Tél. : 03 21 72 78 90 I.S.S.N. 1163-4987 C.P.P.P. n° 1107G79329 Revue éditée par l’association Lecture Jeunesse Association de loi 1901 déclarée le 4 janvier 1974 Agréée par le Secrétariat d’Etat Jeunesse et Sport le 27/01/1977 – N° 94.155 Cette revue est publiée avec le concours de la Mairie de Paris, du Centre national du livre et de la Direction du livre et de la lecture (Ministère de la culture). L’Association reçoit le soutien de la Fondation Blancmesnil. Lecture Jeune - mars 2011 Bulletin Parcours de lecture Abonnement commande 2011 80 80 Livres accroche Littératures Nom, prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fonction : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Organisme : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Email : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2011 - Abonnement pour 4 numéros (Numéros 137 à 140) France : 42 € TTC (41,14 € HT) Autres pays et DOM TOM : 46 € TTC (45,05 € HT) Vente au numéro : 14 € TTC (13,71 € HT) Paiement par chèque joint Pour les organismes, facture en ….. exemplaires Merci de retourner votre bulletin à l'adresse suivante : Lecture Jeunesse Abonnement 190, rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris ■ ■ ■ ■ ■ Pour adhérer à l’association Lecture Jeunesse Je désire adhérer à l’association Lecture Jeunesse et soutenir son action en qualité de : ■ Membre adhérent : 25 € Membre bienfaiteur : 45 € et + ■ @ Date et signature www.lecturejeunesse.com " Lecture Jeune - mars 2011 La fantasy, le tour d’un genre N° 138 – Juin 2010 Actes de la journée d’étude du 17 mars 2011 organisée par Lecture Jeunesse Comment expliquer le succès de la fantasy auprès des jeunes lecteurs ? Nous vous proposerons dans ce numéro des éléments de définition théorique, des repères historiques, quelques particularités de ce genre qui se décline sur une pluralité de supports, ainsi que des éclairages concrets d’auteur et d’éditeurs Lecture Jeune Les derniers numéros Pierre Bottero N°133 Culture numérique N°135 Jean-Claude Mourlevat N°132 Portraits d'adolescents en littérature jeunesse N°134 Le théâtre et les adolescents N°136 L'amour à l'adolescence Photographie de couverture © Dorothy-Shoes N°131