Atelier 3 / Peut-on conduire le changement en profondeur

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Atelier 3 / Peut-on conduire le changement en profondeur
Atelier 3 / Peut-on conduire le changement en
profondeur dans le service public local sans
mouvement social ?
[Projection d’un film : le changement vu par les agents territoriaux de la ville de Saint-Étienne]
Animateur : Cédric GRAIL
Directeur général adjoint Ressources, Ville de Saint-Étienne
À l’heure actuelle, le changement est une nécessité pour les collectivités territoriales au vu des
fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur elles.
Tout projet de changement passe par un diagnostic de la situation, une méthode et le
choix d'un moment propice.
Deux options existent : une adaptation rapide sans prendre le temps de la concertation avec le
risque de changer à la marge ou un changement en profondeur qui prend le temps de la
concertation avec les agents et les organisations syndicales. Cette dernière option conduit à
accepter de prendre le risque d'une lassitude des agents qui sont dans l'attente et surtout celui
d'une situation conflictuelle.
Il apparaît dès lors que le conflit est inéluctable si l’on souhaite faire évoluer le service
public en profondeur.
Six éléments pour réussir le changement
Aurélien COLSON
Professeur et Directeur associé de l’ESSEC1-IRENE2
Le service public local doit parfois se réorganiser pour s’acquitter au mieux des missions qui lui
sont confiées.
Il vaut mieux faire le choix de changer plutôt que de subir d’inévitables
bouleversements. Jean Monnet disait : « Nous n’avons que le choix entre les changements
dans lesquels nous serons entraînés, et ceux que nous aurons su vouloir et accomplir ».
Mais encore faut-il choisir une méthode de changement efficace. Une deuxième citation permet
d'illustrer le propos. Selon Edgard Faure, « en voulant décréter le changement, l’immobilisme
s’est mis en marche, et je ne sais plus comment l’arrêter ».
Le changement peut conduire à des situations d’incertitudes et donc à un sentiment
d’inquiétude des acteurs concernés. Pierre Mendès-France donnait toutefois trois facteurs clés
pour éviter que ce sentiment d'inquiétude ne devienne un frein au changement : « Il n’est pas
vrai que les Français soient plus difficiles à gouverner que d’autres – à condition qu’ils soient
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2
École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales
Institut de Recherche et d’Enseignement sur la Négociation
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loyalement informés, qu’on les associe à l’action et leur volonté ne soit pas continuellement
ignorée ou bafouée par ceux qui les gouvernent »
La méthode ne va pas de soi. [Projection d'une photo d'un manifestant affichant une pancarte
affirmant « Négocier tue »]
En 2005, Aurélien COLSON a piloté un groupe de travail constitué par le Commissariat Général
du Plan (CGP). Il était chargé de mener une réflexion sur les facteurs de succès et d’échec du
changement dans les services publics d’État. L'étude a été conduite à partir d'analyses de
projets de changements conduits dans de services de l'Etat ou dans des entreprises publiques.
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Mais les conclusions générales de cette étude sont transposables aux services publics locaux.
Il est ressorti de cette étude que la réussite du changement tient à la combinaison
habile de six éléments :
- un terrain : il faut tenir compte des spécificités culturelles de l'organisation concernée par le
changement ainsi que des précédents. Une méthode qui a fonctionné dans un autre contexte
n'est pas transposable à toute organisation.
- un moment : le changement doit être mené au cours d’une période propice. Il convient de
repérer les fenêtres d'opportunité ouvertes par des facteurs externes ou internes.
- un projet : les objectifs que l’on souhaite atteindre doivent être préalablement définis. La
vision exprimée n'apparaîtra comme légitime que si elle répond aux enjeux du moment et aux
contraintes du terrain.
- une volonté politique intense et continue : la temporalité du changement dépasse parfois
la durée d’un mandat. Il s'agit d'une difficulté à prendre en compte dans la conception du
projet pour la dépasser.
- quelques personnalités fédératrices : le changement doit être incarné par des hommes et
des femmes charismatiques.
- un pilotage : une équipe doit être identifiée pour la coordination du projet. Elle aura pour
rôle de mobiliser les acteurs, de communiquer et de s'assurer que les délais soient tenus.
Le cas stéphanois
Cédric GRAIL
La présentation n'a pas pour objectif de faire l'éloge de l'expérience de la Ville de SaintÉtienne. Il s'agit de partager quelques enseignements, positifs ou négatifs, de notre
expérience.
1.
La contrainte budgétaire rend nécessaire la renforcement de la performance
de la collectivité tout en répondant à la volonté d’amélioration du service
public
3
Le rapport de cette étude sur la conduite du changement dans la fonction publique territoriale est
disponible en libre téléchargement sur le site de la Documentation française :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/
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Le contexte stéphanois présente trois spécificités principales. La Ville de Saint-Étienne a connu
une alternance politique en 2008. La gauche a en effet remporté les dernières élections
après 25 années de gestion de la Ville par des partis de droite ou de centre-droite. Les agents
territoriaux affirment régulièrement qu'ils placent de grands espoirs dans l’alternance politique.
Ensuite, la collectivité connaît une situation financière très difficile. En 2008, la dette de la
Ville était composée à 70 % de produits toxiques. Cette situation de forte contrainte
budgétaire a nécessité des mesures urgentes de la municipalité.
Enfin, le profil du maire actuel, ancien président d’université agrégé d’économie, le
rend familier des problématiques de gestion. Un des objectifs principaux du plan de
mandat est ainsi d’assainir la situation financière de la Ville. Outre une politique de maîtrise
rigoureuse des dépenses, la municipalité cherche à exploiter tous les leviers de renforcement
de la performance de l’organisation et d'accroissement de la qualité du service public.
Les enquêtes
de satisfaction conduites
auprès
des
usagers sont un levier
d'adaptation du service public. La Ville de Saint-Étienne a mis en place des enquêtes de
satisfaction auprès des usagers selon une méthode associant les agents à une réflexion sur
leurs missions parallèlement à un travail avec les usagers leur permettant de définir euxmêmes les critères de satisfaction. Ces enquêtes permettent ainsi d'objectiver les
attentes des usagers.
2.
La professionnalisation de la conduite le changement
Au regard des importantes adaptations de service à la Ville de Saint-Étienne et de leurs
enjeux, la collectivité a fait le choix d'une professionnalisation de la conduite du changement.
Elle s'est dotée en 2009 d'une direction de l'évaluation, de la performance et de la
prospective (DEPP) dont une partie des missions est dédiée à l'accompagnement des services
dans la conduite de leur adaptation. La DEPP est chargée d’améliorer la performance interne
des services de la Ville et la performance externe en gérant les relations avec les partenaires
extérieurs (négociation des contrats de délégation de service public, optimisation des
financements extérieurs).
La DEPP est en outre garante du respect d'une méthode commune de conduite de changement
comprenant un diagnostic de la situation, des phases d'orientation et de validation par la
direction générale, des phases de concertation avec les agents et avec les syndicats et la
réalisation d’une évaluation des effets de l'adaptation des services. L’adoption d’un cadre
commun qui impose des phases de concertation facilite le déroulement du
changement. L'application de cette procédure nécessite toutefois d'accepter une durée
longue des projets de changement. De la conception du projet à sa mise en œuvre, il s'écoule
entre six mois et deux ans.
L'implication du politique dans le dialogue social dans un cadre resserré constitue
un facteur de cohérence essentiel de ce dialogue. A Saint-Étienne, le choix est celui d'un
interlocuteur politique unique par délégation du Maire : l'adjointe au personnel qui travaille de
manière étroite avec la direction générale. Le Maire n'est pas directement impliqué dans le
3
dialogue social au quotidien mais une rencontre annuelle avec les organisations syndicales est
organisée.
3.
Un agenda social aux résultats mitigés
En 2010, après deux grèves importantes, la Ville de Saint-Étienne a mis en place un agenda
social dans le cadre d'une conférence biannuelle sur la politique de rémunération avec les
organisations syndicales de manière à garantir la transparence du dialogue social. Le résultat
en termes d'apaisement du climat reste toutefois limité. En effet, la contrainte
budgétaire limite les possibilités de satisfaire les revendications en termes de rémunération.
L’apaisement total n’est pas encore atteint mais la création de conférences biannuelles permet
néanmoins
de
débattre
régulièrement
du
dispositif
de
rémunération
et
de
ses
dysfonctionnements éventuelles.
4.
Trouver le juste milieu : un exercice difficile
Paradoxalement, le choix de la transparence du dialogue social de la part d’une
municipalité devient parfois un frein au changement. En effet, certaines informations
jusqu'alors inconnues peuvent effrayer les agents et dès lors créer des tensions avec eux ou
avec les organisations syndicales.
De même, une concertation trop longue peut être contreproductive car plus elle dure,
plus la souffrance au travail des agents territoriaux, liée aux dysfonctionnements du service,
perdure.
Enfin, les réorganisations profondes du service public local sont généralement accusées d’aller
à l’encontre de l’intérêt des équipes. Même si ce n’est pas le cas, il faut prendre le temps de
comprendre la réalité vécue sur le terrain.
Il semble difficile d’éviter les conflits en période de changement. Dès lors que l'on fait le choix
de la concertation, deux points de vigilance sont à relever. En premier lieu, ce qui relève du
domaine du non négociable au regard du diagnostic préalable doit être affirmé
clairement auprès des acteurs. Le risque de conflit sur ce domaine non négociable doit être
assumé. En second lieu, faire le choix de la concertation conduit à accepter d'intégrer dans le
projet initial des propositions issues de ce dialogue. Il convient également d'éviter les
postures dogmatiques et d'accepter de reconnaître ses torts ou de revoir son
jugement.
Échanges avec la salle
De la salle (Christophe DERONZIER, Conseil général du Gard)
Un processus de changement est long, alors que les évolutions économiques et
sociales sont de plus en plus rapides. Dans ces conditions, une réforme ne risque-telle pas d’être désuète dès sa mise en place ?
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Cédric GRAIL
La situation de l'administration doit être distinguée de celle des entreprises privées. Les
entreprises privées ont l’obligation de s’adapter aux contraintes du marché très rapidement
sinon leur survie est en danger. Ce n’est pas le cas de l’administration.
Michèle KAUFFER
Secrétaire générale de l’UFICT-CGT4
Prendre le temps de dialoguer permet de résister à des processus financiers et économiques
de plus en plus rapides.
De la salle (Yves GORMEZANO, Ville et Communauté urbaine d’Alençon)
Je considère qu’il faut privilégier l’usage du terme « changement » plutôt que celui
de « réorganisation », connoté plus négativement et qui donne l'impression d'une
négation des actions conduites auparavant. Le changement est une opportunité qui
permet à chacun de trouver sa place dans une organisation où toutes les compétences sont
mises en valeur. Par ailleurs, une grève peut être un moment d’accélération du
changement car les débats sont plus francs.
Aurélien COLSON
Le choix des mots est en effet important. Les termes « réforme » ou « réorganisation », par
exemple, sous-entendent que tout ce qu'ont fait les acteurs concernés jusqu'à présent n'était
pas satisfaisant. Il faut construire, autour du changement, un univers sémantique
positif et tourné vers le futur.
Par ailleurs, la temporalité du changement et la temporalité politique sont décalées. La
première est plus longue et pour aboutir, le changement implique de parvenir à créer
une continuité de l’engagement politique.
De la salle
Les services techniques de la Ville de Cergy ont été soumis à un audit. Il a notamment conclu
à un manque de productivité et au trop grand nombre de salariés. Dans ce contexte, une
démarche de changement a été engagée. La réorganisation a été utile pour revaloriser le
métier de chacun.
Cédric GRAIL
Parfois, les prestations de la collectivité ne correspondent plus aux besoins des usagers. Les
horaires des services, par exemple, ne sont pas toujours adaptés aux disponibilités des
citoyens. Dans ce cas, le changement est nécessaire.
De la salle
Par définition, le conflit est potentiellement présent. Il faut développer une méthode pour qu’il
ne devienne pas insurmontable.
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Union Fédérale des Ingénieurs, Cadres, Techniciens – Confédération Générale du Travail
5
De la salle (Dominique TERRAT, représentant de la CGT, ancien secrétaire général de la CGT
à la Ville de Saint-Etienne)
La nécessité du changement doit être partagée. Or les agents territoriaux de terrain ne se
sentent pas responsables des dysfonctionnements des services publics. Et pourtant, on leur
demande d'assumer les conséquences du changement.
Le point de vue d'une organisation syndicale
Michèle KAUFFER
1.
La dialogue social face aux bouleversements dans la fonction publique
La crise financière internationale a eu des répercussions sur l’ensemble de l’économie
mondiale. Elle a entraîné l’adoption généralisée de plans d’austérité, caractérisés par une forte
réduction des dépenses publiques. La France n’a pas échappé à ce mouvement puisque, dès la
fin de l’année 2007, le gouvernement a donné le coup d’envoi de la Révision Générale des
Politiques Publiques (RGPP), dont la première étape consiste à ne pas remplacer la moitié des
fonctionnaires parvenus à l’âge de la retraite.
Par ailleurs, de nouveaux concepts calqués sur ceux des entreprises privés font leur
entrée dans le champ du secteur public, tels que le management, la gouvernance et la
performance. Ces concepts sont prônés dans une logique de rationalisation des moyens
financiers et humains. Mais ils sont en contradiction avec les principes fondateurs du service
public que sont par exemple l’adaptabilité et la continuité.
2.
Les outils du dialogue social
Dans la fonction publique, plusieurs outils existent pour développer le dialogue social :
élections professionnelles, instances représentatives du personnel, droit syndical… La loi de
rénovation du dialogue social du 5 juillet 2010 devait renforcer la légitimité du dialogue social,
promouvoir de nouvelles pratiques et renforcer le rôle et le fonctionnement des organismes
consultatifs. Aujourd'hui, on peut douter du fait que la déclinaison concrète de cette loi soit à
la hauteur de ces engagements.
Lors de la mise en œuvre d’une réorganisation des services publics, il serait nécessaire d’offrir
un espace d’expression aux agents. Malheureusement, la plupart des décisions sont prises sans
même consulter les organisations syndicales.
Parallèlement au dialogue social, d’autres formes de consultation du personnel se
multiplient : assises du personnel, rencontres citoyennes… Les organisations syndicales ne
s’opposent pas à ces nouvelles pratiques. Toutefois, elles ne doivent pas être utilisées pour les
contourner. D’après la loi, les instances paritaires demeurent les seules structures
légitimes pour adopter les projets de réorganisation des services.
6
3.
Le conflit, un risque nécessaire
Fuir la confrontation ne conduit souvent qu’à faire émerger les conditions d’un conflit social. Le
regard porté sur le conflit doit être plus positif.
La conflit social permet la confrontation des intérêts de chacun et la recherche d'un
équilibre entre des intérêts divergents. Certes, la qualité et la pérennité du service public
constituent un intérêt commun. En revanche, la logique de rationalisation budgétaire ne doit
pas se faire au détriment des critères sociaux et humains.
Saint-Germain-en-Laye :
comparaison
changement et stratégie militaire
entre
conduite
du
Amaury DE BARBEYRAC
Directeur général des services, Ville de Saint-Germain-en-Laye
1.
Définir ce qui est négociable
La Ville de Saint-Germain-en-Laye est dirigée par une majorité de droite, qui a fait le choix,
dans certains cas, de mettre en place des Délégations de Service Public (DSP). Ce mode de
gestion heurte souvent les valeurs des organisations syndicales. Pourtant, la décision de
l’élu ne devrait pas être remise en cause puisqu’elle a été légitimée par des
élections. L'élu est légitime pour choisir les modes de gestion des services publics. De plus,
en raison des restrictions budgétaires, la municipalité ne peut plus assurer elle-même
l’ensemble de ses missions.
Le champ de la négociation ne peut pas porter sur le principe de la DSP mais seulement sur les
services à déléguer. Dans une négociation, les organisations syndicales doivent être
envisagées en tant que partenaires et non comme des adversaires. S’engager dans une
négociation ne revient pas nécessairement à tomber dans un guet-apens.
2.
Mener le changement, une stratégie militaire
La conduite du changement s’apparente à l’art de la guerre tel qu'il est analysé par
Sun Tzu. En effet, la réunion des six éléments mentionnés par Aurélien Colson (un terrain, un
moment, un projet, une volonté politique, des hommes et des femmes et un pilotage)
constituent la base d'une stratégie militaire.
Une stratégie construite sur la base de ces éléments permet de remporter des batailles
militaires, comme ce fut le cas de Napoléon à Austerlitz. Napoléon a choisi le lieu et le moment
de l’affrontement avec soin. Il incarnait une volonté politique forte et avait l’allure d’un chef
charismatique pour son armée. Enfin, il poursuivait un but précis.
Aurélien COLSON
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L’élu puise sa légitimité dans l’élection démocratique. Toutefois, pour parvenir à mener son
plan de mandat à bien, la collectivité doit être soudée autour de lui ; sinon il échouera.
Échanges avec la salle
De la salle (Jacques DOFFENIES, Ville de Saint-Louis, La Réunion)
Le redressement d’un budget doit être perçu comme un moyen de pouvoir mener à terme des
projets et non comme un objectif en soi.
De la salle
À Saint-Étienne, l’équipe de direction a-t-elle été modifiée au début du nouveau mandat ?
Cédric GRAIL
Le directeur général des services et certains directeurs généraux adjoints ont été remplacés.
Mais la gestion de l'équipe de direction de la Ville n’est pas régie par des critères politiques.
Michèle KAUFFER
Le mouvement social provoqué par la réforme des retraites est le triste exemple d’un dialogue
mené de façon autoritaire et anti-démocratique.
Dans la fonction publique territoriale, les cadres doivent avoir une place centrale dans la
réussite de la conduite du changement.
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Sigles
CGP : Commissariat Général du Plan
DSP : Délégation de Service Public
ESSEC : École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales
IRENE : Institut de Recherche et d’Enseignement sur la Négociation
RGPP : Réforme Générale des Politiques Publiques
UFICT-CGT : Union Fédérale des Ingénieurs, Cadres, Techniciens et Agents de Maîtrise –
Confédération Générale du Travail
Compte-rendu des Entretiens territoriaux de Strasbourg
1er et 2 décembre 2010
© CNFPT INET 2010
Réalisation :
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