anthologie de textes sur l`influence - François
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ANTHOLOGIE DE TEXTES SUR L’INFLUENCE Version révisée en mars 2008 Par François-Bernard Huyghe [email protected] Le contenu de ce document est protégé par le droit intellectuel de l’auteur, Il peut être partiellement reproduit et cité à la condition de le citer et d’indiquer l’adresse http://www.huyghe.fr. 1 I Influence : le pouvoir des signes................................................................................................... 3 A) Entre transmission et efficience......................................................................................... 4 B) La direction des réseaux ..................................................................................................... 7 II Gagner les cœurs et les esprits.................................................................................................... 9 III Puissance et influence.............................................................................................................. 12 IV INFLUENCE 2.0 : TECHNIQUES ET RÉSEAUX ............................................................... 14 V Chefferies .................................................................................................................................. 24 VI Influence et intelligence économique........................................................................................ 31 VII Entreprise et influence dans la société de l'information.......................................................... 36 A Le mystère de l’influence...................................................................................................... 37 B L’influence de l’influence ...................................................................................................... 41 VIII Une société d’influence ........................................................................................................ 50 IX : L’influence un outil de sécurité nationale ............................................................................. 51 Bibliographie générale ................................................................................................................... 61 2 I Influence : le pouvoir des signes Influence, ce concept « roue de secours » est indispensable, mais à n’utiliser qu’en cas de panne. Le langage courant en fait un deus ex machina qui résout une situation défiant l’explication usuelle. X a mal tourné, ce doit être sous l’influence de Y (ou de l’alcool, ou de ses lectures). Tel journal a adopté telle position, sous l’influence des trotskistes ou des néo-libéraux qui l’infiltrent. Voilà pourquoi votre fille n’est pas muette : l’opinion parle sous influence des médias. Outre les comportements individuels, l’idée s’applique aux équilibres géopolitiques. Nous disons que tel pays est dans la zone d’influence de tel autre ou que tel État exerce une influence disproportionnée à sa puissance. Les actions de « l’influencé » vont dans le sens favorable à « l’influent ». Le consentement du premier aux desseins du second ne s’explique ni par la menace ni par la récompense explicites. Ni contrainte, ni contrat : l’influence se subit. C’est toujours une relation asymétrique. Ce peut être le résultat d’une stratégie indirecte, là où elle est délibérée. Alors que la puissance se mesure en termes de capacités, l’influence se constate après coup à des « performances » : en quoi elle affecte l’attitude d’autrui. En tant que stratégie internationale menée délibérément par un État en quête de soutiens (et en conquête de marchés) par la communication, l’influence revient visiblement au premier plan. Ce ne sont pas les Français qui s’apprêtent à lancer le 6 décembre France 24, une télévision d’information continue en français et en anglais qui diront le contraire. Notre pays continue visiblement à compenser ses faiblesses en gagnant statut de prestige culturel mais aussi par une image de défenseur du multilatéralisme et de la diversité. Et les USA qui constatent les limites d’une puissance qu’ils avaient rêvée sans reproche et sans complexe, se tournent vers des politiques publiques, souvent relayées par des acteurs privés. Qu’on les appelle de diplomatie publique, de soft power ou d’influence stratégique, qu’elles s’inscrivent dans une optique d’intelligence économique ou de lutte contre l’antiaméricanisme, ces stratégies sont ouvertement idéologiques et culturelles. La mondialisation rend de plus en plus nécessaires les actions destinées à se concilier les décideurs et les opinions par des voies autres que celles de la diplomatie classique. Le monde de l’entreprise s’intéresse de plus en plus à des questions d’image et de réputation, aux courants culturels qui déterminent le comportement des acteurs économiques, mais aussi aux mouvements de protestation. Il se sent dépendant de normes formelles (adoptées par exemple par les instances communautaires en Europe) ou informelles (la soft law les normes de sécurité, de bonne gouvernance, de moralité, de souci social et écologique qu’imposent de fait les ONG). Bref, l’entreprise découvre le poids des facteurs non économiques qui pèsent en amont sur son activité et cherche à jouer sur eux par le biais de l’influence, y compris le lobbying. Ajoutons que l’influence est un concept à la mode, ce qui ne contribue pas à le clarifier. Ainsi, dans l’entreprise, sur le plan intérieur, la tendance dominante favorisera volontiers, au moins en paroles, le principe de l’influence contre celui de l’autorité censé être plus archaïque. L’animateur d’équipe, réactif, capable de mobiliser ses subordonnés ou collèges pour un objectif commun, écoutant chacun et négociant, faisant agir des réseaux pour des objectifs est l’idéal du 3 management moderne. Il fait contraste avec celui du chef ordonnant et sanctionnant, se réclamant du pouvoir que lui concède l’institution… De la même façon, l’action politique semble se déplacer. Les institutions étatiques, autrefois censées commander au nom d’une légitimité et pour le Bien Commun, sont singulièrement affaiblies face aux organisations vouées à l’influence. Sans même parler des médias, nous pensons ici à trois sortes d’institutions qui deviennent de plus en plus difficiles à distinguer les unes des autres : les ONG, les think tanks, les lobbies. En principe, les premières cherchent à réaliser une valeur (les droits de l’homme, le progrès social, la protection de la Nature) à travers des objectifs concrets (soulager une population affamée, empêcher un déni de droit…) en convaincant l’opinion et les décideurs d’agir dans le bon sens. Quitte à les mettre au pilori médiatique ou à les poursuivre en justice. Les think tanks, elles, sont censées inspirer ces décideurs par l’excellence de leurs analyses et de leurs propositions, excellence qui est proportionnelle à leur expertise purement intellectuelle et indépendante. Quant aux lobbys, ils défendent des intérêts particuliers (intérêts matériels, mais aussi idéologiques voire spirituels) en incitant les autorités à agir dans le sens désiré. Ceci se fait par toute une gamme d’actions allant de la menace ou de la promesse (« n’oubliez pas que nos adhérents sont aussi des électeurs ») voire de la corruption jusqu’à l’argumentation, la mobilisation des autorités morales et des experts, la recherche de solutions négociées…. Le lobbying, privé ou public, n’est, après tout, que la forme la plus délibérée, la plus visible, voire la plus professionnalisée de l’influence.. Bref, l’influence, hautement valorisée par nos sociétés, est aussi omniprésente que difficile à cerner. On voit bien ce qu’elle n’est pas ou ce qu’elle remplace : le pouvoir direct, la puissance, l’autorité, la contrainte,… Mais que recouvre-t-elle au juste ? A) Entre transmission et efficience Cette bizarre notion psycho-stratégique pose la question de la relation influent/influencé. Les sciences sociales peuvent-elles nous aider ? L’embarras de la sociologie américaine, celle qui a le plus cherché à définir le concept, n’est pas encourageante. Des chercheurs comme Robert K. Merton ou Robert Dahl « tirent » l’idée dans le sens de la domination ou du pouvoir. Ils l’assimilent quasiment à la possibilité d’obtenir un comportement d’un individu ou d’un groupe. Ce qui est trop large. D’autres, Hovland, Katz, Lazarfeld et leurs disciples, envisagent la relation d’influence comme un rapport émetteur/récepteur. Mais même le postulat, vrai au demeurant, que l’influence est avant tout quelque chose qui se communique provoque d’autres questions. Tantôt l’influence s’assimile au prestige ; son caractère ostentatoire provoque une admiration, et souvent l’influence engendre un désir d’imitation.Tantôt, elle est si obscure qu’on la dit occulte. L’influence de la France vue par Madame de Staël, l’influence littéraire analysée par Gide appartiennent à la première catégorie. L’influence des groupes de pression relève des exemples du second type. Le degré de conscience des acteurs est variable. Dans un film intitulé précisément Des hommes d’influence (Wag the dogs), des spécialistes du marketing politique et des producteurs d’Hollywood manipulent l’opinion grâce aux images truquées d’une guerre tournée en studio. Ils suscitent à volonté compassion, solidarité ou orgueil national. Les victimes de cette manipulation cognitive et affective ignorent que cette pseudo réalité est un leurre. Mais dans d’autres cas, tel le 4 « trafic d’influence » par exemple, chacun mesure froidement l’influence comme une valeur marchande. Quelle que soit la « moralité » de l’influence ou de ses buts, elle sert aussi bien à des fins négatives que positives. Elle peut contrarier une puissance ou la renforcer. Dans le premier cas, elle représente une moyen de blocage ou une instance qui condamne. Ainsi, l’emprise éthique ou médiatique paralyse l’action d’un puissant en le culpabilisant, en suscitant l’indignation. En attendant peut-être d’être dénoncée à son tour. Pour prendre un cas limite, la désinformation est une forme subtile d’influence en opposition. Anonymat de l’initiateur, dissimulation de ses buts, relais par des propagateurs de bonne foi (comme la rumeur), préjudice que subit la victime diabolisée ou dénoncée : tout concourt à en faire un chef d’œuvre d’influence, au pire sens du terme. Ici, l’effet indirect reste négatif : décrédibiliser la victime. L’influence sert aussi à gagner des partisans, à leur faire adopter des convictions politiques, esthétiques ou religieuses. Le cas limite serait le conditionnement dans les sectes où l’influence devient servitude volontaire. Mais, en un sens bien plus bénin, est influence tout ce qui conditionne les membres d’une société, pour le meilleur ou pour le pire.. Au « on ne peut pas ne pas communiquer » de l’école de Palo Alto, il faudrait ajouter « on ne peut pas ne pas être influencé ». Et on ne peut pas ne pas tenter d’influencer, y compris en écrivant un article comme celui-ci. Pas de culture ni d’identité sans influence. Individuelle ou collective, visible ou invisible, positive ou négative, consciente ou inconsciente, l’influence est irréductible à un modèle unique. Elle suppose une multiplicité de relations. Ainsi, l’influencé, qu’on l’envisage en termes de psychologie, de sociologie ou de stratégie, est toujours présumé faible, sans que l’influent soit nécessairement « fort ». Une faille intérieure fait voir au premier le monde comme l’envisage le second, imiter ce qu’il fait, collaborer à l’objectif d’autrui. Au minimum se laisser manœuvrer par lui. Dans cette relation asymétrique par définition, l’influencé perpétue sa propre infériorité ou dépendance, par admiration, conviction, facilité ou inconscience. L’influence comme lien Nous avons vu que l’influence est une action indirecte exercée par des signes. C’est une action puisqu’elle change quelque chose (ou surtout quelqu’un). Elle est indirecte puisqu’il n’y a pas de relation de type cause-effet immédiate. Elle mobilise des signes puisqu’elle se passe de l’emploi de la force ou du transfert de choses. Les signes ont pour fonction d’informer au sens étymologique : mettre en forme des représentations. Mais ceci se fait en fonction d’un récepteur, de ses codes et de ses dispositions. L’influence ressort donc au monde imprévisible de l’interprétation. Plus exactement, influencer c’est faire interpréter, changer le point de vue de l’influencé. Le processus ne se réduit pas au transfert du contenu d’un cerveau à un autre, ni ne consiste à lui faire tenir un énoncé pour vrai et/ou désirable. Il tend aussi à changer le mode de perception et d’appréciation. L’influence joue sur le contexte par rapport auquel nous interprétons mieux que pour ce que nous savons. Partant de là, nous pouvons esquisser un schéma ternaire : l’influence par ce que l’on est, par ce que l’on dit et par ce que l’on fait. Cela constitue, si l’on préfère, une trilogie émanation, propagation, intervention. 5 Dans le premier cas, l’efficacité de l’influence se confond avec celle de l’image de l’influent, dans le second avec celle du discours ou du message qu’il diffuse. Une troisième stratégie reposerait sur un art d’appliquer une pression à l’endroit juste et de trouver des relais. L’influence semblerait dans ce dernier cas dirigée comme une munition intelligente sur le point où son effet sera maximal. Dans la première hypothèse évoquée, l’efficience renvoie à un besoin d’identification de l’influencé. Il cherche à « être comme ».. Cette tendance à vouloir s’approprier les signes ou signaux du prestige ou de la conformité suppose un désir. Ce modèle mimétique flatte la vanité de l’influent présumé. Ainsi, depuis le XVIII° siècle, un trait bien français nous fait croire en l’excellence du modèle que nous offrons au monde (qu’il s’agisse d’art de vivre, de culture ou de droits de l’homme) et à notre vocation à l’universalité, c’est-à-dire à être imité partout. Pendant les années Clinton, un concept a fait fureur aux Etats-Unis, le soft power. Les années G.W. Bush semblent, par contraste, celles du hard power, de la puissance sans complexe. Le soft power est né sous la plume de Joseph S. Nye, doyen d’Harvard's Kennedy School, et désigne la capacité d’amener les autres à « vouloir ce que vous voulez » et ce « sans carotte, ni bâton », précisait-t-il. Il s’agirait tout à la fois de la faculté d’attirer, de gagner des amis, et de la façon de créer le sentiment de la légitimité des actions entreprises par les Etats-Unis. C’eût été, en somme, le troisième pilier de la puissance américaine, à côté de la force militaire et de la puissance économique. Une combinaison entre la capacité de propager ses valeurs, notamment culturelles et technologiques, et une volonté de négocier et de séduire. Vaste programme qui n’a qu’un inconvénient. Soit c’est un catalogue de bonnes intentions (investir dans l’éducation et à la culture, préférer le multilatéralisme, considérer le point de vue des autres, les amener à accepter son mode de vie…) et il risque de passer à la trappe dès que l’Histoire revient en scène sur un mode plus tragique. Soit il habille de rose une idée noire chère aux antiaméricains : que le pouvoir des États-Unis repose sur la capacité de faire partout accepter Microsoft, CNN et Hollywood comme unique modèle possible. L’utopie de l’un est l’aliénation de l’autre. Tout confirme l’incertitude de l’influence. Vue comme « propagation », comme capacité de faire adopter un point de vue à travers les messages et représentations, le processus est tout sauf simple. Et moins encore scientifique. Depuis un demi-siècle, les chercheurs ont renoncé à mettre en recettes simples les manipulations affectives et cognitives. Les instruments de la rhétorique ou les analyses symboliques peuvent aider à décrire le comment. C’est une tout autre affaire que de comprendre les lois de l’effet. Les sciences de l’information et de la communication mettent maintenant l’accent sur les résistances ou sur l’interprétation du récepteur. Elles soulignent les échecs ou les mésinterprétations de la manipulation.. Sinon, il n’y aurait pas de campagnes de publicité qui échouent et le marketing politique ferait nécessairement l’élection. L’influence implique davantage que la persuasion qui amène un individu ou un groupe à accepter un énoncé de fait - X lave plus blanc - ou un impératif - votez machin ! Le critère le plus visible de son succès est le changement d’opinion. Or l’influence est plus subtile que cela. Au-delà de l’effet immédiat « A croit désormais que X », elle joue plus sur les codes ou les cadres que sur les contenus, plus sur les critères du choix en général que sur le choix particulier, et davantage sur le formatage des esprits que sur le bourrage des crânes. Le rapprochement serait plus légitime avec la contagion idéologique.. Le terme prend ici son sens large, davantage encore que la propagation d’un corpus de doctrine ou d’un catalogue de slogans. L’idéologie forme un ensemble de représentations, une façon de voir et d’évaluer le monde. Elle 6 exerce de multiples fonctions : nous rendre ce monde plus compréhensible en le simplifiant (par elle la réponse précède les questions) Mais l’idéologie permet aussi de nous projeter dans l’avenir en nous le décrivant tel qu’il devrait être ; voire de nous le rendre plus agréable en dissimulant nos intérêts en vérités générales. L’idéologie peut nous motiver en séparant le bien et le mal, le souhaitable et le redoutable, Elle sert enfin à nous procurer des adversaires (puisqu’une idéologie n’existe que par opposition avec d’autres). Or propager une idéologie, faire partager cette vision à quelqu’un, ce n’est pas comme une conversion mystique où l’individu voit se déchirer le voile d’une vie d’illusion. L’idéologie se répand comme par petites touches : ici l’adoption de tel jugement sur les bourgeois, l’Amérique ou les Arabes en général, là tel choix esthétique ou culturel, la sélection d’un film ou d’un vêtement. Au final, « adopter » une idéologie, c’est l’intérioriser mais aussi intégrer une communauté. Toute influence n’est pas idéologie, mais il n’y a pas d’idéologie sans influence. B) La direction des réseaux Reste alors à examiner une troisième grande stratégie : l’influence, non plus par l’imitation ou la propagation, mais par action ciblée. L’influence « invisible » se prête à tous les fantasmes : sociétés secrètes, complots, infiltration, main cachée qui dirige. Dans la réalité, ces procédés sont souvent moins clandestins ou discrets qu’informels et indéfinissables. Leur supposé caractère occulte recouvre deux traits du processus ainsi entendu : sa finalité et sa méthode. Vouloir influencer peut être moralement, voire pénalement, condamnable, quand bien même les procédés utilisés seraient d’une terrible banalité.. Cela peut consister à faire rencontrer X et Y, demander un service amical, suggérer une initiative, favoriser tel livre, tel candidat, donner plus de place à telle nouvelle. L’agent d’influence des romans de Volkoff, ou le véritable « agent viyaniye » de l’ex- KGB, ne vole pas des secrets dans un coffre, ni ne tue de gens. Il utilise son crédit, ses relations sociales, son charme ou son intelligence au service d’un dessein caché. S’il le faisait sans ordres ou intérêts inavoués, et par conviction « gratuite », il ne serait coupable de rien. Mais, finalement, que l’influence puisse dissimuler le but qu’elle poursuit ne nous apprend rien sur ses méthodes. La pratique de l’influence en réseaux présuppose des capacités que ne permet pas une organisation hiérarchique ou formaliste. Elle obéit à deux principes qui en font un art tout de pratique : précision et coordination. L’efficacité de l’influence naît d’abord du sens du lieu et du temps, de la façon d’évaluer les potentialités ou les résistances, puis d’appliquer le minimum de pression pour obtenir le plus grand effet. Elle joue, dans le cadre des relations interpersonnelles, avec l’efficacité d’un mot, d’un conseil, le poids d’une solidarité ou d’une demi-promesse, sur une quasi complicité. À plus grande échelle, quand il s’agit plus d’obtenir l’adhésion des foules, l’influence demande le sens du mouvement porteur, de l’idée qui trouvera repreneur, du slogan qui rencontrera des vecteurs. Elle ne fait que révéler ce qui existait en puissance de façon quasi catalytique. C’est sans doute dans la pensée chinoise avec le concept de « che », de potentiel, d’opportunité, de « propension des choses », d’action en amont que nous rencontrerions les notions les plus propres à éclairer cette influence comme facteur déclencheur. D’où la tentation de voir dans l’influence une manière d’agir en amont avant que ne se forme un conflit ou une conjoncture défavorable. La coordination des actions d’influence, volet complémentaire, repose souvent sur la forme du réseau. Non hiérarchique, souple, se formant en 7 configurations différentes suivant les nécessités de l’action, il s’adapte aux changements. Il est également bien adapté pour permettre à des acteurs qui partagent un flux d’informations mais aussi des règles implicites, d’agir au même moment et dans le même sens. L’influence est une machine qui carbure à la croyance et fonctionne avec des relais. Pour l’illustrer, il suffit d’observer le mouvement anti-mondialisation et ATTAC. Ce n’est pas la seule dialectique – au demeurant bien argumentée - de cette association qui lui permet de jouer dans le débat public un rôle sans commune mesure avec ses ressources et le nombre de ses partisans. L’effet d’amplification est ici évident. ATTAC, mi-société de pensée, mi-groupe activiste, n’aurait rien été si elle n’avait trouvé le discours qu’on attendait pour cristalliser une hostilité vague à la « pensée unique ». Elle aurait échoué si elle n’avait su trouver un langage qui surprenne assez les médias pour qu’ils le reprennent, et les rassure assez pour qu’ils l’acceptent. Mais elle ne fonctionnerait pas non plus sans la capacité de mobilisation de son réseau.. Il coordonne, pour des actions brèves et spectaculaires, des mouvements épars et souvent informels. Émetteur, message, vecteur, ou, si l’on préfère action par l’image, par le message ou via la relation : les éléments de la trilogie ainsi décrite n’existent guère à l’état pur et tout processus d’influence mélange peu ou prou les trois. Autorité de sa source, force de la rhétorique, médiation de l’intervention produisent ensemble un art de « vaincre sans combattre ». Nous parvenons à en énoncer les principes – susciter le désir, modifier le contexte de la perception, pressentir et exploiter les points d’équilibre… Pour autant, nous sommes incapables d’en tirer des recettes simples. D’où un fort taux d’échec. L’exemple de l’hyperpuissance américaine peinant à recueillir des soutiens dans l’affaire irakienne démontre : - que le prestige culturel ou technologique n’implique pas l’adhésion politique (c’est la réponse à la question : pourquoi des gens qui portent des Nike et adorent le rap haïssent l’Amérique ?) - que des campagnes qui convainquent et mobilisent des millions d’Américains peuvent être sans effet sur une audience étrangère (voir l’échec de la « diplomatie publique » destinée à « vendre » l’Amérique au public musulman) - qu’une stratégie de réseaux bien ciblée peut être très efficace sur des gouvernements de la «Nouvelle Europe» mais qu’elle n’entraîne pas la conviction de l’opinion populaire. Autre façon de rappeler une vérité ancienne : il ne faut jamais confondre une pragmatique qui agit sur les gens avec une technique qui agit sur les choses. 8 II Gagner les cœurs et les esprits. L’idée d’une bataille pour « le cœur et l’esprit » des hommes n’est pas neuve aux U.S.A.. Ainsi, le père de la Société des Nations, Woodrow Wilson - symbole de l’internationalisme, de l’idéalisme U.S. et du messianisme démocratique1 - est aussi l’inventeur de la propagande belliciste moderne. L’intervention de son pays contre l’Allemagne en 1917 fut préparée par l’action systématique des Comités pour l’Information du Public (Comitee for Public Information). Wilson en confia la responsabilité à l’ex-boxeur et journaliste Creel. Il inventa des slogans comme « la guerre pour mettre fin à toutes les guerres » et « rendre le monde sûr pour la démocratie » et développa l’atrocity propaganda pour stipendier la barbarie teutonne. Il se vantait : « Il n’y a pas de medium d’appel que nous n’ayons utilisé. L’imprimé, la parole, le film, le télégraphe, le câble, la T.S.F., l’affiche, le panneau… - tout a été mobilisés dans notre campagne pour faire comprendre à notre peuple et aux autres les raisons qui poussaient l’Amérique à prendre les armes. »2. L’effort de propagande U.S. pendant la seconde guerre mondiale, telle la fameuse série des films « Pourquoi nous combattons », n’a fait que reprendre ces méthodes. Après 1945, la guerre froide relance la guerre d’influence. Une idée reçue veut que les soviétiques, rusés lecteurs de Gramsci, aient été meilleurs à ce jeu que l’Ouest aveuglé par l’économisme. Un livre récent vient de rappeler l’ampleur de la guerre froide culturelle3 d’Ouest en Est. La CIA, via le Congrès pour la Liberté Culturelle, subventionnait indistinctement les traductions de Malraux ou Orwell, le jazz ou Stravinski, ou favorisait l’action painting de Jackson Pollock censé subvertir le réalisme socialiste. De même, les Archives Nationales de la Sécurité4 ont révélé l’action menée en Iran, Irak et Arabie Saoudite au début des années 50. : livres pro-occidentaux pour les élites ou films pour publics illettrés. W.J. Casey directeur de la CIA inventa, dans les années 80, le terme « management de la perception » pour désigner la façon d’agir sur les représentations du public ou des dirigeants étrangers. Dans le même esprit, le Département de la défense se dota en Février 2002 d’un Bureau de l’Influence Stratégique (OSI Office of Strategic Influence) qu’il fallut vite dissoudre : le New York Times avait révélé que ce service se proposait éventuellement de « mentir » aux alliés, mot qu’il ne fallait évidemment pas prononcer5. L’influence qui porte sur la diffusion des valeurs ne devait pas se compromettre avec la désinformation qui porte sur la connaissance des faits Mais ces histoires d’espions et de désinformateurs ne rajoutent qu’un parfum de souffre à une activité très officielle : la « diplomatie publique ». Sa fonction officielle est : « promouvoir l’intérêt national des États-Unis par la compréhension, l’information et l’influence des publics étrangers »6. Le postulat est que « si les gens connaissaient l’Amérique, ils l’aimeraient ». Il s’agit donc d’en répandre une image positive. d’exporter sa culture ou sa vision du monde. Cette diplomatie-là s’adresse aux organisations non gouvernementales comme aux individus, aux élites étrangères (avec des programmes d’échanges dont on profité au début de leur carrière Saddate, M. Tatcher ou V. Giscard d’Estaing) ou au grand public (voir la radio la Voix de l’Amérique). L’USIA (U.S. Information Agency), établie en 1953 par Eisenhower, a assumé cette 1 Nombre de néo-conservateurs se disent « wilsoniens » et se proposent d’achever la « mission idéaliste » qu’il avait commencé il y a plus de quatre-vingt ans. 2 George Creel, How We Advertised America (New York: Harper & Brothers, 1920) 3 Frances Stonor Saunders Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre Froide culturelle, Denoël 2003 4 U.S. Propaganda in the Middle East - The Early Cold War Version ; National Security Archive Electronic Briefing Book No. 78, Joyce Battle éditeur, 13 Décembre 2002 5 Le Monde du 27/02/02 p 3 « Le bureau de désinformation du Pentagone est supprimé » 6 Planning Group for Integration of USIA into the Dept. of State (20 Juin 1997) cité sur le site de l’USIA, www.usia.org 9 responsabilité pendant toute la guerre froide. Après une période de turbulence bureaucratique7, la diplomatie publique revint au premier plan le 11 Septembre comme réponse à la question : « mais pourquoi nous haïssent-ils ? ». Un sous-secrétariat d’État à la Diplomatie Publique fut confié à une directrice d’agence publicitaire, Charlotte Beers, chargée de persuader le monde musulman de la bienveillance américaine Il s’ensuivit une floraison de sondages, d’actions de relations publiques sur les « valeurs partagées » (shared value), de films, de programmes et brochures exaltant la tolérance religieuse dont jouissent les musulmans aux U.S.A, de sites Internet et associations (comme le Council of American Muslims for Mutual Understanding) pour la promotion d’un « dialogue ouvert »8. Le tout sans enrayer en rien la montée de l’antiaméricanisme après le 11 Septembre. Pourtant, Mme Beers, qui a démissionné depuis, remarquait alors que des pays comme l'Arabie saoudite ou l'Indonésie plaçaient la foi au premier rang de leurs valeurs, l'Amérique au cinquième et, ajoutaitelle la France seulement au 42°. Même conclusion à propos de la valeur « famille » : les musulmans étaient moins éloignés des Américains que les Européens. Or la diplomatie publique ses bureaux chargés de combler le « déficit de perception » et ses productions audiovisuelles, ne représentent qu’une partie de la politique d’influence.9 Celle-ci se ne consiste pas seulement séduire, mais aussi à changer les modes de fonctionnement mental de l’autre. Cela passe par le « formatage ». Cette stratégie inventée dans les années 90 (shapping the globalization, formater la mondialisation), celles de la mondialisation heureuse, repose sur la propagation de normes éthiques, politiques de gouvernance, mais technologiques, juridiques, voire de comptabilité ou de management, relayées par des réseaux d’O.N.G., de think tanks10 et par les médias11. La trilogie clintonienne de l’élargissement (enlargment) repose sur le Marché, la gouvernance et les technologies de l’information et de la communication. Cette vision inspire nombre des initiatives de l’époque : accords commerciaux de libéralisation, Advocacy Center chargé de préparer le terrain (levelling the ground) pour les exportations américaines, moralisation ou de propagation valeurs démocratiques à travers les O.N.G., reconstruction des États en faillite (nation building), réduction du fossé numérique entre inforiches ou infopauvres, autoroutes de l’information… Le tout se résume en un concept typique de l’époque : soft power. Expression inventée par le doyen Joseph S. Nye12, le soft power repose sur le rayonnement du modèle politique, économique, culturel et technologique des U.S.A. Il s'agit d'amener le reste du monde à partager leur point de vue, sans recourir à la carotte ni au bâton. Cette politique s'appuie sur la capacité de doser aide et négociation, incitation et coopération pour amener d’autres États à coopérer. Le tout coïncide peu ou prou avec le sens de l'histoire. Ainsi pour Nye «La bonne nouvelle est que les tendances sociales de l'âge de l'information globale contribuent à façonner un monde qui sera davantage en sympathie avec les valeurs américaines à long terme.»13. Depuis, la façon de penser la politique extérieure comme un dosage entre soft et hard power, entre l'attractif et le coercitif, est depuis devenue un lieu commun du débat politique américain14. 7 L’USIA a été rattachée au département d’État en 1999, Les multiples radios et télévisions à destination des zones sensibles fonctionnent de façon plus autonome( Radio et Tv Marti, Radio Sawa et Farda, projets de télévision par satellite pour le Moyen Orient) 8 voir http://www.opendialogue.com 9 Pour donner un ordre de proportion le budget de la diplomatie publique et des stations radio et TV pour l’étranger se monte à 1, 24 milliards de dollars et est jugé très insuffisant. 10 Littéralement « boîtes à penser », centres de recherche, de fourniture d’expertise, de quasi-lobbying, de propagation d’idées politiques mais aussi de recrutement des élites typiquement américaines. Il en existe plus de 1200, beaucoup avec des connexions internationales 11 Voir Mondialisation, influence et entreprise, sous la direction de L. François, Éditions de l’Organisation, 2004 12 Joseph R Nye, The Paradox of American Power, (OUP) 1998 13 ibid p 141 14 Y compris sous sa reformulation de « l’Empire virtuel » cher au général Westley Clark 10 De ce point de vue, le passage de la présidence Clinton à celle de G.W. Bush marque moins une rupture que la réinterprétation d’une version soft en version hard 11 III Puissance et influence « Pourquoi ne nous aime-t-on pas ? » ; « Pourquoi des gens qui portent des Nike et regardent les films d’Hollywood font-ils le jihad ? » Telles sont les questions qui obsèdent les milieux dirigeants américains : la prédominance dans le domaine militaire, économique, diplomatique ou culturel, ne garantit aucun « élargissement » planétaire du modèle U.S. comme on le pensait pendant les années Clinton (bonne gouvernance, marché, société de l’information planétaire, droits de l’homme.). Quant à la compassion qui s’est manifestée au soir du 11 Septembre, elle s’est vite transformée en vague d’antiaméricanisme sans précédent, une vague à laquelle toutes les politiques dites pudiquement de « diplomatie publique » ou toutes les tentatives de séduction n’apportent aucun remède. Bref, les U.S.A. découvrent que l’on peut progresser en puissance sans gagner en influence, c’est-à-dire en capacité de propager chez autrui les comportements et attitudes favorables à ses desseins. Du moins pas hors du cercle des élites politiques et économiques, la nouvelle classe qui confond facilement mondialisation et américanisation, ses intérêts et ceux de la puissance dominante. Sans compter que l’extension de la puissance entraîne un paradoxe. L’hyperpuissance apparaît comme la cible absolue, pour tous ceux qui se sentent menacés dans leur identité, à la fois explication de leur malheur et objet de leur ressentiment. Comme, en retour, la puissance U.S. adopte une logique de précaution absolue, c’est-à-dire d’élimination des risques à la source, le cycle infernal est amorcé : tout devient danger pour celui qui peut tout. Toute altérité devient suspecte. La stratégie de contrôle global nourrit le fantasme de la perturbation permanente. Volonté d’impuissance européenne ? Pour les Européens la question se pose presque en termes inverses. Pourquoi sommes nous incapables de traduire en puissance réelle nos capacités théoriques technologiques, économiques, militaires ? Une part de la réponse peut être simplement question de volonté. Rien de plus humiliant que les analyses de certains néo-conservateurs, comme Robert Kagan, qui décrivent l’Europe comme repoussant le calice de la puissance et désireuse sortir de l’Histoire pour se transformer en grand marché corrigé par les douceurs de la protection sociale et des bons sentiments politiques. Nous aimerions être certains que cette description ne comporte aucune part de vérité. Pour la France, la question se pose différemment, à la fois parce que nous sommes sans doute le pays qui a – au moins en paroles - le moins renoncé à la politique de puissance, mais aussi parce que notre tradition intellectuelle oppose politique d’influence et politique de puissance ou, du moins, envisage l’influence comme étape d’une reconstruction de la puissance. Ladite influence française est largement liée à deux notions clés : celle d’un rayonnement et celle d’une représentativité. Le rayonnement est censé être celui de notre langue, de notre culture et de notre réputation de patrie des droits de l’homme. La représentativité découlerait de notre capacité de donner une voix à tous ceux qui aspirent à un monde multipolaire. Ce sont deux idées généreuses. Ce sont même des idées justes, à la condition de ne pas confondre des atouts, d’ailleurs relatifs, avec une vraie stratégie. Il ne faut pas attendre que nos partenaires commerciaux nous achètent des TGV par admiration pour Voltaire ou que les gouvernements oublient leurs intérêts sous l’effet des nos discours sur les tribunes internationales. Les moyens de l’influence L'influence est un mode d'action indirect et complexe sur les perceptions et évaluations d'autrui. Il passe par l'image que l'on émet, par le message que l'on propage, par les vecteurs et réseaux que 12 l'on mobilise, et plus vraisemblablement encore, par une combinaison des trois : prestige, persuasion, médiation. Une véritable influence combine un rayonnement, une rhétorique capable plus que de persuader, de faire partager un point de vue à l’influencé, et enfin, un certain rapport influent/influencé qui passe souvent par l’établissement d’alliances et de réseaux. Toute groupe d’influence efficace repose sur l’emploi des trois, qu’il s’agisse du Vatican ou du journal Le Monde, de Greenpeace ou de la Mafia. Ainsi, dans le monde de l'économie, l'influence recouvre un très vaste éventail. Il va du simple lobbying ou des opérations de déstabilisation jusqu'à des stratégies visant à «formater» institutions, normes et esprits très en amont. Son efficacité dépend des nouvelles modalités de pouvoir auxquelles est confrontée l'entreprise dans la société de l'information, notamment le pouvoir d'emprise morale et méditique des ONG et les OIG, mais aussi des technologies de communication et d'un arrière-fond de valeurs et croyances dominantes. De ce point de vue les méthodes d'influence économique qu'envisagerait notre pays, s'il faut en croire le rapport Carayon (créer un centre d'analyse et de prévision, une mission d'anticipation à Bruxelles, un centre universitaire, etc.) ressortent à une politique de coordination adminitstrative. Elle est logique et nécessaire mais encore loin de la révolution des mentalités que supposerait une véritable politique d'influence : coordonnée, pensée à long terme et capable de dépasser le domaine de la simple «com» (envoyer une image sympathique et parler d'une même voix). Pour changer l'autre, ce qui est après tout aussi une définition de l'influence, il faut peut-être commencer par se changer soi. Et par croire en sa propre identité et en ses capacités 13 IV INFLUENCE 2.0 : TECHNIQUES ET RÉSEAUX Le Web, média « tous vers tous » se substituant aux mass media « un vers tous », une nouvelle agora citoyenne, le pluralisme favorisé par le technique enfin à portée des individus, la fin des monopoles du savoir, une expression ouverte aux sensibilités les plus diverses, l’inefficacité de toute censure qui voudrait imposer une vérité officielle : voilà une vulgate ou un «imaginaire d’Internet» qui date maintenant de quelques décennies15. Le réseau fut ainsi voulu ou rêvé comme formidable levier démocratique voire libertaire, avant de devenir effectivement un instrument d’influence16. Mais pas toujours dans le sens attendu par les premiers utopistes. Si l’on tente de décomposer cette notion très vaste d’influence17 en une série d’actions susceptibles d’être pensées stratégiquement, durablement organisées voire systématisées sous forme de techniques, la liste comprendra sans doute : - Modèle : toute stratégie d’image de soi, de prestige ou de réputation qui peut provoquer l’admiration, ou l’imitation d’un modèle18. - Persuasion : l’utilisation de discours (ou d’images) pour amener un public à adhérer à une thèse, qu’elle soit relative à une affirmation de fait (il s’est produit tel événement) ou une croyance plus générale (une idéologie en « isme », par exemple)19. - Inspiration : émission d’un discours ou d’une idée reprise par ses récepteurs, réinterprétée, parfois même mise en œuvre et, dans tous les cas, promue à son tour.20 - Formatage : créer des catégories mentales, des codes, éventuellement imposer un vocabulaire. Comme le précédent, c’est un stade complémentaire de la persuasion au sens binaire (je crois / je ne crois pas)21. - Agenda : décider de ce qui fera débat, de ce qui est important, mettre sous le projecteur tel évènement ou telle thèse et non telle autre22. - Maillage : fonctionner en réseaux, établir des liens, trouver des alliés, créer des synergies pour faire circuler l’information voire des programmes d’action, non pas de haut en bas, mais par alliance d’acteurs ou émetteurs mobilisés pour un même objectif23. 15 Patrice Flichy, L’imaginaire d’Internet, la Découverte 2001 17 Pour une tentative de définition de cette notion voir Puissance et influence, Agir, revue de la Société de Stratégie, n° 14 printemps 2003, ne particulier Influence, le pouvoir des signes,de F.B. Huyghe 18 HERMES, N° 22, Mimesis, Imiter, représenter, circuler, CNRS Éditions, 1998 19 Cet aspect est particulièrement étudié par la psychologie sociale et la sociologie de la communication voir : Persuasion et influence sociale, Diogène n°217, Janvier 2007 ou Muchielli A. L'art d'influencer, Dunod, 2002 20 Nous pensons en particulier au phénomène des think tanks voir Moog P.E. Les clubs de réflexion et d’influence, ed. L’Expansion, 2006 21 Une dimension qui commence à être étudiée en intelligence économique : Claude Revel, La gouvernance mondiale a commencé : Acteurs, enjeux, influences…, Ellipses 2006 22 James W. Dearing, Everett M. Rogers Agenda-setting Sage 1996 14 Effets d’amplification Un simple coup d’œil sur cette liste (qui n’est probablement pas close) montre qu’il n’y a aucune de ces fonctions, toujours mêlées à un degré ou à un autre, qui ne puisse être mieux remplie grâce à Internet. Ainsi, les sites peuvent servir de vitrine, ce sont des instruments de rhétorique ou de propagande, ils servent à lancer des thèmes qui seront repris par lien ou par copier-coller, etc. L’influence, stratégie d’inflexion du jugement ou du comportement d’autrui par l’utilisation de l’information, est, tout naturellement, stimulée par les technologies de l’information et de la communication. Dans un premier temps, il fut tentant de penser la capacité d’influence, positive ou négative, d’Internet en termes d’amplification : le Net permettrait de faire plus facilement (parfois même anonymement), à moindre frais, de n’importe quel point de la planète et instantanément ce qui se faisait autrefois par journaux, tracts, courrier, bouche-à-oreille24... Dans la décennie 90, nombre de spécialistes de l’intelligence économique voient le pouvoir d’influence du Net ou par le Net se développer suivant deux directions : - L’effet « David contre Goliath » : le petit, le rapide, le malin peut publier et répandre rapidement son message, généralement critique, parfois ou ironique, notamment pour « révéler » un scandale ou un dysfonctionnement. Le lent, le pataud, l’institutionnel, le visible est dépassé ; il est facilement surpris dans un contexte de crise, maladroit face à l’équivalent numérique d’une presse alternative. Il n’y a plus aucune proportion entre les moyens, la représentativité ou l’autorité de l’émetteur et l’impact de son message. Un site parodiant les slogans de Shell ou imitant le logo de Danone, dénonçant une faille de fiabilité dans les automobiles Ford ou répercutant un rapport qui présente la le saumon d’une certaine origine comme moins bon pour la santé qu’un autre : voilà un type d’offensives informationnelles récurrentes et dont le succès est parfois spectaculaire. Parfois, on peut soupçonner une action délibérée (la main de concurrents ?) derrière telle publication électronique qui se dit simplement militante, citoyenne ou purement informative, mais cela reste difficile à prouver25. Le système sur Internet fonctionne dans un rapport de coopération/compétition avec les grands médias « classiques » : ceux-ci ne peuvent plus ignorer ce qui se passe sur la Toile, ce qui se dit plus vite et avec moins de précaution que dans leurs pages ou sur leurs plateaux. Les «mainstream media» courent derrière les «self media» à la fois agacés par cette concurrence sauvage et obligés d’amplifier un phénomène incontournable. 23 C’est le thème central de la « société en réseaux ». Voir : Castells M., L’ère de l’information, 3 tomes Fayard,1998 24 Ce discours utopique a été particulièrement analysé par Armand Mattelart dans La communicationmonde. Histoire des idées et des stratégies La Découverte 1999 et. Histoire de la société de l'information, La Découverte (coll. Repères) 2001 25 Laïdi A. et Lanvaux D. Les secrets de la guerre économique, Seuil 2004 15 - L’effet de répétition de souris à souris ou résonance. Ce qui s’est dit sur la Toile une fois sera conservé et est facilement répété. Par la création de liens, par simple copie de textes et d’images ou encore par citation et discussion dans les forums, chats ou autres, les documents prolifèrent à tel point qu’il devient parfois difficile de retrouver la source primaire. Ce phénomène de contamination a deux conséquences. D’une part, du fait de la structure réticulaire d’Internet, tout ce qui est entré une fois de n’importe où sur la Toile ne peut quasiment plus en être éliminé et laissera toujours une trace (ne serait-ce que sur des sites miroirs qui enregistrent une moment de la vie du Net). Ceci vaut pour une calomnie, une rumeur, une désinformation26. Difficile de jouer en défense dans ces conditions-là27. D’autre part, même si l’influence ne peut se réduire à des critères quantitatifs, elle se chiffre : nombre de visites, nombre de citations, nombre de liens, nombre de discussions sur le sujet. L’organisation ou l’individu influent est celui dont le message est souvent consulté et que d’autre se réapproprient ; c’est souvent l’initiateur d’une chaîne de copistes, glosateurs, propagateurs… ; est influent qui détermine la «structure d’attention» (nous nous empruntons ce concept à la…. primatologie28) de la communauté virtuelle et lance ce processus de contamination. L’influent, c’est par exemple, celui qui lance le buzz (le bourdonnement en anglais29). Cette technique de marketing vise à faire la promotion d’une marque ou d’un tissu en mettant en ligne une historiette ou une vidéo, généralement amusantes, que les internautes se repassent mutuellement. C’est aussi le «einfluent», dont l’avis est écouté et les messages discutés, avatar électronique du leader d’opinion repéré par la sociologie américaine dans les années 50. Ces formes de l’influence sur Internet restent opérantes. Pour des raisons sociologiques ou idéologiques plus que purement technique, leur effet s’accroît : les nouvelles formes de la démocratie d’opinion, le recours aux principes de gouvernance et de consensus comme légitimation, le rôle d’organisations pensées par et pour l’influence (lobbies, ONG, think tanks, groupes affinitaires, identitaires ou militants dits « de la société civile»), leur poids sur une activité économique conçue de plus en plus comme système de relation avec des parties prenantes,30 la médiatisation générale, la surveillance constante des gouvernants et des entreprises au nom des principes sécuritaires, écologiques, moraux,… 26 Voir en particulier les travaux de Pascal Froissart dont beaucoup sont téléchargeables sur son site http://pascalfroissart.online.fr, ainsi que l’incontournable : http://www.hoaxbuster.com 27 Voir notre analyse dans L’ennemi à l’ère numérique, PUF 2001, chapitre 3. 28 M.R.A. Chance Structure d'attention et cohésion sociale in Anthropologie biosociale 1978 29 Le sujet même de cet article nous oblige à employer une multitude de néologismes, souvent anglosaxons ; que nous n’avons pas expliqué chaque fois pour ne pas surcharger le texte. Le lecteur en trouvera facilement des définitions sur des dictionnaire ou encyclopédies en ligne comme Wikipedia.. Par ailleurs, nous avons défini cent concepts relatifs à l’information dans Comprendre le pouvoir stratégique des médias, Eyrolles 2005 30 Business sous influence, Ludovic François (dir.), Eyrolles 16 Tous ces facteurs jouent en faveur des stratégies d’influence (par contraste, par exemple, avec les stratégies d’autorité) ce qui nous a amenés à parler ailleurs de « démocraties d’influence »31. Le Web 2.0 : prise de pouvoir par les usagers ? Mais la technique, obéit-elle toujours aux mêmes règles ou assistons nous à une mutation fondamentale ? Une notion se répand qui plaide la seconde hypothèse : Web 2.0. Premier problème : personne, pas mêmes les créateurs de la terminologie32, n’est capable de définir le Web 2.0. Une approximation généralement acceptée, range dans cette catégorie des innovations techniques et services en ligne récemment apparus (plus les pratiques sociales qui s’en sont ensuivies par logique d’usage), et qui offrent de nouvelles fonctionnalités en accroissant la liberté d’action de l’utilisateur. Mettons à part des aspects vraiment techniques tels que certains protocoles web ou les applications. Mettons également à part les déclarations fracassantes33 sur l’intelligence collective34, les utilisateurs prenant le pouvoir sur les marchands, et le « pouvoir rendu à chacun d’exprimer sa créativité »35. Reste une liste que nous tenterons de résumer en exemples simples comme : - les blogs - les RSS, ces fils d’information qui permettent de savoir à chaque minute ce qui change sur un site - les sites de vidéo, photo ou musique partagés comme Dayli Motion, You Tube ou Itunes - les moteurs de nouvelle génération comme Exalead - les sites dits collaboratifs, ceux de journalisme citoyen, les sites d’évaluation et de recommandation - les sites communautaires qui sont voués aux « réseaux sociaux » comme Del.icio.us pour le partage des signets ou les sites narcissiques de type Facebook ou Myface (qui peuvent donner lieu à des dérives commerciales avec la "vente de profils") - des systèmes de logiciels libres et open source - les encyclopédies collaboratives de type Wiki 31 In Medium n°12, 2007, Chefferies par F.B. Huyghe La notion de Web 2.0 est due à Tim O’Reilly qui confesse lui-même, dans un article fondateur (What is Web 2.0 disponible sur son site www.oreilly.com/ ) l’impossibilité d’approcher la notion autrement que par une accumulation d’exemples. 33 Certains parlent même d’ Humanité 2.0, la bible du changement, Ray Jurzweil, M21 éditions, 2007 34 La notion est empruntée à Pierre Lévy L’intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace, La Découverte 1994 35 On pourra voir par exemple La révolte du pronétariat de Joël de Rosnay et Carlo Revelli, Fayard 2007 32 17 - les folksonomies (étiquetage social) et les tag clouds (nuages de mots clefs) qui permettent aux utilisateurs de faire savoir quels mots et quels liens leur semblent les plus appropriés pour indexer une page Internet. - les plates-formes fournissant aux utilisateurs des services à la place de logiciels dans leurs ordinateurs (stockage en ligne, fonctions bureautiques, etc.) - la régie publicitaire de Google Adsense qui envoie des messages centrés sur les intérêts des internautes.. Web 2.0 serait-il un synonyme de « branché et agréable pour l’utilisateur » ? Sans céder à la mode qui consisterait à s’extasier de la « révolution36 » apportée par le Web 2.0, nous pouvons soupçonner quelques tendances lourdes dans cet amoncellement hétéroclite. Tous les principes fonctionnent en synergie. Soit l’exemple des « nuages de mots ». Ces nuages formés de mots-clés, balises ou étiquettes sont en réalité des cartes de méta-données (celles qui servent à en décrire d’autres, en l’occurrence à classer ou indiquer le contenu de pages). Ils apparaissent pour indiquer tous les termes que soit les auteurs, soit les visiteurs d’une page pensent être en relation avec son sens. Ces mots peuvent parfaitement ne pas figurer dans le contenu du texte lui-même, mais entretenir un lien logique avec lui. Ainsi, si une page est consacrée au baba au rhum, il y a de fortes chances que le « nuage de mots » comporte les mots recette, pâtisserie ou cuisinier, même s’ils ne sont pas dans le texte central. Cette organisation n’est pas seulement sémantique : les mots ne s’organisent pas selon leur degré de pertinence, mais aussi de façon «démocratique». En effet, suivant le nombre de fois où ils sont choisis, ils apparaissent plus ou moins visiblement. Logiques de la technologie Essayons de résumer quelques principes : - L’externalisation et hybridation des fonctions. Auparavant les utilisateurs possédaient des machines avec des logiciels, voué chacun à une tâche spécifique. Ils allaient grâce à des moteurs de recherche guidant des navigateurs sur des sites plus ou moins stables contenant les données susceptibles de les intéresser. Désormais, «le Web devient une plate-forme». Ainsi, un moteur de recherche comme Google fournit toutes sortes de services (un agenda en ligne, une messagerie, des tableurs ou traitements de texte,). L’utilisateur bénéficie des services et ne se soucie plus de savoir s’il est à proprement parler en train de chercher, de naviguer, de consulter des données ou de faire des opérations avec un algorithme contenu dans son logiciel. Il saute sans cesse de l’un à l’autre. Par exemple, il fait une revue de presse en ligne, allant de source en source, se fait traduire des extraits, prend des notes éventuellement avec un 36 « Révolution 2.0 » est le titre du numéro spécial de Courrier International consacré au Web 2.0 18 système bureautique en ligne ou crée des liens qu’il peut signaler à sa « communauté », nourrit son blog… Selon une formule souvent utilisée, le Web 2.0 tend à remplacer les applications par les services en ligne. Avantage collatéral : plus besoin d’utiliser constamment un ordinateur puissant : certaines applications en ligne peuvent fonctionner avec un téléphone mobile ou un autre appareil. Il faut noter que cette externalisation est également sociale (on parle de crowdsourcing37 ou « approvisionnement par la foule » pour désigner la facilité avec la quelle certains font appel à l’intelligence ou aux compétences techniques des autres pour résoudre des problèmes techniques à moindre coup). - Corollaire du corollaire : la simplification générale : plus personne n’a le temps de se spécialiser ou d’effectuer un apprentissage compliqué pour des utilisations si diverses et si changeantes. On s’abonne et on fait… L’accroissement des possibilités offertes à l’internaute est spectaculaire38. - L’œuvre collective. D’un côté les possibilités d’expression sur les blogs39, le forums de discussion, les divers système de commentaire, s’élargit. De l’autre le Web intègre et exploite l’opinion émise directement ou indirectement. Exemple : si, ayant acheté un livre sur les roses, vous commandez ensuite un livre sur les tulipes, vous augmentez les chances que le visiteur suivant reçoive le message : «les lecteurs qui ont acheté le livre que vous regardez en ce moment sur les roses ont également tendance à acheter cet ouvrage sur les tulipes». Liens hypertextes, page rank (ce système qui présente les réponses à une demande de mot-clés selon une hiérarchie qui dépend du nombre des liens pointant vers un site), nuages de mots, indication du nombre de visiteurs par sites, du nombre de recherches sur un thème, marketing viral : nous sommes sans cesse en train de voter pour « le plus populaire », et, accessoirement, de nourrir à nos frais (au moins en termes de temps passé) une activité commerciale. Nous sommes nos propres publicitaires. En même temps, que ce soit par production directe (« journalisme citoyen ») ou comme reflet de l’influence des internautes consultés d’une manière ou d’une autre, le contenu du Web devient de plus en plus « généré par les utilisateurs »40 - La « production par les pairs » s’étend aux instruments et vecteurs eux-mêmes : ce sont les utilisateurs qui, profitant des sources ouvertes, améliorent les logiciels en perfectionnant les codes publiés par les autres, proposent leurs propres logiciels, widgets, ad-ons… les contenus sont ouverts comme le sont de plus en plus les codes des applications. Cela renforce – voir plus haut – la tendance à l’hybridation . - Le renouvellement perpétuel s’impose tendanciellement pour le contenu (on ne visite plus des sites, on suit leur évolution sur le fil ; on ne se documente plus une bonne fois sur un thème, on reçoit des flux d’informations au fur et à mesure de leur apparition, on s’abonne, etc.). Elle vaut aussi pour les vecteurs : les logiciels et les services sont en réorganisation incessante, 37 Wired, 14 juin 2006 The rise of crowdsourcing Jean-François Gervais Les internautes au pouvoir Dunod 2007 39 Loïc le Meur, Laurence Beauvais Blogs & podcasts, Dunod 2007 40 Traduction de user generated content 38 19 toujours en train de changer de version. C’est le règne de la « version béta » et de l’actualisation permanente. - -La constitution de réseaux sociaux41 est facilitée : ces réseaux sont librement composés en fonction d’intérêts personnels, médiatisés par la technologie, et capables d’interactions rapides. Ces tendances techniques et organisationnelles représentent des « facilités » (en raison du principe que la technique autorise mais qu’elle ne détermine pas). Tous médias ? Le Web 2.0 (si tant est qu’un tel animal existe) encourage : - Le « tous médias ». Un slogan célèbre du chanteur punk Jello Biafra dit : « Ne haïssez plus les médias, devenez les médias ». Cela n’implique pas seulement que chacun puisse s’exprimer sur la Toile : les «sites personnels», les forums, les chats et les groupes de discussion ne datent pas d’hier. Mais désormais, en ces temps de journalisme citoyen, chacun peut faire bien mieux que de poser quelque part des textes ou des images que tout internaute pourra consulter. Tout d’abord, l’amateur le moins douté dispose de facilités de documentation dont ne disposait pas le directeur du plus grands quotidien il y a quinze ans. Qu’il s’agisse de lire des dépêches d’agence ou des quotidiens étrangers, d’aller consulter la position d’une institution, d’un parti, d’un simple individu, d’être alerté très vite s’il se publie quoi que ce soit de nouveau sur son sujet d’intérêt, d’illustrer son propos de photos ou de vidéos, de contacter des interlocuteurs à l’autre bout de la planète…., vous pouvez vous doter en quelques minutes de moyens que n’avait pas professionnel, il y a quelques années. Désormais nous sommes plus ou moins tous journalistes, et détenteurs du « cinquième pouvoir »42. L’effet collaboratif joue également à plein. Et comme rien ne se perd sur Internet, tout est archivé quelque part, attendant d’être réactivé par la mémoire. La technique s’étant simplifiée à l’extrême, il est enfantin de créer un blog, instantanément modifiable, de l’illustrer, de créer des liens de références mutuelles avec d’autres blogs et sites. La «citation» y compris la citation en image qui met en ligne de brèves vidéos, tournées par l’auteur ou recopiée ailleurs, devient très simple. Enfin les lieux d’expression se sont multipliés : quel est le journal qui n’offre pas une possibilité de créer son blog ? N’est pas demandeur des photos numériques d’actualité des lecteurs ? Qui n’ouvre pas des forums de discussion ? 41 Une notion inspirée par Howard Rheingold Foules intelligentes La prochaine révolution sociale, M2 éditions 2007 42 Thierry Crouzet Le cinquième pouvoir, Comment Internet bouleverse la politique, Bourin Editeur 2007 20 Allons plus loin : notre opinion est perpétuellement sollicitée. Exprimez vous. Votez. Donnez votre évaluation. Recommandez à des correspondants. Indiquez quel est votre site favori. Signalez des liens intéressants. Participez à la définition des mots clefs qui serviront à référencer cette page. Déposez votre photo, votre vidéo, vos liens favoris et soumettez les au jugement de tous les internautes. Activez vos «réseaux sociaux». - Bien entendu les pouvoirs économiques ou politiques ne font qu’accentuer la tendance dans leur obsession de « sentir les courants », ou « d’être au contact des gens ». Tandis que les entreprises cherchent désespérément les moyens de ne pas perdre le lien avec la blogosphère et s’évertuent à établir le lien avec le public et les parties prenantes, la classe politique ne cesse de scruter ce qui se passe sur le Net, d’appeler les cyber citoyens à proposer, juger, co-rédiger… Tout en courant le risque de retrouver demain en ligne une vidéo gênante, une proclamation ou un document les mettant en cause. - Du reste toute opinion ou le « profil » de tout internaute ont une valeur commerciale. Le fait que vous ayez acheté tel livre, qu’en tant que cadre de moins de quarante ans vivant en région parisienne vous consommiez tel type de produit, que vous ayez montré tel type de personnalité sur Facebook, ou simplement que vous ayez cliqué sur tel lien qui vous attirait a une valeur d’indice. Cela permettra de faire des offres plus ciblées à un public payant. Tous médias implique donc « tous experts ». Chacun peut présenter sa version de la réalité ou exprimer son jugement de façon d’autant plus égale qu’elle est anonyme. L’exemple le plus célèbre est celui de Wikipedia43, l’encyclopédie collaborative basée sur le volontariat et l’intelligence collective. Le principe est que les altruistes compétents et de bonne foi coopéreront et que la majorité recherchera l’amélioration objective de ce «work in progress» perpétuel. Mais l’amateur peut corriger en ligne le texte qu’un spécialiste émérite vient de déposer, le malin placer sa petite publicité, le pervers diffamer, le partisan répandre ses thèses et supprimer celles des adversaires, les groupes organisés infiltrer le très modeste système de vérification et sécurisation mis en place. Il y a donc lutte entre la stratégie de l’altruiste (contribuer pour augmenter la quantité globale d’information vraie et pertinente, la richesse immatérielle commune) et la stratégie du parasite (en profiter pour implanter des données favorable à ses intérêts ou lubies). Or, comme sur Internet toutes les interprétations sont également disponibles (la mauvaise monnaie pouvant chasser la bonne en se reproduisant de façon virale), il n’y a rien d’équivalent à la « critique par les pairs » censée régner dans les milieux universitaires. D’où le succès soudain de rumeurs ou de thèses délirantes du type « aucun avion ne s’est jamais écrasé sur le Pentagone, la preuve : regardez cette photo qui prouve le trucage. ». D’où un énorme problème de preuve. « Tous médias » peut aussi impliquer : 43 voir Paul Soriano in Medium n°14, Septembre 2007 21 - Tous stars un quart d’heure : des flux d’attention, mesurables en milliers de visites d’internautes peuvent se déverser sur une page inconnue ou presque, selon des règles très difficiles à identifier. C’est ainsi qu’un partisan du non au référendum sur la constitution européenne de 2006 peut devenir trouver des milliers de lecteurs en quelques jours et peser davantage sur l’opinion qu’un quotidien réputé. - Tous doubles : chacun peut créer autant de pseudonymes et prendre autant d’identités qu’il veut ; il peut vivre une seconde existence dans Second Life, y acheter des biens virtuels avec de l’argent réel, créer, par exemple, un bureau de son parti politique et y recevoir des visiteurs,.. L’autonomie des avatars prend ainsi une ampleur inégalée. - Tous en tribu : le Web 2.0 c’est le royaume de l’échange, du miroir, de l’alliance temporaire, du rassemblement… Tout renvoie à tout par référence, lien, citation, discussion,… et des communautés s’agrègent instantanément pour se dissoudre parfois aussi vite. Ces tribus ou plutôt ces réseaux sont d’abord affinitaires : il faut avoir été attiré par un intérêt personnel quelconque, partager certaines croyances,valeurs ou au moins des thématiques pour y entrer. Ils sont ensuite informationnels, en ce sens qu’on n’y échange que des discours, des images et des signes, sans aucun contact « dans la vie réelle ». Cette double caractéristique leur confère à la fois une puissance de mobilisation et la faculté plus inquiétante de créer des « bulles » informationnelles, fermées à la critique extérieure, ressassant des affirmations répétées voire redondantes mais qui ne risquent guère d’être contredites. L’intensité (mais aussi la brièveté) de l’échange sur la Toile renforce le règne de l’opinion, mais une opinion qui ne recherche pas toujours la confrontation, qui peut s’isoler de la contradiction, et qui se manifeste surtout par une attitude copiée de celle du consommateur : visiter ou pas, se relier ou pas, comme on achète ou pas dans le monde du marché44. Conclusion On le voit, sur le Web 2.0, l’influence (mesurable à la capacité de faire réagir autrui dans un certain sens) a de moins en moins une source unique facile à identifier et obéit moins encore à un schéma linéaire. Il semblerait plutôt qu’Internet devienne un magma où soudain se dessinent des formes : il naît une structure d’attention sur certains points, structure qui, elle même, reflète une bizarre cartographie de la confiance. Des essaims d’internautes se portent au même « lieu » dans le cyberespace, créant un effet d’agrégation tandis qu’en sens inverse des unités de sens (des énonciations, des thèmes…) se répandent, se transforment, chaque repreneur les réinterprétant à son tour pour les relancer. Pareil système paraît échapper à tout contrôle. 44 Cette critique que nous n’avons pas la place de développer ici a été notamment soutenue par Cass Sustein autour de Republic.com, Princeton U. Press 2001, devenu en 2007 Republic.com.2 22 Or il semblerait que « tout » soit sur Internet comme tous les livres que l’on pourrait écrire avec les 25 lettres de l’alphabet figurent quelque part dans la bibliothèque de Babel45. À certains égards, le vrai pouvoir devient donc celui de « faire le catalogue » et de créer des pôles d’attraction. Cela résulte notamment des systèmes d’indexation de l’information disponible (et notamment le fameux Google ranking qui ouvre la voie à des stratégies de manipulation des robots sémantiques, pour ne pas dire des stratégies du tricheur) mais aussi quelque chose de mystérieux qu’il faut bien appeler « l’art de diriger l’attention ». 45 L’image, tirée de la célébrissime nouvelle de Borgès, a souvent été employée pour décrire le Net comme sphère en expansion infinie, organisée seulement par des liens sémantiques. 23 V Chefferies L’air du temps déplore le déclin de l’autorité (ou s’en félicite). Mais elle fait problème. Pendant des siècles, elle conféra l’aptitude à obtenir l’obéissance de ses subordonnés ou de ses dépendants. Elle apparaissait comme une faculté propre aux individus (ou aux institutions qu’ils représentaient) et se concrétisait sans sanction ni promesse, sans violence, mais aussi sans travail de persuasion (l’autorité ne se négocie pas puisque, par définition, elle se reconnaît). Bref, elle se définissait surtout négativement par ce dont elle faisait l’économie : moyens de contrainte, contreparties, négociations, rappels, surveillance, résistances, contestations... Pour agir, elle commençait par se faire oublier. Or, en ces temps de démocratie participative, d’entreprise citoyenne, d’école ouverte sur le monde, les chefs ont mauvaise presse.... Notre époque leur préfère leaders, coaches, managers, animateurs. Désormais "chef" est devenu un concept gastronomique et l’autorité n'est acceptable que s’il est précisé qu’elle est "morale". L’autorité rappelle un temps ancien (oui papa, oui patron, oui chéri…) dont nous nous sentons affranchis, nous autres redoutables rebelles postmodernes et critiques. Certes, l’autorité revient dans le discours politique contemporain, précisément chez quelqu’un que l’on présente volontiers comme un « chef » : comme quelque chose de naturel mais d’oublié. De la même façon que le travail ou la récompense du mérite, la valeur-autorité serait victime de l'égarement des utopistes. Le nouveau Président de la République – on a deviné que c’est de lui qu’il s’agissait – aime présenter le rétablissement de l’autorité comme liée à sa stratégie : fermer la parenthèse de Mai 68. La tactique n’est pas malhabile puisqu’elle oblige ses contradicteurs à défendre Mai d’un point de vue conservateur : en tant que patrimoine, ensemble de valeurs acquises et dont précisément l’ancienneté relative devrait rendre l’autorité incontestable. Plus simplement, beaucoup, se plaignent que l’autorité ait disparu depuis une quarantaine d’années -qu’ils en attribuent la cause au mythème idéologique « Mai 68 » ou à des causes plus sociologique - avec comme conséquences une perte de sécurité dans les rapports humains : « on » ne respecte plus rien. L’inférieur ou le dépendant (le malade, l’employé, l’enfant, l’élève…) n’accepterait plus des contraintes même établies pour son propre bien ou le Bien commun. Il discuterait systématiquement la légitimité des ordres et réclamerait sans cesse la preuve que ses droits et intérêts y trouvent leur compte. Nous n’avons ici ni l’envie ni l’espace de discuter cette position. Constatons simplement que tout discours nostalgique sur l’autorité « qui fout le camp » traite en réalité de l’obéissance et de sa perte. Cela équivaut à réduire l’autorité à un de ses résultats visibles ; c’est une réduction binaire (fonctionne / ne fonctionne pas) qui n’aide pas en saisir la complexité. L’autorité, en effet, institue un rapport durable (inégalitaire, asymétrique), au-delà du contenu (rationnel, désirable, prometteur) des ordres donnés. Ou de leur efficace. Elle permet au pouvoir de fonctionner sans friction, comme dans le silence des organes inférieurs. Elle existe si et seulement si elle est admise et considérée comme naturelle. Elle descend vers le subordonné consentant voire enthousiaste. Parfois imprégné de l’honneur de se dévouer à l’objectif commun, il se sent rehaussé. 24 L’autorité comme croyance L’autorité est plus qu’un objet de conviction, elle est une relation, qui certes requiert la foi en sa légitimité (qui, on le sait depuis Weber, est traditionnelle, légale-rationnelle, charismatique, plus vraisemblablement un mélange des trois). Comment des pouvoirs accréditent-ils leur caractère éternel, nécessaire, conforme au Bien commun ? Car l’autorité surplombe le pouvoir et l’autorise notamment par la croyance en sa force, sa naturalité, sa légitimité, sa bonté… Pour Platon, le pouvoir légitime, tel celui qu’exerce le médecin sur le malade, le pilote du navire sur ses passagers, le maître sur ses élèves…, suppose un savoir supérieur visant le bien du subordonné : du coup, le discours platonicien fournit toutes les métaphores à l’autorité (le Père, le Médecin, le Professeur) qui resserviront pour des siècles. Pour Aristote, le pouvoir est une forme naturelle des relations humaines – même le pouvoir du maître sur l’esclave – ; il reflète la différence des capacités et la protection que le fort accorde au faible, ou le puissant et le compétent à l’incapable. Hannah Arendt dans « Qu’est-ce que l’autorité ? » suggérait que cette notion avait été vraiment théorisée par les Romains. L’autorité, l’auctoritas (d’augere, augmenter d’où vient aussi notre mot auteur) est ce qui « augmente » l’efficacité d’une loi ou d’un acte juridique. Par exemple, le Sénat avait l’autorité, liée au fait qu’il représentait les ancêtres, les fondateurs de la ville (auctores conditoresque imperii) : cette autorité n’avait pas le pouvoir de contraindre les citoyens (par l’usage de la force, par exemple) ni même celui d’édicter la loi. mais l’éminente dignité qui enveloppait tous ses actes rejaillissait sur le pouvoir effectif. L’autorité rendait possible, respectable, indiscutable les décisions qu’elle appuyait. Jamais, la puissance (la potestas) ne pouvait se concevoir sans auctoritas ou contre elle. Et Arendt de soutenir que nous héritons, à travers le passé de l’Europe médiévale et chrétienne, de cette notion qu’elle voyait remise en cause par les bureaucraties, les démagogies et les totalitarismes du XX° siècle. Mais il est une autre force qui menace l’autorité, c’est sans doute l’individualisme, le refus d’accepter les contraintes, la volonté de ne se conformer qu’après négociation. Il en doit en ressortir la preuve que la décision est rationnelle et sans danger, qu’il en résultera un avantage pour le subordonné, que ses droits sont bien défendus et le contrat social bien honoré. Nos nouvelles démocraties (« contre-démocraties » selon l’expression de Pierre Ronsvallon) fonctionnent à la vigilance, à la critique, à la surveillance, à la revendication, à la mise en cause, aux chartes, aux codes éthiques, à la notation, à la gouvernance, à tout ce que l’on veut sauf à l’autorité. Ne parlons pas de sanction, de commandement, de discipline, et autres notions évocatrices de fantasmes malsains. On leur oppose volontiers l’autonomie des sujets, la négociation démocratique, la nécessité de convaincre inlassablement, la quête de l’adhésion à chaque objectif. Autant de critères incompatibles avec l’autorité qui surplombe et qui décide… Le temps de la suspicion La notion d’autorité se place quelque part entre reconnaissance de compétence, admiration, respect, prestige des origines, foi en une justification philosophique ou religieuse, mais aussi 25 habitude d’obéir… Dans cette perspective, le mystère de l’autorité pourrait bien renvoyer à celui de l’obéissance. Pour La Boétie, tous se soumettent à Un parce qu’ils sont séparés et que personne ne se sent la force de se rebeller seul, mais aussi parce que le pouvoir mobilise un dispositif, des relais, des subordonnés. L’autorité c’est un appareil plus de l’apparat. Les psychologues modernes ont souvent tenté d’expliquer notre prédisposition à nous soumettre. Dans la fameuse expérience de Stanley Milgram, des cobayes infligent (ou plutôt s’imaginent infliger) des souffrances insupportables à des gens contre qui ils n’ont aucun grief et sans en tirer le moindre bénéfice : simplement ils se déchargent sur « l’autorité », en l’occurrence celle de la science incarnée par un expérimentateur en blouse blanche. Celui-ci leur a dit qu’ils devaient punir par des décharges électriques des « élèves » (en réalité joués par des acteurs) dans le cadre d’une expérience sur l’apprentissage par punition. D’où le soupçon : la nostalgie du chef ne traduirait-elle pas quelque complexe ou une grave faiblesse de caractère ? Celui qui fait les gardiens de camp ou les complices de toutes les dictatures ? Les travaux de Reich, d’Adorno, de Fromm, d’Amitai Etzioni ont cherché ce que cachait de suspect le désir de soumission à l’autorité. Parallèlement, l’affirmation que les enfants doivent obéir aux parents, les élèves aux professeurs, les malades aux médecins, les subordonnés aux supérieurs, les justiciables au juge, argument qui avait très bien fonctionné pendant des siècles, se heurte à des mentalités nouvelles. Dans un livre intitulé justement «La fin de l’autorité», Alain Renaut constate la difficulté qu’il y a désormais à faire reconnaître cette différence qui justifiait auparavant l’autorité. Le principe d’identité et d’égalité - à l’école ou dans les rapports entre parents et enfants, dans l’institution judiciaire ou médicale- nourrirait une exigence incessante d’adhésion et contrôle. Notre propos n’est pas ici d’en discuter et moins encore de ronchonner qu’il n’y a plus de vrais chefs. Il est plutôt de chercher ce qui se substituerait à une autorité présumée déclinante. La réponse qui vient le plus spontanément est l’influence. Elle peut se définir comme la capacité d’amener les autres à désirer ce que l’on veut soi-même. Exercer de l’influence, pour une Nation, cela consiste suivant les cas, à diffuser le marxismeléninisme, à propager le cinéma hollywoodien, à lancer un média international multilingue, à placer ses ressortissants aux bons postes dans les organisations internationales… Pour une organisation ou un groupe de pression, à entretenir un réseau, à lancer un terme qui sera repris dans les discours officiels ou médiatiques, à avoir des représentants habitués des plateaux de télévision. Pour un individu à être admiré, à attirer l’attention ou à gérer discrètement un petit système de services réciproques… L’influence, là où elle est délibérée, repose sur des stratégies complexes : elles visent à susciter l’imitation d’un modèle, ou à produire la conviction grâce à une rhétorique efficace. Parfois, encore, à trouver des alliés en vue d’infléchir la décision d’un tiers. Ce qui correspond par exemple à la mode, à la pub et au lobbying. Pour le dire, autrement, à la capacité d’émettre des images prestigieuses, de diffuser des messages persuasifs et d’organiser la synergie, voire d’agir sur les normes et les critères du choix d’autrui. Les groupes que nous évoquions, voués à l’exercice indirect d’un pouvoir par influence (lobbies, ONG, think tanks, groupes représentant « la société civile », l’expertise ou les normes éthiques) l’illustrent chaque jour. 26 Bref, l’influence peut prendre des formes multiples, mais elle a toujours un résultat unique : quelqu’un –appelons le l’influencé – a fait ou pensé ce que désirait l’influent sans contrainte ni contrat, sans subir de violence ou sans en tirer de contrepartie, sans y être obligé ni par son infériorité ni par la nécessité. L’influencé éprouve l’influence comme si elle provenait de son tréfonds, comme si elle ne faisait que lui révéler ce qu’il désirait secrètement, comme si la relation était spontanée, symétrique et égalitaire (là encore une différence avec l’autorité qui suppose une altérité ostensible). C’est pourquoi l’influence s’enseigne, y compris aux vendeurs d’aspirateurs. Elle fait l’objet de techniques d’action sur le cerveau d’autrui, ce qui ne saurait être le cas de l’autorité qui est nécessairement innée ou reçue (de Dieu, de l’institution, des ancêtres..). L’influence peut être invisible voire occulte, l’autorité a besoin de visibilité… L’opposition autorité versus influence semble pertinente, à condition de ne pas la systématiser (l’autorité n’exclut pas l’influence, pas plus que cette dernière la puissance : il existe des formes mixtes ou des façons de prolonger l’une par l’autre). Autorité versus influence Peut-on formaliser la chose ? C’est le risque que nous prenons dans ce tableau à double entrée. Certaines oppositions binaires un peu outrées sont là pour stimuler la réflexion, et ne se présentent pas comme vérités intangibles. Ainsi, quand nous opposons, en nous inspirant de l’éthologie, d’une part le modèle «autorité» des gorilles à celui des chimpanzés. Dans le premier, le mâle dominant a un accès privilégié au territoire, aux femelles, à la nourriture et menace les contrevenants. Suivant le modèle « chimpanzé », le dominant, loin de distribuer des taloches, se reconnaît plutôt à sa capacité d’attirer l’attention des autres, à les amener en douceur à modifier leur conduite en fonction de la sienne, inventive, ludique…). Le lecteur avait compris qu’il faut prendre la chose avec ironie. De la même façon, les sinologues trouveront peu nuancée l’équivalence que nous suggérons entre la notion de « tao » (agir sans agir) et autorité ou celle d’influence et de « che » (faire advenir la potentialité des choses, utiliser un minimum d’énergie pour pousser les événements ou les gens vers là où ils sont prédisposés). Dans notre esprit, il s’agit d’une analogie, forcément simplificatrice, plus faite pour stimuler que pour démontrer. Surtout, ce tableau indique des questions qui concernent particulièrement le médiologue. L’influence n’est pas sans lien avec les technologies de l’information : elles sont adaptées à l’action en réseau et à la circulation des flux. Elles se concilient mal avec les hiérarchies. Comme l’a très bien suggéré Daniel Bougnoux dans un numéro précédent de Medium, l’autorité symbolique et transcendante ne fait pas bon ménage avec le présent règne de la communication par flux d’images (vidéosphère), ni avec les nouveaux médias numériques « tous vers tous » (hypersphère). Il est clair que, si l’autorité est du côté de la transmission et de l’inscription, l’influence fonctionne à la « com. » et à la circulation… 27 Du coup, elle s’adapte très bien à nos technologies et pas seulement sous la forme de l’image télévisée –séduction, proximité… Elle agit notamment sous la forme de la « e-influence ». On nomme ainsi la capacité de provoquer des contagions (liens, reprises, citations, copier-coller), d’être cité, d’attirer les navigations d’internautes, d’animer un réseau. Les technologies numériques créent de nouvelles niches de pouvoir telle la faculté d’indexer (ainsi, le « Google ranking » qui fait apparaître un site plus en telle ou telle position lorsque l’internaute formule une demande par un mot-clef). L’influence permet au message d’X d’avoir de fortes chances d’être consulté, repris, commenté, pas au message de Y. Donc, l’influence sur les goûts, critères, centres d’intérêt est liée à la technologie qui fait « l’agenda » de nos savoirs et de nos passions. La technologie serait-elle égalitaire, anti-hiérarchique, voire libertaire ? Peut-elle, lorsqu’elle devient numérique et en réseaux, induire de tels rapports humains, de tels modes d’organisation, de tels usages de nos facultés que les notions de commandement ou de hiérarchie s'en trouvent menacées ? De l’ère des organisateurs à l’ère des ordinateurs ? Ceux-ci tueront-ils ceux-là ? Les élites dont le pouvoir se justifia longtemps par la technicité des choix sont-elles menacés par les choix de la technique ? C’est le discours des technophiles optimistes. Mais il fait l’impasse sur le pouvoir par influence et attention. Que toute innovation technologique entraîne une autre répartition du pouvoir et du savoir, cela personne ne le conteste. Que certains gagnent et d’autres perdent, surtout s’ils ne s’adaptent pas, c’est encore une évidence. Que les stratégies d’influence soient mieux adaptées que l’autorité pour moderniser cet invariant qui s’appelle le pouvoir, c’est fort vraisemblable. Autant de pistes pour les médiologues. Reprenons : pas de pouvoir sans croyance, pas de croyance sans moyen de propager la croyance et de la faire perdurer. Donc pas d’autorité ou d’influence sans médiologie de leurs vecteurs et facteurs. Vaste chantier pour notre petite boutique… 28 Étymologie Finalité recherchée Manifestation apparente Formes théoriques Modèle éthologique Figure/archétype Pôle opposé Trilogie fondamentale Économie de Critère de réussite Régime Ressort Équivalent chinois Devise Acquisition Rapport Stratégie Traduction extrême Théorisée Effet Topologie Exemples médiologiques Dégénérescence Régime social favorable Organisations matérialisées Matière organisée AUTORITÉ INFLUENCE Augere Obéissance, enthousiasme, dévouement Naturelle (il en fut toujours ainsi) Trilogie de Weber (légitimité) Traditionnelle Rationnelle légale Charismatique Gorilles : dominance et priorité sur des ressources rares Parent Maître Médecin Capitaine… Pouvoir (Herrschaft) D’où : mystère de l’obéissance (de la Boétie à Milgram) Croyance Confiance Respect Force et négociation Reconnaissance paisible Absence de contestation Transmission (altérité) Admiration Principe du Tao ( (Granet) Oboedentia facit auctoritatem Héritage ou don Distancié Directe : vaincre friction et résistance, (Clausewitz) Contraindre une volonté Fluxus Participation, intériorisation, intégration Spontanée (c’est venu tout seul) Prestige d’où imitation Message d’où persuasion Réseau d’où synergie Chimpanzés : structure d’attention Communicateur Coach Leader Animateur Puissance (Macht) D’où l’énigme du vouloir ensemble Modèle reproduit Conviction contagieuse Coordination efficace Contrainte ou contrat Changement en douceur Paraître, penser agir comme Communication (partage) Désir Principe du Che (F Jullien) C’est comme moi ! Technique et apprentissage Fusionnel Indirecte (symétrique ou asymétrique) : concurrencer d’autres influences (Sun Tse) Faire advenir une potentialité Fuhrerprinzip Leadership Sous Rome (dixit Arendt) Au XVIIIe (Mme de Staêl) Conscient (l’autorité s’affiche) Souvent inconscient (se subit) Verticale pyramidale Réticulaire Descend Contamine Monument Emprise Autoritarisme, caporalisme Manipulation Fout le camp d’où nudité du Mode pouvoir (A. Renaut) Se dissipe d’où chaos Disciplinaire De contrôle (Deleuze) Institutions détentrices ONG, Lobby, think tank… Médias de proclamation Médias de commutation 29 Mode d’action Ordre orienté objectif Principe idéologique Origine Code (agenda, catégories…) Postmoderne valeurs, 30 VI Influence et intelligence économique Influence ? C'est une notion - psychologique ou sociologique (la mode, l'imitation, les filiations intellectuelles, la persuasion indirecte...) - politique ( les groupes d'intérêts et de pression qui orientent les décisions publiques, agissent sur l'opinion, exercent un pouvoir ou un contre-pouvoir sans avoir d'autorité légale...Mais c'est aussi un concept géopolitique (zone d'influence, politique d'influence opposée à politique de puissance...) L'influence peut s’exercer : - par le prestige d’un pays, de sa langue, de sa culture, de son mode de vie, de son système politique, de son idéologie, bref par son image - par des messages, notamment médiatiques, destinés à convaincre des dirigeants ou des populations de l’excellence de la politique qu’il mène, de ses bonnes intentions, des valeurs universelles qu’il défend… - par des intermédiaires, en favorisant les institutions, les partis, les tendances, les groupes d’intérêt voire les idées ou les autorités intellectuelles et morales qui agissent ou incitent à agir dans le sens voulu. Donc des réseaux. - par des normes, des standards et des règles, par l’établissement de codes (juridiques, techniques, commerciaux, moraux, culturels…) dont la mise en œuvre contribuera elle aussi à a politique d'un État, mais aussi en façonnant les mentalités, et partant les critères d’évaluation. Du reste, certains théorisent la chose, notamment aux USA, où suivant les époques, les concepts de guerre culturelle, de diplomatie publique, de soft power…, servent à désigner cette stratégie indirecte qui complète la politique de puissance américaine. Quel rapport avec l’intelligence économique ? D’abord, l’influence (art d’agir sur ce que savent et croient les autres) constitue avec la veille (savoir plus que les autres) et la défense du patrimoine informationnel (être seul à savoir) le troisième volet de cette discipline naissante. Ensuite, parce que l'influence recouvre toute une gamme de méthodes étatiques ou non étatiques, obéissant à des intérêts économiques, politiques ou idéologiques, allant du lobbying à la désinformation, de la production d'idées à l'exploitation relations, de l'argumentation auprès des instances officielles à la production de l'agenda du débat public, de l'action sur l'opinion à la déstabilisation informationnelle... L’intelligence économique ne sert pas seulement à acquérir des connaissances utiles à la décision (c’est le rôle de la veille et de l’intelligence au sens anglo-saxon), ni à protéger des informations précieuses (la sécurité de son patrimoine informationnel, c’est-à-dire la façon de garder ses secrets). Cette jeune discipline comporte aussi un troisième domaine : l’influence. C’est la capacité de pousser d’autres acteurs à adopter des comportements ou des convictions favorables à desseins, sans recourir à la force, sans promettre de contrepartie et sans exercer d’autorité. L’art de savoir et celui d’empêcher le concurrent de savoir appellent donc un complément difficile à résumer en recettes simples : la manière de faire croire, de faire décider et de faire penser d’une certaine façon. 31 Exercer de l’influence, pour un individu, cela consiste suivant les cas, à être admiré et copié, à attirer l’attention ou à gérer discrètement un petit système de services réciproques… Pour un État, en fonction des époques et des lieux, à diffuser, le marxisme-léninisme, à répandre le cinéma hollywoodien, à lancer un média international multilingue, à placer ses ressortissants aux bons postes dans les organisations internationales… Pour une organisation ou un groupe de pression, selon leurs objectifs, à entretenir un réseau, à lancer un terme ou une idée qui seront repris dans les discours officiels ou médiatiques, à avoir des représentants habitués des plateaux de télévision ou simplement à identifier des décideurs ou des leaders d’opinion pour leur présenter des suggestions. Pour une entreprise, à gérer son image de marque même en temps de crise, à trouver des relais politiques dans sa conquête des marchés, à s’appuyer sur des courants culturels porteurs, à diffuser certaines normes techniques, environnementales ou morales, mais aussi à mener des actions de déstabilisation envers ses concurrents, même si de telles pratiques sont contraires à l’éthique. Sous les délicats euphémismes d’influence et contre-influence se déroulent souvent des luttes féroces pour paralyser l’action d’un rival à travers le relais de l’opinion. À influence délibérée, stratégies sophistiquées : elles visent à susciter l’imitation par le prestige ou à produire la conviction à travers une rhétorique efficace. Parfois, encore, à trouver des alliés en vue d’infléchir la décision d’un tiers. Cela peut s’illustrer par des exemples aussi divers que la mode, la pub et le lobbying… Pour le dire autrement, la capacité d’émettre des images séduisantes, de diffuser des messages persuasifs et d’organiser la synergie, éventuellement la faculté d’agir sur les normes et les critères du choix d’autrui peuvent également. Les groupes voués à l’exercice indirect d’un pouvoir par influence (lobbies, ONG, think tanks, groupes représentant « la société civile », par l’expertise ou à travers les normes éthiques ou autres) l’illustrent chaque jour. Le très vaste champ de l’influence englobe donc aussi bien des politiques générales d’image menées par des pays ou des activités de lobbying légales (et bien acceptées dans certains pays) que des manœuvres bien plus obscures et agressives de déstabilisation informationnelle d’une entreprise. L’influence peut, on le voit, prendre des formes multiples, emprunter des vecteurs divers ou se mettre au service d’objectifs contradictoires, elle aboutit toujours à un résultat unique : quelqu’un –appelons le l’influencé – a fait ou pensé ce que désirait l’influent sans contrainte ni contrat, sans subir de violence ou sans retirer de contrepartie, sans y être obligé ni par son infériorité ni par la nécessité. L’influence forme donc le champ mal délimité où se déploient des rapports inédits (du moins qui n’avaient jamais atteint la même ampleur) entre le politique et l’économique : - L’action politique, étatique, diplomatique peut contribuer à la prospérité économique d’une nation en aidant ses entreprises à conquérir un marché, en faisant la promotion d’un modèle économique international ou de normes qui correspondent à celles de ses grandes sociétés, en pesant dans la régulation du commerce, en décourageant les concurrents. En retour, une certaine image d’un système économique (voire d’entreprises bien précises), autant que des croyances relatives la nature et aux lois de l’économie peuvent contribuer à une politique d’influence. 32 - La nature de l’activité économique change. Les entreprises sont de plus en plus jugées en fonction de critères extra-économiques. Leur action doit se plier à un pouvoir de régulation, à des normes édictées par des organisations internationales (cela explique le rôle du lobbying et de la défense d’intérêts nationaux là où s’élabore cette norme, comme à la Commission européenne). - Mais l’entreprise est aussi sous la surveillance d’ONG qui la critiquent, l’évaluent ou la notent ; elle se sent à la merci du risque d’opinion, soumise à des demandes de sécurité, de moralité dans ses pratiques, à une exigence de respect de l’environnement aussi bien que de valeurs sociales, éthiques, culturelles. Elle peut être remise en cause comme détentrice du vrai pouvoir dans les forums alter mondialistes, menacée par une crise ou une dénonciation médiatiques. Elle doit défendre son image auprès des parties prenantes dont elle dépend. Aux règles de droit souvent transnationales qui encadrent l’activité économique s’ajoutent de normes issues de la «société civile». En retour, l’entreprise cherche à se prévaloir de son image citoyenne ou responsable pour vendre et se vendre. Bref des facteurs idéologiques au sens large (au sens où il s’agit de discours rationnels ou pseudo rationnels relatifs aux valeurs et visant à établir un certain ordre du monde) interfèrent dans une logique économique pure de façon contradictoire. Comme on le voit, l’influence n’est pas univoque : ses jeux se déroulent dans des sens différents. Elle peut mettre en action le pouvoir souverain de l’État, mais aussi les médias, et les multiples organisations qui sont précisément vouées à sa pratique (lobbies, ONG, think tanks…). Elle s’exerce à des niveaux divers, de la pression en vue d’obtenir une décision précise au formatage général des esprits. Il s’agira donc de comprendre les stratégies, les acteurs et les vecteurs (ce qui inclut les technologies de l’information) de ce phénomène typique de nos sociétés de l’information qui sont aussi des sociétés de contrôle et d’influence. Le plus souvent les techniques d’influence sont indirectes en ce sens que leur but immédiat et affiché n’est pas d’obtenir un avantage économique (faire acheter, par exemple) ; mais de défendre des intérêts en faisant intervenir un tiers : en amenant le législateur à prendre une décision favorable à une certaine activité, en formant les goûts ou opinions du public dans le sens désiré, éventuellement, en suscitant des obstacles contre ses concurrents. Toutes ces techniques ont en commun d’intervenir à un degré ou à un autre sur la façon dont ses cibles (décideurs, médias, public) perçoivent et évaluent une certaine réalité, parfois très en amont et de manière très dissimulée. Pendant tout le XX° siècle, nombre de chercheurs ont analysé et dénoncé avec raison, les «manufactures du consentement », telle la propagande d’État ou la publicité. Ils ont tenté d’en montrer les bases scientifiques, autant que les limites. Encore s’agissait-il de stratégies directes, ostensibles, de persuasion. Celles que nous désignerons comme indirectes procurent du pouvoir ou causent un dommage à un concurrent ou adversaire à travers des médiations : relais d’opinion, médias, contrôle des flux informationnels, formatage des modes d’appréciation et des comportement. On parle suivant le cas de désinformation, affaires publiques, diplomatie publique, emprise médiatique, déstabilisation informationnelle… Ces méthodes ne sont pas toutes scandaleuses, immorales ou terrifiantes et leurs résulats peuvent se révéler aléatoires. On les trouve employées en géostratégie, en intelligence économique, dans la vie publique ou culturelle 33 En IE, le très vaste champ des stratégies indirectes englobe donc aussi bien des politiques globales d’image menées par des pays ou des activités de lobbying légales (et bien acceptées dans certains pays) que des manœuvres bien plus obscures et agressives de déstabilisation informationnelle d’une entreprise. Et cela dans un environnement précis et à une époque précise. Un technique rhétorique connue depuis l’Antiquité ou une méthode de désinformation ou de guerre culturelle inventée pendant la guerre froide peuvent toujours resservir, mais il faut singulièrement les adapter au contexte. Il présente trois caractéristiques principales pour ce qui nous intéresse : - Nous vivons dans ce qu’Ulrich Beck nomme « société du risque », un système obsédé par l’éventualité de la catastrophe, du danger industriel ou sanitaire, par les conséquences imprévues et inquiétantes du développement et de la science. Évaluation et surtout répartition du risque semblent tenir dans notre imaginaire la place qu’occupaient auparavant développement et répartition des moyens de production. Mais qui dit risque dit événement futur et incertain. C’est en jouant – dans un sens ou dans l’autre – sur notre perception du risque, en convoquant expertises et anticipations, en profitant de nos peurs ou de nos ignorances que se développent de nombreuses stratégies de contrôle ayant parfois d’énormes enjeux économiques. - Cette société est à la fois mondialisée et hypercompétitive. Tandis que marchandises, capitaux et modèles culturels se jouent des frontières et que l’opinion se mondialise elle aussi, tout semble avoir des conséquences sur tout. Un accident industriel dans le pays A ou une panique boursière dans le pays B joue sur le marché du pays C et les investisseurs du pays D donc sur le résultat d’une société dans le pays E et sur l’emploi dans le pays F et ainsi de suite. Ce processus peut être accéléré ou contrarié par l’emprise de médias, de groupes intervenant dans le débat public ou d’experts et autorités, par des campagnes de communication ou de désinformation… Autant de champs ouverts aux stratégies indirectes. - Nous vivons dans une société qui se veut de l’information. Non seulement l’information (au sens des « nouvelles ») circule vite et provient de sources toujours plus diversifiées et moins contrôlables (notamment Internet qui concurrence singulièrement les vieux médias), mais la valeur économique de l’information (savoirs que l’on possède, données que l’on gère, image que l’on engendre) est au cœur de l’activité économique. Raison de plus pour recourir à l’influence en exploitant les technologies de l’information et de la communication. En s’appuyant sur des exemples concrets (lobbying pour les jeux olympiques de 2012, action de certaines ONG, campagnes de communication publique sur le tabac, le nucléaire ou les OGM, rumeurs ayant des conséquences économiques, déstabilisation d’entreprises dans le domaine de l’agro-alimentaire, de l’aviation, de la pharmacie…) on s’efforcera donc de montrer quelques unes des dimensions propres à ces stratégies d’influence. Le lobbying d’abord, une notion qui ne cesse de s’étendre. Il s’agit au minimum de l’action de groupes de pression – éventuellement représentés par des professionnels de la chose - et au service d’intérêts, et tentant d’agir sur le politique sans se présenter aux élections. Ils tentent d’infléchir un pouvoir dont ils ne sont pas dépositaires. La notion même de pression évoque l’idée d’employer un poids (y compris le « poids des mots ») au point le plus juste pour infléchir une force. La placer là où il pèse le plus lourd en somme. 34 Une définition étroite réserve la notion d’intérêts aux intérêts économiques, mais il peut aussi s’agir d’intérêts au sens de ceux de communautés humaines, d’idées ou d’idéologies… Et en ce sens des institutions aussi différentes que des Organisations Non Gouvernentales ou des centres de recherches de type « think tanks » peuvent aussi pratiquer le lobbying. Sans parler du lobbying que l’on attribue facilement à tel ou tel réseau ethnique, religieux, national, professionnel, idéologique… Le très vaste éventail du lobbying est largement déterminé par les traditions politiques et les cultures des pays où il s’exerce. Quant à la forme de la « pression », elle varie considérablement : argumentation, mise en valeur d’une image, marchandage, mobilisation de groupes partageant les mêmes objectifs, influence à travers les médias et l’opinion, corruption, menace, voire attaques par le biais de l’information contre des individus ou des Institutions. Le tout est inefficace si le lobbyiste ne commence pas par acquérir l’information pertinente au bon moment, par évaluer les dangers, les opportunités, les rapports de force (ce qui rejoint très largement la veille). D’autres techniques d’influence visent uniquement à la paralysie d’un rival par la déstabilisation, la désinformation, la rumeur. Elles suscitent des obstacles, attentent à l’image de l’autre, le décrédibilisent parfois simplement lui font perdre du temps et de l’énergie. Les nouvelles technologies, à commencer par Internet, ne prémunissent pas contre les crises ; elles les multiplient. Internet favorise les rumeurs, le « pilori numérique » que constituent les sites ou forums agressifs, parodiques ou dénonciateurs, l’intoxication, la panique, l’attaque anonyme, bon marché, sans frontières… Et surtout, la Toile est le royaume de l’urgence. Le temps représente un facteur crucial. Ceci va du « déni d’accès » à la course de vitesse entre médias et versions des faits, du temps qui manque pour se confronter à l’imprévisibilité future. 35 VII Entreprise et influence dans la société de l'information L’influence ? première surprise : ce présumé concept économique est d’origine astrologique ! Au XII° siècle, il désigne un écoulement invisible qui tombe des astres (de « influere », écouler) et qui agit sur le destin des hommes. Au cours du temps, cette conception d’un flux matériel se fait plus abstraite : l’influence devient une force supérieure qui décide de notre sort. Au XVIII°, le mot acquiert son sens psychologique : le prestige qui amène à se ranger aux avis de quelqu'un, puis le rayonnement d’institutions ou d’œuvres. Bientôt, il sera question de l’influence de la culture française ou de l’influence littéraire46 : un idéal à imiter, un style qui s’impose, des valeurs ou idées auxquelles se rallier. Par extension encore, l’influence devient une « action le plus souvent graduelle et continue qu’exerce une personne ou une chose sur une autre »47. Le mot dérivé « influenza » se réfère à une épidémie. Tout ce qui touche à notre sujet suppose un changement invisible : mystère des conjonctions astrales, mystère de l’imitation et de la séduction, mystère de causes inexplicables, mystère d’une contagion. L’influence se subit, elle pénètre et transforme. Au pire, elle équivaut à une perte de liberté ou d’identité : «être sous influence», c’est perdre son autonomie, voire subir une aliénation.. Au mieux, « avoir » de l’influence constitue une forme de pouvoir sur autrui plus subtile que la force et plus avantageuse que l’échange. L'influence est donc tantôt synonyme vague de déterminisme, tantôt équivalent inquiétant de la manipulation, tantôt alternative idéalisée à la confrontation, elle se constate après coup. L'idée explique trop ou trop peu. Le succès du mot serait-il proportionnel à son flou ? Un concept qui sert aussi bien à comprendre pourquoi les ados s’habillent comme leur chanteur préféré qu'à explorer les arcanes géopolitiques mérite examen. Dans un monde parfait, l’influence serait inutile. La puissance politique se contenterait d’appliquer la loi, expression de la volonté générale, la justice les adapatant aux cas particuliers. Dans les relations extérieures, les États ne seraient liés entre eux que par le droit international. L’entreprise produirait des biens et des services pour un marché de décideurs libres et rationnels. Les discours philosophiques ou religieux ne s’imposeraient que par leur vérité ou leur cohérence. Dans un monde totalement mauvais, il n’y aurait de place que pour les rapports de force, donc la lutte de tous contre tous. Seule la contrainte des armes réglerait les affaires des particuliers et la guerre celle des nations. Mais nous vivons dans un monde intermédiaire où il faut faire place, entre norme, force et liberté pour les jeux ambigus de l’influence. Dans la mesure où elle agit sur les motivations de l’influencé, cette relation est complexe. Obtenir le consentement ou susciter l’imitation, c'est gagner une emprise sans rien donner en échange, ni récompense, ni menace. C'est aussi « déteindre » sur l’influencé et le rendre un peu plus semblable à soi donc faire partager un point de vue ou créer une connivence. Longtemps réservée au domaine de la psychologie ou de la sociologie48, la notion tarde à s’imposer dans le domaine politique et économique49. 46 Ainsi, Gide et Valéry s’opposent sur la pertinence de la notion d’influence en littérature. Robert Dictionnaire de la langue française 48 Le mot influence est maintenant quasiment tombé en désuétude dans le domaine de la psychologie, mais employé dans les sciences de l’information et de la communication (cf. L’Art d’influencer d’Alex Mucchieli, Armand Colin 2000) dans un sens voisin de manipulation. Dans les sciences politiques, ce sont surtout les chercheurs américains proches du fonctionnalisme qui font usage de cette notion : T. Parsons, « On the Concept of Influence », in Public Opinion Quarterly, t. XXVII, no 1, 1963 49 Voir à ce sujet le n°14 d’AGIR, revue de la Société de Stratégie Puissance et influence, Mai 2003 47 36 Pour ce qui nous intéresse ici, l’idée que l'entreprise puisse exercer ou subir une influence a conservé un sens restreint jusqu'à une date récente. Notamment dans ses rapports avec le politique : le politique, c’était l’État. L’État était source d’autorisations et de concessions : ce qu’il permettait et les marchés qu’il attribuait. L’entreprise pouvait agir en prônant de « bonnes » idées, des mesures favorables à ses projets. Elle le faisait à travers des organisations représentatives dans le débat public ou en favorisant la presse ou les partis «amis». L’influence passait aussi par de l’entregent, en plaidant sa cause auprès des décideurs, voire par sollicitation ou corruption. Ainsi, une première conception étroite du lobbying50 l'assimile à une méthode de persuasion des décideurs. Elle se composerait d'une rhétorique (bien argumenter, séduire) et d’une balistique (délivrer les messages au bon endroit). Les moyens varient : argumentation, mise en valeur de son point de vue, présentation d’informations qui font défaut au politique, dialogue, établissement des rapports privilégiés, quand ce n'est d'une complicité. Mais la diversité des procédés renvoie à une fin unique : faire triompher sa version de l’intérêt général, dans une logique de groupe de pression. Cette pédagogie intéressée, s'exercant sur un interlocuteur présumé mal informé (des réalités techniques ou économiques, des enjeux de ses décisions) peut devenir un jeu de contraintes et de promesses. La tradition française la considère avec suspicion. Elle l’assimile facilement au « trafic d’influence », interférence des intérêts privés avec le domaine de la loi. Aujourd’hui, une telle vision qui réduit le politique à l’équation « contrainte + ressources » et l’influence à « conviction + contacts » est obsolète. D'où la nécessité de réexaminer notre conception de l'influence et d'expliquer sa place croissante dans les sociétés de l’information. A Le mystère de l’influence L’influence pose le triple défi de son efficacité, de sa « transversalité », c’est-à-dire son rôle dans diverses formes de la vie sociale et de son usage stratégique. - 1) L'influence comme facteur causal, Son action n’est ni mécanique, ni calculable. Si l'on excepte les usages métaphoriques suggérant une corrélation vague (du type « la végétation prolifère sous l’influence du climat »), l'influence - est un mode d’action psychologique : il fait partie de la lutte «pour l'esprit des gens» - Ce n’est pas une technique qui agit sur les choses, mais une pragmatique qui agit sur les gens. - C’est un processus de communication. Par l’usage de signes (des discours, des images, des représentations) il permet le partage d’un invisible (une volonté, un imaginaire, une croyance..). - C’est un processus de transmission. Il procure un résultat plus durable que la simple communication : la transformation de l’influencé, de ses façons d’agir ou de réagir. La forme suprême de l'influence est le «formatage» d'individus, de communtautés, d'un marché, etc., qui rend plus prévisible. Influencer, c'est conditionner. - C’est enfin un processus de médiation. Excepté le cas de l’influence directe, de personne à personne, influencer requiert des vecteurs qui peuvent être le château de Versailles, un in50 Sur l’évolution du lobbying voir : Le lobbying, nouveaux enjeux, nouvelles pratiques au service de la stratégie des entreprises, Anvie, Maison des Sciences de l’Homme, Novembre 2002 et Mourad Attarca Quelles règles pour la pratique du lobbying des entreprises ? Grefige, Université de Nancy 2, Cahiers de recherche n° 201-203 téléchargeable. Voir aussi Michel Clamen, Le lobbying et ses secrets, Dunod, 1995 37 octavo, Al-Jazira ou une ligne de vêtements. Cela passe souvent à travers des organisations communuatés qui peuvent être le Vatican, l’École, ATTAC, les Triades ou une bande de copains. Pour toutes ces raisons, le rapport entre la cause supposée (l'influence) et le résultat (le changement) ne peut être ni simple ni unilatéral. De plus, « une » influence, cela n’existe pas ; il existe toujours des jeux d’influences concurrentes, qu’il s’agisse de l’éducation des enfants ou de politique. Et enfin, il n’est pas rare que l’influencé influence l’influent à son tour : nos suiveurs, nos admirateurs ou nos complices nous changent à leur tour. Conséquence pratique ? toute recette prétendue, toute leçon de manipulation, toute explication par l’influence risque fort d’être réductrice ou magique. Parfois, elle rappelle la « vertu dormitive du pavot ». Telle est la leçon qui se dégage, par exemple, de plus de soixante-dix ans d’études sur la lancinante question du pouvoir ou de l’influence des médias. D’abord il a fallu renoncer à un schéma de type stimulus/réponse, cause/effet, contenu du message / réaction du récepteur. Ensuite et surtout des dizaines d’études attestent que toute supposée production d’unanimité par les médias se heurte à des obstacles : les influences concurrentes dans milieu social du sujet, les « leaders d’opinion », ou le poids des cultures et des identités collectives qui déterminent la façon de recevoir et interpréter les messages médiatiques51. Tout ce qui précède n'implique pas que l’influence soit inexplicable ni que l’on ne puisse reconstituer les « trucs » qui ont permis à un représentant de vendre un aspirateur inutile à un pigeon52 ou à une secte de laver le cerveau d’un adhérent. Cela signifie qu’aucune recette ne garantit le succès de cet art tout d’exécution. 2) L'influence comme relation Son domaine s'étend. Psychosociologique, l'influence est aussi spirituelle, culturelle, idéologique, sociétale : nous parlons de l’influence de celle la publicité, de la culture mondiale, d’un style de vie, de tout ce qui imprègne l’esprit du temps. L’influence envahit le domaine politique : la décision y laisse plus de place à la négociation et au consensus. Cette tendance favorise des autorités techniques ou morales, les groupes ou institutions, sociétés de pensée, associations protestataires, médias. Partout, l’influence relaie ou contrarie le jeu des institutions. En géostratégie, il existe des « zones d’influence ». Cesterritoires, sans être légalement sous l’autorité d’une puissance étrangère, se retrouvent en état de dépendance militaire, économique. Voire des nations qui s’efforcent de se concilier ses faveurs d’un protecteur ou adoptent ses coutumes, valeurs et objectifs tant que le faible devient un satellite du fort. La stratégie américaine a développé le concept de « soft power ». Imaginé par le doyen Joseph S. Nye53, il fut popularisé pendant les années Clinton. Le soft power forme limite de stratégie de l’information, repose sur l’attraction du modèle politique, économique, culturel et technologique des U.S.A. Elle s'appuie sur leur capacité de doser aide et négociation, incitation et coopération pour amener d’autres États à se ranger à leurs vues. Le toutcontribue à un « élargissement » de la démocratie. Exercer le soft power , ou influencer, équivaudrait à faciliter l’entrée d’un pays dans la société de l’information, de la libre entreprise et ladémocratie libérale. D’une certaine façon, le 51 Voir G. Derville, Le pouvoir des médias, PUG, 1997, J.N. Kapferer Les chemins de la persuasion Gaultier-Villars 1978, A. Mattelart, Histoire des théories de la communication, La Découverte,1995 52 V. R Joule. - et J-L Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Presses Universitaires de Grenoble, 1987 53 Joseph R Nye, The Paradox of American Power, (OUP) 1998 38 projet des néo-conservateurs de l’équipe Bush, une contagion démocratique54, au besoin par les armes, représente la version « hard » de ce « soft power »55. Elle diffère par les instruments employés, mais poursuit fondamentalement le même dessein. Il se confond avec l'intérêt économique national : la maîtrise des marchés par la domination informationnelle, le conditionnment global. L’influence devient surtout une notion économique que son succès rend presque suspecte. - Elle se retrouve associée au vocabulaire du marketing. Ses théories prônent le remplacement de la publicité de papa par le buzz électronique. Cette rumeur en faveur du produit se transment d’internaute en internaute, souvent associée à un gag visuel et vise à s’attirer les faveurs de « e-influents », l'équivalent des leaders d’opinion56 sur la Toile. - L’influence est aussi liée à l’idée de conviction et de mobilisation des énergies : c’est une façon de faire partager les objectifs de l’entreprise dans trois sphères : interne, l'environnement immédiat de l'entreprise et son macro-environnement57. C’est également un mode de relation entre cette entreprise et un monde en incessante mutation : le réseau est censé apporter à celle-ci les informations, les compétences, les ressources, les appuis pour soutenir son projet. L’influence, au service de l'intérêt économique national ou de l'entreprise, est après la maîtrise du patrimoine scientifique et technique et la détection des menaces et des opportunités, le troisième versant orienté vers l’action de l’intelligence économique58 . Son but est de modifier l’environnement, de se rendre plus favorable, et ce à une échelle plus vaste et dans une perspective plus ample que le lobbying. Dans le contexte inquiétant de la guerre de l’information59, naît aussi le danger de la déstabilisation, le risque de réputation, d’une attaque informationnelle qui décrédibilise ou paralyse et à laquelle il faudra opposer des forces de contre-influence. - L'influence plane au-dessus de l’entreprise comme une force supérieure : le jeu international des influences culturelles, techniques, politiques, sphères dont l’interaction rend l’action économique possible ou la contrarie. Pareille inflation conceptuelle est-elle un effet de mode60 ? En ce cas, elle traduirait un emballement du marketing, ou ce « nouvel esprit du capitalisme »61, entiché de gouvernance, de réactivité, de branding, de développement durable. N'est-ce pas plutôt un phénomène général reflétant l’évolution de nos sociétés ? L’hypothèse que nous explorerons sera celle-là : l’influence comme mode d’action indirect spécifique des sociétés dites de l’information. - 3) L'influence comme stratégie 54 Le mot à la mode à Washington est le «tsunami démocratique » : l’exemple de l’Irak va provoquer, paraît-il, un tsunami démocratique dans le Proche-Orient. 55 On peut la trouver résumée très crûment dans des livres comme La puissance et la faiblesse, de Robert Kagan, Plon, 2003, ou Notre route commence à Bagdad par W. Kristol et L. F. Kaplan, Fondation Saint-Simon, 2003 56 Sur la notion de leader d’opinion voir E. Katz et P. Lazarfeld, Personal Influence : the Part Played by People in the Flow of Mass Communication,1955 57 Alain Bloch, Intelligence Economique, Economica, 1996 58 Telle est la conception défendue par le rapport Martre (Rapport du CGP "Intelligence économique et stratégie des entreprises", La Documentation française, Paris, 1994) ou par le Dictionnaire de la mondialisation dirigé par Pascal Lorot, Ellipses, 2001 59 La guerre cognitive, dirigé par Christian Harbulot et Didier Lucas, Lavauzelle, 2002 60 La mode étant, soit dit en passant, un des modes d’influence les plus typiques de nos sociétés de changement perpétuel, d’engouement éphémère et de recherche du suffrage public. 61 Luc Boltanski, Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, N.R.F. Gallimard, 1999 39 En tant que stratégie - usage réfléchi de moyens en vue de faire céder une volonté – l’influence s’inscrit dans un ensemble général d'interactions62. Certes, elle peut être involontaire : on peut séduire malgré soi, être imité sans le désirer ou changer par son œuvre ou son exemple des gens dont l’existence vous indiffère. Pourtant, l’idée d’amener l’Autre à coopérer à vos desseins sans user directement de force, ni contrepartie est une constante de toute pensée stratégique. Il n'est pas toujours aissé de tracer les frontières, entre influence et ruse (je fais A pour que l’autre croie que je prépare B, alors que je ferai C). - Entre influence et intoxication (je fais croire à l’adversaire par une fausse source x que je prépare B, alors que je m’apprêt à faire C). - Voire entre influence et désinformation (je propage l'information B par une source apparemment neutre x afin que les alliés de l’adversaire ou l’opinion l’accusent de D). Mais quand Sun Tzu, cinq siècles avant notre ère, recommande d’habituer l’adversaire au vin et aux concubines pour l’amollir avant de l’attaquer, il décrit une forme cynique de l’influence63. Et les premiers textes stratégiques grecs, tels ceux d’Énée le tacticien au IV° siècle avant notre ère, recommandent d’utiliser des agents d’influence pour s’emparer des villes ennemies64. Considérée positivement comme stratégie de la connivence ou négativement comme paralysie d'une victime, l’influence présente deux caractères : a) Fondamentalement, il existe trois façons d’influencer. - Soit il faut produire une image de soi si prestigieuse, ou si désirable qu’elle suscite l’imitation, la soumission ou l’adhésion. - Soit il faut propager des discours convaincants. - Soit enfin, il faut faire agir des appuis, coordonner des soutiens qui relaient votre intention et votre action. Dans le dernier cas, le terme de relation prend son double sens : avoir des relations, donc des alliés qui agiront dans le sens désiré, mais aussi établir une relation. C’est inaugurer un mode d’interaction avec un individu ou une institution, peser sur lui ou sur elle par diverses voies et intermédiaires. C’est pourquoi le troisième terme de la trilogie, la relation, s'associe si naturellement à la forme du réseau65. Il est propice à la circulation, surtout à celle de l’information ; il fonctionne moins suivant des règles formelles et hiérarchisées que par coopération, échange et coordination entre les acteurs. Il permet la démultiplication des 62 Pierre Fayard La maîtrise de l’interaction, Éditions 00h00.com, 2001 Sun Tzu L’art de la guerre, Flammarion 1972. On en trouve de nombreux exemples dans Han-Fei-tse, Le tao du Prince, Seuil, 1999 64 Énée le Tacticien, Poliorcétique, Les Belles Lettres, 1967 65 Manuel Castells, qui nomme « société en réseaux » ce que d’autres baptisent société de l’information, remarque : « Les réseaux sont parfaitement appropriés à une économie de type capitaliste reposant sur la flexibilité et l’adaptabilité ; à une culture de la déconstruction et de la reconstruction sans fin ; à un système politique conçu pour traiter instantanément des valeurs et humeurs publiques changeantes ; à une organisation sociale visant à la négation de l’espace et à l’annihilation du temps. La morphologie du réseau opère néanmoins de spectaculaires réorganisations des relations de pouvoir. Les commutateurs qui connectent les réseaux (par exemple, les flux financiers qui prennent le contrôle d’empires médiatiques exerçant une influence sur les processus politiques) sont les instruments privilégiés du pouvoir, et ceux qui manient les commutateurs détiennent le pouvoir. » Manuel Castells La société en réseaux Fayard, 1998, Tome I p 527 63 40 volontés à condition de partager des connaissances et règles implicites d’action66. De ce fait, il constitue la structure idéale pour exercer une influence67. La force de l’influence réside donc dans le prestige de « l’émetteur » (l’influent), dans la force persuasive de son message ou dans la qualité de la relation qui s'étatblit avec «le récepteur» l’influencé. Plus souvent encore, l’influence combine les trois voies : un rayonnement, une émanation qui suscite le mimétisme, une rhétorique capable mieux que de persuader, de faire partager un point de vue à l’influencé, et enfin, un certain rapport influent/influencé. Toute groupe d’influence efficace repose sur l’emploi des trois, qu’il s’agisse du Vatican ou du journal Le Monde, d’une ONG ou de la Mafia. b) L’influence est une stratégie indirecte. Elle n’obtient l’effet souhaité ni par l’affrontement de forces, ni par simple application de normes, ni de manière immédiate. Immatérielle, informelle, à long terme, elle entretient des rapports complexes avec la puissance68. Puissance et influence ne s’excluent pas. La première conditionne la seconde et la seconde amplifie la première. Pas influence sans un minimum de puissance : même celui qui exerce un magistère purement spirituel a intérêt à avoir des disciples, une organisation, des publications, des tribunes, un budget, un siège… Mais une puissance qui ne trouve pas d’influence pour se transformer en pouvoir effectif reste une accumulation inutile de moyens. La puissance pour devenir pouvoir donc probabilité d’obtenir l’obéissance d’autrui doit s’accompagner d’une forme quelconque d’adhésion et de croyance. La seconde ne suit pas nécessairement la première. C’est vrai dans le domaine politique : la puissance mesurée en termes de territoire, de ressources matérielles, de force militaire, de connaissance ou de capacités organisationnelles doit susciter le « mystère de l’obéissance » dont parle La Boétie, au moins chez ses séides qui exercent la violence en son nom69. Pour perdurer, il lui faudra engendrer une forme explicite de consentement, quelque croyance en la légitimité de sa source ou de ses desseins, ou, sous une forme indirecte, un ensemble d’attitudes et de jugements qui diminuent la probabilité d’une résistance. En revanche, l’influence est un moyen de blocage de la puissance : les individus ou les organisations qui savent susciter le doute, le sentiment de culpabilité, les divisions, la réprobation exercent une emprise très supérieure à leurs moyens apparents 70 ou à leur statut formel. Protestataire ou dénonciatrice, l'emprise médiatique ou l’autorité des groupes se réclamant d’un principe éthique ou scientifique constituent des moyens imparables et quasi spirituels de sanctionner via l’opinion les actions d’un État qui doute de la transcendance de son autorité. En somme, l’influence présente la particularité d’être à la fois le complément et l’adversaire des modes traditionnels d’action des hommes sur les hommes : la force, la norme et le don. Elle s’intériorise et fonctionne sur le principe de connivence comme elle prolifère avec les moyens de transmission. B L’influence de l’influence 66 Voir Christian Marcon et Nicolas Moinet, La stratégie réseau, Éditions 00h00.com, 2000 Ou pour mener une guerre de l’information, telle « netwar » la guerre en réseaux que théorisent les chercheurs de la Rand Corporation J. Arquilla et D. Ronfeldt, Networks and Netwar : the Future of Terror, Crime and Militancy, Rand 2002 téléchargeable sur www.rand.org 68 Sur ces notions : Les chemins de la puissance à paraître aux éditions Ellipses 69 Hannah Arendt Du mensonge à la violence, Agora Pocket, 1994 p.151 et sq. 70 Régis Debray L’emprise Gallimard 2000 67 41 Les sociétés de l'information sont-elles des sociétés de l'influence ? La réponse doit s'envisager en fonction de la répartition des pouvoirs, des voies et moyens qui lui permettent de se propager (dont les technologies de communication), et des perceptions et valeurs dominantes. Trois domaines, où la mondialisation a profondément modifié les règles du jeu : la mondialisation des marchés entraîne celle des opinions, des risques et des stratégies. A) Le lieu du pouvoir Qu'il s'agisse d’exercer ou de contrer une influence, il faut identifier où est le pouvoir. Et qui dit lieux, dit territoires. C’est là que l’impact de la mondialisation se marque le plus. L’État, défini par l’exercice d’une autorité sur une population et un territoire, s'adapte mal aux grands flux d’informations, d’innovation technologique, d’énergie, de pollution, de capitaux, de migrants 71. Il est dépassé par le « haut » par le global et le mondial : OIG et ONG, phénomènes transnationaux et normes planétaires, celles de la loi ou de la technique). Il est mis en cause par le «bas» ou le local : il partage ou négocie son pouvoir avec des institutions représentatives, des syndicats, des associations locales ou citoyennes, des entités professionnelles, confessionnelles, … Cette évolution se traduit notamment par la transformation du lobbying, mot répudié au profit de concepts plus nobles : « stratégie politique d’entreprise » ou fonctions dites « affaires publiques ». Son champ s’élargit sur le monde des consommateurs, des médias, des ONG72, des actionnaires, sur des parties prenantes non-politiques. Pareille mutation reflète la complexité de la décision politique et de ses interactions avec l’activité économique. Réglementation de l’offre, fiscalité, règles de concurrence, ouverture de nouveaux marchés, écologie, développement durable, ou principe de précaution, ces nouveaux facteurs conditionnent l’activité économique. Ils rendent d’autant plus nécessaire une maîtrise des mécanismes de décision publique, l’identification des nœuds d’information et de compétence au sein des administrations voire une veille institutionnelle destinée à détecter en amont les tendances, les nouvelles idées et les projets qui peuvent avoir un impact sur son activité. Ainsi, ce n’est pas par hasard qu’environ dix mille lobbyistes se sont installés à Bruxelles73 , sans compter les pendulaires et que les 200 plus grandes compagnies mondiales y sont présentes. La complexité technique et juridique du système des normes européennes, les possibilités d’action tant au niveau supérieur et gouvernemental qu’à l’échelon des fonctionnaires et groupes de travail détenteurs de l’information utile, tout cela favorise ce gigantesque marché de l’influence74. D'où un second volet : il faut tenir compte de l’influence des influents. Ce sont des médias, des associations représentatives ou autorités morales, ne serait-ce que pour éviter leur censure donc pour la prévenir si possible en amont. Les formes traditionnelles du lobbying (sollicitation des décideurs, argumentation en faveur de certains choix et représentation de l’avis des opérateurs économiques) se fondent en une fonction quasi diplomatique. Voire idéologique : elle deveint vite plaidoyer pour des valeurs. Il faut désormais insérer la relation d’influence entreprise-État dans un schéma plus complexe : associations-pouvoirs publics, entreprise-entreprise, entrepriseassociations… La fonction d’influence, interrelation globale entre l’entreprise et son environnement, l’amène à dépasser ses missions traditionnelles – fabriquer et vendre des biens et services - . Elles se soumettent à un double impératif : redéfinir la marchandise, formater le marché. 71 Anciennes nations et nouveaux réseaux, Cahiers de Médiologie n°3, 1997 Voir ONG et entreprises du duel au duo ? Collection Edelman, 2001 73 Voir Louis-Bernard Robitaille, Bruxelles, royaume du lobbying, La Presse, 23 février 2002 (Cyberpresse) et Bruxelles capitale des groupes de pression Le Monde Diplomatique, Octobre 1998 74 Il est très facile de se documenter sur ces pratiques, grâce à des sites comme : www.aciel.com, www.eurolobbying.com, www.lobbying-europe.com, etc. 72 42 - Redéfinir la marchandise, c’est s'adapter à la logique de l’information. On vend de moins en moins des produits et de plus en plus un imaginaire de marque, des émotions communes, des expériences culturelles, des relations humaines, des interactions symboliques, des styles de vie75. Derrière la production de l’entreprise, il y a désormais, comme en cercles concentriques d’autres marchandises invisibles. Ce sont la marque, la réputation et la culture de l’entreprise, l’image de son secteur, de son pays d’origine, les styles de consommation. Ce sont aussi toutes les notions techniques, culturelles et notamment morales qui y sont liées. Elles sont relatives à l’humanitaire, à l’écologie, à la technologie en général, à l’esthétique, au mode de vie désirable. Bref, des valeurs au sens large. L’influence économique se confond désormais avec ces valeurs, y compris dans leurs composantes culturelles et politiques. - Formater le marché se pratique le plus en amont possible. L’adoption de méthodes de gouvernement ou de gestion de l’économie, les normes et protocoles techniques, les habitudes de pensée, la formation des élites, la langue, le système juridique, la promotion des idéaux du Marché, de la société de communication ou de la « bonne gouvernance » en font partie. La politisation objective de l’influence de l’entreprise a une contrepartie : l’utilisation de moyens d’État au service desdites entreprises. Cela va bien au-delà des actions anciennes de l’État en faveur des compagnies nationales - facilités offertes par les représentations commerciales, soutien à la conquête des marchés, introduction de contrats dans les négociations diplomatiques… L'influence s’exerce par le « levelling the ground » (préparer le terrain) et touche désormais l’orientation générale de la politique internationale. Ainsi, l’Advocacy Center américain, dit aussi la War Room, coordonne une action ministérielle en partenariat avec les entreprises et mener une politique agressive pour grands contrats internationaux avec les compagnies U.S. Mais l’action de l’État peut se manifester bien plus en amont encore. Ainsi, le choix de normes «américaines» (plutôt orientées contre la corruption administrative) ou «européennes» (réprimant aussi les pratiques douteuses des entreprises), dans le cadre d'une charte de l'OCDE, aura un impact économique à long terme76. L'influence peut accompagner l’action militaire comme en Irak, où l’attribution des contrats de la reconstruction et l’adoption de normes (par exemple pour la téléphonie mobile) s'intègrent dès la préparation des opérations militaires. Désormais le « nation Building », la reconstruction des États dangereux pour la sécurité mondiale, États voyous ou en faillite se fond avec l’expansion du marché. Voire avec les intérêts de s faucons se partageant entre l'appareil d'État et les afffaires77 Les stratèges étasuniens commencent à envisager la « guerre anti-chaos »78 où l’action militaire serait mieux coordonnée avec la maîtrise de l’après-guerre et, bien entendu, avec des considérations d'expansion commerciale. De la même façon, le formatage du marché passe par la préparation d’accords internationaux comme ceux de l’AGCS. Négocié depuis 2000 dans le cadre de l’OMC cet Accord Général sur le Commerce des Services devrait aboutir en 2005 : il concerne la libéralisation de 160 secteurs d’activité dont la filière des services relatives à l’énergie, la santé, l’eau, l‘éducation. Le tout s'explique dans le cadre plus vaste du « shapping the globalization » (formatage de la mondialisation), concept central dans la géostratégie U.S. L’État a regagné par son action en coordination avec les acteurs économiques ce qu’il avait perdu en pouvoir de contrôle territorial. Autre exemple, celui des ONG. Il n’est plus possible de les considérer simplement comme des mouvements internationaux d’opinion, ni comme des forces protestataires dont la capacité de 75 Voir sur ces notions No Logo de Naomi Klein, Leméac/ Actes Sud, 2001, Djihad versus Mc World, de Benjamin Barber, Hachette, 2001 ou L’âge de l’accès de Jeremy Rifkin, La Découverte, 2000 76 Le Monde du 25 juin 2003, Différend transatlantique sur la corruption et les entreprises 77 Eric Laurent, Le monde secret de Bush, Plon, 2003 78 Le Monde 26/05/03 : Le Pentagone rêve d’une armée anti-chaos 43 nuisance est liée à la surface médiatique. Dans la relation avec le politique, elles jouent des rôles nouveaux : - après l’échec des grandes utopies globales, elles offrent une forme de militantisme très postmoderne. Il est à la fois « à la carte » (l’ami des baleines bleues ou le défenseur de l’identité culturelle y retrouvent leur compte) et sans responsabilité, puisqu’il n’a pas de système à défendre. - Dans le même temps, le politique se sent souvent discrédité et tente de rattraper la faiblesse de son autorité par le culte de la communication et la garantie expertises techniques et aux autorités morales. Du coup, les ONG y gagnent un rôle de contrepouvoir ou de partenaire. Elles interviennent à divers titres : – Comme propagatrices de concepts inspirant la classe politique : gouvernance, principe de précaution, ingérence, développement durable, exception culturelle, droits aux médicaments des malades du Sud… – comme source d’expertise (voir la façon dont elles sont consultées par la Commission Européenne), – comme génératrices de normes relatives à l’échange équitable, à la corruption.., auxquelles les autorités tendent à se référer – comme partenaires de mise en œuvre de programmes internationaux, ... Leurs relations avec les entreprises sont plus subtils que le sempiternel duo dénonciation versus communication de crise. On se souvient des campagnes « anti-sweatshops » de 1995 surtout dans le domaine du textile79, contre les grandes marques faisant appel au travail des enfants dans le tiers-monde. Le mouvement a touché Gap, Wal-Mart, Adidas ; H&M ... Depuis nombre de compagnies ont choisi de coopérer avec les ONG, quand elles n’en créent pas elles-mêmes. Nul ne s’étonne de voir Nestlé, Dow Chemical ou Unocal lancer le Business Humanitarian Forum, Partners in Development et Sustainable Development Facility, B.P. soutenir le W.W.F., LeviStrauss et Body Shop financer les associations Save the Children et Antislavery, Nike et Reeebok coopérer avec le Fair Labor Association. En retour, la certification ou la notation des entreprises engendrent un « marché de la vertu ». Les entreprises anglo-saxonnes vivent dans la peur des watch-dogs80. Ces associations qui surveillent ladite vertu sont puissantes : le risque de procès, de boycott ou de défaveur des associations vouée à l'investissement éthique est trop grand. Des complience officers, chargés d’inspecter les moindres ateliers des sous-traitants de grandes marques occidentales pour s’assurer que les droits humains y sont respectés est devenue banale. Dans le triangle éthique/politique/économique, les relations d’influence fonctionnent dans tous les sens. Si l'on pousse la logique jusqu'au bout le formatage du marché devient celui d'un type humain, notamment des éites locales par des normes éthiques, des méthodes de gestion, des critères politiques, techniques ou linguistiques… B) Les possibilités de la technique Que n’a-t-on écrit pour célébrer le village global, les médias libérateurs, les possibilités de l’information numérisée et en réseau, l’économie de l’immatériel ? La société dite de l’information n’impliquait pas réduction, mais augmentation de l’incertitude. Nous nous heurtons à la surinformation germe de la mésinformation, aux dysfonctionnements des médias classiques et numériques, aux fragilités techniques et humaines inhérentes à nos systèmes de 79 Voir No Logo précité et Guillaume Dasquié Les nouveaux pouvoirs, Flammarion, 2003. Nous leur empruntons les exemples qui suivent. 80 Choc e retour : les néo-conservateurs veulent brider la puissance d’influence des ONG. Ainsi la très puissante think tank American Entreprise Institute a créé www.ngowatch.org pour surveiller les bonnes et les mauvaises ONG, celles dont les objectifs contrarieraient les intérêts U.S. 44 communication, aux failles d’un système politique et économique qui repose sur l’image et la direction de l’attention du public, et surtout de l’exploitation que peuvent faire de tout ce qui précède manipulateurs et déstabilisateurs. Toute organisation, en particulier économique, se trouve confrontée à trois sortes de risques informationnels : - La sécurité des systèmes d’information. C’est le paradoxe de la technique : plus les systèmes reposant sur la synergie du numérique et des réseaux sont puissants, plus ils sont vulnérables. - La protection de l’image. Second paradoxe : plus les organisations politiques et économiques fonctionnent à la séduction, se réclament de valeurs éthiques et communicationnelles et recherchent le consensus et la négociation, plus elles sont soumises au risque de dénonciation ou de diabolisation au nom du péril éthique, humanitaire, écologique, pathologique, industriel, ... Leur capital de réputation est à la merci de rumeurs ou d’accusations difficiles à retracer. - La capacité cognitive. Troisième paradoxe : plus on a de moyens, moins on sait. Plus il existe de sources libres de connaissance, de contrôles scientifiques et de données disponibles, plus la décision est soumise à l’incertitude, aux aléas de la désinformation ou de la mésinformation, au danger de ne pouvoir discerner les signaux significatifs, à la difficulté d’anticiper. L’exploitation de ces failles dans le cadre d’un passage de la concurrence au conflit se nomme suivant les cas guerre de l’information ou guerre cognitive, déstabilisation ou management de la perception. Les stratégies d’influence négative ont en commun de faire perdre quelque chose à la victime : marchés, de réputation, mais aussi temps. Dans une économie de l’instantanéité une accusation même vague portée contre une société entraîne un délai consacré aux vérifications, expertises, contestations… qui peut retarder sa stratégie et lui faire perdre son avance. Les attaques informationnelles peuvent considérablement varier par - Leur agressivité. Du site parodiant les publicités d’une entreprise aux accusations graves portées auprès des autorités et du public, du quasi-canular à une offensive mortelle pour l’entreprise, l’éventail est vaste. - Leur intentionnalité. Le problème de toute attaque informationnelle est qu’il est difficile de distinguer une stratégie délibérée menée par un concurrent des rumeurs, des « légendes urbaines » ou de l’activisme un peu brouillon mais de bonne foi. Il sera toujours difficile de prouver l’intention malicieuse d’un agresseur qui intercale entre lui et sa victime des officines, de pseudo associations, des sites créés par l’occasion, plus, bien sûr, toutes sortes de repreneurs de bonne foi d’une « révélation » fabriquée. - Leur véracité. Toutes les attaques ne sont pas forcément fausses au sens strict ni ne résultent d’une mise en scène même si Internet est le paradis du mensonge économique81. Comme la propagande la plus efficace est celle qui contient le plus d’éléments vérifiables, l'attaque informationnnelle peut se contenter de « recadrer » des informations vraies pour susciter la crainte ou l’alarme, de «faire l'agenda» des médias et du public sur un point sensible. Ou encore, elle peut jouer sur le facteur d’incertitude en exigeant des preuves d’un zéro risque, par définition impossible à administrer. Le doute profite à l'assaillant. Le caractère réticulaire d’Internet confère un avantage stratégique aux structures souples, aux groupes fonctionnant déjà en réseau, en particulier à l’activiste qui sait utiliser ce facteur, se 81 Voir le dossier sur le mensonge économique dans Capital de Juin 2003 45 coordonner avec d’autres, réagir au bon moment82... Le réseau, structure non hiérarchique est difficile de l’interrompre, mais facile à contaminer car ce qui est entré en un point peut se propager de façon quasi épidémique sans qu’on sache d’où cela vient. En témoigne l’exemple des rumeurs électroniques. On parle maintenant de « rumoristes » pour désigner les créateurs de rumeurs sur Internet83. Il existe des manuels qui analysent les opérations84 de décrédibilisation et d’infoguerre, des sites85, des écoles86 qui s’y consacrent. Nous leur empruntons donc les exemples qui suivent. Dès 1995-1996, Total est cloué au pilori dans les forums de discussion sur Internet. La société pétrolière est soupçonnée d’aider le régime totalitaire birman à combattre la guérilla, de blanchir l’argent du trafic de drogue, d’employer des travailleurs forcés. En 1999, un rumoriste fait circuler de faux courriels entre dirigeants de la multinationale87. En 1996, la filiale pharmaceutique d’Elf, Sanofi s’inquiète de rumeurs électroniques attribuant à certains de ses produits des effets sexuels imaginaires. Belvédère qui distribue de la vodka polonaise est victime d’une attaque via un site et par une société américaine spécialisée : l’action Belvédère s’effondre et la société manque de périr. Airbus est régulièrement confronté à des « témoignages d’experts » sur les forums et remettant en cause la fiabilité de ses avions. Des mailing lists reçoivent les pires bruits sur le A320, son ordinateur de bord, des taux effrayants d’incidents. Dans l’affaire de l’Erika, Total se plaint de la diffusion de photos truquées et de fausses correspondances internes. Parfois il n’est pas facile de distinguer l’action de guerre économique du canular : le bruit affirmant que Kentucky Fried Chiken emploie des animaux mutants à la place de poulet sont elles des farces ou des offensives ? Et celle qui prétend que Coca-Cola contiendrait des doses infimes d’alcool, ce qui devrait décourager tout bon musulman d’en boire ? Souvent aussi la désinformation consiste en faux communiqués de presse pour faire chuter le cours d’une action. Ainsi, en Mars 2000 l’action de Lucent perd 3,6% en quelques minutes de cette façon. En Octobre de la même année, c’est l’action Alcatel qui plonge jusqu’à 10%, toujours à cause de e-rumeurs. Une autre, relative à une OPA sur Alstom fera, en sens inverse, monter le cours de l’action pour le plus grand profit du malin qui avait lancé le bruit. Altran sera l’objet d’une opération systématique de décrédibilisation. Sur Internet, en effet, tout semble se combiner pour faciliter l’exercice de l’influence négative : mondialisation de l’opinion, accès facile, peu coûteux et anonyme à ce grand forum, diffusion quasi virale des informations, réceptivité d’un public, souvent enclin à croire l’information marginale plutôt que la supposée « vérité officielle », regroupement aisé des activistes en communautés virtuelles…. C) Le cadre de l’idéologie La propagation des idéologies fournit un des meilleurs exemples de mécanisme d’influence. Corollairement, tout processus d’influence tend à intégrer une composante idéologique au 82 Activism, Hacktivism, and Cyberterrorism: The Internet as a Tool for Influencing Foreign Policy par Dorothy E. Denning sur le site de Georgetown University 83 Voir le monde interactif du 23 Mai 2001, www.lemonde.fr « Du simple canular à la désinformation orchestrée. » 84 Rémi Kauffer L’arme de la désinformation Les multinationales américaines en guerre contre l’Europe, Grasset 1999et Didier Lucas et Alain Tiffreau, Guerre économique et information Les stratégies de subversion Ellipses 2001 85 Voir www.infoguerre.com ou www.guerreco.com et infocrise.info 86 http://www.ege.eslsca.fr Ecole de Guerre Economique (E.G.E) 87 Un rumoriste s’en vante sur http://ww.examineur.com 46 sens large, en ce qu’il modifie les critères d’évaluation. Le rapport idéologie/influence comporte même une troisième dimension : pour être efficace, i.e. pour ne pas être rejetée par ses récepteurs , l’influence doit s’appuyer sur des préconceptions, sur les idées dominantes d’une époque ou d’un groupe, qui suscitent un assentiment spontané tant chacun en est imprégné. En d'autres termes,: le mode d’influence reflète l’esprit du temps, ses phobies, ses mythologies, ses modes d’interprétation. En ce qui concerne l’entreprise et l’influence, la chose est d’autant plus frappante qu’elle fait contraste avec la conception ancienne de l’économie comme activité neutre et rationnelle, échange, lutte contre la rareté. Or l’économique « s’idéologise » autour de deux thèmes principaux : les valeurs non-marchandes et la catastrophe. A) Les valeurs non marchandes L’entreprise se trouve « investie » de valeurs idéologiquesà un double titre. Tout d’abord la faillite des grandes utopies globales a popularisé certaines notions : -que la politique avait fait faillite avec ses projets de changer le monde – que l’économie était notre destin –qu’une sorte de sens de l’histoire devait mener au triomphe du marché et de la technique, au passage à la société de l’information – qu’un tel modèle était le seul possible parce que commandé par la loi du développement économico-technologique - et en fin qu’il unifierait la planète en se répandant. Cette vulgate implique un modèle unique : celui du « règne des choses », qui fait de l’entreprise l’acteur majeur du changement. L’entreprise (ou le Marché ou l’ultralibéralisme) se présentent comme les acteurs de l’Histoire et s’exposent à toutes les attaques. Les altermondialistes ne s’y trompent pas : ils manifestent contre Davos ou les multinationales par-dessus la tête des États présumés impuissants. Les adversaires sont d’accord sur une chose : la croyance en un modèle économique déterminant en dernière instance. Les uns pour le glorifier comme étape vers un monde nouveau, les autres pour le dénoncer comme violence invisible et marchandisation de la planète88. Facteur complémentaire : le discours de l’entreprise elle-même. À force de s’affirmer citoyenne, de prétendre s’inspirer du développement durable, de glorifier sa culture d’entreprise, de répéter à ses clients et investisseurs son souci éthique, esthétique, à force de se barder de codes de déontologie et de proclamations politiquement ou écologiquement correctes, elle se pense de plus en plus comme porteuse de projets et valeurs non marchandes. Du coup, elle élabore un discours justificatif idéologique ou para idéologique. Elle répète que son activité obéit à des impératifs de respect : respect de la nature, respect des individus (de leurs droits de leur autonomie et de leur santé), respect des minorités. Mais à la proclamation positive des valeurs de bénévolence, transparence, responsabilité, négociation et communication comporte un autre volet : un discours sur la modernisation comme adaptation à un monde changeant voire incompréhensible, sur lequel l’action humaine n’a guère de prise mais qui est porteur de contraintes exigeantes. Ce mélange de moralisme et de fatalisme nourrit ainsi bien l’intervention de l’entreprise dans le domaine non-économique, que la contestation de son discours. La critique interprète la proclamation de ses bonnes intentions comme la dissimulation d’une domination invisible et sa soumission aux demandes de la mondialisation comme une pensée unique se réclamant d'une pseudo loi historique. B) Le principe de catastrophe La très moderne aversion au risque, l'obsession des catastrophes industrielles et sanitaires ont une histoire. 88 Les thèses opposées sont résumées dans La démocratie post-totalitaire de Jean-Pierre Le Goff, La Découverte 2003 47 Dès la fin des années 70, Seveso (76), l’Amoco-Cadiz (78), Three Mile Island (78) changent les mentalités. Les risques technologiques majeurs (même si, dans ces trois cas, personne n’est mort) passent au premiers plan. Ils sont inédits et imprévisibles. Ils révèlent que nos idoles (le développement, la science, la circulation des biens et des hommes, la communication) ne nous apportent pas moins mais davantage d’incertitude. La peur de l’accident de type Bhopal, Tchernobyl, ou de l’épidémie (Sida, vache folle…) se répand. L’inquiétude relative aux conséquences imprévisibles de la technologie, voire au « retour » des épidémies coïncide avec le moment où le politique perd son primat. Faute de réaliser le Paradis sur Terre, il ne prétend plus tirer sa légitimité que de sa capacité d’éviter le pire. Autrefois mû par une logique d’accroissement -plus de démocratie, plus de puissance, plus d’Histoire- le politique devient un art du moins : moins de tensions, moins d’incertitude pour l’avenir, moins d’insécurité, moins de conséquences de la mondialisation inévitable moins de perturbation89. Moins à payer pour le prix de notre puissance. Les nouveaux risques qui nous préoccupent tant, à tort ou à raison, ont des caractéristiques : - Ils sont liés à des inventions scientifiques (OGM, énergie atomique) ou à la découverte de relations causales jusque-là inconnues (HIV et le SIDA, prion et la maladie de Creutzfeldt-Jakob). - Il ne s’agit pas de calculer une probabilité, sur la base de séries statistiques avérées comme, par exemple, nous pouvons estimer nos « chances » d’avoir un accident de voiture, ou d’attraper un cancer en fumant. Le doute porte sur une relation de causalité, sur l’existence du risque et non sur la répartition statistique de fréquences observables; - Cela entraîne une exigence de réponse immédiate, comme interdire la diffusion de sang qui pourrait être contaminé, à des questions déterminées par un futur non-maîtrisable. Par contraste, les conséquences se révèlent soit définitives (puisque non-réversibles), soit excédant par leur durée, leur complexité et leur enchevêtrement toute capacité de calcul. - La répartition du risque est inégalitaire. C’est vrai dans le temps, pour les générations futures. C'est vrai dans l’espace : le pays X peut souffrir de la pollution produite par le pays Y, ou encore la délocalisation renvoie les dangers là où on n’en retire guère de profit. D’où la tentation d’exiger le renversement de la preuve : ne plus considérer l’absence de démonstration d’un danger comme indice rassurant ou permission de faire, mais exiger la certitude que le scénario du pire est impossible. Le fameux principe de précaution traduit ce sentiment d’une responsabilité non-mesurable à l’égard du futur. Elle suppose une exigence d’action face à un risque potentiellement grave sans attendre les résultats de la recherche scientifique. Or la preuve est impossible à administrer, à la fois parce qu’il faut bien arrêter quelque part la chaîne des conséquences envisagées sous peine de fuite vers l’infini, et du fait de la connaissance future. Du coup, le débat sur l’innocuité et l’incertitude de l’activité économique devient un champ pour les luttes d’influence. Champ d’autant plus disputé que la preuve indiscutable n’y existe guère (ou trop tard) et que la place de la persuasion est immense. Au discours de l’entreprise, étalant son souci de prévention, de prudence, de respect des équilibres. S'y ’oppose symétriquement un discours de soupçon, tendant à dévoiler sans cesse des périls cachés ou des corrélations inaperçues entre tels maux et telles causes. Dans cette lutte entre confiance et panique, qui est une compétition pour la persuasion du public et des autorités, toutes les ressources de la guerre de l’information se trouvent mobilisées. 89 Sur ce débat lire Les nouveaux risques, O. Godard, C. Henry, P. Lagadec et E.Michel-Kerjean, Folio 2002, Ulrich Beck La société du risque, Alto Aubier, 2001 et Hans Jonas Pour une éthique du futur, Rivages Poche, 1997, 48 Conclusion L’influence est le mode d’action typique de sociétés qui ne sont plus hiérarchisées, mais décloisonnées, fluctuantes, incertaines. Le pouvoir se fonde moins sur l’autorité de la tradition ou sur la possession des choses que sur des capacités nouvelles : produire des images, diriger l’attention publique, anticiper les courants porteurs, maîtriser les nœuds et commutateurs des réseaux, occuper les positions stratégiques dans les flux d’informations. Mais tout cela n’est rien sans une véritable capacité stratégique. Nous avions pour notre part proposé le mot d’infostratégie pour désigner cette nouvelle discipline qui devrait repenser les rapports de la stratégie, de la technique et de la croyance dans des sociétés de l’information90. Entre ambitions de puissance géopolitiques et imaginaires sociaux, l'économie change de nature. Comprendre l'influence, c'est apprendre un nouveau mode de pensée qui intègre conflit et aléa. 90 Ces notions sont développées dans L’ennemi à l’ère numérique, François-Bernard Huyghe, P.U.F., 2001 49 VIII Une société d’influence Depuis des siècles, des hommes s’efforcent de diriger l’opinion d’autrui par persuasion directe (rhétorique, propagande, publicité), par le prestige ou l’exemple, en modifiant la façon dont l’opinion interprète la réalité (qu’il s’agisse de profiter du conformisme social ou d’imposer des critères de jugement), en mobilisant des alliés ou des relais pour peser sur l’attitude de leurs cibles. De multiples théories expliquent ce phénomène à l’échelon individuel, social, politique, économique, médiatique, géopolitique… Elles inspirent autant de techniques regroupées sous la notion d’influence. L' influence est une stratégie indirecte et asymétrique multiforme, recouvrant une large gamme d'actions dans le domaine des idées, des images, des intérêts, des valeurs.., elle est surtout une force majeure face aux autorités traditionnelles comme l'État. Surtout il existe des groupes et des dispositifs délibérément orientés vers la pratique de l’influence sur le public, sur les élites, sur les relais d’opinion. Dirigées par des États ou des particuliers, au service d’intérêts économiques, politiques ou idéologiques, des professionnels de l’idée ou de l’image, de la proposition ou de la dénonciation exercent ainsi un pouvoir inédit. Il n’est pas celui de la puissance matérielle ou l’autorité légale. Il suscite autant de stratégies qu'il faut comprendre en fonction des technologies et des idées dominantes. Une stratégie multiforme L’influence pour un individu peut consister à être admiré et copié, à attirer l’attention ou à gérer discrètement un petit système de services réciproques… Pour un État, en fonction des époques et des lieux, à diffuser, le marxisme-léninisme, à répandre le cinéma hollywoodien, à lancer un média international multilingue, à placer ses ressortissants aux bons postes dans les organisations internationales… Pour une organisation ou un groupe de pression, selon leurs objectifs, à entretenir un réseau, à lancer un terme ou une idée qui seront repris dans les discours officiels ou médiatiques, à avoir des représentants habitués des plateaux de télévision ou simplement à identifier des décideurs ou des leaders d’opinion pour leur présenter des suggestions. Pour une entreprise, à gérer son image de marque même en temps de crise, à trouver des relais politiques dans sa conquête des marchés, à s’appuyer sur des courants culturels porteurs, à diffuser certaines normes techniques, environnementales ou morales, mais aussi à mener des actions de déstabilisation envers ses concurrents, même si de telles pratiques sont contraires à l’éthique. 50 IX : L’influence un outil de sécurité nationale Influence : stratégies d’apaisement, stratégies de déstabilisation La notion d’influence recouvre à la fois -une faculté psychologique91 (que possèdent certains de convaincre, susciter l’imitation, changer un caractère ou un comportement), -puis une catégorie sociologique92 (l’influence des médias, des intellectuels, les groupes et réseaux dits justement d’influence…), -mais c’est aussi une forme politique du pouvoir93 (ce qui ne ressort pas aux relations d’autorité, de violence ou de contrat et qui, néanmoins fait agir les hommes). C’est même une méthode géopolitique. L’influence s’oppose alors à la puissance94 en tant que capacité propre à certains acteurs internationaux de gagner un soutien ou une approbation hors de leurs frontières, ou de peser sur la décision d’un autre acteur. Hors la guerre (et encore, elle appelle en complément une guerre de l’information95) il n’y a guère d’action extérieure, allant d’un discours aux Nations Unies à la négociation d’un contrat, d’un encouragement au cinéma national à une opération humanitaire après tsunami qui ne comporte une dimension d’influence, puisqu’elle vise à obtenir un comportement d’autrui. Ceci peut aller jusqu’à l’instrumentalisation du terrorisme (qui, par sa dimension de défi symbolique et de menace, est aussi, après tout, un mode d’influence extrême). N’oublions pas la notion de zone d’influence, catégorie passée de mode avec la fin de la guerre froide. C’est la situation où les autorités locales se comportent comme spontanément suivant les intérêts de la puissance «influente» : elle jouit d’une situation d’exclusivité ou de non concurrence sur un territoire hors de sa souveraineté. En théorie, il existe plusieurs méthodes d’influence, dont aucune ne peut se trouver à l’état chimiquement pur ; elles se mêlent toujours à un degré ou à un autre : Des techniques d’action par l’information Rayonner : l’influence est alors affaire de prestige, imitation ou admiration. Le rayonnement d’un pays se mesure aux valeurs qu’il est censé porter, à son image dans les forums internationaux, à ses hommes célèbres, à l'attraction qu’exerce son mode de vie ou sa prospérité, à la diffusion de sa culture - depuis la « culture cultivée » des écoles littéraires et artistiques jusqu’aux produits des industries du disque ou de l’audiovisuel - , à sa faculté de susciter des modes hors de ses frontières, à l’usage de sa langue, à la réputation de ses universités ou de ses entreprises… En France nous aimons nous considérer comme le pays des droits de l’homme, du multilatéralisme, de la culture, de la qualité de vie, etc., et avons trop souvent tendance à ne compter que sur cet atout. Cela peut provoquer un agacement chez nos partenaires : personne n’a envie d’acheter des TGV à notre pays parce que c’est celui de Molière, ni d’y faire les Jeux Olympiques de 2012 parce qu’il fait vanter par Deneuve et Depardieu les charmes de Paris dans un film. MUCHIELLI A., 2000 pour les références complètes voir la bibliographie plus loin. DIOGÈNE 93 PARSONS T., 1963 94 AGIR, 2005 95 PANORAMIQUES n°52, L’information, c’est la guerre Corlet 2001 91 92 51 Persuader : la persuasion mobilise des techniques pour faire adhérer un sujet à une affirmation, vraie ou fausse. Il s’agit donc de l’amener à croire à la véracité d’un fait ou d’un jugement énoncé de manière appropriée et à son intention. La sophistique et la rhétorique antique, la propagande religieuse ou politique du XVI° siècle à nos jour, la publicité et toutes les techniques contemporaines aux noms barbares de marketing politique, storytelling96 ou psyops n’en sont que des variantes. Inversement, plusieurs décennies de travaux de psychologie sociale ou de sociologie des médias (media studies), commencés dans années 1920, ressemblent à un long commentaire sur ce pouvoir présumé des médias, des leaders d’opinion, des conformismes sociaux, des minorités actives…. Dans la langue de tous les jours persuader et influencer son souvent synonymes. Du coup, nombre d’acteurs envisagent les politiques d’influence comme une stratégie du message destinée à «gagner les cœurs et les esprits» : faire parvenir des mots convaincants ou des images séduisantes à une population cible. Ce qui semble plus facile à notre époque de mondialisation de la communication : un douanier pouvait arrêter un libelle imprimé à l’étranger sous Napoléon, il n’arrête plus les ondes radio pendant la seconde guerre mondiale, ni aujourd’hui les télévisions par satellite et moins encore les électrons sur Internet. Encore faut-il que les messages trouvent des récepteurs prédisposés. Contrôler : la stratégie du message appelle aussi une stratégie du vecteur. Celui qui «fait l’agenda» comme disent les anglo-saxons, celui qui dirige l’attention sur un thème ou un débat, ou plus simplement, celui qui possède des médias où il peut faire prédominer une vision du monde ou diffuser un certain type d’information jouit d’un avantage. La prolifération des chaînes internationales d’information mutlilingues en fournit un excellent exemple. CNN et Fox International, BBC International, Deutsche Welle, Al Jazeera (maintenant aussi en anglais), al Arabyia, Tele Sur, CCTV, Russia Today, France 24, demain une télévision « africaine » : celui qui n’a pas « sa chaîne » pourra-t-il vraiment parler dans le concert des nations ? Formater : un stade qui peut prolonger les deux précédents. Il s’agit, cette fois, de jouer sur les codes mentaux97, sur les catégories qu’emploient les sujets, sur les termes dans lesquels ils pensent la réalité. Dans des genres très différents la diffusion de la philosophie marxiste-léniniste ou la promotions d’une langue, l’action d’ONG dénonçant tel régime ou soutenant les associations de tel pays, l’adoption d’un système de comptabilité ou une équivalence de diplômes, le choix de certaines normes techniques ou le poids d’un système éducatif sont autant de modes de «formatage», qu’il touche les comportements des élites ou les goûts de futurs consommateurs comme dans les pratiques dites de «social learning». Inspirer est une technique plus subtile encore. Elle agit très en amont sur le processus de décision ; l’idée voyage de tête en tête, se trouve traduite, adaptée et réappropriée à chaque étape. Les think tanks98 servent typiquement à jouer le rôle d’intellectuels collectifs offrant aux décideurs des solutions, des propositions, des thèmes des catégories mentales (parfois un vocabulaire), des grilles d’analyse, … qui se traduiront au bout de la chaîne par des mesures effectives. Mais les ONG ou les lobbies affirment aussi leur emprise et leur expertise en produisant des analyses, de thématiques, parfois de simples vocables repris par les médias et par la classe discutante pour ne pas dire dirigeante. Inventer la notion de développement durable, de guerre préemptive ou de droit opposable au logement : voilà une forme indéniable de l’influence. Mais il ne suffit pas de produire, il faut aussi « distribuer » : combiner une cosmétique (bien présenter les idées), une balistique (bien les faire parvenir à leur cible) et une logistique (user des bons moyens). Cela peut mener à des succès étonnants : Al Gore battu par Bush aux présidentielles 2000 réussit une gigantesque opération publicitaire avec son film «Une vérité qui 96 SALMON 2007 REVEL 2006 98 MOOG 2006 97 52 dérange», sorte de Powerpoint hollywoodien sur le réchauffement climatique, et est finalement récompensé par un prix Nobel. Agir en réseau. Sans doute la forme la plus commune et la plus évidente de l’influence : établir des coopérations pour des objectifs communs, profiter des liens personnels, culturels ou autres pour choisir ses points d’action. Les individus l’emploient dans la vie de tous les jours pour obtenir un avantage ou défendre un intérêt99. Mais c’est aussi un mode d’action politique sur et par l’opinion. C’est éventuellement un mode conflit pour des groupes motivés par l'idéologie et capables de trouver des alliées, le temps de concentrer leurs forces sur un objectif (nous pensons ici à la pratique altermondialiste de «l’essaimage» théorisée par Toni Negri100), tandis que l’établissement de réseaux est une des composantes d’une politique nationale d’influence. Parallèlement une notion s’impose avec le développement d’Internet : celle de réseaux sociaux. Ce quasi pléonasme renvoie à la faculté qu’offre le Net (lui-même un réseau par définition) de créer des relations instantanées, de produire du commentaire et de l’évaluation incessants sur tout depuis le fonctionnement d’un gadget jusqu’à des questions de politique internationale, de créer des courants d’opinion transnationaux en un instant. Ces réseaux concurrencent et inspirent les médias classiques souvent obligés de « courir » derrière le Net. Sociétés d’influence Car toute influence dépend largement de conditions techniques. Ainsi, l’apparition du Web 2.0 (terme à la mode pour désigner de nouvelles applications collaboratives sur la Toile : les blogs, les sites de partage de vidéo ou de musique, les RSS, les Wikis, les « nuages de mots » ou tag clouds qui expriment visuellement les mots clés liés à une page Web..).. Ces nouveautés techniques entraînent des innovations culturelles et sociales : prolifération du journalisme citoyen, multiplication des espaces qui permettent à chacun de publier pratiquement sans censure, sans budget et sans bagage technique, encyclopédies collaboratives auxquelles tout un chacun peut participer, développement des réseaux autour d’un même centre d’intérêt, forums, votes et recommandations, partage de vidéos, multiplication d’espaces de commentaire et de discussion… Tous ces facteurs font du Web une sorte d’œuvre collective ouverte et instable, un champ traversé de flux d’information incontrôlée qui correspondent à autant de déplacements erratique de l’attention des internautes. Ce n’est pas l’auteur (qui a lui-même son blog101 avec fil RSS, enseigne sur un campus virtuel, etc.) qui s’en plaindra mais il y a une rançon à payer pour toutes ces possibilités. La stratégie du tricheur qui lance des rumeurs, crée artificiellement des pôles d’attraction, simule des mouvements d’opinion … peut être payante tandis que certains groupes sont tentés par l’autisme numérique : s’enfermer dans une bulle d’information où chacun ne rencontre que des internautes qui partagent les mêmes convictions (éventuellement extrémistes, délirantes…). L’influence ressemble à une tête de Janus : une de ses faces est orientée vers l’apaisement. Séductrice, elle sert à désarmer, à concilier, à amener autrui à partager vos desseins ou pour le moins à les dissuader de recourir à la force. C’est un moyen pour économiser de la puissance et de la violence. Mais l’autre visage est celui de l’agression, de la déstabilisation, de la désinformation, de la manipulation. MOINET et MARCON 2000 NEGRI et HARDT , Multitude : guerre et démocratie à l'époque de l'Empire, La Découverte, 2004 99 100 101 http://www.huyghe.fr 53 Rappelons en effet que l’influence fait partie du vocabulaire de la stratégie - où l’intelligence économique l’a reprise102-, ce qui lui donne parfois des connotations assez sombres. En tant que stratégie indirecte utilisant des signes et symboles pour peser sur les décisions d’autrui, l’influence peut viser non seulement à séduire et concilier, mais aussi à déstabiliser. Influence, désordre et chaos On songe ici à la trouble figure de «l’agent d’influence». Un des plus anciens textes stratégiques, La tactique et le siège des villes d’Enée le Tacticien103 d’environ 360-365 avant J.C., montre comment l’expert en poliorcétique, art de prendre des forteresses, sait corrompre quelques citoyens des cités qu’il convoite. Leur rôle est de donner délibérément de mauvais avis aux défenseurs et de les pousser à la faute. À l’autre extrémité du contient eurasiatique, et sans doute contemporain du Grec, Sun Tse104 expose ses propres recettes. Il suggère que les stratèges envoient des espions maladroits au camp ennemi porteurs de fausses preuves de la corruption des généraux : ces agents seront pris et discréditeront le commandement adverse. Si le souverain que l’on combat est faible de caractère, qu’on lui fournisse vin et de concubines. Que l’on encourage le présomptueux et que l’on trouble l’indécis... La suprême habileté est de s’en prendre aux plans de ceux que l’on combat, à leurs prédispositions, à leur psychologie même. La littérature politique chinoise (à commencer par son grand classique, le Tao du Prince, HanFei-Tse du III° siècle avant notre ère105) regorge d’exemples pris dans les affaires de la Cour et des armées où il faut jouer de son ascendant, deviner les failles des autres, les manipuler et les amener tout en douceur à faire ce que l’on souhaite. François Jullien106 considère le «che», le potentiel des situations une des catégories la pensée classique chinoise, source d’un art non moins spécifique de l’influence. Sautons quelques siècles : en temps de Guerre Froide, l’agent d’influence apparaît comme le plus subtil et le plus subversifs des agents secrets. Dans les années 80, Vladimir Volkoff en fait un personnage de fiction107 mi désinformateur mi corrupteur qui profite des faiblesses des démocraties pour instiller ses poisons idéologiques. La réalité fut-elle si romanesque ? À notre connaissance deux « agents d’influence » soviétiques seulement on été officiellement détectés en France : un journaliste chargé de lancer des calomnies contre Kravtchenko exilé d’URSS qui dénonçait la terreur stalinienne dans les années 50 et le directeur d’une feuille confidentielle prétendument neutraliste. Tous deux portaient des noms connus que nous aurons la charité d’oublier. L’influence serait-elle une variété sophistiquée de l’espionnage ? Ce serait réduire à de petits complots108 ce qui ressort à la grande politique. Aujourd’hui, les officines d’influence œuvrent plutôt dans la désinformation ou la déstabilisation économique. Le lancement d’une rumeur électronique ou l’instrumentalisation de la dénonciation par les ONG deviennent des armes de la guerre économique109. Dans la mesure où la mondialisation des intérêts et de la concurrence s’accompagne d’une mondialisation de l’information sur le Net, les vecteurs de l’influence déstabilisatrice se multiplient en même temps que leur intérêt. DELBECQUE., 2006 Traduit dans l’Encyclopédie de la stratégie, collection Bouquins, 1996 104 SUN TSE L’art de la guerre, Flammarion 1972 105 Traduction J. Lévy, Seuil 1999 106 Traité de l’efficacité, Livre de poche 2002 107 VOLKOFF V., Le montage, Julliard 1982 108 SCHULTZ R.H. et GODSON R ; Desinformatsia, mesures actives de la propagande soviétique, Anthropos, 1985 109 LAIDI . et LANVAUX 2004 102 103 54 Parallèlement la contre-influence ou art de se préserver des attaques informationnelles, se développe aussi bien en intelligence économique110 que dans les pratiques politiques. Dans une perspective d’anticipation ou de gestion de crise, la défense contre les attaques informationnelles (à commencer par leur décèlement précoce) joue un rôle crucial. Cela demande des compétences techniques dans un domaine où la « traçabilité » des attaques est tout sauf évidente, mais aussi un certain équilibre psychologique pour ne pas tomber dans l’obsession du complot. Cœurs et esprits L’influence ne sert pas qu’à démoraliser une victime ou à la décrédibiliser auprès de l’opinion. Elle est censée être une arme politique majeure dans une lutte « pour les cœurs et les esprits ». Et qui dit arme dit techniques et moyens à la mesure de l’objectif. C’est ce que semble démontrer l’histoire de cette idée et de cette pratique outre Atlantique. Depuis longtemps, l’influence y est théorisée comme technique servant une finalité stratégique: mener une guerre pour désarmer l’hostilité, une guerre à la guerre en somme qui fera du monde « un endroit plus sûr pour les États-Unis » selon la formule de Wilson. Ce dernier partait du principe que les démocraties ne se combattent pas par les armes. Il entrevoyait déjà un apaisement général par propagation des principes politiques américains. D’où l’idée récurrente d’influencer l’autre pour le rendre un peu moins « autre » et éventuellement un peu plus démocrate, un peu plus amoureux de la liberté à l’américaine, davantage désireux d’en adopter le mode de vie. Cela repose sur une certaine confiance en la valeur universelle du système américain et sur la conviction que celui qui le combat ne peut être qu’en proie à illusion doctrinale, à une méconnaissance de la réalité ou à une passion contraire à la nature humaine : il s’agit donc de le guérir. Par une contre-offensive idéologique. Durant la guerre froide, la CIA conçoit un plan de « guerre culturelle »111,et conduit, notamment à travers le Congrès pour la Liberté Culturelle, une politique de subventions à des journaux, des livres, des conférences, des manifestations artistiques. Tout cela est censé sauver l’intelligentsia de l’attraction du communisme et offrir une alternative culturelle, politique et morale aux populations de l’Est ou des pays tiers. L’agence s’emploie à diffuser les auteurs antistaliniens, fussent-ils de gauche, mais aussi le jazz, la peinture abstraite, toutes les formes d’une culture distractive, « jeune », antitotalitaire qui font contraste avec le pesant réalisme socialiste : des gens qui lisent Koestler, sifflent l’air de Porgy and Bess ou aiment la peinture abstraite ne serontt jamais de vrais Rouges, pense-t-on à l’Agence. Diplomatie publique L’entreprise eut un prolongement. Eisenhower créa en 1953 l’United States Information Agency qui devait fonctionner jusqu’en 1999 pour mener une politique de vitrine médiatique. Elle lança des publications et manifestations et surtout des radios dont Voice of America émettant en 45 langues et Radio Free Europe, destinée à l’autre côté du rideau de fer. Le but était projeter une « bonne image » des USA, d’offrir à des audiences étrangères des informations auxquelles elles n’avaient pas accès, de promouvoir certaines valeurs en particulier culturelles. L’USIA se chargeait d’entretenir des réseaux d’amis des USA : journalistes et personnalités invités à visiter le pays, boursiers (notamment le programme Fullbright) et contacts avec d’anciens étudiants des universités américaines… 110 111 LUCAS et TIFFREAU , 2001 STONOR SAUNDERS F. 2003 55 Le tout fut baptisé en 1970 : « diplomatie publique », une diplomatie qui soutient les objectifs politiques en s’adressant directement à l’opinion extérieure. Mais pas au public domestique : l’US Information and Educational Exchange Act de 1948 connu comme Smith-Mundt Act, interdisant de faire de la propagande destinée aux citoyens américains. Dans la décennie 90, la notion devait tomber en désuétude faute d’ennemi à combattre, l’USIA finit par se « fondre » dans le département d’État). Pendant un demi siècle, relayée par l’USIS (United State Information Service), la diplomatie publique avait ainsi produit ou exporté des milliers d’heures d’émission, de films, de livres,…, mais aussi établi des contacts avec des milliers de gens pour «raconter au monde l’histoire vue d’Amérique». Son bilan sera discuté : l’USIA est parfois vue comme un agence de propagande coûteuse qui faisait mal ce que l’autre camp réalisait plus efficacement en sens inverse, relayé par des intellectuels progressistes et profitant du courant de la contre-culture. Second reproche à la diplomatie publique : était-il vraiment utile de payer des fonctionnaires pour rendre l’Amérique plus populaire alors que James Dean Marilyn Monroe, Elvis Presley , la MGM, puis CNN y parvenaient de cause de façon plus crédible et en rapportant des devises ? D’autres se demandent pareillement si la chute du Mur de Berlin n’est pas à porter au crédit de la télévision de RFA reçue en RDA : elle propageait une image bien plus positive de l’Occident que tout service officiel. Dans les années qui séparent la fin de l’URSS du 11 septembre, la politique d’influence US semble se confondre au moins dans l’esprit de ses promoteurs avec un « élargissement » du modèle occidental, pour ne pas dire avec le mouvement de l’Histoire. Il s’agit pour les USA de « contrôler la mondialisation » (shapping the globalization112), donc d’encourager une mondialisation qui repose autant sur les droits de l’homme et le marché que sur les technologies de la communication et la globalisation des cultures. Cette politique quasi pédagogique prend de multiples formes. Ce peut être l’accompagnement du passage à la démocratie des anciens pays socialistes par ONG ou think tanks interposés, aussi bien que l’apologie des autoroutes de l’information comme « agora planétaire ». Le tout dans un contexte où l’influence US semble sans rivale. Le contrôle de la globalisation Pour une part, l’influence se privatise. Elle devient une dimension fondamentale de l’intelligence économique. Elle sert d’abord à la conquête des marchés ; là encore, les Américains comprennent qu’il faut combiner soutien politique, imitation des modes de vie, prépondérance des les standards techniques ou juridiques et un imaginaire culturel qui rende désirable le made in USA. D’autres facteurs jouent telle la complexité croissante des normes internationales de production, donc le rôle des instances internationales et partant l’intérêt du lobbying113. Citons aussi le poids de mouvements d’opinion concernés par des dimensions écologiques, sociales ou sécuritaires de l’activité économique, des ONG et des « parties prenantes », les facteurs d’image et de réputation dans la compétitivité des firmes… Autant de raisons pour les entreprises de se lancer à dans une politique internationale d’influence positive, voire agressive. Elles sont à la merci d’une mise au pilori par une ONG, d’une attaque médiatique, d’une offensive informationnelle : elles doivent se préserver d’une influence déstabilisatrice comme une « e-rumeur ». Parallèlement, une notion prend de l’importance dans les années 90 : celle d’affaire, action ou coopération civilo-militaires (qui donnent toujours le sigle ACM). Elle est liée à des conflits 112 113 Voir DENECE E. et Revel C. L’autre guerre des Etats-Unis Laffont 2005 PROBLÈMES POLITIQUES ET SOCIAUX n°877-878, Lobbying et vie politique, Documentation française, 2005 56 typiques de la fin du XX° siècle : des États disloqués, en proie à des guerres civiles, ou des situations indécises entre guerre et paix où des violences armées sont menés sporadiquement par des groupes ethniques, politiques, criminels voire mêlant les trois. L’intervention des forces occidentales, avec ou sans mandat des Nations Unies appelle une politique de reconstruction de la paix ou de la nation (peace building, nation building) ou, pour le moins, la gestion d’une situation indécise. À rebours de leur fonction traditionnelle (affronter symétriquement une autre troupe en uniforme jusqu’à la victoire politique scellée par le traité de paix), les troupes sont confrontées à des situations où il s’agit de contrôler l’exercice de la violence pour en freiner l’escalade. Il est tout aussi nécessaire de recréer les conditions d’une vie « normale » sur des territoires livrés au chaos. Surtout dans la période qui mène à la mise en place d’autorités civiles reconnues, les troupes sont de facto chargées de tâches humanitaires, économiques administratives, politiques, bref non militaires. Cela les met au contact de civils, d’ONG, d’organisations internationales, de forces politiques, d’autres armées, d’entreprises… et bien sur des médias114. Cette quête pratique n’est pas forcément désintéressée : les ACM peuvent rapporter des dividendes en termes d’image, de contrats de reconstruction pour ses entreprises, d’adoption de normes favorables à ses industries, …. Intérêts publics et privés peuvent se trouver liés comme civils et militaires. Mais l’objectif immédiat est surtout de contribuer à la stabilité du pays par des relations fiables avec les autres acteurs, un mélange entre action d’urgence et relations publiques. Chaque État mène les ACM avec sa méthode voire sa doctrine. La France impliquée dans plusieurs interventions au cours de la décennie 1990 a laissé une large part aux rapports avec les humanitaires, mais aussi aux réseaux sur le terrain. Les résultats sont moins spectaculaires en termes de rendement pour l’économie nationale. Des pays comme les USA pratiquent les ACM de manière plus institutionnelle . La dimension « formatage », pour ne pas dire idéologicopolitique n’est pas négligée comme le montrent des institutions comme le Center for CivilMilitary Relations qui forme de nombreux étrangers. La quête du soft power Aux USA et dans la même période que l’influence trouve son nouveau nom : soft power. L’expression lancée par le doyen Joseph S.Nye115 gagne le statut de concept clé des relations internationales. Si l’Amérique prédomine dans le domaine du «hard power», en particulier militaire, dit en substance Nye, elle doit aussi son statut d’hyperpuissance à sa capacité de séduire et d’attirer. La notion recouvre le rayonnement de l’Amérique, dû à sa technologie, à sa réputation, à ses artistes, à son cinéma, à ses université, … et autres choses où le gouvernement a peu de responsabilité, mais elle repose aussi sur sa diplomatie, sa capacité de convaincre et d’entraîner dans les organisations internationales. Amener les autres à désirer ce que vous voulez « sans carotte ni bâton » : voilà qui est tentant mais résonne un peu comme un vœu pieux. Ce débat plutôt abstrait avant le 11 septembre prend une tout autre tournure en 2001. L’Amérique découvre alors la haine qu’elle suscite. Pour une part, les néo-conservateurs qui tenaient en réserve leurs plans contre les États voyous, leur guerre « préemptive », dite aussi « quatrième guerre mondiale116 » contre le terrorisme jouent la « carte du dur ».. Parallèlement le recours à l’influence douce semble redevenir un saint Graal de la géopolitique US ou une ressource mystérieuse que l’Amérique devrait retrouver pour mettre fin à l’animosité. L’appel à rétablir un soft power submergé par l’antiaméricanisme et décrédibilisé par une guerre contreproductive devient une des constantes du discours critique contre G.W. Bush. Ce slogan résonne souvent comme un pathétique « Aimez nous ». Ainsi, lorsque Francis Fukuyama117 rompt avec le camp néo conservateur, l’ancien chantre de la fin de l’histoire oppose la mauvaise 114 115 116 117 HUYGHE 2005 NYE 1998 Voir F.B. Huyghe Quatrième guerre mondiale, faire mourir et faire croire, Ed du Rocher 2004 After neoconservatism, The New York Times Magazine, 19/02/06 57 méthode, la promotion de la démocratie par les armes, à la «bonne», celle qui consisterait à restaurer le soft power. Il ne faudrait pas renoncer au principe wilsonien, mais, parallèlement recommencer à négocier, à rechercher le consensus de ses alliés, à mener une action à travers des ONG et des organisations internationales régionales. Il est tentant de traduire : se rendre aimable, en somme. Il serait caricatural de faire du soft power un monopole des démocrates, et de croire les républicains forcément partisans du «hard». La nuance entre diplomatie publique, soft power et influence renseigne davantage sur le locuteur que sur le contenu de la politique qu’elle recouvre. Ainsi, quand Nye déclare que "l'Amérique doit mélanger le pouvoir dur et soft en un "pouvoir intelligent" (smart power), comme elle le faisait du temps de la guerre froide.", pareille nostalgie ne caractérise pas exactement un progressiste. Du reste, dans le camp conservateur, beaucoup en appellent à une grande politique qui tarirait les sources de l’extrémisme religieux et restaurerait une image de leur pays dont les sondages –ils en sont grands consommateurs - montrent la dégradation depuis six ans.. Un think tank comme Heritage ne cesse de vanter la diplomatie publique comme remède au terrorisme. Une des premières réactions de l’administration Bush en 2001, fut de créer un sous-secrétariat d’État à la diplomatie publique. Il fut d’abord confié à la publicitaire Charlotte Beers ; elle s’employa à produire des vidéos démontrant la liberté de culte dont jouissent les musulmans aux USA. Au fur et à mesure des guerres d’Afghanistan et d’Irak apparurent des radios arabophones et même une télévision, al Hurrah, censée concurrencer al Jazeera, mais avec un succès modéré dans le monde arabe. Parallèlement, l’administration Bush créa un Bureau d’Influence Stratégique (Office of Strategic Influence): il fallut le dissoudre lorsque la presse révéla qu’il risquait de mener des actions de désinformation qui toucheraient les citoyens américains118. En décembre 2007, la diplomatie publique vient de passer sous la direction de Jim K Glassmann, gourou de la finance au profil révélateur : directeur du magazine conservateur the American, et du Broadcasting Board of Governors qui chapeaute les radios et télévision « d’influence », ce n’est pas exactement un libéral au sens américain. Mais la diplomatie publique n’est pas seulement l’affaire des hauts fonctionnaires : le secteur privé intervient dans la promotion de l’Amérique. Ainsi Walt Disney produisant avec le département d’État des films présentant le pays à ses visiteurs ou les entreprises qui créent des « cercles d’influence » avec des groupes de journalistes ou des chambres de commerce. De la même façon, nombre d’opérations sont sous-traitées à des « agences de communication » ou assimilées qui «vendent» l’opposition à Saddam et la thèse des armes de destruction massive (comme le groupe Rendon) avant la guerre d’Irak ou, après, s’assurent de la bonne orientation de la presse locale (tel le Lincoln Group). Rivalités d’influence Bien entendu, le softpower n’est pas un monopole américain. La montée de l’Inde et de la Chine s’accompagne d’une amélioration de leur image, ne serait-ce que par la mode un peu kitsch de Bollywood ou les réussites du cinéma chinois (voir Tigre et dragon). Et il n’y a pas besoin d’être expert en géopolitique pour comprendre que les jeux olympiques de Pékin sont une gigantesque opération d’influence exactement comme l’offensive de séduction en direction de l’Afrique. Notre pays a été un des premiers à lancer une politique d’influence (qu’était-ce d’autre que les Alliances Françaises créées après la défaite de 1870, sinon un moyen de la rétablir auprès des élites étrangères ?). Mais notre politique de la francophonie, notre présence à travers des postes culturels, d’ailleurs variable selon les époques, restent d’une efficacité limitée même relayée par des invocations du multilatéralisme, de notre politique arabe ou de notre opposition à la guerre d’Irak. Les Français sont notoirement exécrables en lobbying à Bruxelles, et ne jouent pas toujours très collectif dans les organisations internationales. On peut facilement suivre les aventures de la diplomatie publique américaines sur les sites du Center for Media and Democracy. 118 58 Quant à notre présence audiovisuelle dans le monde, elle a une réputation de serpent de mer : le lancement de la télévision d’information, d’abord ouvertement assumée comme chaîne d’influence par ses promoteurs, et qui est maintenant France 24, émettant en français, anglais et arabe, a pris plusieurs années. L’idée date au moins de 1997. Au moment où nous écrivons, il est question d’une grande réforme de l’audiovisuel extérieur avec France Télévisions, France 24 et de RFI travaillant ensemble.. Encore faudrait-il qu’ils aient un message clair à délivrer. Nous vivons des temps de démocratie d’opinion, d’explosion des médias, de montée en puissance de l’expertise, des « autorités morales », des ONG et autres représentants de la société civile, d’internationalisation des courants d’opinion, d’appels perpétuels à la gouvernance et au consensus…, autant de facteurs qui accroissent le rôle de l’influence. Encore faut-il comprendre que celle-ci ne peut se résumer à une liste de recettes : elle suppose une stratégie globale à la fois économique, politique et culturelle. L’accepter serait déjà un grand pas. Bibliographie AGIR Puissance et influence, Revue de la société de Stratégie n° 14, 2005 ARQUILLA J. et RONFELDT D., Networks and Netwar : the Future of Terror, Crime and Militancy, Rand 2002 téléchargeable sur www.rand.org BAILLARGON N. Petit cours d’autodéfense intellectuelle Lux 2005 BOUCHER S. Think tanks la guerre des cerveaux Félin 2006 CAHIERS de MÉDIOLOGIE n° 8, Croyances en guerre. Gallimard 1999, téléchargeable sur www.mediologie.org CASTELLS M., L’ère de l’information, 3 tomes Fayard,1998 DEBRAY R., L’obscénité démocratique, Flamarion, 2007 DELBECQUE E., L’intelligence économique, PUF 2006 DIOGÈNE n° 217, revue Persuasion et influence sociale, PUF, Janvier 2007 DURANDIN, G. , L'information, la désinformation et la réalité., Paris, Presses universitaires de France, 1993 FABIAZ P., Comment manipuler les médias, Denoël, 1999 FRANCOIS L. (dir.) Business sous influence Eyrolles 2004 GRANET D. et LAMOUR C. Médiabusiness le nouvel eldorado Fayard 2006 GUILLAUME M. L’empire des réseaux, Descartes et Cie, 2000 HALIMI S. et VIDAL D. L’opinion, ça se travaille Les médias et les guerres justes Agone 2004 HARBULOT C. (dir.), La guerre cognitive, Lavauzelle 2002 HARBULOT C. La main invisible des puissances, Eyrolles 2005 HUYGHE F.B., Ecran/ennemi, éditions électroniques 00H00 2001, téléchargeable sur www.huyghe.fr HUYGHE FB Comprendre le pouvoir stratégique des médias, Eyrolles 2005 LUCAS D. et TIFFREAU A., Guerre économique et information, Ellipses, 2001 MAISONNEUVE E. de la Stratégie Crise et Chaos Economica 2005 MATTELART A, Histoire de l’utopie planétaire, La Découverte, 2000 MOINET N. et MARCON C. La stratégie-réseau, 00H000 éditions 2000 MOOG P.E., Les clubs de réflexion et d'influence L'Expansion, 2006 MUCHIELLI A., L’art d’influencer, A. Colin, 2000 NYE J R., The Paradox of American Power, (OUP) 1998 ONG et entreprises du duel au duo, Edelman n°1, 2001 (colloque au Sénat) PANORAMIQUES n°52 dirigé par F.B. Huyghe, L’information, c’est la guerre Corlet 2001 PARSONS T.,On the Concept of Influence », Public Opinion Quarterly, t. XXVII, no 1, 1963 PROBLÈMES POLITIQUES ET SOCIAUX n° 918, Les ONG acteurs de la mondialisation, Documentation française, Août 2002 PROBLÈMES POLITIQUES ET SOCIAUX n°877-878, Lobbying et vie politique, Documentation française, 2005 59 REVEL C. La gouvernance mondiale a commencé : Acteurs, enjeux, influences… Et demain? Ellipses, 2006 RONSVALLON P. La contre-démocratie, Seuil 2006 SALMON C. Storytelling, La Découverte 2007 STAUBER J. & Rampton S. L’industrie du mensonge : lobbying, communication, publicité et médias Agone 2004 STONOR SAUNDERS Qui mène la danse ?, Denoël, 2003 - 60 Bibliographie générale AGIR Puissance et influence, Revue de la société de Stratégie n° 14, 2005 ARQUILLA J. et RONFELDT D., Networks and Netwar : the Future of Terror, Crime and Militancy, Rand 2002 téléchargeable sur www.rand.org BAILLARGON N. Petit cours d’autodéfense intellectuelle Lux 2005 BERTHO-LAVENIR C. La démocratie et les médias au XX° siècle, A. Collin, 2000 BOUCHER S. Think tanks la guerre des cerveaux Félin 2006 CAHIERS de MÉDIOLOGIE n° 8, Croyances en guerre. Gallimard 1999, téléchargeable sur www.mediologie.org CASTELLS M., L’ère de l’information, 3 tomes Fayard,1998 DASQUIÉ G., Les nouveaux pouvoirs, Flammarion, 2003 DEBRAY R., L’obscénité démocratique, Flamarion, 2007 DELBECQUE E., L’intelligence économique, PUF 2006 DIOGÈNE n° 217, revue Persuasion et influence sociale, PUF, Janvier 2007 DURANDIN, G. , L'information, la désinformation et la réalité., Paris, Presses universitaires de France, 1993 FABIAZ P., Comment manipuler les médias, Denoël, 1999 FRANCOIS L. (dir.) Business sous influence Eyrolles 2004 GRANET D. et LAMOUR C. Médiabusiness le nouvel eldorado Fayard 2006 GUILLAUME M. L’empire des réseaux, Descartes et Cie, 2000 HALIMI S. et VIDAL D. L’opinion, ça se travaille Les médias et les guerres justes Agone 2004 HARBULOT C. (dir.), La guerre cognitive, Lavauzelle 2002 HARBULOT C. La main invisible des puissances, Eyrolles 2005 HUYGHE F.B., Ecran/ennemi, éditions électroniques 00H00 2001, téléchargeable sur www.huyghe.fr HUYGHE FB Comprendre le pouvoir stratégique des médias, Eyrolles 2005 KLEIN N. No Logo La tyrannie des marques Léméac/actes Sud 2001 LAIDI A. et LANVAUX D., Les secrets de la guerre économique Seuil 2004 LOROT P., Dictionnaire de la mondialisation, Ellipses 2001 LUCAS D. et TIFFREAU A., Guerre économique et information, Ellipses, 2001 MAISONNEUVE E. de la Stratégie Crise et Chaos Economica 2005 MATTELART A, Histoire de l’utopie planétaire, La Découverte, 2000 MOOG P.E., Les clubs de réflexion et d'influence? L'Expansion, 2006 MUCHIELLI A., L’art d’influencer, A. Colin, 2000 NYE J R., The Paradox of American Power, (OUP) 1998 ONG et entreprises du duel au duo ? Edelman n°1, 2001 (colloque au Sénat) PANORAMIQUES n°52 dirigé par F.B. Huyghe, L’information, c’est la guerre Corlet 2001 PARSONS T.,On the Concept of Influence », Public Opinion Quarterly, t. XXVII, no 1, 1963 PROBLÈMES POLITIQUES ET SOCIAUX n° 918, Les ONG acteurs de la mondialisation, Documentation française, Août 2002 PROBLÈMES POLITIQUES ET SOCIAUX n°877-878, Lobbying et vie politique, Documentation française, 2005 REVEL C. La gouvernance mondiale a commencé : Acteurs, enjeux, influences… Et demain?" Ellipses, 2006 RONSANVALLON P. La contre-démocratie, Seuil 2006 SALMON C. Storytelling, La Découverte 2007 STAUBER J. & Rampton S. L’industrie du mensonge : lobbying, communication, publicité et médias Agone 2004 STONOR SAUNDERS Qui mène la danse ?, Denoël, 2003 61 L’AUTEUR FRANÇOIS-BERNARD HUYGHE HTTP://WWW.HUYGHE.FR! ! [email protected] !"#$"%#$"% !"#$%&'#( >'3*23*$304$-0"304'#30,@02,$40#-,$23-3A0&340#3B#34093 *,.C-3$B0%-#'"&340#(&("?%-53%C&3403#0&%0&'4#30934 ",*+(-3*"3403#0+,-.%#',*40D$'02,$404,*#01-,1,4(34E 0 0 =-%*F,'4 G>3-*%-90H$I5?3 !)*+,-.%#',*/01,$2,'-03#0 $4%53060&7'*+,4#-%#(5'3 !!"#$%%&'$"($)*(+"+,&-.$)/) 0.)123+&4)5)%6&"7%.$"($ !8+.3+&41)$#)&"7+4,2#&+" !8,.1-3*9-30&340 ",*+&'#4060$*30*,$23&&30 1,&(.,&,5'3 !9$44+4&1,$ !:774+"#$,$"#1;)1#42#*'&$1) $#)&,2'$1 !<*0&+%+'&$)2.)=4*1$"# !<*0&+%+'&$)0$)%6>&1#+&4$ !;'23-4 !9$?#$1)5)#*%*(>24'$4 [email protected]'>$)!"7+1#42#*'&$)B24% =,-.%#',*403#0 ",*+(-3*"34 <'3*4 >',5-%1?'3 ) C%&-.$D)1.4)%$)%+'+)E411E)+42"'$)(&)0$11.1)=+.4)1.&34$)%62(#.2%&#*)0$)($) 1&#$)1.4).")7&%)FBBG ;3-*'3-40!-#'"&34 LMNOPNOP0G)Q,30>'93*0",&'4#'3-097RC%.% !:-%*4.'44',*03#0 ",..$*'"%#',*060&%0 .(9',&,5'3 <'2-34 ='&0JKK J3"3*#-%530,$09$-"'443.3*# H$)(>+&?)0$)I+$)F+J&"$##$)K&0$")(+,,$)(+%&1#&$4)=24) LJ2,2)$1#)12%.*)=24)%$1)(+,,$"#2#$.41)(+,,$).") ,24-.$)06>2J&%$#*)/)23$()($)3&$.?)4+.#&$4)($"#4&1#$)$#) $?=*4&,$"#*)$")=+%&#&-.$)*#42"'M4$;)&%)4**-.&%&J4$42&#)1+") #&(N$#)$#)'2'"$42&#)$")(4*0&J&%&#* H2)1.&#$GGG LLNOPNOP0G)S$3&&305$3--303*0!+5?%*'4#%*0T H2),+4#)0$)0&?)1+%02#1)742"O2&1)$"):7'>2"&1#2")2) 4*3*%*).")=2420+?$)#A=&-.$)0$1)0*,+(42#&$1) $.4+=*$""$1)/)$%%$1)1+"#)$")'.$44$)$#)$%%$1)"$)%$) 123$"#)=21G)H$)1#2#.#)0$)%2)'.$44$)0$3&$"#) =4+J%*,2#&-.$)23$()%$1)(+"7%)12"1)3&(#+&4$)+.)12"1)=2&?)=+11&J%$G !"#$%&'( LONOPNOP0G)U&,44%'-30930&%04#-%#(5'30930&7'*+,-.%#',* LVO0.,#401,$-0",.1-3*9-3 8+.4)(+,=%*#$4)PQ)(+"($=#1;)RPQ),+#1)1+.3$"#) 4$"(+"#4*1)02"1)%$1)#$?#$1)1.4)%2)'.$44$)0$)%6&"7+4,2#&+") $#)%6&"#$%%&'$"($)1#42#*'&-.$ S)#*%*(>24'$4)&(& WXNOPNOP0G)YK!0G0U(,-5'3060&,CCI'4#3403#0*(,",*43-2%#3$-4) Y*0",*43'&&3-0930Z"08%'*0%$043-2'"30930 K%%[%"?2'&' H$)T21>&"'#+")8+1#)4*3M%$)-.$)F2"0A)B(>$."$,2"";) (+"1$&%%$4)0$)I+>")<()C2&")U#4M1)$"#+.4*)0$ %+JJA&1#$1V)$1#)2.)1$43&($)0$)%2)W*+4'&$G)H$1)0*(%242#&+"1)0$)1+.#&$")0.) 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François-Bernard Huyghe est docteur d’État en sciences politiques et Habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Information et de la communication • Ses ouvrages : • Maîtres du faire croire De la propagande à l’influence (Vuibert 2008) Comprendre le pouvoir stratégique des médias (Eyrolles 2005) Quatrième guerre mondiale (Ed. du Rocher 2004) Écran/Ennemi Terrorisme et guerre de l’information (00hOO.com 2002) Enseignement : Iris/Ipris Campus virtuel de l’Université de Limoges École de guerre économique DRMCC, ENA, Etc.. Médiologue, il fait partie du comité de rédaction de Médium L’ennemi à l’ère numérique (PUF 2001) Les maîtres du f faire croire De la propagande à l’influence Vuibert 2008 L’information, c’est la guerre (Corlet 2001) Les experts (Plon 1996) La langue de coton (R. Laffont 1991) La soft-idéologie (R. Laffont 1987) Avec Edtih Huyghe, il a écrit : La route de la soie, La route des tapis, Histoire des secrets, Images du monde, Les coureurs d’épices.... ! ! F.B. Huyghe est expert associé à l’IRIS et a créé HUYGHE INFOSTRATÉGIE SARL société de conseil et formation en intelligence économique, communication d’influence, guerre de l’information, infostratégie... Il anime le site : http://www.huyghe.fr Textes de François-Bernard Huyghe extraits de son site http://www.huyghe.fr RE AÎT : 01 AR Fax P – 0 E 40 94 TD 27 N 4 : 01 VIE él. –T 79 42 46 80 er t uib sV tion Édi maîtres du faire croire de la propagande à l’influence François-Bernard Huyghe Collection Comprendre les médias ISBN : 978-2-7117-1194-9 16 m, 176 pages Éditeur : Vuibert En coédition avec le Clemi et l’Ina La collection « Comprendre les médias » a pour ambition d’accompagner votre réflexion sur les médias en vous donnant les outils nécessaires pour déchiffrer l’actualité. Depuis le temps où les Grecs ont inventé la rhétorique et les Chinois les anthologies de stratagèmes, des professionnels du faire croire s’organisent afin de contrôler ce que nous pensons ou ce que nous percevons. Leurs instruments de persuasion visent une cible unique : notre cerveau. D’ordre politique, religieux ou économique, leurs objectifs sont divers : rendre des idées contagieuses ou déstabiliser l’autre camp, peser sur les décisions des élites ou gagner des marchés… Leur ampleur et leur gravité sont variables : de fanatiser des millions de gens à répandre une rumeur sur Internet. À travers cette histoire des organisations et techniques d’influence, l’auteur montre leurs ressorts mais aussi leurs limites et les remèdes qu'il faut employer afin de ne pas en être victime et pour mieux comprendre l’histoire contemporaine. ! L’AUTEUR Docteur d’État en sciences politiques, François-Bernard Huyghe est spécialiste des stratégies de l’information, expert à l’Institut de recherches internationales et stratégiques, enseignant dans plusieurs instituts universitaires, et aussi consultant. Il s'est consacré aux idées contemporaines et aux rapports entre information et conflits dans différents ouvrages, notamment : La Langue de coton (Robert Laffont), L’Ennemi à l’ère numérique (PUF), Quatrième guerre mondiale : faire mourir et faire croire (Éditions du Rocher), Comprendre le pouvoir stratégique des médias (Eyrolles), etc. BON DE COMMANDE à compléter et à retourner aux éditions Vuibert – BP 25 – 23220 CHÉNIERS ISBN Titre 1194-9 Maîtres du faire croire Participation aux frais de port : Prix public unitaire Quantité Total 16 m ... ... m France métropolitaine ou DOM-Tom et étranger MONTANT À RÉGLER 5m 16,20 m ... m ... m ... m Ci-joint mon règlement à l’ordre des Éditions Vuibert par : " Chèque " Carte bancaire : # Carte Bleue # Visa # Master Card N° : Code de sécurité (3 chiffres inscrits au dos de votre carte bancaire) Signature (obligatoire) : Date d’expiration ADRESSE DE LIVRAISON : Nom/Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CP/Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Pays . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ouvrage disponible en librairie. Prix valables jusqu’au 31 décembre 2008, donnés sans engagement et susceptibles de modifications. Visuels non contractuels.