psychologues - 2001 - Justice / Métiers et concours
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MINISTERE DE LA JUSTICE - Direction de la protection judiciaire de la jeunesse CONCOURS EXTERNE et INTERNE POUR LE RECRUTEMENT DE PSYCHOLOGUES DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE - 2001 Epreuve n° 1 : Epreuve de psychologie clinique comportant l’étude du cas d’un mineur ( durée : 5 heures - coeff. 2) Sujet : Vous travaillez dans un service de la protection judiciaire de la jeunesse. Après avoir étudié le dossier de Djamel et afin d'élaborer un avis sur les orientations qui vous paraissent pertinentes, vous développerez principalement votre réflexion sur les questions suivantes : θ clinique du discours paternel, θ dynamique des parcours institutionnels concernant Djamel, θ discussion diagnostique argumentée, θ commentaires des deux paragraphes suivants extraits de la page 33 du dossier : Si grâce à de gros efforts collectifs l'ensemble des personnels du CAE a pu apporter a Djamel le temps et la considération dont il a besoin, ce qui lui ont permis de faire un pas vers l'adulte, il manque, depuis notre prise en charge de ce jeune, l'apport essentiel d'un travail thérapeutique soutenu. Si l'ensemble des solutions évoquées dans cet écrit n'a pu aboutir, c'est probablement qu'en appui il n'existait pas de véritable soutien psychologique permettant à Djamel un travail sur le fond de sa problématique. Aujourd'hui, nous restons convaincus qu'il manque les lieux institutionnels pour ce type de jeune. Il faut donc nous diriger encore, semble-t-il, vers un montage de solutions alliant lieu d'hébergement individualisé, avec guidance éducative, recherche, encadrée par des adultes, d'une orientation professionnelle, mais aussi et surtout mise en place rapide d'un travail thérapeutique réel. Pour information : AEMO : Assistance éducative en milieu ouvert OPP : Ordonnance de placement provisoire SSE : Service social de l'enfance PFS : Placement familial spécialisé OAE : Orientation d'action éducative CDES : Commission départementale de l'éducation spécialisée UHI : Unité d'hébergement individualisé ! Extraits de dossiers de mineur dont tous les éléments nominatifs, géographiques et temporels ont été transposés afin de préserver l'anonymat des personnes et des lieux. Toute ressemblance serait fortuite. Page 1 / 33 Document 01 / 1 page ASSOCIATION DE L'ENFANT de la SOMME 83.240 ABBEVILLE, le 17 sept. 1983 NOTE DE SITUATION / (O.A.E. du 6.06.1983 au 6.10.1983) Concernant le jeune : KHAÏBOUCHA Mohamed Né le : 5 juin 1981 Dont les parents sont domiciliés : 80 - ABBEVILLE Mesure demandée par : Madame BRETIN, Juge des Enfants prés le Tribunal d'AMIENS Au titre de la Loi du 4.06.1970. Intervenant : Sylvie PERET - Éducatrice Spécialisée Nous avons repris contact avec Monsieur KHAÏBOUCHA en date du 4 Septembre 1983. Celui-ci nous informe des dernières dispositions concernant ses enfants et sa situation familiale. Suite à un signalement effectué par l'hôpital et les nombreuses remarques du secteur et de la PMI, Monsieur KHAÏBOUCHA tient à reprendre avec sa femme une vie plus calme et plus sereine. Une mésentente conjugale existe mais Monsieur pense pouvoir y remédier. Madame KHAÏBOUCHA part donc pour les vacances en TUNISIE, laissant ses enfants à son mari qui les confie pour la période des congés à son frère demeurant à DOLE (Jura). Monsieur KHAÏBOUCHA rejoint sa femme en TUNISIE pendant ses congés, ceci afin de faire le point de leur situation. Madame KHAÏBOUCHA demande à "reprendre sa liberté". Monsieur et Madame divorcent, et Monsieur avant de revenir en FRANCE se remarie avec une femme qui accepte d'élever ses enfants. Face à notre étonnement que les procédures puissent se faire aussi rapidement, Monsieur KHAÏBOUCHA nous explique qu'il peut se marier avec 4 femmes sans pour autant divorcer (suivant la loi coranique) qu'ainsi il a bien voulu laisser à son ex-femme sa liberté, ceci afin qu'elle puisse si elle le désire refaire sa vie. S'il avait voulu, il aurait pu se remarier sans pour autant divorcer, mais son ex-femme ne pouvait faire sa vie selon ses désirs. Ainsi donc Monsieur KHAÏBOUCHA attend que sa nouvelle épouse vienne en FRANCE, les délais pour les papiers et formalités de l'immigration sont d'environ 2 mois. Dès l'arrivée de sa nouvelle femme, Monsieur KHAÏBOUCHA reprendra ses enfants qu'il a confiés à ses frères. Monsieur KHAÏBOUCHA a trois frères en FRANCE. Celui qui habite DOLE (Jura) est marié et père de 2 enfants. Sa femme attend un troisième enfant. Il a la garde actuellement de Aziz (4 ans) et Mohamed (2 ans). L'aîné des frères habite TOULON ; il est également marié et sa femme attend leur 4ème enfant. Il a la garde actuellement de Djamel (3 ans). Le plus jeune des frères habite près de DIJON, il est marié sans enfant. Monsieur KHAÏBOUCHA a vu ses enfants en revenant de TUNISIE. Il trouve que Djamel (celui qui inquiétait le plus les Services Sociaux) va beaucoup mieux et que son comportement a changé de façon importante. Pour les deux autres enfants il nous informe que cela va bien et que son frère lui donne souvent des nouvelles. Monsieur KHAÏBOUCHA a informé son frère de la possibilité d'une Enquête Sociale pour connaître les lieux et conditions de vie de ses enfants. Monsieur KHAÏBOUCHA dit ne pas comprendre l'attitude de la mère des enfants qui passait beaucoup de temps à l'extérieur et qui enfermait les enfants dans leur chambre. Il pense qu'elle n'était pas mûre pour être mère de ses enfants et que la parole extérieure était toujours plus importante. Monsieur KHAÏBOUCHA se présente comme un homme assez peu traditionaliste quand on sait qu'il est musulman. Ainsi il dit partager beaucoup les tâches ménagères avec sa femme. Nous évoquons que peut être sa femme était dépressive et dépassée par la prise en charge de trois enfants en bas âge, et que peut-être pour cela fuyait-elle vers l'extérieur. Monsieur KHAÏBOUCHA nous explique qu'il ne désirait pas spécialement ses trois enfants de façon aussi rapprochée ; il avait avec son ex-femme consulté pour que celle-ci prenne une contraception, mais elle ne la prenait pas régulièrement, craignant le cancer, ou différents troubles soi-disant associés. Monsieur KHAÏBOUCHA nous informera d'ailleurs qu'ils attendaient un 4ème enfant mais qu'ils ont fait pratiquer une I.V.G. Au terme de cet entretien, il semble que Monsieur KHAÏBOUCHA vit actuellement une situation passagère. Il faut reconnaître que par rapport à sa situation il fait porter un certain nombre de torts à son ex-femme et qu'il est difficile d'analyser la situation, faute d'éléments supplémentaires. Les enfants sont donc en attendant l'arrivée de la seconde épouse, chez les frères de Monsieur KHAÏBOUCHA. ABBEVILLE, le 15 Septembre 1983 / Sylvie PERET, Éducatrice spécialisée Page 2 / 33 Document 02 / 3 pages ASSOCIATION DE L'ENFANT de la SOMME Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action Éducative 80 - ABBEVILLE 83.240 ABBEVILLE, le 17 DEC. 1990 NOTE DE SITUATION 0.A.E. du 05.08.1990 au 05.02.1991 PE Concernant : KHAÏBOUCHA Djamel Né (e) le : 21 Juillet 1980 à AMIENS Demeurant : Chez ses parents Mme et Mr KHAÏBOUCHA / 80 ABBEVILLE Mesure ordonnée par : Mme TORET, Juge des Enfants à AMIENS - Au titre de la loi du 04.06.1970 Intervenant (s) : Laure SAUVET, Éducatrice Spécialisée Proposition : Extension de la mesure à Mohamed DONNÉES BIOGRAPHIQUES ET FAMILIALES Père : M. KHAÏBOUCHA Farid, né en 1945 en Tunisie (Domicilié : ABBEVILLE - 80) Mère : Mme KEROUAL Soraya (Domiciliée : chez sa mère en TUNISIE, depuis 1982) Le couple se marie en 1979 en TUNISIE De cette union sont nés : - Aziz, né le 14 Juin 1979 en TUNISIE Djamel, né le 21 Juillet 1980 à AMIENS Mohamed, né le 5 Juin 1981 à AMIENS Le divorce est prononcé en 1982, suite au jugement du tribunal tunisien. En 1983, Monsieur KHAÏBOUCHA se remarie avec Madame MEDHI Zouba, avec qui il partage toujours sa vie. De cette union est né : - Kader, le 17 juin 1986 à AMIENS DÉROULEMENT DE LA MESURE ÉDUCATIVE Depuis le début de cette investigation, nous avons régulièrement rencontré le couple au domicile, à notre service, ainsi que l'équipe de l'ESSORT et Djamel. Pendant toute une période, Monsieur KHAÏBOUCHA a exprimé que le comportement et l'attitude de Djamel était pour lui insupportable, et ceci, d'autant plus que le voisinage s'en plaignait. Il considère que du fait de tous les agissements de son fils, sa femme ne peut pas l'aimer comme les autres. Il reconnaît que Djamel n'a pas la même place, et qu'il est complètement responsable des réponses qu'il peut avoir dans le cadre familial. Néanmoins, Monsieur KHAÏBOUCHA niera tout acte de violence de sa part, considérant le signalement comme exagéré. Il évoque et sans retenue devant Djamel les mauvais traitements que la mère de l'enfant aurait fait subir à ses trois aînés voulant par là même une reconnaissance de Djamel vis à vis de son épouse, qu'il décrit comme parfaite. Durant cette première rencontre, Djamel a adopté une position basse, jusqu'au moment où nous posons clairement l'interdit des mauvais traitements. Là, Djamel nous regarde droit dans les yeux, sans pour autant intervenir. Devant l'attitude de Djamel, nous proposons à Monsieur KHAÏBOUCHA de sortir, afin d'échanger avec lui. Là, Djamel nous "jette à la figure" : "Ma belle-mère me déteste, mon père me tape avec le ceinturon et avec des fils électriques" Nous reprenons avec lui l'interdit des coups portés aux enfants, et il nous répond, comme surpris : "Même avec les mains" !. Spontanément, Djamel prend l'ordonnance du Juge des Enfants, et nous en fait la lecture. Durant ce moment, Djamel nous est apparu comme un enfant ayant une demande affective massive. Il nous réclame un internat dès cette première rencontre. Le 2 Octobre, l'IME ESSORT nous contactait pour nous faire part de leur décision de suspension de prise en charge de Djamel, du fait du comportement de l'enfant. Rencontre avec l'ESSORT Djamel est accueilli à l'ESSORT depuis le 3 septembre 1988 après avoir passé deux ans à LA PRAIRIE où il avait eu des comportements instables, violents et sans limite. Page 3 / 33 La première année de prise en charge à l'ESSORT a été tellement spectaculaire dans les progrès de l'enfant, que l'équipe éducative modérait complètement les inquiétudes suscitées par "LA PRAIRIE". Par contre, la deuxième année s'est soldée par un bilan négatif. Même si les acquisitions scolaires ont fait un véritable bond en avant, les troubles du comportement, la conduite de défi et de provocation opposés par Djamel, se sont manifestés de façon sans cesse croissantes dans tous les lieux et face à toutes les personnes. La rentrée de Septembre pour Djamel a démarré sur les mêmes difficultés que l'année précédente, avec des passages à l'acte particulièrement graves contre la collectivité des enfants et des personnels (Djamel a mis en scène avec deux enfants de l'IME une fellation, et a exprimé que son frère Mohamed en est victime dans les caves, d'autre part, il a menacé une éducatrice qui lui opposait un refus). Devant ces actes, l'IME a demandé la suspension de prise en charge, comme réponse face à la loi institutionnelle. L'équipe éducative était très mal à l'aise, et en plein questionnement sur cette prise en charge. Il leur était bien difficile d'expliquer réellement au père les actes posés par Djamel, du fait de leurs inquiétudes face aux réactions des parents (châtiments corporels sévères). Néanmoins, durant toute cette période, Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA devaient avoir des rencontres avec l'IME, afin d'envisager les conditions dans lesquelles Djamel pouvait réintégrer l'institution. Au niveau du S.A.E, nous avons très vite proposé une rencontre aux parents avec le Psychologue, et sommes allés régulièrement dans la famille, car nous étions très inquiets de savoir Djamel chez lui toute la journée. Lors de ces rencontres, nous avons vu toute la famille. Madame KHAÏBOUCHA nous est apparue complètement sous la dépendance de son mari ne s'autorisant à aucun moment d'intervenir, sauf si son mari l'interpelle directement. Cette femme a pu nous dire que Djamel était dur, ainsi que Mohamed, mais que depuis qu'il est à la maison tous les jours, il est sage, car il reste dans sa chambre. Ces propos sont confirmés par Monsieur KHAÏBOUCHA, qui considère que Djamel se met en danger chaque fois qu'il est sans surveillance et il ne veut plus avoir des remontrances du voisinage. Madame KHAÏBOUCHA nous dira ne pas comprendre cet enfant qui la rejette sans cesse, alors que Mohamed, même s'il a des difficultés, n'agit pas pareil. En effet, Mohamed était sur le canapé, complètement absent, ne répondant à aucune question, dans un mutisme impressionnant. Aziz, l'aîné de la première fratrie, lui par contre, intervient très facilement dans des propos assez humiliants pour ses deux frères. Il est le seul à avoir eu un cursus scolaire normal (redouble le CM2), et semble avoir une place particulière aux yeux de son père et sa belle-mère. Au vu de toutes ses difficultés avec Djamel, nous abordons avec Monsieur KHAÏBOUCHA, l'idée d'un internat éducatif la semaine dans l'intérêt de Djamel et dans le leur, afin d'éviter tout débordement dans leurs réponses. Monsieur KHAÏBOUCHA refuse en bloc cette proposition, considérant d'une part que Djamel est bien chez lui, que son épouse est parfaite pour ses enfants en comparaison de sa première femme, et que d'autre part, Djamel ne lui a rien demandé de la sorte. Il interpelle directement Djamel qui ne peut s'autoriser à dire autre chose que son père. De la même façon, Djamel parle de sa "vraie maman", comme quelqu'un qui ne veut plus voir, car elle l'a abandonné. Ces propos répondent complètement aux discours de son père, mais ne nous paraissent pas être vraiment ceux de l'enfant. Suite à cette rencontre, Monsieur KHAÏBOUCHA a adopté une toute autre position dans les propos qu'ils tenaient sur son fils. Il décrira Djamel comme une victime. Victime de l'ESSORT qui ne veut plus de lui alors qu'il n'a rien fait, victime du voisinage qui est raciste car depuis le 2 octobre, son fils ne bouge plus, et ne sort plus. Djamel passait toutes ses journées dans l'appartement sous l'œil vigilant de sa belle-mère. Cette situation nous inquiétait, d'autant plus que Djamel paraissait complètement contenu, prêt à tout moment à exploser sans pouvoir le faire. Début Novembre, nous rencontrions à nouveau l'ESSORT où étaient présents : les deux éducateurs du groupe, l'assistante sociale, le chef de service, l'enseignante, le thérapeute et le directeur. Cette synthèse a eu lieu avec Monsieur DOUMIER Psychologue du SA.E. et nous-même. Lors de cet échange, l'I.M.E. s'engage à reprendre Djamel à mi-temps, dans le cadre d'un retour progressif, dès le 9 novembre 1993, avec un travail spécifique entre le thérapeute et Djamel. Au niveau des transports avec projet d'accompagnement individuel de Djamel, entre son domicile et l'ESSORT est prévu afin d'éviter tout débordement de l'enfant. D'autre part, Monsieur KHAÏBOUCHA s'engage lui, à accompagner son fils tous les samedis matins. Dans le cadre de notre service, Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA ont accepté de maintenir des rendez-vous avec Monsieur DOUMIER, afin d'être aidés pour mieux comprendre leur fils Au vu de ce projet, nous convenons de ne plus aborder pour le moment l'idée d'un internat, et de refaire le point au bout d'un mois, d'un tel fonctionnement. Page 4 / 33 Le 8 Décembre, lors d'une rencontre avec Djamel seul il nous demandera à plusieurs reprises : "C'est quand la fin des six mois"?. Il nous expliquera que son père lui a promis une bonne correction au terme de notre investigation. Nous tentons de rassurer Djamel sur la possibilité d'une poursuite de mesure éducative, que nous proposerons au Juge des Enfants. Après cette mise au point, Djamel nous fera un certain nombre de révélations inquiétantes de ce qu'il vit chez lui, ainsi que son frère Mohamed. A savoir que sa belle mère l'enfermerait dans sa chambre avec Mohamed avec l'interdiction formelle d'en sortir. Si toutefois ils dérogeaient à cette loi, Madame KHAÏBOUCHA frapperait avec le ceinturon ou le manche du balai. En même temps, Djamel défend ses agissements en exprimant que "c'est parce qu'il est pas sage, car il n'a pas écouté". Il nous exprime aussi que pour lui, c'est bien plus dur, dans la mesure où on ne lui donne rien à faire dans la chambre, alors que Mohamed aurait des devoirs, que d'autre part, il entend toujours ses parents se disputer à cause de lui, et que sa belle-mère ne cesse de répéter "qu'elle n'a pas de place pour lui dans son cœur ".. Djamel nous dira aussi que, lui et Mohamed n'ont pas le droit de jouer avec Kader (enfant du couple), seul Aziz a l'autorisation car ses parents pensent qu'ils n'apprendraient "que des mauvaises choses" à leur petit frère. Il évoquera à plusieurs reprises le souvenir de sa "vraie maman'' qu'il aurait revu il y a environ deux ans en TUNISIE avec son père et ses deux frères Mohamed et Aziz. Il nous dira qu'elle a beaucoup pleuré quand elle l'a vu à cause de Aziz qui lui a rappelé tout ce qu'elle avait fait de mal : " elle avait la honte devant mon père". Djamel nous dit que sa "vraie maman" vit en pleine montagne en TUNISIE chez sa grand-mère. Au vu de toutes ces révélations, nous expliquerons à Djamel que nous sommes dans l'obligation d'en avertir le Juge des Enfants, car il ne nous est pas possible d'entendre tous ces mauvais traitements, sans rien dire. Djamel nous dit qu'il ne veut pas qu'on le dise à ses parents car il a peur, et que c'est parce qu'il n'est pas sage. Nous évoquons avec lui l'idée d'une séparation dans le cadre d'une famille d'accueil, ce qui semble le satisfaire, et craint en même temps la réaction de son père, et nous fait part de ses inquiétudes pour Mohamed. Le 10 décembre, lors de nos rencontres avec l'ESSORT pour faire un premier point du projet (énoncé plus haut), nous sommes obligés de faire un constat négatif. Monsieur KHAÏBOUCHA n'a tenu aucun de ses en engagements : ni dans le transport de Djamel le samedi matin, ni dans les rencontre avec Monsieur DOUMIER, Psychologue de notre service. Pour autant, en ce qui concerne Djamel, il a retrouvé une place dans l'institution, et semble satisfait de cette nouvelle prise en charge. A son retour, l'enfant n'avait plus d'appétit, seulement maintenant Djamel semble reprendre goût à la nourriture. Il évoquera aux éducateurs de l'ESSORT les humiliations dont il est victime dans le cadre des repas familiaux. Son père le forcerait à manger en lui appuyant la tête dans l'assiette pendant que sa belle-mère lui cracherait à la figure. CONCLUSION Au vue de tous ces éléments d'inquiétudes, sur les agissements de Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA concernant Djamel et de ceux dont seraient victimes Mohamed, nous proposons que notre mesure éducative puisse être étendue à Mohamed. Il est à noter que toutes les révélations de Djamel se sont faites dans le cadre d'une relation duelle avec l'enfant qui ne peut s'autoriser à exprimer quoique ce soit devant son père : maltraitance physique et psychologique de la part des deux parents pour Djamel et Mohamed. Tout en décrivant ces châtiments, Djamel défend dans le même temps ses parents considérant qu'il est responsable car il n'est pas sage. Djamel est sans cesse dans une demande affective importante de la part de l'adulte, qu'il rejette en même temps comme si tout contact ne pouvait être que dangereux. Il est dans un questionnement important autour de sa "vraie" maman que son père décrit comme une femme infâme responsable de tous les maux de Djamel et Mohamed. Néanmoins, ce souvenir de cette maman qui a beaucoup pleuré reste très présent dans son discours. On peut penser que pour Djamel, s'autoriser à exprimer une quelconque attache à cette "vraie maman" disqualifierait les propos de son père et serait par la même, en effet, un mauvais comme elle. En conclusion nous avons prévu une rencontre avec l'A.S.E. le 27 Décembre afin d'exposer la situation en vue d'une éventuelle famille d'accueil. Nous proposons qu'une mesure d'O.A.E. soit étendue à Mohamed afin d'évaluer si un éventuel projet de séparation n'est pas aussi à envisager pour cet enfant, qui semble s'être réfugié dans un mutisme important. Cette proposition au Juge des Enfants a été réfléchie avec l'équipe l'ESSORT du fait de nos inquiétudes croissantes concernant les deux enfants. Laure SAUVET, Éducatrice Spécialisée Sophie LAURENT, Chef de Service Éducatif Page 5 / 33 Document 03 / 5 pages ASSOCIATION DÉ L'ENFANT de la SOMME SERVICE D'ACTION EDUCATIVE Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action Éducative 80 - ABBEVILLE 83.240 ABBEVILLE, le 31 JAN 1991 COMPTE RENDU DES INTERVENTIONS O.A.E. du 05.08.1990 au 5.02.1991 pour Djamel O.A.E. du 17.12.1990 au 5.02.1991 pour Mohamed Concernant les jeunes : KHAÏBOUCHA Djamel né le 21 Juillet 1980 à AMIENS scolarisé à l'ESSORT à ABBEVILLE depuis Sept 1988 KHAÏBOUCHA Mohamed né le 5 Juin 1981 à AMIENS scolarisé en classe de perfectionnement d'ABBEVILLE Domiciliés : chez leurs parents : Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA - (80) ABBEVILLE Mesure ordonnée par : Mme TORET, Juge des Enfants près le Tribunal de AMIENS - Au titre de la Loi du 4.06.1970 Intervenants : - Laure SAUVET, Educatrice spécialisée - Robert DOUMIER, Psychologue Proposition du S.A.E. : Prolongation de la mesure éducative pour les deux enfants, Mohamed et Djamel KHAÏBOUCHA MOTIF DE L'INTERVENTION " Par ordonnance en date du 5 Août 1990, une mesure d'O.A.E. a été instituée à l'égard de Djamel KHAÏBOUCHA, frère de Mohamed, en raison des difficultés de comportement de ce dernier. Vu la note de situation du S.A.E. en date du 17 Décembre 1990, Mohamed rencontre des difficultés de comportement (mutisme important) et il existe des difficultés familiales ... " "Par requête en assistance éducative en date du 28 Juin 1990, Monsieur le Procureur de la République d'AMIENS nous saisissait de la situation de Djamel KHAÏBOUCHA à la suite d'une demande de l'I.M.E. L'ESSORT à ABBEVILLE dans lequel le mineur suit une scolarité spécialisée et faisant état de coups portés par Monsieur KHAÏBOUCHA sur son fils." A l'audience du 5 Août 1990, Monsieur KHAÏBOUCHA a reconnu être I'auteur des coups tout en précisant que le certificat médical dressé était exagéré. Il a précisé que son fils avait commis différents chapardages durant les trois derniers mois et cela l'avait énervé. Madame KHAÏBOUCHA a dit la même chose que son mari Monsieur KHAÏBOUCHA s'est déclaré favorable à l'institution d'un bilan éducatif, Madame KHAÏBOUCHA précisant que c'était son mari qui décidait. Djamel KHAÏBOUCHA est agressif, violent, méprisant depuis environ trois mois à l'I.M.E. l'ESSORT. Il a dû en être exclu à la suite d'un caillou envoyé dans le visage d'une éducatrice. II a commis de petits vols dans l'établissement et chez des voisins. Madame KHAÏBOUCHA n'a pas d'autorité sur lui. Monsieur KHAÏBOUCHA lui, a par ailleurs porté des coups au mois de Juin dernier, d'une violence excédant largement une correction infligée par un père à son fils (au moins cinq larges ecchymoses sur le dos). II semble que Djamel ait même émis le souhait de quitter le domicile familial alors qu'il est à peine âgé de 10 ans. Il se pose aussi des questions par rapport à sa mère qui vit en TUNISIE. II y a donc lieu d'instituer une mesure d'O.A.E. pour une durée de 6 mois confiée au S.A.E. HISTOIRE FAMILIALE & DONNEES BIOGRAPHIQUES Les données biographiques demeurent inchangées depuis notre note de situation en date du 17 Décembre 1990. Page 6 / 33 HISTOIRE FAMILIALE Monsieur KHAÏBOUCHA se marie en 1979 avec Madame KEROUAL en TUNISIE. Cette jeune femme est la sœur de l'épouse de l'un de ses frères. De cette union naît très vite Aziz le 14 Juin 1979 en TUNISIE. Le couple s'installe en France à ABBEVILLE et deux autres enfants naîtront rapidement. Djamel (l'intéressé) le 21 Juillet 1980 à ABBEVILLE et Mohamed (l'intéressé) le 5 Juin 1981 à ABBEVILLE. Une mesure d'O.A.E. est prononcée du 6 Juin 1983 au 6 Octobre 1983, suite à un signalement de l'hôpital dont nous ne connaissons pas le contenu. Monsieur KHAÏBOUCHA nous dira que ce signalement faisait suite aux mauvais traitements infligés par sa femme sur son fils Mohamed qui aurait eu une fracture de la clavicule. Il nous décrira sa première épouse comme une personne qui était incapable de s'occuper de la maison et de ses enfants. D'autre part, il l'incrimine d'être la cause des difficultés que rencontrent ses deux fils Djamel et Mohamed. Durant l'été 1983, Madame KHAÏBOUCHA part en TUNISIE accompagnée, semble-t-il, par un des frères de Monsieur laissant ses trois enfants à son mari. A cette époque, Monsieur KHAÏBOUCHA expliquera que ce départ devait leur permettre une mise au point et qu'il devait rejoindre sa femme dès qu'il serait en congé. Au niveau de ses enfants, il confie Aziz et Mohamed (l'intéressé) à un de ses frères habitant à l'époque DOLE (Jura) et Djamel (l'intéressé) à un autre frère demeurant à TOULON. Déjà, Djamel était décrit comme un enfant difficile et c'est une des raisons pour lesquelles son oncle ne souhaitait pas l'accueillir avec ses frères. Au retour des congés, seul Monsieur KHAÏBOUCHA revient de TUNISIE. Il annoncera qu'il a divorcé, car sa femme voulait reprendre "sa liberté" et que, d'autre part, il s'était remarie avant de revenir en FRANCE. A l'époque, notre service s'étonnera de la rapidité des procédures et Monsieur expliquera que selon la loi coranique il aurait pu se remarier sans pour autant divorcer. Cette nouvelle épouse n'arrivera en France que quelques mois plus tard, délai nécessaire pour les papiers et formalités administratives. Une fois, cette femme installée dans son appartement, Monsieur KHAÏBOUCHA reprendra ses enfants. Cette nouvelle épouse est très jeune (née le 19 Mars 1967). Quand elle arrive à ABBEVILLE, elle est âgée de 17 ans, se retrouve coupée de ses racines, de sa famille et a, en plus, la charge de trois enfants âgés de 4, 3 et 2 ans. Dès lors, Monsieur KHAÏBOUCHA fera porter à son ex-femme tous les maux et difficultés que ses enfants rencontrent (Djamel et Mohamed). Pendant toute cette mesure d'investigation, Monsieur KHAÏBOUCHA décrira sans retenue devant ses enfants les sévices qu'ils auraient eu à subir de la part de leur maman (châtiments corporels, enfermement, négligence, etc …), et par là même leur demandant toute gratitude à l'égard de leur belle-mère qu'il considère comme irréprochable dans l'éducation ceux-ci. DÉROULEMENT DE LA MESURE ÉDUCATIVE Lors de notre dernière note de situation du 17 Décembre 1990, nous faisions part au Magistrat de nos inquiétudes par rapport à ce que Djamel pouvait vivre dans son milieu familial, ainsi que son frère Mohamed. Comme nous le notions dans notre conclusion, nous avons rencontré une première fois l'A.S.E. le 27 Décembre afin de leur exposer cette situation dans l'objectif d'un accueil éventuel de Djamel en famille d'accueil. Une mesure d'O.A.E. a été étendue pour Mohamed afin d'évaluer la situation de cet enfant. Parallèlement, nous interpellions le P.F.S. qui ne pouvait pas répondre à notre demande faute de place. Une autre rencontre avec l'A.S.E. a eu lieu le 17 Janvier, afin d'affiner un éventuel projet d'accueil où en accord avec l'ESSORT nous pensons qu'il est nécessaire de maintenir la prise en charge de Djamel à l'I.M.E. Le 12 Janvier, nous nous sommes rendus au domicile afin d'échanger avec la famille de notre projet pour Djamel et des raisons qui ont motivé l'extension de la mesure à Mohamed. Ce jour là, Monsieur KHAÏBOUCHA était absent car il travaillait, seule Madame était là avec tous les enfants. Cette situation a permis à Madame KHAÏBOUCHA de s'exprimer avec néanmoins beaucoup de réserves, considérant que toutes les décisions sont à prendre et à réfléchir avec son mari. Page 7 / 33 Elle nous expliquera qu'elle était très jeune quand elle est arrivée en FRANCE et qu'au début c'était bien difficile avec les enfants mais surtout Djamel. Nous lui expliquons le projet que nous allons soumettre au Juge des Enfants pour Djamel et elle nous répond "Mon mari ne sera pas d'accord". Elle ne s'autorisera à aucun moment d'émettre un avis sur ce projet mais reconnaîtra seulement que quelques fois c'est très difficile avec les enfants. - LES INTÉRESSES Mohamed KHAÏBOUCHA Nous abordons en présence de Mohamed les raisons qui nous ont conduit à nous inquiéter aussi pour lui, son mutisme, ses difficultés scolaires, qui sont largement mises en avant par son père. Mohamed paraissait relativement absent pendant cet échange, sauf au moment où nous lui avons demandé des renseignements sur son école. Il a été capable de nous répondre et de nous donner le nom de son école et de son institutrice sans difficulté, ce qui nous a quelque peu rassuré sur "son mutisme". Madame KHAÏBOUCHA nous confirme les propos tenus par son mari à l'entretien précédent, à savoir la C.D.E.S. leur a proposé plusieurs établissements spécialisés où ils se sont rendus avec Mohamed mais aucun n'a pu le prendre en charge. Mohamed est donc scolarisé en classe de perfectionnement au Châtelet en Brie. Nous avons contacté deux des établissements préconisés afin de savoir où en était le dossier. - Ainsi, l'Institut de Rééducation de DOULLENS nous expliquera qu'il avait reçu un premier dossier en Septembre 1989, puis en Janvier 1990 mais qu'ils ont retourné celui-ci en Mai 1990 car ils n'avaient pas de place. D'autre part, l'assistante sociale nous déclare que personne, à sa connaissance, n'a rencontré la famille. - L'I.M.P. de l'OISEMONT De la même façon, l'assistante sociale nous dira que ce dossier est ancien et qu'il a été classé en Juin 1990. Par contre, Monsieur KHAÏBOUCHA s'était déplacé avec son fils dans le cadre de la procédure d'admission. Mohamed avait été vu par le Médecin Psychiatre de cet I.M.P. le 7 Mai 1990 qui avait noté : ! ! ! ! inhibitions scolaires majeures, structure dépressive, dépendance du milieu familial nécessaire, l'internat ne paraît pas indiqué, défenses toutes orientées contre une sorte de vécu dépressif. Au vu de cette conclusion, Mohamed n'a pas été admis. Depuis lors cet Établissement n'a pas été saisi d'un nouveau dossier. Par contre, le 10 Septembre 1990, Monsieur KHAÏBOUCHA réinterpellera cette structure car il voulait que Mohamed y soit interne. Le 18 Janvier 1991, nous rencontrons l'institutrice de Mohamed : Nous avons été étonné de voir Mohamed avec autant de "tonus" au moment de la sortie de l'école. Il chahutait avec des camarades et paraissait tout à fait tonique. L'institutrice a pris ses fonctions à la rentrée 1990/91, donc ne connaissait pas Mohamed. Néanmoins, sur son dossier scolaire, sa collègue lui avait laissé des notes et notamment des craintes quant à une suspicion de mauvais traitement infligés par le père. En Septembre, l'institutrice nous dira que Mohamed était un enfant assez sauvage, ne regardait pas son interlocuteur, pleurnichait chaque fois qu'un camarade l'ennuyait. Depuis lors, elle trouve qu'il a mûri. Maintenant, quand on lui demande directement de répondre, c'est moins difficile, il ne se laisse pas ennuyer par les autres sans réagir. Il est dans cette classe depuis la rentrée de Septembre 1990. Sur le plan purement scolaire, la directrice, qui connaît Mohamed depuis plusieurs années, trouve qu'il a régressé. - II sait reconnaître le même mot dans différents textes, repère bien les horaires simples ne connaît pas les jours de la semaine reconnaît quelques lettres de son prénom. Page 8 / 33 Depuis la rentrée, Mohamed s'est lié d'amitié avec un camarade de classe, ce qui semble le stimuler. D'autre part, l'institutrice nous dit que les autres enfants de la classe ont pris en compte ses difficultés et sont beaucoup plus patients et gentils avec lui. Djamel KHAÏBOUCHA Le 21 Janvier, nous rencontrions Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA à notre Service en présence de Monsieur DOUMIER, Psychologue du S.A.E. afin d'exposer à la famille les propositions que nous allions faire au Magistrat en ce qui concerne Djamel. Monsieur KHAÏBOUCHA est opposé avec ce projet, considérant qu'il a tout fait pour garder ses enfants avec lui en ramenant une femme pour s'occuper d'eux car leur mère en était incapable. Il exprime que maintenant avec Djamel les relations sont bonnes. Pour ce faire, il nous donne un exemple : - Pendant les vacances de Noël, Monsieur KHAÏBOUCHA fait un "marché" avec son fils, moyennant une somme d'argent, à savoir Djamel devait rester assis sans bouger pendant une heure et demi, ce qu'il a respecté. Pour Monsieur, ceci est la preuve d'un changement chez son fils. Pendant l'entretien, il pointe sa femme comme responsable de notre proposition car elle ne sait pas "aimer" son fils. Madame KHAÏBOUCHA se faisait "toute petite", ne pouvant s'autoriser à prendre la parole. Monsieur l'accuse de ne pas savoir s'occuper de Djamel alors que s'il l'a ramenée en France c'était pour prendre en charge ses trois enfants. Il ne veut rien entendre des difficultés pour cette jeune femme de s'être retrouvée mère de famille de trois enfants du jour au lendemain et coupée de ses racines. On peut penser que pour Madame KHAÏBOUCHA, l'enjeu est très grand car se retrouvant la mère de Kader, elle a tout à craindre d'un sort similaire à la première épouse de son mari, ce qui l'éloignerait de son fils. Il nous semble que Monsieur KHAÏBOUCHA, sous un discours libéral à l'endroit de sa femme, lui impose sa volonté. L'exemple de sa première épouse qui se retrouve isolée en TUNISIE, sans aucune relation avec ses enfants sauf quand Monsieur le décide, est certainement une menace tangible pour cette deuxième épouse et mère d'un petit garçon. Une prochaine rencontre avec l'ESSORT est prévue le 27 Janvier 1991. COMPTE RENDU PSYCHOLOGIQUE (Robert DOUMIER, Psychologue) - Concernant la famille KHAÏBOUCHA : Djamel est un enfant en souffrance qui s'exprime autant par les actes que par la parole en étant très conscient de ce qu'il vit et fait : il fait "des bêtises" pour qu'on s'occupe de lui eu égard à son impossibilité à se faire accepter par une mère, que ce soit sa mère réelle dont il ne se souvient que de la violence à son égard, ou de sa belle-mère qui, sans être aussi violente, le refuse affectivement. Il fait tout pour fuir la relation ou provoquer le rejet mais on sent derrière ce comportement une grande quête affective. Monsieur KHAÏBOUCHA parait très démuni dans tout ce qui concerne l'expression des sentiments : il ne connaît que le langage de la volonté et de la force, voire de la violence, aussi bien envers, ses enfants qu'envers ses femmes (ce qui explique probablement les réactions de rejet que peuvent avoir celles-ci envers les enfants). Il fonctionne de façon assez paranoïde jetant constamment les torts sur autrui (mère, femme, institutions pour éviter toute remise en question personnelle. Sa bonne volonté pour coopérer n'est qu'apparente et il n'est plus venu lorsque nous lui avons proposé un travail d'implication et de réflexion autour des difficultés de Djamel. Madame KHAÏBOUCHA est une femme très jeune, dépendante de Monsieur, brutalement transplantée et placée en position de mère de trois enfants à 17 ans. Elle ne peut manifestement rien s'autoriser à exprimer de ses difficultés de peur des représailles (menaces d'être répudiée comme la première femme). La mesure d'investigation débute pour Mohamed et il est trop tôt pour en tirer des conclusions mais il semble que, si l'enfant réagit différemment de Djamel, par l'inhibition au lieu de l'explosion, les difficultés relationnelles avec les parents soient les mêmes. Robert DOUMIER Psychologue Page 9 / 33 CONCLUSION Au vu de tous les éléments recueillis au cours de notre investigation, nous pensons qu'une séparation de Djamel avec son milieu familial est nécessaire. Séparation qui est refusée par le père car elle est pour lui, semble-t-il, le constat d'un échec dont seule sa femme (deuxième épouse) serait responsable. Par deux fois nous avons rencontré l'A.S.E. afin d'exposer les difficultés de Djamel et sa capacité à reproduire sa problématique de maltraitance qui peut induire un rejet. En ce sens une famille d'accueil sur AMIENS semble, d'après l'A.S.E., répondre à ce type d'enfants afin qu'une prise en charge à l'ESSORT soit maintenue. Nous proposons donc l'accueil de Djamel dans une famille de l'A.S.E. dans le cadre de l'audience. Monsieur KHAÏBOUCHA ainsi que sa femme sont informés de notre proposition au Magistrat ; proposition qui a été travaillée en collaboration avec l'A.S.E. et l'ESSORT. Nous souhaitons la poursuite de notre intervention pour Djamel afin de soutenir le projet. En ce qui concerne Mohamed, notre investigation est encore bien trop courte pour proposer un projet et souhaitons continuer notre O.A.E. ABBEVILLE, le 28 Janvier 1991 Laure SAUVET, Éducatrice Spécialisée P/ le Directeur, Sophie LAURENT, Chef de Service Éducatif Page 10 / 33 Document 04 / 2 pages ASSOCIATION DE L'ENFANT de la SOMME Service d’Action Educative Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action, Éducative 80 - ABBEVILLE 83-240 ABBEVILLE, le 06 JUIN 1991 NOTE DE SITUATION AEMO du 05.02.1991 au 05.08.1991 - PE Concernant : KHAÏBOUCHA Djamel Né(e) le : 21 Juillet 1980 Mesure ordonnée par : Madame TORET, Juge des Enfants à AMIENS - Au titre de la loi du 04.06.1970 Intervenant(s) : - Laure SAUVET, Educatrice Spécialisée - Pierre PARIS, Educateur Spécialisé DJAMEL se met en "danger de mort" depuis maintenant plusieurs mois et aucun discours éducatif ne peut être accessible pour cet enfant. La Maison de l'Enfant se trouve très en difficulté face à cet enfant, qu'ils ne peuvent pas contenir et sont obligés de protéger les autres enfants du groupe et de l'institution. Devant le manque de réponses face aux passages à l'acte de Djamel, capable de courir sur les routes, grimper sur les poteaux électriques, se sauver par les fenêtres, sauter sur les toits des voitures... nous avons accompagné cet enfant en désespoir de cause à l'hôpital d'AMIENS en espérant trouver une réponse médicale (CF note du 05 Avril 1991). Un autre rendez-vous était prévu avec le Docteur FRANÇOIS, le 05 Avril à 10 heures à AMIENS. Quand nous sommes arrivés à La Maison de l'Enfant, le Mardi 05 Avril à 8 h 45, Djamel présentait des traces sur le visage (griffures assez larges sous l'œil traces de morsure sur la joue et traces de griffures dans le cou). Ces marques nous ont inquiétés, d'autant que Djamel revenait de week-end en famille. Avant notre arrivée, Djamel souhaitait téléphoner chez lui afin d'avoir un échange avec sa famille. Madame KHAÏBOUCHA lui raccroche au nez. Au moment de partir à AMIENS, Djamel s'enfuit de La Maison de l'Enfant et deux éducateurs arrivent à l'intercepter et à le faire monter dans la voiture. Devant l'état d'excitation de l'enfant, nous tentons de négocier avec lui sur deux possibilités - soit il arrive à se calmer et nous l'accompagnons sur AMIENS en consultation pour rencontrer le Docteur FRANÇOIS, pédo-psychiatre, - soit il ne peut pas, car il est trop mal et nous l'accompagnons aux urgences d'AMIENS. De ces deux alternatives, Djamel choisit la première. Or, dès que nous avons pris la route, il s'est mis à jeter des coups de pied dans tous les sens, voulant ouvrir la portière en marche. Comme aucune parole ne semblait l'apaiser, nous prenons la direction de l'hôpital d'AMIENS et stoppons la voiture. Là, Djamel nous promet de ne plus avoir ce type de débordement, et nous demande d'aller à sa consultation, ce que nous acceptons et lui précisons que nous prendrons aucun risque qui pourrait soit le mettre en danger de part son attitude ou mettre en péril la sécurité des personnes en voiture. Sur la route, Djamel paraissait se contenir, mais nous sentions qu'à tout moment, il était prêt à exploser. Nous avons dû stopper la voiture, une nouvelle fois, sur le trajet. Arrivés à la consultation, le Docteur FRANÇOIS préconise une hospitalisation qu'elle ne peut mettre en place par manque de lits. Elle augmente le traitement de Djamel afin qu'il soit plus apaisé et que la parole puisse avoir un sens pour l'enfant. Elle nous envoie dans un autre service, afin que Djamel puisse subir un électroencéphalogramme pour s'assurer qu'il ne souffre pas d'épilepsie. Dans ce service, Djamel "explosera" dans tous les sens, courra partout, monte et descend des ascenseurs, injurie toutes les personnes essayant de le contenir avec des passages à l'acte (coups de poings, coups de pieds...). Étant dans l'impossibilité de le rattraper, deux personnes de la sécurité ramènent Djamel, et tentent de le raisonner. II accepte l'EEG qui se déroule à peu près normalement. A la fin de cet examen, de nouveau Djamel "explose" et s'enfuit. Deux infirmiers psy. récupèrent l'enfant et le raccompagnent au service pédo-psy où il sera vu par un interne dans le cadre d'une urgence. Ce médecin administre 10 gouttes du traitement à Djamel, afin de l'apaiser et nous assure qu'avec ce médicament, l'enfant devrait se calmer et que nous pourrions le raccompagner à La Maison de l'Enfant sans difficulté. Au bout d'une demi-heure, le service pédo-psy d'AMIENS nous laisse repartir avec Djamel. Page 11 / 33 A peine sorti du service, mais dans l'enceinte de l'hôpital, Djamel s'enfuit et nous ne pouvons l'arrêter. Là, les infirmiers et les médecins étaient très inquiets et alertent tous les services afin de le retrouver. Pendant ce temps, nous allons faire une déclaration de fugue au commissariat. L'inquiétude, allant grandissante, car cet enfant se met en danger (voire danger de mort), Djamel est retrouvé dans l'hôpital. Une nouvelle consultation avec le Docteur FRANÇOIS a lieu, il adresse l'enfant à MOREUIL, afin qu'une solution d'hospitalisation soit trouvée. Le transport se fait en ambulance où Djamel s'est mis à craquer et pleurer, réclamant "sa vraie maman". A MOREUIL, le psychiatre est très surpris de notre arrivée, car ce service est un service d'adultes et elle ne peut pas réponde à la demande de son confrère. Néanmoins, elle préconise des soins pour cet enfant et nous renvoie en ambulance à AMIENS pour une hospitalisation. Nous prenons contact avec le Tribunal pour Enfants qui donne son accord pour une OPP dans ce service, pour une hospitalisation, mais qui ne peut faxer cette ordonnance, vue l'heure tardive. Pour autant, ce papier devait parvenir dès le lendemain matin. Arrivés à la AMIENS à 20 h 30, les différents médecins pédo-psy que nous rencontrons refusent de prendre l'enfant, considérant qu'il ne relève pas de leur service, qu'il fallait envisager de faire suivre Djamel avec les pédo-psy de notre secteur. Djamel était épuisé de toutes ces consultations, discours contradictoires des différents médecins. A 21 h 30, nous repartons au Foyer de l'Enfance avec Djamel, sans solution. Suite à cette journée infernale, Djamel semble avoir compris notre détermination à stopper ces passages à l'acte et notre impuissance à trouver une solution. Même dans un mal-être extrême dans l'enceinte de l'hôpital, où Djamel a été contenu pendant plusieurs heures par la présence d'un infirmier psy., il n'y a pas eu d'autres réponses. Fort de cette expérience, on peut penser que pour l'enfant, il en ressort un sentiment de toute puissance, où rien, ni personne ne peut le stopper, ce qui ne fait qu'accroître son malaise et engendre des comportements de plus en plus suicidaires. Durant quelques jours, Djamel était plus apaisé, mais on peut penser qu'il était épuisé, pour très vite remettre en place des passages à l'acte de plus en plus graves. Un séjour de vacances a pu se mettre en place à AIX EN PROVENCE pour 15 jours. Aux dires d'un éducateur que nous avons eu au téléphone, la première semaine a été extrêmement difficile et ils avaient évoqué d'interrompre le séjour. Or, Djamel a pu trouver sa place et le projet a pu se maintenir. Le rapport de comportement de cette structure, voire ci-jointe, est nettement moins optimiste que ce que l'on nous avait laissé entendre. Dès son retour, Djamel a réadopté des comportements qui le mettent en danger de mort et mettent en péril les autres enfants. II semblerait que Djamel fugue maintenant, non plus pour aller à ABBEVILLE chez son père, mais s'est lié avec les adultes SDF d' AMIENS, qui lui feraient subir toutes sortes de mauvais traitements (abus sexuels ?), l'utiliserait pour s'approvisionner des boissons alcoolisées, etc... D'autre part, il aurait été vu à plusieurs reprises sur les voies ferrées à la gare de AMIENS, se mettant devant les trains à grande vitesse et courant au dernier moment. Cette situation ne peut pas durer, Djamel est en réel danger. Nous avons interpellé plusieurs structures : - COURTEPAILLE, pas de place avant Septembre 1992, - CLAIREFONTAINE, pas de place dans l'immédiat, ne peuvent pas nous donner de date. La Maison de l'Enfant a obtenu une réponse négative d'un projet d'accueil à moyen terme à AIX EN PROVENCE. Une piste est en cours d'exploitation à FLIXECOURT et Madame Françoise MATRIER, Médecin Psychiatre du SAE est en discussion avec l'hôpital de NOUVION, pour une éventuelle hospitalisation. Aujourd'hui, ces passages à l'acte sont tels qu'aucune structure éducative n'est à même de contenir cet enfant. Djamel est aujourd'hui beaucoup moins en danger chez lui qu'il ne peut l'être dans une structure. On peut penser que la séparation d'avec son milieu familial, du fait de toute l'ambiguïté du père est synonyme pour Djamel de "mort". La moins mauvaise solution parait être aujourd'hui le maintien au domicile des parents, tout en sachant que ce retour mettra Madame KHAÏBOUCHA dans une position extrêmement difficile. Elle ne peut plus supporter le comportement de cet enfant. Nous proposons la mainlevée du placement à La Maison de l'Enfant. ABBEVILLE, le 03 Juin 1991 Laure SAUVET, Educatrice Spécialisée Pierre PARIS, Educateur Spécialisé Page 12 / 33 Document 05 / 1 page ASSOCIATION DÉ L'ENFANT de la SOMME Service d’ Action Educative Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action Éducative 80 - ABBEVILLE 83.240 ABBEVILLE, le 06 JUIN 1991 A l'attention de Madame le Juge des Enfants - ABBEVILLE NOTE ADDITIVE A LA NOTE DU 6 JUIN 1991 A.E.M.O. du 5.02.1991 au 5.08.1991 - PE Concernant le jeune : KHAÏBOUCHA Djamel Né le : 21 Juillet 1980 Intervenants : Françoise MATRIER, Médecin Psychiatre Djamel KHAÏBOUCHA Nous avons rencontré Djamel KHAÏBOUCHA il y a quelques mois alors qu'il manifestait déjà son refus d'être placé dans une famille d'accueil. A l'époque, nous avons fait savoir à Monsieur KHAÏBOUCHA que nous pensions que Djamel sentait l'ambivalence de son père quant à ce projet de séparation et qu'il le manifestait par ces retours réitérés dans la maison familiale. Depuis, nous n'avons plus rencontré Djamel ni son père mais nous avons été informée des difficultés majeures que Djamel rencontrait. Il est certain qu'actuellement la situation d'agitation autour de cet enfant ne fait qu'aggraver les symptômes présentés par ce dernier. Il serait urgent que cela cesse. Peut-être faudrait-il envisager sérieusement organiser une hospitalisation de Djamel en milieu spécialisé afin de le mettre à l'abri de lui-même et de l'agitation incessante et confuse qui règne autour de lui. Dans ce sens, nous avons personnellement pris contact avec le service de NOUVION qui n'a actuellement pas de place. Françoise MATRIER Page 13 / 33 Document 06 / 1 page CONSEIL GENERAL DE LA SOMME MAISON DE L'ENFANT MAISON DE L'ENFANT 80 - AMIENS DATE : 20 mai DESTINATAIRE : Mme SAUVET - S.A.E. EXPÉDITEUR : MAISON DE L'ENFANT OBJET : RAPPORT de comportement concernant Djamel KHAÏBOUCHA - 80 AMIENS Le 8 mai 1991 - Séjour du 9 au 24 Avril 1991 Djamel est arrivé le 9 Avril, pour un séjour de quinze jours. Son séjour peut se diviser en deux périodes caractérisées par deux types de comportements. - Première période: Djamel nous a fait part dès son arrivée de son désir de ne pas rester. Il a immédiatement mis en jeu une fugue ; il est parti à travers champs sous la pluie, voyant que nous le poursuivions pas, il s'est roulé dans la boue et en a mangé. Nous l'avons baigné, il est ressorti fuyant sur la route et est monté en haut d'un pylône électrique. Durant cette première semaine, Djamel nous a montré son répertoire de "comportements psychotiques". Nous l'avons constamment surveillé. Les autres enfants du groupe ont été impressionnés dans un premier temps et n'ont pas cherché à l'intégrer, ils ont fait bloc pour se protéger. Djamel préfère les jeux vidéo parmi toutes les activités proposées. Nous avons exigé qu'il fasse du vélo et des jeux d'extérieur. Djamel crée un climat de tension et d'excitation se servant des animaux comme "bouc émissaire" (il les martyrise). Ce qui nous a conduit à intervenir d'une façon musclée. Cette intervention a permis de stopper sa montée dans la provocation et a modifié ses comportements. Dans un même temps, nous lui avons offert une peluche qui avait pour rôle de l'apaiser. - Deuxième période : Djamel a amélioré ses comportements : il fuguait mais revenait, il montait au pylône mais descendait, il prenait les clés de la maison ou des véhicules mais les rendait .... Il était plus sociable avec les autres. Si certains comportements ont un peu évolué c'est grâce à une énergie permanente. Cependant sa structure psychique est la même. CONCLUSION : Nous pensons que pour ce jeune, une structure spécialisée type "FLIXECOURT" avec une équipe composée de psychanalystes serait appropriée. Notre lieu de vie s'est orienté vers une population type "cas sociaux" vers des objectifs d'insertion scolaire ordinaire ou professionnelle. Le fonctionnement de l'équipe et le milieu sont adaptés à ce type de prise en charge. La prise en charge de Djamel nécessiterait de nombreuses modifications. L'équipe éducative. Page 14 / 33 Document 07 / 4 pages RAPPORT D'EXPERTISE EXAMEN PSYCHIATRIQUE Dans le cadre de la mesure d'assistance éducative suivie à l'égard de : Djamel KHAÏBOUCHA né le 21/07/1980 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE AMIENS / Cabinet du Juge TORET - n° : 00/000 (assistance éducative) Le médecin soussigné : Dr J.M. DRAPIER, Psychiatre des hôpitaux Expert près la Cour d'Appel de AMIENS commis par Ordonnance de M. TORET, Juge d'Instruction au TGI de AMIENS en date du 25/01/1992 afin de : • procéder à l'examen mental du jeune : Djamel KHAÏBOUCHA et de : répondre notamment aux questions suivantes : * procéder à l'examen somatique comprenant, outre les pronostics d'évolution, la mention des contre-indications intéressant notamment l'activité professionnelle et la pratique des sports ; * dire si au vu des examens auxquels il sera procédé, il existe des facteurs bio-physiques, neuro-psychiques et d'environnement de nature à favoriser ou à expliquer l'inadaptation du mineur et si les anomalies constatées semblent de nature à faire considérer le mineur comme en état de démence ; * préconiser les traitements médical ou psychologique de nature à favoriser la réadaptation de ce mineur. certifie avoir étudié le dossier, examiné le sujet, s'être entouré de tous renseignements utiles et avoir consigné le résultat des investigations dans le présent rapport qu'il affirme sincère et véritable. Fait à AMIENS, le 15 Avril 1992 I - LE PROBLÈME Nous avons rencontré le père M. Farid KHAÏBOUCHA le 27 Mars 1992 puis le fils Djamel accompagné d'un éducateur du Foyer Educatif de FREVENT le 31 Mars 1992. Le père expose longuement le problème : «ça commence quand même à la naissance. Il est né en pleine forme mais le biberon déjà difficile. Il criait, il ne tenait pas en place... retard de langage... Il courait à droite à gauche... A l'école, en Maternelle, pas d'attention, il courait, il criait, impossible de le tenir... Ensuite, ça n'a plus été du tout : bêtises sur bêtises ...des colères ...des violences... on l'a renvoyé de l'école... rien ne marche avec lui... J'en ai eu marre et je l'ai corrigé, il leur a montré son dos à l'ESSORT ; c'est pour ça qu'on l'a mis au Juge des Enfants ... Tout ce qu'on essaye avec lui ça rate...» C'est donc un enfant qui a montré -depuis son plus jeune âge- des retards et dysfonctions dans les divers aspects de son développement, avec une inadaptation radicale. Il convient ici de rechercher d'éventuels facteurs biophysiques, psychiques et d'environnement, en cause dans l'inadaptation du mineur et dire si les anomalies éventuellement constatées semblent de nature à faire considérer le mineur comme en état de démence ; enfin de préconiser le traitement médical ou psychologique qui favorise la réadaptation de ce mineur. II- ELEMENTS FAMILIAUX Djamel KHAÏBOUCHA est né le 21/07/1980 à AMIENS. Il est de famille musulmane d'origine tunisienne. La fratrie : Il est le cadet des trois premiers enfants du père nés d'un premier lit de celui-ci : Page 15 / 33 1. Aziz, 12 ans au CES en sixième : «ça marche» ; 3. Mohamed, 10 ans : «il est en foyer avec Djamel ; il n'arrive pas à suivre à l'école, il est bloqué. Il est en classe de perfectionnement». 4. Kader, âgé de cinq ans est né de la belle-mère. Le père est divorcé de la mère, remarié. Les parents : La mère : La mère Soraya KEROUAL est repartie en TUNISIE, son fils cadet Djamel avait trois ans ; elle a refait sa vie et aurait eu d'autres enfants : «je ne l'ai plus jamais revue». Le discours de Djamel exprime une rancoeur tenace, une dévalorisation sévère de la mère : «mon frère déteste ma mère et moi aussi. Elle a fait des choses qu'elle n'a pas le droit de faire. J'avais vu. Je me souviens. Ma mère buvait de la bière et elle couchait avec des hommes, elle partait avec des hommes quand mon père n'était pas là ...». Le père : Il est la référence familiale. L'attachement de Djamel paraît assez fort. Il a une bonne image de son père. De son père, Djamel explique : «j'ai peur de lui, c'est vrai. Mais je veux rester chez mon père. Quand je fais des conneries, il me donne des corrections. C'était avant, là : c'est fini. Je veux continuer à aller chez moi». Il revient chez son père un week-end sur deux. Le contexte familial : Le père a refait sa vie. Il vit avec la dame K. Zouba dont il a eu le jeune Kader âgé de cinq ans. Le foyer familial est installé dans un F4 avec les conforts nécessaires. Vivent au foyer outre les parents, le jeune Kader, le frère aîné Aziz; le week-end arrivent les deux autres. Le parcours de Djamel a été le suivant : * jusqu'à trois ans avec ses parents ; * avec son père et une belle-mère jusqu'à cinq ans ; Depuis, il est en placement : * placé à Airaines en internat : deux ans : son père remarque : «il y avait beaucoup d'enfants handicapés et Djamel était d'un meilleur niveau : on a cherché un autre établissement avec l'assistante sociale». * placé à l'ESSORT à Abbeville : «deux ans bien et la troisième année, ça n'allait plus, bêtises sur bêtises et des colères sur un éducateur; il a jeté un caillou sur une des maîtresses, il s'est fait renvoyer». * chez le père pendant deux semaines : «il a cassé la porte d'une maison pour entrer voler; c'est les gendarmes qui me l'ont ramené; il était encore à l'ESSORT, je l'ai corrigé». * Maison de l'Enfant : mais fugues répétées pour revenir chez le père... * alors placé au Foyer Éducatif de Frevent avec un week-end sur deux chez le père. Page 16 / 33 Évolution de la situation : Pour le père : «pendant quatre mois il a été bien, et d'un seul coup : une connerie, une chaise dans une portière de voiture, et des menaces sur une maîtresse» ; mais, dit le père : «il s'améliore maintenant». Pour l'intéressé : «la scolarité, ça va maintenant dans ce Foyer» et d'envisager : «l'arrêt des bêtises...». III- EXAMEN Sur le plan physique : Djamel KHAÏBOUCHA est un garçon de presque 12 ans, de taille moyenne, de quelques 42 Kg et 1m 45, droitier homogène avec une force musculaire conforme à son gabarit, normalement agile et habile, indemne de tous handicaps invalidants. Il pratique des sports : boxe et judo le lundi. Il est en bonne santé. Il a une dent cassée : «il y a très longtemps, on m'a lancé une pierre méchamment». Ses antécédents médicaux sont banals, ni opération ni maladie (en dehors des saisonnières), ni traumatisme notables, nul trouble-affection-maladie d'ordre neuro-cérébral ni méningite ni épilepsie ni choc crânien. Il nie toutes expériences d'ordre toxicophile. Il signale qu'il reçoit une médication régulière. Il est mis sous neuroleptique sédatif : du Melleril, à la dose de : Dix gouttes par jour. Sur le plan psychique: C'est un garçon à la présentation correcte, plutôt calme et d'apparence détendue, mais sa réactivité est à portée de contradiction. Il faut toute une stratégie de mise en confiance. Plusieurs éléments sont aisément repérables. Il est de bon contact, syntone dans la relation et le dialogue, sans nulle distorsion ou bizarrerie émotionnelle. Il parle bien, langage normal et bien articulé, un vocabulaire assez différencié et une syntaxe correcte et adaptée, pour une expression claire de sa pensée. Il ne montre nul trouble de la compréhension, bonne réactivité psychique. Il est bien orienté sur un plan temporo-spatial et maîtrise assez bien l'essentiel de son parcours autobiographique. Sa mémoire est correcte sur ce plan tout au moins. Il est présent à l'échange, attention soutenue à toutes nuances de nos questions et concentration efficiente. Il ne présente nulle anomalie de ses facultés mentales de base. Pourtant ses acquis scolaires sont très précaires : nulle opération arithmétique avec retenue n'est acquise, la table de multiplication n'est pas retenue, l'orthographe dramatique ; le niveau acquis est quasi-nul, alors que son potentiel intellectuel lui eût permis un meilleur parcours. Manifestement, il y a eu une problématique de refus de tous efforts scolaires. Il raisonne bien, suit ses idées clair et cohérent dans une bonne continuité thématique, ni préoccupation ou pensée parasite, ni distraction excessive, ni obsession névropathique ni idée délirante. On ne relève nul trouble proprement psychiatrique de type psychotique ou psycho-organique. Le problème est ailleurs. L'attitude générale de Djamel est plutôt correcte, pas de troubles marqués du caractère, pas de bravade ni prestance ou manifestation agressive mais une certaine réactivité sthénique qui traduit un vécu problématique et une personnalité fragile, en souffrance, certains troubles de la personnalité. On saisit d'abord qu'il est sensitif très vigilant à ne rien laisser dire ou penser qui écorcherait son image. Il se montre généralement peu loquace, mais s'anime par moment dans des longs développements défensifs, comme inquiet de sa propre image. Son discours est fait alors de revendications ou de rancoeurs, il n'a pas de mots assez critiques contre sa mère, contre tel ou tel éducateur ou maîtresse, contre tels ou tels de ses camarades. Il tient une position de Page 17 / 33 victime. Il a parfois cette ironie acerbe à se situer comme mal-aimé : «je ne veux pas leur dire : aimez-moi» ou «c'est pas à moi à leur dire qu'ils peuvent m'aimer». Il a manifestement une tendance à l'interprétation péjorative des occurrences de l'autre sur fond d'attente négative avec sentiment flottant d'hostilité. Son attitude friserait alors la persécution mais sa conviction n'est pas assurée sur tel rejet ou vexation présumés dont il serait l'objet. Il anticipe, pour se rassurer, ce rejet, provoque ou teste l'attachement de l'autre à son égard : véritable angoisse abandonnique issue de l'abandon par sa mère et réactualisée dans l'abandon par son père, qui l'aurait fait placer et le maintiendrait en placement. IV- DISCUSSION et CONCLUSION C'est donc un enfant qui a montré -depuis son plus jeune âge- des retards et dysfonctions dans les divers aspects de son développement, avec une inadaptation radicale. Djamel est à douze ans : un garçon au développement physique normal en bonne santé, indemne de troubles affections ou maladies qui aient une quelconque incidence sur ses conduites. Il n'a nulle pratique toxicophile. Sur le plan psychique, il a un niveau intellectuel dysharmonique d'un niveau global de débilité légère, mais l'échec scolaire radical répond d'une dysfonction plus spécifique sur le plan éducatif. Il souffre d'une angoisse abandonnique majeure qui se traduit par cette tendance à une interprétation péjorative des attitudes de l'autre à son égard, sur un fond d'attente négative, avec sentiment d'hostilité et réactivité caractérielle impulsive. C'est une véritable angoisse abandonnique issue de l'abandon par sa mère et réactualisée dans l'abandon par son père qui l'aurait fait placer et le maintiendrait en placement. Il n'a d'explications à ses exactions que dans une telle interprétation péjorative des attitudes reçues de l'autre à son égard. C'est là : un trouble basal de sa personnalité dont les accès-manifestations caractériels sont des avatars directs. Il est aujourd'hui sous une double menace -soit le double écueil à tous projets psycho-éducatifs le concernant- avec d'une part : la dérive psychopathique de sa personnalité, dans les passages à l'acte répétitifs, d'autre part : les accès dépressifs, les deux modalités d'expression de la personnalité abandonnique. En son état actuel il ne relève pas d'autres soins psychiatriques : la médication sédative en cours est nécessaire et bien entendu un suivi psychologique s'imposera, mais il s'agit de déterminer la structure d'accueil car il paraît contre-indiqué de proposer un simple retour au domicile familial. En Conclusion : Dans un tel contexte, un projet éducatif nécessite une double perspective : rassurer contre le sentiment abandonnique tout en en limitant les avatars psychopathiques. Il conviendrait aussi de le satisfaire au plan de ses réquisitions narcissiques de compensation, donc saisir au plus près ses souhaits quant à la formation professionnelle à lui proposer. Il exprime des souhaits de métiers : «les animaux, chiens, chats, chevaux...» ; il s'enthousiasmerait sur les métiers correspondant d'élevage... «ou bien: serveur de restaurant ...», ou enfin une activité de plein air : «une activité de jardinage». Il souhaiterait ne pas s'éloigner de sa famille soit en externat. Il ne retient nulle autre perspective. Il saisit les difficultés d'intégrer l'ensemble de ses souhaits dans un même projet. Il conviendrait de lui proposer une Institution (dans la Somme avec retour le week-end au foyer familial) qui permette une formation scolaire-professionnelle et à la fois un suivi psycho-éducatif. Fait à AMIENS, le 15 Avril 1992 - Dr J.M. DRAPIER Page 18 / 33 Document 08 / 4 pages EXPERTISES MEDICO - PSYCHOLOGIQUES Concernant : KHAÏBOUCHA Djamel né le 21 Juillet 1980 KHAÏBOUCHA Mohamed né le 5 Juin 1981 Demeurant : Foyer de Frévent (80) Adresse du père : 80 - ABBEVILLE Expertises demandées par : Madame TORET, Juge des Enfants, TGI de AMIENS Mission : en date du 25 janvier 1992 Experts : - Mme H. METRIO, psychologue - Dr. B. ROBERT, médecin généraliste Certifions avoir examiné les sus-nommés, consulté le dossier, recueilli tous renseignements utiles, et de ces opérations, effectuées personnellement, avoir consigné les résultats dans le présent rapport certifié sincère et véritable. Il nous est demandé de procéder à l'examen médical et psychologique des deux frères, Djamel KHAÏBOUCHA et Mohamed KHAÏBOUCHA. - Dire s'ils présentent des troubles ou des déficiences physiques ou psychiques susceptibles d'influencer leur comportement, et, si les troubles ou déficiences constatés rendent nécessaires une mesure de protection, de sauvegarde ou de rééducation particulière, ou s'ils entraînent des contre-indications professionnelles ou autres ; - Faire connaître les caractéristiques, les aspects particuliers et l'histoire de leur personnalité, les circonstances et les conditions qui ont influé sur la formations de celle-ci, les mobiles intellectuels et les motivations qui Inspirent habituellement leur conduite. ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES ET FAMILIAUX fournis par : - entretien avec l'éducateur qui accompagne les enfants. - entretiens avec les enfants. - lecture du dossier. II convient tout d'abord de souligner combien nous avons été gênés, dans l'accomplissement de l'expertise, par l'absence de synthèse des éléments d'informations biographiques et familiales dans le dossier, alors que les enfants KHAÏBOUCHA sont connus de longue date des services éducatifs et judiciaires. Par ailleurs, l'objectif de ces examens, médical et psychologique, demandés par le Juge des Enfants, en Assistance Éducative, par le moyen d'une expertise, n'apparaît pas de façon claire, tant dans la mission que dans le dossier. II semble que ce soit le Foyer où sont placés les deux frères depuis septembre 1991, qui ait demandé au Juge des Enfants un tel bilan, faute d'informations suffisamment étoffées lors de l'accueil de ces derniers, et compte tenu des problèmes de comportement et d'adaptation qu'ils soulevaient. Les enfants KHAÏBOUCHA Djamel et Mohamed ont été examinés au TGI de AMIENS le 21 mars 1992. Ils étaient accompagnés d'un éducateur du Foyer Éducatif de Frévent, où ils sont placés depuis le 14 septembre 1991. II s'agit d'une famille d'origine tunisienne, mais nous ignorons depuis quelle date elle est installée en France. Le père : Farid KHAÏBOUCHA, a divorcé en 1982 et a obtenu la garde des enfants. Les enfants ne savent pas sa profession, excepté "qu'il fait des câbles". La mère : Soraya KEROUAL, vivrait en TUNISIE. Elle est présentée comme une "mauvaise mère" selon les propos de Djamel : "elle nous a pas élevés, elle fumait, elle buvait, elle couchait avec des hommes, mon père la cherchait partout..." Page 19 / 33 De ce couple sont issus - Aziz, né le 14 juin 1979 en TUNISIE. - Djamel, né le 21 juillet 1980. - Mohamed, né le 5 juin 1981. Le père aurait divorcé en TUNISIE et serait revenu marié, en 1983, avec une jeune femme, belle-mère actuelle des enfants. Nous ignorons son nom. Le couple a eu un enfant : Kader, né le 17 juin 1986. La famille vit à ABBEVILLE. C'est en 1983 que l'on trouve trace du premier signalement semble-t-il (PMI et hospitalisation). Le premier placement des enfants est effectué à LA PRAIRIE (1986-89), puis se succèdent accueil à l'IMP de l'ESSORT (septembre 1988), à Oisemont du 5 août 1990 au 7 décembre 1990 : les deux enfants sont "refoulés" par l'Institution qui prétend ne pas pouvoir les "gérer". Et le 25 février 1991, ils sont placés à La Maison de l'Enfant de AMIENS. Durant leur séjour à AMIENS, les enfants auraient fugué, mais peut-être surtout Djamel, vivant dehors, fréquentant des SDF, fumant, consommant de l'alcool. Un doute existerait sur des sévices sexuels subis par l'aîné dans cette période. Le 31 mai 1991, il est récupéré par la police. Les deux enfants sont finalement dirigés vers le Foyer de Frévent en septembre. En juin 1991 aurait été effectué une consultation de pédopsychiatrie à Amiens (à la demande de qui ?) et un traitement neuroleptique aurait été mis en route... La consultation du dossier laisse apparaître une véritable incohérence dans la façon dont le problème de ces deux enfants a été traité. On y découvre une accumulation d'informations "décousues", simple énumération d'événements, textes descriptifs sans synthèse réelle, sans "fil conducteur" dans la prise en charge, sans projet élaboré. Les motifs mêmes des différents placements n'y sont pas clairement définis. La réalité des mauvais traitements physiques et psychologiques subis par les deux frères dans leur famille n'est ni clairement démontrée, ni explicitement dénoncée. Les positions respectives du père et de la belle-mère à l'égard de Djamel et de Mohamed n'apparaissent que de façon floue, sans que l'on puisse savoir si c'est l'un ou l'autre qui sont "maltraitants", et de quelle façon ils se positionnent à l'égard des enfants. Djamel y est décrit comme un enfant violent, contre les personnes et les objets, en forte opposition, sans limite, mais également affectueux et charmeur. II semble respecter et craindre son père. Mohamed, quant à lui, aurait en général une attitude mutique, serait replié sur lui-même, parfois menaçant, recherchant à d'autres moments la relation avec l'adulte, refusant les interdits, se balançant pour s'endormir, "ingérant" des objets. Alors que depuis près de 10 ans les enfants font l'objet d'un suivi, on ne trouve trace dans le dossier d'aucun compte-rendu de consultations psychologique ou pédopsychiatrie, ni même l'ébauche d'un projet de prise en charge au long cours. Djamel : Examen médical Djamel, 11 ans et 8 mois, pense être né en TUNISIE. II ne connaît pas sa date de naissance. II parle beaucoup de la Tunisie, des vacances d'été passées là-bas, chez une grand-mère ou un grand-père (paternel semble-t-il). II manifeste d'emblée, clairement et fermement, le désir de revivre en famille et de quitter le Foyer. II parle de sa violence : " je cassais mes affaires ", de ses fugues de la Maison de l'Enfant "pour retourner chez moi" dit-il, de ses fréquentations de SDF, mais nie toute consommation d'alcool ou usage de tabac, ainsi que toute agression sexuelle sur sa personne. II déclare avoir été maltraité par sa vraie mère, avoir été enfermé pendant "qu'elle sortait dans les bars ...elle fumait, buvait et couchait avec des hommes" dit-il. Il déclare avoir été frappé. Sa belle-mère serait plus gentille et le père "au-dessus de tout soupçon", selon l'enfant qui lui paraît très attaché : "il nous punit juste si on fait des bêtises" dit-il. Page 20 / 33 II manifeste à plusieurs reprises le désir de revenir vivre chez lui, disant envier son grand frère qui n'a pas connu les Foyers. Cliniquement, il présente un développement staturo-pondéral normal 1,49 m pour 43 kg. On retrouve une petite cicatrice frontale et thoracique gauche, consécutives à une morsure de chien, selon ses dires. II déclare avoir un bon sommeil et refuse de prendre des médicaments. Examen psychologique Djamel se prête à cet entretien avec une certaine retenue tout d'abord, puis se détend, acceptant même de dessiner. Agé de bientôt 12 ans, Djamel est dans la quasi impossibilité de retracer sa propre histoire. II sait qu'il avait 2 ans et demi quand ses parents ont divorcé et ne manque pas de redire à quel point sa "vraie mère était méchante", ajoutant "on lui a pas pardonné, je l'ai oubliée". S'il s'exprime de façon relativement adaptée, ce qui témoigne en tous cas d'un potentiel intellectuel sous-jacent qui n'est pas déficitaire, Djamel est totalement enfermé dans une revendication quasi obsédante, qui est de retourner vivre dans sa famille. Tout ce qu'il peut dire est sous-tendu par cet impérieux désir, même s'il dit avoir été "placé" parce qu'il se disputait "avec sa mère" : "elle me donnait des coups de balai", précise-t-il. II ne pourra s'empêcher de dire que sa belle-mère est gentille et qu'il l'appelle "maman"... Il est important de souligner que, pour les deux enfants, l'image de leur "mauvaise mère" reste extrêmement prégnante, au point que l'interlocuteur ne sait pas toujours s'ils évoquent leur mère naturelle ou leur belle-mère. Si pour Djamel il est très important de présenter des images parentales indemnes de toute agressivité, c'est bien parce qu'il veut avant tout retrouver sa famille. C'est dans ce contexte que Djamel nie toute détresse le concernant (hormis celle d'être séparé), tout mauvais traitement à son endroit, étant de ce fait dans l'impossibilité d'élaborer une dépression fondamentale qui, néanmoins, sous-tend toute sa violence et tous ses passages à l'acte. Ce que l'on peut dire globalement c'est que Djamel a manifestement subi, dés la toute première enfance, des traumatismes majeurs sur le plan psychologique. Sa personnalité ne s'est pas organisée mais plus ou moins aménagée, dans un registre psychopathique, c'est à dire dans le déni de sa souffrance, dans l'abrasion du langage, qui lui fait défaut, soit pour différer ses désirs, soit pour élaborer mentalement ses tensions internes (qu'il agit). Gravement blessé sur les plans affectif et narcissique, il semble être dans l'incapacité de nouer des liens durables avec qui que ce soit, mettant au contraire tout en œuvre sur le plan relationnel pour se faire rejeter, répétant l'abandon et le rejet maternel initial. II semble par contre privilégier et sans doute idéaliser l'image de son père : "je ressemble à mon père, il est bien, plus tard je veux faire comme mon père" précise-t-il. Cet attachement au père, ainsi qu'à la TUNISIE dont il parle beaucoup, paraissent être pour lui des étayages affectifs, voire identitaire qui le protègent peut-être d'une désorganisation psychoaffective plus grave. Mais il nous est difficile de savoir ce que l'on peut en faire, dans la mesure où nous ne disposons d'aucun élément de réalité concernant tant le père que ses capacités à assumer son fils. Son dessin révèle chez lui la possibilité d'exprimer son imaginaire, qui correspond plus à celui d'un enfant de 8-9 ans, mais également de communiquer, dans une relation avec un interlocuteur, des éléments fantasmatiques. On peut déjà dire que Djamel est loin d'être aussi "vide" ou "pauvre" qu'on le croirait et que ses possibilités intellectuelles ne sont pas en rapport avec l'échec scolaire qu'il connaît. Le dessin, à thème de violence, pourrait évoquer les violences qu'il a subies tout au long de son histoire, qu'elle soient familiales ou institutionnelles. N'est pas à exclure toutefois une violence à caractère sexuel que l'enfant, s'il l'a réellement subie, est dans l'incapacité de nommer et de reconnaître. MOHAMED : Examen médical L'entretien avec Mohamed, âgé de 10 ans 9 mois, est quasiment impossible. Il est mutique la plupart du temps, incapable de se concentrer sur mes questions. II regarde dans toutes les directions, sans jamais croiser mon regard. II a des difficultés à trouver ses mots ; il ne sait ni lire ni écrire. Page 21 / 33 Il se présente comme le "souffre-douleur" du foyer et déclare ne pas aimer sa mère. Sa belle-mère a une meilleure image. Selon lui, son père est parfois violent et il "crie sur la belle-mère". II a, cliniquement, un développement staturo-pondéral normal et serait en bonne santé. En l'absence de carnet de santé et d'éléments d'anamnèse, nous ne pouvons pas aller au-delà dans l'examen médical. Examen psychologique Mohamed rentre dans le bureau avec un visage crispé et s'assoit sans rien dire. Petit garçon de 10 ans, il paraît à la fois angoissé et "ailleurs". II faut insister pour capter son attention, répéter plusieurs fois les questions, auxquelles d'ailleurs il ne répond pas forcément. II est pratiquement impossible de faire un entretien avec lui, tant son discours est appauvri et tant il paraît enfermé en lui-même. II ne sait pas sa date de naissance, refuse de dire le nom de son père dont il ne connaît pas le métier, dit qu'il voulait pas aller au Foyer, que c'est pas bien et qu'il s'y ennuie. II est par contre capable de dire le nom et les âges de ses frères, rejetant Djamel qu'il décrit comme "méchant". "il me fait mal" ajoute-t-il, aimant bien par contre jouer avec son petit frère Kader. II précise que la femme de son père c'est pas sa belle-mère, c'est "maman", mais qu'il ne l'appelle pas comme ça, parce qu'il l'appelle jamais et qu'il n'en a pas envie ...."L'autre qui est en TUNISIE" nous dit-il, "elle est pas gentille, elle m'a tapé avec un balai"... Nous avons l'impression d'être face à un enfant sans aucun repère, perdu dans son monde intérieur qui parait menaçant et terrifiant, incapable d'utiliser le langage pour communiquer réellement avec les autres, terriblement appauvri sur le plan affectif et relationnel. Son état actuel laisse penser que cet enfant éprouve une grande souffrance psychique, peut-être de nature psychotique et qu'il est urgent de le soigner. CONCLUSION Djamel et Mohamed KHAÏBOUCHA, respectivement âgés de 11 ans 8 mois et de 10 ans 9 mois, sont deux frères d'origine tunisienne, appartenant à une famille comportant quatre garçons. Le couple de leurs parents s'est précocement dissocié par divorce, la mère ayant apparemment laissé les enfants dans un grand abandon. Le père s'est remarié et la belle-mère a été probablement en difficulté pour faire face à leur éducation, puisque l'un et l'autre, dans des registres différents, ont présenté des troubles du comportement et de graves difficultés scolaires. Djamel parait avoir aménagé sa personnalité sur un mode psychopathique et Mohamed semble souffrir de troubles de nature psychotique. Tous deux ont probablement vécu des traumatismes majeurs sur le plan affectif. Toutefois, l'expertise à elle seule ne permet pas de porter un diagnostic suffisamment étoffé sur les deux enfants. L'examen du dossier met en évidence des incohérences graves dans les décisions prises par les institutions et l'absence de projet au long cours les concernant, comme cela doit impérativement être fait lorsqu'on prend en charge de jeunes enfants. Il ne permet pas par ailleurs de se faire une idée précise sur la réalité et l'importance de la maltraitance, qui n'est pas clairement dénoncée. II est d'autre part consternant de ne trouver dans le dossier aucun élément clinique sur le plan psychologique et psychiatrique, aucune trace de démarche thérapeutique pour les enfants, alors qu'ils sont suivis depuis plusieurs années. L'expertise ne peut pas répondre à ce qui aurait dû être fait depuis longtemps dans le cadre d'une consultation spécialisée, soit du secteur santé, soit du secteur judiciaire, c'est à dire un bilan complet comportant des éléments psychologiques, familiaux et anamnestiques, ce qui ne peut être fait dans un temps ponctuel, mais dans la durée, compte tenu de l'âge et des troubles des enfants. Confiés à l'heure actuelle au Foyer de Frévent, depuis 6 mois, après plusieurs autres placements, Djamel et Mohamed sont l'un et l'autre dans l'attente de retourner vivre dans leur famille. La seule urgence serait qu'enfin quelqu'un (de préférence une équipe multidisciplinaire) fasse un projet thérapeutique adapté pour ces deux enfants, avec les éléments psychologiques et familiaux indispensables à une telle démarche. Ils sont de toutes façons à l'heure actuelle dans l'incapacité de pouvoir s'adapter à un milieu scolaire normal et relèvent donc d'une prise en charge spécialisée. AMIENS, le 27 mai 1992 / Dr. B. ROBERT - H. METRIO Page 22 / 33 Document 09 / 1 page CENTRE D'AMIENS SERVICE DE PSYCHOTHÉRAPIE COMPTE-RENDU D'HOSPITALISATION De Monsieur KHAÏBOUCHA Djamel Hospitalisé du 10 Août 1995 au 27 Août 1995 Né le 21 Juillet 1980 Adresse: A.S.E. / 80 - AMIENS Compte-rendu établi par le Docteur PREVOST Double : Dossier Patient âgé de 15 ans, pris en charge par l'A.S.E., présentant de forts troubles du comportement à composante psychopathique essentielle, hospitalisé à la suite des troubles du comportement à type de vols et de manque de respect du cadre. Lors de l'hospitalisation, le patient va présenter des capacités élaboratives et introspectives limitées. Il présente une tolérance à la frustration des plus faibles et l'hospitalisation nous semble essentiellement avoir un but éducatif, à savoir la mise en place d'un cadre. Le patient n'aura de cesse de tenter de manipuler, de négocier, dans le seul but de modifier ce cadre contraignant pour lui mais contenant. Le résultat est que, quelques progrès dans le contact sont relativement notables malgré un traitement associant Dépakine et neuroleptiques, lesquels neuroleptiques seront arrêtés à la sortie. Le patient reconnaîtra difficilement qu'il est hospitalisé à la suite de troubles du comportement survenus lors d'une permission avec son père, une dispute violente ayant eu lieu au sujet d'un gilet qu'il voulait porter et que son père refusait de lui donner ayant peur que le patient ne fugue ou parte traîner avec des camarades. L'hospitalisation a été reportée de 24 H à la suite d'une intervention du père, d'une voisine, qui semble être éducatrice dans une structure. Lors de l'hospitalisation nous sommes dans un tableau essentiellement évocateur de fortes défenses psychopathiques, peu interventionniste. Le patient n'offrant de lui même aucune demande et aucune possibilité pour le moment, tant du fait des défenses que de l'âge, de thérapie au sens strict du terme. Après ses deux semaines ayant servi à poser un cadre, le patient est confié à nouveau à son éducatrice référante. Il est à noter que la possibilité d'une évolution psychotique qui semblait possible en début d'hospitalisation, reste encore difficile à déterminer mais le patient ne s'est montré ni délirant, ni dissocié, ni discordant en cours d'hospitalisation. Son humeur a été, en fait, des plus congruente et adaptée à toutes tentatives manipulatoires. Page 23 / 33 Document 10 / 2 pages Conseil Général de la Somme UNITE D'ACTION SOCIALE D'AMIENS SERVICE SOCIO-EDUCATIF - 80 AMIENS AMIENS, le 04.02.96 Madame LAMERE Catherine, Educatrice Spécialisée à Madame COURRET, Inspecteur A.S.E. S/C de Mme ZAFFRI Anne Marie, Chef de Service RAPPORT D'EVOLUTION CONCERNANT DJAMEL et Mohamed KHAÏBOUCHA Djamel, né le 21 juillet 1980 à AMIENS Mohamed, né le 5 juin 1981 à AMIENS PERE ET BELLE MERE : Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA - (80) ABBEVILLE MERE : Madame KEROUAL Soraya / TUNISIE LIEUX D'ACCUEIL : Djamel : Famille d'accueil du Placement Familial «Adolescents» Chez Madame TARDES - (80) CONTY Mohamed : Famille d'accueil du Placement Familial «Adolescents» Chez Madame GUERAN - (80) BRAY S/ S. DERNIER JUGEMENT : Mars 1995 DJAMEL : Djamel est un jeune adolescent, âgé de 15 ans 1/2, grand, mince. Depuis un an, il vit chez Madame TARDES, Assistante Maternelle à CONTY. Djamel semble se stabiliser : depuis septembre 1995, il n'y a pas eu d'événement marquant. Djamel rencontre régulièrement un psychiatre de l'Hôpital Psychiatrique de AMIENS, en consultation mensuelle, Monsieur PREVOST. Djamel est toujours sous traitement (neuroleptiques) et cela occasionne des problèmes. Il refuse parfois de prendre ses médicaments ce qui entraîne systématiquement des changements de comportement. Cela a été flagrant pendant les vacances de Noël, qu'il a passées au centre équestre « Le Fer à Cheval » à Villers-Bocage (80). Djamel faisait semblant d'avaler les comprimés, quand même il était sous la surveillance d'un adulte. Son séjour s'est mal déroulé et Djamel ne retournera probablement pas dans cette structure. Chez Madame TARDES, Djamel se montre, en ce moment, plus coopérant : il sait qu'il doit respecter certaines conditions pour rester. Il sait, également, que des ruptures en chaîne du traitement amèneront le psychiatre à lui administrer les médicaments sous une autre forme (injection retard) ce dont il a peur. Djamel doit être rappelé à l'ordre : c'est essentiellement le contenu des entretiens entre lui et le psychiatre. Djamel craint une nouvelle hospitalisation en psychiatrie. Djamel, déscolarisé, et sans formation (manque de maturité et de motivation) garde malgré tout un lien avec le domaine scolaire par le biais de séances d'orthophonie bihebdomadaires. Djamel a quelques devoirs à faire entre les séances. Djamel n'est pas inscrit dans un club de sport, sa problématique lourde ne permet pas son investissement dans un groupe. Toutefois, il pourrait, de temps en temps, se rendre à la piscine ou au cinéma : il est convenu avec lui et la famille d'accueil que des sorties sont autorisées lorsqu'elles visent un objectif. Les sorties à Amiens pour être seul pendant deux heures à la Place de la Gare sont interdites. Djamel n'accepte pas toujours ces contraintes, mais elles sont nécessaires. En ce qui concerne sa famille, Djamel, après l'épisode mouvementé du mois d'août, n'est pas retourné chez ses parents. Il a rencontré son père, une fois, dans les locaux de l'Aide Sociale à l'Enfance (la rencontre a été très brève 10 minutes) et une deuxième fois en ma compagnie pour effectuer une démarche administrative à la Mairie de ABBEVILLE (carte d'identité). J'avais demandé à Monsieur KHAÏBOUCHA de prendre et de donner des nouvelles en téléphonant dans la famille d'accueil : à ce jour, Madame TARDES n'a fait que constater l'absence du père. Monsieur KHAÏBOUCHA ne se er soucie pas du devenir de Djamel, il ne peut que lui asséner les mêmes reproches, à chaque entrevue. Le 1 février, Monsieur KHAÏBOUCHA a mal reçu son fils en lui tenant un discours très négatif : « si c'est pour recevoir des voleurs et des menteurs, c'est pas la peine de venir à la maison ». Et pourtant, Djamel persiste dans son désir de retourner un Page 24 / 33 week-end chez lui, « pour essayer encore une fois », ce qui ne parait pas adapté compte tenu des relations très dégradées entre Djamel et son père. Un projet d'orientation en établissement thérapeutique n'a pu voir le jour du fait de la non constitution du dossier médical : il faut joindre les résultats de trois tests psychologiques, qui n'ont jamais été effectués pendant l'hospitalisation de Djamel malgré l'accord donné verbalement. Il reste à l'Aide Sociale à l'Enfance le souci de trouver un psychologue pouvant faire passer ces tests à Djamel. Djamel s'oppose encore à ce projet d'orientation, argumentant qu'il refuse l'éloignement. Il est quand même capable de réfléchir aux enjeux et aux éléments de réalité. Il a aussi l'assurance de pouvoir revenir chez Madame TARDES sur des temps de week-end et de vacances. CONCLUSION : L'accueil de Djamel doit se poursuivre, dans le but d'un soutien spécifique, d'une orientation en établissement spécialisé. La question des relations père/fils restée entière : Djamel peut rencontrer Monsieur KHAÏBOUCHA mais dans un cadre précis, clairement posé. Des visites sont certainement plus adaptées que des hébergements. MOHAMED : Mohamed est un adolescent de 14 ans 1/2, grand, bien bâti, qui s'est bien développé au cours de cette année. Mohamed est revenu dans la Somme pendant les vacances scolaires de la Toussaint, définitivement. Le Lieu d'Accueil « Les Rosiers » dans la Drôme, a mis un terme à la prise en charge du jeune, suite à la montée de violence qu'il exerçait sur les deux autres adolescents accueillis. Mohamed a été confié au La Maison de l'Enfant de Asseviller le 1er décembre 1995, il en est sorti le 15 janvier 1996, pour le motif suivant : violence très grande sur les plus jeunes enfants du groupe. Depuis le 15 janvier, Mohamed est accueilli par Madame GUERAN, Assistante Maternelle du Placement Familial « Adolescents ». Mohamed comprend les raisons qui ont conduit les adultes à se séparer de lui, mais il donne l'impression de ne pas les intégrer : il n'est pas sûr qu'il sache bien qu'il soit en cause. Mohamed ne prend pas conscience des conséquences de ses actes. Sa violence a l'égard des petits est étroitement liée à la violence subie par son père et sa belle mère pendant son enfance. Mohamed a même dit « des coups de ceinture, je veux bien mais pas des coups avec le tuyau à gaz » à propos de son inquiétude d'avoir à affronter son père, après avoir fait une bêtise (fugue d'une nuit durant son séjour à La Maison de l'Enfant d'Asseviller). Mohamed se souvient des coups et brimades passés mais aujourd'hui il subit comme Djamel, les reproches incessants de Monsieur KHAÏBOUCHA. Mohamed a fini par accepter l'idée d'un seul hébergement mensuel dans sa famille, compte tenu du climat peu propice à la convivialité. Mohamed a recherché le contact avec son père et Monsieur KAÏBOUCHA refuse d'être disponible pour lui. De même, il ne lui téléphone pas pour garder le lien. Monsieur KHAÏBOUCHA rappelle qu'il « a dû se débrouiller seul, tôt », il en fait un principe éducatif, ses enfants n'ont qu'à se plier à sa volonté. Mohamed s'est toujours senti « laissé pour compte » et sa situation reste inchangée. Il éprouve, d'ailleurs, une certaine difficulté à communiquer si ce n'est par la violence ou le vol. Mohamed a déjà menacé une jeune fille dans le village où il est, à la descente du car scolaire, dans l'esprit de lui prendre son blouson. Mohamed est dans le passage à l'acte pour obtenir ce qu'il désire (vêtements de marque - skateboard ..... ). Plus dangereux encore est la faculté de Mohamed à répondre à toute demande malveillante : il est capable de passer à l'acte sous commande. Il est vulnérable, ne prend pas de distance avec autrui parce qu'il ne sait pas qu'il doit résister. Le projet envisagé pour Mohamed est son admission en Centre de Soins Psychiatrique pour Adolescents, à Pierrefeu - Var. Pour étayer et compléter la demande de l'Aide Sociale à l'Enfance, l'intervention d'un pédopsychiatre est nécessaire. C'est Madame POTAIN, qui reçoit Mohamed depuis le mois de décembre, qui assure la coordination avec son confrère du centre de soins. Elle lui demande une rencontre pour estimer plus précisément le bien fondé d'une admission en faveur de Mohamed. Mohamed était sous traitement en juin 1995, interrompu en juillet et août volontairement chez ses parents. Mohamed a revu le médecin dès son retour aux « Rosiers » pour une nouvelle prescription. Madame POTAIN poursuit le même traitement (neuroleptique). Mohamed se montre assez opposant mais comme Djamel, il connaît la position de son père, qui est contre cette catégorie de médicaments (« ça ne sert à rien, ils ne sont pas fous, il faut juste un centre avec une formation »). Mohamed, ne fait rien actuellement : en attendant une décision du centre de soins, il est demandé à Mohamed de travailler tous les jours d'un point de vue scolaire. Si le projet n'aboutit pas, Mohamed pourrait de nouveau être suivi en séances individuelles en orthophonie, même si l'année passée n'a pas été source de motivation ou d'éveil scolaire. Mohamed est non lecteur, il a un petit niveau cours préparatoire, qu'il peut rapidement perdre sans stimulation extérieure. CONCLUSION : Mohamed est un adolescent en réel danger, une prise en charge très spécialisée est une évidence qui ne se concrétise pas. Les moyens mis en place jusqu'à présent, n'ont pas porté leurs fruits. Mohamed doit être aussi protégé de sa famille où il ne trouve pas sa place. Catherine LAMERE, Educatrice spécialisée Page 25 / 33 Document 11 / 3 pages AMIENS, le 10 JANVIER 1997 Xavier DUPARQ Éducateur à Madame MARETTI Responsable du P.F.S. La Maison de l'Enfant / 80 - PERONE OBJET : Note de situation concernant KHAÏBOUCHA Djamel / Né le : 21 JUILLET 1980. ADRESSE DU PÈRE : M. KHAÏBOUCHA / 80 - ABBEVILLE ADRESSE DE LA MÈRE : Mme KEROUAL Soraya / Tunisie SITUATION JUDICIAIRE : Ordonnance de L.S.P. en date du 7.04.96, de M. GUILLERS, Juge des Enfants au T. E. de AMIENS. Notre Service a en charge la mesure de Liberté Surveillée Préjudicielle concernant Djamel, à la suite d'un vol avec violence sur la personne d'un homme âgé, et donc particulièrement vulnérable. Cette mesure, dont la prise en compte effective date du mois de Mai 1996, fait suite à un long parcours de Djamel à travers de nombreux placements institutionnels depuis l'âge de 4 ans. Divers signalements, à la suite de troubles du comportement à l'école, ainsi que de maltraitance au sein de la famille, ont provoqué l'intervention du S.A.E., du S.S.E., puis de la P.J.J. Selon un rapport du S.S.E. Djamel n'a cessé d'alterner, depuis son plus jeune âge, séjours en I.M.E., foyers et familles d'accueil, avec des retours chez son père au cours desquels à tout moment la situation pouvait se dégrader de manière violente. L'HISTOIRE FAMILIALE de Djamel est fortement marquée par la très mauvaise relation du couple parental, teintée de mésentente et de violence conjugale. M. KHAÏBOUCHA est un homme de stature solide et de tempérament apparemment intransigeant et dur. Les parents de Djamel, d'origine tunisienne, ont été mariés au Pays. En 1983 ils divorcèrent, après avoir eu 3 garçons : Aziz né en 1979, Djamel né en 1980 et Mohamed né en 1981. M. KHAÏBOUCHA est aujourd'hui remarié avec une très jeune femme, dont il a deux jeunes enfants : Kader 9 ans et Kamel 3 ans. Il semble entièrement mobilisé pour la préservation de son nouveau couple et de la nouvelle cellule familiale qu'il a constituée. Chez le père, vivent aujourd'hui : Aziz et les deux petits dernier. Djamel et Mohamed sont tous deux placés. Mohamed vit également de grosses difficultés et se trouve pris en charge par le S.S.E. d'AMIENS. M. KHAÏBOUCHA fait remonter les problèmes de Djamel à sa plus tendre enfance, expliquant que son ex-femme n'a pas désiré ses trois garçons et, de ce fait, ne leur a apporté ni affection, ni attention maternelle. II semble que Djamel, tout comme Mohamed aient particulièrement souffert de cette situation de rancoeur et de rupture conjugale entre leurs parents. En ce qui concerne Djamel, il suffit de retracer son chemin institutionnel, pour réaliser la détresse et la profonde blessure de cet adolescent, constamment confronté au manque affectif et au rejet de plus en plus marqué de sa famille. Djamel a environ 4 ans, lorsqu'il est confié à : - L'Etablissement LA PRAIRIE à AIRAINES. Il y reste entre 1 et 2 ans. - Il sera ensuite admis à l'externat de l'ESSORT • Puis a lieu un retour chez le père. - En 1991, à 9 ans, Djamel entre à La Maison de l'Enfant au Foyer de l'Enfance de AMIENS. Il y reste quelques mois. • Retour chez le père. Page 26 / 33 A 10 ans, il intègre le Foyer de FREVENT, il reste 1 an. Une psychothérapie y fut mise en place. • Retour chez le père en Juillet 1992. En Septembre 1993, Djamel est accueilli à ROISEL (80) ; il a 13 ans 1/2 et restera 4 mois, jusqu'en Décembre 1993. • Retour chez le père. En Juillet 1994, Djamel entre au Foyer de Ault (80). Il reste 10 mois '/2 . En Octobre il participe à un voyage en AFRIQUE, organisé par ce foyer. Il sera rapatrié le 4 Décembre 1995, après avoir eu un comportement ingérable et inconciliable avec un séjour en collectivité. Djamel va ensuite revenir chez son père, puis le quitter pour une suite de placements dans plusieurs familles d'accueil différentes. Madame PERDREUX : 1 mois. Accueil d'urgence. Madame TARDES : 14 mois. Durant ce séjour, Djamel se stabilisera quelque peu, profitant enfin de manière plutôt bénéfique et sur un terme relativement long de l'accueil offert par cette famille. Durant cette période, il fera un passage à ACCUEIL & FORMATION, du 15.6.95 au 10.07.95, qui ne le gardera pas, étant donné son jeune âge et surtout son absence apparente de motivation et de maturité. - Mme DRITTI : 3 semaines (à ABBEVILLE). - Mme N'DAYE : 2 semaines (à PERONE). - Mme MULLER : 1 mois (à DOULLENS). - du 18 au 25 MARS 1996, Djamel est intégré au Foyer de CRECY. Il s'y montre trop perturbant et ne peut y demeurer. - Djamel sera, le 2.06.96, accueilli au F.A.O. de AMIENS. A ce moment, notre Service met en pratique l'exercice de la LSP. Nous collaborons avec l'équipe du F.A.O. et le SSE pour rechercher une orientation. Djamel, dont le comportement imprévisible, parfois agressif et incompatible avec la vie de groupe, complique fortement l'orientation, reste de plus à la limite de la prise en charge médicalisée. Sa souffrance due à son histoire, lui a causé des troubles encore difficiles à définir clairement. Une observation d'un jour en psychiatrie, le 23.3.95, à l'initiative de notre collègue Mme LAMERE du S.S.E., puis un séjour d'une semaine (10.09.95 au 27.08.95), à la suite d'un incident violent avec le père lors d'un week-end, n'ont pas abouti à ce que les médecins découvrent chez Djamel une pathologie contre indiquant une prise en charge en dehors d'un cadre médical - des traitements furent prodigués, neuroleptiques (neuleptil), dont Djamel ne respecte les prises que s'il est contrôlé et qu'il ne prend plus actuellement. En Juin, Juillet dernier, sur la proposition de l'équipe du F.A.O., un placement dans un lieu de vie, SALLANGES, situé dans les ALPES près de Chamonix est organisé. Le séjour au F.A.O. n'a fait que confirmer les conclusions des divers services précédents au sujet de la problématique du jeune adolescent. Attitude très perturbée, imprévisible ; Djamel teste les adultes, peut manipuler s'il détecte la moindre faiblesse chez l'adulte, est capable de réactions agressives, mais se laisse assez facilement remettre en place par l'autorité hiérarchique ou l'adulte usant de fermeté et d'autorité. A la fois très provocateur, Djamel révèle aussi sa recherche du contact avec les adultes. Très insécurisé, méfiant, à la limite du sentiment de persécution, Djamel ne tient pas en place, se concentre difficilement lors des échanges. La demande de ce jeune est grande vis à vis des éducateurs qui l'entourent, et l'exclusivité qu'elle implique, peut s'avérer gênante en groupe. De ces constations découlèrent l'idée d'un lieu de vie permettant distanciation, prise en charge individualisée, avec possibilité d'activités occupationnelles dans le lieu. Djamel démarra donc son séjour à SALLANGES le 3 Août 1996. L'équipe se composait de deux hommes et une femme permanents, plus deux éducateurs vacataires, assurant loisirs et sports. Le lieu, situé dans un village des ALPES, offrait de réelles possibilités de mise au calme et d'activités variées, tant sur le plan travail (réfection de bâtiments, bûcheronnage, perspective d'ici le printemps de composer un cheptel de chevaux, etc ...), que sur le plan des loisirs. Djamel eut des débuts difficiles. Inquiet de l'éloignement et surtout soucieux de comprendre le projet proposé quant aux échéances dans le temps et au contexte judiciaire de son placement, il ne cesse de remettre en cause sa Page 27 / 33 présence à SALLANGES. Puis, progressivement, un rythme s'installa, ainsi qu'une hygiène de vie assez rigoureuse à laquelle le jeune garçon sembla s'adapter. Lors de nos visites, nous retrouvions un garçon plus soigné, semblant avoir trouvé sa place. Le comportement de Djamel s'étant amélioré, des week-ends en famille furent préparés au bout d'un mois, à raison d'une fois toutes les trois semaines. Le premier essai chez M. KHAÏBOUCHA s'avéra plutôt positif. L'évolution de Djamel donnait satisfaction aux collègues de SALLANGES. Djamel s'exprimait plus calmement, il se montrait très actif et « performant » dans tous les travaux qu'on lui confiait, malgré ses gestes souvent à la limite du dangereux, causés par son tempérament nerveux et mal contrôlé. Malheureusement, les progrès engrangés lors des deux premiers mois furent annulés lors du mois de Novembre par une première fugue (le 5 Novembre), au cours d'un week-end chez M. KHAÏBOUCHA. Djamel vécut une semaine dehors, puis se réfugia chez Mme N'DAYE, ancienne famille d'accueil. Il en fugua le lendemain, lorsqu'il apprit qu'un collègue de SALLANGES venait le chercher. C'est quelques jours plus tard qu'il fut récupéré par nos collègues des ALPES (en notre absence), au Commissariat de COMPIEGNE, où il se retrouva après un contrôle de police. La semaine suivante, nous nous sommes rendus au Lieu de Vie, afin de reprendre ces événements avec Djamel et l'équipe de SALLANGES. Djamel fugua de nouveau dans la nuit précédent notre arrivée le 6 Décembre. Nous avons fait le point sans lui. Ce n'est que le 16 Décembre, que Djamel se présenta au CAE d'AMIENS, demandant de l'aide après plusieurs semaines d'errance. Il revendiquait, comme à de fréquentes reprises, de retourner dans son ancienne famille d'accueil (Mme TARDES), chez qui, dit-il, il était bien. Une solution provisoire était trouvée le lendemain en la personne d'une nouvelle famille d'accueil, située à BEAUVAIS (60), pouvant recevoir le jeune garçon 3 semaines. L'expérience dut s'interrompre 3 jours avant la fin. CONCLUSION : Djamel, perturbé par l'enchaînement des événements qui le concerne, perd tous ses repères. Attiré par les gens marginaux avec lesquels il peut partager sa détresse, mais également shit et boisson, a besoin de toute urgence d'une solution d'accueil qu'il puisse supporter, donc plutôt de type placement familial, mais à partir de laquelle il lui serait proposé, voire imposé, un projet occupationnel pouvant déboucher sur le professionnel et surtout une action thérapeutique dont nous attendons des professionnels psychologues et psychiatres qu'ils nous en dessinent le contour. Nous vous remercions donc de bien vouloir prendre notre demande, concernant Djamel, en considération. Lundi 10 Janvier, Djamel a été encore confié dans une famille d'accueil dépendant de l'U.H.I. du CAE de AMIENS (Service P.J.J.), en attendant une solution à plus long terme. Nous nous tenons à votre disposition pour de plus amples informations. Nous joignons à notre note, et avec leur accord, un rapport du F.A.O. et un autre du SSE Xavier DUPARQ, Éducateur Page 28 / 33 Document 12 / 2 pages R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E MINISTÈRE DE LA JUSTICE DIRECTION DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE DIRECTION DÉPARTEMENTALE DE LA SOMME CENTRE D'ACTION ÉDUCATIVE ET D' INSERTION DE AMIENS BILAN DE SITUATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE SPÉCIFIQUE PJJ KAÏBOUCHA Djamel - Avril 1997 ÉVALUATION SCOLAIRE RÉSULTAT DU TEST DE MATHEMATIQUES Résoudre une addition simple Une soustraction simple une multiplication simple une division simple une add. Décimale une soust. Décimale une mult. Décimale une divi. Décimale Ordonner les nombres entiers Décimaux Effectuer des fractions Effectuer des conversions Utiliser les pourcentages Résoudre un problème Utiliser les puissances Trouver le nom de figures géométriques Calculer le périmètre l'aire le volume Appliquer des formules mathématiques Connaître les angles Connaître les parallèles, les perpendiculaires Résoudre une opération en h. mn et s. Acquis X X Non acquis X X X X X A revoir X X X X X X X X X X X X X X X X RESULTAT DU TEST DE FRANÇAI S : Expression - communication Maîtrisé parfaitement Compréhension d'un message Clarté dans les idées Vocabulaire utilisé Rigueur dans la construction des phrases Aisance Pertinence dans la réponse aux questions Lecture d'un texte Expression écrite Orthographe Qualité de l'expression Présentation Compréhension d'un message Réalisation d'un message Appréciation d'un message Maîtrisé Non maîtrisé X X X X x X X Maîtrisé parfaitement Maîtrisé Non maîtrisé X X X X X X Page 29 / 33 Grammaire - Conjugaison Connaissance et emploi de Verbe Etre Verbe Avoir Temps simples Temps composes Adjectifs qualificatifs Adjectifs possessifs Adjectifs démonstratifs Verbes Prépositions Noms Sujets Pluriel des noms Pluriel des adjectifs Participe passé Acquis Non acquis X X X X X X X X X X X X X X A revoir CONCLUSION Les connaissances générales sont très faibles, aussi bien en français qu'en mathématiques. L'expression orale est simple, le vocabulaire utilisé appartient à un registre usuel. La lecture n'est pas acquise. En expression écrite, Ia syntaxe, l'orthographe et la conjugaison ne sont pas maîtrisées. Les règles de base sont à apprendre. En mathématiques les quatre mécanismes opératoires ne sont pas intégrés. Toutes les règles de base sont à apprendre. Il serait souhaitable que Djamel puisse intégrer un module de type illettrisme afin de pouvoir acquérir quelques connaissances de base en français et en mathématiques. M. Richard, Éducatrice BILAN PROFESSIONNEL Comte rendu des entretiens : KHAÏBOUCHA Djamel (Février 1997) Djamel est un adolescent qui dénote une grande souffrance. Très tendu au début de l'entretien, il s'exprime avec quelques difficultés. Toutefois, il retrace son parcours scolaire et professionnel sans trop de confusion. D'un niveau scolaire très bas, Djamel ne souhaite pas, actuellement, faire de scolarité, son seul souhait est de travailler. On sent chez ce jeune un réel besoin, mais aussi le désir, de se dépenser physiquement. Djamel est désireux de travailler dans la nature, comme effectuer des travaux de bûcheronnage qu'il a déjà pratiqué. Toutefois sa préférence va aux travaux concernant les espaces verts et le débroussaillage. Un essai à l'ACCUEIL & FORMATION lui a permis de découvrir ce métier, mais il n'a pu rentrer en formation car il était trop jeune. Lors du travail sur le référenciel des compétences, l'analyse de la grille d'évaluation confirme que Djamel possède un très bon potentiel physique. Il apparaît aussi nettement que Djamel a de grandes difficultés relationnelles, ce qu'il confirme en souhaitant travailler seul, « je n'aime pas travailler en groupe » affirme-t-il. Djamel demande avec insistance à trouver un travail le plus rapidement possible car il s'ennuie. Actuellement logé à l'hôtel, il semble normal qu'il veuille avoir une activité dans la journée. Djamel refuse cependant de quitter la région d' AMIENS pour de vagues motifs familiaux. Son désir est de retourner à l'ACCUEIL & FORMATION pour y « faire » des espaces verts et avoir un minimum de formation dans la manipulation d'engins. L'apprentissage des règles de sécurité doit être aussi pris en compte car Djamel avoue être assez brusque gestuellement. Compte tenu de la problématique de ce jeune, une orientation à l'ACCUEIL & FORMATION est-elle possible ? Son traitement médical est-il compatible avec l'utilisation de machines souvent dangereuses ? Son intégration au sein d'un groupe est-elle envisageable à ce jour ? Toutes ces interrogations font que l'orientation de Djamel est complexe et demande la plus grande prudence afin de ne pas le mettre en danger lui et les autres. P. Pitreau, Professeur technique Page 30 / 33 Document 13 / 3 pages AMIENS, le 19 MARS 1998 Xavier DUPARQ, Henri LECARRE Educateurs à M. GUILLERS, Juge des Enfants PALAIS DE JUSTICE 80 - AMIENS OBJET : Note de situation, concernant : KHAÏBOUCHA Djamel (Né le: 21 juillet 1980) REF: Jugement du 27 AVRIL 1997 / S.M.E. de 18 mois […] Le 27 Avril 1997, Djamel était jugé pour son agression d'un Monsieur âgé, le 6 Avril 1996. Il sera condamné à 4 mois de prison avec sursis et mise à l'épreuve de 18 mois. Depuis le Jugement du 27 Avril 1997, Djamel a donc vécu en chambre chez l'habitant à PONT-REMY, suivi par nos collègues de l'U.H.I. de AMIENS. Le 8 Mai 1997, l'Espace Accueil accepta Djamel, qui intégra à sa demande l'atelier "espaces verts", puis "maçonnerie". A cette période, Djamel passait régulièrement au CAE prendre le traitement du Dr. CARMAN (2 demi Tercian par jour). Il connut quelques semaines d'équilibre relatif, mais cette situation se dégrada après l'arrêt, le 13 Juin 1997, du placement à l'Espace Accueil, du fait de la trop grande instabilité du jeune homme, incapable de se fixer sur les activités proposées et constamment en déplacement à l'intérieur de la structure. La situation de Djamel ensuite, posa de plus en plus de problèmes, tant vis à vis de sa prise en charge éducative, que de son comportement dans la rue. Etant inoccupé depuis la mi-Juin, Djamel mena une vie de plus en plus désorganisée, sans véritables repères, autre que le C.A.E. où il venait de manière très anarchique, mais souvent sincère et désespérée. En Juin 1997, Djamel provoqua des incidents à répétition. Il lança un pétard par la fenêtre ouverte dans une voiture à bord de laquelle se trouvait un enfant. Il insulta la mère de famille et ne se calma qu'à grand peine après notre intervention. Il se retourna quelques jour après, contre l'éducatrice de l'UHI qui, lors d'une visite dans sa chambre, découvrit etconfisqua une réplique d'arme de poing (objet factice). Cet objet fut alors apporté par notre service au commissariat, avec déclaration sur main courante. (Notre note du 13 Juin 1997). Djamel s'obstinant dans son agressivité envers notre collègue de l'UHI nous dûmes changer le mode de gestion de l'hébergement, qui échut au CAE Djamel restait donc dans sa chambre, mais ne devait plus s'adresser à l'UHI. Le 21 Juillet 1997, d'autres incidents avec la propriétaire hébergeant Djamel, cette fois, mirent un terme définitif à cette forme de prise en charge. En effet, Djamel avait introduit un chien d'attaque dans la propriété. Ensuite, il fut surpris par des voisins, à dégrader des voitures. Quelques jours plus tard, il était interpellé, alors qu'il consommait de l'alcool sur la voie publique (notre note du 21 Juillet 1997). Durant le mois de Juillet 1997, Djamel disparut plusieurs fois. Il fut également accidenté avec une mobylette dérobée. Hospitalisé aux urgences, il vola le Dictaphone du médecin. (Il fut ensuite récupéré et restitué). (Notre note du 29 Août 1997). Fin Juillet, Djamel réapparut et expliqua avoir vécu avec des forains, moyennant un peu de travail de travail de sa part. En Août, le CAE, faute d'autres possibilités, a dû faire vivre Djamel à l'hôtel. Djamel dut changer plusieurs fois d'hôtel à cause de ses emportements impressionnants. Il était, à cette période, à une sorte de paroxysme ; ses agissements Page 31 / 33 de plus en plus incontrôlables : gestes de colère, vulgarité et agressivité verbale, le faisaient rejeter de partout. Dans la rue, il fréquentait bon nombre de marginaux avec lesquels il fumait du shit, buvait de l'alcool, etc... Fin Août, Djamel retrouva un peu de calme. L'hôtel qui l'accueillait (le 3ème en un mois), nous fit part du bon comportement de l'adolescent, qui appréciait, quant à lui, l'aspect familial et direct de l'ambiance de l'établissement. A cette période, de retour de congés, Djamel retrouva la plupart des membres de l'Équipe du CAE, avec lesquels il tissait, à la longue, des rapports affectifs et confiants. En Septembre 1997, se posait donc à nouveau la question de l'orientation de Djamel. La longue énumération des lieux traversés par le jeune homme, et quittés à peu près tous sur le même mode de l'échec et de la rupture à la fois violente et douloureuse, renvoie à son propre historique familial. Un constat revient régulièrement dans nos synthèses sur ce mineur. L'absence de lieux intermédiaires, entre le simple accueil avec travail éducatif et des structures proposant un traitement psychologique, voire médicalisé, des difficultés. Djamel relève des réponses sur ces deux registres conjoints, mais aucune Institution ne semble pouvoir traiter les deux champs parallèlement et dans le temps. Paradoxalement, en contrepoint des comportements de cet adolescent capable de s'exclure et de cultiver le rejet jusqu'au bannissement, (sa famille, les groupes de jeunes, les institutions), nous avons pu découvrir chez lui une très forte demande et une recherche de soutien maladroite, mais touchante. En Octobre, pour pallier la progression alarmante des passages à l'acte de Djamel, (consommation de shit, d'alcool, transport réguliers dans les transports en commun sans ticket, invectives des gens sur la voie publique, racket subi ou agi, vols à l'étalage ....), l'équipe du CAE essaya d'élaborer un projet de placement sur le long terme. Dans un premier temps, il s'agissait de faire partir le jeune homme en Province, pour un séjour de rupture de 2 mois. Pour la suite, une démarche d'admission dans un Service de Placement Familial, était en pleine procédure, afin d'installer Djamel dans un Service d'hébergement individualisé de la LOIRE. Ces deux formules étaient probablement celles que Djamel peut supporter le mieux, étant donné leur caractère très individualisé. Cependant, le 20 Octobre 1997, une première incarcération de l'adolescent, pour une affaire de vol de voiture, vint interrompre ce projet. Djamel supporta difficilement sa mise en détention et l'incarcération, et se déclara prêt à profiter du projet de rupture mis en place précédemment et qui fut donc pratiqué dès sa sortie du Centre de jeunes détenus le 10 Novembre 1997. Un Contrôle Judiciaire était également prononcé ce même jour. Le 13 Novembre 1997, Djamel fut donc accompagné au Service d'Accueil d'Urgence de Cadillac (33), par M. LECARRE, Éducateur du CAE Dans sa note du 13 Décembre 1997, notre collègue indiquait les débuts difficiles de ce placement, des incidents eurent lieu : emprunt de la moto de la famille d'accueil, menace d'une personne avec une fourche. La famille essaya d'aller au bout du temps prévu, mais le comportement menaçant du garçon les obligèrent à le renvoyer, le 15 Décembre 1997. Il fut accueilli deux jours dans un F.A.E., puis nous dûmes de nouveau recourir à l'hôtel. Le 3 Janvier 1998, à sa demande, Djamel se sentant en danger par rapport à ses relations, fut placé en accueil d'urgence au Foyer P.J.J. de ROYE. Le 13 Janvier 1998, Djamel perturbait violemment le foyer, et réagissait violemment contre une éducatrice dont il refusa les consignes. L'adolescent était probablement sous l'emprise de l'alcool ou d'un produit toxique. Dans un deuxième temps, il détériora le véhicule de la Directrice, stationné sur le parking de l'Établissement. La police arrivée sur place, emmena Djamel en garde à vue, après qu'il se soit rebellé. Il s'en suivit une incarcération dès le lendemain, pour deux mois. Aujourd'hui, Djamel a entamé un troisième mois de prison, dans le cadre d'une autre affaire. Nous visitons régulièrement Djamel depuis son entrée au Centre de jeunes détenus. L'attitude de cet adolescent semble affectée par « sa mise à l'écart forcée ». Il s'agit pour nous de saisir cette opportunité pour travailler avec Djamel sur la prise de conscience de ses actes, la responsabilité quant à son futur. Djamel écoute et se présente assagi. Son sentiment de solitude et d'abandon est grand et il se raccroche au peu de personnes qui gardent le contact avec lui. Il s'agit essentiellement de l'institution du CAE. La difficulté demeure de permettre une vraie solution d'avenir à Djamel. Celui-ci, derrière sa forte demande, conserve sa fragilité qui le fait vivre et réagir dans l'instant, sans grande capacité de se projeter et de construire jusqu'au bout un projet. Cet inconvénient majeur a annulé de manière récurrente toutes les tentatives égrenées au long de ce Page 32 / 33 rapport, et paradoxalement il implique encore et peut-être surtout aujourd'hui, de maintenir une main tendue vers ce garçon. La fragilité patente de ses racines affectives rend Djamel totalement défensif, voire agressif, par crainte d'être nié, de prime abord par son interlocuteur. Les solutions trouvées pour lui, impliquent souvent un déplacement du milieu de vie connu, un changement d'entourage, le bouleversement de ses bases. Djamel, anéantit régulièrement ses chances de construire son avenir. Cependant, et malgré tous les aspects négatifs de son évolution depuis deux ans, nous pouvons témoigner des progrès du jeune homme depuis que nous le connaissons, dans sa relation aux adultes. Si grâce à de gros efforts collectifs l'ensemble des personnels du CAE a pu apporter a Djamel le temps et la considération dont il a besoin, ce qui lui ont permis de faire un pas vers l'adulte, il manque, depuis notre prise en charge de ce jeune, l'apport essentiel d'un travail thérapeutique soutenu. Si l'ensemble des solutions évoquées dans cet écrit n'a pu aboutir, c'est probablement qu'en appui il n'existait pas de véritable soutien psychologique permettant à Djamel un travail sur le fond de sa problématique. Aujourd'hui, nous restons convaincus qu'il manque les lieux institutionnels pour ce type de jeune. Il faut donc nous diriger encore, semble-t-il, vers un montage de solutions alliant lieu d'hébergement individualisé, avec guidance éducative, recherche, encadrée par des adultes, d'une orientation professionnelle, mais aussi et surtout mise en place rapide d'un travail thérapeutique réel. Ces derniers temps, Djamel se trouvait tellement démuni d'espoir, qu'il nous demanda de solliciter son père pour l'héberger et lui trouver une embauche sur son propre lieu de travail. M. KHAÏBOUCHA oppose un refus clair de reconsidérer un quelconque retour de son fils chez lui, encore moins de le visiter en prison. EN CONCLUSION Notre Service aura du mal à faire émerger une réponse innovante, tant il a été essayé de solutions aux difficultés de Djamel. Nous nous appuierons sur deux éléments pour présenter une perspective. D'une part le constat incontournable d'une nécessité de travail thérapeutique de la part de Djamel, pour donner chance à quelconque action le concernant d'évoluer, d'autre part la bonne disposition du jeune homme dans sa situation actuelle, d'entendre et de réfléchir à ses difficultés sous un angle plus ouvert. Dans ce sens, notre collègue, M. LECARRE, avait pris des contacts avec le Service d'Hébergement Individualisé de NOGENT / O. (service de semi-autonomie). Une visite, dans le cadre d'une procédure d'admission est envisageable, dès que Djamel en aurait la possibilité. . A partir de ce Service éducatif, une recherche professionnelle aurait immédiatement lieu sur les infrastructures de formation professionnelles, type éducatif, et pourquoi pas celles du droit commun. Restera à organiser, dans le même temps, la prise en compte de Djamel dans un Service de suivi thérapeutique. Nous poursuivons la recherche d'autres solutions et restons à votre disposition pour tout élément au sujet du jeune Djamel KHAÏBOUCHA. Xavier DUPARQ ÉDUCATEUR Henri LECARRE ÉDUCATEUR Page 33 / 33