psychologues - 2001 - Justice / Métiers et concours

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psychologues - 2001 - Justice / Métiers et concours
MINISTERE DE LA JUSTICE - Direction de la protection judiciaire de la jeunesse
CONCOURS EXTERNE et INTERNE POUR LE RECRUTEMENT DE
PSYCHOLOGUES
DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
- 2001 Epreuve n° 1 : Epreuve de psychologie clinique comportant l’étude du cas d’un mineur ( durée : 5 heures - coeff. 2)
Sujet :
Vous travaillez dans un service de la protection judiciaire de la jeunesse.
Après avoir étudié le dossier de Djamel et afin d'élaborer un avis sur les orientations qui vous
paraissent pertinentes, vous développerez principalement votre réflexion sur les questions
suivantes :
θ clinique du discours paternel,
θ dynamique des parcours institutionnels concernant Djamel,
θ discussion diagnostique argumentée,
θ commentaires des deux paragraphes suivants extraits de la page 33 du dossier :
Si grâce à de gros efforts collectifs l'ensemble des personnels du CAE a pu apporter a Djamel le temps et
la considération dont il a besoin, ce qui lui ont permis de faire un pas vers l'adulte, il manque, depuis notre
prise en charge de ce jeune, l'apport essentiel d'un travail thérapeutique soutenu. Si l'ensemble des
solutions évoquées dans cet écrit n'a pu aboutir, c'est probablement qu'en appui il n'existait pas de
véritable soutien psychologique permettant à Djamel un travail sur le fond de sa problématique.
Aujourd'hui, nous restons convaincus qu'il manque les lieux institutionnels pour ce type de jeune. Il faut
donc nous diriger encore, semble-t-il, vers un montage de solutions alliant lieu d'hébergement individualisé,
avec guidance éducative, recherche, encadrée par des adultes, d'une orientation professionnelle, mais
aussi et surtout mise en place rapide d'un travail thérapeutique réel.
Pour information :
AEMO : Assistance éducative en milieu ouvert
OPP
: Ordonnance de placement provisoire
SSE
: Service social de l'enfance
PFS
: Placement familial spécialisé
OAE
: Orientation d'action éducative
CDES : Commission départementale de l'éducation spécialisée
UHI
: Unité d'hébergement individualisé
!
Extraits de dossiers de mineur dont tous les éléments nominatifs, géographiques et temporels ont été
transposés afin de préserver l'anonymat des personnes et des lieux.
Toute ressemblance serait fortuite.
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ASSOCIATION DE L'ENFANT de la SOMME
83.240
ABBEVILLE, le 17 sept. 1983
NOTE DE SITUATION / (O.A.E. du 6.06.1983 au 6.10.1983)
Concernant le jeune :
KHAÏBOUCHA Mohamed
Né le : 5 juin 1981
Dont les parents sont domiciliés :
80 - ABBEVILLE
Mesure demandée par :
Madame BRETIN, Juge des Enfants prés le Tribunal d'AMIENS
Au titre de la Loi du 4.06.1970.
Intervenant :
Sylvie PERET - Éducatrice Spécialisée
Nous avons repris contact avec Monsieur KHAÏBOUCHA en date du 4 Septembre 1983.
Celui-ci nous informe des dernières dispositions concernant ses enfants et sa situation familiale.
Suite à un signalement effectué par l'hôpital et les nombreuses remarques du secteur et de la PMI, Monsieur
KHAÏBOUCHA tient à reprendre avec sa femme une vie plus calme et plus sereine. Une mésentente conjugale existe
mais Monsieur pense pouvoir y remédier.
Madame KHAÏBOUCHA part donc pour les vacances en TUNISIE, laissant ses enfants à son mari qui les confie pour
la période des congés à son frère demeurant à DOLE (Jura). Monsieur KHAÏBOUCHA rejoint sa femme en TUNISIE
pendant ses congés, ceci afin de faire le point de leur situation.
Madame KHAÏBOUCHA demande à "reprendre sa liberté".
Monsieur et Madame divorcent, et Monsieur avant de revenir en FRANCE se remarie avec une femme qui accepte
d'élever ses enfants.
Face à notre étonnement que les procédures puissent se faire aussi rapidement, Monsieur KHAÏBOUCHA nous
explique qu'il peut se marier avec 4 femmes sans pour autant divorcer (suivant la loi coranique) qu'ainsi il a bien voulu
laisser à son ex-femme sa liberté, ceci afin qu'elle puisse si elle le désire refaire sa vie. S'il avait voulu, il aurait pu se
remarier sans pour autant divorcer, mais son ex-femme ne pouvait faire sa vie selon ses désirs.
Ainsi donc Monsieur KHAÏBOUCHA attend que sa nouvelle épouse vienne en FRANCE, les délais pour les papiers et
formalités de l'immigration sont d'environ 2 mois. Dès l'arrivée de sa nouvelle femme, Monsieur KHAÏBOUCHA
reprendra ses enfants qu'il a confiés à ses frères.
Monsieur KHAÏBOUCHA a trois frères en FRANCE. Celui qui habite DOLE (Jura) est marié et père de 2 enfants. Sa
femme attend un troisième enfant. Il a la garde actuellement de Aziz (4 ans) et Mohamed (2 ans). L'aîné des frères
habite TOULON ; il est également marié et sa femme attend leur 4ème enfant. Il a la garde actuellement de Djamel (3
ans). Le plus jeune des frères habite près de DIJON, il est marié sans enfant.
Monsieur KHAÏBOUCHA a vu ses enfants en revenant de TUNISIE. Il trouve que Djamel (celui qui inquiétait le plus
les Services Sociaux) va beaucoup mieux et que son comportement a changé de façon importante. Pour les deux
autres enfants il nous informe que cela va bien et que son frère lui donne souvent des nouvelles. Monsieur
KHAÏBOUCHA a informé son frère de la possibilité d'une Enquête Sociale pour connaître les lieux et conditions de vie
de ses enfants.
Monsieur KHAÏBOUCHA dit ne pas comprendre l'attitude de la mère des enfants qui passait beaucoup de temps à
l'extérieur et qui enfermait les enfants dans leur chambre. Il pense qu'elle n'était pas mûre pour être mère de ses
enfants et que la parole extérieure était toujours plus importante.
Monsieur KHAÏBOUCHA se présente comme un homme assez peu traditionaliste quand on sait qu'il est musulman.
Ainsi il dit partager beaucoup les tâches ménagères avec sa femme.
Nous évoquons que peut être sa femme était dépressive et dépassée par la prise en charge de trois enfants en bas
âge, et que peut-être pour cela fuyait-elle vers l'extérieur. Monsieur KHAÏBOUCHA nous explique qu'il ne désirait pas
spécialement ses trois enfants de façon aussi rapprochée ; il avait avec son ex-femme consulté pour que celle-ci
prenne une contraception, mais elle ne la prenait pas régulièrement, craignant le cancer, ou différents troubles
soi-disant associés.
Monsieur KHAÏBOUCHA nous informera d'ailleurs qu'ils attendaient un 4ème enfant mais qu'ils ont fait pratiquer une
I.V.G.
Au terme de cet entretien, il semble que Monsieur KHAÏBOUCHA vit actuellement une situation passagère. Il faut
reconnaître que par rapport à sa situation il fait porter un certain nombre de torts à son ex-femme et qu'il est difficile
d'analyser la situation, faute d'éléments supplémentaires.
Les enfants sont donc en attendant l'arrivée de la seconde épouse, chez les frères de Monsieur KHAÏBOUCHA.
ABBEVILLE, le 15 Septembre 1983 / Sylvie PERET, Éducatrice spécialisée
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ASSOCIATION DE L'ENFANT de la SOMME
Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action Éducative
80 - ABBEVILLE
83.240
ABBEVILLE, le 17 DEC. 1990
NOTE DE SITUATION
0.A.E. du 05.08.1990 au 05.02.1991 PE
Concernant : KHAÏBOUCHA Djamel
Né (e) le : 21 Juillet 1980 à AMIENS
Demeurant : Chez ses parents Mme et Mr KHAÏBOUCHA / 80 ABBEVILLE
Mesure ordonnée par : Mme TORET, Juge des Enfants à AMIENS - Au titre de la loi du 04.06.1970
Intervenant (s) : Laure SAUVET, Éducatrice Spécialisée
Proposition : Extension de la mesure à Mohamed
DONNÉES BIOGRAPHIQUES ET FAMILIALES
Père : M. KHAÏBOUCHA Farid, né en 1945 en Tunisie (Domicilié : ABBEVILLE - 80)
Mère : Mme KEROUAL Soraya (Domiciliée : chez sa mère en TUNISIE, depuis 1982)
Le couple se marie en 1979 en TUNISIE
De cette union sont nés :
-
Aziz, né le 14 Juin 1979 en TUNISIE
Djamel, né le 21 Juillet 1980 à AMIENS
Mohamed, né le 5 Juin 1981 à AMIENS
Le divorce est prononcé en 1982, suite au jugement du tribunal tunisien.
En 1983, Monsieur KHAÏBOUCHA se remarie avec Madame MEDHI Zouba, avec qui il partage toujours sa vie.
De cette union est né : - Kader, le 17 juin 1986 à AMIENS
DÉROULEMENT DE LA MESURE ÉDUCATIVE
Depuis le début de cette investigation, nous avons régulièrement rencontré le couple au domicile, à notre service,
ainsi que l'équipe de l'ESSORT et Djamel.
Pendant toute une période, Monsieur KHAÏBOUCHA a exprimé que le comportement et l'attitude de Djamel était pour
lui insupportable, et ceci, d'autant plus que le voisinage s'en plaignait. Il considère que du fait de tous les agissements
de son fils, sa femme ne peut pas l'aimer comme les autres. Il reconnaît que Djamel n'a pas la même place, et qu'il
est complètement responsable des réponses qu'il peut avoir dans le cadre familial.
Néanmoins, Monsieur KHAÏBOUCHA niera tout acte de violence de sa part, considérant le signalement comme
exagéré. Il évoque et sans retenue devant Djamel les mauvais traitements que la mère de l'enfant aurait fait subir à
ses trois aînés voulant par là même une reconnaissance de Djamel vis à vis de son épouse, qu'il décrit comme
parfaite. Durant cette première rencontre, Djamel a adopté une position basse, jusqu'au moment où nous posons
clairement l'interdit des mauvais traitements. Là, Djamel nous regarde droit dans les yeux, sans pour autant intervenir.
Devant l'attitude de Djamel, nous proposons à Monsieur KHAÏBOUCHA de sortir, afin d'échanger avec lui.
Là, Djamel nous "jette à la figure" : "Ma belle-mère me déteste, mon père me tape avec le ceinturon et avec des fils
électriques"
Nous reprenons avec lui l'interdit des coups portés aux enfants, et il nous répond, comme surpris : "Même avec les
mains" !. Spontanément, Djamel prend l'ordonnance du Juge des Enfants, et nous en fait la lecture. Durant ce
moment, Djamel nous est apparu comme un enfant ayant une demande affective massive. Il nous réclame un internat
dès cette première rencontre.
Le 2 Octobre, l'IME ESSORT nous contactait pour nous faire part de leur décision de suspension de prise en charge
de Djamel, du fait du comportement de l'enfant.
Rencontre avec l'ESSORT
Djamel est accueilli à l'ESSORT depuis le 3 septembre 1988 après avoir passé deux ans à LA PRAIRIE où il avait eu
des comportements instables, violents et sans limite.
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La première année de prise en charge à l'ESSORT a été tellement spectaculaire dans les progrès de l'enfant, que
l'équipe éducative modérait complètement les inquiétudes suscitées par "LA PRAIRIE".
Par contre, la deuxième année s'est soldée par un bilan négatif. Même si les acquisitions scolaires ont fait un véritable
bond en avant, les troubles du comportement, la conduite de défi et de provocation opposés par Djamel, se sont
manifestés de façon sans cesse croissantes dans tous les lieux et face à toutes les personnes.
La rentrée de Septembre pour Djamel a démarré sur les mêmes difficultés que l'année précédente, avec des
passages à l'acte particulièrement graves contre la collectivité des enfants et des personnels (Djamel a mis en scène
avec deux enfants de l'IME une fellation, et a exprimé que son frère Mohamed en est victime dans les caves, d'autre
part, il a menacé une éducatrice qui lui opposait un refus).
Devant ces actes, l'IME a demandé la suspension de prise en charge, comme réponse face à la loi institutionnelle.
L'équipe éducative était très mal à l'aise, et en plein questionnement sur cette prise en charge. Il leur était bien difficile
d'expliquer réellement au père les actes posés par Djamel, du fait de leurs inquiétudes face aux réactions des parents
(châtiments corporels sévères).
Néanmoins, durant toute cette période, Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA devaient avoir des rencontres avec
l'IME, afin d'envisager les conditions dans lesquelles Djamel pouvait réintégrer l'institution.
Au niveau du S.A.E, nous avons très vite proposé une rencontre aux parents avec le Psychologue, et sommes allés
régulièrement dans la famille, car nous étions très inquiets de savoir Djamel chez lui toute la journée.
Lors de ces rencontres, nous avons vu toute la famille. Madame KHAÏBOUCHA nous est apparue complètement sous
la dépendance de son mari ne s'autorisant à aucun moment d'intervenir, sauf si son mari l'interpelle directement.
Cette femme a pu nous dire que Djamel était dur, ainsi que Mohamed, mais que depuis qu'il est à la maison tous les
jours, il est sage, car il reste dans sa chambre. Ces propos sont confirmés par Monsieur KHAÏBOUCHA, qui considère
que Djamel se met en danger chaque fois qu'il est sans surveillance et il ne veut plus avoir des remontrances du
voisinage.
Madame KHAÏBOUCHA nous dira ne pas comprendre cet enfant qui la rejette sans cesse, alors que Mohamed,
même s'il a des difficultés, n'agit pas pareil.
En effet, Mohamed était sur le canapé, complètement absent, ne répondant à aucune question, dans un mutisme
impressionnant.
Aziz, l'aîné de la première fratrie, lui par contre, intervient très facilement dans des propos assez humiliants pour ses
deux frères. Il est le seul à avoir eu un cursus scolaire normal (redouble le CM2), et semble avoir une place
particulière aux yeux de son père et sa belle-mère.
Au vu de toutes ses difficultés avec Djamel, nous abordons avec Monsieur KHAÏBOUCHA, l'idée d'un internat éducatif
la semaine dans l'intérêt de Djamel et dans le leur, afin d'éviter tout débordement dans leurs réponses. Monsieur
KHAÏBOUCHA refuse en bloc cette proposition, considérant d'une part que Djamel est bien chez lui, que son épouse
est parfaite pour ses enfants en comparaison de sa première femme, et que d'autre part, Djamel ne lui a rien
demandé de la sorte.
Il interpelle directement Djamel qui ne peut s'autoriser à dire autre chose que son père. De la même façon, Djamel
parle de sa "vraie maman", comme quelqu'un qui ne veut plus voir, car elle l'a abandonné. Ces propos répondent
complètement aux discours de son père, mais ne nous paraissent pas être vraiment ceux de l'enfant.
Suite à cette rencontre, Monsieur KHAÏBOUCHA a adopté une toute autre position dans les propos qu'ils tenaient sur
son fils. Il décrira Djamel comme une victime. Victime de l'ESSORT qui ne veut plus de lui alors qu'il n'a rien fait,
victime du voisinage qui est raciste car depuis le 2 octobre, son fils ne bouge plus, et ne sort plus. Djamel passait
toutes ses journées dans l'appartement sous l'œil vigilant de sa belle-mère.
Cette situation nous inquiétait, d'autant plus que Djamel paraissait complètement contenu, prêt à tout moment à
exploser sans pouvoir le faire.
Début Novembre, nous rencontrions à nouveau l'ESSORT où étaient présents : les deux éducateurs du groupe,
l'assistante sociale, le chef de service, l'enseignante, le thérapeute et le directeur. Cette synthèse a eu lieu avec
Monsieur DOUMIER Psychologue du SA.E. et nous-même.
Lors de cet échange, l'I.M.E. s'engage à reprendre Djamel à mi-temps, dans le cadre d'un retour progressif, dès le 9
novembre 1993, avec un travail spécifique entre le thérapeute et Djamel. Au niveau des transports avec projet
d'accompagnement individuel de Djamel, entre son domicile et l'ESSORT est prévu afin d'éviter tout débordement de
l'enfant. D'autre part, Monsieur KHAÏBOUCHA s'engage lui, à accompagner son fils tous les samedis matins. Dans le
cadre de notre service, Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA ont accepté de maintenir des rendez-vous avec
Monsieur DOUMIER, afin d'être aidés pour mieux comprendre leur fils
Au vu de ce projet, nous convenons de ne plus aborder pour le moment l'idée d'un internat, et de refaire le point au
bout d'un mois, d'un tel fonctionnement.
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Le 8 Décembre, lors d'une rencontre avec Djamel seul il nous demandera à plusieurs reprises : "C'est quand la fin des
six mois"?.
Il nous expliquera que son père lui a promis une bonne correction au terme de notre investigation. Nous tentons de
rassurer Djamel sur la possibilité d'une poursuite de mesure éducative, que nous proposerons au Juge des Enfants.
Après cette mise au point, Djamel nous fera un certain nombre de révélations inquiétantes de ce qu'il vit chez lui, ainsi
que son frère Mohamed. A savoir que sa belle mère l'enfermerait dans sa chambre avec Mohamed avec l'interdiction
formelle d'en sortir. Si toutefois ils dérogeaient à cette loi, Madame KHAÏBOUCHA frapperait avec le ceinturon ou le
manche du balai.
En même temps, Djamel défend ses agissements en exprimant que "c'est parce qu'il est pas sage, car il n'a pas
écouté". Il nous exprime aussi que pour lui, c'est bien plus dur, dans la mesure où on ne lui donne rien à faire dans la
chambre, alors que Mohamed aurait des devoirs, que d'autre part, il entend toujours ses parents se disputer à cause
de lui, et que sa belle-mère ne cesse de répéter "qu'elle n'a pas de place pour lui dans son cœur "..
Djamel nous dira aussi que, lui et Mohamed n'ont pas le droit de jouer avec Kader (enfant du couple), seul Aziz a
l'autorisation car ses parents pensent qu'ils n'apprendraient "que des mauvaises choses" à leur petit frère. Il évoquera
à plusieurs reprises le souvenir de sa "vraie maman'' qu'il aurait revu il y a environ deux ans en TUNISIE avec son
père et ses deux frères Mohamed et Aziz. Il nous dira qu'elle a beaucoup pleuré quand elle l'a vu à cause de Aziz qui
lui a rappelé tout ce qu'elle avait fait de mal : " elle avait la honte devant mon père". Djamel nous dit que sa "vraie
maman" vit en pleine montagne en TUNISIE chez sa grand-mère.
Au vu de toutes ces révélations, nous expliquerons à Djamel que nous sommes dans l'obligation d'en avertir le Juge
des Enfants, car il ne nous est pas possible d'entendre tous ces mauvais traitements, sans rien dire. Djamel nous dit
qu'il ne veut pas qu'on le dise à ses parents car il a peur, et que c'est parce qu'il n'est pas sage. Nous évoquons avec
lui l'idée d'une séparation dans le cadre d'une famille d'accueil, ce qui semble le satisfaire, et craint en même temps la
réaction de son père, et nous fait part de ses inquiétudes pour Mohamed.
Le 10 décembre, lors de nos rencontres avec l'ESSORT pour faire un premier point du projet (énoncé plus haut), nous
sommes obligés de faire un constat négatif. Monsieur KHAÏBOUCHA n'a tenu aucun de ses en engagements :
ni dans le transport de Djamel le samedi matin, ni dans les rencontre avec Monsieur DOUMIER, Psychologue de
notre service.
Pour autant, en ce qui concerne Djamel, il a retrouvé une place dans l'institution, et semble satisfait de cette nouvelle
prise en charge. A son retour, l'enfant n'avait plus d'appétit, seulement maintenant Djamel semble reprendre goût à
la nourriture. Il évoquera aux éducateurs de l'ESSORT les humiliations dont il est victime dans le cadre des repas
familiaux. Son père le forcerait à manger en lui appuyant la tête dans l'assiette pendant que sa belle-mère lui
cracherait à la figure.
CONCLUSION
Au vue de tous ces éléments d'inquiétudes, sur les agissements de Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA concernant
Djamel et de ceux dont seraient victimes Mohamed, nous proposons que notre mesure éducative puisse être étendue
à Mohamed.
Il est à noter que toutes les révélations de Djamel se sont faites dans le cadre d'une relation duelle avec l'enfant qui
ne peut s'autoriser à exprimer quoique ce soit devant son père : maltraitance physique et psychologique de la part des
deux parents pour Djamel et Mohamed.
Tout en décrivant ces châtiments, Djamel défend dans le même temps ses parents considérant qu'il est responsable
car il n'est pas sage. Djamel est sans cesse dans une demande affective importante de la part de l'adulte, qu'il rejette
en même temps comme si tout contact ne pouvait être que dangereux.
Il est dans un questionnement important autour de sa "vraie" maman que son père décrit comme une femme infâme
responsable de tous les maux de Djamel et Mohamed. Néanmoins, ce souvenir de cette maman qui a beaucoup
pleuré reste très présent dans son discours.
On peut penser que pour Djamel, s'autoriser à exprimer une quelconque attache à cette "vraie maman" disqualifierait
les propos de son père et serait par la même, en effet, un mauvais comme elle.
En conclusion nous avons prévu une rencontre avec l'A.S.E. le 27 Décembre afin d'exposer la situation en vue d'une
éventuelle famille d'accueil.
Nous proposons qu'une mesure d'O.A.E. soit étendue à Mohamed afin d'évaluer si un éventuel projet de séparation
n'est pas aussi à envisager pour cet enfant, qui semble s'être réfugié dans un mutisme important. Cette proposition au
Juge des Enfants a été réfléchie avec l'équipe l'ESSORT du fait de nos inquiétudes croissantes concernant les deux
enfants.
Laure SAUVET, Éducatrice Spécialisée
Sophie LAURENT, Chef de Service Éducatif
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ASSOCIATION DÉ L'ENFANT de la SOMME
SERVICE D'ACTION EDUCATIVE
Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action Éducative
80 - ABBEVILLE
83.240
ABBEVILLE, le 31
JAN 1991
COMPTE RENDU DES INTERVENTIONS
O.A.E. du 05.08.1990 au 5.02.1991 pour Djamel
O.A.E. du 17.12.1990 au 5.02.1991 pour Mohamed
Concernant les jeunes :
KHAÏBOUCHA Djamel né le 21 Juillet 1980 à AMIENS scolarisé à l'ESSORT à ABBEVILLE depuis Sept 1988
KHAÏBOUCHA Mohamed né le 5 Juin 1981 à AMIENS scolarisé en classe de perfectionnement d'ABBEVILLE
Domiciliés : chez leurs parents : Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA - (80) ABBEVILLE
Mesure ordonnée par : Mme TORET, Juge des Enfants près le Tribunal de AMIENS - Au titre de la Loi du 4.06.1970
Intervenants : - Laure SAUVET, Educatrice spécialisée
- Robert DOUMIER, Psychologue
Proposition du S.A.E. : Prolongation de la mesure éducative pour les deux enfants, Mohamed et Djamel KHAÏBOUCHA
MOTIF DE L'INTERVENTION
" Par ordonnance en date du 5 Août 1990, une mesure d'O.A.E. a été instituée à l'égard de Djamel KHAÏBOUCHA,
frère de Mohamed, en raison des difficultés de comportement de ce dernier.
Vu la note de situation du S.A.E. en date du 17 Décembre 1990,
Mohamed rencontre des difficultés de comportement (mutisme important) et il existe des difficultés familiales ... "
"Par requête en assistance éducative en date du 28 Juin 1990, Monsieur le Procureur de la République d'AMIENS
nous saisissait de la situation de Djamel KHAÏBOUCHA à la suite d'une demande de l'I.M.E. L'ESSORT à
ABBEVILLE dans lequel le mineur suit une scolarité spécialisée et faisant état de coups portés par Monsieur
KHAÏBOUCHA sur son fils."
A l'audience du 5 Août 1990, Monsieur KHAÏBOUCHA a reconnu être I'auteur des coups tout en précisant que le
certificat médical dressé était exagéré. Il a précisé que son fils avait commis différents chapardages durant les trois
derniers mois et cela l'avait énervé.
Madame KHAÏBOUCHA a dit la même chose que son mari Monsieur KHAÏBOUCHA s'est déclaré favorable à
l'institution d'un bilan éducatif, Madame KHAÏBOUCHA précisant que c'était son mari qui décidait.
Djamel KHAÏBOUCHA est agressif, violent, méprisant depuis environ trois mois à l'I.M.E. l'ESSORT. Il a dû en être
exclu à la suite d'un caillou envoyé dans le visage d'une éducatrice.
II a commis de petits vols dans l'établissement et chez des voisins.
Madame KHAÏBOUCHA n'a pas d'autorité sur lui.
Monsieur KHAÏBOUCHA lui, a par ailleurs porté des coups au mois de Juin dernier, d'une violence excédant
largement une correction infligée par un père à son fils (au moins cinq larges ecchymoses sur le dos).
II semble que Djamel ait même émis le souhait de quitter le domicile familial alors qu'il est à peine âgé de 10 ans.
Il se pose aussi des questions par rapport à sa mère qui vit en TUNISIE.
II y a donc lieu d'instituer une mesure d'O.A.E. pour une durée de 6 mois confiée au S.A.E.
HISTOIRE FAMILIALE & DONNEES BIOGRAPHIQUES
Les données biographiques demeurent inchangées depuis notre note de situation en date du 17 Décembre 1990.
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HISTOIRE FAMILIALE
Monsieur KHAÏBOUCHA se marie en 1979 avec Madame KEROUAL en TUNISIE. Cette jeune femme est la sœur de
l'épouse de l'un de ses frères.
De cette union naît très vite Aziz le 14 Juin 1979 en TUNISIE. Le couple s'installe en France à ABBEVILLE et deux
autres enfants naîtront rapidement.
Djamel (l'intéressé) le 21 Juillet 1980 à ABBEVILLE et Mohamed (l'intéressé) le 5 Juin 1981 à ABBEVILLE.
Une mesure d'O.A.E. est prononcée du 6 Juin 1983 au 6 Octobre 1983, suite à un signalement de l'hôpital dont nous
ne connaissons pas le contenu.
Monsieur KHAÏBOUCHA nous dira que ce signalement faisait suite aux mauvais traitements infligés par sa femme sur
son fils Mohamed qui aurait eu une fracture de la clavicule. Il nous décrira sa première épouse comme une personne
qui était incapable de s'occuper de la maison et de ses enfants. D'autre part, il l'incrimine d'être la cause des
difficultés que rencontrent ses deux fils Djamel et Mohamed.
Durant l'été 1983, Madame KHAÏBOUCHA part en TUNISIE accompagnée, semble-t-il, par un des frères de Monsieur
laissant ses trois enfants à son mari. A cette époque, Monsieur KHAÏBOUCHA expliquera que ce départ devait leur
permettre une mise au point et qu'il devait rejoindre sa femme dès qu'il serait en congé.
Au niveau de ses enfants, il confie Aziz et Mohamed (l'intéressé) à un de ses frères habitant à l'époque DOLE (Jura)
et Djamel (l'intéressé) à un autre frère demeurant à TOULON.
Déjà, Djamel était décrit comme un enfant difficile et c'est une des raisons pour lesquelles son oncle ne souhaitait pas
l'accueillir avec ses frères.
Au retour des congés, seul Monsieur KHAÏBOUCHA revient de TUNISIE. Il annoncera qu'il a divorcé, car sa femme
voulait reprendre "sa liberté" et que, d'autre part, il s'était remarie avant de revenir en FRANCE.
A l'époque, notre service s'étonnera de la rapidité des procédures et Monsieur expliquera que selon la loi coranique il
aurait pu se remarier sans pour autant divorcer.
Cette nouvelle épouse n'arrivera en France que quelques mois plus tard, délai nécessaire pour les papiers et
formalités administratives.
Une fois, cette femme installée dans son appartement, Monsieur KHAÏBOUCHA reprendra ses enfants.
Cette nouvelle épouse est très jeune (née le 19 Mars 1967). Quand elle arrive à ABBEVILLE, elle est âgée de 17 ans,
se retrouve coupée de ses racines, de sa famille et a, en plus, la charge de trois enfants âgés de 4, 3 et 2 ans.
Dès lors, Monsieur KHAÏBOUCHA fera porter à son ex-femme tous les maux et difficultés que ses enfants rencontrent
(Djamel et Mohamed).
Pendant toute cette mesure d'investigation, Monsieur KHAÏBOUCHA décrira sans retenue devant ses enfants les
sévices qu'ils auraient eu à subir de la part de leur maman (châtiments corporels, enfermement, négligence, etc …),
et par là même leur demandant toute gratitude à l'égard de leur belle-mère qu'il considère comme irréprochable dans
l'éducation ceux-ci.
DÉROULEMENT DE LA MESURE ÉDUCATIVE
Lors de notre dernière note de situation du 17 Décembre 1990, nous faisions part au Magistrat de nos inquiétudes par
rapport à ce que Djamel pouvait vivre dans son milieu familial, ainsi que son frère Mohamed.
Comme nous le notions dans notre conclusion, nous avons rencontré une première fois l'A.S.E. le 27 Décembre afin
de leur exposer cette situation dans l'objectif d'un accueil éventuel de Djamel en famille d'accueil. Une mesure
d'O.A.E. a été étendue pour Mohamed afin d'évaluer la situation de cet enfant.
Parallèlement, nous interpellions le P.F.S. qui ne pouvait pas répondre à notre demande faute de place.
Une autre rencontre avec l'A.S.E. a eu lieu le 17 Janvier, afin d'affiner un éventuel projet d'accueil où en accord avec
l'ESSORT nous pensons qu'il est nécessaire de maintenir la prise en charge de Djamel à l'I.M.E.
Le 12 Janvier, nous nous sommes rendus au domicile afin d'échanger avec la famille de notre projet pour Djamel et
des raisons qui ont motivé l'extension de la mesure à Mohamed.
Ce jour là, Monsieur KHAÏBOUCHA était absent car il travaillait, seule Madame était là avec tous les enfants. Cette
situation a permis à Madame KHAÏBOUCHA de s'exprimer avec néanmoins beaucoup de réserves, considérant que
toutes les décisions sont à prendre et à réfléchir avec son mari.
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Elle nous expliquera qu'elle était très jeune quand elle est arrivée en FRANCE et qu'au début c'était bien difficile avec
les enfants mais surtout Djamel.
Nous lui expliquons le projet que nous allons soumettre au Juge des Enfants pour Djamel et elle nous répond "Mon
mari ne sera pas d'accord".
Elle ne s'autorisera à aucun moment d'émettre un avis sur ce projet mais reconnaîtra seulement que quelques fois
c'est très difficile avec les enfants.
- LES INTÉRESSES Mohamed KHAÏBOUCHA
Nous abordons en présence de Mohamed les raisons qui nous ont conduit à nous inquiéter aussi pour lui, son
mutisme, ses difficultés scolaires, qui sont largement mises en avant par son père.
Mohamed paraissait relativement absent pendant cet échange, sauf au moment où nous lui avons demandé des
renseignements sur son école. Il a été capable de nous répondre et de nous donner le nom de son école et de son
institutrice sans difficulté, ce qui nous a quelque peu rassuré sur "son mutisme".
Madame KHAÏBOUCHA nous confirme les propos tenus par son mari à l'entretien précédent, à savoir la C.D.E.S. leur
a proposé plusieurs établissements spécialisés où ils se sont rendus avec Mohamed mais aucun n'a pu le prendre en
charge. Mohamed est donc scolarisé en classe de perfectionnement au Châtelet en Brie.
Nous avons contacté deux des établissements préconisés afin de savoir où en était le dossier.
- Ainsi, l'Institut de Rééducation de DOULLENS nous expliquera qu'il avait reçu un premier dossier en Septembre
1989, puis en Janvier 1990 mais qu'ils ont retourné celui-ci en Mai 1990 car ils n'avaient pas de place.
D'autre part, l'assistante sociale nous déclare que personne, à sa connaissance, n'a rencontré la famille.
-
L'I.M.P. de l'OISEMONT
De la même façon, l'assistante sociale nous dira que ce dossier est ancien et qu'il a été classé en Juin 1990.
Par contre, Monsieur KHAÏBOUCHA s'était déplacé avec son fils dans le cadre de la procédure d'admission.
Mohamed avait été vu par le Médecin Psychiatre de cet I.M.P. le 7 Mai 1990 qui avait noté :
!
!
!
!
inhibitions scolaires majeures,
structure dépressive,
dépendance du milieu familial nécessaire, l'internat ne paraît pas indiqué,
défenses toutes orientées contre une sorte de vécu dépressif.
Au vu de cette conclusion, Mohamed n'a pas été admis. Depuis lors cet Établissement n'a pas été saisi d'un nouveau
dossier.
Par contre, le 10 Septembre 1990, Monsieur KHAÏBOUCHA réinterpellera cette structure car il voulait que Mohamed y
soit interne.
Le 18 Janvier 1991, nous rencontrons l'institutrice de Mohamed :
Nous avons été étonné de voir Mohamed avec autant de "tonus" au moment de la sortie de l'école. Il chahutait avec
des camarades et paraissait tout à fait tonique.
L'institutrice a pris ses fonctions à la rentrée 1990/91, donc ne connaissait pas Mohamed. Néanmoins, sur son dossier
scolaire, sa collègue lui avait laissé des notes et notamment des craintes quant à une suspicion de mauvais
traitement infligés par le père.
En Septembre, l'institutrice nous dira que Mohamed était un enfant assez sauvage, ne regardait pas son interlocuteur,
pleurnichait chaque fois qu'un camarade l'ennuyait.
Depuis lors, elle trouve qu'il a mûri. Maintenant, quand on lui demande directement de répondre, c'est moins difficile, il
ne se laisse pas ennuyer par les autres sans réagir.
Il est dans cette classe depuis la rentrée de Septembre 1990.
Sur le plan purement scolaire, la directrice, qui connaît Mohamed depuis plusieurs années, trouve qu'il a régressé.
-
II sait reconnaître le même mot dans différents textes,
repère bien les horaires simples
ne connaît pas les jours de la semaine
reconnaît quelques lettres de son prénom.
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Depuis la rentrée, Mohamed s'est lié d'amitié avec un camarade de classe, ce qui semble le stimuler. D'autre part,
l'institutrice nous dit que les autres enfants de la classe ont pris en compte ses difficultés et sont beaucoup plus
patients et gentils avec lui.
Djamel KHAÏBOUCHA
Le 21 Janvier, nous rencontrions Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA à notre Service en présence de Monsieur
DOUMIER, Psychologue du S.A.E. afin d'exposer à la famille les propositions que nous allions faire au Magistrat en
ce qui concerne Djamel.
Monsieur KHAÏBOUCHA est opposé avec ce projet, considérant qu'il a tout fait pour garder ses enfants avec lui en
ramenant une femme pour s'occuper d'eux car leur mère en était incapable.
Il exprime que maintenant avec Djamel les relations sont bonnes. Pour ce faire, il nous donne un exemple :
- Pendant les vacances de Noël, Monsieur KHAÏBOUCHA fait un "marché" avec son fils, moyennant une somme
d'argent, à savoir Djamel devait rester assis sans bouger pendant une heure et demi, ce qu'il a respecté.
Pour Monsieur, ceci est la preuve d'un changement chez son fils.
Pendant l'entretien, il pointe sa femme comme responsable de notre proposition car elle ne sait pas "aimer" son fils.
Madame KHAÏBOUCHA se faisait "toute petite", ne pouvant s'autoriser à prendre la parole.
Monsieur l'accuse de ne pas savoir s'occuper de Djamel alors que s'il l'a ramenée en France c'était pour prendre en
charge ses trois enfants. Il ne veut rien entendre des difficultés pour cette jeune femme de s'être retrouvée mère de
famille de trois enfants du jour au lendemain et coupée de ses racines.
On peut penser que pour Madame KHAÏBOUCHA, l'enjeu est très grand car se retrouvant la mère de Kader, elle a
tout à craindre d'un sort similaire à la première épouse de son mari, ce qui l'éloignerait de son fils.
Il nous semble que Monsieur KHAÏBOUCHA, sous un discours libéral à l'endroit de sa femme, lui impose sa volonté.
L'exemple de sa première épouse qui se retrouve isolée en TUNISIE, sans aucune relation avec ses enfants sauf
quand Monsieur le décide, est certainement une menace tangible pour cette deuxième épouse et mère d'un petit
garçon.
Une prochaine rencontre avec l'ESSORT est prévue le 27 Janvier 1991.
COMPTE RENDU PSYCHOLOGIQUE (Robert DOUMIER, Psychologue)
- Concernant la famille KHAÏBOUCHA :
Djamel est un enfant en souffrance qui s'exprime autant par les actes que par la parole en étant très conscient de ce
qu'il vit et fait : il fait "des bêtises" pour qu'on s'occupe de lui eu égard à son impossibilité à se faire accepter par une
mère, que ce soit sa mère réelle dont il ne se souvient que de la violence à son égard, ou de sa belle-mère qui, sans
être aussi violente, le refuse affectivement.
Il fait tout pour fuir la relation ou provoquer le rejet mais on sent derrière ce comportement une grande quête affective.
Monsieur KHAÏBOUCHA parait très démuni dans tout ce qui concerne l'expression des sentiments : il ne connaît que
le langage de la volonté et de la force, voire de la violence, aussi bien envers, ses enfants qu'envers ses femmes (ce
qui explique probablement les réactions de rejet que peuvent avoir celles-ci envers les enfants). Il fonctionne de façon
assez paranoïde jetant constamment les torts sur autrui (mère, femme, institutions pour éviter toute remise en
question personnelle. Sa bonne volonté pour coopérer n'est qu'apparente et il n'est plus venu lorsque nous lui avons
proposé un travail d'implication et de réflexion autour des difficultés de Djamel.
Madame KHAÏBOUCHA est une femme très jeune, dépendante de Monsieur, brutalement transplantée et placée en
position de mère de trois enfants à 17 ans. Elle ne peut manifestement rien s'autoriser à exprimer de ses difficultés de
peur des représailles (menaces d'être répudiée comme la première femme).
La mesure d'investigation débute pour Mohamed et il est trop tôt pour en tirer des conclusions mais il semble que, si
l'enfant réagit différemment de Djamel, par l'inhibition au lieu de l'explosion, les difficultés relationnelles avec les
parents soient les mêmes.
Robert DOUMIER
Psychologue
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CONCLUSION
Au vu de tous les éléments recueillis au cours de notre investigation, nous pensons qu'une séparation de Djamel avec
son milieu familial est nécessaire.
Séparation qui est refusée par le père car elle est pour lui, semble-t-il, le constat d'un échec dont seule sa femme
(deuxième épouse) serait responsable.
Par deux fois nous avons rencontré l'A.S.E. afin d'exposer les difficultés de Djamel et sa capacité à reproduire sa
problématique de maltraitance qui peut induire un rejet. En ce sens une famille d'accueil sur AMIENS semble, d'après
l'A.S.E., répondre à ce type d'enfants afin qu'une prise en charge à l'ESSORT soit maintenue.
Nous proposons donc l'accueil de Djamel dans une famille de l'A.S.E. dans le cadre de l'audience. Monsieur
KHAÏBOUCHA ainsi que sa femme sont informés de notre proposition au Magistrat ; proposition qui a été travaillée en
collaboration avec l'A.S.E. et l'ESSORT.
Nous souhaitons la poursuite de notre intervention pour Djamel afin de soutenir le projet.
En ce qui concerne Mohamed, notre investigation est encore bien trop courte pour proposer un projet et souhaitons
continuer notre O.A.E.
ABBEVILLE, le 28 Janvier 1991
Laure SAUVET, Éducatrice Spécialisée
P/ le Directeur, Sophie LAURENT, Chef de Service Éducatif
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Document 04 / 2 pages
ASSOCIATION DE L'ENFANT de la SOMME
Service d’Action Educative
Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action, Éducative
80 - ABBEVILLE
83-240
ABBEVILLE, le 06 JUIN 1991
NOTE DE SITUATION
AEMO du 05.02.1991 au 05.08.1991 - PE
Concernant : KHAÏBOUCHA Djamel
Né(e) le : 21 Juillet 1980
Mesure ordonnée par : Madame TORET, Juge des Enfants à AMIENS - Au titre de la loi du 04.06.1970
Intervenant(s) :
- Laure SAUVET, Educatrice Spécialisée
- Pierre PARIS, Educateur Spécialisé
DJAMEL se met en "danger de mort" depuis maintenant plusieurs mois et aucun discours éducatif ne peut être accessible pour
cet enfant.
La Maison de l'Enfant se trouve très en difficulté face à cet enfant, qu'ils ne peuvent pas contenir et sont obligés de protéger les
autres enfants du groupe et de l'institution.
Devant le manque de réponses face aux passages à l'acte de Djamel, capable de courir sur les routes, grimper sur les poteaux
électriques, se sauver par les fenêtres, sauter sur les toits des voitures... nous avons accompagné cet enfant en désespoir de
cause à l'hôpital d'AMIENS en espérant trouver une réponse médicale (CF note du 05 Avril 1991).
Un autre rendez-vous était prévu avec le Docteur FRANÇOIS, le 05 Avril à 10 heures à AMIENS.
Quand nous sommes arrivés à La Maison de l'Enfant, le Mardi 05 Avril à 8 h 45, Djamel présentait des traces sur le visage
(griffures assez larges sous l'œil traces de morsure sur la joue et traces de griffures dans le cou). Ces marques nous ont inquiétés,
d'autant que Djamel revenait de week-end en famille.
Avant notre arrivée, Djamel souhaitait téléphoner chez lui afin d'avoir un échange avec sa famille. Madame KHAÏBOUCHA lui
raccroche au nez.
Au moment de partir à AMIENS, Djamel s'enfuit de La Maison de l'Enfant et deux éducateurs arrivent à l'intercepter et à le faire
monter dans la voiture.
Devant l'état d'excitation de l'enfant, nous tentons de négocier avec lui sur deux possibilités
- soit il arrive à se calmer et nous l'accompagnons sur AMIENS en consultation pour rencontrer le Docteur FRANÇOIS,
pédo-psychiatre,
- soit il ne peut pas, car il est trop mal et nous l'accompagnons aux urgences d'AMIENS.
De ces deux alternatives, Djamel choisit la première. Or, dès que nous avons pris la route, il s'est mis à jeter des coups de pied
dans tous les sens, voulant ouvrir la portière en marche.
Comme aucune parole ne semblait l'apaiser, nous prenons la direction de l'hôpital d'AMIENS et stoppons la voiture. Là, Djamel
nous promet de ne plus avoir ce type de débordement, et nous demande d'aller à sa consultation, ce que nous acceptons et lui
précisons que nous prendrons aucun risque qui pourrait soit le mettre en danger de part son attitude ou mettre en péril la sécurité
des personnes en voiture.
Sur la route, Djamel paraissait se contenir, mais nous sentions qu'à tout moment, il était prêt à exploser. Nous avons dû stopper la
voiture, une nouvelle fois, sur le trajet.
Arrivés à la consultation, le Docteur FRANÇOIS préconise une hospitalisation qu'elle ne peut mettre en place par manque de lits.
Elle augmente le traitement de Djamel afin qu'il soit plus apaisé et que la parole puisse avoir un sens pour l'enfant.
Elle nous envoie dans un autre service, afin que Djamel puisse subir un électroencéphalogramme pour s'assurer qu'il ne souffre
pas d'épilepsie.
Dans ce service, Djamel "explosera" dans tous les sens, courra partout, monte et descend des ascenseurs, injurie toutes les
personnes essayant de le contenir avec des passages à l'acte (coups de poings, coups de pieds...).
Étant dans l'impossibilité de le rattraper, deux personnes de la sécurité ramènent Djamel, et tentent de le raisonner. II accepte
l'EEG qui se déroule à peu près normalement. A la fin de cet examen, de nouveau Djamel "explose" et s'enfuit. Deux infirmiers psy.
récupèrent l'enfant et le raccompagnent au service pédo-psy où il sera vu par un interne dans le cadre d'une urgence.
Ce médecin administre 10 gouttes du traitement à Djamel, afin de l'apaiser et nous assure qu'avec ce médicament, l'enfant devrait
se calmer et que nous pourrions le raccompagner à La Maison de l'Enfant sans difficulté.
Au bout d'une demi-heure, le service pédo-psy d'AMIENS nous laisse repartir avec Djamel.
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A peine sorti du service, mais dans l'enceinte de l'hôpital, Djamel s'enfuit et nous ne pouvons l'arrêter. Là, les infirmiers et les
médecins étaient très inquiets et alertent tous les services afin de le retrouver. Pendant ce temps, nous allons faire une déclaration
de fugue au commissariat.
L'inquiétude, allant grandissante, car cet enfant se met en danger (voire danger de mort), Djamel est retrouvé dans l'hôpital.
Une nouvelle consultation avec le Docteur FRANÇOIS a lieu, il adresse l'enfant à MOREUIL, afin qu'une solution d'hospitalisation
soit trouvée.
Le transport se fait en ambulance où Djamel s'est mis à craquer et pleurer, réclamant "sa vraie maman". A MOREUIL, le psychiatre
est très surpris de notre arrivée, car ce service est un service d'adultes et elle ne peut pas réponde à la demande de son confrère.
Néanmoins, elle préconise des soins pour cet enfant et nous renvoie en ambulance à AMIENS pour une hospitalisation.
Nous prenons contact avec le Tribunal pour Enfants qui donne son accord pour une OPP dans ce service, pour une hospitalisation,
mais qui ne peut faxer cette ordonnance, vue l'heure tardive. Pour autant, ce papier devait parvenir dès le lendemain matin.
Arrivés à la AMIENS à 20 h 30, les différents médecins pédo-psy que nous rencontrons refusent de prendre l'enfant, considérant
qu'il ne relève pas de leur service, qu'il fallait envisager de faire suivre Djamel avec les pédo-psy de notre secteur.
Djamel était épuisé de toutes ces consultations, discours contradictoires des différents médecins.
A 21 h 30, nous repartons au Foyer de l'Enfance avec Djamel, sans solution.
Suite à cette journée infernale, Djamel semble avoir compris notre détermination à stopper ces passages à l'acte et notre
impuissance à trouver une solution.
Même dans un mal-être extrême dans l'enceinte de l'hôpital, où Djamel a été contenu pendant plusieurs heures par la présence
d'un infirmier psy., il n'y a pas eu d'autres réponses.
Fort de cette expérience, on peut penser que pour l'enfant, il en ressort un sentiment de toute puissance, où rien, ni personne ne
peut le stopper, ce qui ne fait qu'accroître son malaise et engendre des comportements de plus en plus suicidaires.
Durant quelques jours, Djamel était plus apaisé, mais on peut penser qu'il était épuisé, pour très vite remettre en place des
passages à l'acte de plus en plus graves.
Un séjour de vacances a pu se mettre en place à AIX EN PROVENCE pour 15 jours. Aux dires d'un éducateur que nous avons eu
au téléphone, la première semaine a été extrêmement difficile et ils avaient évoqué d'interrompre le séjour.
Or, Djamel a pu trouver sa place et le projet a pu se maintenir. Le rapport de comportement de cette structure, voire ci-jointe, est
nettement moins optimiste que ce que l'on nous avait laissé entendre.
Dès son retour, Djamel a réadopté des comportements qui le mettent en danger de mort et mettent en péril les autres enfants.
II semblerait que Djamel fugue maintenant, non plus pour aller à ABBEVILLE chez son père, mais s'est lié avec les adultes SDF d'
AMIENS, qui lui feraient subir toutes sortes de mauvais traitements (abus sexuels ?), l'utiliserait pour s'approvisionner des boissons
alcoolisées, etc...
D'autre part, il aurait été vu à plusieurs reprises sur les voies ferrées à la gare de AMIENS, se mettant devant les trains à grande
vitesse et courant au dernier moment.
Cette situation ne peut pas durer, Djamel est en réel danger.
Nous avons interpellé plusieurs structures :
- COURTEPAILLE, pas de place avant Septembre 1992,
- CLAIREFONTAINE, pas de place dans l'immédiat, ne peuvent pas nous donner de date.
La Maison de l'Enfant a obtenu une réponse négative d'un projet d'accueil à moyen terme à AIX EN PROVENCE.
Une piste est en cours d'exploitation à FLIXECOURT et Madame Françoise MATRIER, Médecin Psychiatre du SAE est en
discussion avec l'hôpital de NOUVION, pour une éventuelle hospitalisation.
Aujourd'hui, ces passages à l'acte sont tels qu'aucune structure éducative n'est à même de contenir cet enfant.
Djamel est aujourd'hui beaucoup moins en danger chez lui qu'il ne peut l'être dans une structure.
On peut penser que la séparation d'avec son milieu familial, du fait de toute l'ambiguïté du père est synonyme pour Djamel de
"mort".
La moins mauvaise solution parait être aujourd'hui le maintien au domicile des parents, tout en sachant que ce retour mettra
Madame KHAÏBOUCHA dans une position extrêmement difficile. Elle ne peut plus supporter le comportement de cet enfant.
Nous proposons la mainlevée du placement à La Maison de l'Enfant.
ABBEVILLE, le 03 Juin 1991
Laure SAUVET, Educatrice Spécialisée
Pierre PARIS, Educateur Spécialisé
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Document 05 / 1 page
ASSOCIATION DÉ L'ENFANT de la SOMME
Service d’ Action Educative
Service Social Spécialisé - Service d'Orientation et d'Action Éducative
80 - ABBEVILLE
83.240
ABBEVILLE, le 06 JUIN 1991
A l'attention de Madame le Juge des Enfants - ABBEVILLE
NOTE ADDITIVE A LA NOTE DU 6 JUIN 1991
A.E.M.O. du 5.02.1991 au 5.08.1991 - PE
Concernant le jeune :
KHAÏBOUCHA Djamel
Né le :
21 Juillet 1980
Intervenants :
Françoise MATRIER, Médecin Psychiatre
Djamel KHAÏBOUCHA
Nous avons rencontré Djamel KHAÏBOUCHA il y a quelques mois alors qu'il manifestait déjà son
refus d'être placé dans une famille d'accueil. A l'époque, nous avons fait savoir à Monsieur
KHAÏBOUCHA que nous pensions que Djamel sentait l'ambivalence de son père quant à ce projet
de séparation et qu'il le manifestait par ces retours réitérés dans la maison familiale.
Depuis, nous n'avons plus rencontré Djamel ni son père mais nous avons été informée des
difficultés majeures que Djamel rencontrait. Il est certain qu'actuellement la situation d'agitation
autour de cet enfant ne fait qu'aggraver les symptômes présentés par ce dernier. Il serait urgent
que cela cesse.
Peut-être faudrait-il envisager sérieusement organiser une hospitalisation de Djamel en milieu
spécialisé afin de le mettre à l'abri de lui-même et de l'agitation incessante et confuse qui règne
autour de lui. Dans ce sens, nous avons personnellement pris contact avec le service de
NOUVION qui n'a actuellement pas de place.
Françoise MATRIER
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Document 06 / 1 page
CONSEIL GENERAL DE LA SOMME
MAISON DE L'ENFANT
MAISON DE L'ENFANT
80 - AMIENS
DATE :
20 mai
DESTINATAIRE :
Mme SAUVET - S.A.E.
EXPÉDITEUR :
MAISON DE L'ENFANT
OBJET :
RAPPORT de comportement concernant Djamel KHAÏBOUCHA
- 80 AMIENS
Le 8 mai 1991 - Séjour du 9 au 24 Avril 1991
Djamel est arrivé le 9 Avril, pour un séjour de quinze jours. Son séjour peut se diviser en deux périodes caractérisées
par deux types de comportements.
- Première période:
Djamel nous a fait part dès son arrivée de son désir de ne pas rester. Il a immédiatement mis en jeu une fugue ; il est
parti à travers champs sous la pluie, voyant que nous le poursuivions pas, il s'est roulé dans la boue et en a mangé.
Nous l'avons baigné, il est ressorti fuyant sur la route et est monté en haut d'un pylône électrique.
Durant cette première semaine, Djamel nous a montré son répertoire de "comportements psychotiques". Nous l'avons
constamment surveillé.
Les autres enfants du groupe ont été impressionnés dans un premier temps et n'ont pas cherché à l'intégrer, ils ont
fait bloc pour se protéger.
Djamel préfère les jeux vidéo parmi toutes les activités proposées. Nous avons exigé qu'il fasse du vélo et des jeux
d'extérieur.
Djamel crée un climat de tension et d'excitation se servant des animaux comme "bouc émissaire" (il les martyrise). Ce
qui nous a conduit à intervenir d'une façon musclée.
Cette intervention a permis de stopper sa montée dans la provocation et a modifié ses comportements.
Dans un même temps, nous lui avons offert une peluche qui avait pour rôle de l'apaiser.
- Deuxième période :
Djamel a amélioré ses comportements : il fuguait mais revenait, il montait au pylône mais descendait, il prenait les
clés de la maison ou des véhicules mais les rendait ....
Il était plus sociable avec les autres. Si certains comportements ont un peu évolué c'est grâce à une énergie
permanente. Cependant sa structure psychique est la même.
CONCLUSION :
Nous pensons que pour ce jeune, une structure spécialisée type "FLIXECOURT" avec une équipe composée de
psychanalystes serait appropriée.
Notre lieu de vie s'est orienté vers une population type "cas sociaux" vers des objectifs d'insertion scolaire ordinaire ou
professionnelle. Le fonctionnement de l'équipe et le milieu sont adaptés à ce type de prise en charge.
La prise en charge de Djamel nécessiterait de nombreuses modifications.
L'équipe éducative.
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Document 07 / 4 pages
RAPPORT D'EXPERTISE
EXAMEN PSYCHIATRIQUE
Dans le cadre de la mesure d'assistance éducative suivie à l'égard de :
Djamel KHAÏBOUCHA né le 21/07/1980
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE AMIENS / Cabinet du Juge TORET - n° : 00/000 (assistance éducative)
Le médecin soussigné :
Dr J.M. DRAPIER, Psychiatre des hôpitaux
Expert près la Cour d'Appel de AMIENS commis par Ordonnance
de M. TORET, Juge d'Instruction au TGI de AMIENS en date du 25/01/1992
afin de :
•
procéder à l'examen mental du jeune : Djamel KHAÏBOUCHA et de :
répondre notamment aux questions suivantes :
* procéder à l'examen somatique comprenant, outre les pronostics d'évolution, la mention des contre-indications
intéressant notamment l'activité professionnelle et la pratique des sports ;
* dire si au vu des examens auxquels il sera procédé, il existe des facteurs bio-physiques, neuro-psychiques et
d'environnement de nature à favoriser ou à expliquer l'inadaptation du mineur et si les anomalies constatées semblent
de nature à faire considérer le mineur comme en état de démence ;
* préconiser les traitements médical ou psychologique de nature à favoriser la réadaptation de ce mineur.
certifie avoir étudié le dossier, examiné le sujet, s'être entouré de tous renseignements utiles et avoir consigné le
résultat des investigations dans le présent rapport qu'il affirme sincère et véritable.
Fait à AMIENS, le 15 Avril 1992
I - LE PROBLÈME
Nous avons rencontré le père M. Farid KHAÏBOUCHA le 27 Mars 1992 puis le fils Djamel accompagné d'un éducateur
du Foyer Educatif de FREVENT le 31 Mars 1992.
Le père expose longuement le problème :
«ça commence quand même à la naissance. Il est né en pleine forme mais le biberon déjà difficile. Il criait, il ne tenait
pas en place... retard de langage... Il courait à droite à gauche... A l'école, en Maternelle, pas d'attention, il courait, il
criait, impossible de le tenir... Ensuite, ça n'a plus été du tout : bêtises sur bêtises ...des colères ...des violences... on
l'a renvoyé de l'école... rien ne marche avec lui... J'en ai eu marre et je l'ai corrigé, il leur a montré son dos à
l'ESSORT ; c'est pour ça qu'on l'a mis au Juge des Enfants ... Tout ce qu'on essaye avec lui ça rate...»
C'est donc un enfant qui a montré -depuis son plus jeune âge- des retards et dysfonctions dans les divers aspects de
son développement, avec une inadaptation radicale.
Il convient ici de rechercher d'éventuels facteurs biophysiques, psychiques et d'environnement, en cause dans
l'inadaptation du mineur et dire si les anomalies éventuellement constatées semblent de nature à faire considérer le
mineur comme en état de démence ; enfin de préconiser le traitement médical ou psychologique qui favorise la
réadaptation de ce mineur.
II- ELEMENTS FAMILIAUX
Djamel KHAÏBOUCHA est né le 21/07/1980 à AMIENS. Il est de famille musulmane d'origine tunisienne.
La fratrie :
Il est le cadet des trois premiers enfants du père nés d'un premier lit de celui-ci :
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1. Aziz, 12 ans au CES en sixième : «ça marche» ;
3. Mohamed, 10 ans : «il est en foyer avec Djamel ; il n'arrive pas à suivre à l'école, il est bloqué. Il est en classe de
perfectionnement».
4. Kader, âgé de cinq ans est né de la belle-mère.
Le père est divorcé de la mère, remarié.
Les parents :
La mère :
La mère Soraya KEROUAL est repartie en TUNISIE, son fils cadet Djamel avait trois ans ; elle a refait sa vie et aurait
eu d'autres enfants : «je ne l'ai plus jamais revue».
Le discours de Djamel exprime une rancoeur tenace, une dévalorisation sévère de la mère : «mon frère déteste ma
mère et moi aussi. Elle a fait des choses qu'elle n'a pas le droit de faire. J'avais vu. Je me souviens. Ma mère buvait
de la bière et elle couchait avec des hommes, elle partait avec des hommes quand mon père n'était pas là ...».
Le père :
Il est la référence familiale.
L'attachement de Djamel paraît assez fort.
Il a une bonne image de son père.
De son père, Djamel explique : «j'ai peur de lui, c'est vrai. Mais je veux rester chez mon père. Quand je fais des
conneries, il me donne des corrections. C'était avant, là : c'est fini. Je veux continuer à aller chez moi».
Il revient chez son père un week-end sur deux.
Le contexte familial :
Le père a refait sa vie.
Il vit avec la dame K. Zouba dont il a eu le jeune Kader âgé de cinq ans.
Le foyer familial est installé dans un F4 avec les conforts nécessaires.
Vivent au foyer outre les parents, le jeune Kader, le frère aîné Aziz; le week-end arrivent les deux autres.
Le parcours de Djamel a été le suivant :
* jusqu'à trois ans avec ses parents ;
* avec son père et une belle-mère jusqu'à cinq ans ;
Depuis, il est en placement :
* placé à Airaines en internat : deux ans : son père remarque : «il y avait beaucoup d'enfants handicapés et Djamel
était d'un meilleur niveau : on a cherché un autre établissement avec l'assistante sociale».
* placé à l'ESSORT à Abbeville : «deux ans bien et la troisième année, ça n'allait plus, bêtises sur bêtises et des
colères sur un éducateur; il a jeté un caillou sur une des maîtresses, il s'est fait renvoyer».
* chez le père pendant deux semaines : «il a cassé la porte d'une maison pour entrer voler; c'est les gendarmes qui
me l'ont ramené; il était encore à l'ESSORT, je l'ai corrigé».
* Maison de l'Enfant : mais fugues répétées pour revenir chez le père...
* alors placé au Foyer Éducatif de Frevent avec un week-end sur deux chez le père.
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Évolution de la situation :
Pour le père : «pendant quatre mois il a été bien, et d'un seul coup : une connerie, une chaise dans une portière de
voiture, et des menaces sur une maîtresse» ; mais, dit le père : «il s'améliore maintenant».
Pour l'intéressé : «la scolarité, ça va maintenant dans ce Foyer» et d'envisager : «l'arrêt des bêtises...».
III- EXAMEN
Sur le plan physique :
Djamel KHAÏBOUCHA est un garçon de presque 12 ans, de taille moyenne, de quelques 42 Kg et 1m 45, droitier
homogène avec une force musculaire conforme à son gabarit, normalement agile et habile, indemne de tous
handicaps invalidants.
Il pratique des sports : boxe et judo le lundi. Il est en bonne santé.
Il a une dent cassée : «il y a très longtemps, on m'a lancé une pierre méchamment».
Ses antécédents médicaux sont banals, ni opération ni maladie (en dehors des saisonnières), ni traumatisme
notables, nul trouble-affection-maladie d'ordre neuro-cérébral ni méningite ni épilepsie ni choc crânien.
Il nie toutes expériences d'ordre toxicophile.
Il signale qu'il reçoit une médication régulière. Il est mis sous neuroleptique sédatif : du Melleril, à la dose de : Dix
gouttes par jour.
Sur le plan psychique:
C'est un garçon à la présentation correcte, plutôt calme et d'apparence détendue, mais sa réactivité est à portée de
contradiction. Il faut toute une stratégie de mise en confiance.
Plusieurs éléments sont aisément repérables.
Il est de bon contact, syntone dans la relation et le dialogue, sans nulle distorsion ou bizarrerie émotionnelle.
Il parle bien, langage normal et bien articulé, un vocabulaire assez différencié et une syntaxe correcte et adaptée,
pour une expression claire de sa pensée. Il ne montre nul trouble de la compréhension, bonne réactivité psychique.
Il est bien orienté sur un plan temporo-spatial et maîtrise assez bien l'essentiel de son parcours autobiographique. Sa
mémoire est correcte sur ce plan tout au moins. Il est présent à l'échange, attention soutenue à toutes nuances de
nos questions et concentration efficiente. Il ne présente nulle anomalie de ses facultés mentales de base.
Pourtant ses acquis scolaires sont très précaires : nulle opération arithmétique avec retenue n'est acquise, la table de
multiplication n'est pas retenue, l'orthographe dramatique ; le niveau acquis est quasi-nul, alors que son potentiel
intellectuel lui eût permis un meilleur parcours. Manifestement, il y a eu une problématique de refus de tous efforts
scolaires.
Il raisonne bien, suit ses idées clair et cohérent dans une bonne continuité thématique, ni préoccupation ou pensée
parasite, ni distraction excessive, ni obsession névropathique ni idée délirante. On ne relève nul trouble proprement
psychiatrique de type psychotique ou psycho-organique.
Le problème est ailleurs.
L'attitude générale de Djamel est plutôt correcte, pas de troubles marqués du caractère, pas de bravade ni prestance
ou manifestation agressive mais une certaine réactivité sthénique qui traduit un vécu problématique et une
personnalité fragile, en souffrance, certains troubles de la personnalité.
On saisit d'abord qu'il est sensitif très vigilant à ne rien laisser dire ou penser qui écorcherait son image. Il se montre
généralement peu loquace, mais s'anime par moment dans des longs développements défensifs, comme inquiet de
sa propre image. Son discours est fait alors de revendications ou de rancoeurs, il n'a pas de mots assez critiques
contre sa mère, contre tel ou tel éducateur ou maîtresse, contre tels ou tels de ses camarades. Il tient une position de
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victime. Il a parfois cette ironie acerbe à se situer comme mal-aimé : «je ne veux pas leur dire : aimez-moi» ou «c'est
pas à moi à leur dire qu'ils peuvent m'aimer».
Il a manifestement une tendance à l'interprétation péjorative des occurrences de l'autre sur fond d'attente négative
avec sentiment flottant d'hostilité. Son attitude friserait alors la persécution mais sa conviction n'est pas assurée sur
tel rejet ou vexation présumés dont il serait l'objet. Il anticipe, pour se rassurer, ce rejet, provoque ou teste
l'attachement de l'autre à son égard : véritable angoisse abandonnique issue de l'abandon par sa mère et réactualisée
dans l'abandon par son père, qui l'aurait fait placer et le maintiendrait en placement.
IV- DISCUSSION et CONCLUSION
C'est donc un enfant qui a montré -depuis son plus jeune âge- des retards et dysfonctions dans les divers aspects de
son développement, avec une inadaptation radicale.
Djamel est à douze ans : un garçon au développement physique normal en bonne santé, indemne de troubles
affections ou maladies qui aient une quelconque incidence sur ses conduites.
Il n'a nulle pratique toxicophile.
Sur le plan psychique, il a un niveau intellectuel dysharmonique d'un niveau global de débilité légère, mais l'échec
scolaire radical répond d'une dysfonction plus spécifique sur le plan éducatif.
Il souffre d'une angoisse abandonnique majeure qui se traduit par cette tendance à une interprétation péjorative des
attitudes de l'autre à son égard, sur un fond d'attente négative, avec sentiment d'hostilité et réactivité caractérielle
impulsive.
C'est une véritable angoisse abandonnique issue de l'abandon par sa mère et réactualisée dans l'abandon par son
père qui l'aurait fait placer et le maintiendrait en placement.
Il n'a d'explications à ses exactions que dans une telle interprétation péjorative des attitudes reçues de l'autre à son
égard. C'est là : un trouble basal de sa personnalité dont les accès-manifestations caractériels sont des avatars
directs.
Il est aujourd'hui sous une double menace -soit le double écueil à tous projets psycho-éducatifs le concernant- avec
d'une part : la dérive psychopathique de sa personnalité, dans les passages à l'acte répétitifs, d'autre part : les accès
dépressifs, les deux modalités d'expression de la personnalité abandonnique.
En son état actuel il ne relève pas d'autres soins psychiatriques : la médication sédative en cours est nécessaire et
bien entendu un suivi psychologique s'imposera, mais il s'agit de déterminer la structure d'accueil car il paraît
contre-indiqué de proposer un simple retour au domicile familial.
En Conclusion :
Dans un tel contexte, un projet éducatif nécessite une double perspective : rassurer contre le sentiment
abandonnique tout en en limitant les avatars psychopathiques. Il conviendrait aussi de le satisfaire au plan
de ses réquisitions narcissiques de compensation, donc saisir au plus près ses souhaits quant à la
formation professionnelle à lui proposer.
Il exprime des souhaits de métiers : «les animaux, chiens, chats, chevaux...» ; il s'enthousiasmerait sur les
métiers correspondant d'élevage... «ou bien: serveur de restaurant ...», ou enfin une activité de plein air :
«une activité de jardinage». Il souhaiterait ne pas s'éloigner de sa famille soit en externat.
Il ne retient nulle autre perspective.
Il saisit les difficultés d'intégrer l'ensemble de ses souhaits dans un même projet.
Il conviendrait de lui proposer une Institution (dans la Somme avec retour le week-end au foyer familial) qui
permette une formation scolaire-professionnelle et à la fois un suivi psycho-éducatif.
Fait à AMIENS, le 15 Avril 1992 - Dr J.M. DRAPIER
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Document 08 / 4 pages
EXPERTISES MEDICO - PSYCHOLOGIQUES
Concernant :
KHAÏBOUCHA Djamel né le 21 Juillet 1980
KHAÏBOUCHA Mohamed né le 5 Juin 1981
Demeurant :
Foyer de Frévent (80)
Adresse du père : 80 - ABBEVILLE
Expertises demandées par : Madame TORET, Juge des Enfants, TGI de AMIENS
Mission :
en date du 25 janvier 1992
Experts :
- Mme H. METRIO, psychologue
- Dr. B. ROBERT, médecin généraliste
Certifions avoir examiné les sus-nommés, consulté le dossier, recueilli tous renseignements utiles, et de
ces opérations, effectuées personnellement, avoir consigné les résultats dans le présent rapport certifié
sincère et véritable.
Il nous est demandé de procéder à l'examen médical et psychologique des deux frères, Djamel
KHAÏBOUCHA et Mohamed KHAÏBOUCHA.
- Dire s'ils présentent des troubles ou des déficiences physiques ou psychiques susceptibles d'influencer
leur comportement, et, si les troubles ou déficiences constatés rendent nécessaires une mesure de
protection, de sauvegarde ou de rééducation particulière, ou s'ils entraînent des contre-indications
professionnelles ou autres ;
- Faire connaître les caractéristiques, les aspects particuliers et l'histoire de leur personnalité, les
circonstances et les conditions qui ont influé sur la formations de celle-ci, les mobiles intellectuels et les
motivations qui Inspirent habituellement leur conduite.
ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES ET FAMILIAUX
fournis par :
- entretien avec l'éducateur qui accompagne les enfants.
- entretiens avec les enfants.
- lecture du dossier.
II convient tout d'abord de souligner combien nous avons été gênés, dans l'accomplissement de l'expertise, par
l'absence de synthèse des éléments d'informations biographiques et familiales dans le dossier, alors que les enfants
KHAÏBOUCHA sont connus de longue date des services éducatifs et judiciaires.
Par ailleurs, l'objectif de ces examens, médical et psychologique, demandés par le Juge des Enfants, en Assistance
Éducative, par le moyen d'une expertise, n'apparaît pas de façon claire, tant dans la mission que dans le dossier. II
semble que ce soit le Foyer où sont placés les deux frères depuis septembre 1991, qui ait demandé au Juge des
Enfants un tel bilan, faute d'informations suffisamment étoffées lors de l'accueil de ces derniers, et compte tenu des
problèmes de comportement et d'adaptation qu'ils soulevaient.
Les enfants KHAÏBOUCHA Djamel et Mohamed ont été examinés au TGI de AMIENS le 21 mars 1992. Ils étaient
accompagnés d'un éducateur du Foyer Éducatif de Frévent, où ils sont placés depuis le 14 septembre 1991.
II s'agit d'une famille d'origine tunisienne, mais nous ignorons depuis quelle date elle est installée en France.
Le père : Farid KHAÏBOUCHA, a divorcé en 1982 et a obtenu la garde des enfants. Les enfants ne savent pas sa
profession, excepté "qu'il fait des câbles".
La mère : Soraya KEROUAL, vivrait en TUNISIE. Elle est présentée comme une "mauvaise mère" selon les propos
de Djamel : "elle nous a pas élevés, elle fumait, elle buvait, elle couchait avec des hommes, mon père la cherchait
partout..."
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De ce couple sont issus - Aziz, né le 14 juin 1979 en TUNISIE. - Djamel, né le 21 juillet 1980. - Mohamed, né le 5 juin
1981.
Le père aurait divorcé en TUNISIE et serait revenu marié, en 1983, avec une jeune femme, belle-mère actuelle des
enfants. Nous ignorons son nom. Le couple a eu un enfant : Kader, né le 17 juin 1986.
La famille vit à ABBEVILLE.
C'est en 1983 que l'on trouve trace du premier signalement semble-t-il (PMI et hospitalisation).
Le premier placement des enfants est effectué à LA PRAIRIE (1986-89), puis se succèdent accueil à l'IMP de
l'ESSORT (septembre 1988), à Oisemont du 5 août 1990 au 7 décembre 1990 : les deux enfants sont "refoulés" par
l'Institution qui prétend ne pas pouvoir les "gérer". Et le 25 février 1991, ils sont placés à La Maison de l'Enfant de
AMIENS.
Durant leur séjour à AMIENS, les enfants auraient fugué, mais peut-être surtout Djamel, vivant dehors, fréquentant
des SDF, fumant, consommant de l'alcool. Un doute existerait sur des sévices sexuels subis par l'aîné dans cette
période. Le 31 mai 1991, il est récupéré par la police.
Les deux enfants sont finalement dirigés vers le Foyer de Frévent en septembre.
En juin 1991 aurait été effectué une consultation de pédopsychiatrie à Amiens (à la demande de qui ?) et un
traitement neuroleptique aurait été mis en route...
La consultation du dossier laisse apparaître une véritable incohérence dans la façon dont le problème de ces deux
enfants a été traité. On y découvre une accumulation d'informations "décousues", simple énumération d'événements,
textes descriptifs sans synthèse réelle, sans "fil conducteur" dans la prise en charge, sans projet élaboré.
Les motifs mêmes des différents placements n'y sont pas clairement définis. La réalité des mauvais traitements
physiques et psychologiques subis par les deux frères dans leur famille n'est ni clairement démontrée, ni explicitement
dénoncée. Les positions respectives du père et de la belle-mère à l'égard de Djamel et de Mohamed n'apparaissent
que de façon floue, sans que l'on puisse savoir si c'est l'un ou l'autre qui sont "maltraitants", et de quelle façon ils se
positionnent à l'égard des enfants.
Djamel y est décrit comme un enfant violent, contre les personnes et les objets, en forte opposition, sans limite, mais
également affectueux et charmeur. II semble respecter et craindre son père.
Mohamed, quant à lui, aurait en général une attitude mutique, serait replié sur lui-même, parfois menaçant,
recherchant à d'autres moments la relation avec l'adulte, refusant les interdits, se balançant pour s'endormir,
"ingérant" des objets.
Alors que depuis près de 10 ans les enfants font l'objet d'un suivi, on ne trouve trace dans le dossier d'aucun
compte-rendu de consultations psychologique ou pédopsychiatrie, ni même l'ébauche d'un projet de prise en charge
au long cours.
Djamel :
Examen médical
Djamel, 11 ans et 8 mois, pense être né en TUNISIE. II ne connaît pas sa date de naissance. II parle beaucoup de la
Tunisie, des vacances d'été passées là-bas, chez une grand-mère ou un grand-père (paternel semble-t-il).
II manifeste d'emblée, clairement et fermement, le désir de revivre en famille et de quitter le Foyer.
II parle de sa violence : " je cassais mes affaires ", de ses fugues de la Maison de l'Enfant "pour retourner chez moi"
dit-il, de ses fréquentations de SDF, mais nie toute consommation d'alcool ou usage de tabac, ainsi que toute
agression sexuelle sur sa personne.
II déclare avoir été maltraité par sa vraie mère, avoir été enfermé pendant "qu'elle sortait dans les bars ...elle fumait,
buvait et couchait avec des hommes" dit-il. Il déclare avoir été frappé.
Sa belle-mère serait plus gentille et le père "au-dessus de tout soupçon", selon l'enfant qui lui paraît très attaché : "il
nous punit juste si on fait des bêtises" dit-il.
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II manifeste à plusieurs reprises le désir de revenir vivre chez lui, disant envier son grand frère qui n'a pas connu les
Foyers.
Cliniquement, il présente un développement staturo-pondéral normal 1,49 m pour 43 kg.
On retrouve une petite cicatrice frontale et thoracique gauche, consécutives à une morsure de chien, selon ses dires.
II déclare avoir un bon sommeil et refuse de prendre des médicaments.
Examen psychologique
Djamel se prête à cet entretien avec une certaine retenue tout d'abord, puis se détend, acceptant même de dessiner.
Agé de bientôt 12 ans, Djamel est dans la quasi impossibilité de retracer sa propre histoire. II sait qu'il avait 2 ans et
demi quand ses parents ont divorcé et ne manque pas de redire à quel point sa "vraie mère était méchante", ajoutant
"on lui a pas pardonné, je l'ai oubliée".
S'il s'exprime de façon relativement adaptée, ce qui témoigne en tous cas d'un potentiel intellectuel sous-jacent qui
n'est pas déficitaire, Djamel est totalement enfermé dans une revendication quasi obsédante, qui est de retourner
vivre dans sa famille. Tout ce qu'il peut dire est sous-tendu par cet impérieux désir, même s'il dit avoir été "placé"
parce qu'il se disputait "avec sa mère" : "elle me donnait des coups de balai", précise-t-il. II ne pourra s'empêcher de
dire que sa belle-mère est gentille et qu'il l'appelle "maman"...
Il est important de souligner que, pour les deux enfants, l'image de leur "mauvaise mère" reste extrêmement
prégnante, au point que l'interlocuteur ne sait pas toujours s'ils évoquent leur mère naturelle ou leur belle-mère. Si
pour Djamel il est très important de présenter des images parentales indemnes de toute agressivité, c'est bien parce
qu'il veut avant tout retrouver sa famille.
C'est dans ce contexte que Djamel nie toute détresse le concernant (hormis celle d'être séparé), tout mauvais
traitement à son endroit, étant de ce fait dans l'impossibilité d'élaborer une dépression fondamentale qui, néanmoins,
sous-tend toute sa violence et tous ses passages à l'acte.
Ce que l'on peut dire globalement c'est que Djamel a manifestement subi, dés la toute première enfance, des
traumatismes majeurs sur le plan psychologique. Sa personnalité ne s'est pas organisée mais plus ou moins
aménagée, dans un registre psychopathique, c'est à dire dans le déni de sa souffrance, dans l'abrasion du langage,
qui lui fait défaut, soit pour différer ses désirs, soit pour élaborer mentalement ses tensions internes (qu'il agit).
Gravement blessé sur les plans affectif et narcissique, il semble être dans l'incapacité de nouer des liens durables
avec qui que ce soit, mettant au contraire tout en œuvre sur le plan relationnel pour se faire rejeter, répétant l'abandon
et le rejet maternel initial.
II semble par contre privilégier et sans doute idéaliser l'image de son père : "je ressemble à mon père, il est bien, plus
tard je veux faire comme mon père" précise-t-il. Cet attachement au père, ainsi qu'à la TUNISIE dont il parle
beaucoup, paraissent être pour lui des étayages affectifs, voire identitaire qui le protègent peut-être d'une
désorganisation psychoaffective plus grave. Mais il nous est difficile de savoir ce que l'on peut en faire, dans la
mesure où nous ne disposons d'aucun élément de réalité concernant tant le père que ses capacités à assumer son
fils.
Son dessin révèle chez lui la possibilité d'exprimer son imaginaire, qui correspond plus à celui d'un enfant de 8-9 ans,
mais également de communiquer, dans une relation avec un interlocuteur, des éléments fantasmatiques. On peut
déjà dire que Djamel est loin d'être aussi "vide" ou "pauvre" qu'on le croirait et que ses possibilités intellectuelles ne
sont pas en rapport avec l'échec scolaire qu'il connaît. Le dessin, à thème de violence, pourrait évoquer les violences
qu'il a subies tout au long de son histoire, qu'elle soient familiales ou institutionnelles. N'est pas à exclure toutefois
une violence à caractère sexuel que l'enfant, s'il l'a réellement subie, est dans l'incapacité de nommer et de
reconnaître.
MOHAMED :
Examen médical
L'entretien avec Mohamed, âgé de 10 ans 9 mois, est quasiment impossible. Il est mutique la plupart du temps,
incapable de se concentrer sur mes questions. II regarde dans toutes les directions, sans jamais croiser mon regard.
II a des difficultés à trouver ses mots ; il ne sait ni lire ni écrire.
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Il se présente comme le "souffre-douleur" du foyer et déclare ne pas aimer sa mère. Sa belle-mère a une meilleure
image. Selon lui, son père est parfois violent et il "crie sur la belle-mère".
II a, cliniquement, un développement staturo-pondéral normal et serait en bonne santé. En l'absence de carnet de
santé et d'éléments d'anamnèse, nous ne pouvons pas aller au-delà dans l'examen médical.
Examen psychologique
Mohamed rentre dans le bureau avec un visage crispé et s'assoit sans rien dire. Petit garçon de 10 ans, il paraît à la
fois angoissé et "ailleurs". II faut insister pour capter son attention, répéter plusieurs fois les questions, auxquelles
d'ailleurs il ne répond pas forcément.
II est pratiquement impossible de faire un entretien avec lui, tant son discours est appauvri et tant il paraît enfermé en
lui-même.
II ne sait pas sa date de naissance, refuse de dire le nom de son père dont il ne connaît pas le métier, dit qu'il voulait
pas aller au Foyer, que c'est pas bien et qu'il s'y ennuie. II est par contre capable de dire le nom et les âges de ses
frères, rejetant Djamel qu'il décrit comme "méchant".
"il me fait mal" ajoute-t-il, aimant bien par contre jouer avec son petit frère Kader. II précise que la femme de son père
c'est pas sa belle-mère, c'est "maman", mais qu'il ne l'appelle pas comme ça, parce qu'il l'appelle jamais et qu'il n'en a
pas envie ...."L'autre qui est en TUNISIE" nous dit-il, "elle est pas gentille, elle m'a tapé avec un balai"...
Nous avons l'impression d'être face à un enfant sans aucun repère, perdu dans son monde intérieur qui parait
menaçant et terrifiant, incapable d'utiliser le langage pour communiquer réellement avec les autres, terriblement
appauvri sur le plan affectif et relationnel. Son état actuel laisse penser que cet enfant éprouve une grande souffrance
psychique, peut-être de nature psychotique et qu'il est urgent de le soigner.
CONCLUSION
Djamel et Mohamed KHAÏBOUCHA, respectivement âgés de 11 ans 8 mois et de 10 ans 9 mois, sont deux frères
d'origine tunisienne, appartenant à une famille comportant quatre garçons. Le couple de leurs parents s'est
précocement dissocié par divorce, la mère ayant apparemment laissé les enfants dans un grand abandon. Le père
s'est remarié et la belle-mère a été probablement en difficulté pour faire face à leur éducation, puisque l'un et l'autre,
dans des registres différents, ont présenté des troubles du comportement et de graves difficultés scolaires.
Djamel parait avoir aménagé sa personnalité sur un mode psychopathique et Mohamed semble souffrir de troubles
de nature psychotique.
Tous deux ont probablement vécu des traumatismes majeurs sur le plan affectif.
Toutefois, l'expertise à elle seule ne permet pas de porter un diagnostic suffisamment étoffé sur les deux enfants.
L'examen du dossier met en évidence des incohérences graves dans les décisions prises par les institutions et
l'absence de projet au long cours les concernant, comme cela doit impérativement être fait lorsqu'on prend en charge
de jeunes enfants.
Il ne permet pas par ailleurs de se faire une idée précise sur la réalité et l'importance de la maltraitance, qui n'est pas
clairement dénoncée. II est d'autre part consternant de ne trouver dans le dossier aucun élément clinique sur le plan
psychologique et psychiatrique, aucune trace de démarche thérapeutique pour les enfants, alors qu'ils sont suivis
depuis plusieurs années.
L'expertise ne peut pas répondre à ce qui aurait dû être fait depuis longtemps dans le cadre d'une consultation
spécialisée, soit du secteur santé, soit du secteur judiciaire, c'est à dire un bilan complet comportant des éléments
psychologiques, familiaux et anamnestiques, ce qui ne peut être fait dans un temps ponctuel, mais dans la durée,
compte tenu de l'âge et des troubles des enfants.
Confiés à l'heure actuelle au Foyer de Frévent, depuis 6 mois, après plusieurs autres placements, Djamel et
Mohamed sont l'un et l'autre dans l'attente de retourner vivre dans leur famille. La seule urgence serait qu'enfin
quelqu'un (de préférence une équipe multidisciplinaire) fasse un projet thérapeutique adapté pour ces deux enfants,
avec les éléments psychologiques et familiaux indispensables à une telle démarche.
Ils sont de toutes façons à l'heure actuelle dans l'incapacité de pouvoir s'adapter à un milieu scolaire normal et
relèvent donc d'une prise en charge spécialisée.
AMIENS, le 27 mai 1992 / Dr. B. ROBERT - H. METRIO
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Document 09 / 1 page
CENTRE D'AMIENS
SERVICE DE PSYCHOTHÉRAPIE
COMPTE-RENDU D'HOSPITALISATION
De Monsieur KHAÏBOUCHA Djamel
Hospitalisé du 10 Août 1995 au 27 Août 1995
Né le 21 Juillet 1980
Adresse: A.S.E. / 80 - AMIENS
Compte-rendu établi par le Docteur PREVOST
Double : Dossier
Patient âgé de 15 ans, pris en charge par l'A.S.E., présentant de forts troubles du comportement à composante
psychopathique essentielle, hospitalisé à la suite des troubles du comportement à type de vols et de manque de
respect du cadre.
Lors de l'hospitalisation, le patient va présenter des capacités élaboratives et introspectives limitées. Il présente une
tolérance à la frustration des plus faibles et l'hospitalisation nous semble essentiellement avoir un but éducatif, à
savoir la mise en place d'un cadre. Le patient n'aura de cesse de tenter de manipuler, de négocier, dans le seul but
de modifier ce cadre contraignant pour lui mais contenant. Le résultat est que, quelques progrès dans le contact sont
relativement notables malgré un traitement associant Dépakine et neuroleptiques, lesquels neuroleptiques seront
arrêtés à la sortie. Le patient reconnaîtra difficilement qu'il est hospitalisé à la suite de troubles du comportement
survenus lors d'une permission avec son père, une dispute violente ayant eu lieu au sujet d'un gilet qu'il voulait porter
et que son père refusait de lui donner ayant peur que le patient ne fugue ou parte traîner avec des camarades.
L'hospitalisation a été reportée de 24 H à la suite d'une intervention du père, d'une voisine, qui semble être éducatrice
dans une structure. Lors de l'hospitalisation nous sommes dans un tableau essentiellement évocateur de fortes
défenses psychopathiques, peu interventionniste. Le patient n'offrant de lui même aucune demande et aucune
possibilité pour le moment, tant du fait des défenses que de l'âge, de thérapie au sens strict du terme. Après ses deux
semaines ayant servi à poser un cadre, le patient est confié à nouveau à son éducatrice référante.
Il est à noter que la possibilité d'une évolution psychotique qui semblait possible en début d'hospitalisation, reste
encore difficile à déterminer mais le patient ne s'est montré ni délirant, ni dissocié, ni discordant en cours
d'hospitalisation. Son humeur a été, en fait, des plus congruente et adaptée à toutes tentatives manipulatoires.
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Document 10 / 2 pages
Conseil Général de la Somme
UNITE D'ACTION SOCIALE D'AMIENS
SERVICE SOCIO-EDUCATIF - 80 AMIENS
AMIENS, le 04.02.96
Madame LAMERE Catherine,
Educatrice Spécialisée
à
Madame COURRET,
Inspecteur A.S.E.
S/C de Mme ZAFFRI Anne Marie,
Chef de Service
RAPPORT D'EVOLUTION CONCERNANT DJAMEL et Mohamed KHAÏBOUCHA
Djamel, né le 21 juillet 1980 à AMIENS
Mohamed, né le 5 juin 1981 à AMIENS
PERE ET BELLE MERE :
Monsieur et Madame KHAÏBOUCHA - (80) ABBEVILLE
MERE :
Madame KEROUAL Soraya / TUNISIE
LIEUX D'ACCUEIL :
Djamel :
Famille d'accueil du Placement Familial «Adolescents»
Chez Madame TARDES - (80) CONTY
Mohamed :
Famille d'accueil du Placement Familial «Adolescents»
Chez Madame GUERAN - (80) BRAY S/ S.
DERNIER JUGEMENT : Mars 1995
DJAMEL :
Djamel est un jeune adolescent, âgé de 15 ans 1/2, grand, mince.
Depuis un an, il vit chez Madame TARDES, Assistante Maternelle à CONTY.
Djamel semble se stabiliser : depuis septembre 1995, il n'y a pas eu d'événement marquant. Djamel rencontre
régulièrement un psychiatre de l'Hôpital Psychiatrique de AMIENS, en consultation mensuelle, Monsieur PREVOST.
Djamel est toujours sous traitement (neuroleptiques) et cela occasionne des problèmes. Il refuse parfois de prendre
ses médicaments ce qui entraîne systématiquement des changements de comportement. Cela a été flagrant pendant
les vacances de Noël, qu'il a passées au centre équestre « Le Fer à Cheval » à Villers-Bocage (80). Djamel faisait
semblant d'avaler les comprimés, quand même il était sous la surveillance d'un adulte. Son séjour s'est mal déroulé et
Djamel ne retournera probablement pas dans cette structure. Chez Madame TARDES, Djamel se montre, en ce
moment, plus coopérant : il sait qu'il doit respecter certaines conditions pour rester. Il sait, également, que des
ruptures en chaîne du traitement amèneront le psychiatre à lui administrer les médicaments sous une autre forme
(injection retard) ce dont il a peur. Djamel doit être rappelé à l'ordre : c'est essentiellement le contenu des entretiens
entre lui et le psychiatre. Djamel craint une nouvelle hospitalisation en psychiatrie.
Djamel, déscolarisé, et sans formation (manque de maturité et de motivation) garde malgré tout un lien avec le
domaine scolaire par le biais de séances d'orthophonie bihebdomadaires. Djamel a quelques devoirs à faire entre les
séances. Djamel n'est pas inscrit dans un club de sport, sa problématique lourde ne permet pas son investissement
dans un groupe. Toutefois, il pourrait, de temps en temps, se rendre à la piscine ou au cinéma : il est convenu avec lui
et la famille d'accueil que des sorties sont autorisées lorsqu'elles visent un objectif. Les sorties à Amiens pour être
seul pendant deux heures à la Place de la Gare sont interdites. Djamel n'accepte pas toujours ces contraintes, mais
elles sont nécessaires.
En ce qui concerne sa famille, Djamel, après l'épisode mouvementé du mois d'août, n'est pas retourné chez ses
parents. Il a rencontré son père, une fois, dans les locaux de l'Aide Sociale à l'Enfance (la rencontre a été très brève
10 minutes) et une deuxième fois en ma compagnie pour effectuer une démarche administrative à la Mairie de
ABBEVILLE (carte d'identité).
J'avais demandé à Monsieur KHAÏBOUCHA de prendre et de donner des nouvelles en téléphonant dans la famille
d'accueil : à ce jour, Madame TARDES n'a fait que constater l'absence du père. Monsieur KHAÏBOUCHA ne se
er
soucie pas du devenir de Djamel, il ne peut que lui asséner les mêmes reproches, à chaque entrevue. Le 1 février,
Monsieur KHAÏBOUCHA a mal reçu son fils en lui tenant un discours très négatif : « si c'est pour recevoir des voleurs
et des menteurs, c'est pas la peine de venir à la maison ». Et pourtant, Djamel persiste dans son désir de retourner un
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week-end chez lui, « pour essayer encore une fois », ce qui ne parait pas adapté compte tenu des relations très
dégradées entre Djamel et son père.
Un projet d'orientation en établissement thérapeutique n'a pu voir le jour du fait de la non constitution du dossier
médical : il faut joindre les résultats de trois tests psychologiques, qui n'ont jamais été effectués pendant
l'hospitalisation de Djamel malgré l'accord donné verbalement. Il reste à l'Aide Sociale à l'Enfance le souci de trouver
un psychologue pouvant faire passer ces tests à Djamel. Djamel s'oppose encore à ce projet d'orientation,
argumentant qu'il refuse l'éloignement. Il est quand même capable de réfléchir aux enjeux et aux éléments de réalité.
Il a aussi l'assurance de pouvoir revenir chez Madame TARDES sur des temps de week-end et de vacances.
CONCLUSION :
L'accueil de Djamel doit se poursuivre, dans le but d'un soutien spécifique, d'une orientation en établissement
spécialisé. La question des relations père/fils restée entière : Djamel peut rencontrer Monsieur KHAÏBOUCHA mais
dans un cadre précis, clairement posé. Des visites sont certainement plus adaptées que des hébergements.
MOHAMED :
Mohamed est un adolescent de 14 ans 1/2, grand, bien bâti, qui s'est bien développé au cours de cette année.
Mohamed est revenu dans la Somme pendant les vacances scolaires de la Toussaint, définitivement. Le Lieu
d'Accueil « Les Rosiers » dans la Drôme, a mis un terme à la prise en charge du jeune, suite à la montée de violence
qu'il exerçait sur les deux autres adolescents accueillis.
Mohamed a été confié au La Maison de l'Enfant de Asseviller le 1er décembre 1995, il en est sorti le 15 janvier 1996,
pour le motif suivant : violence très grande sur les plus jeunes enfants du groupe. Depuis le 15 janvier, Mohamed est
accueilli par Madame GUERAN, Assistante Maternelle du Placement Familial « Adolescents ».
Mohamed comprend les raisons qui ont conduit les adultes à se séparer de lui, mais il donne l'impression de ne pas
les intégrer : il n'est pas sûr qu'il sache bien qu'il soit en cause. Mohamed ne prend pas conscience des
conséquences de ses actes. Sa violence a l'égard des petits est étroitement liée à la violence subie par son père et sa
belle mère pendant son enfance. Mohamed a même dit « des coups de ceinture, je veux bien mais pas des coups
avec le tuyau à gaz » à propos de son inquiétude d'avoir à affronter son père, après avoir fait une bêtise (fugue d'une
nuit durant son séjour à La Maison de l'Enfant d'Asseviller). Mohamed se souvient des coups et brimades passés
mais aujourd'hui il subit comme Djamel, les reproches incessants de Monsieur KHAÏBOUCHA.
Mohamed a fini par accepter l'idée d'un seul hébergement mensuel dans sa famille, compte tenu du climat peu
propice à la convivialité. Mohamed a recherché le contact avec son père et Monsieur KAÏBOUCHA refuse d'être
disponible pour lui. De même, il ne lui téléphone pas pour garder le lien. Monsieur KHAÏBOUCHA rappelle qu'il « a dû
se débrouiller seul, tôt », il en fait un principe éducatif, ses enfants n'ont qu'à se plier à sa volonté. Mohamed s'est
toujours senti « laissé pour compte » et sa situation reste inchangée. Il éprouve, d'ailleurs, une certaine difficulté à
communiquer si ce n'est par la violence ou le vol. Mohamed a déjà menacé une jeune fille dans le village où il est, à la
descente du car scolaire, dans l'esprit de lui prendre son blouson.
Mohamed est dans le passage à l'acte pour obtenir ce qu'il désire (vêtements de marque - skateboard ..... ). Plus
dangereux encore est la faculté de Mohamed à répondre à toute demande malveillante : il est capable de passer à
l'acte sous commande. Il est vulnérable, ne prend pas de distance avec autrui parce qu'il ne sait pas qu'il doit résister.
Le projet envisagé pour Mohamed est son admission en Centre de Soins Psychiatrique pour Adolescents, à Pierrefeu
- Var. Pour étayer et compléter la demande de l'Aide Sociale à l'Enfance, l'intervention d'un pédopsychiatre est
nécessaire. C'est Madame POTAIN, qui reçoit Mohamed depuis le mois de décembre, qui assure la coordination avec
son confrère du centre de soins. Elle lui demande une rencontre pour estimer plus précisément le bien fondé d'une
admission en faveur de Mohamed. Mohamed était sous traitement en juin 1995, interrompu en juillet et août
volontairement chez ses parents. Mohamed a revu le médecin dès son retour aux « Rosiers » pour une nouvelle
prescription. Madame POTAIN poursuit le même traitement (neuroleptique). Mohamed se montre assez opposant
mais comme Djamel, il connaît la position de son père, qui est contre cette catégorie de médicaments (« ça ne sert à
rien, ils ne sont pas fous, il faut juste un centre avec une formation »). Mohamed, ne fait rien actuellement : en
attendant une décision du centre de soins, il est demandé à Mohamed de travailler tous les jours d'un point de vue
scolaire.
Si le projet n'aboutit pas, Mohamed pourrait de nouveau être suivi en séances individuelles en orthophonie, même si
l'année passée n'a pas été source de motivation ou d'éveil scolaire. Mohamed est non lecteur, il a un petit niveau
cours préparatoire, qu'il peut rapidement perdre sans stimulation extérieure.
CONCLUSION :
Mohamed est un adolescent en réel danger, une prise en charge très spécialisée est une évidence qui ne se
concrétise pas. Les moyens mis en place jusqu'à présent, n'ont pas porté leurs fruits. Mohamed doit être aussi
protégé de sa famille où il ne trouve pas sa place.
Catherine LAMERE, Educatrice spécialisée
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AMIENS, le 10 JANVIER 1997
Xavier DUPARQ
Éducateur
à
Madame MARETTI
Responsable du P.F.S.
La Maison de l'Enfant / 80 - PERONE
OBJET : Note de situation concernant KHAÏBOUCHA Djamel / Né le : 21 JUILLET 1980.
ADRESSE DU PÈRE : M. KHAÏBOUCHA / 80 - ABBEVILLE
ADRESSE DE LA MÈRE : Mme KEROUAL Soraya / Tunisie
SITUATION JUDICIAIRE :
Ordonnance de L.S.P. en date du 7.04.96, de M. GUILLERS, Juge des Enfants au T. E. de AMIENS.
Notre Service a en charge la mesure de Liberté Surveillée Préjudicielle concernant Djamel, à la suite d'un vol avec
violence sur la personne d'un homme âgé, et donc particulièrement vulnérable.
Cette mesure, dont la prise en compte effective date du mois de Mai 1996, fait suite à un long parcours de Djamel à
travers de nombreux placements institutionnels depuis l'âge de 4 ans. Divers signalements, à la suite de troubles du
comportement à l'école, ainsi que de maltraitance au sein de la famille, ont provoqué l'intervention du S.A.E., du
S.S.E., puis de la P.J.J. Selon un rapport du S.S.E. Djamel n'a cessé d'alterner, depuis son plus jeune âge, séjours en
I.M.E., foyers et familles d'accueil, avec des retours chez son père au cours desquels à tout moment la situation
pouvait se dégrader de manière violente.
L'HISTOIRE FAMILIALE de Djamel est fortement marquée par la très mauvaise relation du couple parental, teintée
de mésentente et de violence conjugale. M. KHAÏBOUCHA est un homme de stature solide et de tempérament
apparemment intransigeant et dur.
Les parents de Djamel, d'origine tunisienne, ont été mariés au Pays. En 1983 ils divorcèrent, après avoir eu 3
garçons : Aziz né en 1979, Djamel né en 1980 et Mohamed né en 1981.
M. KHAÏBOUCHA est aujourd'hui remarié avec une très jeune femme, dont il a deux jeunes enfants : Kader 9 ans et
Kamel 3 ans. Il semble entièrement mobilisé pour la préservation de son nouveau couple et de la nouvelle cellule
familiale qu'il a constituée.
Chez le père, vivent aujourd'hui : Aziz et les deux petits dernier. Djamel et Mohamed sont tous deux placés. Mohamed
vit également de grosses difficultés et se trouve pris en charge par le S.S.E. d'AMIENS.
M. KHAÏBOUCHA fait remonter les problèmes de Djamel à sa plus tendre enfance, expliquant que son ex-femme n'a
pas désiré ses trois garçons et, de ce fait, ne leur a apporté ni affection, ni attention maternelle. II semble que Djamel,
tout comme Mohamed aient particulièrement souffert de cette situation de rancoeur et de rupture conjugale entre
leurs parents.
En ce qui concerne Djamel, il suffit de retracer son chemin institutionnel, pour réaliser la détresse et la profonde
blessure de cet adolescent, constamment confronté au manque affectif et au rejet de plus en plus marqué de sa
famille.
Djamel a environ 4 ans, lorsqu'il est confié à :
- L'Etablissement LA PRAIRIE à AIRAINES. Il y reste entre 1 et 2 ans.
- Il sera ensuite admis à l'externat de l'ESSORT
• Puis a lieu un retour chez le père.
- En 1991, à 9 ans, Djamel entre à La Maison de l'Enfant au Foyer de l'Enfance de AMIENS. Il y reste quelques mois.
• Retour chez le père.
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A 10 ans, il intègre le Foyer de FREVENT, il reste 1 an. Une psychothérapie y fut mise en place.
• Retour chez le père en Juillet 1992.
En Septembre 1993, Djamel est accueilli à ROISEL (80) ; il a 13 ans 1/2 et restera 4 mois, jusqu'en Décembre 1993.
• Retour chez le père.
En Juillet 1994, Djamel entre au Foyer de Ault (80). Il reste 10 mois '/2 . En Octobre il participe à un voyage en
AFRIQUE, organisé par ce foyer. Il sera rapatrié le 4 Décembre 1995, après avoir eu un comportement ingérable et
inconciliable avec un séjour en collectivité.
Djamel va ensuite revenir chez son père, puis le quitter pour une suite de placements dans plusieurs familles
d'accueil différentes.
Madame PERDREUX : 1 mois. Accueil d'urgence.
Madame TARDES : 14 mois. Durant ce séjour, Djamel se stabilisera quelque peu, profitant enfin de manière plutôt
bénéfique et sur un terme relativement long de l'accueil offert par cette famille.
Durant cette période, il fera un passage à ACCUEIL & FORMATION, du 15.6.95 au 10.07.95, qui ne le gardera pas,
étant donné son jeune âge et surtout son absence apparente de motivation et de maturité.
- Mme DRITTI : 3 semaines (à ABBEVILLE).
- Mme N'DAYE : 2 semaines (à PERONE).
- Mme MULLER : 1 mois (à DOULLENS).
- du 18 au 25 MARS 1996, Djamel est intégré au Foyer de CRECY. Il s'y montre trop perturbant et ne peut y
demeurer.
- Djamel sera, le 2.06.96, accueilli au F.A.O. de AMIENS. A ce moment, notre Service met en pratique l'exercice de la
LSP. Nous collaborons avec l'équipe du F.A.O. et le SSE pour rechercher une orientation.
Djamel, dont le comportement imprévisible, parfois agressif et incompatible avec la vie de groupe, complique
fortement l'orientation, reste de plus à la limite de la prise en charge médicalisée. Sa souffrance due à son histoire, lui
a causé des troubles encore difficiles à définir clairement.
Une observation d'un jour en psychiatrie, le 23.3.95, à l'initiative de notre collègue Mme LAMERE du S.S.E., puis un
séjour d'une semaine (10.09.95 au 27.08.95), à la suite d'un incident violent avec le père lors d'un week-end, n'ont
pas abouti à ce que les médecins découvrent chez Djamel une pathologie contre indiquant une prise en charge en
dehors d'un cadre médical - des traitements furent prodigués, neuroleptiques (neuleptil), dont Djamel ne respecte les
prises que s'il est contrôlé et qu'il ne prend plus actuellement.
En Juin, Juillet dernier, sur la proposition de l'équipe du F.A.O., un placement dans un lieu de vie, SALLANGES, situé
dans les ALPES près de Chamonix est organisé.
Le séjour au F.A.O. n'a fait que confirmer les conclusions des divers services précédents au sujet de la problématique
du jeune adolescent. Attitude très perturbée, imprévisible ; Djamel teste les adultes, peut manipuler s'il détecte la
moindre faiblesse chez l'adulte, est capable de réactions agressives, mais se laisse assez facilement remettre en
place par l'autorité hiérarchique ou l'adulte usant de fermeté et d'autorité.
A la fois très provocateur, Djamel révèle aussi sa recherche du contact avec les adultes. Très insécurisé, méfiant, à la
limite du sentiment de persécution, Djamel ne tient pas en place, se concentre difficilement lors des échanges. La
demande de ce jeune est grande vis à vis des éducateurs qui l'entourent, et l'exclusivité qu'elle implique, peut s'avérer
gênante en groupe.
De ces constations découlèrent l'idée d'un lieu de vie permettant distanciation, prise en charge individualisée, avec
possibilité d'activités occupationnelles dans le lieu.
Djamel démarra donc son séjour à SALLANGES le 3 Août 1996. L'équipe se composait de deux hommes et une
femme permanents, plus deux éducateurs vacataires, assurant loisirs et sports.
Le lieu, situé dans un village des ALPES, offrait de réelles possibilités de mise au calme et d'activités variées, tant sur
le plan travail (réfection de bâtiments, bûcheronnage, perspective d'ici le printemps de composer un cheptel de
chevaux, etc ...), que sur le plan des loisirs.
Djamel eut des débuts difficiles. Inquiet de l'éloignement et surtout soucieux de comprendre le projet proposé quant
aux échéances dans le temps et au contexte judiciaire de son placement, il ne cesse de remettre en cause sa
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présence à SALLANGES. Puis, progressivement, un rythme s'installa, ainsi qu'une hygiène de vie assez rigoureuse à
laquelle le jeune garçon sembla s'adapter. Lors de nos visites, nous retrouvions un garçon plus soigné, semblant avoir
trouvé sa place.
Le comportement de Djamel s'étant amélioré, des week-ends en famille furent préparés au bout d'un mois, à raison
d'une fois toutes les trois semaines. Le premier essai chez M. KHAÏBOUCHA s'avéra plutôt positif. L'évolution de
Djamel donnait satisfaction aux collègues de SALLANGES. Djamel s'exprimait plus calmement, il se montrait très actif
et « performant » dans tous les travaux qu'on lui confiait, malgré ses gestes souvent à la limite du dangereux, causés
par son tempérament nerveux et mal contrôlé.
Malheureusement, les progrès engrangés lors des deux premiers mois furent annulés lors du mois de Novembre par
une première fugue (le 5 Novembre), au cours d'un week-end chez M. KHAÏBOUCHA. Djamel vécut une semaine
dehors, puis se réfugia chez Mme N'DAYE, ancienne famille d'accueil. Il en fugua le lendemain, lorsqu'il apprit qu'un
collègue de SALLANGES venait le chercher. C'est quelques jours plus tard qu'il fut récupéré par nos collègues des
ALPES (en notre absence), au Commissariat de COMPIEGNE, où il se retrouva après un contrôle de police.
La semaine suivante, nous nous sommes rendus au Lieu de Vie, afin de reprendre ces événements avec Djamel et
l'équipe de SALLANGES. Djamel fugua de nouveau dans la nuit précédent notre arrivée le 6 Décembre. Nous avons
fait le point sans lui.
Ce n'est que le 16 Décembre, que Djamel se présenta au CAE d'AMIENS, demandant de l'aide après plusieurs
semaines d'errance. Il revendiquait, comme à de fréquentes reprises, de retourner dans son ancienne famille
d'accueil (Mme TARDES), chez qui, dit-il, il était bien.
Une solution provisoire était trouvée le lendemain en la personne d'une nouvelle famille d'accueil, située à BEAUVAIS
(60), pouvant recevoir le jeune garçon 3 semaines. L'expérience dut s'interrompre 3 jours avant la fin.
CONCLUSION :
Djamel, perturbé par l'enchaînement des événements qui le concerne, perd tous ses repères. Attiré par les gens
marginaux avec lesquels il peut partager sa détresse, mais également shit et boisson, a besoin de toute urgence
d'une solution d'accueil qu'il puisse supporter, donc plutôt de type placement familial, mais à partir de laquelle il lui
serait proposé, voire imposé, un projet occupationnel pouvant déboucher sur le professionnel et surtout une action
thérapeutique dont nous attendons des professionnels psychologues et psychiatres qu'ils nous en dessinent le
contour.
Nous vous remercions donc de bien vouloir prendre notre demande, concernant Djamel, en considération.
Lundi 10 Janvier, Djamel a été encore confié dans une famille d'accueil dépendant de l'U.H.I. du CAE de AMIENS
(Service P.J.J.), en attendant une solution à plus long terme.
Nous nous tenons à votre disposition pour de plus amples informations.
Nous joignons à notre note, et avec leur accord, un rapport du F.A.O. et un autre du SSE
Xavier DUPARQ, Éducateur
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Document 12 / 2 pages
R E P U B L I Q U E
F R A N Ç A I S E
MINISTÈRE DE LA JUSTICE
DIRECTION DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DE LA SOMME
CENTRE D'ACTION ÉDUCATIVE ET D' INSERTION DE AMIENS
BILAN DE SITUATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE
SPÉCIFIQUE PJJ
KAÏBOUCHA Djamel - Avril 1997
ÉVALUATION SCOLAIRE
RÉSULTAT DU TEST DE MATHEMATIQUES
Résoudre
une addition simple
Une soustraction simple
une multiplication simple
une division simple
une add. Décimale
une soust. Décimale
une mult. Décimale
une divi. Décimale
Ordonner
les nombres
entiers
Décimaux
Effectuer des fractions
Effectuer des conversions
Utiliser les pourcentages
Résoudre un problème
Utiliser les puissances
Trouver le nom de figures géométriques
Calculer
le périmètre
l'aire
le volume
Appliquer des formules mathématiques
Connaître les angles
Connaître les parallèles, les perpendiculaires
Résoudre une opération en h. mn et s.
Acquis
X
X
Non acquis
X
X
X
X
X
A revoir
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
RESULTAT DU TEST DE FRANÇAI S :
Expression - communication
Maîtrisé
parfaitement
Compréhension d'un message
Clarté dans les idées
Vocabulaire utilisé
Rigueur dans la construction des phrases
Aisance
Pertinence dans la réponse aux questions
Lecture d'un texte
Expression écrite
Orthographe
Qualité de l'expression
Présentation
Compréhension d'un message
Réalisation d'un message
Appréciation d'un message
Maîtrisé
Non maîtrisé
X
X
X
X
x
X
X
Maîtrisé
parfaitement
Maîtrisé
Non maîtrisé
X
X
X
X
X
X
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Grammaire - Conjugaison
Connaissance et emploi de
Verbe Etre
Verbe Avoir
Temps simples
Temps composes
Adjectifs qualificatifs
Adjectifs possessifs
Adjectifs démonstratifs
Verbes Prépositions
Noms
Sujets
Pluriel des noms
Pluriel des adjectifs
Participe passé
Acquis
Non acquis
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
A revoir
CONCLUSION
Les connaissances générales sont très faibles, aussi bien en français qu'en mathématiques.
L'expression orale est simple, le vocabulaire utilisé appartient à un registre usuel. La lecture n'est pas acquise.
En expression écrite, Ia syntaxe, l'orthographe et la conjugaison ne sont pas maîtrisées. Les règles de base sont à
apprendre.
En mathématiques les quatre mécanismes opératoires ne sont pas intégrés. Toutes les règles de base sont à
apprendre.
Il serait souhaitable que Djamel puisse intégrer un module de type illettrisme afin de pouvoir acquérir quelques
connaissances de base en français et en mathématiques.
M. Richard, Éducatrice
BILAN PROFESSIONNEL
Comte rendu des entretiens : KHAÏBOUCHA Djamel (Février 1997)
Djamel est un adolescent qui dénote une grande souffrance. Très tendu au début de l'entretien, il s'exprime avec
quelques difficultés. Toutefois, il retrace son parcours scolaire et professionnel sans trop de confusion.
D'un niveau scolaire très bas, Djamel ne souhaite pas, actuellement, faire de scolarité, son seul souhait est de
travailler. On sent chez ce jeune un réel besoin, mais aussi le désir, de se dépenser physiquement.
Djamel est désireux de travailler dans la nature, comme effectuer des travaux de bûcheronnage qu'il a déjà pratiqué.
Toutefois sa préférence va aux travaux concernant les espaces verts et le débroussaillage. Un essai à l'ACCUEIL &
FORMATION lui a permis de découvrir ce métier, mais il n'a pu rentrer en formation car il était trop jeune.
Lors du travail sur le référenciel des compétences, l'analyse de la grille d'évaluation confirme que Djamel possède un
très bon potentiel physique. Il apparaît aussi nettement que Djamel a de grandes difficultés relationnelles, ce qu'il
confirme en souhaitant travailler seul, « je n'aime pas travailler en groupe » affirme-t-il.
Djamel demande avec insistance à trouver un travail le plus rapidement possible car il s'ennuie. Actuellement logé à
l'hôtel, il semble normal qu'il veuille avoir une activité dans la journée. Djamel refuse cependant de quitter la région d'
AMIENS pour de vagues motifs familiaux. Son désir est de retourner à l'ACCUEIL & FORMATION pour y « faire » des
espaces verts et avoir un minimum de formation dans la manipulation d'engins. L'apprentissage des règles de
sécurité doit être aussi pris en compte car Djamel avoue être assez brusque gestuellement.
Compte tenu de la problématique de ce jeune, une orientation à l'ACCUEIL & FORMATION est-elle possible ?
Son traitement médical est-il compatible avec l'utilisation de machines souvent dangereuses ?
Son intégration au sein d'un groupe est-elle envisageable à ce jour ?
Toutes ces interrogations font que l'orientation de Djamel est complexe et demande la plus grande prudence afin de
ne pas le mettre en danger lui et les autres.
P. Pitreau, Professeur technique
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Document 13 / 3 pages
AMIENS, le 19 MARS 1998
Xavier DUPARQ, Henri LECARRE
Educateurs
à
M. GUILLERS, Juge des Enfants
PALAIS DE JUSTICE
80 - AMIENS
OBJET : Note de situation, concernant : KHAÏBOUCHA Djamel (Né le: 21 juillet 1980)
REF: Jugement du 27 AVRIL 1997 / S.M.E. de 18 mois
[…]
Le 27 Avril 1997, Djamel était jugé pour son agression d'un Monsieur âgé, le 6 Avril 1996. Il sera condamné à 4 mois
de prison avec sursis et mise à l'épreuve de 18 mois.
Depuis le Jugement du 27 Avril 1997, Djamel a donc vécu en chambre chez l'habitant à PONT-REMY, suivi par nos
collègues de l'U.H.I. de AMIENS.
Le 8 Mai 1997, l'Espace Accueil accepta Djamel, qui intégra à sa demande l'atelier "espaces verts", puis
"maçonnerie".
A cette période, Djamel passait régulièrement au CAE prendre le traitement du Dr. CARMAN (2 demi Tercian par
jour). Il connut quelques semaines d'équilibre relatif, mais cette situation se dégrada après l'arrêt, le 13 Juin 1997, du
placement à l'Espace Accueil, du fait de la trop grande instabilité du jeune homme, incapable de se fixer sur les
activités proposées et constamment en déplacement à l'intérieur de la structure.
La situation de Djamel ensuite, posa de plus en plus de problèmes, tant vis à vis de sa prise en charge éducative, que
de son comportement dans la rue.
Etant inoccupé depuis la mi-Juin, Djamel mena une vie de plus en plus désorganisée, sans véritables repères, autre
que le C.A.E. où il venait de manière très anarchique, mais souvent sincère et désespérée.
En Juin 1997, Djamel provoqua des incidents à répétition. Il lança un pétard par la fenêtre ouverte dans une voiture à
bord de laquelle se trouvait un enfant. Il insulta la mère de famille et ne se calma qu'à grand peine après notre
intervention.
Il se retourna quelques jour après, contre l'éducatrice de l'UHI qui, lors d'une visite dans sa chambre, découvrit etconfisqua une réplique d'arme de poing (objet factice). Cet objet fut alors apporté par notre service au commissariat,
avec déclaration sur main courante. (Notre note du 13 Juin 1997).
Djamel s'obstinant dans son agressivité envers notre collègue de l'UHI nous dûmes changer le mode de gestion de
l'hébergement, qui échut au CAE Djamel restait donc dans sa chambre, mais ne devait plus s'adresser à l'UHI.
Le 21 Juillet 1997, d'autres incidents avec la propriétaire hébergeant Djamel, cette fois, mirent un terme définitif à
cette forme de prise en charge. En effet, Djamel avait introduit un chien d'attaque dans la propriété. Ensuite, il fut
surpris par des voisins, à dégrader des voitures. Quelques jours plus tard, il était interpellé, alors qu'il consommait de
l'alcool sur la voie publique (notre note du 21 Juillet 1997).
Durant le mois de Juillet 1997, Djamel disparut plusieurs fois. Il fut également accidenté avec une mobylette dérobée.
Hospitalisé aux urgences, il vola le Dictaphone du médecin. (Il fut ensuite récupéré et restitué). (Notre note du 29 Août
1997).
Fin Juillet, Djamel réapparut et expliqua avoir vécu avec des forains, moyennant un peu de travail de travail de sa
part.
En Août, le CAE, faute d'autres possibilités, a dû faire vivre Djamel à l'hôtel. Djamel dut changer plusieurs fois d'hôtel
à cause de ses emportements impressionnants. Il était, à cette période, à une sorte de paroxysme ; ses agissements
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de plus en plus incontrôlables : gestes de colère, vulgarité et agressivité verbale, le faisaient rejeter de partout. Dans
la rue, il fréquentait bon nombre de marginaux avec lesquels il fumait du shit, buvait de l'alcool, etc...
Fin Août, Djamel retrouva un peu de calme. L'hôtel qui l'accueillait (le 3ème en un mois), nous fit part du bon
comportement de l'adolescent, qui appréciait, quant à lui, l'aspect familial et direct de l'ambiance de l'établissement.
A cette période, de retour de congés, Djamel retrouva la plupart des membres de l'Équipe du CAE, avec lesquels il
tissait, à la longue, des rapports affectifs et confiants.
En Septembre 1997, se posait donc à nouveau la question de l'orientation de Djamel. La longue énumération des
lieux traversés par le jeune homme, et quittés à peu près tous sur le même mode de l'échec et de la rupture à la fois
violente et douloureuse, renvoie à son propre historique familial. Un constat revient régulièrement dans nos synthèses
sur ce mineur. L'absence de lieux intermédiaires, entre le simple accueil avec travail éducatif et des structures
proposant un traitement psychologique, voire médicalisé, des difficultés.
Djamel relève des réponses sur ces deux registres conjoints, mais aucune Institution ne semble pouvoir traiter les
deux champs parallèlement et dans le temps.
Paradoxalement, en contrepoint des comportements de cet adolescent capable de s'exclure et de cultiver le rejet
jusqu'au bannissement, (sa famille, les groupes de jeunes, les institutions), nous avons pu découvrir chez lui une très
forte demande et une recherche de soutien maladroite, mais touchante.
En Octobre, pour pallier la progression alarmante des passages à l'acte de Djamel, (consommation de shit, d'alcool,
transport réguliers dans les transports en commun sans ticket, invectives des gens sur la voie publique, racket subi ou
agi, vols à l'étalage ....), l'équipe du CAE essaya d'élaborer un projet de placement sur le long terme. Dans un premier
temps, il s'agissait de faire partir le jeune homme en Province, pour un séjour de rupture de 2 mois. Pour la suite, une
démarche d'admission dans un Service de Placement Familial, était en pleine procédure, afin d'installer Djamel dans
un Service d'hébergement individualisé de la LOIRE. Ces deux formules étaient probablement celles que Djamel peut
supporter le mieux, étant donné leur caractère très individualisé.
Cependant, le 20 Octobre 1997, une première incarcération de l'adolescent, pour une affaire de vol de voiture, vint
interrompre ce projet. Djamel supporta difficilement sa mise en détention et l'incarcération, et se déclara prêt à profiter
du projet de rupture mis en place précédemment et qui fut donc pratiqué dès sa sortie du Centre de jeunes détenus le
10 Novembre 1997. Un Contrôle Judiciaire était également prononcé ce même jour.
Le 13 Novembre 1997, Djamel fut donc accompagné au Service d'Accueil d'Urgence de Cadillac (33), par M.
LECARRE, Éducateur du CAE Dans sa note du 13 Décembre 1997, notre collègue indiquait les débuts difficiles de ce
placement, des incidents eurent lieu : emprunt de la moto de la famille d'accueil, menace d'une personne avec une
fourche. La famille essaya d'aller au bout du temps prévu, mais le comportement menaçant du garçon les obligèrent à
le renvoyer, le 15 Décembre 1997.
Il fut accueilli deux jours dans un F.A.E., puis nous dûmes de nouveau recourir à l'hôtel.
Le 3 Janvier 1998, à sa demande, Djamel se sentant en danger par rapport à ses relations, fut placé en accueil
d'urgence au Foyer P.J.J. de ROYE. Le 13 Janvier 1998, Djamel perturbait violemment le foyer, et réagissait
violemment contre une éducatrice dont il refusa les consignes. L'adolescent était probablement sous l'emprise de
l'alcool ou d'un produit toxique. Dans un deuxième temps, il détériora le véhicule de la Directrice, stationné sur le
parking de l'Établissement.
La police arrivée sur place, emmena Djamel en garde à vue, après qu'il se soit rebellé. Il s'en suivit une incarcération
dès le lendemain, pour deux mois.
Aujourd'hui, Djamel a entamé un troisième mois de prison, dans le cadre d'une autre affaire.
Nous visitons régulièrement Djamel depuis son entrée au Centre de jeunes détenus. L'attitude de cet adolescent
semble affectée par « sa mise à l'écart forcée ». Il s'agit pour nous de saisir cette opportunité pour travailler avec
Djamel sur la prise de conscience de ses actes, la responsabilité quant à son futur. Djamel écoute et se présente
assagi. Son sentiment de solitude et d'abandon est grand et il se raccroche au peu de personnes qui gardent le
contact avec lui. Il s'agit essentiellement de l'institution du CAE.
La difficulté demeure de permettre une vraie solution d'avenir à Djamel. Celui-ci, derrière sa forte demande, conserve
sa fragilité qui le fait vivre et réagir dans l'instant, sans grande capacité de se projeter et de construire jusqu'au bout
un projet. Cet inconvénient majeur a annulé de manière récurrente toutes les tentatives égrenées au long de ce
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rapport, et paradoxalement il implique encore et peut-être surtout aujourd'hui, de maintenir une main tendue vers ce
garçon.
La fragilité patente de ses racines affectives rend Djamel totalement défensif, voire agressif, par crainte d'être nié, de
prime abord par son interlocuteur. Les solutions trouvées pour lui, impliquent souvent un déplacement du milieu de vie
connu, un changement d'entourage, le bouleversement de ses bases. Djamel, anéantit régulièrement ses chances de
construire son avenir.
Cependant, et malgré tous les aspects négatifs de son évolution depuis deux ans, nous pouvons témoigner des
progrès du jeune homme depuis que nous le connaissons, dans sa relation aux adultes.
Si grâce à de gros efforts collectifs l'ensemble des personnels du CAE a pu apporter a Djamel le temps et la
considération dont il a besoin, ce qui lui ont permis de faire un pas vers l'adulte, il manque, depuis notre prise en
charge de ce jeune, l'apport essentiel d'un travail thérapeutique soutenu. Si l'ensemble des solutions évoquées dans
cet écrit n'a pu aboutir, c'est probablement qu'en appui il n'existait pas de véritable soutien psychologique permettant
à Djamel un travail sur le fond de sa problématique.
Aujourd'hui, nous restons convaincus qu'il manque les lieux institutionnels pour ce type de jeune. Il faut donc nous
diriger encore, semble-t-il, vers un montage de solutions alliant lieu d'hébergement individualisé, avec guidance
éducative, recherche, encadrée par des adultes, d'une orientation professionnelle, mais aussi et surtout mise en place
rapide d'un travail thérapeutique réel.
Ces derniers temps, Djamel se trouvait tellement démuni d'espoir, qu'il nous demanda de solliciter son père pour
l'héberger et lui trouver une embauche sur son propre lieu de travail.
M. KHAÏBOUCHA oppose un refus clair de reconsidérer un quelconque retour de son fils chez lui, encore moins de le
visiter en prison.
EN CONCLUSION
Notre Service aura du mal à faire émerger une réponse innovante, tant il a été essayé de solutions aux difficultés de
Djamel.
Nous nous appuierons sur deux éléments pour présenter une perspective. D'une part le constat incontournable d'une
nécessité de travail thérapeutique de la part de Djamel, pour donner chance à quelconque action le concernant
d'évoluer, d'autre part la bonne disposition du jeune homme dans sa situation actuelle, d'entendre et de réfléchir à ses
difficultés sous un angle plus ouvert.
Dans ce sens, notre collègue, M. LECARRE, avait pris des contacts avec le Service d'Hébergement Individualisé de
NOGENT / O. (service de semi-autonomie).
Une visite, dans le cadre d'une procédure d'admission est envisageable, dès que Djamel en aurait la possibilité. .
A partir de ce Service éducatif, une recherche professionnelle aurait immédiatement lieu sur les infrastructures de
formation professionnelles, type éducatif, et pourquoi pas celles du droit commun.
Restera à organiser, dans le même temps, la prise en compte de Djamel dans un Service de suivi thérapeutique.
Nous poursuivons la recherche d'autres solutions et restons à votre disposition pour tout élément au sujet du jeune
Djamel KHAÏBOUCHA.
Xavier DUPARQ
ÉDUCATEUR
Henri LECARRE
ÉDUCATEUR
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