En savoir plus sur la loi

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En savoir plus sur la loi
DOSSIER
Marcela Feraru
Ni argent, ni médailles, simplement d’être français ! Voilà
comment l’histoire a commencé. C’était en 1993 et Mariusz Nowakowski venait de
perdre sa jambe gauche sur
l’aéroport de Sarajevo. Marius
a été fait français, peu de
temps après, grâce à des mesures dérogatoires car, il y a
bientôt vingt ans, aucun dispositif légal ne permettait de
devenir « Français par le sang
versé » hormis la procédure de
naturalisation appliquée à
n’importe quel étranger qui en
faisait la demande.
Il a fallu attendre 1999 pour
qu’une loi soit promulguée
rendant l’acquisition de la
nationalité française « par le
sang versé » automatique pour
un légionnaire « blessé en
opération et à condition que
celui-ci en fasse la demande ».
Légionnaires au défilé du 14 Juillet.
© ECPAD.
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Légion étrangère – n° 1
Histoire d’une loi
Par le sang versé,
histoire d’une loi
C
omme toute loi, elle a fait l’objet d’âpres
batailles politiques et il faut reconnaître
que, fait sans précédent, elle a été votée à l’unanimité après une forte mobilisation de la Légion
étrangère, de ses Anciens et d’un certain nombre
d’élus de tous bords.
Si le cas de Mariusz Nowakowski a valeur de
symbole, le projet avait déjà été initié dès 1988
à la suite d’auditions menées par Marceau
Long (1) dans le cadre de la commission chargée
de rédiger un livre blanc en prévision de la modification du code de nationalité. Pour les besoins d’un film documentaire sur ce sujet (2) il
s’exprime sur les motivations qui l’ont conduit
à s’y intéresser...
libré puisqu’il a été approuvé par la majorité. Il arrive
souvent cependant que des rapports ne soient pas appliqués tout de suite.
Ces diverses discussions ont soulevé de nombreux problèmes. Nous avons reçu beaucoup de lettres et avons
dû, par exemple, nous pencher sur une requête émanant
des Canadiens francophones qui demandaient que leur
soit reconnue une double nationalité canadienne et
française. Cet exemple, très compliqué, nous a conduits
à ne pas rentrer tout de suite dans le détail. Problème,
dans ce « détail » on retouve les légionnaires, les étrangers qui s’étaient battus pour la France et qui réclamaient eux aussi que l’on songe aux “Français par le
sang versé”. C’est à cette époque qu’est née à la fois
l’expression, la revendication et les premières propositions de loi. »
Droit du sang
Des élus partagés mais… d’accord !
« En 1987, la France et d’autres pays entament des réflexions sur la nationalité. Cette thématique était d’ailleurs déjà présente dans les discours de campagne dès
1986. Certains partis avaient souhaité que, dans le
programme du gouvernement, on étudie justement les
questions de nationalité et comme souvent d’ailleurs
quand on aborde ce sujet on peut très vite déborder et
donc il fallait essayer d’encadre les discussions. Elles
ont commencé au parlement où plusieurs auditions ont
été faites puis finalement laissées à des comités de personnalités, des sages !
Le débat opposait les partisans du droit du sol à ceux
du droit du sang selon un clivage politique assez traditionnel. L’opposition de l’époque (3) était très attachée
au droit du sol – c’est-à-dire est français celui qui est
né en France alors le droit du sang s’attache davantage
à la filiation depuis un certain temps et notamment à
un consentement de nationalité. Il y avait une différence de conception qui remonte d’ailleurs à l’histoire
très largement.
Le comité que j’avais présidé a essayé d’atténuer, même
de faire disparaître, cette querelle en disant que ce qui
compte en réalité ce n’est pas tellement l’affiliation
proprement dite, ni le fait de naître ici où là, mais le
fait de recevoir, dès le berceau, une éducation de parents
français, d’entendre le français, d’aller à la crèche, puis
à l’école avec des Français, en mettant l’accent sur le
fait que cette acclimatation à la France se faisait donc
progressivement au sein même du milieu familial. Nous
avons donc fait un rapport qui devait être assez équi-
S’attaquer, même hors des enjeux politiques, à
une révision complète du code de nationalité va
s’avérer techniquement et éthiquement compliqué mais l’impartialité et le « poids » politique
de Marceau Long vont contribuer à initier le
processus de la loi de 1999 qui va devenir
presque malgré elle, un sujet sociétal. Mais les
préjugés sont tenaces… Alors que les premières
propositions de loi apparaissent, il devient évident que le combat va se déplacer dans l’arène
politique. Selon les propres termes de Marceau
Long, il y a « au départ, de la part des uns et des autres des préjugés […]. Je crois que tous, dans un souci
d’humanité, étaient d’accord avec cette idée de créer
un mode spécial d’entrée dans la nationalité française
(1) Marceau Long a été pendant plusieurs années président
de l’Institut français des sciences administratives, association reconnue d’utilité publique et ayant pour but de promouvoir le modèle français de sciences administratives par
l’organisation de colloques et la participation aux activités
de l’Institut international des sciences administratives. En
1987, il préside la réforme de la nationalité française, qui
porte son nom. Après une longue carrière au service de
l’État, il se retire en 1995 après été vice-président du Conseil
d’État.
(2) « Français par le sang versé, histoire d’une loi », réalisé
par Marcela Feraru, Kilahom Productions / Chaîne Histoire.
(3) Les radicaux, les socialistes et les communistes.
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DOSSIER
MARIUSZ NOWAKOWSKI
Sarajevo, 1993. Le caporal-chef Nowakowski vient d’être touché par l’éclatement d’un obus.
© Centre documentaire Légion étrangère.
pour des gens morts ou blessés pour la France mais en
même temps ils craignaient de relancer ensemble le débat
sur la nationalité notamment en y voyant une atteinte
au caractère d’automaticité qui leur était cher ».
Nous sommes en 1998. Intervient alors un incident qui sera largement repris dans la presse et
qui entraînera des réactions épidermiques des
deux « côtés ». Suite à une incompréhension dans
la transmission des textes au ministère de la Justice et une correspondance adressée par Élisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, aux
anciens légionnaires, Pierre Messmer, ancien
Premier ministre mais surtout ancien officier de
la 13e demi-brigade de Légion étrangère à BirHakeim réagit par des articles dans la presse. Le
clivage droite-gauche, contenu par Marceau
Long et ses « sages », éclate au grand jour. Pierre
Messmer passe d’une posture réservée à un leadership de la contestation sur le degré d’attachement à la France. De fait, il apporte une visibilité
médiatique inespérée à la Fédération des sociétés
d’anciens de la Légion étrangère présidée par le
général Jean-Claude Coulon (4) lui-même très attaché à ce projet de loi.
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Marceau Long fait donc appel au sénateur-maire
d’Aix-en-Provence, Jean-François Picheral qui,
tout comme Pierre Messmer, a servi avec la Légion mais en Algérie comme médecin militaire
au sein du 2e régiment étranger. Les deux
hommes obtiennent un entretien avec la Garde
des Sceaux au cours duquel tous laissent de côté
les questions de principe, de doctrine, d’idéologie pour se concentrer sur le fonds du dossier.
Dès lors, les discussions sur la loi « Par le sang
versé » peuvent reprendre en constatant « finalement qu’il devait y avoir certainement les
moyens d’éviter que cette affaire-là puisse être
faite sans bouleverser les règles de la nationalité » (5).
« Pendant deux semaines, j’ai été inconscient
et le seul moment dont je me rappelle est la
venue du capitaine Lantaires*. Il est venu
me rendre visite avec des légionnaires de ma
compagnie mais, moi, je ne savais pas ce qui
s’était passé ! Je croyais que c’était la guerre
contre les Russes !… Pendant un moment je
croyais que c’était ça ! […]
Ils m’ont rapatrié de Sarajevo dix jours après
sur l’hôpital militaire de Sainte-Anne à
Toulon et c’est là qu’il a fallu m’amputer de
la jambe parce que comme j’avais beaucoup
perdu de sang, il n’y avait plus d’oxygénation, donc j’ai eu la gangrène, il fallait amputer la jambe pour que ça ne se propage
plus. Dès que j’ai su que j’allais être amputé, cela m’a fait un choc. Oui, parce que je
me rappelais que chez moi, dans le civil, les
gens handicapés, il ne fallait pas les montrer.
Je ne voulais pas vivre comme ça, caché.
Après, de l’hôpital Sainte-Anne de Toulon,
j’ai été rapatrié à l’Institution des Invalides
à Paris et quelques jours après le ministre de
la Défense, François Léotard, est venu me
rendre visite et là, j’ai saisi ma chance...
À l’époque je ne pouvais pas bien réfléchir,
j’avais subi un grand choc mais c’est ma
conscience qui me disait qu’il fallait que je
demande ça.
Je pensais que, peut-être, une fois amputé, on
se débarrasserait de moi, parce qu’un étranger qui est venu servir pour un autre pays…
Je ne savais pas alors comment cela fonctionnait, ni que la pension de guerre existait. Je
pensais qu’on allait simplement me dire : ça
va, c’est fini, tu rentres. Je ne demandais pas
d’argent – pour moi devenir français, c’était
ça l’important. »
* Le lieutenant-colonel Xavier Lantaires a
quitté la Légion étrangère en août 2011
après y avoir servi pendant plus de vingt ans
sans interruption, ce qui est une exceptionnelle longévité par un officier supérieur.
En 1993, il est au 2e régiment étranger de
parachutistes.
Fils de Légionnaire
L’accord de principe obtenu chez la ministre
permet alors de laisser le processus législatif suivre son cours au sein des deux chambres. Pour
l’Assemblée nationale, c’est Thierry Mariani, actuel ministre des Transports, qui en est le rapporteur. Les débats, passionnés, seront de haute
(4) Commandement de la Légion étrangère de 1984 à 1985.
(5) « Marceau Long - Français par le sang versé, histoire
d’une loi », interview complémentaire, avril 2011.
Histoire d’une loi
tenue, ne serait-ce que, parmi les élus, on compte
des parlementaires qui sont fils de légionnaires
comme Charles Cova ou d’autres qui avaient été
officiers dans la Légion ou qui la connaissaient bien.
Le travail de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République va consister à rassembler dans un premier temps toutes les propositions. Afin que, selon le rapport parlementaire
n° 1961 du 24 novembre 1961, « un débat puisse
s’instaurer, le groupe RPR a demandé, le 9 novembre
dernier, que la proposition de loi de M. Charles Cova
soit inscrite à la séance du 30 novembre, réservée à l’ordre du jour fixé par l’Assemblée nationale ».
Le 16 novembre, soit quelques jours après la décision prise par la Conférence des présidents à
la demande du groupe RPR, M. Robert Gaïa et
les membres du groupe socialiste déposaient à
leur tour une proposition n° 1922 relative à l’attribution de la nationalité française à tout étranger blessé en mission dans l’armée française. Le
même jour, une proposition en tout point identique était déposée au Sénat par M. Jean-François
Picheral et les membres du groupe socialiste.
Toujours selon le rapport de Thierry Mariani,
« toutes ces propositions ont en commun d’instituer un
régime d’acquisition de plein droit de la nationalité
française pour les militaires étrangers engagés dans
l’armée française et blessés en mission. Les points communs l’emportent, même si les modalités d’acquisition,
la définition des circonstances où la blessure a été reçue
et les bénéficiaires secondaires de cette procédure sont
quelque peu différents ».
D’une rédaction plus ou moins précise, toutes
les propositions visent les étrangers engagés actuellement ou à l’avenir dans les armées françaises. Il n’est pas question d’appliquer
rétroactivement la mesure aux 35 000 légionnaires morts pour la France depuis 1831 ou à
leurs descendants, ni a fortiori à tout étranger
ayant servi dans les armées françaises.
Décret d’acquisition
Toutes les propositions prévoient que la nationalité française résulte d’un décret, mais selon
un régime différent. Tout en faisant le choix de
la naturalisation, les propositions émanant de
l’opposition adaptent les principes qui régissent
ce mode d’acquisition de la nationalité française :
LA REMISE DU DÉCRET
La remise de décrets d’acquisition de la nationalité ou
de naturalisation obéit à des règles strictes afin d’en
préserver le caractère solennel. Elle exige la présence
d’un élu et se fait systématiquement devant le drapeau
du régiment en présence de l’encadrement du bénéficiaire. Depuis le 13 juillet 2005, à l’initiative du
général Bruno Dary*, une cérémonie particulière se
déroule en deux temps au Sénat.Tout d’abord, une prise
d’armes qui regroupe les unités de Légion étrangère
défilant pour la Fête nationale dans les jardins du
Luxembourg, présidée par le deuxième personnage de
l’État, le président du Sénat. Puis une cérémonie plus
intime, dans les salons de la présidence, au cours de
laquelle les légionnaires blessés en opération reçoivent
leur décret d’acquisition de la nationalité française.
Une manière de concrétiser chaque année la reconnaissance de leur pays d’adoption à ces « Français par le
sang versé ».
* Commandant la Légion étrangère de 2004 à 2006
puis gouverneur militaire de Paris depuis 2007.
(suite p. 14)
Présidence du Sénat, 14 juillet 2005. Le caporal-chef Nowakowski entouré par le sénateur Picheral (à droite) et le général Coulon (à gauche).
© Centre documentaire Légion étrangère.
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DOSSIER
Malgré la menace permanente des
snipers, la vigilance doit être
maintenue coûte que coûte. © ECPAD.
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LA COMPOSITION DE LA COMMISSION
Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, viceprésidents ; MM. Richard Cazenave, André Gérin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy,
Léon Bertrand, Émile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin,
MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice
Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean
Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières,
Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu deVabres,
René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond
Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Robert Gaïa, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët,
Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine
Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy,Thierry Mariani, Louis
Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, MmeVéronique Neiertz, MM. Robert Pandraud,
Christian Paul,Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman,
José Rossi, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, AndréVallini, Alain
Vidalies, Jean-LucWarsmann.
Affiche de recrutement des années 80.
© Centre documentaire Légion étrangère.
par exception, la décision de l’autorité publique
serait liée puisqu’elle ne pourrait pas refuser
d’accorder la nationalité française à l’étranger
engagé dans les armées françaises et blessé en
mission. La proposition socialiste innove également, mais selon d’autres modalités, en permettant à l’étranger d’obtenir la nationalité française
par une décision de l’autorité publique qui n’est
pas un décret de naturalisation. Le décret de naturalisation présente l’avantage d’être mieux
connu, puisque c’est déjà par ce canal que tout
légionnaire peut acquérir la nationalité à l’issue
de son engagement, mais le décret d’acquisition
permet d’échapper aux contraintes attachées à
la procédure de naturalisation (condition de
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Légion étrangère – n° 1
stage, contrôle de l’assimilation et de l’état de
santé, âge…).
La proposition de M. Robert Gaïa présente, en
outre, la particularité d’introduire une condition
supplémentaire en rendant obligatoire l’intervention d’une proposition du ministre de la Défense, la demande du légionnaire blessé n’étant
pas à elle seule suffisante pour que la nationalité
française lui soit conférée. La qualité de Français
ne serait donc acquise de plein droit qu’une fois
ce « filtrage » opéré.
La définition des circonstances dans lesquelles la
blessure a été reçue diffère également d’une proposition à l’autre, mais l’intention commune est
de viser les blessures reçues en mission, lors d’un
engagement opérationnel, et non pas toutes les
blessures reçues « par suite d’événements de guerre
ou d’accidents éprouvés par le fait ou à l’occasion du
service » ouvrant droit à pension aux termes de
l’article 2 du code des pensions militaires d’invalidité.
Enfin, trois des propositions traitent de l’acquisition de la nationalité française par les enfants
mineurs du légionnaire blessé au cours d’un engagement opérationnel.
Celle déposée par le rapporteur précise que
la nationalité française est également conférée
aux enfants mineurs du légionnaire blessé : il
s’agit en fait de la reprise d’un principe général
posé par l’article 22-1 du code civil, qui dispose
que l’enfant mineur, dont l’un des deux parents
acquiert la nationalité française, devient français
de plein droit s’il a la même résidence que ce parent ou s’il réside alternativement avec ce parent
dans le cas de séparation ou de divorce. Son nom
doit toutefois être mentionné dans le décret de
naturalisation.
En complément, les propositions de MM. Goasguen et Gaïa envisagent une autre hypothèse :
celle où le légionnaire meurt à la suite de ses
blessures et ne peut donc acquérir la nationalité
française et en faire bénéficier ses enfants mineurs. Nos collègues souhaitent légitimement
que ces enfants puissent, en quelque sorte, se
substituer à leur père et obtenir de plein droit la
nationalité française.
Vers le consensus
Ces précisions ne sont pas inutiles car elles
conduisent naturellement vers le consensus, le
caractère humain de la loi n’ayant jamais été
remis en cause. S’agissant de témoigner la reconnaissance de la Nation à des soldats, certes étrangers mais qui se sont engagés au service de la
France et qui ont été blessés, voire tués, en la
servant, il était particulièrement souhaitable
d’arriver à un accord transcendant les clivages
politiques. Thierry Mariani va alors travailler à
une rédaction « susceptible d’emporter l’adhésion des
auteurs des cinq propositions de loi, qui toutes tendent
vers un même but : élaborer un mode simplifié d’acquisition de la nationalité française pour les étrangers
ayant servi le drapeau français dans la Légion étrangère
et ayant été blessés en mission ».
Deux idées principales s’en dégagent :
– Afin de simplifier au maximum la procédure
d’acquisition de la qualité de Français, il apparaît
préférable de s’extraire complètement du régime de la naturalisation, et d’échapper ainsi aux
(6) Commandant la Légion étrangère de 1999 à 2002.
(7) Chef d’état-major du Commandement de la Légion étrangère
aux mêmes dates puis commandant la Légion étrangère de
2006 à 2009.
Timbre promotionnel pour l’Institution des Invalides
de la Légion étrangère.
© Centre documentaire Légion étrangère.
Histoire d’une loi
nombreuses contraintes l’accompagnant, et de
créer un régime sui generis d’acquisition de la
nationalité française par décret pour les légionnaires blessés.
– À la réflexion, l’idée d’instituer un filtre, sous
la forme d’une proposition du ministre de la Défense, n’est pas sans intérêt. Comme l’ont souligné M. Pierre Messmer, le général Coullon, le
général Grail (6) et le colonel Pichot de Champfleury(7), l’autorité militaire conserve ainsi une
marge d’appréciation sur la nature de la blessure,
les circonstances dans lesquelles elle est intervenue et la manière de servir de l’intéressé. En
effet, il est arrivé, très exceptionnellement, que
la manière de servir d’un légionnaire blessé ait
laissé à désirer, ce qui aurait fait obstacle à ce que
le commandement de la Légion lui remette le
certificat de bonne conduite. En outre, même si
lors du recrutement des légionnaires les candidats ayant commis des crimes ou ayant trempé
dans des affaires de terrorisme ou de trafic de
stupéfiants sont systématiquement écartés, on
ne peut jamais exclure à cent pour cent le recrutement, par exemple, d’une personne que le Tribunal pénal international viendrait à déclarer
complice de crime contre l’humanité, ainsi que
l’a souligné le cabinet de la ministre de la Justice.
Prise d’armes du 13 juillet dans
les jardins du Luxembourg.
© Centre documentaire Légion étrangère.
La victoire de l’unanimité
Compte tenu des difficultés, des imperfections
et des rigidités qui pourraient en résulter, le rapporteur a renoncé à définir la notion de blessure
dans la loi en établissant une sorte de barème, au
bénéfice de l’appréciation du ministre de la Défense, qui se fondera sur les recommandations
du commandement de la Légion étrangère.
Toutefois, plutôt que d’imposer une proposition
systématique du ministre, ce qui pourrait paraître affaiblir le principe de l’acquisition de plein
droit de la nationalité française, le rapporteur
avait d’abord envisagé que la qualité de Français
soit conférée au légionnaire blessé sauf avis
contraire du ministre dans un délai d’un mois.
Afin d’arriver à un vote consensuel sur un texte
d’inspiration humaniste et d’essence éminem-
AUX ORIGINES
Au XVIIe siècle, c’est au cours de la signature de l’ordonnance sur le recrutement militaire voulue
par Richelieu en 1629 jusqu’à la nomination de Michel Le Tellier, futur marquis de Louvois, aux
fonctions de secrétaire d’État à la Guerre, que la France se dote progressivement d’une armée
permanente. Son effectif est fixé à environ 55 000 volontaires pour un royaume fort d’environ
22 millions d’habitants. Dans cette armée, l’apport des hommes enrôlés hors de France varie jusqu’à
avoisiner le quart de l’effectif total. Ces étrangers proviennent de toute l’Europe sans que cela ne
pose le moindre problème dans la mesure où le sentiment national n’existe pas encore dans son
acception contemporaine. Allemands, Croates, Écossais, Irlandais, Hongrois, Polonais, Suédois, Suisses,
etc. : leur nombre et leur valeur au combat leur confèrent une place de choix dans l’histoire d’une
France dont ils contribuent à façonner l’identité autant que les frontières.*
* Frédéric Guelton, « Éditorial », Revue historique des armées, 255, 2009.
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DOSSIER
Christian Poncelet,
président du Sénat, remet son décret
de nationalité au légionnaire Yakiriev
gravement blessé en Côte d’Ivoire.
© Centre documentaire Légion étrangère.
TEXTE ADOPTÉ
PAR LA
COMMISSION
Proposition de loi modifiant les conditions
d’acquisition de la nationalité française par
les militaires étrangers servant dans l’armée
française.
Article 1er
Avant l’article 21-15 du code civil, il est
inséré un article 21-14-1 ainsi rédigé :
« Art. 21-14-1. - La nationalité française est
conférée par décret, sur proposition du ministre
de la Défense, à tout étranger engagé dans les
armées françaises qui a été blessé en mission
au cours ou à l’occasion d’un engagement
opérationnel et qui en fait la demande. En cas
de décès de l’intéressé, la même procédure est
ouverte à ses enfants mineurs qui, au jour du
décès, remplissaient la condition de
résidence prévue à l’article 22-1 du code civil. »
Article 2
L’article 21-15 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 21-15. - Hors le cas prévu à l’article
21-14-1, l’acquisition de la nationalité
française par décision de l’autorité publique
résulte d’une naturalisation accordée par
décret à la demande de l’étranger. »
ment républicaine, le rapporteur a cependant accepté, sur la proposition de M. Robert Gaïa, de
modifier le deuxième alinéa de l’article 1er du
texte qu’il avait présenté à la commission, pour
que la nationalité française soit conférée sur proposition du ministre à l’étranger engagé dans les
armées françaises et blessé au cours ou à l’occasion d’un engagement opérationnel.
La formulation consistant à préciser que la blessure doit être intervenue en mission au cours ou
à l’occasion d’un engagement opérationnel présente l’avantage d’écarter clairement les accidents sans lien avec une mission, tout en
englobant aussi bien les opérations strictement
militaires que les opérations entrant dans le
cadre du plan Vigie-Pirate, de la sécurité civile
(lutte contre les incendies,…) ou du déminage,
par exemple.
Par ailleurs, s’il n’est pas indispensable de rappeler que les enfants mineurs du légionnaire devenu français à la suite d’une blessure peuvent
acquérir de plein droit la nationalité française par
effet collectif, il est vivement souhaitable d’étendre ce droit aux enfants mineurs du légionnaire
décédé à la suite de ses blessures comme le prévoient les propositions Goasguen et Gaïa.
Article 3
I. – Dans le dernier alinéa de l’article 22-1
du code civil, les mots : « de naturalisation »
sont supprimés.
II. – Sont insérés, dans l’article 27 du code
civil, après les mots : « une demande », les mots :
« d’acquisition, ».
III. – Il est inséré, dans les articles 27-1 et
27-2 du code civil, après les mots : « Les décrets
portant », le mot : « acquisition, ».
IV. – Sont insérés, dans la dernière phrase du
dernier alinéa de l’article 28-1 du code civil,
après les mots : « retrait du décret », les mots :
« d’acquisition, ».
V. – Sont insérés, dans l’article 30-1 du code
civil, après les mots : « par déclaration », les
mots : « décret d’acquisition ou de ».
Extrait du livret matricule du commandant Pechkov sur lequel figure sa naturalisation.
© Centre documentaire Légion étrangère.
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Histoire d’une loi
LE STATUT À TITRE ÉTRANGER
L’unique spécificité de la Légion étrangère repose sur sa capacité, reconnue par la loi précitée, à recruter, dès le temps de paix, des étrangers à qui l’on va confier les armes de la France.
Ce statut particulier a pour objet d’encadrer cette extraordinaire capacité résultant de ce choix politique. Le 16 septembre 2008 a été publié au Journal Officiel de la République Française, le décret relatif aux militaires servant à titre étranger. Il abroge les deux décrets de 1977 qui l’auront régi
pendant les trente dernières années. Ce corpus de textes, complété par l’instruction ministérielle relative à l’organisation du Commandement de la Légion étrangère, fixent les caractéristiques actuelles de
la Légion étrangère et qui la distinguent du reste de l’armée de Terre et redisent particulièrement que
« tout militaire à titre étranger sert au sein d’une unité de Légion étrangère ». Ce principe
est absolument fondamental et prévoit que le légionnaire sert sous commandement d’officiers de Légion étrangère. À titre exceptionnel et sur décision du général commandement la Légion étrangère, il
peut être employé auprès d’autres formations.
LE PROFIL DU LÉGIONNAIRE AUJOURD’HUI
La moyenne d’âge des engagés est de vingt-trois ans. S’il n’est pas nécessaire de parler français lors de
l’engagement, il est toutefois essentiel que le candidat à l’engagement dispose de la capacité à apprendre la langue française, seule langue utilisée à la Légion étrangère. Pour 85% d’entre eux, ils sont
étrangers.
La Légion compte aujourd’hui près de 146 nationalités dans ses rangs, ce qui fait d’elle la formation
la plus hétéroclite au monde. Les francophones, essentiellement des Français, représentent près de 20%
du recrutement. La présence d’un minimum de francophones dans la troupe est indispensable au bon
fonctionnement de la Légion car elle permet, par capillarité, aux étrangers de s’adapter et de s’intégrer plus facilement à la culture française.
La Légion recrute environ 1 000 hommes par an parmi les 10 000 candidats qui se présentent à la
porte de ses postes de recrutement.
Ces principes étant posés dans l’article premier
du texte proposé par le rapporteur, qui insère
dans le code civil un article 21-14-1, les articles
2 et 3 en tirent les conséquences en procédant à
différentes coordinations dans les articles 21-15,
22-1, 27 à 27-2, 28-1 et 30-1 du même code.
Derrière cette rédaction se cache une véritable
victoire, celle de l’unanimité car c’est sur cette
proposition qui rallie toutes les sensibilités que
la loi sera adoptée.
La conclusion revient à Marceau Long qui relie
ce projet à un « merveilleux exemple d’intégration. On ne demande pas à tous les gens qui sont
intégrés de mourir pour la France ou de s’engager à se battre en Indochine, au Kosovo ou au
Moyen Orient. Donc voilà des gens qui venus
des quatre coins du Monde, qui n’ont au départ
presque rien de commun sinon sans doute pour
beaucoup le désir de changer de vie, d’avoir une
seconde chance… Mais, qui peu à peu et parfois
assez vite acquièrent le sentiment qu’ils peuvent
recommencer une vie, qu’ils peuvent en
quelques sorte ressusciter et pour certains commence même une véritable rédemption. <
Patrouille des GCP en Afghanistan.
© ECPAD.
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DOSSIER
Intervention de la 3e compagnie dans
l’enclave serbe de Banja. © CAV 2e REP.
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Histoire d’une loi
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