Axelle Brodiez-Dolino, L`Emmaüs et l`abbé Pierre, Presses de
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Axelle Brodiez-Dolino, L`Emmaüs et l`abbé Pierre, Presses de
Séance du 18 novembre 2010 Autour du livre d’Axelle Brodiez-Dolino, Emmaüs et l’abbé Pierre, Presses de Sciences Po, Paris, 2008. L’étude des associations caritatives est neuve et complexe. Elle se situe au carrefour de diverses historiographies, celle des catastrophes, des pratiques religieuses et politiques, et même, dans le cas présent, des relations internationales. L’un de ses principaux mérites est de donner la parole à ceux que, faute de sources, l’histoire ordinairement oublie. Le livre d’Axelle Brodiez-Dolino est consacré à l’histoire d’Emmaüs, la plus importante association caritative française, une association que, depuis le célèbre appel de 1954, tout le monde connaît de nom, mais dont personne ne connaît – ne connaissait jusqu’ici – précisément l’histoire. Il couvre toute l’histoire de l’association, de sa naissance à nos jours. Les archives ecclésiastiques restant largement inaccessibles, il se fonde sur l’exploitation des archives de l’association, des entretiens et des sources publiques. Comme l’indique son titre, il envisage l’histoire d’Emmaüs dans son rapport à la figure de son fondateur, l’abbé Pierre. Car la figure de l’abbé Pierre est assurément indissociable d’Emmaüs ; elle est à la base de sa popularité, passée, présente et probablement future. Axelle Brodiez-Dolino se fait cependant fort de souligner que l’histoire d’Emmaüs apparaît autrement complexe aussitôt qu’on s’attache à dépasser la mythologie unificatrice véhiculée par la figure de l’abbé Pierre. D’abord parce que les relations entre ce dernier et l’association n’ont pas toujours été iréniques, tant s’en faut. En raison de ses piètres qualités d’administrateur mais aussi de certaines de ses prises de position, l’abbé Pierre a régulièrement suscité, au sein même d’Emmaüs, interrogations et oppositions, qui ont culminé en intensité à l’occasion de l’affaire Garaudy. Ensuite parce que l’association, qui n’a eu de cesse de s’adapter à l’évolution de la conjoncture et à la mutation des formes de la précarité sociale, s’est profondément transformée au cours de son demi-siècle d’existence, tant sur le plan de ses missions que du point de vue de son fonctionnement institutionnel. Ce dernier constat conduit Martine Cocaud, discutante, à s’interroger sur ce qui fait l’unité véritable d’Emmaüs ; mieux, son identité. Axelle Brodiez-Dolino souligne la pertinence de la question mais aussi son extrême difficulté. Il est impossible, selon elle, d’y apporter une réponse tranchée, même si les militants de l’association se reconnaissent subjectivement une communauté d’engagement qu’il lui a été donné d’entrevoir au fil des contacts noués au cours de son enquête. S’engage alors une discussion proprement méthodologique sur les difficultés mais aussi la richesse de l’observation scientifique des pratiques militantes. Puis, plusieurs questions émanant de la salle déplacent la discussion vers le problème de l’image de l’abbé Pierre. Florian Mazel remarque que celle-ci n’est pas sans évoquer, sur le plan narratologique, certaines figures de saints médiévaux, de saint François d’Assise en particulier, que l’abbé Pierre reconnaissant comme son modèle. La conférencière précise que cette image a été soigneusement construite par l’intéressé, qui aimait à se savoir sous les feux des médias, et qui, à l’encontre des idées reçues, là encore, sut indéniablement les utiliser à son profit. En définitive, une séance riche et stimulante, qui, au-delà de son apport sur le fond, s’est avérée propice aux échanges entre périodes et à une réflexion sur le statut de l’enquête historique à l’époque contemporaine, envisagée dans ses rapports avec les autres sciences sociales, les sciences politiques en particulier. Gaël Birotheau Doctorant d’histoire contemporaine à l’université Rennes 2 CERHIO – CNRS UMR 6258