Que peut-on vraiment attendre de la voiture

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Que peut-on vraiment attendre de la voiture
Que peut-on vraiment attendre de la voiture électrique ?
Nos concitoyens commencent à s'habituer à l'idée que le pétrole finira par manquer. Mais le
marketing actuel pour la voiture électrique fait comme si l'électricité allait naturellement et
durablement se substituer à l'essence et au diesel. Il enjoint l'automobiliste à ne rien changer à
ses petites manies kilométriques, et le promène ainsi dans un épais brouillard… pour mieux
lui cacher le gouffre qui s'ouvre devant ses roues ! Le point avec Christian Steffens, ingénieur
industriel, consultant indépendant en énergétique, électricité et électronique.
Par Dominique Parizel
A priori, chez Nature & Progrès, nous serions plutôt enclins à penser que le meilleur
kilomètre en voiture, thermique ou électrique, est celui… qu'on ne parcourt pas ! Nous
sommes persuadés qu'il est possible de diviser par deux ou par trois nos besoins en mobilité
afin de nous adapter, doucement, à la fin annoncée des combustibles fossiles. Plus l'échéance
se rapproche, pourtant, plus nos sociétés sacrifient ces ressources avec une ardeur insensée.
Comme si la suite était déjà certaine. Mais qu'en pense notre expert ?
De quel véhicule parle-t-on ?
"Toute fabrication humaine est une affaire de compromis, explique Christian Steffens, car les
paramètres qu'il faut maîtriser sont souvent conflictuels. Si l’on oppose la voiture thermique,
telle que nous la connaissons, et la voiture purement électrique - avec batterie et moteur
électriques -, on trouve, entre les deux, la voiture hybride qui offre plus d'autonomie que le
tout électrique : moteur thermique - essence ou diesel - et moteur(s) électrique(s) sont installés
sous le même capot, soit "en série", soit "en parallèle". Dans le système "parallèle", le moteur
thermique agit sur un essieu et le moteur électrique sur l'autre par exemple, ce qui permet de
rouler avec l'un ou l'autre au choix, ou avec les deux en même temps, pour obtenir un
maximum de puissance. Le système "série" permet aussi de pallier à l'autonomie limitée du
véhicule électrique : à bord du véhicule, un petit moteur thermique entraîne un alternateur
pour recharger la batterie qui alimente le(s) moteur(s) électrique(s) de traction. Le moteur
thermique travaille alors de manière optimale, ce qui permet de consommer un peu moins
qu'avec une voiture thermique. L'inconvénient, dans les deux cas, est le poids : la voiture
hybride est plus lourde, et donc plus chère, puisqu'elle transporte une double motorisation."
Un avantage souvent cité, concernant les véhicules électriques, est la récupération d'énergie
lors du freinage. Ce n'est cependant que la récupération d’une partie de l'énergie utilisée
auparavant pour accélérer. Cette récupération est bonne à prendre, bien sûr, mais reste très
partielle car il faut considérer le rendement énergétique de la chaîne batterie-moteurtransmission, et aussi parce qu'il est impossible de freiner électriquement jusqu'à l'arrêt. C'est
donc seulement une partie de l'énergie cinétique qui peut ainsi être récupérée. Et un système
de freinage traditionnel - tambour, disques, circuit hydraulique, etc. - reste indispensable à
bord des véhicules électriques.
Moins de pollution, moins de CO2 ?
Attention ! Quand on compare voitures électriques et voitures thermiques, il faut bien sûr
toujours comparer des modèles équivalents : même taille, même poids, même puissance,
même usage, même qualité, etc.
"Une voiture électrique pure - BEV pour Battery Electric Vehicle - présente l'avantage de ne
pas rejeter de gaz d'échappement à la voiture même, explique notre ingénieur. Elle ne pollue
donc pas à l'endroit où elle roule, ce qui est très appréciable dans le centre d'une grande ville.
Cependant, l'électricité utilisée pour recharger sa batterie provient du réseau électrique… En
réalité, la pollution engendrée par la consommation énergétique de la voiture est rejetée là où
se situent les centrales électriques, éventuellement avec quelques heures de décalage. Au
niveau de la consommation d'énergie primaire, pour le pays et pour la planète entière, les
calculs montrent clairement que la voiture électrique - dont les batteries sont rechargées sur le
réseau - provoque une consommation d’énergie primaire 30 à 50 % plus élevée qu’une voiture
thermique équivalente, utilisée de la même manière ! Cela est du au mauvais rendement
énergétique de la chaîne "production, transport et distribution" de l’électricité. Ajoutons à cela
qu'une voiture pollue également par l'usure de ses pneumatiques et de ses plaquettes de frein,
produisant des particules fines qui se répandent dans l'atmosphère et affectent nos systèmes
respiratoires. Que la voiture soit thermique ou électrique n'y change rien : ces poussières sont
les mêmes.
En ce qui concerne les rejets de CO2 dans l'atmosphère, avec le mix énergétique actuel des
réseaux électriques européens, la pollution est à peu près la même pour un véhicule électrique
que pour un véhicule thermique équivalent. La voiture électrique n'engendrerait donc de gain
écologique qu'à la stricte condition de généraliser l'électricité verte. D’autre part, concernant
l'énergie grise consommée lors de sa fabrication, une voiture thermique provoque, en
moyenne, un rejet d’environ cinq tonnes de CO2 par véhicule. Une voiture électrique de
gabarit et de puissance comparables provoque un rejet d’environ neuf tonnes de CO2,
différence causée principalement par la fabrication des batteries ! Durant sa vie, une voiture
électrique devrait donc permettre une économie de CO2 supérieure à cette différence. Or elle
provoque à peu près les mêmes rejets lors de son fonctionnement. Globalement, les voitures
électriques ne sont donc certainement pas une bonne nouvelle pour le climat, contrairement à
ce que le battage médiatique essaie de nous faire croire !"
Mais une question supplémentaire se pose : l'électricité, même verte, consommée par la
voiture électrique ne devrait-elle pas servir prioritairement pour d'autres usages ? S'il faut
vraiment bouger, ne peut-on pas le faire à pied, à cheval, à vélo, ou encore en transports en
commun ? Ne peut-on pas optimiser notre mobilité ? Car, même dans une optique d'électricité
verte, la voiture, fût-elle électrique, est toujours un pis-aller pour se déplacer. Une toute petite
voiture électrique, très légère, consomme entre 16 et 20 KWh aux cent kilomètres - c'est ce
qu'on mesure réellement dans la pratique. Mais il faut encore tenir compte du rendement de
production et de distribution d'électricité jusqu'à la prise de courant du particulier, qui est de
l'ordre de 30% à peine. En énergie primaire, le parc de production électrique a donc
consommé trois fois plus ! Bien sûr, si l'énergie est verte, la source primaire est
renouvelable…
Au fond, de quelle mobilité parle-t-on ?
Une voiture électrique reste une voiture ; elle n'améliore en rien la mobilité. Les
embouteillages restent les mêmes et les problèmes de parking aussi. Une voiture reste
immobilisée pendant 95% de sa durée de vie. Or, d’un point de vue rationnel, il serait
souhaitable que chaque voiture soit utilisée, en permanence ou presque, par de nombreux
usagers différents. La voiture partagée est donc une avancée intéressante. Globaliser une telle
conception de l'usage des véhicules réduirait le parc automobile de manière significative.
"La voiture, estime Christian Steffens, est un outil bien pratique... s'il est bien utilisé !
Malheureusement, si l’on met en rapport la masse de l'outil avec sa charge utile, il faut se
rendre à l'évidence : transporter une personne de soixante à quatre-vingt kilos en déplaçant
une à deux tonnes de ferraille est une hérésie énergétique ! Un simple vélo de treize kilos - ou
un vélo électrique de vingt à trente kilos - est largement suffisant pour le faire ! La voiture est
donc un bon outil… mais à n'utiliser que pour véhiculer quatre ou cinq personnes, ou une
grande masse de marchandises. Une voiture d'une à deux tonnes ne transportera pourtant
jamais une à deux tonnes de matériel. Aujourd'hui, la petite voiture modeste est passée de
mode… et le SUV (Sport Utility Vehicle), lourd et arrogant, est la nouvelle norme pour un
individu de septante kilos qui fait ses courses en ville. Triste évolution... qui ne pourra durer."
Déplacer les problèmes sans les résoudre
Voilà qui clôt un premier tour d'horizon. Avouons, avant d'aborder le point le plus épineux celui des batteries (nous le ferons dans Valériane n°114) - que notre expert n'a levé aucun de
nos doutes. Bien au contraire ! Car des études récentes montrent que, si la Belgique
remplaçait toutes ses voitures thermiques - à l'exclusion des camions et des bus - par des
voitures électriques rechargées sur le réseau, l'augmentation de la consommation d'électricité
avoisinerait les 30%. Comment produire tout cela ?
"Nos sept centrales nucléaires, lorsqu’elles tournaient à plein régime - hors pannes et
sabotages ! -, fournissaient environ la moitié de la production totale d'électricité belge,
explique Christian Steffens. 30% d'électricité supplémentaire représenteraient donc à peu près
trois cinquièmes du parc nucléaire, soit au moins trois centrales de la puissance de Tihange
3... Rien que pour nos voitures ! Mais le plus gros problème serait que tout le monde voudrait
recharger ses batteries au même moment, une fois rentré à la maison, soit entre 17 et 20
heures. Cela provoquerait une énorme pointe de consommation. Et ce sont ces pointes,
justement, qui déstabilisent le réseau et qui pourraient amener un blackout. Rappelons aussi
que les centrales nucléaires sont totalement incapables de répondre à ces pointes de
consommation, et qu'il faudrait, malgré tout, réinstaller les centrales au gaz qu'on nous
prétend non rentables... D'autres évoquent le smart grid, le réseau intelligent : toutes les
voitures électriques, branchées en recharge, serviraient ensemble de gigantesque
accumulateur-tampon, soit pour absorber les pointes de production, soit pour les restituer
quand le réseau est en demande. Cela reviendrait à dire que M. Dupont, lorsqu'il prend ses
clés de contact, ne saurait jamais si sa voiture est chargée, ou pas. Or ne souhaite-t-il pas, par
définition, que sa batterie soit chargée à 100% aussitôt que possible, et le reste en
permanence, toujours prête à l’emploi ? De plus, comme toute transformation d'énergie
entraîne des pertes, utiliser le parc automobile électrique comme espace de stockage
provoquerait un gaspillage non-négligeable - pertes en lignes, rendement énergétique des
batteries et de leurs circuits électroniques, etc. Et, de toute façon, le problème d’épuisement
des ressources primaires se pose pour le combustible nucléaire exactement comme il se pose
pour les combustibles fossiles. Tout cela ne fait donc que déplacer les problèmes énergétiques
sans les résoudre."
Aujourd'hui, construire trois ou quatre nouvelles centrales nucléaires paraît impensable… et
surtout impayable : sept à dix milliards d’euros par nouveau réacteur ! Mais, sait-on jamais ce
qui peut passer par la tête de certains politiciens aux abois, soumis à l’intense lobbying
d’industriels du nucléaire en manque de commandes et au bord de la faillite…
-----Qu'est-ce que cela coûte ?
"Le prix d'achat d'une voiture électrique, précise Christian Steffens, est presque le double de
celui d'une voiture thermique équivalente, et il ne devrait pas beaucoup diminuer. Ce
supplément de prix est essentiellement dû aux batteries. En ce qui concerne la consommation,
un véhicule thermique qui consomme 4 litres / 100 Km coûte environ - à 1,30 euro du litre 5,20 euros aux cent kilomètres. L'équivalent électrique consommera environ 20 KWh / 100
Km et coûtera - à 0,20 euro du KWh - 4 euros aux cent kilomètres. On est dans la même
gamme de prix. C'est juste un peu moins cher… pour le moment ! Car, pour être pertinente, la
comparaison devrait aussi tenir compte de la future fiscalité. Il est fort probable que l'Etat
voudra toujours retrouver les accises qu'il perçoit sur l'essence et le diesel. Et donc, si le parc
automobile devait abandonner les produits pétroliers au profit de l’électricité, l’Etat
compenserait son manque à gagner par de nouvelles accises… sur le KWh électrique ! Mais
comment fera-t-il la part des choses entre l'électricité ménagère et celle consommée pour le
transport ? Faisons confiance à son imagination débordante en matière fiscale…"
-----Puissance ou autonomie ?
Dans le cas de la voiture électrique pure (BEV), autonomie rime, on l'a compris, avec capacité
de la batterie. Or les batteries sont, à la fois, volumineuses, lourdes et chères…
"C'est la voie choisie par le constructeur de la fameuse Tesla américaine, précise Christian
Steffens : son autonomie et sa puissance sont intéressantes… mais elle coûte près de cent
mille euros à l'achat. La moitié de son poids - et la moitié de son prix -, ce sont ses batteries !
Autonomie et puissance sont cependant des paramètres complètement contradictoires : il faut
nécessairement choisir entre l'un et l'autre, car enfoncer l'accélérateur réduit forcément
l'autonomie. Il n'est possible d'obtenir l’autonomie annoncée par le constructeur qu'en roulant
très calmement, et à une vitesse très modérée. La puissance promise, quant à elle, est une
puissance de crête, qui épuise très rapidement la batterie. Comme pour les voitures
thermiques, les consommations annoncées ne sont valables que sur des parcours choisis, en
conduisant de manière très calme et très régulière."
-----Autonomie ou chauffage ?
En hiver, l'habitacle d'une voiture à essence ou diesel est chauffé à l'aide de la chaleur perdue
par le moteur, que l’on récupère gratuitement. Ce n'est pas le cas avec la voiture électrique où
la perte de chaleur par le(s) moteur(s) est insuffisante pour chauffer l’habitacle. Pour ne pas
vous laisser geler en hiver, les constructeurs installent donc comme système de chauffage…
une résistance électrique… qui vide assez rapidement la batterie !
La quantité de chauffage utilisée et la température extérieure ont donc une influence
considérable sur l'autonomie du véhicule électrique, qui peut ainsi chuter jusqu’à 50% de la
valeur maximale annoncée !
-----Et le bruit ?
Autre caractéristique souvent vantée : la voiture électrique est silencieuse.
"Elle l'est surtout en-dessous de 50 ou 60 kilomètres/heure, rappelle notre expert, mais,
lorsqu'on dépasse cette vitesse, ce sont surtout les bruits de roulement des pneus et les bruits
aérodynamiques qui prennent le dessus. A plus grande vitesse, les voitures électriques sont
donc presque aussi bruyantes que les voitures thermiques. En ville, à basse vitesse, il est par
contre intéressant d'avoir des voitures silencieuses... à condition toutefois que les "usagers
faibles" - piétons, cyclistes, etc. - se rendent compte qu'elles arrivent ! Une marque propose
donc d'ajouter un petit bruit modulé qui ferait office d'avertisseur permanent. Preuve que le
silence est confortable mais pas sans danger."
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