Chanson de Craonne analyse

Transcription

Chanson de Craonne analyse
Chanson de Craonne: analyse de la musique et du texte.
Au départ romance légère et populaire d’avant guerre (« bonsoir
M’amour »), la mélodie de la chanson de Craonne, interprétée à l’accordéon, par sa
lenteur et son ton tragique invite aujourd’hui au recueillement. On sent une émotion
à l’évocation de moments terribles, véritables « lieux de mémoire » de la
contestation sociale, du pacifisme, nés de la Grande Guerre. Cette chanson
entretient un rapport épidermique avec le peuple français qui conserve le souvenir
de ces jeunes, morts pour la France mais aussi d'une guerre qui laisse des traces
indélébiles.
Etudions donc d’abord la teneur d’un chant, détourné, qui révèle par étape, la
révolte d’une génération sacrifiée dans la Grande Guerre.
Puis, le texte, resté anonyme, sert de miroir d’une société profondément
divisée par la guerre.
Enfin, chant de désespoir, fataliste, la chanson de Craonne apparaît
subversive, comme un hymne des mutins, un chant de la révolte.
I.
Une mélodie détournée: de l'insouciance au tragique.
1. La mélancolie d'un chant d'amour.
Origine
Forme
Type
« Bonsoir
Mamour »,
chanson
légère
de
couplet
Chanson
1911.
refrain donc d’amour
Paroles
Insouciance
retranscrites rondo
par
Paul
VaillantCouturier.
Rythme
Valse
Instruments
Accordéon,
style
musette.
Pendant la guerre la mélodie est détournée et adaptée (on dit parodiée) lors
des différentes batailles des tranchées. C’est le cas notamment de Verdun.
Contexte historique de Craonne : le 16 avril 1917 commencent les offensives
du général Nivelle. Sur le plateau de Craonne les allemands attendent en position
haute ce qui entraîne des pertes effroyables dans l’armée française (35 000 morts le
premier jour). Aucun résultat n’est obtenu mais le général Nivelle s’entête pendant
des semaines.
Il y a donc un complet décalage entre le ton léger de la chanson populaire
d'avant guerre et les paroles imaginées dans les tranchées. C'est la mélancolie de
cette chanson qui veut exprimer ici le vague à l'âme des soldats en première ligne.
http://www.memorial-chemindesdames.fr/pages/carte_bataille.asp?bataille=3
2. Un chant d'adieu tragique.
Au plus fort des offensives sur le chemin des dames, le printemps arrive. Le
décalage entre l'arrière insouciant et la réalité du front choque les soldats qui se
reposent à Paris.
Les mutineries se passent alors que le printemps arrive et surtout fin mai. Les
soldats en perm (permission) ne veulent plus repartir. La certitude de la mort au
front est un contraste insupportable face à ce qu’ils vivent sur les boulevards à
Paris, un printemps joyeux et insouciant.
« Le cœur gros », « sanglot »
Champ lexical de la tristesse= pluie, nuit, silence qui évoque la mort et
l'angoisse des tranchées. Le mot « tombe » signifie les soldats qui subissent une
mort injuste et un destin, le retour à la terre.
Chant du désespoir= « c'est bien fini », « pour toujours » les soldats
déplorent de monter vers un destin tragique, on pense à la jeunesse brisée à force de
combats inutiles et qui semblent ne pas avoir de fin. Le chant veut rappeler
l'inéluctable, la mort qui attend de jeunes hommes loin de chez eux.
« On s'en va là haut en baissant la tête »= évoque une avancée la mort avec
résignation.
Refrain: « Adieu » en répétition ou anaphore. Les soldats disent adieu à la
vie, à la jeunesse, aux femmes pour une guerre infâme.
Femmes rime avec infâme: Rime riche qui oppose fortement 2 situations très
différentes: le front et l'arrière. Faire rimer femme et infâme signifie un désespoir,
une résignation. L'opposition entre la vie et la mort.
I.
1.
Le miroir d'une société divisée.
Le contraste Front-arrière.
Vocabulaire du registre populaire.
Civ'lot= civil en argot.
trouffion= soldat de l'infanterie, simple soldat.
purotin= miséreux.
pognon= argent.
Les embusqués ou les planqués: sur les boulevards=vie, joie, femmes.
Un vocabulaire de « petits » condamnées par opposition à « tous ces gros», ceux
qui peuvent regarder la guerre de loin, pour lesquels « la vie est rose », profitant du
sacrifice des soldats au front.
2.
Le clivage social
Les purotins, ou miséreux sont opposés aux gros.
Les gros, « ces messieurs là » c'est-à-dire ceux qui se croient importants, ne
seraient pas sérieux, ils « font la foire », et en plus ne peuvent comprendre ce
qu’est la vie du front.
Opposition « vie rose » insouciante, « foire » la fête.
Les soldats sont « ceux qui n'ont rien » et qui meurent entre eux . La nostalgie
prend des airs d'indignation qui mène à la révolte.
« Là haut » marque une opposition avec la vie parisienne.
Les soldats en perm supportent mal qu'on leur donne des leçons qu'on les pousse
toujours à un dernier effort pour gagner. La pression de la société et des médias qui
enjolive la guerre devient insupportable face à l'évidence d'un massacre inutile. Le
poilu supporte mal les embusqués ou planqués qui risquent moins ou rien.
Entre ceux qui connaissent le feu et les autres une incompréhension s'installe
qui dure après la guerre car la vie des tranchées est indescriptible.
I. Un chant des mutineries: l'appel à la révolte sociale.
1.
Le contexte des mutineries.
Guerre= sacrifice inutile. Le ton de ce texte remet en cause la guerre, elle
n'est pas le bel affrontement pour la patrie que voudraient l'arrière, les politiques,
les généraux.
Les offensives Nivelle d'avril 1917, le plateau de Craonne est un des lieux
qui représentent le mieux l'absurdité du commandement qui s'acharne à attaquer et
sacrifier des soldats alors que la position est imprenable. Après 4 jours de
bombardement (avec 1, 5 millions d'obus de gros calibre, plus de 500 obus par
minute, 400 par m²), les allemands n'ont presqu'aucune perte et attendent. En effet
les allemands sont en hauteur et les français se font terrasser par les mitrailleuses.
L'hiver se prolonge, des régiments sénégalais meurent de froid. Une pluie dès le
début des offensives produit une boue qui anéantit les espoirs d'avancer et bouche
les fusils. Et pourtant, il faut y aller sous peine de cour martiale, pour manque de
combativité. D'où le sentiment d'impuissance et de désespoir. Impression obsédante
que seule la mort peut délivrer.
Guerre = héroïsme si l'on suit le bourrage de crâne, la vision officielle. Or, ici
les paroles inversent ce rapport et évoquent un sacrifice, non pas héroïque, mais
inutile, vain. Le texte révèle un champ lexical de la morbidité et assimile la guerre à
une condamnation à mort ou une peine purgée par des « condamnés ».
Seul espoir= la relève qui rime avec grève, autre espoir social.
2.
La grève : inversion sociale dans le dernier couplet, que ceux qui
s’enrichissent de la guerre y aillent à la place des pauvres qui n’en peuvent plus.
Cheminement des strophes et vers le dernier refrain qui change:
Le texte passe de la mélancolie au désespoir, puis, vers la rancune et la révolte.
Crosses en l'air en signe d'arrêt des combats, on rêve d'envoyer ceux qui veulent
vraiment faire cette guerre. Rêve d'une inversion sociale. La guerre est assimilée à
un enjeu de « pognon ». Le ton du dernier refrain est insurrectionnel, la sédition. La
chanson de Craonne c'est aussi un appel au grand soir, à la Révolution.
Le patriotisme n'apparaît pas car le sentiment du début de la guerre le « ils
ne passeront pas » est mort avec la lassitude et l'indignation.
Les paroles furent interdites sous peine de condamnation au peloton
d’exécution. Même siffler ce chant pouvait conduire en cour martiale. Une prime
d’1 million de francs-or ainsi qu’une démobilisation immédiate furent promises à
qui dénoncerait l’auteur. La solidarité (sacrée) des poilus fut respectée car ce chant
est resté anonyme. Il fut censuré jusqu’en 1974 en France de même que le fait de
parler des mutineries. Aujourd'hui certains fusillés ont été réhabilités.
3.
Un chant révolutionnaire.
150 unités se mutinent à la fin mai 1917.... 134.000 pertes dont 30.000 disparus les
10 premiers jours: « les camarades enterrés là »: 3è strophe.
Bilan 200.000 morts en 2 mois.
Des révoltes éclatent: 500 condamnations à mort, 26 fusillés officiels
Les paroles suggèrent la révolution qui vient. Les mutineries sont le point de
départ de l'explosion révolutionnaire socialiste qui traverse l'Europe (surtout en
Russie et en Allemagne en 1918). On crie vive la Révolution dans les tranchées
alors que les ¾ de l’armée française se révolte contre les offensives meurtrières
d’avril.
Chant de son temps, la guerre ouvre des fractures sociales et exaspère les
clivages dans la société par l'inversion des valeurs (« tu ne tueras point » ne
fonctionne plus).
La guerre, et surtout celle là, si absurde, réveille un peuple abreuvé d'un
patriotisme qui semble ne plus être possible après de tels massacres inutiles. Il faut
imaginer des soldats en 1917 qui ont presque tous combattus à Verdun, les 300.
000 morts pour revenir au point de départ.
Le succès et la popularité de ce chant qui est resté dans les mémoires ne tient
pas à la chanson d'origine, oubliée, mais à la solidarité et à l'impression de destins
communs aux poilus qui se sont sacrifiés.
Tableau du plan résumé :
I. Une
mélodie
I. Le
miroir
d'une I. Un
chant
des
détournée:
de
société coupée
mutineries:
l'insouciance au
(clivée)
l'appel
à
la
tragique.
révolte sociale
La
mélancolie
d'un
chant
Le contraste
d'amour.
arrière
Un chant d'adieu
Le clivage social
tragique.
Front- Le
contexte
mutineries
La grève :
sociale
des
inversion
Un
révolutionnaire
chant