L`analyse d`une photo - Marc Riboud.pub
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L`analyse d`une photo - Marc Riboud.pub
L’analyse d’une photographie : Marc Riboud Sujet : Pour notre première analyse photographique j’ai retenu une évocation emblématique de la génération hippie avec « La jeune fille à la fleur » prise lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam. Marc Riboud prend cette photographie argentique, dont le titre original est « Manifestation contre la guerre au Vietnam », dite « La jeune fille à la fleur », le 21 octobre 1967, à Washington, devant le Pentagone qui est le ministère de la Défense américaine. Pour ne rien omettre dans notre analyse de cette photographie, je vous propose de suivre la grille d’analyse que je vous ai communiquée dans le numéro 56 du magazine. Le photographe : Marc Riboud est un photographe professionnel français né en 1923. Il devient connu grâce à ses reportages en Asie. Mais aussi parce que durant la seconde guerre mondiale, il combat dans la Résistance. En 1951, il quitte son poste d'ingénieur pour devenir photographe professionnel. Il rencontre à ce moment Henri CartierBresson et Robert Capa, les fondateurs de La jeune fille à la fleur, manifestation contre la guerre au Vietnam, Pentagone, Washington 1967 © Marc Riboud Page 1 l’agence Magnum Photos, qu’il intègre L’analyse d’une photographie : Marc Riboud rapidement et qu’il présidera pendant quatre ans. En 1953, il obtient notamment une publication dans le magazine Life pour une photo restée célèbre d’un ouvrier peintre de la Tour Eiffel. Le contexte : Voici une photographie de presse vue et revue. Une image-symbole, une icône des sixties, une évocation emblématique de la génération hippie. Bien sûr l’événement a son importance et, selon toute vraisemblance, la jeune fille a parfaitement conscience de la portée symbolique de son geste. Les américains sont, au moment de la prise de cette image, engagés dans la guerre du Vietnam qui a duré de 1964 à 1975. Le pays a été témoin de nombreuses manifestations pacifiques et de marches pour la paix. Marc Riboud saisit ce moment unique, lorsque les manifestants envahissent le Pentagone, à Washington, le 21 octobre 1967. Nous le verrons dans la rubrique « Un air de déjà vu » deux autres clichés de la même scène seront également pris ce jour-là. Impression : Cette photographie provoque chez moi une vive émotion en m’interpellant car elle représente l’opposition de la force contre l’amour, de la guerre contre la paix. Il y a une forme d’espérance et un plaisir visuel du fait de la confrontation proposée. L’intérêt de ce cliché ne réside pas tant dans le geste de la jeune fille que dans la composition de l’image dans son ensemble. Il reste à définir comment Marc Riboud s’y est pris pour créer cette symbolique. En d’autres termes comment le photographe parvient à donner du sens à cette image autrement qu’en figeant simplement l’action de cette manifestante. Format, angle et cadrage : L’orientation en forme de rectangle horizontal permet une approche narrative, cette image raconte une (des) histoire(s). Le plan serré à plat permet d’entrer dans le vif du sujet, et surtout à l’observateur de s’identifier à cette jeune fille. Page 2 L’analyse d’une photographie : Marc Riboud Profondeur et lumière : On peut observer une jeune fille, Jane Rose Cachemire, qui tend une fleur à des soldats armés. Le premier plan est très net et l’arrière plan est plus flou. La femme semble seule cause du cadrage choisi, la focale retenue volontairement provoque un effet de synecdoque, où cette jeune fille isolée représente l’ensemble des manifestants. Elle est donc censée être à l’image des autres pacifistes : sa chemise à fleurs évoque la mode hippie et sa coiffure courte marque l’anticonformisme de cette femme. On remarque enfin que la profondeur de champ contribue grandement à ôter tout élément perturbateur sur l’arrière plan, notre oeil reste dans le sujet et n’en sort pas. Par ailleurs, la lumière naturelle est douce et ne gêne en rien le sujet, au contraire, elle le met en valeur. Couleur : Le noir et blanc permet de renforcer le côté grave de la situation et la tension apportée par la présence de ces soldats armés. De la même manière le monochrome permet la mise en valeur de l’expression de la jeune fille, sans détourner le regard du spectateur de son attitude. Il contribue à faire ressortir le fond plus que la forme, ce qui a son importance dans le ressenti global de la scène. Enfin on distingue clairement un côté obscur (à gauche) renforcé par les tenues sombres des militaires et un autre plus lumineux (à droite) appuyé par le vêtement clair à fleurs de la jeune fille. Sombre - lumineux Page 3 L’analyse d’une photographie : Marc Riboud Composition : Le geste de recueillement de la jeune femme exprime le calme et la paix. En face d’elle nous voyons une rangée de soldats casqués, habillés à l’identique, fusils pointés en avant. Ils sont sur la défensive. Leur gestuelle est sans ambiguïté, ils sont prêts à charger, leur attitude parait agressive et belliqueuse, ils sont là pour prévenir tout débordement, voire plus … Croquis simple d’une opposition déséquilibrée Ces soldats se confondent au point de ne faire qu’un. Si vous vous souvenez de la chronique du mois dernier, je n’ai pas retenu cette image de manière complètement anodine. En effet j’ai volontairement pris une image qui illustre la théorie des univers. On peut facilement et rapidement faire deux croquis de ce cliché. Le premier schéma pourrait être l’opposition de deux forces déséquilibrées, une grosse et une petite flèche. Le second pourrait représenter l’opposition de formes, des lignes dures pour les baïonnettes contre des ronds doux pour l’expression et la fleur. Croquis d’une opposition de formes dures et douces Page 4 L’analyse d’une photographie : Marc Riboud Notre oeil circule de gauche à droite de manière incessante, il balaye cette opposition, puis il repart de la droite vers la gauche. Le point de rupture étant situé entre les baïonnettes et la fleur. Je rappelle que le sens de lecture dit « européen », de la gauche vers la droite, s’interprète également parfois comme un axe temps qui va du passé vers l’avenir. Ici cette notion chronologique prend également tout son sens dans le message que véhicule la photographie. La symbolique prend le sens d’un slogan optimiste de changement de la situation au Vietnam. Sens de lecture et signification Par ailleurs, le point de vue du photographe semble parfaitement neutre puisqu’il se trouve sur la ligne centrale et non dans l’un ou dans l’autre camp. Il n’influence donc en rien la lecture ni l’interprétation de l’image. Je dirais même qu’il se situe à la frontière parfaite entre les deux camps et qu’il laisse ainsi l’observateur se faire sa propre opinion de ce qu’il voit. En ce sens Riboud nous rend acteur privilégié, il nous place au premier rang d’une scène incroyable de symbolique et de sens. Lui s’efface et n’existe plus, pour ne laisser que la confrontation et le spectateur. Position impartiale du photographe Page 5 L’analyse d’une photographie : Marc Riboud Ici la composition est une mise en évidence d’une opposition de forces, d’une confrontation d’un contre plusieurs, de la vie contre la mort, du bien contre le mal, de la paix contre la guerre, de l’ordre contre le désordre, impérialisme et résistance … L’opposition est parfaite à plusieurs titres, comme en témoignent plusieurs couples de contraires que j’ai représentés en image. Cette photographie est riche en sens, en oppositions et son niveau artistique est très élevé. L’analyse du champ et du hors champ est également d’importance Oppositions de contraires dans cette image. En effet, si la jeune fille a un visage, les soldats sont presque similaires, uniformes (jeu de mots !) et ainsi anonymes. Ils n’ont pour ainsi dire pas de visage. D’ailleurs ils sont majoritairement flous et celui qui se trouve en face de la jeune fille, et qui aurait dû avoir son visage net en gros plan, demeure en dehors du champ. L’autre hors champ important concerne le reste des manifestants qu’on ne voit pas mais qu’on devine. La fille à la fleur les incarne vu le déploiement de force face à elle et suggère Oppositions de contraires (suite) les autres protestataires sûrement nombreux. Page 6 L’analyse d’une photographie : Marc Riboud Connotations éventuelles : Le visage de la jeune fille représente le visage de la jeunesse qui manifeste contre la guerre dans les années 60. Cette photographie représente tout à fait l’esprit hippie, pacifiste, refusant la soumission au pouvoir. L'image a fini par devenir l’un des symboles du mouvement Flower power. D’ailleurs Marc Riboud lui-même s’est exprimé sur son image : « Je photographie avec frénésie, la nuit tombe, j’épuise mes films, quand cette jeune fille, seule face aux baïonnettes, dessine avec une fleur le symbole de la jeunesse américaine. » … « Cette photographie symbolise la génération hippie et le désir absolu de vivre en paix. A elle seule, cette jeune fille peut représenter tous les autres pacifistes et manifestants. » Enfin et pour conclure, je ne peux aujourd’hui m’empêcher de lire dans cette photographie le message de cette jeune femme qui me dit que j’ai (que nous avons tous) une responsabilité personnelle dans le fonctionnement global de notre société. Les évènements récents nous ramènent bizarrement vers cette image qui symbolise de solidarité, l’union et la cohésion face à l’opposant. Toujours d’actualité, plus que jamais d’ailleurs, elle représente à elle seule (s’entend la jeune fille ou la photographie), l’entité isolée qui vaut pour le plus grand nombre, l’exemple à suivre, l’effet boule de neige … Un cliché intemporel qui valait bien qu’on s’attarde sur son analyse en détails et que l’on lise entre ses lignes. Squal Page 7