Gale norvégienne compliquant une maladie de Cushing

Transcription

Gale norvégienne compliquant une maladie de Cushing
cas clinique
Gale norvégienne compliquant
une maladie de Cushing
Norwegian scabies complicating Cushing’s disease
K. Ben Abdelghani*, I. Hadj Ali*, M. Mahfoudhi*, N. Mchirgui*, S. Trabelsi**, K. Khiari*, S. Turki*, A. Kheder*
L
a gale croûteuse généralisée, hyperkératosique, appelée
“norvégienne”, est une forme très sévère de gale,
rapportée surtout chez les immunodéprimés. Sa survenue
n’a jamais été décrite chez une patiente ayant une maladie
de Cushing.
Observation
Une patiente âgée de 47 ans, ayant comme antécédent un
asthme allergique, est hospitalisée pour suspicion de maladie
de Cushing devant l’association d’une obésité facio-tronculaire,
de vergetures pourpres, d’une hypertension artérielle, d’un
diabète et d’une hypokaliémie. Le diagnostic d’un syndrome
de Cushing a été confirmé par la rupture du cycle nycthéméral
du cortisol : 8 h : 682 ­nmol/­l ; 16 h : 557 ­nmol/­l et, surtout,
par un test de freination faible, qui ne montre pas de freination du cortisol : 1 675 ­nmol/­l. Le bilan biologique confirme
la maladie de Cushing : ACTH : 408 ­pg/­ml (12-16) et cortisol
après freination forte : 63,8 ­nmol/­l.
L’IRM a montré un macroadénome hypophysaire partiellement nécrosé refoulant le diaphragme sellaire, le chiasma et
les citernes suprasellaires. L’indication opératoire pour son
adénome hypophysaire a été posée, mais retardée pour les
nombreuses complications que la patiente a présentées au
cours de son hospitalisation : une thrombophlébite du membre
inférieur gauche, un abcès de la marge anale opéré, plusieurs
épisodes d’infections bronchopulmonaires et une fracture
vertébrale de T12.
Au cours de son hospitalisation, une éruption cutanée débutant au tronc accompagnée d’un prurit d’extension rapide a
été constatée (figure). Le prélèvement microbiologique a
révélé une infestation par des Sarcoptes scabiei et la présence
d’œufs dans la couche cornée à l’examen direct. Deux méde-
 Figure. Éruption croûteuse hyperkératosique au niveau des seins et des
aisselles, avec des lésions de grattage au niveau du thorax et du visage.
* Service de médecine interne A, hôpital Charles-Nicolle, Tunis.
** Département de parasitologie, hôpital Charles-Nicolle, Tunis.
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cas clinique
cins et 4 infirmières ont été contaminés. Le diagnostic de gale
norvégienne compliquant une maladie de Cushing a été retenu.
La patiente, mise à l’isolement, a été traitée pendant 3 semaines
par Ascabiol® (benzoate de benzyle + sulfiram), associé à de la
vaseline salicylée pendant 1 semaine. L’évolution a été marquée
par une disparition du prurit et des lésions croûteuses au bout
de 15 jours. Toutefois, plusieurs autres infections sont survenues
ultérieurement et la patiente est décédée dans un tableau de
choc septique.
Discussion
La gale norvégienne se manifeste par des lésions hyperkératosiques érythémato-squameuses étendues à tout le corps avec un
prurit généralisé. C’est une forme sévère de gale survenant chez
des sujets dans un état précaire.
Elle est due à un acarien, Sarcoptes scabiei, parasite humain obligatoire. Elle est essentiellement transmise par un contact humain
direct. Quelques cas, en raison de la survie limitée mais possible
du parasite en dehors de son hôte, peuvent être rapportés à la
suite de contaminations indirectes (1). Il s’agit d’une infection
très contagieuse, comme le suggère la contagion rapide du personnel soignant.
Le diagnostic de gale est essentiellement clinique, mais l’aspect
atypique peut retarder le diagnostic (2, 3), ce qui impose la pratique d’un examen parasitologique, si besoin répété. Cet examen
est très utile pour confirmer le diagnostic et éviter des traitements
antiscabieux d’épreuve. Il permet de mettre en évidence le parasite
sous plusieurs formes : adulte, larve, nymphe ou œuf. Les croûtes
au niveau de la peau peuvent cacher les œufs et pérenniser alors
l’infection.
Des cas de gale norvégienne ont été rapportés en association
avec des infections à VIH, des néoplasies, des déficits immunitaires congénitaux, en cas de traitement immunosuppresseur
ou de corticothérapie prolongée. Dans les pays où le virus HTLVI
a une forte prévalence, la gale norvégienne est un marqueur de
l’infection rétrovirale (1).
La survenue de la gale au cours du syndrome de Cushing cortico-induit est assez classique (2, 3). En revanche, sa survenue
au cours d’une maladie de Cushing n’a jamais été rapportée à
notre connaissance. L’hypercorticisme contribue probablement
à l’induction d’un déficit immunitaire.
Le traitement doit concerner le malade, la literie, les vêtements
et l’entourage (1).
Le traitement de première intention est le benzoate de benzyle
(Ascabiol®) en lotion. Il est neurotoxique pour le système nerveux
des parasites et a également une activité contre les œufs. Il est
prescrit en application unique après un bain tiède sur la peau
encore humide. Les applications doivent être répétées sur tous
les téguments, y compris le cuir chevelu et le visage, en évitant
les muqueuses (4). L’hyperkératose est traitée par la vaseline
salicylée, qui a un effet kératolytique, au minimum à 10 %. Les
ongles sont raccourcis et brossés avec l’antiscabieux.
La guérison est obtenue après une durée moyenne de 3 semaines
de traitement. Dans les formes réfractaires à ce traitement, l’ivermectine est l’indication de choix (1, 5). La persistance d’un prurit
après un traitement antiscabieux doit faire évoquer une irritation,
une réaction allergique, un prurit psychogène, une recontamination, ou suggère un traitement insuffisant ou inefficace. Cependant, le prurit peut persister 1 semaine environ après un traitement
antiscabieux bien conduit. L’hospitalisation en milieu spécialisé
avec isolement est indispensable.
Conclusion
La gale norvégienne est une forme sévère de gale qui peut survenir
en cas d’hypercorticisme secondaire mais aussi de maladie de
Cushing. Son diagnostic est souvent retardé.
Un diagnostic précoce et un traitement efficace et prolongé sont
les seuls garants d’une éradication de l’infestation.
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Références bibliographiques
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