In Bruges : une première édition réussie du

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In Bruges : une première édition réussie du
In Bruges : une première édition réussie du Belgian Jazz Meeting
Et voilà c’est reparti pour un voyage à Bruges en ce début de septembre, week end de la rentrée
scolaire pour les petits Français, et dernier grand retour des vacanciers d’août. La SNCF et la SNCB
mettront cependant les bouchées doubles pour retarder mon arrivée et me faire rater des concerts
de la soirée d’ouverture du BJM. Il s’agit d’un show case qui se tient tous les deux ans au siège du
label De WERF, werfstraat, pour un public sélectionné de professionnels et de programmateurs
européens en majorité. Une sacrée bonne idée, un marché fûté comme le Bimhuis d’Amsterdam.
Douze groupes à parité égale sont présentés sur deux jours et demi par De Werf, la communauté de
Wallonie et Bruxelles. Les Belges ont en effet décidé d’unir leurs forces, de faire taire leurs querelles
et surtout de montrer que dans le domaine artistique et culturel, il n’y a de partition autre que
musicale.
Vendredi 2 septembre
Le choc est produit par le groupe « Voices » du saxophoniste Nicolas Kummert dans son projet
intitulé simplement ONE. La surprise de la soirée, immédiate et bouleversante : un saxophoniste qui
joue, tout en sortant son bec de la bouche pour chanter à côté, Lionel Beuvens se déchaîne à la
batterie et le pianiste finnois Alexi Tuomarila , la basse de Nicolas Thys le plus âgé du groupe qui a
joué avec les plus grands, quand il vivait à N.Y, la bouillonnante , accompagne régulièrement Bill
Carrothers ou Dre Pallemarts . Aussi à l’aise à la contrebasse qu’à la basse électrique. Le guitariste
Hervé Samb que l’on connaît de Sawadu du groupe Ultrabolic
Ces « voices » sont un hommage poétique à la petite musique de notre Prévert qui est invoqué
plusieurs fois de la voix douce du saxophoniste leader. Un genre de chanson parfaite, construite et
savamment arrangée, et en même temps fidèle à l’énergie instinctive du groupe. Burt Bacharach est
lui aussi convoqué, l’un des plus grands auteurs de musiques de la pop, compositeur de musiques
de films. Là, le jeune Kummert fait vibrer une certaine corde nostalgique en ressortant « Close to
you », un tube des Carpenters, duo improbable d’un frère et de sa jolie sœur, à la voix si
mélancolique… qui tinrent le haut des « charts » dans les seventies. Mais la bluette est arrangée de
façon magistrale, la petite mélodie sucrée étant reprise avec une boîte à musique, le fond faisant
tout le reste…Un beau mix d’influences et un son impressionnant au service de vraies chansons
« Petit Simon millionnaire », « Affaires de famille », « Compagnons des mauvais jours »
« Presque jamais pareil, ça change tout le temps, et même quand c’est pareil, c’est encore plus beau
qu’avant. »
Puis Manu Hermia que nous avons déjà chroniqué sur Citizenjazz même (voir Rajazz sur le label Igloo
190, 2006). Il présente en trio avec Manolo Cabras (contrebasse) et Joao Lobo (batterie et
percussions) un programme intitulé « Long tales and short stories » Excellent saxophoniste et aussi
flûtiste comme le veut la tradition américaine, post coltranien , si on veut le classer, qui sait jouer
parfaitement des métriques indiennes…avec deux acharnés à la rythmique qui assurent une assise
plus que confortable. Un trio très rapproché, équilatéral, resserré même sur scène autour du pilier
mât de la contrebasse ; un groupe plus que soudé qui enflamme par la conviction farouche de son
jeu. Là c’est Sartre qui est convoqué : Je ne puis prendre ma liberté pour but que si je prends
également celle des autres pour but.
Pour suivre le fil conducteur de cette musique « spirituelle » Cela commence avec « the story of a
caress » qui, sur un ostinato de la basse délivre une drôle d’étreinte, précise, profonde et fatale.
C’est le temps qui est ainsi décompté sur cette pulsation, le temps de l’amour et aussi de la vie.
Etrange et fascinant ce premier morceau, envoûtant sans griserie. Sur la pulsation du cœur que
relaient les frémissements et coups assourdis de la batterie, s’écoule la plainte du saxophone.
Difficile de sortir de ce premier appel frappant, même si avec le juste titre de « The color under my
skin », qui parlera peut être à certains blancs de peau et d’apparence, on glisse à l’est, changeant
d’univers géographique du moins, pour chercher du nouveau ou retrouver un sens. Accélérations
exaltées, figures rythmiques complexes et le saxophoniste reprend la main, traçant de longues et
voluptueuses sinuosités de son soprano, légèrement acide, une chorégraphie aérienne que sous tend
le martèlement continu, finement assourdissant de la rythmique qui jamais ne cesse ce pilonnement
assidu.
« The Geisha from Tokyo » est une courte improvisation à la flûte, Rajazz #5 qui tente de faire se
rejoindre jazz et raga, est un portrait de Coltrane comme d’autres se livrent à une évocation littéraire
des musiciens. On l’aura compris, les « Long tales »sont une suite de compositions ouvertes, alors
que les «Short tales » sont des improvisations collectives spontanées. Un jazz « free », essentiel pour
ce saxophoniste engagé qui vit dans le temps, l’instant immédiat, présent de la spontanéité. Avec un
idéal de communication humaine, de liberté partagée, « surveillée » dans la mesure où elle prend
conscience de l’autre. Et je me souviens de l’exaltation tangible lors du dernier morceau « Crazy
motherfucker » qui finit follement ce programme charnel .
On se ressaisit pour écouter Christian Mendoza présentant un quintet qui réunit la fine fleur du jazz
belge actuel : le pianiste d’origine péruvienne réunit autour de lui l’un des batteurs les plus
demandés sur la scène belge, Teun Verbruggen, pour ceux qui ne le connaîtraient pas en France, un
Jim Black coloriste, le contrebassiste Brice Soriano et deux merveilleux soufflants, l’altiste Ben Sluijs
(à la flûte sur un « Sleep » qui n’ a rien d’une comptine) et le saxophoniste ténor, également
clarinettiste, Joachim Badenhorst.
Arbr’en ciel est un album sorti sur le label Dewerf mais enregistré à la Buissonne en 2008. Une
musique inspirée, aux très beaux passages d’improvisation, avec ces moments de grâce que sont les
unissons quand ils sont aussi subtils, un son de groupe entraînant et convainquant. Une musique
intellectuelle peut être où l’improvisation n’a pas assez de place pour certains. Mais le bel élan des
interprètes suffit à insuffler à ces compositions souvent longues et planantes une fièvre certaine. Un
climat s’impose.
Samedi 3 septembre :
Carillon et Jazz
Le maître carillonneur de la cité a invité pour la circonstance un confrère néerlandais Carl Van
Eyndhoven qui nous convie à midi fait à un amusant et ingénieux exemple de « swinging bells » lors
du concert exceptionnel du carillon du beffroi de Bruges : le maître carillonneur invité a
exceptionnellement concocté un programme jazz à partir de standards comme « Satin Doll », « My
funny Valentine », « They can’t take that away from me…
On ne peut s’empêcher en écoutant assis sagement au pied des 315 marches, de penser au film qui
a grandement œuvré pour la promotion (méritée) de la ville IN BRUGES, bêtement traduit « Bons
baisers de Bruges », car il ne s’agit pas à proprement parler d’une carte postale touristique de la ville,
mais d’un polar métaphysique. La fin précipitée d’un des tueurs qui se jette du haut du beffroi peut
aussi rappeler « Vertigo » mais je m’égare…. Il est tout de même exact que la vue donne le vertige.
Nous visitons dans l’après midi Bruges, les hauts lieux des parcs et du béguinage et surtout les
musées (Groeninge et Hans Memling), régal pour qui aime les peintres flamands et veut commencer
à comprendre quelque chose de l’âme belge.
La soirée :
Le concert commence par le trio du jeune pianiste Pascal Mohy : plutôt timide quand il doit parler
au micro dans un anglais approximatif, ce qui provoque quelques réflexions amusées du
contrebassiste Sal La Rocca. Pascal Mohy entraîne dans une musique impressionniste, influencée par
Bill Evans évidemment avec aussi quelques accents de Steve Kühn peut être. Il est question dans une
de ses compositions « du vent dans les cheveux » de sa bien-aimée : c’est frais, charmant et
sentimental en diable, admettons, « 12 huitres boogie » développe un élégant solo de piano, ancré
dans une tradition qui remonte à Duke, un lyrisme jamais trop effusif, une articulation nette. Et puis
vient le final, un fougueux « Hallucination », une reprise brillante de Bud Powell. Le contrebassiste
Sal La Rocca se moque gentiment du leader.
On retrouve Joachim Badenhorst en solo pour trois magnifiques improvisations, travail
impressionnant sur le son, le souffle, avec la technique de respiration continue ! La musique est
axée sur le rendu du son, du timbre de chacun de ses instruments . Plus que de la mélodie. Et là
encore un sacré travail accompli pour arriver à ce résultat. On peut préférer le dernier solo à la
clarinette basse, ou le premier à la clarinette en si b, à moins que l’on ne se laisse tenter par le solo
au sax ténor où Joachim Badenhorst se lance dans une mélodie trop brève qui me fait penser à
Coleman Hawkins sur « Picasso » en …1939. Il est aussi le seul à souligner que le BJM fédère les
initiatives conjointes des trois communautés, que l’espoir viendra peut-être du monde des arts et de
la culture. Cela va toujours mieux en le disant et en soulignant que la musique n’est pas repliée sur
des préoccupations d’identité .
Le trio suivant, par contre, ne parle qu’en flamand (plongeant dans l’incompréhension les deux tiers
de la salle) : sa présentation abruptement exposée glisse par-dessus nos têtes comme son nom
d’ailleurs De beren Gieren. C’est dommage, (jeunes gens, il faut cultiver le goût des langues
étrangères), car le groupe a un certain potentiel, pour une musique qui révèle du style sans véritable
esthétique. Un jeune pianiste (Fulco Ottervanger) qui bouscule temps, accords, juxtapose extraits et
« passages » différents, se livre à des collages qui entrent dans la composition d’un tableau
intéressant mais incomplet. Exemple de ce « Die dag » qui commence dans un grondement
mélodramatique pour virer au balancement du musette, presque guinguette, à la Yann Tiersen
dans le film Amélie Poulain, avant de virer encore une fois vers un autre climat…
Suit Collapse au nom prédestiné qui, n’arrive pas à nous conquérir en dépit de musiciens attachants,
en particulier le trompettiste Jean Paul Estiévenard aux fragilités touchantes qui nous en dit plus que
les éructations parfois un rien énervées de l’altiste Cédric Favresse, dans ce « King Fu » On a ainsi
une nouvelle formation –c’est assurément la tendance actuelle- de quartet ornettien. Mais sans
retrouver l’esprit de la « complete communion »de Don Cherry et Ornette Coleman. Quel est
l’intérêt de jouer ainsi aujourd’hui ? ne puis je m’empêcher de penser. On repère la bassiste aux
pieds nus Yannick Peeters qui accompagne finement Alain Deval à la batterie, une rythmique en
place d’évidence.
On ne comprend pas pourquoi les jeunes musiciens du dernier groupe ont choisi contre toute
logique marketing, un nom de groupe à rallonge, incompréhensible : allez, on vous le jette en pâture,
il s’agit de Hamster axis of the one-click Panther. Ils viennent d’Anvers et leur leader Frederik
Meulizer est un batteur énergique et plein d’humour qui choisit de parler en anglais, le public étant
composé de 3 groupes linguistiques divers. Ce n’est peut être pas la meilleure façon de régler la
dualité culturelle du pays, en glissant dans la récupération et l’impérialisme anglo-saxons.
Ils finissent par le titre éponyme de leur album « Small Zoo » qui débute par une ambiance jungle,
pas à la Duke Ellington- mais qui évoque ménagerie avec moult cris de guerre, de zouaves et
d’autres zèbres ! Mais ce clin d’œil potache ne nous rebute pas-il ne leur manque que les peintures
de guerre et autres artifices qui d’ailleurs illustrent la pochette de disque. Mais ils n’ont peut-être pas
osé devant ce public sérieux et polyglotte. De toutes les façons, ça joue gaiement, ça chante, ce blues
gospellisant est une agréable surprise pour finir la soirée. Il est agréable aussi de retrouver la
contrebassiste du groupe précédent venue remplacer au pied (nu) levé son collègue malade, on la
sent immédiatement à l’aise : fort galamment, ses nouveaux complices lui font plus de place que
dans son propre ensemble. Les compositions sont de l’altiste (attention avant de se lancer là encore
dans la prononciation Lander van der Noordgate dont c’est l’anniversaire).Le pianiste Bram Weijters
est aussi intéressant à entendre.
Pour moi, le BJM s’arrêtera là, il est long le retour et je ne pourrais entendre l’ un de mes groupes(
belges) préférés Rêve d’éléphant dans Pourquoi pas un scampi ? Toute la finesse et la fantaisie
raisonnablement déréglée, l’humour dérangé (mais si gentiment) de nos amis d’outre quiévrain.
Bruges…un doux souvenir déjà dans l’automne naissant
Sophie chambon

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