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L’Encéphale (2011) 37, 332—338
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MISE AU POINT
Prises en charge, besoins et attentes de patients
souffrant de troubles bipolaires I
(Étude ECHO — France)
Management, needs and expectations of patients suffering from bipolar
I disorders (The ECHO study — France)
S. Guillaume a,b,c,∗, P. Courtet a,b,c, J.-P. Chabannes d, J.-A. Meynard e,
V. Moreau-Mallet f
a
Inserm, U1061, 34093 Montpellier, France
Université Montpellier-I, 34000 Montpellier, France
c
Pôle urgence, département d’urgences et post-urgences psychiatriques, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier,
371, avenue du Doyen-G.-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France
d
CHS de Saint-Egrève, 38521 Saint-Egrève, France
e
CHS M.-Lacroix, 17022 La-Rochelle, France
f
Bristol-Myers-Squibb, 92500 Rueil-Malmaison, France
b
Reçu le 7 juillet 2011 ; accepté le 23 juillet 2011
Disponible sur Internet le 23 septembre 2011
MOTS CLÉS
Troubles bipolaires I ;
Perception des
patients ;
Qualité de vie ;
Traitement
∗
Résumé Les études évaluant le ressenti et le vécu des troubles par les patients sont utiles pour
élaborer des prises en charge plus efficaces. Cette enquête est la première en France interrogeant des patients souffrant d’un trouble bipolaire I. Trois cents patients euthymiques ont été
interrogés à l’aide d’une évaluation semi-standardisée au travers d’entretiens téléphoniques.
L’objectif était d’avoir un reflet du vécu et des attentes que ces patients ont de leurs troubles
et de leurs prises en charge. Le délai moyen entre la première consultation et le diagnostic
est d’environ cinq ans. Dans 92 % des cas, le psychiatre est l’intervenant de santé qui a posé
le diagnostic alors que 74 % des patients étaient également suivis par un médecin généraliste.
Au moment de l’entretien, 97 % de ces patients étaient suivis par un ou plusieurs professionnels de santé, 93 % déclaraient prendre un traitement mais seul 34 % ont mentionné prendre
un stabilisateur de l’humeur. Quatre-vingt-quatre pour cent des patients ont déjà ressenti des
effets secondaires liés à leur traitement actuel. L’acceptation de la maladie est difficile et 56 %
des patients seulement se sentent bipolaires. Même en phase d’euthymie, 44 % des patients
ont des difficultés dans leurs tâches quotidiennes. Trois quarts des patients déclarent avoir été
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Guillaume).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011.
doi:10.1016/j.encep.2011.07.006
Prises en charge, besoins et attentes de patients souffrant de troubles bipolaires
333
l’objet d’attitudes de rejet ou de discrimination directement liées à leur maladie. Les patients
demandent encore plus de dialogue avec les professionnels de santé et un traitement plus
personnalisé, mieux expliqué et tenant compte des effets secondaires. Ils souhaitent également
plus d’accompagnement et de conseils les aidant eux et leurs proches à vivre avec la maladie.
Ces données éclairent sur les insuffisances en termes diagnostic et thérapeutique. Elles aident
également à mieux appréhender le vécu et les attentes de nos patients.
© L’Encéphale, Paris, 2011.
KEYWORDS
Bipolar disorders I;
Patient perception;
Quality of life;
Treatment;
Survey
Summary
Aim. — The ECHO study is the first French study directly asking patients with bipolar I disorders
on the history and experiences of their disease, their perceptions of care, their sociofamilial
relationships, and their expectations regarding what should be done by healthcare professionals
and their environment.
Method. — Three hundred euthymic patients suffering from bipolar disorder I were interviewed
using a semi-standardized evaluation through telephone interviews. These patients were selected according to the quota method of nationally representative INSEE 99 to be representative
of the French population.
Results. — Ninety-nine percent of patients consulted at least once for psychological signs before
the correct diagnosis was established. The average age at the time of diagnosis was of 30.1 years
(±11.3). The average time between first consultation for psychological symptoms and diagnosis is about 5 years. In 92% of cases, the psychiatrist is the health professional that made the
diagnosis; 74% of patients were also followed by a general practitioner. One hundred percent
of participants had been hospitalized for manic episodes (criterion for inclusion in the study)
and 86% were also hospitalized for depressive symptoms. The experience of hospitalization is
positive (feeling of security for 84% of the sample, feelings of being helped for 81% of the
sample), although these experiences are also associated with the perception of confinement
(52% of the sample). At the time of the interview, 97% of these patients were followed by one
or more health professionals. Only 34% of these patients were taking a mood stabilizer (lithium,
anticonvulsant or atypical antipsychotic with indications in France for bipolar disorder), while
44% were taking an antidepressant and 38% were taking anxiolytics; 84% of patients had experienced side effects related to their current treatment. Acceptance of the disease is difficult
and only 56% of patients personally feel they suffer from bipolar disorders. Patients believe
that their mental health problems have a significant impact on their lives, including impact on
their self-esteem and happiness. Relationships with family, friends but also sexual relations are
affected. Even in the euthymic phase, 44% of patients have difficulties in their daily tasks. Three
quarters of patients said they had already experienced rejection or discrimination related to
their disease. Finally, patients gave a score of 6.4 out of 10 to assess the impact of the disorder
on their quality of life. Patients request more dialogue with health professionals and a more
personalized treatment, taking into account side effects. They also want more information on
the treatment. They would also like to be supported, together with their families, and advised
on how to cope with the disease.
© L’Encéphale, Paris, 2011.
Introduction
Environ 1 % de la population souffre de troubles bipolaires
de type I. Ce trouble est à l’origine d’une surmortalité
2,3 fois supérieure à la population générale et d’une surmorbidité somatique importante [11]. Le trouble bipolaire est
d’ailleurs selon l’OMS une des six premières causes de handicap dans le monde chez les personnes entre 15 et 44 ans [7].
Ce trouble a un retentissement sur la vie professionnelle,
sociale et familiale des sujets atteints et ce, même en phase
d’euthymie [3]. La prise en charge de ce handicap est donc
un enjeu majeur. Le ressenti et l’opinion des patients et de
leurs proches sont capitaux pour mieux cerner ces handicaps. En pratique quotidienne, alors que ceux-ci souhaitent
être de plus en plus impliqués dans le choix des traitements
et des prises en charge [6], leur ressenti est souvent mal pris
en compte par les soignants [4].
Ces dernières années se sont développées des études portant sur le ressenti et le vécu des troubles de l’humeur
par les patients eux-mêmes. Les plus célèbres sont l’étude
National Depressive and Manic Depressive Association Survey (NDMDA) [14,15] aux États-Unis et l’étude GAMIAN en
Europe [18,19]. Ces études ont permis d’améliorer très sensiblement nos connaissances sur les croyances et les besoins
de nos patients vis-à-vis du trouble bipolaire.
En dépit de l’intérêt de ce type de recherche pour améliorer la prise en charge du trouble bipolaire [6], aucune
étude portant spécifiquement sur le trouble bipolaire n’a
été réalisée en population française [8].
L’étude Perception du vécu chez des patients bipolaires
(ECHO) a été développée afin de donner la parole à un
groupe de patients souffrant d’un trouble bipolaire représentatif de la population française. Cette étude interroge
ces personnes sur l’histoire et le vécu de leurs troubles, leur
334
S. Guillaume et al.
perception de la prise en charge, leurs relations sociofamiliales, leurs attentes vis-à-vis des professionnels de santé et
de leur environnement social. L’objectif était d’avoir une
image représentative de la prise en charge et du ressenti de
patients souffrant de troubles bipolaires I en France afin de
mettre en évidence les besoins des patients et la qualité de
leur prise en charge.
Méthode
L’étude ECHO a été dirigée par un comité scientifique de
psychiatres1 avec le soutien des laboratoires Bristol-Myers
Squibb et Otsuka Pharmaceutical France. Elle a été réalisée
par la société IPSOS Health en deux étapes.
La première phase qualitative a consisté en des entretiens semi-structurés d’une heure auprès de 12 patients
bipolaires I. Cette première étape a permis l’élaboration
d’un guide d’entretien permettant une évaluation relativement exhaustive du vécu de la maladie par les patients. Ce
guide d’entretien a été utilisé au cours de la phase 2.
Durant la seconde phase, 300 patients souffrant d’un
trouble bipolaire I ont été interrogés à l’aide du questionnaire élaboré en phase 1 entre décembre 2008 et février
2009, à leur domicile au travers d’entretiens téléphoniques.
Ces entretiens ont été effectués par des interviewers préalablement formés à la passation du questionnaire. Les sujets
ont été sélectionnés via des psychiatres, de réseaux associatifs et des médecins généralistes. Le diagnostic a été
confirmé par un Mood Disorders Questionnaire (MDQ) positif [21]. Ces patients ont été sélectionnés selon la méthode
des quotas de représentativité nationale INSEE 99 pour être
représentatifs de la population française.
Le guide d’entretien utilisé dans la phase 2 (disponible
sur requête) comprend 32 questions portant sur l’évolution
et l’histoire du trouble, les répercussions du trouble dans
la vie quotidienne, la conscience et le vécu du trouble et
les attentes des patients. L’interviewer lisait la question et
pouvait la reformuler ou donner des précisions si besoin.
Les réponses des patients aboutissaient à la cotation par
l’interviewer d’une variable quantitative comme une durée,
une intensité sur une échelle bornée de 0 à 10 ou la sélection
d’une réponse parmi un certain nombre d’items proposés.
Trois exemples de question sont retranscrits en Annexe 1.
La durée moyenne de passation était d’environ 30 à
40 minutes.
Une analyse statistique descriptive a été réalisée. Les
variables quantitatives ont été analysées par la moyenne et
l’écart-type, les variables qualitatives par le nombre et le
pourcentage.
Résultats
Caractéristiques de l’échantillon et histoire du
trouble
Sur 300 patients inclus : 67 % sont des femmes, l’âge moyen
à l’inclusion était de 40,6 ans (±11,2 ans), 50 % vivent
1 Comité
scientifique :
Dr J.-A. Meynard.
Pr P. Courtet,
Dr J.-P. Chabannes,
maritalement, 63 % mentionnent des antécédents familiaux
de premier ou deuxième degrés de troubles psychiatriques.
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des patients ont
consulté au moins une fois pour des signes psychologiques
en amont du diagnostic. Comme le montre la Fig. 1, les
principaux motifs de consultation étaient des symptômes
dépressifs (71 %), des troubles du sommeil (63 %) et/ou
une asthénie (62 %). L’âge moyen de ces premières consultations était de 25 ans (±11,1) et 38 % des patients ont
consulté avant l’âge de 18 ans. L’âge moyen au moment de
la pose du diagnostic de trouble bipolaire était de 30,1 ans
(±11,3). L’âge moyen lors de la première hospitalisation
était de 30,3 ans (±11,6). Le délai moyen entre la première
consultation et le diagnostic est donc d’environ cinq ans.
Dans l’immense majorité des cas (92 %), le psychiatre est
l’intervenant de santé qui a posé le diagnostic alors que
74 % des patients étaient également suivis par un médecin
généraliste. Dans 47 % des cas, ce diagnostic avait été posé
à l’occasion de la première hospitalisation.
Modalités de la prise en charge thérapeutique
Le motif de la première hospitalisation rapporté par le sujet
est généralement un épisode dépressif majeur (41 % des
cas), un accès maniaque (38 % des cas) ou une tentative de
suicide (18 % des cas). Depuis le début du trouble, si 100 %
des participants ont été hospitalisés pour accès maniaque,
86 % ont également été hospitalisés pour une symptomatologie dépressive. Concernant le mode d’hospitalisation,
57 % des patients ont demandé au moins une fois à
être hospitalisés (dans 65 % des cas lors d’une phase
dépressive), 36 % ont déjà été hospitalisés sous le mode
d’hospitalisation à la demande d’un tiers et 8 % ont déjà
été hospitalisés sur le mode de l’hospitalisation d’office.
Dans 78 % des cas, la demande d’hospitalisation sous
contrainte a été faite à l’occasion d’un accès maniaque ou
mixte.
Comme le montre la Fig. 2, le ressenti général des
patients vis-à-vis de l’hospitalisation est ambivalent. Pour
un grand nombre d’entre eux, le vécu apparaît positif (sentiment de sécurité 84 %, d’être aidé 81 %), même si ces
expériences sont aussi associées à la perception d’un enfermement (52 %) ou encore de rejet par le monde extérieur
(21 %). Enfin, 42 % restituent une indifférence vis-à-vis de la
situation qu’ils vivent.
Au moment de l’entretien, 97 % de ces patients étaient
suivis par un ou plusieurs professionnels de santé : psychiatre
(73 %), médecin généraliste (55 %) et psychothérapeute ou
psychologue (14 %). Le psychiatre exerçait en milieu libéral
dans 54 % des cas.
Quatre-vingt-treize pour cent des patients déclarent
prendre un traitement. Dans 44 % des cas le traitement est
une monothérapie, dans 24 % des cas une bithérapie, dans
13 % des cas une trithérapie et dans 6 % des cas les prescriptions déclarées comprennent quatre médicaments ou
plus. Seuls 34 % de ces patients prennent un stabilisateur
de l’humeur (lithium, anticonvulsivant à action thymorégulatrice ou antipsychotique atypique ayant une AMM en
France dans le trouble bipolaire), alors que 44 % prennent
un antidépresseur et 38 % prennent des anxiolytiques. Les
médicaments les plus souvent pris sont la fluoxétine (16 %),
Prises en charge, besoins et attentes de patients souffrant de troubles bipolaires
Figure 1
335
Premiers signes amenant à consulter avant le diagnostic.
le bromazepam (15 %) et la venlafaxine (12 %). Le stabilisateur de l’humeur le plus prescrit dans cet échantillon
(lithium) n’est pris que par 8 % des patients. Quatre-vingtquatre pour cent des patients ont déjà ressenti des effets
secondaires liés à leur traitement actuel et 42 % ont ressenti
au moins trois effets secondaires. Les effets secondaires les
plus fréquemment ressentis étaient la fatigue (41 %), une
sécheresse buccale (41 %), une prise de poids (35 %), des
troubles digestifs (33 %) et des troubles du sommeil (27 %).
Vécu, perceptions et attentes vis-à-vis du trouble
Les personnes interrogées ont conscience de la chronicité de
la maladie et l’estiment maîtrisable (68 %) et pouvant être
soignée (61 %). Elles ont très peur des rechutes (score moyen
de 7,3 [±2,2] sur une échelle de 0—10) et estiment faire
des efforts importants pour contrôler leur maladie (score
moyen de 7,1 [±2,1] sur une échelle de 0—10). Pour prévenir
les décompensations, la majorité pense savoir reconnaître
les signes annonciateurs (ceux des phases d’agitation et
d’exaltation pour 82 % des patients, les signes dépressifs
pour 87 %). Les signes alertant les sujets d’une éventuelle rechute maniaque sont l’agitation (59 %), les troubles
du sommeil (37 %), une augmentation de l’agressivité ou
d’irritabilité (20 %), une hyperthymie ou des fluctuations
brusques de l’humeur (20 %). Les signes d’alertes d’une
rechute dépressive sont une humeur dépressive (tristesse,
dévalorisation, idée noire. . .) (62 %), une apathie (58 %) ou
des troubles du sommeil (39 %). Si tous ces patients sont
Figure 2
suivis en ambulatoire, ils se sentent mal stabilisés dans 42 %
des cas avec la prédominance une symptomatologie résiduelle dépressive (31 %) (Fig. 3).
La grande majorité de l’échantillon (87 %) pense que le
trouble bipolaire est une maladie grave qui gâche la vie de
ceux qui en sont atteints (92 %) et ce diagnostic leur fait peur
(88 %). En conséquence, l’acceptation de la maladie est difficile et 56 % des patients seulement se sentent bipolaires.
Les troubles bipolaires retentissent de manière importante
sur la vie des patients, notamment sur leur estime de soi
(72 % des sujets), leur bonheur et leur évolution professionnelle (73 % des sujets). Les relations avec la famille, les amis
(54 % des sujets) mais aussi les relations sexuelles (50 % des
sujets) se trouvent également affectées. Même en phase
qualifiable d’euthymie les patients ont peur de la rechute
(86 %), ont des difficultés à se projeter dans l’avenir (65 %)
et des difficultés dans leurs tâches quotidiennes (44 %). Ils
estiment également que ce trouble induit du rejet. En pratique, trois quarts des patients déclarent avoir déjà été
l’objet d’attitudes de rejet ou de discrimination directement liées à leur maladie. Les collègues de travail (50 %), les
amis (44 %), la famille (36 %), l’employeur (32 %) sont incriminés. Au final les patients attribuent une note de 6,4 sur
10 pour évaluer l’impact du trouble sur leur qualité de vie.
La quasi-totalité des personnes interrogées déclarent
avoir au moins un interlocuteur pour parler de leur trouble.
Il s’agit le plus souvent des professionnels de santé (95 % des
cas) et plus rarement la famille (43 %) ou les amis (52 %).
Aujourd’hui, les patients expriment des besoins différents sans qu’il y en ait un qui prédomine nettement (Fig. 4).
Ressenti des hospitalisations.
336
S. Guillaume et al.
Figure 3
Perception des patients de leur état.
Néanmoins, beaucoup d’entre eux demandent encore plus
de dialogue avec les professionnels de santé (51 %). Ils souhaitent également un traitement plus personnalisé, mieux
expliqué et toléré, accompagné de conseils les aidant eux
et leurs proches à vivre avec la maladie.
Discussion
Dépistage du trouble
Il existe un délai diagnostique de plusieurs années entre les
premières consultations et le diagnostic. Ce délai d’environ
cinq ans ne semble pas être spécifique à la France ; il correspond globalement à celui retrouvé dans 12 pays européen
de l’étude GAMIAN [18,19] et en population américaine
[9]. Il confirme les nombreuses études suggérant un délai
important avant la pose d’un diagnostic correct (chez 70 à
80 % des patients pour revue [6]). Ce délai peut en partie être expliqué par le fait que beaucoup de patients
souffrant d’un trouble bipolaire développent leur première
épisode maniaque ou hypomaniaque seulement après trois
épisodes dépressifs majeurs ou plus [10,11]. Nos résultats
vont dans ce sens puisque les patients ont consulté en
Figure 4
antédiagnostic essentiellement pour une symptomatologie
d’allure dépressive plutôt que pour une symptomatologie
évocatrice d’un épisode maniaque ou hypomaniaque. Mais
ce délai peut aussi être expliqué par le fait que les accès
maniaques/hypomaniaques ne sont souvent non rapportés
par les patients [2,10], ni dépistés par les thérapeutes.
Cette absence de dépistage a un impact négatif sur la
qualité de vie et sur l’histoire du trouble [11]. Elle augmente également le risque de conduites suicidaires [11].
Il convient d’insister auprès des soignants sur l’importance
de dépister ce trouble particulièrement chez des patients
à risque (histoire familiale de trouble bipolaire et/ou présence d’un épisode dépressif majeur). Comparativement
à ce qui est retrouvé dans les autres pays européens
[18,19], le diagnostic est le plus souvent posé par un psychiatre. Le médecin psychiatre reste donc le pivot du
diagnostic. Cela peut être expliqué par le fait que, dans
un cas sur deux, il faut attendre une expression symptomatique forte et donc une hospitalisation en psychiatrie
pour que le diagnostic soit posé. Mais cela reflète également le fait qu’en France, comme dans les autres pays
[15,18], la question peut se poser de former et sensibiliser les médecins généralistes au dépistage du trouble
bipolaire.
Besoins actuels des sujets interrogés.
Prises en charge, besoins et attentes de patients souffrant de troubles bipolaires
Modalités de la prise en charge thérapeutique
Concernant la prise en charge médicamenteuse, alors que
toutes les recommandations quelles soient internationales
ou françaises [16] insistent sur la nécessité d’un traitement
stabilisateur de l’humeur, seuls 34 % des sujets interrogés
déclarent être sous couverture thymorégulatrice (antipsychotique atypique inclus). Par comparaison, la proportion
de sujets déclarant être sous stabilisateur de l’humeur
était de 70 % aux États-Unis dans l’enquête NDMDA [13] et
de 80 % dans la plupart des pays d’Europe dans l’enquête
GAMIAN [18,19]. De même, 44 % des sujets interrogés dans
notre étude prennent un antidépresseur. Dans le cadre
du trouble bipolaire, l’utilisation des antidépresseurs en
monothérapie n’est pas recommandée et l’utilisation sous
couverture thymorégulatrice reste très controversée tant
sur le plan de la tolérance que de l’efficacité [12]. Malgré cette controverse, en pratique clinique quotidienne, les
antidépresseurs sont largement prescrits chez les patients
bipolaires dans notre étude comme dans d’autres. Ainsi,
les différentes études nord américaines estiment qu’entre
38 et 53 % des patients diagnostiqués souffrant d’un trouble
bipolaire reçoivent des antidépresseurs [17]. De plus, le traitement antidépresseur est souvent prescrit sans couverture
thymorégulatrice. Par exemple, sur une cohorte de patients
californiens suivis pour un trouble bipolaire, 3797 patients
étaient traités par des traitements antidépresseurs. Or,
dans 47 % des cas, celui-ci était prescrit en monothérapie
[20].
Ces chiffres soulignent le besoin et l’importance de la
formation des thérapeutes à la prescription médicamenteuse dans le trouble bipolaire. Mais il faut noter qu’il s’agit
des médicaments que les sujets déclarent prendre et non
ceux qui leur ont été prescrits. Ainsi, en les mettant en
parallèle avec les taux très importants d’effets secondaires
ressentis par les sujets interrogés, il est possible que pour
certains sujets, les traitements (surtout les stabilisateurs de
l’humeur) soient prescrits mais non pris. Cela irait dans le
sens suggéré par les études GAMIAN [18,19] et NDMDA [15]
et souligne l’importance d’expliquer aux patients les buts
et objectifs des traitements mais aussi de tenir compte des
effets secondaires potentiels dans le choix d’une molécule
[6].
Perception et attente vis-à-vis du trouble
Alors que tous les sujets inclus dans l’étude étaient considérés comme en phase de rémission, environ la moitié se sent
mal stabilisée d’un point de vue thymique et leur trouble
retentit de façon très significative sur la plupart des aspects
de leur vie. Ce ressenti des patients est concordant avec les
études montrant que les altérations cognitives [11] et les difficultés de fonctionnement social [6] persistent longtemps
après la rémission symptomatique d’un accès maniaque ou
dépressif. Ce sentiment est renforcé par l’image négative
véhiculée par la maladie dans la société et la stigmatisation qui en découle. La prise en charge du trouble bipolaire
ne doit donc pas se limiter uniquement au traitement des
symptômes thymiques. Elle doit également inclure une aide
à la réintégration des patients dans la communauté et dans
le milieu professionnel [13].
337
L’orientation vers des associations de patients est souhaitable. En effet, l’adhésion à ces associations permet
d’augmenter l’insertion sociale et les capacités d’insight
[1]. Une amélioration de la conscience et de la perception du
trouble passe également par des mesures psycho-éducatives
en groupe comme en individuel. Elles ont démontré leur
efficacité pour améliorer la conscience des troubles [5] et
donc l’adhésion aux soins. Il est aussi important de réévaluer
régulièrement le rapport bénéfice/tolérance de nos traitements et de rechercher les effets indésirables qui entravent
la vie de nos patients. Cette prise en charge plus personnalisée et plus globale est au final la principale attente de nos
patients.
Limites
La principale limite de cette enquête tient à la représentativité de notre échantillon et à l’extrapolation qui peut
en être faite sur les patients présentant un trouble bipolaire I en France. L’échantillon est composé de patients
volontaires ré-adressés par des médecins ou des associations
de patients. Nous n’avons pas de données permettant de
savoir si ces patients sont représentatifs de l’ensemble des
patients et notamment de ceux ayant refusé de participer
à l’étude. Une autre limite tient à l’absence d’évaluation
standardisée de l’état actuel permettant de confirmer que
les sujets étaient bien euthymiques.
Conclusion
Les données de cette étude illustrent les insuffisances en
termes de diagnostic et de traitement du trouble bipolaire
de type I. Cela met également en lumière le désir des
patients de soigner et de maîtriser leur maladie, leur sentiment imprécis de souffrir de ce trouble, leurs relations
sociales rendues difficiles par la maladie et la stigmatisation
sociale. Ils expriment le besoin de soutien par les soignants
et la nécessité de prendre en charge une maladie qui leur
« gâche la vie ». Ils souhaitent des interlocuteurs compétents
et compréhensifs pour trouver un équilibre de l’humeur
satisfaisant et une aide dans leur vie socioprofessionnelle.
Ainsi, en apportant des informations sur le vécu de la
maladie par les patients souffrant d’un trouble bipolaire I,
l’étude ECHO aide à mieux appréhender les enjeux d’une
prise en charge thérapeutique de la maladie plus précoce
et personnalisée, ainsi que ceux d’une insertion plus réussie
des patients au sein de la société. Les personnels de santé
devraient être plus sensibilisés aux ressentis des patients et
devraient en tenir compte dans leur pratique.
Déclaration d’intérêts
Les laboratoires Bristol-Myers Squibb et Otsuka Pharmaceutical France ont soutenu financièrement l’étude.
Annexe 1. Exemples de questions
À quel âge vos troubles bipolaires :
(Enquêteur citer, noter variable numérique en clair, une
seule réponse par sous-question)
338
a) . . .se sont-ils manifestés pour la première fois ?
b) . . .ont-ils été diagnostiqués pour la première fois ?
c) . . .ont-ils nécessité une hospitalisation pour la première
fois ?
d) . . .ont-il été traités par médicament prescrit par un
médecin ?
Je vais vous citer une liste de propositions
décrivant votre ressenti général de votre
expérience d’hospitalisation. Dites-moi pour
chacune si vous êtes tout à fait, plutôt, plutôt pas,
pas du tout d’accord pour dire que vous vous êtes
senti. . .
(Enquêteur : une seule réponse par sous-question, rotation
aléatoire des sous-questions)
enfermé : Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt pas
d’accord/Pas du tout d’accord/(NSP)
rejeté : Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt pas
d’accord/Pas du tout d’accord/(NSP)
aidé : Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt pas
d’accord/Pas du tout d’accord/(NSP)
en sécurité : Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt
pas d’accord/Pas du tout d’accord/(NSP)
indifférent : Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt
pas d’accord/Pas du tout d’accord/(NSP)
Sur une échelle de 0 à 10, vous m’indiquerez
comment vous vous sentez malade. 0 signifie que
vous ne vous sentez pas malade du tout, 10 que
vous vous sentez très malade. Les notes
intermédiaires servent à nuancer votre jugement.
Aujourd’hui comment vous situez-vous par rapport
au ressenti d’être malade ?
(Enquêteur citer, noter variable, une seule réponse possible)
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