La fragilité du sujet âgé : quelles solutions pour une
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La fragilité du sujet âgé : quelles solutions pour une
UCL Université catholique de Louvain – Mons La fragilité du sujet âgé : quelles solutions pour une détection précoce et un maintien à domicile privilégié? Mémoire présenté par : Olivier BAR en vue de l'obtention du diplôme de Master 60 en Sciences de Gestion Promoteurs : Madame N. MESKENS Monsieur F. FOUSS Année académique 2013 - 2014 Résumé L’avancée en âge prédispose à toute une série d’événements défavorables tels que les maladies, les hospitalisations ou encore la dépendance qui a souvent pour conséquence l’institutionnalisation de la personne, la plupart du temps à l’encontre de sa volonté. Tous ces événements ont un coût, tant pour les finances publiques que pour les personnes concernées. Au travers de ce mémoire, nous nous sommes donc attelés à essayer de mieux comprendre les états de prédépendance et les facteurs de perte d’autonomie chez les personnes âgées avec comme objectif le dégagement de pistes pour un maintien prolongé de nos aînés à domicile ainsi que la conservation d’un niveau d’autogestion suffisant le plus durable possible. Bien que sa définition ne fasse pas encore consensus, il est communément admis que l’arrivée de la fragilité est l'étape avant la dépendance. D’où l'intérêt de sa détection précoce chez le sujet âgé vivant dans la communauté puisque le processus semble réversible s’il est repéré assez tôt. Forts de ce constat, nous nous sommes ensuite mis en quête d’un outil capable de repérer les sujets fragiles dans la communauté et avons entamé une réflexion afin d’en déterminer les dépisteurs potentiels. La grille SEGA modifiée s’est ainsi avérée un instrument de détection pertinent vu qu’elle présente plusieurs avantages dont celui de pouvoir être administrée rapidemment par du personnel formé à son utilisation. Nous avons ensuite voulu connaître les possibilités d’administration de cette grille auprès des personnes de 65 ans et plus vivant en communauté en interrogeant différents acteurs médicaux, paramédicaux et sociaux. Les principaux résultats sont encourageants puisque la majorité de ces intervenants sont favorables à l’outil. Approfondissant notre démarche, nous avons tenté de déterminer dans quelle mesure les technologies pourraient favoriser le repérage de la fragilité et favoriser le maintien à domicile des sujets âgés. Concernant ce dernier point, nombre de solutions existent mais ne rencontrent pas systématiquement leur public pour différentes raisons. 2 Remerciements En préambule, je tiens à exprimer toute ma gratitude aux personnes qui m’ont aidé et soutenu dans la réalisation de ce mémoire. Mes remerciements s’adressent tout particulièrement à : Monsieur Moustapha Dramé, Docteur en Médecine et Chercheur au CHU de Reims, pour ses explications et toutes les informations qu’il a pu me fournir ; Madame Nadia Oubaya, Docteur en Médecine, pour ses explications et toutes les informations qu’elle a pu me fournir ; Madame Elisabeth Quignard, Médecin gériatre au centre hospitalier de Troyes, pour ses explications et toutes les informations qu’elle a pu me fournir ; Madame Sandrine Pradier, Ergothérapeute et Déléguée territoriale de l’Association nationale Française des Ergothérapeutes, pour ses explications et toutes les informations qu’elle a pu me fournir ; Madame Alda Dalla Valle, Présidente de la Fédération Nationale des Infirmières de Belgique, pour son intervention dans la diffusion du questionnaire ; Monsieur Damien Van Wilder, Président de l'Association des Ergothérapeutes, pour son intervention dans la diffusion du questionnaire ; Monsieur Pierre Lemaire, Médecin gériatre au CHR de Namur, pour ses explications et toutes les informations qu’il a pu me fournir ; Madame Nadine Meskens et Monsieur François Fouss, Promoteurs du mémoire, pour leurs conseils et leurs remarques pertinentes ; Ma compagne Carole, mon oncle Francesco, ma famille et mes amis pour leur soutien et leur aide précieuse. 3 Table des matières Introduction ............................................................................................................................ 11 Partie 1. Problématiques du vieillissement et de la dépendance ........................................ 13 1.1 Problématique du vieillissement............................................................................. 13 1.1.1 Problématique du vieillissement de la population .............................................. 14 1.1.2 Problématique du vieillissement de l’individu ................................................... 24 1.2 Problématique de la dépendance de la personne âgée ......................................... 26 1.2.1 Notions générales ............................................................................................... 26 1.3 Enjeux et limites du maintien de la personne âgée au domicile .......................... 30 1.4 Conclusion ................................................................................................................ 37 Partie 2. Politiques nationales et étrangères en faveur de la personne âgée ..................... 39 2.1 Politiques nationales ..................................................................................................... 39 2.1.1 Soutien fédéral .................................................................................................... 40 2.1.2 Soutien régional .................................................................................................. 42 2.2 Politiques étrangères .................................................................................................... 43 2.2.1 France ................................................................................................................. 43 2.2.2 Allemagne .......................................................................................................... 45 2.2.3 Pays-Bas ............................................................................................................. 46 2.2.4 Luxembourg ....................................................................................................... 47 2.3 Conclusion ..................................................................................................................... 48 Partie 3. Le concept de fragilité du sujet âgé ....................................................................... 50 3.1 Origine et intérêt de la notion de fragilité ............................................................. 50 3.2 Evolutions conceptuelles et tentative de définition de la fragilité ....................... 53 3.3 Quelles relations entre fragilité, vieillissement, perte d’autonomie et dépendance .......................................................................................................................... 58 3.3.1 Fragilité et vieillissement ................................................................................... 58 3.3.2 Fragilité, perte d’autonomie et dépendance ....................................................... 62 3.4 Quels sont les critères de fragilité et quels en sont les outils d’évaluation? ....... 68 3.4.1 L’approche phénotypique de Fried .................................................................... 69 3.4.2 Le modèle d’accumulation de déficits de Rockwood ou Frailty-Index (FI) ...... 71 3.5 Quels sont les degrés de fragilité ? ......................................................................... 79 3.6 Conclusion ..................................................................................................................... 80 Partie 4. Dépistage de la fragilité du sujet âgé à domicile via l’outil SEGA modifié (SEGAm) ................................................................................................................................. 82 4.1 L’outil SEGA modifié .................................................................................................. 82 4 4.2 Réflexion sur l’intégration de l’outil SEGAm dans une politique globale liée à la fragilité en Belgique ........................................................................................................... 90 4.2.1 Les acteurs potentiels du repérage de la fragilité dans la communauté ............. 90 4.2.2 Sondage sur l’intégration de la grille SEGAm en pratique courante par les acteurs potentiels du repérage de la fragilité dans la communauté .................................. 93 4.2.3 Résultats ............................................................................................................. 95 4.3 Conclusion ................................................................................................................... 106 Partie 5. L’apport des technologies pour la prévention de la fragilité et pour le maintien à domicile des sujets âgés. .................................................................................................... 109 5.1 Les technologies dans les domaines médico-social et sanitaire .............................. 109 5.1.1 Les technologies dans un contexte de détection de la fragilité ........................ 109 5.1.2 Les technologies dans un contexte de prévention de la fragilité et de maintien à domicile. ......................................................................................................................... 110 5.1.3 Les technologies dans un contexte de compensation ....................................... 113 5.1.4 Les technologies dans un contexte de maintien du lien social ......................... 115 5.2 Les seniors et les gérontechnologies .......................................................................... 116 5.3 Opportunités et faiblesses du secteur des gérontechnologies ................................. 120 5.4 Conclusion ................................................................................................................... 122 Partie 6. Conclusion générale .............................................................................................. 124 Bibliographie......................................................................................................................... 127 Annexes ................................................................................................................................. 145 5 Liste des abréviations AIVQ : activités instrumentales de la vie quotidienne APA : allocation pour l’aide aux personnes âgées ASD: attestations de soins donnés AVQ : activités de la vie quotidienne AWT : agence wallonne des télécommunications BFP : bureau fédéral du plan BMF : budget des moyens financiers CARSAT: caisse d'assurance retraite et santé au travail CEV : comité d’étude sur le vieillissement CNAV : caisse nationale d’assurance vieillesse DGSIE : direction générale statistique et information économique DMC: dispositif médical communicant EGS : évaluation gériatrique standardisée GRAPA : garantie de revenus aux personnes âgées HAD: hospitalisation à domicile INAMI : institut national d’assurance maladie-invalidité MR : maison de repos MRS : maison de repos et de soins NTIC: nouvelles technologies de l'information et de la communication ONP : office national des pensions PA: personne âgée RéGéCA: réseau gériatrique de la région Champagne Ardenne RV: reconnaissance vocale SdPSP : service des pensions du secteur public SEGAm : SEGA modifié SFGG : société française de gériatrie et gérontologie WIV-ISP : institut scientifique de santé publique 6 Liste des tableaux Tableau 1. Hypothèses démographiques du CEV en Belgique sur la période de 2012 à 206015 Tableau 2. Principaux résultats des « Perspectives de population 2012-2060 » .................... 16 Tableau 3. Coût budgétaire du vieillissement à long terme selon le scénario de référence du CEV de juillet 2013 en % du PIB ............................................................................................. 17 Tableau 4. Evolution du nombre de personnes en MR ou en MRS sous l’influence du seul facteur démographique ............................................................................................................ 22 Tableau 5. Nombre d'établissements et nombre de lits en maisons de repos en Belgique ...... 34 Tableau 6. Croissance annuelle du nombre de lits ou places en maison de repos de 2009 à 2012 en % ................................................................................................................................. 34 Tableau 7. Dépenses de la Sécurité Sociale destinées aux pensions (en euros) ...................... 41 Tableau 8. Quelques chiffres concernant l’allocation pour l’aide aux personnes âgées ........ 41 Tableau 9. Dossiers Vlaamse Zorgverzekering acceptés et nombre d’affiliés par région (au 31 décembre) ................................................................................................................................. 43 Tableau 10. Index de fragilité de Rockwood ............................................................................ 71 Tableau 11. Le spectre des modalités de fragilité .................................................................... 73 Tableau 12. Dimensions principales et indicateurs principaux de fragilité ............................ 74 Tableau 13. Comparaison de la prise en charge avec EGS et sans EGS de Rubenstein ......... 76 Tableau 14. Propriétés psychométriques d’un outil d’évaluation ........................................... 87 Tableau 15. Comparatif des caractéristiques et des propriétés psychométriques des outils SEGAm, TFI, GFI et CFAI ....................................................................................................... 88 7 Liste des graphiques Graphique 1. La pyramide des âges en 2010 et en 2060 ......................................................... 17 Graphique 2. Coût moyen des dépenses santé par sexe et par âge ......................................... 19 Graphique 3. Perspectives d’évolution des journées d’hospitalisation selon l’âge, 2000-2050 – Belgique – (en indice 2000 = 100) ........................................................................................ 19 Graphique 4. Nombre de journées d’hospitalisation par personne de la classe d’âge – Belgique – 2006 ........................................................................................................................ 20 Graphique 5. Dépenses publiques pour la dépendance, en % du PIB ..................................... 28 Graphique 6. Situation du ménage des personnes âgées – vivant seules ou avec d’autre(s) personne(s) que le partenaire. ................................................................................................. 29 Graphique 7. Risque de pauvreté en Belgique en 2010 selon les caractéristiques socioéconomiques (en %) ................................................................................................................. 32 Graphique 8. Pension moyenne versus prix journalier moyen en maison de repos ................ 33 Graphique 9. Nombre d'infirmiers diplômés en Belgique........................................................ 35 Graphique 10. Evolution de la densité de médecins généralistes, Belgique - Wallonie Hainaut, 1995-2012 ................................................................................................................. 36 Graphique 11. Mutualités - Connaissance de la fragilité avant le sondage ............................ 95 Graphique 12. Mutualités - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante .................................................................................................................................................. 96 Graphique 13. Médecins généralistes - Connaissance de la fragilité avant le sondage ......... 97 Graphique 14. Médecins généralistes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante ..................................................................................................................... 98 Graphique 15. Infirmiers/Infirmières - Connaissance de la fragilité avant le sondage .......... 99 Graphique 16. Infirmiers/Infirmières - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante ................................................................................................................... 100 Graphique 17. Ergothérapeutes - Connaissance de la fragilité avant le sondage ................ 101 Graphique 18. Ergothérapeutes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante .................................................................................................................................. 101 Graphique 19. Logopèdes - Connaissance de la fragilité avant le sondage.......................... 103 Graphique 20. Logopèdes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante ................................................................................................................................................ 103 Graphique 21. Kinésithérapeutes - Connaissance de la fragilité avant le sondage .............. 104 8 Graphique 22. Kinésithérapeutes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante .................................................................................................................................. 105 Graphique 23. Ensemble des répondants - Connaissance de la fragilité avant le sondage .. 106 Graphique 24. Ensemble des répondants - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante ................................................................................................................... 107 9 Liste des figures Figure 1. 1+2+3 en gériatrie de J.P. Bouchon ........................................................................ 59 Figure 2. Infections intercurrentes et vieillissement + fragilité, inspiré du schéma du Professeur J.P. Bouchon .......................................................................................................... 61 Figure 3. Fragilité, nouvel aspect du vieillissement et étape intermédiaire entre vieillissement normal et pathologique ............................................................................................................ 62 Figure 4. Séquence de Wood .................................................................................................... 63 Figure 5. Positionnement de la perte d’autonomie et de la dépendance dans la séquence de Wood ......................................................................................................................................... 64 Figure 6. Représentation dynamique de la relation autonomie - fragilité - dépendance ..... 67 Figure 7. Représentation de la relation fragilité comme une dimension de la santé distincte de la morbidité et des déficits fonctionnels dans une population de PA....................................... 68 Figure 8. Identification de la fragilité fondée sur des manifestations spécifiques (phénotype de fragilité) .................................................................................................................................... 70 Figure 9. Identification de la fragilité fondée sur des l’accumulation de déficits (index de fragilité) .................................................................................................................................... 72 Figure 10. Modèle de la fragilité de Bergman ......................................................................... 75 Figure 11. Le développement de la fragilité avec l’avancée en âge ........................................ 79 10 Introduction Le vieillissement de la population est une réalité aujourd’hui sur le pas de nos portes. Source de préoccupations pour l’ensemble des systèmes sanitaires, économiques et politiques européens, bon nombre d’institutions gouvernementales se penchent sur la question depuis plusieurs années déjà afin d’en estimer les impacts et pouvoir en anticiper les conséquences. En effet, à l’horizon 2060, les 65 ans et plus représenteront un peu plus d’un quart de la population belge. Ce chiffre laisse présager des bouleversements dans l’orientation des politiques face à ce changement démographique de la population du pays. Dans ce contexte, nous avons d’abord souhaité cerner les problématiques liées au vieillissement tant au niveau macroéconomique que sur le plan individuel. Le manque de places prévisible en maison de repos, l’allongement de l’espérance de vie et les répercussions financières de la vieillesse sur les caisses de l’état incitent à la réflexion dans le but de pouvoir dégager des pistes favorisant le maintien prolongé à domicile de nos aînés dans une meilleure santé le plus longtemps possible. Le premier point fait en effet écho à leurs propres souhaits et le second les préserverait de situations défavorables telles que l’institutionnalisation prématurée, des hospitalisations répétées ou encore un basculement trop précoce dans la dépendance. Sensibles à cette problématique, nous avons souhaité nous pencher sur la notion de fragilité qui influe conjointement sur ces deux enjeux. Au travers de nos recherches, nous avons en effet découvert que cette dernière expose justement nos aînés aux situations défavorables énumérées ci-dessus. Le concept de fragilité est de surcroit particulièrement intéressant lorsque l’on tente de comprendre les phénomènes accélérant les effets néfastes du vieillissement et nous enseigne que certaines situations désavantageuses sont évitables si détectées suffisamment tôt. Dans ce contexte, il est nécessaire de ne plus subir le vieillissement mais au contraire, de l’anticiper et faire en sorte que certaines situations irréversibles ne s’installent. Pour cela, il convient donc de détecter les personnes âgées fragiles au sein de la communauté afin de pouvoir les orienter vers des structures gériatriques adaptées dans lesquelles elles pourront recevoir l’encadrement nécessaire au redressement de leur trajectoire de vieillissement personnel. Il nous a donc fallu nous mettre en quête d’un moyen pour œuvrer 11 dans ce sens. Nos recherches concernant ce point nous ont conduit à Reims en France où un outil de repérage de la fragilité, la grille SEGA modifiée (SEGAm), vient d’être validée scientifiquement pour une utilisation en ambulatoire. Au travers de ce mémoire, nous avons ainsi souhaité cerner les points forts de cet outil et également comprendre en quoi il pourrait s’avérer plus pertinent que les autres. Nous avons ensuite entamé une réflexion sur quels pourraient être les utilisateurs potentiels de cette grille en Belgique. Après avoir dégagé quelques pistes congrues à nos yeux, notre choix s’est finalement dirigé vers les coordinateurs de soins à domicile des mutualités, les médecins généralistes et les professionnels paramédicaux effectuant des visites à domicile. Il nous est alors paru intéressant de questionner ces acteurs sur la faisabilité d’intégration d’un tel outil dans leur travail quotidien mais aussi évaluer leur degré de connaissance par rapport à la notion de fragilité. Enfin, dans un dernier temps, nous avons également voulu saisir comment certaines technologies modernes pourraient contribuer à repérer la fragilité, à la prévenir et à faciliter le maintien de nos séniors à domicile. 12 Partie 1. Problématiques du vieillissement et de la dépendance Avant de nous pencher sur la notion de fragilité de la personne âgée à proprement parler, il nous a paru important de définir et d’analyser certains contours afin de mieux appréhender le thème central de cet ouvrage en le situant dans un contexte global. En effet, la thématique de la « personne âgée fragile » comprend deux notions distinctes : la fragilité que nous aborderons ultérieurement dans le contexte de ce travail ; la personne âgée faisant référence à la vieillesse avec son lot de concepts souvent corrélés tels que la perte d’autonomie, la dépendance, la vulnérabilité et bien entendu la fragilité. Dans le même esprit de contextualisation, nous tenions également à aborder en préambule la question du maintien à domicile et ses limites face à toute autre solution alternative de placement du sujet âgé. 1.1 Problématique du vieillissement Le vieillissement peut être défini sous divers aspects. Certains auteurs le caractérisent comme étant « l’action du temps sur les êtres vivants » (Jeandel, 2005). Mais à partir de quel âge une personne est-elle considérée comme âgée ? Le critère de l’âge est-il réellement un référent de l’entrée dans la vieillesse ? Sur le plan social, la vieillesse correspond souvent à l’âge de cessation d’activité professionnelle (entre 55 et 65 ans) et si l’on se place du point de vue de la sécurité sociale en Belgique, dès l'âge de 65 ans, une personne peut bénéficier de certaines prestations comme la pension ainsi que de l'allocation pour l'aide aux personnes âgées [1]. L’Organisation Mondiale de la Santé avance, quant à elle, l’âge de 65 ans dans ses évocations sur le sujet. En gériatrie, « les personnes âgées sont réparties en deux groupes selon leur âge : les personnes âgées et les personnes très âgées. Ce deuxième groupe comprend les personnes de plus de 75 ans » (Pelemans, 2002). 13 Selon une étude sectorielle sur les maisons de repos effectuée par le SPF Economie, l’âge moyen d’un pensionnaire est de 84 ou 85 ans (Massant, 2009). Pour désigner ces populations, il est communément fait référence au troisième et au quatrième âge. Aujourd’hui, le premier terme n’est d’ailleurs plus systématiquement synonyme de vieillesse tandis que le second semble survenir de plus en plus tard. Plus que le seul critère d’âge, puisque que les progrès scientifiques assurent une espérance de vie de plus en plus élevée, envisageons la vieillesse, dans le contexte de ce travail, comme un état d’incapacité fonctionnelle physique et/ou cognitive. Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi d’aborder la problématique du vieillissement sous deux angles : Celui du vieillissement de la population en général qui a des conséquences d’un point de vue économique ; Celui du vieillissement de l’individu en particulier qui a des conséquences sur son état de santé et qui sera donc abordé dans un contexte plus médical. 1.1.1 Problématique du vieillissement de la population Aujourd’hui, le vieillissement de la population n’est plus à démontrer et constitue un défi socio-économique majeur pour la plupart des pays industrialisés, émergeants mais aussi les pays en développement. Depuis quelques années, il fait l’objet d’une préoccupation majeure notamment de la part des pouvoirs publics européens. Le vieillissement de la population est la résultante de quatre facteurs : la baisse de la fécondité, l’allongement de la durée de vie, l’entrée dans le troisième âge de générations nombreuses (les baby-boomers) et les mouvements migratoires. Le vieillissement démographique a un coût et invite à la réflexion concernant l’avenir de nos systèmes éducatifs, sanitaires et sociaux, notre urbanisme, nos ressources en matière de logements (y compris les maisons de repos), nos politiques relatives à la mobilité et aux pensions,… 14 En Belgique, un comité d’étude sur le vieillissement (CEV) composé de membres issus d’institutions compétentes telles que la Banque Nationale de Belgique, le Bureau fédéral du Plan, les Services Publiques Fédéraux Finances, Sécurité Sociale et Budget a été mis en place dès 2001 afin d’estimer, entre autres, les évolutions des dépenses sociales et dégager des politiques prévoyantes sur la problématique. Tableau 1. Hypothèses démographiques du CEV en Belgique sur la période de 2012 à 2060 2012 2030 2060 Taux de fécondité (nombre enfants par femme) 1,81 1,82 1,81 Espérance de vie à la naissance : hommes 78,5 81,9 86,7 Espérance de vie à la naissance : femmes 83,7 85,7 89,1 Solde migratoire en milliers 55,8 17,4 19,0 Source : Rapport annuel du CEV, Perspectives de population 2012-2060, juillet 2013 Dans son dernier rapport annuel, le CEV estime que le taux de fécondité restera stable avec en moyenne un peu plus de 1,8 enfants par femme jusqu’en 2060 (cf. tableau 1). Actuellement, le nombre de naissances annuelles est supérieur au nombre de décès. Attention toutefois, la génération des « baby-boomers » arrivera prochainement à des âges à fortes probabilités de décès, ce qui devrait réduire cet écart. Un allongement de l’espérance de vie de 8,2 ans pour les hommes et de 5,4 ans pour les femmes au terme des cinquante prochaines années est pressenti. Au niveau du solde migratoire, les projections indiquent une tendance à la baisse. C’est essentiellement l’immigration qui aura tendance à diminuer suite aux politiques restrictives en matière de regroupement familial et d’accueil d’immigrants pour motif humanitaire (CEV, 2013). 15 Tableau 2. Principaux résultats des « Perspectives de population 2012-2060 » 2012 2030 2060 11075,0 12097,1 12757,7 0-14 ans 1881,1 2042,2 2069,9 15-64 ans 7249,9 7323,4 7401,6 65 ans et + 1944,0 2731,5 3286,2 Population totale en milliers Par groupe d’âge en milliers - dont de 65 à 79 ans 1363,1 1929,3 1966,8 - dont 80 ans et plus 580,9 802,3 1319,5 0-14 ans 17,0 16,9 16,2 15-64 ans 65,5 60,5 58,0 65 ans et + 17,6 22,6 25,8 Structure d’âge en % Source : Rapport annuel du CEV, Perspectives de population 2012-2060, juillet 2013 Toujours dans le cadre de son dernier rapport et compte tenu des hypothèses précitées, le CEV fait état d’un accroissement de la population totale de 15% entre 2012 et 2060 (cf. tableau 2). On remarque que c’est la catégorie des 65 ans et plus qui enregistrerait les plus fortes progressions par rapport à celles des 0-14 ans et des 15-64 ans (+40% de 2012 à 2030 et + 20% de 2030 à 2060). Au terme de la période projective, cette catégorie représenterait un quart de la population provoquant ainsi une inversion de la pyramide des âges (cf. graphique 1). A l’horizon 2060 et sur base du tableau 2, la part des actifs (15-64 ans) par personne âgée sera de 2,25 contre 3,73 en 2012. 16 Graphique 1. La pyramide des âges en 2010 et en 2060 Source : BFP, d’après DGSIE du SPF Economie et BUREAU FEDERAL DU PLAN, Perspectives de population 2010-2060, Novembre 2011 Cette inversion supposée engendrera bien évidemment une augmentation des dépenses publiques notamment en matière de pensions mais également en matière de soins de santé (respectivement de 4,5% et de 2,6% du PIB entre 2012 et 2060 – cf. tableau 3). Le coût budgétaire total du vieillissement s’élèverait ainsi à 5,4% du PIB entre 2012 et 2060. Tableau 3. Coût budgétaire du vieillissement à long terme selon le scénario de référence du CEV de juillet 2013 en % du PIB Composantes du coût budgétaire du 2012 2030 2060 Montant de l’augmentation vieillissement 2012-2060 Pensions 10,2 13,6 14,7 4,5 - régime des salariés 5,6 7,8 8,3 2,8 - régime des indépendants 0,8 1,1 1,1 0,3 - secteur public 3,9 4,7 5,3 1,4 8,1 9,0 10,7 2,6 Soins de santé - soins « aigus » 6,9 7,4 7,9 1,0 - soins de longue durée 1,2 1,6 2,9 1,6 Incapacité de travail 1,7 1,7 1,4 -0,2 Chômage 2,0 1,3 1,1 -0,9 Allocations familiales 1,6 1,6 1,4 -0,3 17 Autres dépenses sociales (*) 1,7 1,7 1,5 -0,2 Total 25,8 29,1 31,2 5,4 (*) Principalement les dépenses pour accidents de travail, maladies professionnelles, Fonds de sécurité d’existence, les allocations pour personnes handicapées et le revenu d’intégration. Source : Rapport annuel du CEV, Perspectives de population 2012-2060, juillet 2013 Dans le cadre des soins de santé, les dépenses sont scindées en deux postes : D’une part, les soins de longue durée désignant des soins aux personnes âgées tels que les soins infirmiers à domicile, les séjours en maisons de repos, de repos et de soins, et de soins psychiatriques et d’autre part, les soins « aigus » faisant référence aux autres soins de santé (CEV, 2013). On remarque que ces deux rubriques additionnées représentaient 31,4 % de l’ensemble des dépenses sociales en 2012 contre 34,3% attendues en 2060, soit une progression de 2,6% du PIB (8,1% en 2012 et 10,7% au terme de la période de projection). Les dépenses en soins de longue durée représenteraient alors plus d’un quart des dépenses totales en la matière, conséquence de l’allongement de l’espérance de vie. Dans une étude INAMI publiée en 2006, il apparaît d’ailleurs clairement que les dépenses santé sont fortement corrélées avec l’avancée en âge (cf. graphique 2). 18 Graphique 2. Coût moyen des dépenses santé par sexe et par âge Source : Daubie M., Etudes INAMI, « Analyse des dépenses de l’assurance maladie en fonction de l’âge et du sexe des assurés »,2006-2. En terme d’hospitalisation, il faut donc s’attendre à un accroissement des admissions des très âgés (cf. graphique 3) puisque, selon le tableau 2, la population des 80 ans et plus fera plus que doubler entre 2012 et 2060. Graphique 3. Perspectives d’évolution des journées d’hospitalisation selon l’âge, 2000-2050 – Belgique – (en indice 2000 = 100) Source : « Vieillissement de la population : impact et enjeux pour les collectivités locales », Dexia, avril 2010, p31 19 Selon une étude de 2010 sur le vieillissement de la population publiée par Dexia, en 2050, un patient hospitalisé sur deux aura au moins 65 ans ; un sur trois, 75 ans (Smet, 2010). Or, comme le montre le graphique 4, les durées d’hospitalisation tendent à s’allonger au fur et à mesure que l’âge avance. Graphique 4. Nombre de journées d’hospitalisation par personne de la classe d’âge – Belgique – 2006 Source : « Vieillissement de la population : impact et enjeux pour les collectivités locales », Dexia, avril 2010, p30 Ce phénomène pose déjà de nos jours des soucis aux hôpitaux compte tenu du système de financement en vigueur. En effet, depuis la réforme de 2002, les institutions hospitalières classiques et de jours sont financées par la répartition d’une enveloppe fermée provenant de l’autorité fédérale. Ce subside fractionné ne constitue pas la seule source de leurs revenus mais représente néanmoins la part la plus importante : c’est le Budget des Moyens Financiers (BMF). Le BMF couvre, en partie, les charges inhérentes au fonctionnement général de l’hôpital. En 2013, ce dernier atteignait un montant de 7,5 milliards d’euros pour l’ensemble des établissements hospitaliers (Crommelynck et al., 2013). 20 Sans entrer dans les détails, la part revenant à chaque infrastructure de soins est fonction d’un système à points tenant compte de la notion d’« activité justifiée » qui est mesurée en termes de « journées d’hospitalisation justifiées » (Lambert, 2011). L’activité justifiée d’un hôpital est déterminée suivant le nombre et le type de pathologies rencontrées au cours d’une année de référence. En Belgique, une répartition de ces dernières se fait selon des groupes « APR-DRG » se scindant, eux-mêmes, en différents sous-groupes compte tenu de quatre degrés de sévérité établis mais aussi de différentes tranches d’âges de patients. Pour chaque sous-groupe, une durée de séjour justifiée (ou standard) est calculée. Elle correspond à la durée moyenne nationale (Louette, 2012). Concrètement, pour qu’une hospitalisation soit financièrement avantageuse pour l’hôpital, sa durée doit être inférieure à la moyenne en Belgique et même, la plus courte possible. En effet, pour une affection donnée, les journées considérées comme supplémentaires à la moyenne nationale ne seront pas comptabilisées dans la somme des journées justifiées (et dans leur financement). A l’inverse, pour une période d’hospitalisation inférieure au référent temporel national, l’établissement totalise davantage de journées justifiées (et donc de financement correspondant) que les journées réellement prestées (Crommelynck et al., 2013). En parallèle, divers phénomènes font qu’il n’est pas rare de devoir prolonger certaines hospitalisations pour des raisons non curatives. Pour illustrer ce propos, un article universitaire faisait par exemple état d’un nombre important de personnes de 65 ans et plus, en situation de handicaps liés à plusieurs maladies chroniques, gardées hospitalisées car trop fragiles pour rentrer à la maison bien que leur état ne nécessite plus une hospitalisation (Victor et al., 2000). Le processus de financement observé incite donc les hôpitaux à chercher eux-mêmes des solutions alternatives pour limiter les durées des hospitalisations au strict traitement de la phase aigüe (Lambert, 2011). Des structures satellites au travers de maisons de revalidation et de convalescence, de centres de courts séjours et de soins de jours sont alors proposées pour la prise en charge du patient en aval de l’hospitalisation. Ces centres sont le plus souvent situés au sein d’une maison de repos (MR) ou d’une maison de repos et de soins (MRS) dont une augmentation du nombre de pensionnaires à l’avenir est forcément également à prévoir (cf. tableau 4), et ce, indépendamment de ces partenariats passés avec les institutions hospitalières. 21 Tableau 4. Evolution du nombre de personnes en MR ou en MRS sous l’influence du seul facteur démographique Nombre Belgique Indice (2007=100) 2007 2020 2050 2020 2050 122857 175088 358785 143 293 Source : Lambrecht M., Incidences des évolutions démographiques sur les dépenses de santé - Perspectives belges (royaume et régions) et européennes, mars 2009 Dans ces perspectives, les secteurs médical et médicosocial devront anticiper les futurs besoins en matière d’infrastructures d’accueil et de services destinés aux anciens afin d’y répondre de manière adéquate. Pour revenir au point de vue médical, la France a notamment opté pour l’hospitalisation à domicile (HAD) qui est une alternative à part entière à l’hospitalisation classique ou qui, à défaut, permet un raccourcissement de la durée du séjour en phase aigüe. En Belgique, malheureusement, le concept semble peu développé malgré une efficacité démontrée par l’expérience d’autres pays. Bien qu’une proposition de loi ait été déposée en 2007, il n’y a actuellement aucun cadre légal, ce qui engendre évidemment une absence de financement. L’INAMI a un rôle central à jouer concernant ce dernier point car c’est l’organisme qui en donnera le feu vert [2]. En 2003, l’institut national d’assurance maladie-invalidité avait déjà entamé la réflexion à propos de l’hospitalisation à domicile au travers la réalisation d’une étude (confiée à des équipes de l’ULB et de la KUL) portant sur « la définition des soins techniques complexes à domicile (STCD), la définition des critères de faisabilité, la définition de l’organisation à implémenter, les répercussions sur la satisfaction du patient et l’analyse de l’impact financier pour l’assurance maladie-invalidité » (Lambert, 2011). Les résultats de cette étude n’avaient pas abouti à l’issue escomptée et les propositions dégagées étaient restées sans suite pour diverses raisons. Par la suite, deux appels à projets concernant des formes alternatives de soins et de soutien aux soins à des personnes âgées ont été lancés par l’INAMI [3]. 22 L’idée lors du 1er appel en 2010 était de favoriser et de financer des projets innovants répartis dans les quatre catégories suivantes (Lambert, 2011) : 1. Nouvelle activité de soins ou de soutien dispensés dans une institution 2. Nouvelle activité de soins ou de soutien dispensés par une institution au domicile de la personne âgée 3. Collaboration, continuité, garantie de soins 4. Nouvelle forme d’habitat avec garantie de soins Il est à noter que, compte tenu de l’expérience engendrée par le 1er appel à projets d’une part, et en raison de l’évolution des prestations de soins prises en charge par l’assurance maladie invalidité d’autre part, seules les catégories 2 et 3 ont été concernées par le deuxième appel émis en 2013. Dans le cadre de ce deuxième appel, la Centrale de Services à Domicile (CSD) a soumis un projet d’alternative à domicile de l’hospitalisation (ADH) qui consiste en une prise en charge globale et continue du patient à son domicile (24 heures sur 24) et qui s’articule autour des 4 axes suivants [4]: La santé (soins médicaux, paramédicaux) L'hôtellerie (repas, tâches ménagères, courses) La télévigilance (surveillance à distance des paramètres vitaux) Le matériel médical (Matériel anti-escarre,...) L'essence du projet étant de faire en sorte, au travers cette prise en charge globale, d'éviter le maintien au sein de l’hôpital du patient étant donné son état de santé. Actuellement, le comité de l’assurance des soins de santé ne s’est pas encore prononcé sur les projets retenus du deuxième appel. 23 1.1.2 Problématique du vieillissement de l’individu Intéressons-nous maintenant aux aspects du vieillissement dans un contexte plus axé sur l’individu en lui-même. Le vieillissement a, par définition, des effets sur l’organisme de part une diminution des capacités fonctionnelles. Quelles en sont les conséquences sur l’état de santé du sujet âgé avec en toile de fond sa prise en charge en cas de perte d’autonomie? Concernant ce dernier point, toute la problématique repose sur le fait que la population âgée étant très hétérogène (diversité des profils sociaux, des habitats, des entourages,…), il en résulte une hétérogénéité des besoins mais aussi des types de vieillissement. Les gériatres distinguent trois principaux modes de vieillissement : le vieillissement réussi, le vieillissement habituel et le vieillissement avec pathologies sévères. Chaque processus de vieillissement n’est pas figé dans le temps. Le vieillissement réussi signe un fonctionnement physique, mental et psychosocial satisfaisant. Ces personnes ont généralement conservé un rôle familial ou social important et ont des activités à l’extérieur de chez elles. On parle de vieillissement habituel chez des personnes présentant des atteintes de certaines fonctions mais sans pathologies bien définies. Le troisième type de vieillissement présente, quant à lui et comme son nom l’indique, des pathologies sévères qui conduisent généralement à un état de dépendance (Trivalle, 2009). Il est utile de s’intéresser à ces modes de vieillissement afin de distinguer les effets propres du vieillissement de ceux de certaines maladies dont les personnes âgées peuvent être victimes. A défaut, on aura parfois trop vite fait d’attribuer certains symptômes au compte de la vieillesse et ainsi négliger certains soucis de santé et leurs traitements. De plus, mieux connaître les modes de vieillissement permettra également de pouvoir mettre en place des stratégies préventives afin de diminuer les impacts de certains effets de la vieillesse. En parallèle, il y a également lieu de s’intéresser aux conséquences de l’allongement de vie sur l’état de santé. Comme nous l’avons vu précédemment au point 1.1.1, l’espérance de vie à la naissance augmentera dans les prochaines années tant pour les hommes que pour les femmes. Pour les personnes âgées, quelle sera la qualité de ces années de vie gagnées ? Qu’en sera-t-il des maladies ? 24 Plusieurs spécialistes se sont penchés sur la question donnant naissance à diverses théories (Guillermard et al., 1995): D’après Gruenberg (Gruenberg, 1977) et Kramer (Kramer, 1980), on devrait assister à une pandémie de troubles mentaux, de maladies chroniques et d’incapacités. Les maladies continueraient toujours à survenir, mais une fois apparues, la durée de survie augmenterait grâce aux progrès de la médecine qui réduirait leur taux de mortalité. Par contre, selon les auteurs, le fait de repousser le moment du décès ferait apparaître des maladies de plus en sévères. Selon ce scénario, l’allongement de l’espérance de vie entraîne une prolongation de la période d’incapacité. Fries (Fries, 1980) avance la théorie de la compression de la morbidité qui devrait donner lieu à un état de santé relativement bon jusqu’au décès. En effet, selon ce dernier, l’âge moyen d’apparition des maladies serait retardé alors que l’espérance de vie à l’âge adulte resterait constante. La morbidité sera donc compressée dans une courte période de temps se situant en fin de vie. La période en mauvaise santé sera donc plus courte. Manton (Manton, 1982) mise, quant à lui, sur un équilibre dynamique dans lequel la hausse de l’espérance de vie serait expliquée en partie par des maladies chroniques en augmentation mais dont les affections seront moins sévères. Selon ce scénario, si actuellement le nombre d’années en mauvaise santé en fin de vie est de x années, elle sera toujours de x années dans le futur mais commencerait plus tard. La diversité des théories et le peu de données servant à les soutenir font qu'au final, il est assez difficile de prévoir l'évolution de l'état de santé des populations âgées ou, en d’autres termes, l’évolution de l'espérance de vie en bonne santé. Dans sa dernière étude en la matière de 2012, l'Institut scientifique de Santé publique (WIV – ISP) a tenté de savoir si cette espérance de vie en bonne santé augmente au même rythme que l'espérance de vie [5]. 25 Pour ce faire, un système informatique basé sur trois indicateurs a été développé: l'espérance de vie sans incapacité, l'espérance de vie sans maladie chronique et l'espérance de vie en bonne santé perçue. Il apparaît que les femmes vivent en moyenne 5,6 ans de plus que les hommes mais passent ces années de vie supplémentaires en moins bonne santé. Ainsi en Belgique, d’après les statistiques WIV-IP, un homme, âgé de 15 ans en 2008, atteindra en moyenne l’âge de 77,2 alors qu’une femme, âgée également de 15 ans en 2008, vivra en moyenne 82,8 ans. Toutefois, les deux sexes ont la même espérance de vie sans incapacité de 65,6 ans, d’où l'affirmation précédente pour les femmes en ce qui concerne la moins bonne santé. Toujours d’après cette étude, il semblerait que l’on vive en moyenne plus longtemps et en meilleure santé en Flandre quand on est un homme : Un homme flamand qui avait 15 ans en 2008, atteindra en moyenne 78,4 ans (67,9 sans incapacité), contre en moyenne 77,2 ans (63,2 sans incapacité) à Bruxelles et 75,1 ans en moyenne (61,8 sans incapacité) en Wallonie. Pour conclure ce point traitant de la problématique du vieillissement de l’individu, ajoutons que sa perception n’est pas des plus réjouissantes. En effet, bon nombre de difficultés apparaissent comme nous l’avons vu avec l’âge et pas seulement en matière de santé. Entre certains événements tels que le décès de personnes proches, l’émergence de maladies graves, les tracas financiers ou ayant trait à la santé, la vieillesse est aussi généralement perçue comme étant synonyme d’isolement social (amplifié notamment par la perte de la capacité de conduire), de vulnérabilité et aussi d’augmentation des dépenses en soins de santé comme illustré dans le graphique 2. Des politiques publiques en direction des personnes âgées devront être réformées, notamment en termes de retraites, de dépenses de santé et de prise en charge de la dépendance. 1.2 Problématique de la dépendance de la personne âgée 1.2.1 Notions générales Bien que vieillissement et dépendance ne sont pas spécialement synonymes, force est de constater que l’allongement de la durée de vie influe sur l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes. Ici encore, il y a lieu de faire la distinction entre plusieurs aspects de la notion de dépendance. 26 D’un point de vue démographique, le coefficient de dépendance des âgés représente le rapport entre les personnes de 65 ans et plus d’une population donnée par le nombre de personnes d’âge actif (les 15 à 64 ans) de cette même population. Cet indicateur donne donc une vue sur le poids du financement des pensions et des soins de santé à charge des personnes de la tranche des 15 à 64 ans. En Belgique, le dernier rapport du CEV faisait état d’un accroissement de ce coefficient de dépendance des âgés de près de 66% entre 2012 et 2060 laissant présager d’énormes difficultés de financement des pensions et des soins de santé comme déjà évoqué au point 1.1.1 de ce travail. Dans un contexte axé sur l’individu dans ses dimensions physique et cognitive, la dépendance peut être définie comme étant la nécessité de recourir à une aide extérieure pour effectuer certains actes de la vie quotidienne (AVQ) (Direction de la communication AXA, 2012). Le vieillissement de la population étant un phénomène mondial, nombreuses sont les institutions se penchant sur cet épiphénomène que représente l’état de dépendance. Même si chaque pays possède ses propres références pour le caractériser et ses propres outils pour l’évaluer, la grande majorité d’entre-eux se base sur des critères d’incapacités à réaliser certains AVQ sans assistance pour déterminer cet état. Parmi ces actes de la vie quotidienne, citons la toilette, l’habillage, les transferts (se lever, se coucher, s’asseoir), la continence, l’alimentation. 1 Signalons également que la perte d’autonomie n’est pas exclusivement physique. Certaines pathologies comme la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles cognitifs comme la démence donnent lieu à une dépendance lourde d’ordre cognitive. Il est assez complexe d’établir des projections précises sur l’évolution du nombre de personnes âgées dépendantes dans le futur. En effet, il faudrait, en amont, pouvoir estimer précisément l’évolution de l’espérance de vie en bonne santé, ce qui n’est actuellement pas le cas comme vu précédemment. Même en ne considérant que l’hypothèse optimiste de compression de morbidité de Fries (Fries, 1980), une chose est cependant fort probable : l’augmentation attendue du nombre de personnes très âgées vue au chapitre précédent entrainera plus que certainement une hausse des personnes âgées dépendantes. 1 Selon l’échelle de Katz, instrument d'évaluation de la dépendance utilisé dans le secteur des maisons de repos en Belgique et reconnu par l'INAMI [6]. 27 En Belgique, selon le Bureau du Plan, 566.000 personnes présentaient en 2007 des besoins modérés à sévères de prises en charge de cet état de dépendance. D’ici 2050, ce chiffre devrait augmenter de 600.000 unités compte tenu de l’évolution de la pyramide des âges (Brenez, 2012). Evidemment, la prise en charge de ces personnes représente un coût considérable pour les finances publiques. D’après une étude de la Commission européenne de 2009, le poids des dépenses consacrées à la perte d’autonomie en 2060 pourrait atteindre 3% du PIB selon un scénario purement démographique comme illustré sur le graphique 5. Graphique 5. Dépenses publiques pour la dépendance, en % du PIB Source : Commission européenne, UE (2009). Scénario purement démographique. Signalons également qu’à côté de cette solidarité collective, une importante solidarité familiale se concrétisant par l’aide apportée par les proches pour les activités de la vie quotidienne coexiste avec la première. Ajoutons que cette aide informelle ne se traduit pas dans les finances publiques et aura malheureusement tendance à diminuer dans les années à venir. En effet, cette assistance trouve essentiellement sa source auprès des membres de la famille proche à savoir les enfants et le conjoint. La baisse de la fécondité devrait vraisemblablement faire diminuer le nombre d’enfants potentiels aidants sans compter les possibilités 28 d’éloignement géographique de ces derniers pour lequel il est difficile de faire des projections sur l’avenir. Les séparations fréquentes dans les couples représentent également une menace à la solidarité entre conjoints. Si la tendance se perpétue, on devrait compter dans les années à venir davantage de personnes notamment de plus de 65 ans vivant seules (cf. graphique 6). Graphique 6. Situation du ménage des personnes âgées – vivant seules ou avec d’autre(s) personne(s) que le partenaire. Source : Eurostat, « Living conditions in Europe », 2010. En ce qui concerne l’assistance entre partenaires dans les ménages pérennes, les femmes sont actuellement moins bien loties puisqu’elles vivent en moyenne plus longtemps que leur compagnon et ont donc plus de risque de se retrouver sans aucun appui familial une fois le partenaire décédé. Néanmoins, cette tendance aura tendance à s’inverser dans les années à venir si l’on en croit l’évolution des écarts des espérances de vie entre les hommes et les femmes du tableau 1. Afin de prévenir la perte d’autonomie et pour ne pas compter que sur les seuls progrès médicaux, toute une série de politiques préventives sont prônées. Alimentation saine, activité physique suffisante, maintien d’interactions sociales sont autant de bonnes pratiques porteuses d’espoir pour le futur. En marge de la promotion à la santé, le concept de personne âgée « fragile » a été développé afin de mieux comprendre les états de prédépendance et les facteurs de perte d’autonomie (Direction de la communication AXA, 2012). 29 Comme nous l’avons vu précédemment, la dépendance est la résultante de pathologies physiques mais également cognitives. Chez les sujets âgés fragiles, elle peut également être la conséquence d’un stress ou d’un événement déclencheur comme un accident (par exemple une chute qui entraine une fracture du col du fémur). De là, tout l’enjeu d’une détection précoce de la fragilité afin de porter une attention particulière aux sujets concernés. 1.3 Enjeux et limites du maintien de la personne âgée au domicile Qu’elle soit dépendante ou pas, les enjeux du maintien de la personne âgée au domicile sont multiples. Le souhait de la grande majorité des 65 ans et plus est d’ailleurs de rester dans leur domicile habituel le plus longtemps possible. Il en va de leur intégrité physique et psychique comme l’attestent certaines études scientifiques (Vassart, 2011). Entrer en institution s’avère être une étape douloureuse pour bon nombre de personnes âgées confrontées à la situation : Perte de repères, nécessité de devoir s’adapter à un nouvel environnement, abandon d’un lieu chargé en souvenirs d’une vie passée pour aller vers l’inconnu. Le respect du choix de la personne âgée peut être un élément déterminant pour éviter les effets néfastes d’un déracinement imposé. Bon nombre de personnes contraintes au placement préfèrent se laisser dépérir (syndrome de glissement) que de subir une situation non souhaitée. En Belgique, il existe différentes formules de placement de la personne âgée dont le choix dépend de son état de santé, de ses besoins en soins, de son autonomie, de sa situation personnelle (présence d’un conjoint avec un degré d’autonomie différent) mais aussi du caractère permanent ou transitoire du placement. Penchons-nous sur les deux solutions les plus répandues que constituent les maisons de repos pour personnes âgées (MR) et les maisons de repos et de soins (MRS). Les deux types d’établissements procurent un hébergement permanent accessible à partir de 60 ans dans lequel les pensionnaires bénéficient d’aides et de services collectifs à la vie quotidienne et, au besoin, de soins infirmiers ou paramédicaux. La nuance entre les deux dénominations réside essentiellement dans le fait que, pour pouvoir bénéficier de l’agrément supplémentaire propre aux MRS, les unités de logement en question sont tenues de fournir, sur base de certaines normes, une structure spécifiquement dédiées aux 30 personnes âgées nécessitant des soins lourds et atteints d’une maladie de longue durée les rendant fortement dépendantes. A cela, ajoutons encore que les deux formes de maisons de repos peuvent revêtir une forme statutaire publique, commerciale ou d’ASBL selon que la gestion de l’établissement soit aux mains d’un CPAS, d’une organisation privée ou d’une entité privée mais non commerciale pour le dernier cas de figure. Cette subdivision aura notamment un impact sur le prix journalier moyen que devra payer le pensionnaire. La mise en institution coûte plus cher que le maintien à domicile et a par conséquent un coût pour le contribuable puisque la prise en charge des frais médicaux et des soins dispensés dans ces établissements d’accueil est supportée par l’INAMI. De plus, l’organe de la sécurité sociale finance également les maisons de repos par un forfait annuel servant à couvrir une partie des frais de fonctionnement de ces dernières (rémunération du personnel, frais de gestion, frais administratifs,..) et dont le montant est fonction, entre autres, du nombre de pensionnaires (nombre de journées facturées), de leur degré de dépendance, de leur inscription dans une unité de logement MR ou MRS ainsi que du nombre et de la qualité du personnel employé. Cette institutionnalisation peut être difficilement abordable pour les personnes disposant de bas revenus car, dans ces structures résidentielles, les frais de séjour restent à charge du pensionnaire. Le placement en institution n’est donc malheureusement pas gratuit et représente souvent un budget considérable pour la personne âgée. Aujourd’hui comme dans les projections futures, on constate que les sujets de la tranche d’âge des 85-89 ans constituent la population majoritaire des maisons de repos. Dans son rapport de juillet 2013, le Comité d’étude sur le vieillissement présente une analyse de la soutenabilité sociale du vieillissement 2 qui consiste à mesurer le risque de pauvreté des personnes âgées et des pensionnés dans une approche multidimensionnelle. De cet examen, il ressort que les personnes de plus de 65 ans sont davantage exposées au risque de pauvreté par rapport au reste de la population (les 0 à 64 ans – cf. graphique 7). 2 Principalement sur la base des résultats de l’European Union Survey on Income and Living Conditions (EUSILC) 31 Graphique 7. Risque de pauvreté en Belgique en 2010 selon les caractéristiques socioéconomiques (en %) Source : Eurostat, EU-SILC 2011 (revenus 2010) Ce risque de pauvreté est, par ailleurs, sensiblement encore plus prononcé pour les personnes âgées de 75 ans et plus. Ainsi, une distribution selon le statut professionnel montre que 17% des pensionnés jouissaient, en 2010, d'un revenu disponible « équivalent » 3 inférieur à 1 000 euros par mois. Ajoutons qu’au cours de la même année, la moyenne des pensions tournait autour des 1155€/mois alors que le prix journalier moyen d’une maison de repos étant de 40€ par jour, soit 1200€ par mois [7]. 3 Le terme « équivalent » vient du fait le concept de revenu des ménages utilisé tient compte de la taille et de la composition du ménage. 32 Graphique 8. Pension moyenne versus prix journalier moyen en maison de repos Source : SPF Economie & ONP, Etude sectorielle maisons de repos, 2008 Même si le concept de revenu disponible ne tient pas compte de l’épargne de la personne âgée ou du fait qu’il soit propriétaire ou locataire de son logement et que la pension n’est pas la seule source de revenus dont elle peut disposer, on s’aperçoit sur base de ces constatations que ces seules ressources ne suffiront pas à régler la facture de la maison de repos (cf. graphique 8). Indépendamment de la seule question financière, il y a également lieu de se pencher sur le point incontournable du besoin en hébergements des générations vieillissantes futures. Le tableau 5 nous apprend que 358785 personnes sont attendues en maisons de repos en Belgique pour 2050. Actuellement, le nombre de lits disponibles en MR et en MRS est de près de 135000. 33 Tableau 5. Nombre d'établissements et nombre de lits en maisons de repos en Belgique 2011 2012 Nombre Nombre de Nombre Nombre de lits d'établissements lits ou places d'établissements ou places 1535 62618 1518 62545 1197 68377 1205 69705 Maisons de repos (MR) Maisons de repos et de soins (MRS) Source : SPF Sécurité Sociale, Les dépenses sociales en Belgique, chiffres-clefs 2012 Il faudrait donc dégager près de 225000 nouveaux lits supplémentaires afin de pouvoir répondre à la demande estimée, autant dire une gageure, et ce d’autant plus quand on observe le rythme de croissance annuelle du nombre de lits en MR et MRS depuis 2009 (cf. tableau 6). Tableau 6. Croissance annuelle du nombre de lits ou places en maison de repos de 2009 à 2012 en % Accroissement 2009 à 2010 2010 à 2011 2011 à 2012 0,26 1,09 0,96 nombre lits (MR et MRS) Source : SPF Sécurité Sociale, Les dépenses sociales en Belgique, chiffres-clefs 2012 Dans cette perspective, un besoin urgent en solutions alternatives ou plutôt complémentaires se fait sentir. Parmi elles, le développement d’une politique plus poussée en matière de soins à domicile représente une option intéressante pour faire face à la pénurie de lits et pour retarder l’âge d’entrée en maison de repos tout en conservant un cadre de vie habituel. Actuellement, les personnes âgées vieillissant à domicile peuvent user de services qui les aident dans leur quotidien. Des aides financières existent qui leur permettent de réaliser des travaux d’adaptation de leur logement mais aussi de solliciter des prestations. Le champ des services est très vaste et revêt des formes diverses : aides ménagères, aides familiales, 34 transport accompagné par des bénévoles, télévigilence 4, coordination de soins et de services à domicile tels que le jardinage, les travaux de petit entretien, aide aux courses, repassage,… Mais ne nous leurrons pas, le maintien à domicile a également un coût ainsi qu’un certain nombre de limites de différentes natures. On remarque par exemple que pour développer une offre de soins à domicile à la hauteur de la croissance de sa population cible, un besoin en personnel qualifié va se faire ressentir. Le réseau médico-social représenté, entre autres, par des aides familiales et ménagères mais aussi par des infirmiers, des kinésithérapeutes et des ergothérapeutes devra être suffisamment solide pour supporter la pression pressentie de la demande. Or, on remarque que le nombre d’infirmiers diplômés en Belgique décroit depuis 2007 (cf. graphique 9). Graphique 9. Nombre d'infirmiers diplômés en Belgique Source : Manceaux J., Le marché immobilier belge face aux défis démographiques, ING, Octobre 2011 Une attention particulière de la part des politiques sera à fournir en vue d’endiguer le phénomène. 4 système d’alarme téléphonique qui permet à la personne porteuse d’un émetteur (bracelet, collier) d’entrer en contact avec un service qui prendra les mesures pour lui porter secours en cas de problème (chute, malaise,…) 35 De même, au 31 décembre 2012, la Belgique comptait 18213 médecins généralistes pour une population d’un peu plus de 11 millions de personnes soit un généraliste pour 606 habitants (Berghmans, Massot, 2013). Ce professionnel de la santé doit conserver ou, si ce n’est plus le cas, récupérer une place centrale dans la vie de la personne âgée puisque le mieux placé pour apprécier l’évolution de son état de santé tout en étant informé de son histoire personnelle. Seront-ils assez nombreux dans les années à venir pour affronter les effets du vieillissement de la population ? Graphique 10. Evolution de la densité de médecins généralistes, Belgique - Wallonie Hainaut, 1995-2012 Source : Observatoire de la Santé du Hainaut, tableau de bord de la santé 2013, novembre 2013 L’habitat de la personne âgée peut constituer un autre frein environnemental à son maintien à domicile. Selon les pathologies, le logement sera sans doute plus fonctionnel s’il est de plein pied que s’il comprend des escaliers. De plus, certains travaux d’aménagement seront plus faciles à envisager pour un propriétaire que pour un locataire. Toujours dans le même ordre d’idées, une habitation retirée entravera davantage le maintien à la maison que si elle est proche des commerces de proximité, du réseau des aidants proches… 36 En parallèle, certaines personnes âgées souffrant d’isolement, de solitude ou de dépression auront sans doute intérêt à se diriger vers d’autres lieux d’hébergement où elles pourront créer certains liens plutôt que de se morfondre à domicile. Il en va de même pour les personnes éprouvant un sentiment d’insécurité dans leur propre chez-eux ainsi que celles qui refusent tout aménagement du domicile quand le besoin s’en fait sentir ou, encore, celles qui excluent toute aide ne provenant pas de l’entourage familial mais de prestataires allochtones. Enfin, l’état de santé sera sans doute le critère qui aura le mot de la fin dans cette quête de maintien au domicile. Une dégradation cognitive déclenchant une perte des repères, une confusion dans la médication ainsi que l’omission de l’alimentation rend cette possibilité difficile voire dangereuse. Il en va de même de la dégradation physique (maladie, déclin de la mobilité,…) provoquant douleur et complication lors de l’accomplissement des actes du quotidien. 1.4 Conclusion Cette partie interpelle à plusieurs niveaux. D’une part, l’allongement de l’espérance de vie engendrera plus que probablement des augmentations des dépenses en soins de santé, des hospitalisations (avec, pour les hôpitaux, les problèmes de durées y afférant) ainsi que du nombre de personnes dépendantes puisque l’évolution de l’espérance de vie en bonne santé est, quant à elle, incertaine. D’autre part, l’accroissement du nombre de personnes âgées dans les années à venir et le manque de place en maison de repos nous poussent à devoir envisager et à réfléchir dès aujourd’hui à d’autres possibilités de structures de prise en charge. Pour ces raisons, les pouvoirs publics souhaitent favoriser le développement de formes alternatives de soins aux personnes âgées pour lesquelles le maintien au domicile tient la part belle. Il existe malheureusement une série de freins au maintien au domicile liés à l’environnement de la personne âgée ainsi qu’à son état de santé. Dans cette dernière optique, il est donc indispensable d’influer sur ce qui peut l’être, d’anticiper certains états éventuellement prévisibles si détectés assez tôt, de faire en sorte que la personne âgée conserve un niveau d’autonomie satisfaisant et d’éviter qu’elle ne tombe dans un état de dépendance. 37 En ce sens et à côté des politiques de prévention et de promotion à la santé, la notion de « fragilité de la personne âgée » ainsi que son dépistage prennent toute leur dimension. En effet, comme nous le verrons dans la troisième partie de ce travail, la fragilité peut être décrite comme un état précédant la dépendance et qui est de surcroit réversible si repéré assez tôt. De plus, les personnes reconnues comme fragiles présentent, notamment, un risque plus élevé de maladies, d’institutionnalisation, d’hospitalisations, de chutes et de perte d’autonomie dans les activités de la vie quotidienne. Tous ces constats sont autant de raisons supplémentaires qui nous ont conduits à nous intéresser au concept de fragilité. Avant cela, penchons-nous dans la partie suivante sur les différentes approches, nationales et étrangères, en matière de politiques en faveur des personnes âgées, tant au niveau de la fragilité que de la dépendance. 38 Partie 2. Politiques nationales et étrangères en faveur de la personne âgée 2.1 Politiques nationales Notre pays est doté d’un système de sécurité sociale très développé dont le financement est issu de cotisations sociales provenant des revenus professionnels permettant le paiement de diverses allocations et prestations. La Belgique étant un état fédéral composé de communautés et de régions, différents niveaux de pouvoir se répartissent les responsabilités en matière de soins et services aux ainés. En matière de soins de santé, l’Etat gère de manière exclusive au travers de l’INAMI le « régime d’assurance soins de santé obligatoire » mais partage les compétences avec les communautés et les régions quand il s’agit de santé publique. Au niveau des soins aux personnes âgées, notre Gouvernement fédéral prend en charge la programmation et le financement des structures d’accueil pour personnes âgées et autres formes de soins tandis que les entités fédérées sont compétentes, entres autres, pour les matières dites " personnalisables" (liées aux personnes), c'est-à-dire, en ce qui concerne les personnes âgées, pour la politique du 3ème âge, la programmation, l’agrément des structures d’accueil pour les personnes âgées et autres formes de soins et la politique d’aide sociale des CPAS [8]. Afin d’harmoniser les différents niveaux de compétence, répondre aux diverses problématiques liées au vieillissement de la population en matière de soins de santé et pouvoir dégager des politiques cohérentes et coordonnées envers les personnes âgées, signalons qu’un groupe de travail baptisé "Politique de santé à mener à l’égard des personnes âgées / Ouderenzorgbeleid" a été créé au sein de l’organe « Santé Publique ». Ce dernier a pour missions de garantir les besoins d’accueil, d’accompagnement et de soins de son public cible tout en privilégiant le maintien à domicile. Trois protocoles d’accords ont abouti entre 1998 et 2010 grâce aux fruits du travail de cette cellule dont les teneurs ont porté respectivement sur la reconversion de lits MRPA en lits MRS, l’investissement dans des projets de soins innovants pour les personnes âgées et sur le développement de formes alternatives de soins. 39 Penchons-nous à présent sur la question de nos systèmes de pension et sur les solutions proposées par notre pays afin de non seulement garantir leur viabilité notamment suite à l’inversion pressentie de la pyramide des âges mais également faire face au risque de pauvreté des personnes âgées tels que décrits dans la partie 1 de notre travail. La pension légale constitue le premier pilier du régime belge des pensions. C’est celui que nous connaissons tous à savoir le système de répartition selon lequel les actifs financent les retraites des pensionnés actuels. En parallèle, des pensions complémentaires coexistent avec la pension légale constituant les deuxième et troisième piliers. Par deuxième pilier, on entend les assurances-groupes établies par des entreprises et encouragées par des réductions d’impôts et de cotisations sociales tandis que le troisième pilier est constitué de l’épargne-individuelle (épargne-pension, assurance-vie,…) favorisée par des incitants fiscaux. Diverses pistes ont été envisagées par l’Etat pour assurer la soutenabilité financière des pensions futures. Parmi celles-ci, citons la volonté d’augmenter le volume des cotisants par des politiques natalistes, la favorisation de l’immigration, le report de l’âge de la retraite, l’augmentation globale du taux d’emploi mais aussi la réduction de certains avantages liés aux deuxième et troisième piliers afin de favoriser le financement du premier,…ces réformes devant se faire en concertation avec le syndicat et le patronat. Afin de contenir le risque de pauvreté auquel les personnes âgées sont davantage exposées et en complément des pensions, le législateur a prévu des aides financières de différentes natures. En voici la liste exhaustive organisée en fonction des différents niveaux de pouvoir. 2.1.1 Soutien fédéral Au niveau fédéral, la garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) est une allocation mensuelle minimum que les pouvoirs publics allouent via l’ONP aux seniors qui ont atteint l'âge de la pension quel que soit leur passé professionnel et dont les revenus sont trop faibles pour assurer leur subsistance (cf. tableau 7). 40 Tableau 7. Dépenses de la Sécurité Sociale destinées aux pensions (en euros) Pensions de retraite 2009 2010 2011 2012 23.966.841.791 24.907.796.664 26.594.215.027 28.489.032.498 407.107.863 415.122.707 437.122.513 472.405.237 GRAPA Source : ONP, SdPSP ET SPF SÉCURITÉ SOCIALE L'allocation pour l’aide aux personnes âgées (APA – cf. tableau 8) est une aide financière complémentaire attribuée à charge du SPF Sécurité sociale dans le cadre des allocations aux personnes handicapées et qui permet de venir en aide aux personnes âgées en situation de perte d'autonomie. Sa perception est donc liée, tout comme la GRAPA, à un critère d’âge établi à 65 ans mais aussi à des conditions de revenus et de dépendance. Le degré de sévérité de la dépendance est estimé par un médecin du Service Public Fédéral de la Sécurité sociale à l’aide de l’échelle de Katz (la référence officielle en Belgique pour mesurer un niveau de dépendance aussi bien pour des interventions de l’assurance-maladie qu’en maison de repos) ou de l’échelle APA [9]. Via cette attribution, nos dirigeants entendent favoriser le maintien à domicile en allégeant la charge financière incombant aux séniors pour les soins et les services inhérents à leur perte d’autonomie. Tableau 8. Quelques chiffres concernant l’allocation pour l’aide aux personnes âgées Nombre de bénéficiaires APA Dépenses APA 2009 2010 2011 2012 134343 143566 149111 151083 433.135.000 455.355.000 478.527.000 490.628.053 en € Source : ONP, SdPSP ET SPF SÉCURITÉ SOCIALE 41 2.1.2 Soutien régional Au niveau régional et toujours dans l’optique des aides à la dépendance favorisant le maintien à domicile, la région flamande a instauré en 2001 un système d’assurance solidaire (la Vlaamse Zorgverzekering) octroyant une allocation forfaitaire servant à couvrir les frais non médicaux et d’assistance des personnes, âgées ou pas, pâtissant d’une dépendance aux soins. La particularité de cette assurance sociale est qu’elle ne couvre qu’une partie de la population belge. La cotisation est obligatoire pour tous les habitants du nord du pays, facultative pour les habitants de la Région bilingue de Bruxelles-Capitale et inexistante en Région wallonne l’excluant ainsi des compétences de l’Etat fédéral. Ainsi, les personnes lourdement tributaires de soins qui sont soignées à domicile et les pensionnaires des maisons de repos, des maisons de repos et de soins et des maisons de soins psychiatriques peuvent avoir recours à l’indemnité prévue moyennant l’affiliation à une caisse d’assurance soins de santé agréée (Zorgkas) ainsi que de l’acquittement d’une cotisation annuelle de 25€ (10€ pour les bénéficiaires de l’intervention majorée). Si les résidents des trois types d’institutions précitées peuvent prétendre à l’allocation sans autre formalité que le remplissage du formulaire ad hoc auprès de leur caisse d’assurance, des justificatifs médicaux complémentaires doivent venir confirmer le besoin pour les personnes jouissant de soins ou d’aides à domicile [10]. L’échelle de profil BEL (pour « basis eerste lijn » - profielschaal en néerlandais) est alors utilisée pour évaluer un niveau de dépendance physique, mentale et sociale. Contrairement à l’APA qui attribue une aide forfaitaire fluctuante en fonction du taux d’autonomie et des revenus, ce système de soutien financier flamand est basé sur le paiement d’une prestation fixe s’élevant à 130€/mois aussi bien pour les soins à domicile que pour les soins en établissement [11]. Le financement de la « Vlaamse Zorgverzekering » émane de deux sources : les subsides de la région flamande et les cotisations des bénéficiaires potentiels. Rappelons que cette quote-part ainsi que l’affiliation auprès d’une « zorgkas » agréée sont obligatoires pour toute personne domiciliée en Flandre et âgée de plus de 25 ans. 42 Ces caisses d’assurance dépendance agréées sont les organismes compétents pour percevoir les cotisations, examiner les demandes d’interventions et les consentir ou pas (cf. tableau 9). Elles sont reprises en sociétés mutuellistes et compagnies d’assurances privées. Tableau 9. Dossiers Vlaamse Zorgverzekering acceptés et nombre d’affiliés par région (au 31 décembre) Dossier acceptés (DA) Nombre d'affiliés (NA) ratio DA/NA Flandre Bruxelles Total (en %) 2007 180.321 4.381.357 54.405 4.435.762 4,07 2008 188.399 4.408.244 50.614 4.458.858 4,23 2009 200.843 4.453.496 51.534 4.505.030 4,46 2010 210.215 4.453.974 50.429 4.504.403 4,67 2011 217.429 4.468.244 49.531 4.517.775 4,81 4.521.984 47.193 4.569.177 4,88 2012 222.798 Source: Zorg en gezondheid [12] Soulignons le fait que, au-delà de la volonté de soutenir le maintien à domicile, le gouvernement de la Communauté flamande entend également valoriser l’aide informelle puisque, grâce au pécule mensuel alloué, le bénéficiaire est libre d’indemniser les personnes qui fournissent régulièrement une aide. 2.2 Politiques étrangères Effectuons à présent un tour d’horizon des approches voisines déployées en France, Allemagne, au Pays-Bas et Luxembourg afin d’examiner leurs politiques de prises en charge de la dépendance. 2.2.1 France Les politiques à l’égard des aînés ont connu en France au cours des cinq dernières décennies de profonds bouleversements transférant de l’État aux départements la majeure partie de la politique de la vieillesse (Finielz, Piotet, 2009). Depuis 2002, les personnes reconnues comme dépendantes bénéficient d’une allocation personnalisée d'autonomie (APA également mais à ne pas confondre avec l’acronyme belge), 43 qui est allouée par les conseils généraux (les départements) et dont le montant mensuel est lié au degré de dépendance, au lieu de vie (au domicile ou en maison de repos) et aux revenus du bénéficiaire [13]. Le degré de dépendance est déterminé par la grille de mesure « Aggir » (pour Autonomie Gérontologie Groupes Iso-Ressources) qui en échelonne la sévérité selon six groupes isoressources (Gir) : le premier reprenant les personnes les plus profondément dépendantes, et le sixième les plus autonomes (Loones et al., 2009). L’allocation APA française est ainsi octroyée aux personnes estimées en Gir 1 à 4. L’évolution des politiques vieillesses, notamment afin de retarder le plus possible la dépendance des personnes âgées, a également amené l’Etat à envisager les problématiques liées à l’avancée en âge sous plusieurs angles dont celui de la fragilité. En effet, en partant du constat que la dépendance survenait plus tardivement mais que le vieillissement de l’individu augmente la probabilité de tomber malade ou d’être atteint d’une infirmité handicapante, certains segments de la population des âgés ont ainsi pu être qualifiés de fragiles ou reconnus comme socialement fragilisés (leur approche de la fragilité n’est pas exclusivement médicale). La Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) est un établissement public français chargé d’organiser et de gérer la retraite du régime général de la Sécurité social (Mayeur, 2013). Par le biais de prestations d’action sociale, elle œuvre notamment auprès d’un public de retraités non dépendants, qui n’entrent pas dans la sphère de compétence de l’APA (donc les personnes catégorisées en «Gir 5 et 6») mais considérés comme étant fragiles (suite à un évènement affectif, un changement survenu, un accident de santé, etc…) afin de les aider, temporairement ou pas, à maintenir un état d’autonomie le plus longtemps possible et justement ainsi éviter le basculement dans la dépendance. Plus qu’un simple organisme de versement des pensions de retraite, la CNAV œuvre dans la détection des situations de fragilité et propose alors un plan d’action personnalisé comprenant le déploiement de prestations diversifiées telles que les tâches ménagères, les courses, les repas, le transport, l’hygiène, la sécurité, le logement, le cadre de vie…. Le bénéficiaire contribue au financement de ces dernières en fonction de son niveau de ressources. Ajoutons également que, dans le cadre de sa politique d’action sociale, la CNAV a la volonté de contribuer financièrement à la création de structures d’accueil adaptée à mi-chemin entre le domicile et le lieu de vie collectif destinés aux retraités non dépendants mais reconnus comme 44 fragiles, à cause de leur âge, d’un certain confinement sociétal, d’un manque de ressources ou encore de mauvaises conditions de vie. L’archétype français relatif à l’hospitalisation à domicile est sans conteste également à mettre en exergue de par son développement au cours des 10 dernières années (Lambert, 2011). Gérée par les autorités régionales, la plus grande partie de coûts de l’hospitalisation à domicile (80%) est pris en charge par l’assurance maladie et la partie restante par le patient (Yalcindag, 2014). La volonté est de favoriser le maintien à domicile même en cas de maladie ou de handicap et de réduire les coûts nationaux en matière de soins de santé par l’organisation d’alternatives moins couteuses à la sécurité sociale. Nul doute que ces approches françaises semblent être en avance par rapport à nos systèmes en place et mériteraient que nos pouvoirs publics, au travers de cellules de travail, s’y penchent plus en profondeur afin d’en analyser les bien-fondés et d’en détecter les faiblesses. Ces modèles pourraient ainsi être une source d’inspiration pour le développement de politiques nationales futures dans l’appréhension de la problématique du vieillissement. 2.2.2 Allemagne Le régime légal de sécurité sociale allemand comprend une assurance maladie et une assurance dépendance obligatoire qui couvre toutes les formes de pertes d'autonomie, indépendamment de l'âge. Les deux couvertures sont gérées par des caisses maladies [14]. Le système obligatoire est à la fois public et privé. Il est donc important de noter que les personnes ayant opté pour une assurance maladie privée sont également tenues de souscrire à l’assurance dépendance organisée par leur organisme privé. Dans les deux cas de figure, un assuré sera considéré comme dépendant s’il est atteint de maux physiques, mentaux ou psychiques ou d’un handicap nécessitant une aide sur une période d’au moins 6 mois pour accomplir les activités de la vie quotidienne. La reconnaissance de la situation de dépendance touche les 4 domaines suivants: l'hygiène corporelle, l'alimentation, la mobilité et l'entretien du ménage. Quatre catégories ont été agencées pour en distinguer la sévérité, dont une nouvelle, la catégorie 0, qui a été instaurée le 1er janvier 2013. La graduation se fait ainsi de 0 à 3 où le plus petit chiffre représente le degré le moins lourd. 45 Les prestations prévues sont fonction du degré de dépendance ainsi que du besoin en soins/services (avec une distinction entre soins ou services prodigués à domicile et en institution). Que l’affilié ait opté pour la branche publique ou privée, l’ampleur de ces prestations est équivalente. Néanmoins, dans le chef de l’assurance publique, elles peuvent être : en nature (soins dispensés par un organisme attaché à la caisse maladie) en espèces pour lesquelles l’assuré se charge lui-même de solliciter les soins ou les services appropriés (aide ménagère, toilette,…) en combinaison des deux options précédentes Dans le modèle privé, les prestations sont exclusivement prévues en espèces et les prestations en nature sont commutées en un financement des frais correspondants. Signalons encore que l'attribution de ces dernières n'est pas liée aux ressources des bénéficiaires. Les politiques de prévention ne sont pas vraiment apparentes. Des actions à l’égard des personnes âgées pré-fragiles ont certes été développées [15] mais il ne s’agit là que de faits isolés qui ne s’inscrivent pas encore réellement dans une stratégie globale des pouvoirs publics allemands. 2.2.3 Pays-Bas Les dispositions en matière de prise en charge de la dépendance en Hollande ont été revues au 1er janvier 2007 (Kamette, 2011). Jusqu’alors, il incombait à l'assurance pour frais exceptionnels de maladie (AWBZ pour Algemene Wet Bijzondere Ziektekosten), une branche de l’assurance maladie obligatoire légale hollandaise, de couvrir les risques relatifs aux soins pour les hospitalisés de longue durée, les personnes âgées, les invalides et les handicapés mentaux souffrant de problèmes chroniques [16]. Suite à l’adoption de la loi sur l'aide sociale (WMO pour wet maatschappelijke ondersteuning), entrée en vigueur au moment de la réforme susmentionnée, l’AWBZ s’est délestée de la gestion de toutes les prestations d'assistance à caractère non médical au profit 46 des communes, afin de pouvoir se concentrer exclusivement sur le volet des pathologies profondes. Avec la WMO, la volonté est de maintenir l’indépendance de personnes fragiles et de favoriser leur vie sociale. Pour cela, les municipalités néerlandaises sont ainsi tenues d’apporter à ces dernières le soutien nécessaire au travers des services favorisant l’autonomie et le maintien à domicile. Les bénéficiaires ont ainsi le choix entre des prestations en nature ou une allocation en espèces pour obtenir de l’aide de différentes natures [17], comme par exemple (la liste n’est pas exhaustive) : Aide dans la réalisation du ménage (rangement, nettoyage,...) Adaptation de l'habitat comme l'installation d'un monte-escalier ou d'un siège de toilette surélevé Transport de personnes qui ne peuvent utiliser les transports en commun Livraison de repas Matériel médical … A ce titre, on peut dire que cette loi sur le soutien social s’inscrit dans une démarche de gestion compensatoire de la dépendance légère. En parallèle et à l’image de la France, la Hollande promeut également ardemment le système d’hospitalisation à domicile. En 2006, les Pays-Bas était d'ailleurs un des pays pour lequel on observait des durées de séjours classiques parmi les plus faibles et ayant le moins recours à l'hospitalisation traditionnelle par rapport aux autres patients européens (Lambert, 2011). 2.2.4 Luxembourg Le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg prévoit également une assurance dépendance dans le fondement de sa sécurité sociale. Elle est complémentaire à l’assurance maladie obligatoire dans la mesure où elle couvre les aides et les soins non pris en charge par cette dernière [18]. 47 Comme pour les autres pays étudiés, elle a pour vocation la compensation partielle des coûts engendrés par les soins et les aides pour accomplir les actes de la vie quotidienne (se laver, se nourrir, se mouvoir,…). Les prestations sont fournies indépendamment du niveau de revenus des bénéficiaires et les demandes doivent être adressées à la Caisse Nationale de Santé (CNS ou Gesondheetskees). L'évaluation est réalisée par la Cellule d'évaluation et d'orientation (CEO), l’organe chargé de vérifier l'état de dépendance et d'en déterminer la profondeur après toute demande de prestation transmise par la CNS [19]. Les interventions de l’assurance dépendance peuvent être en nature ou en espèces. De plus, cette couverture prend également en charge les produits nécessaires aux aides et soins, les aides techniques ainsi que les adaptations du logement. Les bénéficiaires qui vivent à domicile peuvent profiter de services de proximité et de services de maintien à domicile, tels que le repas-sur-roues, les services d’appel pour une assistance externe ainsi que les services d’aides et de soins à domicile [20]. L’objectif est de faciliter certaines activités de la vie quotidienne et ainsi subvenir aux besoins des personnes dépendantes pour qu’elles puissent demeurer au domicile, dans leur cadre de vie habituel et dans les meilleures conditions possibles. Signalons enfin qu’une intervention en espèces afin de rétribuer les prestations en nature de l’aidant informel est également possible tout comme la prise en charge de certains besoins des personnes vivant en maisons de repos tels que les prestations en nature, les produits nécessaires aux aides et soins et, de manière exceptionnelle, certains appareils (Cleiss, 2014). Dans le cas du Luxembourg également, la volonté est de favoriser le maintien au domicile le plus longtemps possible par des mesures de compensation de l’état de dépendance. 2.3 Conclusion Au final, on constate que la majorité des dispositions prévues par notre pays, aussi bien d’un point de vue financier, au travers de l’APA et de l’assurance dépendance flamande, que d’un point de vue pratique, via les services de coordination et de gestion de l’aide à domicile, visent les personnes qui présentent déjà un état de dépendance avéré. A l’étranger, et plus particulièrement en Allemagne, au Pays-Bas et au Grand-Duché de Luxembourg, la tendance est un peu la même puisque les dispositions en place visent à 48 favoriser le maintien à domicile en compensant, via des prestations en espèces et/ou en nature, les situations de dépendance. Aussi utiles et nécessaires que ces mesures puissent être, n’y aurait-il pas également lieu pour les pouvoirs publics de s’interroger sur la constitution de politiques préventives qui viseraient à réduire les dépendances pathologiques, à consolider et encourager le développement de l’aide informelle familiale et à diminuer certains placements évitables en institution? L’orientation française dirige en partie ses efforts dans ce sens puisqu’une volonté à aider les personnes âgées à conserver leur autonomie le plus longtemps possible est clairement exprimée au travers des actions de la CNAV. La notion de fragilité est ainsi au cœur de la stratégie de prévention de la dépendance de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Le contenu de ce concept de fragilité sera largement développé dans la partie 3 suivante. 49 Partie 3. Le concept de fragilité du sujet âgé 3.1 Origine et intérêt de la notion de fragilité Le concept de fragilité tel que nous l’abordons dans le cadre de ce travail est avant tout une notion issue du monde gériatrique qui trouve son origine aux Etats-Unis avant de s’étendre à la plupart des autres pays industrialisés. Bien que des définitions apparaissent déjà à la fin des années 60 pour désigner notamment des patients âgés, désorientés, agités et incontinents (Allier, 2013), sa réelle émergence remonte aux années 80 avec les travaux du docteur Laurence Z. Rubenstein qui ont constitué le terreau pour le développement des différentes approches actuelles. Divers auteurs s’y sont intéressés rendant les définitions variables et évolutives avec le temps. En effet, chacun a appréhendé la fragilité en fonction de son centre d’intérêt provoquant depuis lors l’absence d’une définition consensuelle bien qu’il n’y ait pas de controverse sur le fait qu’elle puisse être reconnue comme une vulnérabilité aux événements indésirables survenant chez les personnes du même âge chronologique (Béland, Michel, 2013). La terminologie s’est imposée progressivement dans le langage gériatrique suite à l’identification d’une portion de la population âgée présentant des risques accrus de mauvais pronostic (mortalité et excès de morbidité donnant lieu à des incapacités) ; (Dramé, 2004). Dans ces conditions, il est donc apparu primordial de pouvoir détecter la fragilité et de la systématiser. Comme évoqué dans la première partie de ce travail, le vieillissement humain est disparate d’une personne à l’autre. Le concept de fragilité a également été introduit en gériatrie pour rendre compte de cette variabilité dans le rythme de vieillissement. Il peut se concevoir comme un vieillissement intermédiaire entre le vieillissement habituel et le vieillissement pathologique. (Nouvel, Jouaffre, 2009) Il est question de sujets semblant incapables de faire face aux agressions de leur milieu (maladie, chute, perte de l’animal de compagnie, dispute, déménagement…) et de se rétablir après de tels événements. 50 La fragilité constitue ainsi un état d’équilibre trompeur et précaire puisque susceptible de basculer soudainement de la bonne santé à la maladie et de l’autonomie à la dépendance. L’attention croissante que l’on porte de nos jours à la notion de la fragilité est corrélée à l’expansion du nombre de personnes âgées et reflète l’incidence de cette augmentation sur notre société. En outre, elle présente aussi une réelle opportunité d’améliorer la santé d’une importante frange de la population et anticiper certaines incapacités sévères. Au fil du temps, sa conceptualisation a évolué d’état de vieillissement accéléré mêlant des symptômes pathologiques, d’altération fonctionnelle et de dépendance vers une approche beaucoup plus globale combinant des facteurs environnementaux, sociaux et psychologiques. Ces facteurs sont décisifs pour pouvoir intervenir en amont du processus de fragilisation, avant même l’apparition de toute manifestation physique, et amènent avec eux à une réflexion nouvelle pour la pratique médicale de par l’envisagement du patient dans sa globalité. De prime abord simple, la thématique de fragilité s’avère assez complexe au fur et à mesure que l’on tente de l’approcher ou de la caractériser tant les définitions regorgeant la littérature sont nombreuses. Il y a d’ailleurs plusieurs manières de l’envisager selon les différents champs de travail, les buts recherchés et les centres d’intérêts. Au-delà de la vision générale jusqu’à présent décrite, on peut encore s’intéresser à ses éléments déclencheurs afin d’identifier les paramètres de risques de décompensation. S’attarder sur l’évaluation de la fragilité est utile à bien des niveaux et présente différentes finalités: évaluer les ressources physiologiques d’un individu, déterminer un pronostic, anticiper la dépendance grâce à la détection d’une population à risque, faciliter le choix de la thérapie. En effet, grâce aux différents modèles de fragilité qui seront abordés au point suivant, la survenue d’effets indésirables devient ainsi prévisible permettant d’établir un pronostic pour un patient donné et de prendre alors une décision thérapeutique la plus adéquate. Le fait de pouvoir identifier des individus à risque permet encore d’envisager des programmes préventifs et d’accorder une attention particulière à ce segment de la population pour le maintien de leur état de santé. Il devient alors possible, via une prise en charge adaptée, de repositionner des sujets fragiles sur la trajectoire d’un vieillissement « normal » ou « réussi » et réduire les risques de perte d’autonomie et de dépendance. 51 Dans une dimension prédictive, le concept de fragilité pourrait très bien s’avérer profitable, de manière non exhaustive, aussi bien pour: La personne âgée : dans un souci de conservation d’un état de bonne santé le plus longtemps possible Le médecin : dans une optique de prévention des maladies et de la dépendance L’Etat : dans l’évaluation des coûts liés aux pathologies et à la dépendance ainsi que dans la répartition des aides publiques Aujourd’hui plus que jamais, le sujet suscite de plus en plus de travaux de recherche dans le milieu de la gérontologie, car l’enjeu en termes de santé publique est immense renforçant ainsi le souhait de certains de l’étendre à l’ensemble de la pratique médicale. Pour terminer, ajoutons que, aussi complexe et difficile soit elle à cerner, la notion de « fragilité » bénéficie d’un certain succès contemporain dépassant largement le milieu gériatrique. Le mot en lui-même évoque quelque chose de frêle et d’éphémère tout en ayant une connotation d’élégance, ce qui est complètement à l’opposé des représentations sociales usuelles et négatives de la vieillesse. Le terme a l’avantage de définir des personnes âgées malades sans toutefois générer de la peur ou de l’angoisse. Mais, même en l’absence d’une définition unanime couplée à une littérature abondante, gardons-nous d’assimiler ce thème cher aux gériatres à un concept marketing puisque, dans les faits, deux patients du même âge, souffrant de la même pathologie et bénéficiant d’un même traitement n’auront pas le même pronostic. A ce titre, la pensée de l’écrivain Etgar Keret qui disait, dans un contexte hors gériatrique, que « notre fragilité est ce qui nous rend uniques » (Campistron, 2013) prend ici toute sa dimension. 52 3.2 Evolutions conceptuelles et tentative de définition de la fragilité Nombreux sont les médecins rapportant qu’ils peuvent reconnaître la fragilité lorsqu’ils la voient mais qu’ils sont incapables de la définir. La fragilité « c’est comme de l’art. On ne peut la définir mais on sait l’apprécier » (Renaut, 2004). Au début des années 80, Bortz (Bortz, 1993) envisageait la notion comme un manque d’énergie suite à l’interaction de deux paramètres : Les effets de l’âge sur la santé : C’est un facteur inévitable Les effets de la maladie et de l’absence d’activité (principe de la « non utilisation») : on peut les prévenir via un dépistage précoce et un traitement adéquat. En 1984, Morris, Sherwood et Mor associaient la fragilité à la vulnérabilité (Morris et al., 1984) avant que d’autres auteurs n’y incluent un paramètre de chute de l’homéostasie (Carlson et al., 1998) due à l’âge et amenuisant les résistances de l’organisme en cas d’agressions aussi minimes soient-elles. Fin de cette même décennie, Woodhouse reconnait dans le terme des personnes de plus de 65 ans tributaires de tiers pour accomplir certaines activités de la vie quotidienne (se laver, s’habiller, se déplacer au domicile, être continent et s’alimenter) ; (Woodhouse et al., 1988). Il est intéressant de noter que, dans le cadre de ces premières définitions, les termes d’incapacité et de fragilité se confondent alors qu’ils sont reconnus aujourd’hui comme des concepts distincts même si pouvant se chevaucher. Par la suite, en 1994, Fried et ses collaborateurs élaborent la notion de « syndrome de fragilité » (Fried, 1994) qui est largement rependue de nos jours et qui constitue une référence gériatrique considérable. Cette approche « phénotypique » comme l’appellent les gérontologues (ou encore de fragilité physique) s’appuie sur une « vulnérabilité physiologique liée au vieillissement, conséquence d’une altération des réserves homéostatiques et d’une baisse des capacités de l’organisme à répondre à un stress » (Chassagne et al., 2009). 53 Pour Fried, les patients identifiés comme fragiles présentent plusieurs troubles (comorbidités) responsables de problèmes de chute, de mobilité, d’incontinence ou encore de confusion mentale et conduisant à une perte d’indépendance fonctionnelle (Fried et al., 2001). Un peu plus tard, Lipsitz voit dans la fragilité une réponse mal adaptée au stress physiologique (Lipsitz, 2004) pendant que Verbrugge ajoute au modèle de Fried un état de faiblesse et de vulnérabilité avec toujours, en filigrane, la perte des réserves physiologiques (Verbrugge , 1991). Dans le même ordre d’idées, Buchner associe, quant à lui, la fragilité à une diminution des réserves physiologiques et une susceptibilité aux incapacités (Buchner, Wagner, 1992). Ces approches font progresser le concept de la fragilité vers un risque pour une personne âgée d’acquérir ou d’aggraver, essentiellement lors d’événements négatifs, des restrictions fonctionnelles ou des incapacités. Ces visions ont, en outre, le mérite de mettre en exergue la différenciation entre les concepts de fragilité, d’incapacité et de comorbidités. Afin de tenter d’identifier les patients fragiles, les experts s’intéressent par la suite à la recherche de variables ou de caractéristiques suffisamment pertinentes pour servir de base à la constitution d’éventuels modèles de fragilité. Plusieurs paramètres sont donc avancés comme une baisse des capacités de mobilité, d’équilibre et d’endurance pour certains, une perte d’équilibre avec l’environnement ou le fait d’être dépendant (ou avoir un risque élevé de le devenir) pour les activités de la vie quotidienne pour d’autres. Les différents modèles ne s’excluent pas les uns les autres et sont hautement fonction des domaines d’intérêts des chercheurs. Plusieurs approches sont ainsi distinguées (Dramé, 2004): L’approche physiologique ou fondamentale : fondée sur la perte des réserves physiologiques réduisant les facultés d’homéostasie de l’individu faisant de la fragilité un précurseur de l’incapacité. L’approche médicale : s’appuie sur des signes cliniques comme des chutes répétées, l’incontinence, la déshydratation,... Dans cette optique, il y a une analogie entre fragilité et syndromes gériatriques. Un peu à l’image de l’effet dominos pour lequel la chute d’un élément va entrainer celle des autres, la dégradation d’un système va entrainer celle d’un autre pour arriver à une situation multi-systémique. En guise 54 d’exemple, prenons le cas classique d’une personne âgée subissant une chute qui entraine une fracture sur ostéoporose. La douleur ressentie, la prise d’antalgiques conjugués à une hospitalisation et un choc opératoire pourraient mener à de la confusion mentale. En un rien de temps, un sujet jusque-là autonome peut basculer dans un état de dépendance voire évoluer vers un syndrome de glissement à l’issue fatale. L’approche biologique : fait correspondre la fragilité à un syndrome d’épuisement des réserves et de fonte musculaire excessive. La fragilité pourrait être ici caractérisée par les signes biologiques de la dénutrition associés à l’usure de certains organes (reins, cœur, poumons,…). L’approche fonctionnelle : caractérise comme « non fragile », l’individu qui fait face à une maladie sans répercussion fonctionnelle. Dans cette perspective, la fragilité renvoie à un état de dépendance pour la réalisation des AVQ et est assimilée à la notion d’incapacité. D’autres modèles ne se penchent pas exclusivement sur l’aspect physique et intègrent une vision plus globale des sujets âgés et de la fragilité (Allier, 2013): L’approche dynamique : chère à Rockwood (Rockwood et al., 1994) et à Blocklehurst (Dramé, 2004). C’est un modèle suivant lequel la fragilité se situe à mi-chemin entre des « atouts » et des « désavantages ». Les individus peuvent ainsi être intégrés dans trois groupes : 1. Celui dans lequel les « atouts » sont plus importants que les « déficits » : on y trouve des sujets sans dépendances notoires. 2. Celui inverse dans lequel les « déficits » sont plus importants que les « atouts » : on y trouve des sujets dépendants qualifiés de fragiles souvent placés en maison de repos. 3. Celui situé entre les deux premiers dans lequel les « atouts » sont plus ou moins équivalents aux « déficits » : on y trouve des sujets également qualifiés de fragiles mais qui ne sont pas institutionnalisés. 55 La fragilité est ici assimilée à un modèle d’équilibre entre les « atouts » qui consolident l’état d’indépendance et les « déficits » ou « désavantages » qui le mettent en péril. Les fragiles étant naturellement les personnes dont les « désavantages » prennent le pas sur les « atouts ». Supposée en constante évolution chez une même personne, la fragilité pourrait tant s’aggraver que régresser. Elle se manifeste, d’après cette approche, suite à des événements stressants de nature médicale, sociale ou psychologique. L’individu, déjà dans une condition précaire, voit son état déstabilisé par des incapacités qui peuvent donc être passagères. Une perte d’autonomie est dans ce cas réversible. L’approche socio-environnementale : corrélée à la vieillesse et l’environnement. Lorsque l’on avance en âge, les réserves fonctionnelles s’amenuisent et les capacités de l’organisme à combattre les agressions s’atténuent, rendant tout sujet âgé vulnérable aux contraintes extérieures. Le vieillissement est un perpétuel combat d’ajustement de sa propre stabilité et constitue aussi en ce sens un équilibre précaire. La fragilité du sujet âgé peut être la conséquence d’une maison inadaptée, de l’inexistence de survenue d’aide menant à l’isolement et à l’exclusion sociale. L’approche psycho-dynamique : fait interagir des facteurs personnels et environnementaux faisant de la fragilité un mécanisme dynamique impliquant aussi bien une adaptation des sujets âgés que de leurs entourages, leurs proches, leurs familles ainsi que de leurs prestataires de soins. Lorsque l’on touche à la sphère sociale, l’intégrité psychique du patient est mise à l’épreuve et cela peut entrainer son désintéressement (progressif ou brutal), une crise d’identité dont les syndromes de transformation du corps, de baisse des capacités physiques et de perte d’un ancien statut social ne sont pas étrangers, une perte de sa propre estime et un sentiment d’angoisse lié aux idées d’abandon et de mort prochaine. La société a également sa part de responsabilité dans la dépendance du sujet âgé en légitimant une certaine inactivité ainsi qu’une absence de devoirs pour nos ainés qui sont deux facteurs de fragilité (Kagan, 2003). Ajoutons enfin que, selon cette conception, un trop plein d’épreuves successives telles que des deuils, des séparations, des difficultés financières peut également conduire à la fragilisation. 56 Depuis son émergence, le concept de fragilité n’a eu cesse d’évoluer et continue toujours à constituer matière à réflexion notionnelle. Malgré les différentes approches et en l’absence d’une définition unanime, on remarque néanmoins certains termes récurrents parmi la multiplicité des définitions proposées. Trois éléments ont ainsi retenu notre attention : « état d’équilibre », « risque » et « syndrome ». La fragilité est souvent présentée comme un état d’équilibre instable entre deux balises pouvant différer d’un auteur à l’autre. Par exemple, si l’on se réfère à Piette et Boumendil, « la fragilité décrit précisément un état d’équilibre précaire avec un risque de déstabilisation, une sorte d’état intermédiaire entre la robustesse et la dépendance » (Michel, 2012). Pour les gériatres Jean-Pierre Michel et Christophe Trivalle, cette situation d’équilibre précaire peut être plus largement située « entre la bonne santé et la maladie, l’autonomie (mentale) et sa disparition, l’indépendance (physique) et sa perte, l’existence de ressources et leur épuisement, la présence d’un entourage affectif ou aidant et le total isolement » (Michel, 2002). La fragilité s’exprime également comme un risque. Celui de développer ou d’amplifier, à un âge avancé de sa vie, des limites ou des inaptitudes dues à la conjugaison de déficiences. Enfin, elle est encore fréquemment exposée comme un syndrome, par opposition à une pathologie, qui découle d’une diminution des réserves physiologiques (ou fonctionnelles) provoquée par un ensemble de troubles en chaine et qui complique les réponses de l’organisme face à des stress aussi anodins soient-ils. Pour synthétiser, il ressort donc de ce chapitre que le concept de fragilité réunit les trois ordres de fait suivants : C’est une manifestation multifactorielle. Les causes sont excessivement variées (stress en tous genres) et opèrent de manière dynamique à différents niveaux entre le sujet âgé et son environnement. C’est une manifestation multi-systémique en rapport avec la vieillesse et altérant l’organisation des fonctions organiques d’un individu. 57 C’est un phénomène en changement constant qui peut basculer d’un côté comme de l’autre et donc tout à fait réversible pour certaines de ses composantes. La baisse des réserves fonctionnelles serait ainsi à l’origine d’un processus de fragilisation latent, décelé et accentué face à des stress mêmes mineurs (déménagement, maladie, décès conjoint, etc.), augmentant la vulnérabilité et les risques d’effets néfastes tels que la progression d’une maladie, les chutes, les incapacités, l’institutionnalisation, l’hospitalisation et le décès prématuré. Le docteur Trivalle en propose une définition assez simple, illustrant efficacement la notion et correspondant à « l’impossibilité de répondre de façon adaptée à un stress, qu’il soit médical, psychologique ou social » (Trivalle, 2009). 3.3 Quelles relations entre fragilité, vieillissement, perte d’autonomie et dépendance La différentiation des concepts de fragilité, de vieillissement et de dépendance est de prime abord complexe. Il nous est apparu important de nous pencher sur la question tant les notions apparaissent comme entremêlées et interactives. 3.3.1 Fragilité et vieillissement Pour plusieurs raisons, l’amalgame entre fragilité et vieillesse est tentant. D’une part, la plupart des champs de la fragilité évoqués dans le point 3.2 précédent sont également habituels à la vieillesse. Ensuite, certains processus de modifications pathologiques des fonctions de l’organisme dues au vieillissement sont indissociables de la fragilité. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ne meurt pas de « vieillesse » mais de maladie et, en poussant le raisonnement un peu plus loin, le plus souvent de pathologie aiguë que l’on sait pour la plupart guérir. Un stress aigu provoque en effet une réaction de défense de l’organisme tout autre qu’un stress chronique. En ce sens, comme évoqué dans l’approche socio-environnementale de la fragilité, on peut dire que la vieillesse est un enchainement d’évènements auquel le sujet âgé s’adapte de manière chronique. Cette contrainte a alors comme conséquence la diminution de notre capacité d’adaptation à la pathologie aiguë. 58 Ladislas Robert, docteur en médecine et en sciences et auteur de nombreux travaux en gérontologie, caractérise d’ailleurs le vieillissement comme « l’incapacité progressive de l'organisme à s'adapter aux conditions variables de son environnement » (Robert, 1994). Cette définition présente des similitudes avec les éléments conceptuels précédemment explorés dans notre travail au sujet de la fragilité. Dès lors, comment pourrait-on nuancer les deux notions ? Pour tenter d’y répondre, basons-nous sur le schéma de Bouchon datant de 1984 et encore largement utilisé de nos jours en gériatrie pour évoquer le concept de décompensation et de fragilité. Bouchon pense que les décès des sujets âgés surviennent ou risquent de survenir à cause de la défaillance d’un ou de plusieurs organes. Trois ordres de fait peuvent ainsi influencer la survenue d’une situation de défaillance : le vieillissement physiologique des organes, les pathologies chroniques et les facteurs de décompensation (ou maladies aiguës – cf. figure 1) ; (Pradines, 2008). Figure 1. 1+2+3 en gériatrie de J.P. Bouchon Source : J.P. Bouchon, "1+2+3 ou comment tenter d'être efficace en gériatrie", Rev pathologique Prat, 1984 59 Comme représenté schématiquement, la courbe 1 représente les effets du vieillissement des organes. Ces seuls effets n’aboutiraient jamais à la décompensation fonctionnelle. La courbe 2, traduit l’effet d’une maladie chronique. Le produit des courbes 1 et 2 combinées précipite ainsi le sujet dans la zone d’insuffisance. Cette réaction s’accélère encore davantage sous la pression ajoutée de la courbe 3 représentant un facteur aigu de décompensation. Le modèle de Bouchon donne une façon d’interpréter les signes cliniques que présentent les sujets âgés. Quand on passe en dessous du seuil d’insuffisance, c’est l’organe incriminé qui va cliniquement s’exprimer en premier. Imaginons, en effet, un sujet souffrant d’une insuffisance cardiaque (courbe 2). La moindre petite pathologie aigue (courbe 3) qui va demander au cœur de travailler un peu plus va le précipiter dans une insuffisance fonctionnelle. Sa présentation clinique va davantage ressembler à une insuffisance cardiaque qu’à la petite maladie aiguë qu’il présente, que ce soit un rhume ou une infection urinaire ou toute autre pathologie n’ayant rien à voir avec le cœur. On mesure ainsi la complexité dans laquelle on peut se retrouver face à un sujet âgé défaillant qui ne va pas forcément s’exprimer sémiologiquement dans le secteur pathologique aigu qu’il présente. Bien que la fragilité ait tendance à se fondre dans la notion générale de vieillissement, elle n’en demeure pas moins qu’une des composantes des risques liés à ce dernier car l’âge n’explique pas à lui seul ce syndrome. D’ailleurs, si le vieillissement prédispose à la fragilité, toutes les personnes âgées ne sont pas nécessairement fragiles. Si l’on devait intégrer le concept de fragilité au schéma de Bouchon, on aboutirait à des pentes 2’ et 3’ plus raides et plus précoces traduisant le déclenchement de pathologies 2 et/ou 3 de manière plus soudaine voire plus grave augmentant ainsi l’impact de l’infection aiguë (voir figure 2). 60 Figure 2. Infections intercurrentes et vieillissement + fragilité, inspiré du schéma du Professeur J.P. Bouchon Source : Allier J.L., « La fragilité en pratique clinique », L’Harmattan, novembre 2013 La fragilité agirait donc comme un paramètre additif faisant accélérer le vieillissement vers ses effets négatifs. Revenons maintenant vers les trois types de vieillissement abordés au point 1.1.2 : réussi, normal ou pathologique. On constate qu’ils sont liés de par le fait que tôt ou tard, le vieillissement réussi finira par basculer vers un vieillissement d’une des deux autres formes. Le Professeur Balas précise également que dans le chef du vieillissement avec pathologie, la maladie qui le caractérise évolue dans le domaine nosologique qui lui est propre, maintenant pratiquement intacts les autres paramètres fonctionnels. Dans ce cas, si la maladie peut être ralentie (ou si elle disparait), les capacités peuvent être pleinement retrouvées projetant alors le sujet âgé dans la forme de vieillissement avec succès [21]. D’un autre côté, toujours selon le Professeur Daniel Balas, ce même vieillissement pathologique peut s’associer à la fragilité, « avec une amplification réciproque des conséquences morbides ». En ce sens, la fragilité constitue un nouvel aspect du vieillissement qui se situe entre le vieillissement pathologique et le vieillissement normal (cf. figure 3). 61 Figure 3. Fragilité, nouvel aspect du vieillissement et étape intermédiaire entre vieillissement normal et pathologique Source : Allier J.L., « La fragilité en pratique clinique », L’Harmattan, novembre 2013 Dans le processus même du vieillissement, la fragilité doit alors être considérée comme un état intermédiaire, mais distinct des deux modalités extrêmes (les vieillissements pathologique et réussi), et dont le processus intrinsèque pourrait, lui, être réversible et, de par cet aspect, différencié du vieillissement lui-même (Lang et al., 2011). 3.3.2 Fragilité, perte d’autonomie et dépendance Au point 1.2.1, nous avons défini la dépendance comme étant la nécessité de recourir à une aide extérieure pour effectuer certains actes de la vie quotidienne. Situer la relation entre fragilité et dépendance s’avère assez utile dans une optique de mise en place de potentielles modalités d’intervention auprès du public. Si elles arrivaient à prévenir ou du moins à retarder la dépendance, ces actions pourraient également contribuer à faire diminuer la charge financière de certaines dispositions en faveur des sujets dépendants prévues par le législateur et mises en évidence dans la deuxième partie de ce travail mais aussi à rationnaliser le maintien de la personne âgée au domicile en le rendant durable. 62 Avant d’aborder les interactions entre dépendance et fragilité, il est primordial de saisir en amont la nuance entre perte d’autonomie et dépendance. La perte d’autonomie, tout comme la dépendance, peut être intégrée dans un maillon de la séquence de Wood qui est elle-même schématisée à la figure 4 : Figure 4. Séquence de Wood Source : Syndicat National des Généralistes et gériatres Intervenant en EHPAD [22], www.amcehpad.fr/IMG/ppt/La_sequence_de_WOOD.ppt La déficience résulte d’une altération d'un organe, d'un appareil ou d'un système. Elle provient la plupart du temps d’une maladie et peut être exacerbée par le vieillissement. En guise d’exemple, citons la diminution de la force de préhension d’une main suite à une maladie neurologique. L'incapacité est une des conséquences de la déficience et se traduit par des difficultés ou des impossibilités à accomplir des actes élémentaires comme, dans le cadre de notre exemple, couper des aliments à l’aide d’un couteau. Le désavantage (terme préféré à « handicap ») découle du point précédent. Il matérialise l'incapacité de la personne à satisfaire certains besoins fondamentaux (au nombre de six pour Wood dont la nutrition dans le cadre de notre exemple) ou à remplir certains rôles sociaux auxquels elle pourrait prétendre comme l’accomplissement d’un travail rémunéré. Attention cependant, le désavantage ne se manifestera que si la personne ne peut pallier à l’incapacité par d’autres ressources matérielles, sociales ou autres,... 63 Ainsi, dans l’exemple qui nous occupe, si le sujet peut s’aider de son autre main ou, imaginons, d’un ustensile technique adapté pour couper ses aliments, son incapacité n’aura pas d’impact sur son environnement. Sinon, l’incapacité sera source de handicap. En se basant sur cet ordre d’idées, on peut donc dire que la dépendance est une conséquence de la perte d’autonomie et les deux notions pourraient se situer comme suit dans la séquence de Wood (voir figure 5). Figure 5. Positionnement de la perte d’autonomie et de la dépendance dans la séquence de Wood Source : adaptation personnelle de la figure 4. Abordons à présent le lien entre fragilité et dépendance qui est source de divergences entre les institutionnels. Les différents points de vue peuvent être synthétisés suivant les trois aspects suivants (Meire, Neirynck, 1997): 1) Fragilité et dépendance : un même risque Pour certains auteurs, la fragilité est intrinsèque. Ce n’est pas un état qui survient brusquement mais qui est latent sur un temps de vie assez long. Tout au long de ce laps de temps, la fragilité se développe différemment d’un individu à l’autre singularisant sa capacité à réagir aux événements de la vie. Selon cette approche, la dépendance n’est pas une notion se distinguant dans le développement de la fragilité mais qui est plutôt perçue comme une suite éventuelle de la fragilité. 64 Cette catégorie d’acteurs appréhende la fragilité comme un risque, une potentialité négative liée à l’individu. La dépendance incorpore cet état et n’est pas appréciée comme un facteur particulièrement marqué dans ce devenir potentiel. Ce positionnement n’appelle pas à la prévention de la fragilité et de la dépendance mais préconise davantage un encadrement global du sujet âgé en étant sensible aux parcours et situations de vie. 2) La fragilité comme entrée en dépendance D'autres acteurs appréhendent la dépendance comme un critère de fragilité et relatent une relation linéaire entre les deux notions. En effet, ces derniers estiment que la fragilité peut graduellement mener, par paliers, à la dépendance faisant alors de cette dernière l'état le plus extrême de la fragilité. Dans ce courant d'idées, fragilité et dépendance se tiennent. On parle d'une détérioration de l'état de fragilité aboutissant à la perte d'autonomie. La dépendance est alors une fragilité aggravée. Cette orientation encourage le déploiement d'actions préventives visant à prendre en charge l'état de fragilité ainsi qu'à prévenir la perte d'autonomie ou d'en atténuer le risque. Pour cela, la distinction de critères de fragilité que nous aborderons au point 3.4 est nécessaire. 3) Fragilité et dépendance : un lien non nécessaire A contrario, certains autres acteurs n'envisagent pas de connexion directe entre dépendance et fragilité. Pour ces derniers, quelqu'un de dépendant n'est pas spécialement pour autant fragile. L'un n'implique pas nécessairement l'autre. Ces acteurs défendent leur positionnement par le fait que la personne dépendante ou en perte d'autonomie peut compenser son handicap ou sa déficience par certaines ressources institutionnelles ou informelles (maison de repos, aidant proche) ou par certaines facilités 65 personnelles comme la capacité de résilience ou une bonne vitalité physique et mentale, la préservant ainsi de basculer dans un quelconque état de fragilité. Les partisans de cette dernière optique préconisent un traitement différencié pour la fragilité et la dépendance. Ils estiment qu’une situation de perte d’autonomie correctement compensée neutralise le facteur de fragilité. En ce qui nous concerne, le fait de devoir, pour un sujet âgé, contrebalancer une situation de perte d’autonomie avec de quelconques ressources pour ne pas tomber en situation de dépendance nous conforte à contrario sur une certaine idée de lien effectif entre fragilité et dépendance. Les chapitres développés précédemment nous ont montré que tout le monde ne réagira pas de la même manière face à une « situation anormale » et la définition même de la fragilité que nous avons arrêtée au point 3.2 nous laisse également penser que tout le monde ne sera justement pas capable de contrebalancer. Selon la séquence de Wood, la dépendance résulte d’une perte de fonction. Si l’on se réfère à la notion de risque abordée également dans le point 3.2 de ce travail, on peut dire que la fragilité est, dans cette optique, un risque de perte fonctionnelle. Pour ces raisons, nous aurions tendance à également percevoir un continuum entre les deux notions mais plus dynamique que linéaire (voir figure 6) et à envisager la dépendance comme ultime état viable de la fragilité. De plus, le fait que le processus de fragilité puisse être réversible est une preuve supplémentaire qu’il est possible d’envisager des actions dans une perspective de prévention et de ne surtout pas percevoir cette évolution comme une fatalité liée à l’âge. Selon les gériatres, « pour prévenir la fragilité, ce sont des stratégies globales, orientées vers l’exercice, la nutrition, l’optimalisation et la correction des troubles sensoriels, ainsi que la prévention secondaire et tertiaire des maladies chroniques invalidantes, qui sont opérantes » (Swine Ch., Cornette P., 2002). 66 Figure 6. Représentation dynamique de la relation autonomie - fragilité - dépendance Source : Professeur Berrut G., Conférence « De la fragilité de la personne âgée à l’évaluation gérontologique », La Roche sur Yon, 12 octobre 2010 [23] 67 3.4 Quels sont les critères de fragilité et quels en sont les outils d’évaluation? Avant d’entamer ce point, situons schématiquement au préalable la fragilité comme une dimension distincte des maladies et des déficits, comme nous l’avons abordé au cours des pages précédentes. La figure 7 aidera en effet à mieux cerner les différences entre les deux principales approches en matière de repérage de la fragilité. Figure 7. Représentation de la relation fragilité comme une dimension de la santé distincte de la morbidité et des déficits fonctionnels dans une population de PA Source : Béland F., Michel H., « La fragilité des personnes âgées. Définitions, controverses et perspectives d’action », Presses de l’EHESP, juillet 2013 En l’absence de définition conceptuelle et faisant ainsi écho aux différentes approches, de nombreux outils de mesure ont été présentés pour distinguer la fragilité au niveau individuel. Ces outils découlent néanmoins de deux modèles majeurs de critères de fragilité, à savoir, l’approche phénotypique de Fried et le modèle d’accumulation de déficits de Rockwood (Santos-Eggimann, David, 2013). 68 3.4.1 L’approche phénotypique de Fried Dans le premier, Linda Fried (Epidémiologiste et Gériatre américaine) s’appuie sur cinq indicateurs physiques pour repérer la fragilité. Perte de poids involontaire de plus de 5% par an ou de plus de 4,5 kg dans la dernière année. Difficulté à marcher 100 mètres ou vitesse de marche sur 4,5 mètres inférieure à certains critères. Sentiment d’épuisement exprimé à partir de deux questions inclues dans une échelle « CES-D » de mesure de la dépression. Diminution de la force musculaire (force de préhension). Grande sédentarité, à savoir, aucune activité physique ou moins de 1 à 2 marches par semaine. Les personnes qui ne répondent à aucun critère ne sont pas reconnus comme fragiles, celles qui en remplissent un ou deux sont qualifiés de pré fragiles alors que le qualificatif de fragile est attribué à celles qui en présente trois ou plus. Ces 5 critères ont été retenus après des observations et analyses des données concernant 5317 personnes de plus de 65 ans : 4735 provenaient d’une première cohorte recrutée entre 1989 et 1990 et 582 ont été recrutés entre 1992 et 1993 (Bouchet, 2008). Les individus, après évaluation initiale, ont fait l’objet d’un contrôle de suivi annuel pendant 4 à 7 ans. Toute une série de constats ont ainsi pu être dressés à partir de ces observations compte tenu du nombre d’hospitalisations et de chutes, de la survenue de nouvelles pathologies et des situations de perte d’autonomie sans oublier l’analyse de leur mortalité. A partir de ces références et sur base d’études complémentaires, les partisans du phénotype de fragilité ont constaté que les personnes âgées dites fragiles présentaient un risque plus élevé de maladies, d’institutionnalisation, de fractures de hanche, d’hospitalisations, de chutes, de troubles de mobilité, de perte d’autonomie dans les activités de la vie quotidienne et même de décéder dans un délai de trois ans et ce, indépendamment de leurs comorbidités ou de leurs incapacités. 69 Ce modèle opérationnel, qui relie les cinq dimensions parcourues précédemment entre elles, présente l'avantage de proposer un petit nombre d'indicateurs détachés des déficits fonctionnels et des maladies (voir figure 8). Figure 8. Identification de la fragilité fondée sur des manifestations spécifiques (phénotype de fragilité) Source : Béland F., Michel H., « La fragilité des personnes âgées. Définitions, controverses et perspectives d’action », Presses de l’EHESP, juillet 2013 Une critique fréquemment émise à son sujet est qu’il a l’inconvénient d’être limité à une approche exclusivement physique de la fragilité et de ne pas prendre en compte la santé mentale du patient, facteur qui peut très bien influencer les 5 critères préétablis. Il paraît également important de mentionner qu’il ne tient pas compte des vulnérabilités en tous genres (sociale, économique, familiale et environnementale), qui peuvent, à terme, retentir sur la fragilité physique. Cependant, une série d’études prospectives ont permis de démontrer la pertinence du phénotype de Fried et en ont fait un modèle robuste largement utilisé aujourd’hui dans les études cliniques pour caractériser les patients âgés fragiles. 70 3.4.2 Le modèle d’accumulation de déficits de Rockwood ou Frailty-Index (FI) Pour Rockwood, la fragilité s’évalue en additionnant le nombre de soucis de santé rencontrés chez un sujet âgé, indépendamment de leur nature et de leur gravité. Sur base de ce principe, un index de fragilité est calculé suivant une pondération donnée à des problèmes identifiés parmi un ensemble de variables de santé très diverses pouvant regrouper jusqu’à 70 indicateurs de natures très différentes (symptômes, signes d’examens cliniques, maladies déclarées, incapacités présentes) et intégrant des indicateurs d’ordre psychologique (dépression) et cognitif (mémoire). Cet index est constitué de 4 niveaux (voir tableau 10) et est décrit comme étant « un instrument de mesure de l’état de santé global permettant de déterminer un risque de survenue d’évènements péjoratifs » (Bouchet, 2008). En effet, l’outil laisse fortement présager de la mortalité et de l’entrée en maison de repos. Ainsi, selon Rockwood, les personnes repérées comme fragiles ont un risque trois fois plus élevé de décès à 5 ans et neuf fois plus élevé d'institutionnalisation par rapport au sujet autonome (Rockwood et al., 1999). Tableau 10. Index de fragilité de Rockwood 0 : Patients indépendants, continents urinaire et fécale, sans altération cognitive et marchant sans aide. 1 : Incontinence urinaire seule. 2 : Un ou plus des critères suivants (deux si incontinence) : besoin d’assistance pour la mobilité ou les ADL, altération cognitive sans démence ou incontinence fécale ou urinaire. 3 : Deux ou plus des critères suivants (trois si incontinence) : dépendance totale pour les transferts ou pour une ou plusieurs des ADL, incontinence urinaire et fécale et diagnostic de démence. Source : Chassagne P., Rolland Y., Vellas B., "La personne âgée fragile", Springer, Février 2009 71 Assez large, ce système de mesure peut être assez lourd à utiliser tout en ayant le désavantage de ne pas faire la distinction entre la fragilité, les comorbidités et les incapacités (voir figure 9). Figure 9. Identification de la fragilité fondée sur des l’accumulation de déficits (index de fragilité) Source : Béland F., Michel H., « La fragilité des personnes âgées. Définitions, controverses et perspectives d’action », Presses de l’EHESP, juillet 2013 Cette confusion pose problème si elle ne permet pas de détecter la fragilité à un stade précoce, lorsque les comorbidités et les déficits fonctionnels sont absents, mais les premiers signes d’un phénotype de fragilité présents. Le tableau 11 synthétise les points communs et les différences entre les deux approches. Même si le modèle de Fried semble plus intéressant pour les raisons décrites dans le paragraphe précédent et plus facile à mettre en place, il n’existe pas non plus de consensus sur le « meilleur modèle » de la fragilité. 72 Tableau 11. Le spectre des modalités de fragilité Caractéristiques communes aux modèles: vulnérabilité liée à l'âge et aux facteurs de stress, identifiable cliniquement et déficiences de plusieurs systèmes. Différence entre les modèles: Phénotype de la fragilité Index de fragilité Démarche hypothétique Approche fondée sur les facteurs de risques Nombre limité de composantes Nombre illimité de déficits Trajectoire définie biologique/physiologique Trajectoire et pathologie variable Syndrome gériatrique: Syndrome médical: effet cumulatifs de déficiences dans de multiples ensemble de signes et de symptômes constituant domaines se traduisant par un effet néfaste le portrait clinique d'un seul processus morbide particulier Source : Béland F., Michel H., « La fragilité des personnes âgées. Définitions, controverses et perspectives d’action », Presses de l’EHESP, juillet 2013 En marge de ces deux approches opérationnelles et pour illustrer la variété des instruments de mesure qui en découlent, mentionnons encore quelques autres modèles d’évaluation de la fragilité. Dans une dimension exclusivement physique, le Professeur Bruno Vellas propose ainsi d’évaluer la fragilité à partir d’un seul paramètre: le temps d’appui sur un pied (Vellas et al., 1997). L’approche de Strawbridge se base sur l’imbrication de 16 indicateurs physiques (équilibre, force des membres supérieurs et inférieurs, nutrition, vue, audition) et cognitifs (mémoire) (Strawbridge, 1998). Enfin, le système de mesure imaginé par Studenski comprend un peu moins de quarante marqueurs classés en deux groupes : « les indicateurs de fragilité intrinsèque (force, équilibre, nutrition, endurance, neuromotricité, mobilité) et les indicateurs globaux de 73 fragilité (apparence, recours au système de santé, complexité médicale, santé perçue, activités vie quotidienne, état émotionnel, statut social) » (Studenski et al., 2004). On peut positionner cet outil entre le modèle de Fried et celui de Rockwood (Michel, 2012). Il se rapproche de celui de Fried par une volonté de déterminer des indicateurs principalement physiques ou inhérent à la fragilité (mais plus élevés en nombre que les cinq établis par Fried), tout en partageant avec Rockwood une certaine vision plus large qui intègre, entre autres, les maladies, les incapacités mais aussi des indicateurs sociaux ainsi que l’opinion des principaux intéressés âgés ou de leur entourage (en leur demandant notamment comment ils perçoivent leur santé). Chaque auteur opère donc en fonction d’un concept de fragilité adopté parmi les différents modèles qui mobilisent un nombre plus ou moins grand de dimensions et d’indicateurs. Ceuxci sont résumés par le tableau 12. Tableau 12. Dimensions principales et indicateurs principaux de fragilité Physiques Cognitives Psychologiques Biologie Mémoire Force Dépression Marche Anxiété Souffle Capacité d'adaptation Sociales Relations... ...famille ...amis ...voisins ...institutions Equilibre Continence Revenus Poids, nutrition Environnement (type d'habitat, quartier, transports...) Vue Audition Source : Michel H., "La notion de fragilité des personnes âgées : apports, limites et enjeux d'une démarche préventive", Retraite et société, 2012 74 A ce stade de notre travail, nous pouvons donc illustrer le concept de fragilité par le schéma de Bergman (Bergman et al., 2004) qui donne une vue sur son expression multidimensionnelle et sur les perspectives d’actions préventives (voir figure 10). Figure 10. Modèle de la fragilité de Bergman Source : Michel H., « Approche internationale des notions de Fragilité et de Vulnérabilité des Personnes Agées », décembre 2011 [23] Théoriquement, un outil de fragilité est juste un outil de dépistage rapide. Lorsque des anomalies sont trouvées, il y a lieu dans ce cas d’approfondir l’examen. Les critères de reconnaissance étant multidimensionnels, on diagnostiquera et on évaluera la fragilité, en gériatrie, de manière sûre et optimale sur base d’une évaluation gériatrique globale [25]. Dans cette optique, l’ « évaluation gériatrique standardisée » (EGS) propose un ensemble d’outils permettant d'évaluer les disfonctionnements (problèmes médicaux physiques et psychosociaux) et le degré de dépendance de la personne âgée afin de lui apporter la prise en charge la plus adaptée mais aussi d’assurer un suivi dans le temps. L’appréciation de l’état 75 général d’un sujet âgé via l’EGS permettra également le déploiement d’actions de prévention s’inscrivant ainsi dans le courant de la gérontologie moderne. Développée au départ pour les hôpitaux, l’évaluation gériatrique standardisée a pour but de renforcer la qualité de vie du sujet âgé en maintenant son autonomie et son indépendance. Axée sur la qualité de vie, elle se veut porteuse du « juste soin » et s’apparente à un compromis entre d’une part, ce qui est souhaitable et ce qui est faisable et d’autre part, ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas. Dans la perspective de la fragilité, l’EGS a pour objectifs de pouvoir en détecter les situations et de mieux les prendre en charge. Les bienfaits de cette manière de procéder ont été démontrés au fil du temps et en font aujourd’hui un incontournable de la pratique gériatrique. Il y a une trentaine d’années déjà, Rubenstein attestait que des patients âgés hospitalisés ayant profité de l’évaluation globale avaient de meilleures chances d’évolution que ceux ayant bénéficié d’un suivi « classique » réduisant ainsi le risque de mortalité et limitant les dépenses de santé (cf. Tableau 13) ; (Rubenstein et al., 1984). En 1993, Stuck et al. appuyaient ces résultats en mettant analytiquement en évidence que la pratique de l’EGS en cours d’hospitalisation permettait de réduire la mortalité ainsi que la fréquence des réhospitalisations et de favoriser le maintien des patients à domicile (Stuck et al., 1993). Tableau 13. Comparaison de la prise en charge avec EGS et sans EGS de Rubenstein Avec EGS Sans EGS Domicile 55,6 % 36,7 % Maison de retraite 17,6 % 11,7 % Décédés 23,8 % 48,3 % Devenir de patients âgés (encore à domicile, en maison de retraite ou décédés), un an après une hospitalisation Source : LLeonart S., "EGS: De l’évaluation à la réalisation du plan d’aide", Centre Hospitalier Universitaire d'Angers, www.med.univ-angers.fr [26] 76 Idéalement, l’EGS sera réalisée par une équipe pluridisciplinaire composée de soignants, de paramédicaux, de membres du personnel social et de psychologues habitués des procédés évaluatifs gériatriques et aura pour cible tout patient susceptible de voir son état de santé s’aggraver. De nombreuses grilles et échelles d’évaluation validées internationalement sont disponibles pour réaliser une EGS mais ces dernières ne seront pas toutes utilisées systématiquement dans tous les cas. En effet, c’est avant tout l’état du patient ainsi que le contexte environnemental qui détermineront le choix de ou des outil(s) de mesure adéquat(s). Notons encore qu’il existe plusieurs instruments d’évaluation pour un domaine d’exploration donné. Arrêtons-nous sur les plus couramment utilisés en fonction des domaines de dépistage communément reconnus comme prioritaires en raison du risque corrélé d’entrée en dépendance. Évaluation de l’état général : l’échelle de Norton (Allier, 2013). Évaluation fonctionnelle : l’échelle de Katz pour les AVQ (Katz et al., 1963) et l’échelle de Lawton pour les AIVQ (Lawton, Brody, 1969). Ces échelles permettent de jauger le degré d’autonomie dans les activités de base de la vie quotidienne telles que l’habillage, l’hygiène corporelle, la continence, la locomotion ou encore l’alimentation. Évaluation cognitive : le Mini Mental State Examination (MMSE) de Folstein (Folstein et al., 1975) qui comprend 30 questions regroupées en 7 catégories (orientation dans le temps et dans l’espace, rappel immédiat de 3 mots, attention et calcul mental, rappel différé de 3 mots, langage et praxie constructive, ç-à-d la reproduction d’une figure imposée). Évaluation des troubles de la marche et de l’équilibre : le « Get-up and Go test » permet de mesurer la vitesse de marche et joue un rôle majeur dans la prévention des chutes (Allier, 2013). 77 Évaluation nutritionnelle : se fait par le Mini Nutritional Assessment (MNA) qui détecte, entre autres, l'existence ou non de perte d’appétit, de perte récente de poids, de maladies aiguës et qui mesure l’indice de masse corporelle (Guigoz, Vellas, 1995). Dépistage des troubles de l’humeur: la Geriatric Depression Scale (GDS) ; (Yesavage et al., 1983) Il est important de signaler que d’autres échelles sont prévues pour les sujets âgés qui sont reçus à l’hôpital en urgence. Elles permettent de dessiner le profil gériatrique du patient et d’orienter de manière précoce les actions à entreprendre dans un souci de prévention de la perte d’autonomie et de la dépendance. La grille SEGA, acronyme de Short Emergency Geriatric Assessment, en est une et marie des variables de fragilité, de déclin fonctionnel et de dépendance (Schoevaerdts, 2004) ; (voir Annexe A). Fort de ces éléments, nous pouvons à présent poser deux constats sur le concept de fragilité : Les personnes fragiles utilisent plus fréquemment les systèmes de soins et ont plus souvent besoin d’avoir recours aux soins de longues durées et d’institutionnalisation. Tout l’intérêt du concept réside dans sa réversibilité si une stratégie de prise en charge adaptée est mise en place car cette réversibilité n’est, en règle générale, pas spontanée si exempte d’intervention comme en témoignent les chiffres du tableau 13. Dès lors, afin de prévenir les risques de perte d’autonomie, de chutes, d’institutionnalisation, de décès et d’hospitalisation précédemment décrits, il serait justement intéressant de pouvoir repérer la fragilité en amont d’un contexte d’hospitalisation, quand une dégradation n’est pas encore installée. Toutefois, il n’est ni commode ni approprié de mobiliser un grand nombre de sujets âgés vivant à leur domicile pour les soumettre à une EGS dont la durée peut atteindre deux heures et qui requiert des compétences gériatriques qui ne sont pas toujours accessibles dans un contexte ambulatoire. D’où la nécessité d’un outil de repérage, simple d’utilisation, pouvant être administré par un large spectre d’acteurs sociaux ou médicaux de première ligne et qui, 78 sans se substituer à l’évaluation gériatrique standardisée, pourrait repérer les sujets susceptibles de bénéficier de cette EGS dans un second temps. Le dépistage de la fragilité constituerait ainsi le premier jalon d’une séquence incluant l’EGS et la mise en place d’interventions préventives reprises dans un plan personnalisé de soins. 3.5 Quels sont les degrés de fragilité ? Bien que focalisée sur la fragilité fonctionnelle, la définition proposée par Fried a été adoptée par l’American Geriatric Society comme « définition opérationnelle ». Si on adopte son modèle théorique, la fragilité peut être qualifiée « d’intermédiaire ou de finale », suggérant que cet état possède divers degrés et qu’il peut évoluer dans le temps. En analysant la figure 11, le processus de fragilité apparaît chronologiquement composé de trois stades représentant chacun des états de vulnérabilité croissante correspondant au degré de diminution des réserves physiologiques ou de la capacité de résilience. Figure 11. Le développement de la fragilité avec l’avancée en âge Source : Lang P.O. et al., "La fragilité : les enseignements de l’étude de la cohorte SAFEs et les perspectives d’avenir en matière de recherche", Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil, juin 2011 79 Ainsi, le stade de pré-fragilité représente une étape encore cliniquement silencieuse du processus où les réserves physiologiques, bien que déjà diminuées, seraient encore suffisantes pour assurer une réponse de l’organisme aux stress extérieurs conduisant à une récupération complète. Par contre, la phase de fragilité serait cliniquement reconnaissable car caractérisée par une récupération plus lente et le plus souvent incomplète (Lang et al., 2011). Le dernier stade étant celui des complications abordées dans le point 3.4. Sur base de ce schéma, nous pouvons affirmer que le processus de fragilité peut donc être perçu comme une entité recouvrant à la fois un syndrome clinique et un processus progressif comportant une phase de latence. Selon ses auteurs, une fois les symptômes cliniques déclarés ou, en d’autres termes, une fois la phase d’état de fragilité atteinte, la seule intervention utile et efficace ne pourrait plus être que la prévention de l’apparition des complications. Une raison supplémentaire pour s’efforcer, dans la mesure du possible, à appréhender la fragilité à un stade plus précoce et à considérer les incapacités ou les symptômes cliniques non comme des causes mais bien comme des conséquences du processus de fragilisation. 3.6 Conclusion Depuis maintenant presque trois décennies, la sphère gériatrique déploie son attention et dirige ses efforts vers le concept de fragilité suite à l’identification d’une portion de la population âgée présentant des risques accrus de mauvais pronostic de vieillissement. Le fait que chaque aîné réagit différement face à des facteurs de stress, qu’ils soient physiques, psychologiques ou sociaux, rend la notion particulièrement difficile à appréhender. Bien qu’ayant évolué avec le temps, sa définition ne fait à ce jour toujours pas concensus. Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que chaque chercheur aborde la fragilité par un concept proche de son centre d’intérêt (approche médicale, approche physiologique, approche biologique…). Néanmoins, la thématique se révèle être particulièrement intéressante pour pouvoir prévenir certains effets néfastes du vieillissement mais aussi pour soigner et accompagner les seniors. En effet, les spécialistes de la fragilité s’accordent sur ses conséquences défavorables: hospitalisation non programmée, recours à des soins de longue durée, entrée en institution, 80 risque accru de maladies, perte d’autonomie dans les activités de la vie quotidienne, risque de dépendance… De plus, certains symptômes ou événements comme une hospitalisation en urgence sont souvent signes d’une fragilité latente qu’un repérage sur le lieu de vie aurait assurément permis de distinguer et de traiter. Autant de facteurs qui mettent en péril le maintien à domicile de la personne âgée si rien n’est entrepris. Tout l'intérêt du concept réside donc dans la détection précoce du sujet âgé fragile vivant dans la communauté puisque le processus semble réversible si repéré assez tôt. Grâce à une stratégie de prise en charge prompte et adaptée, il est alors en effet possible de repositionner les sujets fragiles sur la trajectoire d’un vieillissement normal. Actuellement, il n’y a aucun critère prédéterminé autre que le très grand âge permettant de pointer les populations à risques. Se pose alors la question d’un outil de repérage approprié pouvant être utilisé par des acteurs du champ gérontologique ou même simplement en contact avec le sujet âgé tant dans le cadre de soins ambulatoires qu’administrés au domicile. Ce point fera l’objet de la partie 4 suivante. 81 Partie 4. Dépistage de la fragilité du sujet âgé à domicile via l’outil SEGA modifié (SEGAm) 4.1 L’outil SEGA modifié Comme nous l’avons découvert dans la partie précédente, il existe de nombreux outils d’évaluation de la fragilité. Malheureusement, la grande majorité pour ne pas dire la totalité de ces outils sont destinés à des patients rencontrés dans le cadre d’une hospitalisation et souvent utilisés dans un contexte de recherche. Ces outils présentent ainsi plusieurs désavantages : Ils ne sont à la base pas prévus pour une utilisation en routine dans la communauté (comme notamment auprès de patients âgés vivant au domicile) Ils ne sont pas prévus pour être administrés par les différents intervenants et services du domicile Ils n’ont jusqu’à ce jour pas fait l’objet d’une réelle validation psychométrique ou scientifique. Ainsi, même les deux modèles de Fried et de Rockwood, décrits précédemment et semblant tenir le haut du pavé, ne sont réellement satisfaisants. En effet, sur le plan conceptuel, on peut reprocher au premier d’être uniquement axé sur la dimension physique (plus particulièrement la détérioration de la force musculaire) et au second, d’être trop complexe pour une utilisation routinière de par ses 70 indicateurs. De plus, aucun des deux n'a véritablement montré ses bonnes propriétés pour les personnes vivant à domicile. Egalement évoqués dans les parties précédentes de ce travail, le vieillissement de plus en plus marqué des pays industrialisés et le souhait de nos séniors de demeurer le plus longtemps possible au domicile incitent au dépistage précoce de l’état de fragilité en communauté pour pouvoir mettre en place des interventions efficaces en terme de promotion de la santé et de prévention secondaire. 82 De plus, quelle que soit la définition de la fragilité employée, son degré d’émergence est assez élevé si l’on en croit les études réalisées par Eggimann et al. (2009), ainsi que celles de Collard et al. (2012), qui montrent respectivement qu’il y aurait une prévalence à 17% de sujets fragiles au sein d’une population européenne de plus de 65 ans vivant à domicile et à 11% dans la communauté. L’enjeu porte également sur un certain évitement de basculement dans la dépendance, la mise en place d’interventions de soutien dans le maintien à domicile selon les besoins évalués, le retardement de l’entrée en maison de repos, et l’anticipation de décompensations brutales en vue d’éviter toute hospitalisation non justifiée. Dans cette optique, la Champagne-Ardenne, une des régions de France la plus fortement concernée par ce vieillissement (21% de personnes de 60 ans ou plus dont 5% de plus de 80 ans) ; (Léon, Godefroy, 2006), a souhaité anticiper certaines de ses conséquences par la mise en place d’un axe « bien vieillir » dans son programme régional de santé publique. La problématique de la fragilité a ainsi été débattue au travers d'un groupe de travail institutionnel associant des membres du PRSP (santé publique régionale) et le réseau RéGéCA, réseau gériatrique de la région Champagne Ardenne, s’appuyant sur l’expertise de l’équipe de recherche de la faculté de médecine de l’université de Reims. La nécessité d’un outil commun pouvant être utilisé par tous les acteurs du champ gérontologique afin de repérer ce processus de fragilisation patente ou latente s’est ainsi très vite avérée prioritaire. Parmi les différentes grilles d'évaluation de la fragilité, le choix s’est porté sur la grille SEGA (Short Emergency Geriatric Assessment) qui est une grille belge élaborée par le Docteur Didier Schovaerts et son équipe (Schoevaerdts, 2004) qui est de plus en plus utilisé par les gériatres dans les pays francophones. Il s’agit là d’un outil simple de repérage de l’état de fragilité des sujets âgés sur une population admise aux urgences. Initialement utilisée en direction des personnes âgées de plus de 70 ans, la grille SEGA originelle présente l’avantage d’être simple d’utilisation et validée d’un point de vue psychométrique. Elle a pour but une identification rapide du profil gériatrique et des risques encourus afin d’orienter le sujet âgé vers les services appropriés et d’amorcer directement certaines interventions afin d’éviter les complications fonctionnelles. 83 Une « Sommaire Évaluation du profil Gériatrique à l’Admission » (SEGA) est liée à plusieurs indicateurs de fragilité et se compose de 20 items pondérés à 3 niveaux répartis en deux volets (Schoevaerdts, 2004) ; (voir Annexe A) : Un volet A qui établit le profil gériatrique et qui mesure le degré de déclin fonctionnel à l’aide d’une liste de 13 items chacun noté de 0 à 2. Le total de ce volet est noté sur 26 et est appelé « score SEGA ». Plus ce dernier est bas, plus il traduit une certaine autonomie ne nécessitant pas spécialement l’orientation du patient en service gériatrique, à contrario d’un score élevé. Le résultat exprimé par cet instrument est ainsi étroitement relié à plusieurs indicateurs de fragilité gériatrique. Un volet B constitué de données complémentaires précisant les facteurs influençant le séjour, la sortie, les réadmissions et regroupant sept catégories d'informations. L’outil SEGA ne rentre pas dans le contexte d’une EGS et n’est pas d’avantage un instrument de pronostic. Son rôle repose sur l’identification de syndromes gériatriques et sur l’organisation d’une prise en charge précoce adaptée. Administré par un médecin ou une infirmière expérimentée, son temps de réalisation est de dix minutes en moyenne. Le patient ou idéalement une personne de son entourage est ainsi interrogé sur le contexte situationnel à 15 jours ayant précédé l’admission. Pour l’adapter à une population vivant à domicile et pouvoir ainsi être utilisée en routine par les acteurs du champ du maintien au domicile, certains items de cette grille SEGA ont été modifiés par le groupe projet en accord avec son auteur. Cet outil ainsi ajusté comporte maintenant trois parties (Dramé et al., 2011) ; (voir Annexe B) : Toujours un volet A, avec toujours 13 items cotés de 0 (situation la plus favorable) à 2 (situation la plus défavorable), donnant un score global sur 26 points. Cette partie permet de déterminer le degré de fragilité de la personne ; Toujours un volet B, qui comporte des variables illustratives susceptibles d’influencer le devenir du patient et jugées pertinentes pour la prise en charge individuelle; 84 Un nouveau volet C ajouté qui correspond à la déclinaison d’un plan d’actions personnalisé de soins et d'aide en fonction du degré de fragilité. Afin d’évaluer son bien-fondé, une première phase de validation a été effectuée par divers professionnels du secteur médico-social tels que du personnel soignant, des (neuro)psychologues, des travailleurs sociaux, du personnel administratif,… Cette dernière s’étant avérée concluante, la SFGG, société française de gériatrie et gérontologie, a créé un groupe de travail "Réseaux", qui a décidé d'utiliser cette grille. Un certain nombre de réseaux de santé en France utilise ainsi la grille SEGA modifiée, comme par exemple le réseau Gérard Cuny à Nancy, qui en a une bonne expérience. L'équipe de Professeur Novella et du Docteur Dramé, de Reims, a ensuite mené la phase de validation scientifique de cet outil (voir Annexe C), via un travail mené en commun avec la CARSAT (assurance maladie en France) et qui a également fait l'objet d'une thèse de doctorat en médecine soutenue à la Faculté de médecine de Reims par le Docteur Nadia Oubaya (Oubaya, 2013) à laquelle nous avons pu assister en décembre 2013. Ce travail a permis de valider les propriétés psychométriques de la grille SEGAm chez les sujets âgés de 65 ans ou plus vivant à domicile. « Sa simplicité de mise en œuvre la positionne comme un outil de référence dans une stratégie ambulatoire non médicalisée. Il s’agit d’un outil de dépistage, permettant d’orienter dans la filière gériatrique les sujets fragiles. Il permettra ainsi de réaliser pour ces patients un bilan plus complet dont l’objectif est davantage centré sur l’identification des facteurs de fragilité à la base d’un plan individualisé de prévention de la décompensation » (Oubaya, 2013). Si l’on devait situer la grille SEGAm par rapport aux deux approches conceptuelles de la fragilité, on pourrait la positionner dans le sillage de celle de Rockwood de par son approche multidomaine. Le patient est ici abordé dans son ensemble, avec des notions de fragilité non exclusivement axée sur la dimension physique puisque les plans cognitif et thymique ainsi que les comorbidités ne sont en effet pas oubliés. 85 Signalons que d’autres outils multidimensionnels sont également employés pour le dépistage de la fragilité chez les sujets à domicile comme le Tilburg Frailty Index (TFI) ; (Gobbens et al., 2010), le Groningen Frailty Indicator (GFI) ; (Bielderman et al., 2013) ou le Comprehensive Frailty Assessment Instrument (CFAI) ; (De Witte et al., 2013). Essayons donc à présent de situer notre grille SEGAm par rapport à ces derniers. Avant toute chose, signalons que, d’un point de vue psychométrique, l’homologation d’un outil d’évaluation est conditionné par une acceptabilité quant à son applicabilité, sa validité et sa fiabilité (Dramé et al., 2012). Pour illustrer ces propos, le tableau 14 reprend certains critères psychométriques nécessaires à l’officialisation de tout outil d’évaluation gériatrique (cette liste n’est pas exhaustive). Ainsi, pour chacun des 4 outils d’évaluation, nous allons, au travers du tableau 15, d’abord en citer les caractéristiques avant de nous pencher sur les variables psychométriques en tant que telles. Nous pourrons, grâce à ce comparatif, mieux positionner la grille SEGAm et comprendre en quoi cet outil se révèle être plus intéressant que les autres dans le cadre de la détection de personnes âgées fragiles vivant dans la communauté. 86 Tableau 14. Propriétés psychométriques d’un outil d’évaluation Propriété psychométrique Description Indicateurs Applicabilité Coût de mise en œuvre raisonnable, outil accepté par les sujets et les professionnels, problèmes éthiques discutés et pris en compte Taux de réponses À dires d’experts Temps de passation Nombre de refus de passation Nombre d’arrêts de passation Effets « plancher » ou « plafond » Validité Un outil est valide s’il mesure ce qu’il est censé mesurer Validité de contenu Les éléments sélectionnés prennent bien en compte l’ensemble des attributs caractéristiques du concept que l’on souhaite évaluer. Les items permettent de décrire le phénomène mesuré Pertinence des items Répartition des items par dimension À dires d’experts Validité discriminante Comparaisons des réponses obtenues par des individus appartenant à des groupes a priori contrastés en matière d’état de santé Comparaisons de moyennes, de pourcentages Différences statistiquement significatives et cliniquement pertinentes Fiabilité Cohérence interne Test-Retest Valeurs acceptables Un outil est fiable s’il donne toujours les mêmes résultats tant que les conditions de mesure ne changent pas. Elle peut être mesurée par la capacité de l’outil à donner des résultats comparables dans des situations comparables Homogénéité des réponses aux items Corrélation des Alpha de appartenant à un même domaine réponses aux Cronbach>0,69 items mesurant le même attribut (coefficient alpha de Cronbach) Stabilité de la mesure dans le temps, tant que l’état clinique reste stable Coefficient de corrélation intra-classe (ICC) ICC>0,80 Source : Dramé et al., "Quoi de neuf en 2010 sur les aspects métrologiques des outils d'évaluation en gériatrie?", Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012; 10 (supplement 1):19-22, mars 2012 87 Tableau 15. Comparatif des caractéristiques et des propriétés psychométriques des outils SEGAm, TFI, GFI et CFAI Grille SEGAm (Oubaya, 2013) Tilburg Frailty Indicator Groningen Frailty (TFI) ; (De Witte et al., Indicator (GFI) ; 2013) (Pialoux et al., 2012) Comprehensive Frailty Assessment Instrument (CFAI) ; (Metzelthin et al., 2010) [27] 13 items 1 sous-échelle explorant les déterminants de la fragilité (10 items) 1 sous-échelle déterminant le niveau de fragilité (15 items) physique (8 items) cognitif (1 item) thymique (2 items) comorbidités (2 items) Sous-échelle 1 : sociodémographique et maladies chroniques Sous échelle 2 : examen médical (8 items) ; social (3 items) ; psychologique (4 items dont 1 pour le cognitif) Examen médical (9 items) Cognitif (1 item) Social (3 items) Psychologique (2 items) physique (4 items) psychologique (8 items) social (6 items) environnemental (5 items) 0 à 26 Score > 8 : personne fragile à très fragile 0 à 15 Score > 4 : fragilité 0 à 15 Score > 4 : fragilité modérée à sévère 19 à 97 pas d'info disponible Caractéristiques Nombre d’items Domaines Score Interprétation 15 items 23 items Propriétés psychométriques Taux de réponses 100% 54% Temps moyen de passation 5 min 14 min coefficient alpha de coefficient alpha de Cronbach à 0,68 Cronbach entre 0,34 et Cohérence 0,70 interne Test-Retest 5 ICC= 0,88 ICC= 0,77 à 0,87 84% 7 min coefficient alpha de Cronbach entre 0,57 et 0,81 ICC= 0,86 65% 12 min coefficient alpha de Cronbach à 0,81 ICC= 0,79 à 0,85 5 Mesure de la fidélité d'un dispositif d'évaluation qui désigne l'aptitude de ce dispositif à fournir des résultats stables dans le temps: c'est-à-dire des résultats qui ne dépendent pas du moment auquel la démarche a lieu [28]. 88 La première ligne du tableau nous montre que, des 4 outils observés, la grille SEGAm est celui qui présente le moins d’items et qui est par conséquent le moins chronophage lors de la passation. Ce nombre réduit d’items ne compromet en rien la fiabilité de l’instrument quant aux résultats obtenus, et ne le décrédibilise pas moins par rapport aux 3 autres comme en atteste les travaux de Mlle Oubaya (Oubaya, 2013). Bien que les 4 supports abordent tous la fragilité en tenant compte de plusieurs domaines, celui qui nous occupe principalement couvre le mieux les dimensions explorées par l’évaluation gériatrique standardisée qui est, comme expliqué dans la partie trois précédente, l’outil de référence en gériatrie pour l’évaluation de la fragilité des patients âgés [25]. En effet, au travers de ses 13 items, l’outil SEGAm englobe des évaluations de l’état général, fonctionnelle, cognitive, des troubles de la marche, nutritionnelle et de l’humeur. Dans le cadre d’une EGS, ces évaluations sont effectuées par une équipe multidisciplinaire mobilisant plusieurs personnes de compétences différentes (médecin gériatre, infirmière, assistante sociale, psychologue, kinésithérapeute, etc). La grille SEGA modifiée ne nécessite qu’une seule personne pour administrer le questionnaire en un laps de temps assez bref (5 minutes en moyenne), positionnant ainsi l’outil comme le plus simple et le plus rapide des 4 que nous avons appréciés. De plus, cette passation du questionnaire peut se faire aussi bien par des professionnels de santé, des assistants sociaux que par du personnel non issu de la filière médico-sociale à partir du moment où le collaborateur aura été préalablement briefé à propos du recueil (Oubaya, 2013). Des 4 outils, la grille SEGAm est la seule qui présente un taux de réponse à 100%. Encore une fois, ce phénomène peut s’expliquer par une gestion du support non gourmande en temps. Enfin, on remarque également de meilleures valeurs pour la grille SEGAm au « test-retest » qui traduit une certaine fiabilité de l’outil en termes de reproductibilité dans le temps. L’étude a effectivement prouvé une cohérence entre les scores initiaux et ceux obtenus lorsque la grille a été ré administrée 7 jours plus tard auprès du même public cible. Le coefficient alpha de Cronbach est un indice statistique variant de 0 à 1 et utilisé notamment en psychométrie pour mesurer la fiabilité des questions posées lors d'un test [29]. Plus sa valeur se rapproche de 1, plus la cohérence interne est forte ou, en d'autres termes, plus l'ensemble des items qui constituent le test appréhendent bien le sujet mesuré. Dans la pratique, un score de 0,7 peut être considéré comme "acceptable" (Hogan, 2007). Bien que légèrement inférieur à cette valeur, celui obtenu par l’outil SEGA modifié est suffisant pour traduire de bonnes propriétés en matière de cohésion. 89 4.2 Réflexion sur l’intégration de l’outil SEGAm dans une politique globale liée à la fragilité en Belgique La partie 3 précédente nous a appris que l’état de fragilité est éventuellement réversible pour autant qu’il soit repéré de manière précoce et que des actions adaptées soient mises en place. Dans cette optique et au vu de ses bonnes propriétés démontrées dans le cadre d’une détection de sujets vivant dans la communauté, l’outil SEGAm pourrait faire office de référent officiel dans notre pays. Le fait de retenir un seul et même support, commun à tous les protagonistes du milieu gérontologique, renforcera la cohésion dans les collaborations entre ces derniers. A l’image de la volonté française, l’outil pourrait être intégré dans une politique globale de santé publique visant à favoriser les complémentarités entre le sanitaire et le social mais aussi à soutenir le maintien à domicile de la personne âgée (Dramé et al., 2011). La première étape consiste donc à identifier les sujets âgés fragiles dans la communauté, la seconde à pouvoir leur proposer des actions personnalisées afin de pouvoir influer sur les trajectoires individuelles et améliorer la qualité du maintien au domicile et, enfin, sensibiliser les pouvoirs publics sur les besoins de cette frange de la population afin que des aides financières puissent éventuellement être allouées à l’image de la « Vlaamse Zorgverzekering » en Flandre mais en amont des situations de dépendance installées. Dans le cadre de ce mémoire, axons exclusivement la réflexion sur l’aspect « détection » tout en étant conscient qu’une fois cette étape finalisée, encore faut-il, pour que la démarche ait du sens et soit porteuse de résultats probants, qu’elle s’inscrive dans un processus global dans lequel les personnes reconnues comme fragiles puissent être orientées, dans un deuxième temps, vers des structures de prises en charge adaptées. 4.2.1 Les acteurs potentiels du repérage de la fragilité dans la communauté a) Les Mutualités La volonté constante des pouvoirs publics de rationaliser le fonctionnement de la Sécurité Sociale et des organismes assureurs en particulier fait que ces derniers doivent sans cesse s’adapter à de nouveaux impératifs. En guise d’exemple : la disparition récente de la carte SIS en janvier dernier. La formule actuelle des attestations de soins donnés (ASD) 90 pourrait, dans les années à venir, subir le même sort en faveur d’une politique générale du tiers payant. Cette évolution plus que probable ne sera pas sans conséquence pour les mutualités puisque le traitement de ces ASD constitue, à l’heure actuelle, leur raison d’être principale (avec le paiement d’indemnités d’incapacité primaire et d’invalidité et la reconnaissance de ces incapacités). La tendance est également à la fermeture des agences et guichets au profit des systèmes de guichets en ligne et de correspondances entre affiliés et mutuelles via des enveloppes « port payé par le destinataire ». Ces orientations incitent donc les mutuelles a d’ores et déjà réfléchir sur la nécessité de certaines réformes dans leur organisation et modes de fonctionnement. En outre, ces intermédiaires entre le citoyen et l’INAMI disposent tous actuellement de centres de coordination de soins et de services à domicile ainsi que de services sociaux, en faisant des administrateurs potentiels privilégiés de la grille SEGAm. En marge de ces compétences, ces organismes disposent également d’associations satellites dont la vocation est la promotion de l’éducation pour la santé et la prévention. Une raison supplémentaire d’impliquer les mutualités en tant que partenaires dans le développement de politiques en faveur des séniors et de repérage de la fragilité en particulier. b) Les médecins généralistes Le médecin traitant a un rôle central à jouer dans le dépistage de la fragilité. Il est en effet le référent de premier recours de la prise en charge d’un patient dans notre système de santé. Selon un article paru dans « Les cahiers de l'année gérontologique » en 2012, le médecin généraliste consacre en moyenne 20% de son activité ambulatoire à la prise en charge médicale de la personne âgée à son domicile (Oustric, Renard, 2012). A ce titre, le médecin généraliste doit intégrer la dimension préventive à sa pratique quotidienne de la médecine et faire de sa relation avec cette frange de la population une constante de base de la coordination de proximité. C’est en effet lui qui redirige principalement les sujets âgés vers les hôpitaux gériatriques de jour en cas de nécessité d’examens complémentaires et approfondis. C’est encore lui qui connaît le mieux l’historique médical et personnel de ses patients. Le repérage des sujets fragiles et préfragiles par la médecine générale devrait faire l’objet d’une réflexion de la part des responsables de notre système de santé afin de mieux 91 prévenir les situations de perte d’autonomie et surtout afin d’optimiser la précocité des orientations vers les structures gériatriques qui prendront le relais. Pour être efficace dans ce sens, il est nécessaire que le médecin généraliste lui-même prenne conscience de l’importance de son rôle de « dépisteur » lors de sa prise en charge du sujet âgé. c) Le personnel paramédical effectuant des prestations à domicile (infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, logopèdes) La valeur ajoutée que ces prestataires de soins pourraient apporter en matière de repérage de la fragilité n’est pas à négliger. Certes, ces acteurs opèrent le plus souvent à postériori d’un événement défavorable qui nécessite le recours à leurs services, mais leur contribution dans le ciblage de la fragilité pourrait éviter que certains états n’empirent ou, au mieux, détecter à temps des situations nécessitant une prise en charge adaptée. En parallèle, leur présence au domicile de la personne âgée leur permet non seulement d’être en contact avec son entourage, ce qui peut parfois être utile pour compléter précisément l’outil de dépistage de la fragilité, mais également d’apprécier la fonctionnalité de l’habitat. Concernant ce dernier point, l’ergothérapeute aura donc un rôle pivot puisque c’est le professionnel de santé formé pour adapter et rationaliser l’aménagement du lieu de vie. Au même titre que les médecins généralistes, ces professionnels de première ligne pourraient largement contribuer à la bonne orientation de leurs patients fragiles après avoir pu administrer l’outil de repérage. Il faudrait d’ailleurs, dès aujourd’hui, sensibiliser ces futurs acteurs du paramédical et du médical à la question au travers de leur formation supérieure ou universitaire. Bien évidemment, d’autres protagonistes pourraient encore venir s’ajouter à cette liste qui n’est pas exhaustive. J’ai simplement pointé les plus pertinents à mes yeux en me limitant aux principaux acteurs de terrain connus et reconnus pour leurs contacts privilégiés avec le public cible de la grille SEGAm. 92 4.2.2 Sondage sur l’intégration de la grille SEGAm en pratique courante par les acteurs potentiels du repérage de la fragilité dans la communauté a) Hypothèse de départ De par sa rapidité d'administration démontrée précédemment, la grille SEGAm devrait facilement pouvoir être intégrée dans le travail quotidien des différents acteurs précités au point 4.1.1. Nous avons donc souhaité vérifier la validité de cette hypothèse au travers d'un sondage administré auprès de ces derniers. b) Objectifs du sondage L'objectif principal a bien évidemment été la vérification de l'hypothèse précitée. Pour ce faire, outre une question « booléenne » (soit oui, soit non) sur cette possibilité d’intégration dans leur travail quotidien, nous avons également pensé le questionnaire pour qu'il permette, en filigrane, de récolter leurs impressions générales, connaître leurs avis sur les éventuels freins ou les facteurs favorisant l’utilisation de cet outil dans leurs habitudes de travail et également évaluer l’accueil qui pourrait être réservé à la grille SEGA modifiée. L’objectif secondaire a été de savoir si ces praticiens avaient déjà entendu parler de la notion de fragilité chez la personne âgée. c) Type de l’étude Afin de répondre au mieux aux deux objectifs précités, mon choix s’est porté sur une étude quantitative par questionnaires. d) Diffusion des questionnaires Dans un premier temps, un questionnaire électronique en HTML et en PHP a été élaboré pour faciliter aussi bien l’envoi des questions que la récolte des réponses (voir Annexe D pour la retranscription papier). Ensuite, afin de tenter d’obtenir le plus de retours possibles, nous avons articulé notre stratégie sur trois axes : Contacter personnellement par courrier postal les 3 catégories d’acteurs concernés 93 Utiliser un réseau social afin de toucher des contacts susceptibles de répondre et/ou de propager l’information Demander l’aide des différentes fédérations et associations afin de favoriser la distribution du questionnaire auprès de leurs adhérents. Concernant ce dernier point, nous avons pu compter sur la précieuse et généreuse collaboration de plusieurs organismes qui n’ont pas hésité à nous prêter main forte. Citons ainsi, l’Union des Kinés Francophones et Germanophones de Belgique, l’Association des Ergothérapeutes, l’Association des Logopèdes Francophones, l’Union Professionnelle des Logopèdes Francophones, la Fédération d'Aide & Soins à Domicile Hainaut Oriental, la Société Scientifique de Médecine Générale, la Fédération des Associations de Médecins Généralistes de Bruxelles, la Centrale de coordination de Soins et de Services à Domicile sans oublier la mobilisation personnelle des travailleurs sociaux de la Mutualité Libérale Hainaut-Namur ainsi que de Madame Catherine Maillet, directrice de l’Asbl Cosedi, centre de coordination de soins et de services à domicile indépendant. Toujours dans l’optique de récolter un large éventail d’avis, nous avons également voulu le questionnaire court et anonyme. Afin de pouvoir identifier la profession du répondant, 6 adresses de consultation du questionnaire différentes ont été diffusées selon la cible : www.asape.be/generalistes (Pour qu’un médecin généraliste y réponde) www.asape.be/infi (Pour qu’un infirmier ou une infirmière y réponde) www.asape.be/kine (Pour qu’un ou une kinésithérapeute y réponde) www.asape.be/ergo (Pour qu’un ou une ergothérapeute y réponde) www.asape.be/logo (Pour qu’un ou une logopède y réponde) www.asape.be/mut (Pour qu’un travailleur social d'une mutualité ou un coordinateur de soins et de services à domicile d'une mutualité y réponde) Un explicatif, détaillant le pourquoi du questionnaire et présentant ma démarche, a été inséré avant les questions proprement dites (voir Annexe E pour la retranscription papier). 94 e) Saisie des données Le programme Excel de Microsoft Office a été privilégié afin de pouvoir présenter les résultats sous forme de graphiques. 4.2.3 Résultats 137 questionnaires ont ainsi été complétés avec la ventilation suivante : Mutualités : 21 retours (parmi lesquels un a été exclu car pas rempli complètement) Médecins généralistes : 29 retours Infirmiers/Infirmières : 48 retours (parmi lesquels 11 ont été exclus car 4 répondants n’effectuent pas de visites à domicile et 7 autres ne l’ont pas rempli complètement) Ergothérapeutes : 24 retours (parmi lesquels 4 ont été exclus car les répondants en question n’effectuent pas de visites à domicile) Logopèdes : 9 retours Kinésithérapeutes : 6 retours 121 questionnaires ont donc été analysés au final. a) Les Mutualités : 20 questionnaires analysés Graphique 11. Mutualités - Connaissance de la fragilité avant le sondage Connaissance de la fragilité avant le sondage 25 20 20 15 10 6 7 7 NON pas du tout OUI mais pas précisemment OUI s'y est déjà intéressé 5 0 Total 95 Le graphique 11 nous montre que, sur les 20 répondants, 6 ont déclaré ne pas connaître le concept de fragilité, 7 pas précisément et 7 s’y étaient déjà intéressés avant le sondage. Graphique 12. Mutualités - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante 25 20 20 18 15 10 5 2 0 non oui Total La question posée de manière récurrente à toutes les personnes sondées était « Pensezvous pouvoir intégrer cet outil lors de vos visites à domicile chez vos patients de 65 ans et plus? ». (Pour les médecins généralistes et les kinésithérapeutes, la nuance « lors de vos visites à domicile ou vos consultations » a été ajoutée). En ce qui concerne, les coordinateurs de soins et de services à domicile d’une mutualité, la réponse est « oui » à 90% (18 personnes) et « non » à 10% (2 personnes) ; (cf. graphique 12). Une grande partie de l’adhésion de ce public peut s’expliquer par leur obligation d’établir un rapport d'évaluation à l’entame de toute prise en charge à domicile. 7 participants ont en effet répondu dans ce sens. Cette contrainte est imposée par la Région Wallonne dans la perspective d’obtention de subsides. Une coordinatrice propose de compléter la grille au même moment que ce rapport car les questions sont plus ou moins du même ordre (bien que plus nombreuses et pointues) et pour ne pas alourdir la tâche de ces travailleurs. 96 Un autre argument évoqué est le fait de la bonne connaissance de leurs patients qui permet de remplir la grille rapidement avec une relative objectivité. Globalement elle est perçue comme un bon outil d’évaluation rapide. Un répondant y voit également un bon moyen d’argumentation supplémentaire auprès du patient pour appuyer une décision de refus total ou partiel de soins et d'aides mais aussi, à contrario, pour lui faire accepter le plan d’aide qui suit le plan d’évaluation en en démontrant la nécessité avec un outil scientifiquement validé. Un participant signale toutefois la nécessité d’être attentif au fait que, parfois, une grande différence entre la réalité d’un état de santé et sa perception par le patient (ou le prestataire) peut exister. Il appuie son raisonnement en soulignant qu’il n’est pas toujours évident de percevoir l'humeur. De plus, certaines infos peuvent être dissimulées par le patient (en cas d’incontinence par exemple). Il est donc primordial d'expliquer les tenants et les aboutissants de la grille à la personne âgée afin d’obtenir son adhésion la plus entière et sincère possible. b) Les Médecins généralistes: 29 questionnaires analysés Graphique 13. Médecins généralistes - Connaissance de la fragilité avant le sondage Connaissance de la fragilité avant le sondage 35 29 30 25 20 15 11 13 10 5 5 0 NON pas du tout OUI mais pas précisemment OUI s'y est déjà intéressé Total Le graphique 13 nous montre que, sur 29 répondants, 11 ont déclaré ne pas connaître le concept de fragilité, 13 pas précisément et 5 s’y étaient déjà intéressés avant le sondage. 97 Graphique 14. Médecins généralistes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante 35 29 30 25 22 20 15 10 7 5 0 non oui Total 76% des médecins généralistes sondés (22 répondants) se disent favorables à l’intégration de la grille SEGAm dans leur travail quotidien contre 24% de sceptiques (7 répondants) qui pensent que cela n’est pas possible (cf. graphique 14). L’outil est perçu comme empreint de réalité quotidienne, objectif, simple, reproductible et rapide. Pour 5 répondants, les 13 items de la grille SEGAm sont pertinents et permettent une bonne vue d’ensemble de la situation. La majorité d’entre eux reconnaissent l’importance du dépistage pour une prise en charge optimale et trouvent que les dimensions abordées au travers du support sont représentatives de l’état de fragilité. Un médecin traitant propose de mesurer l’évolution dans le temps en administrant le test chaque année afin de comparer les résultats et avoir une tendance de l’état de santé. Un autre se réjouit de l’objectivité que pourrait apporter cet outil quand beaucoup de praticiens apprécient encore un état de vulnérabilité ou de fragilité au « feeling », en ne se basant sur aucun point de repère ou liste structurée, ce qui peut induire des appréciations viciées. Les opposants prétextent un manque de temps, une certaine subjectivité des réponses face à des patients peu connus et la non nécessité d'un outil pour comprendre qu'un patient est fragile, ce qui engendrera de la paperasserie inutile. Dans ce dernier cas de figure, le répondant illustre sa réponse par un exemple : Imaginons une personne âgée de 66 ans, 98 vivant seule, incontinente, et marchant mal qui maigrit sans raison; elle n'aura qu'un score de 3 ce qui n’engendre aucune action mais il ne faudrait pas attendre qu'elle obtienne un score de 8 pour investiguer ... La perte de poids est automatiquement liée à un problème sous-jacent et cela serait dangereux de le laisser évoluer sans réagir. c) Les Infirmiers/infirmières: 37 questionnaires analysés Graphique 15. Infirmiers/Infirmières - Connaissance de la fragilité avant le sondage Connaissance de la fragilité avant le sondage 40 35 30 25 20 15 10 5 0 37 15 14 8 NON pas du tout OUI mais pas précisemment OUI s'y est déjà intéressé Total Le graphique 15 nous montre que, sur les 37 répondants, 15 ont déclaré ne pas connaître le concept de fragilité, 14 pas précisément et 8 s’y étaient déjà intéressés avant le sondage. 99 Graphique 16. Infirmiers/Infirmières - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante 37 40 32 35 30 25 20 15 10 5 5 0 non oui Total 86% du personnel infirmier sondé (32 répondants) conçoivent l’intégration de la grille SEGAm dans leur travail quotidien tandis que 14% (5 répondants) pensent le contraire (cf. graphique 16). Comme pour les médecins généralistes, l’outil semble attractif pour sa concision, sa rapidité de passation et permet de chiffrer une réalité difficile à objectiver. En effet, il existe une grande différence entre la perception du patient et la réalité ; un tel outil ne laisse aucune place à une appréciation subjective. De plus, ces travailleurs se disent habitués des échelles, utilisées notamment dans le cadre de l'anamnèse obligatoire lors du 1er contact avec le patient, ce qui facilite une intégration dans leur pratique courante de par des critères à relever en général déjà connus de l'infirmière. Un répondant avance le besoin d'un outil commun pour tous les acteurs de terrains (médecin, aide familiale) et un autre propose la légifération de l’outil par l’Inami afin d’avoir un cadre légal permettant d’obtenir une rétribution pour son administration. Dans le chef des détracteurs, le manque de temps est encore une fois l’argument le plus souvent plébiscité à côté d’autres points de vue comme le besoin du concours de l’entourage afin d’obtenir une appréciation objective et la passation plus pertinente de la 100 grille par le médecin traitant qui connaît mieux son patient pour une détection encore plus précoce. d) Les ergothérapeutes: 20 questionnaires analysés Graphique 17. Ergothérapeutes - Connaissance de la fragilité avant le sondage Connaissance de la fragilité avant le sondage 25 20 20 15 10 5 7 8 OUI mais pas précisemment OUI s'y est déjà intéressé 5 0 NON pas du tout Total Le graphique 17 nous montre que, sur les 20 répondants, 5 ont déclaré ne pas connaître le concept de fragilité, 7 pas précisément et 8 s’y étaient déjà intéressés avant le sondage. Graphique 18. Ergothérapeutes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante 25 19 20 20 15 10 5 1 0 non oui Total 101 Le résultat est encore plus tranché chez les ergothérapeutes puisque 95% d’entre eux (19 répondants) estiment l’intégration faisable et 5% pas (un seul répondant) ; (cf. graphique 18). Au-delà de son aspect rapide, simple et non rébarbatif, les ergothérapeutes voient dans la grille SEGAm un bon condensé de l’EGS. L’outil apparaît comme complet et les critères pertinents. Un répondant s’interroge sur l'item « Maladies associées » qui nécessite selon-lui une bonne connaissance du dossier médical du patient et estime donc une collaboration nécessaire avec le médecin traitant pour garantir l’objectivité du questionnaire. Dans le même ordre d’idées, un autre répondant pense que l'item concernant les fonctions cognitives est le plus difficile à évaluer de par le fait qu’une personne confuse n’est pas forcément démente (mais l’inverse est faux). Une confusion peut être passagère et être causée par une cause mineure comme une déshydratation, l’attribution d’un mauvais médicament ou après un événement stressant comme une chute, une opération ou un décès. Il est donc difficile de poser un bon diagnostic lors d’une première rencontre. De plus, les débuts de démence passent souvent inaperçus car « masqués » (non intentionnellement) par l’entourage qui ne s’en rend pas toujours compte ou qui attribuent certains symptômes à des causes externes. La personne non favorable à l’intégration de l’outil SEGAm se justifie en évoquant la problématique qu’engendreraient l’interrogation du patient sur certains items comme le nombre de maladies, la question de la dépendance dans certaines activités de la vie quotidienne jugés trop délicats. Le patient risquerait de les prendre comme une intrusion dans sa vie privée. D’où la nécessité de sensibiliser chaque administré sur le pourquoi de l’outil SEGAm. 102 e) Les logopèdes: 9 questionnaires analysés Graphique 19. Logopèdes - Connaissance de la fragilité avant le sondage Connaissance de la fragilité avant le sondage 10 9 8 6 4 4 4 2 1 0 NON pas du tout OUI mais pas précisemment OUI s'y est déjà intéressé Total Le graphique 19 nous montre que, sur les 9 répondants, 4 ont déclaré ne pas connaître le concept de fragilité, 4 pas précisément et 1 s’y était déjà intéressé avant le sondage. Graphique 20. Logopèdes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante 10 9 9 oui Total 8 6 4 2 0 0 non Les logopèdes semblent particulièrement ouverts à l’adoption de la grille SEGAm puisque, bien que le nombre de répondants soit nettement moins élevés que les 4 premiers 103 protagonistes étudiés, 100% des répondants jugent son intégration dans leur travail quotidien utile et envisageable (cf. graphique 20). Les arguments avancés sont grosso-modo les mêmes que ceux déjà évoqués précédemment (facilité, rapidité, pertinence des items, objectivité des résultats,…). Une logopède précise néanmoins que cette catégorie de travailleurs sont souvent plus patients et plus à l'écoute que les 4 publics étudiés précédemment ainsi que les kinésithérapeutes et disposent également de plus de temps pour aborder les questions de la grille dans leur prise en charge. Une autre estime que l’administration de l’outil pourrait permettre de mieux comprendre l’origine de certaines difficultés du patient. Un autre avis a encore fait état de la question de la vie privée suite au caractère parfois très médical de certains items (combien de médicaments, quelles sont les maladies...). Certaines personnes pourraient se montrer réticente à divulguer ce genre d’informations à une personne qui n’est pas médecin. Une nuance concernant le moment où l’outil est administré a néanmoins été ajoutée. Il est en effet sans doute plus opportun de poser ce genre de questions une fois que la relation est bien installée et beaucoup plus délicat lors d'une première rencontre. f) Les kinésithérapeutes: 6 questionnaires analysés Graphique 21. Kinésithérapeutes - Connaissance de la fragilité avant le sondage Connaissance de la fragilité avant le sondage 7 6 6 5 4 3 2 2 2 NON pas du tout OUI mais pas précisemment OUI s'y est déjà intéressé 2 1 0 Total 104 Le graphique 21 nous montre que, sur les 6 répondants, 2 ont déclaré ne pas connaître le concept de fragilité, 2 pas précisément et 2 s’y étaient déjà intéressés avant le sondage. Graphique 22. Kinésithérapeutes - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante 7 6 6 5 4 3 3 non oui 3 2 1 0 Total Le faible taux de participation des kinésithérapeutes fait que les résultats obtenus ne sont certainement pas représentatifs de la réalité. Il est donc difficile de tirer des conclusions par rapport à ce constat mitigé dans lequel 50% d’entre eux (3 répondants) estiment possible l’intégration de l’outil SEGAm dans leur quotidien professionnel quand les 50 autres % pensent l’inverse (3 répondants) ; (cf. graphique 22). Néanmoins, un kinésithérapeute plaide en faveur de l’outil en expliquant que tous les paramètres repris influencent fortement la rééducation et qu’il est par conséquent utile d’en avoir connaissance. Un autre répondant pense que ce dernier peut s’avérer utile pour que la personne âgée, elle-même, puisse prendre conscience d’un certain état de santé moins flatteur que celui auto-estimé ou perçu ou encore pour "tirer la sonnette d'alarme" envers la famille avec preuve à l'appui d’une fragilité naissante ou croissante. Les détracteurs font état d’un cruel manque de temps tout en reconnaissant la pertinence et l’utilité de la grille. Un répondant se défend en précisant que les prestations à domicile ne durent que 15 à 20 min en moyenne, ce qui est déjà peu pour le traitement en lui-même. Il ne faudrait donc pas ajouter de l'administratif en plus. 105 4.3 Conclusion Plusieurs outils existent pour le dépistage de la fragilité chez les sujets âgés vivant au domicile. Cependant, aucun d’eux ne semble aussi simple d’utilisation que l’outil SEGA modifié et tous nécessitent des temps d’administration plus longs du fait d’un nombre plus important de questions (réparties distinctement par domaine) si bien que les taux de réponses à toutes ces dernières sont plus faibles biaisant le résultat final. De plus, dans le chef de la grille SEGAm, le fait que tous les différents domaines (cognitif, thymique, nutritionnel,…) soient repris sur un seul et même volet permet de ne livrer qu’un seul score global ne nécessitant pas d’interaction ou de passation entre les différents intervenants d’une équipe pluridisciplinaire. Au contraire, le questionnaire peut être administré par n’importe quel travailleur du milieu médico-social (ou pas), formé à son utilisation, faisant de cet outil un instrument commun aux différents acteurs du champ de la gérontologie et, de surcroit, particulièrement adapté pour une stratégie communautaire de première ligne pour l’identification de la fragilité du sujet âgé. Graphique 23. Ensemble des répondants - Connaissance de la fragilité avant le sondage Connaissance de la fragilité avant le sondage 140 121 120 100 80 60 43 47 NON pas du tout OUI mais pas précisemment 31 40 20 0 OUI s'y est déjà intéressé Total Les professionnels des soins et de l’aide à domicile semblent particulièrement ouverts à l’adoption de la grille SEGAm dans leur travail quotidien et en perçoivent l’utilité. 106 Graphique 24. Ensemble des répondants - Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante Possibilité d'intégration de la grille SEGAm en pratique courante 140 121 120 103 100 80 60 40 20 18 0 non oui Total D’ailleurs, au vu des résultats, la notion de fragilité n’est pas complètement étrangère puisque 31 personnes sur les 121 questionnaires analysés ont déclaré s’y être déjà intéressées et 47 autres en avoir au moins entendu parler (cf. graphique 23). L’outil est perçu comme rapide, simple, structuré complet et pertinent. La grande majorité des différents sondés se sent capable de l’intégrer dans leur pratique quotidienne (85% d’entre eux, soit 103 répondants, estiment l’intégration en pratique courante possible – cf. graphique 24). Certains pensent même que le support pourrait les aider, dans le cadre de leur travail, à saisir l’origine de certains troubles de leurs patients ou encore faire comprendre à ces derniers la nécessité de leur intervention auprès d’eux. Les détracteurs, quant à eux, avancent le plus souvent un manque de temps. A ce sujet, il est important de signaler que la majeure partie des personnes ayant avancé cet argument sont également ceux qui n’avaient jamais entendu parler de la fragilité avant ma sollicitation. La remarque d’un médecin généraliste, portant sur le comparatif des scores des patients dans le temps, a attiré notre attention sur le fait qu’il serait en effet intéressant de déterminer une fréquence d’administration du support. Le médecin en question suggérait une évaluation annuelle mais cette réitération devrait peut-être faire l’objet d’une réflexion plus approfondie afin d’en déterminer le moment le plus opportun. 107 Certains items de la grille SEGAm semblent générer quelques discussions et donner matière à réticence: L’humeur parce qu’elle peut parfois être difficile à estimer par le prestataire La perception de la santé parce qu’il peut exister une grande différence entre la réalité d’un état de santé et son impression exprimée ou estimée aussi bien par le patient que par certains prestataires non médecins En parallèle, un autre point d’attention est l’intrusion dans la vie privé du patient. Certains items sont en effet jugés comme délicats à poser (nombre de médicaments et de maladies, continence) et peuvent donner lieu à une attitude de refus de collaborer du patient ou de rétention d’informations de sa part, ce qui compromet la bonne objectivité du test. Pour une adhésion optimale des différents protagonistes (autant ceux qui questionnent que ceux qui répondent), il est donc important de les sensibiliser sur le pourquoi des questions posées. Après nous être penchés sur le moyen de dépister la fragilité en population générale, nous avons souhaité savoir dans la partie suivante comment les technologies pourraient favoriser ce repérage et faciliter le maintien à domicile des sujets âgés. 108 Partie 5. L’apport des technologies pour la prévention de la fragilité et pour le maintien à domicile des sujets âgés. 5.1 Les technologies dans les domaines médico-social et sanitaire A l’ère de la domotique et des multimédias, il est légitime de vouloir se tourner vers les technologies et d’en attendre une certaine valeur ajoutée en tant que supports privilégiés pour le repérage et la prévention de la fragilité, de même qu’une fois l’état de dépendance installé. Ces technologies développées pour répondre aux besoins des séniors portent le nom de « gérontechnologies » ou encore de « technologies pour l’autonomie » (Piou, Bucher, 2012). Comme nous le verrons, elles peuvent s’avérer utiles à la fois pour le patient dans la gestion de son quotidien, pour les professionnels de l’aide à domicile dans le cadre de leur travail mais aussi pour l’entourage familial dans une perspective de soutien. De plus, dans des contextes de saturation programmée des places disponibles en maisons de repos et de politiques favorisant le maintien à domicile, nul doute que nous sommes encore plus demandeurs de technologies innovantes et orientées vers les besoins des sujets âgés. Nous pouvons ainsi baliser plusieurs champs de synergie possible : 5.1.1 Les technologies dans un contexte de détection de la fragilité Comme nous l’avons vu, un certain nombre de dimensions ou de critères sont susceptibles de traduire l’état de fragilité des sujets et sont mesurables par des techniques spécifiques. Pour détecter les situations de fragilité, les NTIC doivent pouvoir prendre en compte plusieurs domaines énumérés dans le tableau 12 précédent. Le but pourrait être d’enregistrer un maximum de données, dans un premier temps pour poser le diagnostic puis pour proposer une action ciblée, pérenne et actualisée au besoin. Cependant, s’appuyer sur les nouvelles technologies pour repérer l’état de fragilité n’a pas beaucoup de sens à nos yeux. En effet, il nous paraît plus utile d’orienter les efforts sur la prévention de la fragilité et de centrer avant toute chose l’apport des technologies sur la détection de signes avant-coureurs grâce à l’analyse de données enregistrées auxquelles nous faisions référence plus haut. Pour citer un exemple parmi tant d’autres, il existe un petit boîtier relié à une application pour smartphone qui permet de scanner les aliments et ainsi de connaître à la fin de la journée 109 l’apport calorique de l’alimentation [30]. Pour une personne âgée qui a tendance à manger peu, ce genre d’information est très important pour prévenir une dénutrition quand on sait que la perte de poids est un critère de fragilité. Ne détaillons donc pas ce point davantage et étoffons plus largement cette idée dans le point suivant. 5.1.2 Les technologies dans un contexte de prévention de la fragilité et de maintien à domicile Fort de tous les enseignements étudiés jusqu’ici à propos de la fragilité, nous pouvons constater que certains paramètres y conduisant pourraient être détectés sans trop de difficultés via l’outil numérique. En incluant la dimension digitale pour optimiser l’observation, certaines situations évitables pourraient sans doute être évitées. « Parmi les indicateurs les plus simples de la fragilité, la mesure de l’activité ou de la mobilité semblent parmi les plus pertinents et accessibles à l’évaluation clinique» (Couturier, 2005). Cette mesure de l’activité motrice d’un sujet dans son milieu environnemental est appelée « actimétrie » (Allier, 2013). Dans le cadre d’une application numérique, elle peut se faire par l’utilisation de capteurs enregistrant une activité physique tels que des podomètres, odomètres, accéléromètres, magnétomètres… Ces différents supports peuvent être placés sur du mobilier comme des fauteuils, un lit ou même un matelas, judicieusement intégrés dans des pièces du domicile comme la chambre ou le salon, ou encore être portés par le sujet lui-même (montre, pendentif, gilet…). Parmi les actimètres, certains sont communicants et par conséquent « capables de réaliser la transmission de données médicales et des données techniques associées, notamment vers les outils de gestion du dossier médical» [31]. Ces appareils communicants font partie d’une catégorie d’outils appelés « dispositifs médicaux communiquant » (DMC) et occupent une position centrale au sein des initiatives de télémédecine (télésurveillance, téléconsultation, télésurveillance, etc.) [32]. 110 Si l’on se réfère aux critères de Fried, la diminution de la vitesse de marche est un indicateur d’appréciation de la fragilité. Grâce à l’actimétrie, il devient alors facile de constater une réduction dans l’allure d’un patient et d’envoyer un message d’alerte au médecin traitant (Cesari, 2013). De même, dans le cadre d’une perte de poids involontaire, un pèse-personne connecté en réseau pourrait signaler à ce même médecin traitant toute situation alarmante (Guérin, 2013). En extrapolant, on pourrait très bien imaginer développer, en concertation avec une chaine d’acteurs reliant des professionnels industriels, de la recherche et de la santé, une application globale permettant d’évaluer les 13 items de la grille SEGAm et d’alerter le référent médical une fois un certain score, atteignant un seuil critique prédéterminé, atteint. A l’heure actuelle, une grande partie de ces items pourraient déjà être facilement appréciés avec les ressources technologiques en place sans devoir pousser l’innovation trop en profondeur. En effet, prenons, par exemple, le point de la grille SEGAm qui traite du nombre de médicaments pris par un individu âgé. La société e-medicis commercialise depuis quelques années déjà un système d’e-rappel qui avertit les patients quand l’heure de la prise est venue [33]. Il est donc très facile d’avoir une idée de l’importance de la médication en cours par ce biais. Il en est de même pour les items traitant de nutrition et de mobilité comme déjà abordé au travers des deux exemples ci-dessus. Evidemment, certains projets high-tech que l’on peut mettre en rapport avec les autres items de l’outil SEGA modifié nécessitent encore quelques développements mais laissent déjà entrevoir des résultats prometteurs. C’est le cas d’un tapis fait de fibres optiques mis au point par des chercheurs de l’Université de Manchester et du Photon Science Institute en Angleterre, capable d’anticiper les risques de chutes, de détecter une chute soudaine et de déclencher une alerte. La responsable du projet, Patricia Scully, assure que « cette technologie ne serait pas onéreuse à déployer dans les lieux de vie ou des bâtiments publics fréquentés par des personnes âgées. Le système pourrait même s’intégrer ailleurs que dans un tapis, par exemple dans un matelas, un mur ou la surface d’un meuble » [34]. Dans la même veine d’avancées prometteuses, citons encore la mise au point de logiciels capables de dépister les risques de dépression, de détecter des modifications dans la voix 111 annonçant une maladie de Parkinson ou encore de permettre le suivi de ces symptômes entre deux consultations médicales (Malléa, 2013). Le but n’est nullement de substituer la technologie aux spécialistes mais de contribuer à repérer les sujets présentant un risque grâce à la « télémedecine », pratique médicale permettant de recueillir et traiter des données d’un individu à distance par un professionnel de la santé (Zimmer, 2012). L’enjeu, quant à lui, est de pouvoir évaluer ces sujets le plus rapidement et précisément possible afin de pouvoir leur accorder une prise en charge rapide et ainsi réduire l’impact négatif. Selon différentes études, la télémédecine permet de réduire l’aggravation de maladies, de diminuer le nombre d'hospitalisations et d'en faire baisser la durée (Agoria e-Health, 2010). Le deuxième pan d’une prévention technologique favorisant le maintien à domicile repose sur l’apport de solutions permettant d’adapter le lieu de vie et prévenir les accidents. Grâce à la domotique, processus d’automatisation du domicile qui présente l’intérêt d’apporter des réponses à certains soucis de la vieillesse, les habitats deviennent plus intelligents et s’adaptent à leurs occupants. Par exemple, pour prévenir certains risques de chute nocturne, il est de nos jours possible de profiter d’un balisage lumineux permettant de se repérer la nuit dans une chambre ou n’importe quelle pièce du domicile via des détecteurs de mouvement (Malléa, 2013). Ces derniers rendent possible l’allumage automatique de zones lumineuses (et leur arrêt). Dans le même ordre d’idée, des détecteurs de chutes capables de délivrer des messages d’alertes à l’entourage ou à un centre de secours peuvent également être installés. Dans des cas de maladie neuro-dégénératives, la domotique peut aider à conserver une « autonomie sécurisée » dans le lieu de vie habituel. La société « Link Care Services » a édité le système de vidéo-vigilance « EDAO » qui permet de détecter des situations anormales (chutes et temps d’absence inhabituels) garantissant ainsi la sécurité des utilisateurs et une prise en charge rapide en cas de problème ainsi que des moments de répit pour leur entourage [35]. Aujourd’hui, la domotique pose néanmoins un certain problème d’éthique notamment en matière d’atteinte à l’intégrité et à la dignité de la personne âgée. En effet, bien souvent, ce sont les proches qui prennent la décision d’installer pareils dispositifs sans nécessairement avoir pris la peine de consulter et d’obtenir l’approbation de la 112 personne principalement concernée (Jaumotte, Brard, 2012). La personne âgée risque alors de vivre cette situation comme une intrusion dans sa sphère privée et de contester le matériel. En parallèle, la domotique favorise une certaine indépendance permettant elle-même de conserver des contacts familiaux axés sur autre chose que le rapport à l’âge et aux éventuelles infirmités. Par exemple, une personne âgée considérera généralement qu’il est moins avilissant pour elle d’actionner un bouton pour ouvrir une porte que d’être contrainte de demander à quelqu’un de venir le faire. Par ailleurs, on sait pertinemment que la rupture du lien social constitue un véritable fléau pour les aînés. Il ne faut donc pas que la domotique soit une opportunité de se « décharger » grâce à la technologie mais doit au contraire permettre le rapprochement de tous ceux qui les entourent. Dans le futur, l’idéal serait de pouvoir « téléobserver » les AVQ, les agissements ainsi que certaines variables sanitaires d’un patient, dans le respect de sa vie privée, en utilisant des systèmes de capteurs et balises au domicile. L’examen de ces renseignements devra permettre aux personnels soignant et aux aidants d’obtenir une représentation détaillée du profil du patient par un retour d’informations approprié, en respectant son intimité, afin de pouvoir lui proposer la prise en charge la plus adaptée. 5.1.3 Les technologies dans un contexte de compensation En situation de perte d’autonomie telle qu’abordée dans la séquence de Wood (voir étape 4 de la figure 5), ces technologies viseront à compenser l’incapacité afin de neutraliser la survenue de l’ultime stade du « désavantage » qu’il soit physique et/ou cognitif (Piou, Bucher, 2012). En d’autres termes, la situation de handicap pourrait être gommée ou du moins modérée par ces dernières, permettant au sujet d’effectuer certaines activités de la vie quotidienne rendues à priori inaccessibles du fait de la présence d’un ou de plusieurs désavantages. Evidemment, la compensation technologique n’est pas exclusivement destinée à pallier à des désagréments d’ordre physique, mais peut au contraire contrebalancer divers autres troubles, permettant à ses bénéficiaires une accessibilité à la connaissance, au savoir, aux informations, à la communication ou encore à l’environnement relationnel. 113 Ainsi, nous pouvons citer: Les aides techniques telles que des montes-escaliers, des tablettes permettant de zoomer lors de la lecture afin de grossir les caractères, les livres audio, le télétexte,… La domotique : déjà abordée dans le point précédent Dans le chef de cette dernière, les spécialistes se font sans cesse plus fort de pouvoir proposer des solutions qui simplifient certains actes du quotidien. Si l’on reprend la diminution de la force de préhension de notre exemple de la séquence de Wood, certaines difficultés engendrées par cette déficience peuvent être compensées par l’utilisation de petits boutons ou de simples interrupteurs (Malléa, 2013). Dans le cas d’une personne alitée, certains efforts ou déplacements peuvent également être évités par l’utilisation d’un portail audio et vidéo, l’abstenant à devoir se lever pour ouvrir la porte de son habitation. Tout devient contrôlable à partir d’une seule interface (un smartphone par exemple) : l’ouverture ou la fermeture des stores à des heures précises, la mise en route du chauffage selon la même idée d’horaires modulables, la lumière, l’arrosage du jardin,… Des avancées ont pu se faire sentir dernièrement dans le domaine des technologies intégrant la reconnaissance vocale. Par ces dernières, les sociétés spécialisées dans la domotique entendent favoriser le maintien à domicile en simplifiant considérablement les interfaces de contrôle des équipements proposés. Essentiellement maitrisables tactilement jusqu’alors, ces solutions n’étaient pas toujours simple d’utilisation pour les sujets âgés. Avec la reconnaissance vocale (RV), plus besoin de devoir physiquement se déplacer ni de posséder ses pleines capacités de vision pour actionner une commande. Les personnes éprouvant des difficultés à marcher ou à voir pourront ainsi plus facilement appréhender ces technologies. De plus, en cas de chute, une interface vocale sera sans nul doute plus efficace pour demander de l’aide. Grâce aux possibilités qu’offre la RV, certains outils du quotidien (re)deviennent accessibles à une population atteinte de déficiences telles qu’une vision altérée, de pathologies « ralentissantes » telles que l’arthrose provoquant des raideurs dans les doigts ou d’autres problèmes de dextérité, ou encore de handicaps comme la paraplégie et la tétraplégie. 114 5.1.4 Les technologies dans un contexte de maintien du lien social Essentiellement axées sur la communication, ces solutions permettent une interaction entre le sénior et son « écosystème » (son entourage et son environnement). Le monde des télécommunications a fortement évolué lors de la dernière décennie et permet aujourd’hui aux séniors de maintenir ce lien avec son écosystème via des appareils simples d’utilisation qui leur sont spécifiquement dédiés. Outre le développement de smartphones adaptés et répondant aux exigences de nos ainés, la tablette tactile constitue un outil contemporain attrayant et possédant de nombreux atouts : Le moyen format, le poids relativement léger ainsi que l’absence de câblage permettent la portabilité en toute circonstance, une meilleure posture et offrent un confort d’utilisation et de lecture. Le système de navigation est intuitif car majoritairement basé sur des icônes qui ouvrent l’accès aux applications, à l’information ainsi qu’à des activités de la vie courante (consultation d’album photo, écoute de la musique, lecture du courrier, visionnage des vidéos…) d’un simple clic. La possibilité d’agrandir ou de réduire à sa guise la taille d’un visuel (image, caractères, page web,…) est fortement appréciable. Même si le but premier recherché lors de son achat reste la distraction, la tablette permet en outre de pratiquer des activités cérébrales améliorant le fonctionnement cognitif et freinant la survenue prématurée de déclin causé par l’isolement (Malléa, 2013). Dans cette lignée et en guise d’exemple, la solution française « KODRO » [36], développée par le groupe Altera, propose « un ensemble de services évolutifs et interactifs, proposés via une tablette tactile, qui permet de faire travailler, aussi bien, les capacités cognitives, qu’émotionnelles des utilisateurs, tout en entretenant un lien social actif». (Malléa, 2013) Une partie de la valeur ajoutée d’un tel projet réside dans la stimulation des facultés cognitives, aussi bien bénéfique pour les personnes déjà atteintes d’une maladie neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer que pour les personnes ayant encore « toute leur 115 tête ». Dans le chef des premières, les bienfaits pourront se mesurer en termes de préservation des capacités cognitives restantes. Dans celui des seconds, l’intérêt est de ralentir tout déclin cognitif et de prévenir la survenue de maladie associée. Mais d’un point de vue « maintien du lien social », l’attrait de la solution est qu’elle propose un réseau de maisons virtuelles constituées d’autres utilisateurs Kodro avec lesquels la personne âgée peut et est encouragée à partager ses centres d’intérêts. Les développeurs de l’application ont également prévu un accompagnement personnalisé de l’utilisateur via un « voisin Kodro », une personne géographiquement proche et formée qui, au travers d’appels téléphoniques réguliers avec le sénior, s’engage à le suivre dans l’utilisation de l’outil. Cette volonté d’entretien de liens relationnels et sociétaux est censée allonger la durée de maintien à domicile. Enfin, les sites de réseaux sociaux ne sont heureusement pas exclusivement destinés à un public jeune. Les séniors peuvent se servir de ces outils contemporains pour entretenir des liens avec leurs amis et familles (Malléa, 2013). Si Facebook et Twitter semblent les plus connus, il existe en France d’autres sites orientés vers les 50 ans et plus et qui favorisent l’ouverture vers autrui au travers de rencontres, d’activités sportives ou culturelles, de voyages, d’échanges d’informations ou qui ont simplement comme vocation de rompre l’isolement. Nous pouvons ainsi citer « Quintonic », « Boobos », « Ma résidence », « Senior Evasion » ou encore « Voisin’âge ». Malheureusement, on ne peut que déplorer l’absence de plateformes belges équivalentes. 5.2 Les seniors et les gérontechnologies Pas mal d’idées préconçues perdurent encore à l’heure actuelle au sujet d’un soi-disant hermétisme chronique des personnes âgées envers les outils digitaux. Dans les mentalités, une personne âgée est forcément quelqu’un qui ne vit pas avec son temps. Ce cliché est représentatif du « phénomène d’âgisme », c-à-d « le fait de véhiculer toute sorte de stéréotypes négatifs liés au vieillissement » (Schroyen et al., 2014). Pourtant, en 2001 déjà, Vincent Caradec soulignaient que les générations plus âgées n’étaient pas forcément désintéressées des innovations technologiques (Caradec, 2001). 116 Qu’en est-il réellement ? Selon la dernière étude de l'Agence Wallonne des Télécommunications (AWT) de fin 2009 sur l’usage des technologies de l’information (GSM, Internet,…) par les séniors, les tableaux de bord indiquaient des tendances à la hausse par rapport à 2004 dans les niveaux d’usage des 60 ans et plus [37]. Il y apparait par exemple que 72% des séniors possédait un GSM en 2009 alors que le chiffre était de 51% cinq ans plus tôt. Malheureusement, aucune donnée actualisée en la matière n’a été publiée depuis lors. La situation a également bien évolué sur un laps de temps un rien plus long en ce qui concerne l’utilisation d’Internet chez nos aînés. Une enquête publiée par le SPF Economie en janvier 2014 [38] montre respectivement des taux de croissance spectaculaires d’utilisateurs Internet dans les tranches d’âges « 55-64 ans » et « 65-74 ans » sur une période de huit ans. Ainsi, avec 40% d’utilisateurs en 2006, Internet a su séduire 70% des « 55-64 ans » en 2013. De même, les « 65-74 ans » sont passés de 14% d’utilisateurs en 2006 à 48% en 2013. Sans trop m’avancer, j’aurais tendance à penser qu’il est plus que probable que la tendance continue à la hausse dans les années à venir, réduisant « naturellement » la fracture numérique au fur et à mesure du vieillissement de la population et notamment de la génération qui a commencé à naviguer sur Internet dans la deuxième partie des années 90. A en croire une analyse de Cyril Brard publiée fin 2012 [39], nos ainés seraient également de plus en plus nombreux à adopter les smartphones et les tablettes numériques pour les raisons déjà évoquées dans le point 5.1.4 précédent. Toujours d’après cette étude, les séniors utilisent essentiellement Internet pour communiquer et entretenir des relations avec leur entourage. Près de un utilisateur « âgé » sur cinq était d’ailleurs inscrit sur un réseau social en 2012. Si l’on reprend l’enquête de 2014 du SPF Economie, on remarque que la communication n’est pas l’apanage de leurs « cyberhabitudes ». L’utilisation de services bancaires tout comme l’achat de biens ou de services par Internet entrent de plus en plus dans leurs mœurs. On parle d’ailleurs de « Silver surfers » et de « Silver Economie » (de l’anglais « silver » qui désigne une chevelure « poivre et sel » ou littéralement « argentée ») pour désigner respectivement cette catégorie d’acheteurs et le marché qui leur est adressé (Malléa et al., 2013). Nous y reviendrons plus loin. 117 Penchons-nous à présent sur le secteur de la domotique. Actuellement, les entreprises du secteur tertiaire semblent être les principaux clients de cette technologie et il est assez difficile d’avoir une représentation fiable du niveau d’équipement du particulier (Ungaro, 2013). Cependant, d’après une enquête sur un échantillon représentatif de 1000 Belges réalisée par iVOX en février 2013 et commanditée par la société Somfy, incontournable de la domotique en Belgique, le domicile de deux belges sur trois ne serait pas adapté au grand âge et près d’un belge sur deux prévoit des travaux d’aménagement pour y remédier [40]. En effet, la majeure partie des personnes interrogées ont la volonté de rester le plus longtemps possible dans leur propre domicile et deux tiers d’entre-elles se disent aujourd’hui soucieuses d’une situation de dépendance potentielle future. Les préoccupations relèvent aussi bien des répercutions financières qu’engendrerait cette dernière, de la volonté d’être autonome ainsi que de la crainte d’une pénurie de place en maison de repos. Avoir un espace de vie adapté à ses besoins dans la perspective de son avancée en âge (davantage d’espace, luminosité, pilotage mobile...) constitue également une priorité pour le Belge. La grande majorité des interrogés voient dans les technologies d’automatisation, un début de solution pour les accompagner dans une vie indépendante (88 %) et pour leur garantir suffisamment de mobilité et de liberté de mouvement (85,5 %). La domotique semble conquérir de plus en plus le cœur des belges, à un tel point que 42% des répondants déclarent y réfléchir et place ce phénomène dans leur top 6 de projets d’investissement [41]. Malgré un certain engouement, certains préjugés subsistent encore dans les esprits. Pour 44 % des sondés, l’automatisation est forcément synonyme de coûts élevés. De même, une personne interrogée sur cinq est persuadée que la domotique ne peut être envisagée que dans de nouvelles constructions pendant que d’autres la voient forcément corrélée à des câblages, à des trous dans les murs ou à d’impressionnants paramétrages électriques. Au cours d’un chat en direct organisé sur le site Internet de la DH fin février 2013 à l’occasion du salon Batibouw, Alexis Carantonis, journaliste spécialisé en nouvelles technologies, a tenu à remettre les pendules à l’heure en tordant le cou à ces idées toutes faites : « La domotique (issue de la contraction du latin Domus - Maison - et d'Informatique) est vieille de plus de 20 ans mais via les technologies sans-fil, depuis quelques années, elle décolle peu à peu les clichés qui lui colle à la peau. On peut tout à fait débuter en domotique, aujourd'hui, avec moins de 1000 €. Et sans aucune saignée dans le mur, ni un master 118 électricité. Avant, domotique rimait avec budget XXL et nouvelle construction. Ce n'est plus vrai. Grace au sans-fil, elle s'adapte à votre maison (ce n'est plus la maison qui s'adapte), à un prix beaucoup plus abordable. La Belgique n'est pas leader, mais se défend bigrement bien. Tant du côté flamand que du coté wallon, où certaines des firmes les plus cotées voient sans cesse leur carnet de commandes augmenter.il y a un réel intérêt pour la domotique, parce qu'elle réunit tout ce que le Belge attend de sa maison : contrôle, sécurité renforcée et économies d'énergie » [42]. Pour Giovanni Ungaro, chef de Projet Assistance à l’Autonomie au sein de la société française Legrand, spécialiste mondial des infrastructures électriques et numériques du bâtiment [43], la domotique fera, dans un futur à court terme, la part belle aux besoins des séniors et à la prévention (Ungaro, 2013): « Nous voyons de plus en plus d’applications notamment dans le champ de la prévention, qui ouvrent des nouveaux marchés. Dans un avenir proche, je pense que le développement de la domotique se concentrera plus sur l’usage et les besoins des utilisateurs, de façon à pouvoir véritablement entrer dans les usages quotidiens. Selon moi, cette approche se fera à travers la notion de sécurité et ensuite de confort. Il y a quelques années, l’approche était différente et s’intéressait plutôt au segment du confort, ce qui rendait compliquée l’équation coût/bénéfice. La domotique pouvait alors être perçue comme quelques chose de superflu.». Justement, lorsqu’on les interroge à propos de l’ensemble de ces nouvelles technologies d’aide à la réalisation des AVQ, les principaux intéressés, à savoir les personnes âgées, semblent intéressées et enthousiastes. Elles y adhèreront et s’en serviront pour autant qu’elles en aient une image positive et qu’elles en perçoivent un bénéfice dans leur milieu et leurs modes de vie (Piou, Bucher, 2012). Cela suppose également que ces technologies puissent s’intégrer harmonieusement dans leur habitation et qu’elles ne soient pas source de stigmatisation par rapport à un handicap. Un autre aspect important pour faciliter leur adhésion est, toujours selon nos séniors, le fait qu’on prenne le temps de les briefer correctement sur les manipulations des outils ainsi que sur les possibilités de maintenance. Comme souvent, le bon sens consistera donc à consulter en priorité les principaux intéressés pour en connaître les besoins et attentes en guise de pierre angulaire de tout nouveau projet en la matière. En poussant le raisonnement plus loin, on pourrait ajouter qu’il serait bon de s’informer également sur les désidératas des professionnels et aidants familiaux. 119 5.3 Opportunités et faiblesses du secteur des gérontechnologies D’un point de vue économique, le secteur des gérontechnologies semble prometteur dans la mesure où il permettrait à la fois de développer de nouveaux services et de diminuer le coût de la dépendance en se positionnant comme alternative à l’aide humaine coûteuse (Piou, Bucher, 2012). Avec le phénomène de vieillissement de population abordé dans la première partie de ce travail et les près de trois millions de personnes de la catégorie « 65 ans et+ » attendues pour 2030, il y a fort à parier que les nouvelles technologies liées aussi bien au maintien au domicile qu’à la prévention de la fragilité constituent une occasion pour les industriels d’exploiter ce secteur à haut potentiel de consommateurs… mais pas n’importe comment. Au cours d’un entretien avec Sandrine Pradier (voir Annexe F), déléguée territoriale de l’Association nationale Française des Ergothérapeutes, diplômée en gérontechnologie et en informatique, cette dernière expliquait que la France s’est déjà énormément penchée sur la question des technologies d’aide à l’autonomie. Les fabricants et revendeurs de technologies pour séniors se sont regroupés sous la bannière gouvernementale de la « Silver Economie , filière regroupant la production de biens et services dédiés aux personnes âgées et dépendantes (dispositifs de téléassistance, technologies favorisant l’autonomie,…) implémentée à l’initiative de Michèle Delaunay, ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie, et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif » [44]. Néanmoins, malgré les efforts déployés, ces technologies, dont certaines très performantes, ne trouvent pas toujours leur public, pour diverses raisons, selon elle: L’offre des technologies est importante mais il est impossible au profane de déterminer des critères de qualité de ces objets (non réglementés), qui ne sont pas toujours évaluées par des professionnels adéquats: en guise d’exemple, rien n’interdit à un industriel d’appeler un produit « GPS » alors qu’il ne contient pas de puce du même nom. La présentation des technologies à leur public est bien souvent surprenante. Leur sélection s’effectue le plus souvent selon des critères complétement arbitraires : tel 120 objet est vanté de façon marketing « bon pour les séniors » sous prétexte qu’il présente un unique bouton à manipuler, ou correspondant à une pathologie « destiné aux personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer » ou pire, le produit est « le moins cher du marché dans le domaine ». Comme si tous les séniors avaient tous une ressemblance sous l’unique critère de leur âge ou que tous les malades étaient exclusivement identifiés par une maladie ! Ainsi, dans certaines actions (pourtant à visées bienveillantes) vers les personnes âgées, les mêmes solutions sont installées chez tous, indépendamment du profil personnel et écologique de l’utilisateur... c’est inadéquat ! Les suivis des Dispositifs Médicaux Communicants sont actuellement en « quantified self » alors qu’ils devraient plutôt l’être en télémédecine pour séduire les séniors. En d’autres termes, la diffusion de données personnelles ou intimes auprès de destinataires non exclusivement reliés au domaine médical inquiète les séniors et sont un frein psychologique à davantage d’adhésion à ces technologies. En effet, le quantified self ou le « soi quantifié » consiste à mesurer et à confronter avec d’autres personnes des données relatives à son mode de vie : nutrition, activités physiques, poids, sommeil… [45]. Les meilleurs prescripteurs de ces solutions (les ergothérapeutes) sont rares, peu sollicités et encore peu formés, et la plupart ont donc pas mal de préjugés sur ces technologies de qualité très diverses. D’autres faiblesses entravant ce marché ont également été rapportés au travers d’un rapport sur les technologies d’aide à l’autonomie (Piou, Bucher, 2012) : Certaines technologies initialement pensées pour un domaine d’activités bien défini sont transférées sans ajustements aucun dans le giron des personnes âgées, alors même que cette catégorie de consommateurs est très bigarrée dans ses attentes et ses besoins. Il n’est pas rare que certaines technologies soient lancées dans le secteur médicosocial sans en avoir estimé la pertinence aussi bien pour le public cible que pour les aidants. 121 Certaines de ces technologies pâtissent d’un cruel manque de visibilité, soit parce qu’elles sont méconnues du grand public, soit parce que les évolutions sont tellement rapides qu’elles sont assez vite dépassées, soit parce que la multitude de produits est telle qu’il n’est pas évident de s’y retrouver. Le marché est complexe, notamment du fait de la grande variété d’intervenants, issus des milieux sanitaire, industriel, économique ainsi que de la recherche, qui collaborent à la mise sur pieds des nouveaux produits et/ou services et qui ne se connaissent que très mal (Rialle, 2007). 5.4 Conclusion Nous avons constaté que les nouvelles technologies ont un rôle à jouer dans la prévention de la fragilité et peuvent grandement faciliter l’autonomie des personnes âgées, en matière de santé, de mobilité, de sécurité, de prévention, de soins à distance, d’accès à l’information,… Tous ces éléments sont des facteurs favorisant le maintien au domicile. Nos séniors semblent également ouverts à ces dernières et d’autant plus quand elles répondent à un besoin réel, quand elles ne troublent pas leur intimité et quand ils ont pu être mis en confiance (et formés) par rapport à leur utilisation et le respect de leur vie privée. Malheureusement, le marché des gérontechnologies est complexe et matérialisé par un nombre important d’intervenants provenant d’horizons variés, souvent peu soucieux ou conscients des nécessités respectives. Ce phénomène fait que les solutions proposées ne trouvent pas toujours leur public car ne font pas écho aux préoccupations de chacun des utilisateurs finaux. Il persiste donc un souci d’adaptation du potentiel d’innovation technologique à certaines réalités constatées. L’heure est ainsi au rapprochement des différents secteurs (industriels, médico-sociaux, économiques) et au discernement correct des besoins effectifs des utilisateurs, et ce afin de pouvoir aboutir à des solutions qui tiennent compte des impératifs du public auxquelles elles s’adressent mais aussi à ceux des aidants et des professionnels médicaux et paramédicaux. 122 Dans ce contexte, une entité fédératrice capable de réunir, de soutenir, de coordonner et d’accompagner les différents acteurs de la chaine du développement des technologies au service des personnes âgées pourrait peut-être s’avérer utile pour obtenir des résultats probants et qualitatifs mais aussi pour que chacun ait une vision claire de son rôle. En Belgique, cette réflexion pourrait revenir au groupe de travail "Politique de santé à mener à l’égard des personnes âgées / Ouderenzorgbeleid" du SPF « Santé Publique » abordé dans la partie 2 de ce travail. 123 Partie 6. Conclusion générale Les prévisions démographiques font état d’un vieillissement de la population statistique pour les années à venir. Ce phénomène aura plusieurs conséquences dont une augmentation probable de personnes âgées dépendantes ainsi qu’un accroissement du nombre et de la durée des hospitalisations, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les finances publiques. En corollaire, il faudra également s’attendre à des difficultés en aval pour ces personnes pour accéder en maison de repos suite à une pénurie de places disponibles. Tous ces constats invitent dès aujourd’hui à la réflexion pour pouvoir anticiper au mieux ces événements et également, dans une certaine mesure, y influer. Au travers de ce mémoire, nous nous sommes donc attelés à essayer de mieux comprendre les états de prédépendance et les facteurs de perte d’autonomie chez les personnes âgées avec comme objectif le dégagement de pistes pour un maintien prolongé de nos aînés à domicile ainsi que la conservation d’un niveau d’autogestion suffisant le plus pérenne possible. En ce sens, l’intérêt de la détection précoce de fragilité est triple : il permet d’anticiper les états de dépendance en remettant les personnes reconnues comme fragiles sur la trajectoire du vieillissement réussi, d’éviter la survenue d’événements défavorables comme des hospitalisations non programmées (en anticipant les décompensations brutales) ou encore la nécessité d’institutionnalisation et, par conséquent, favoriser le maintien de nos aînés sur leur lieu de vie. Pour ce faire, il est impératif de pouvoir détecter la fragilité de manière précoce puisque, premièrement, les études font état d’une prévalence élevée de sujets fragiles au sein des populations âgées vivant au domicile et, deuxièmement, cet état est très réductible si pris à temps. En effet, d’après les spécialistes, en cas d’état de fragilité avancé, la seule intervention utile et efficace ne pourrait plus être que la prévention de l’apparition de complications. A l’inverse, une prise en charge rapide et efficace permet quant à elle de rendre les bienfaits mentionnés dans le paragraphe précédent possibles. 124 Fort de ces constats, nous nous sommes ensuite mis en quête d’un outil capable de repérer les sujets fragiles en population générale et avons entammé une réflexion afin d’en déterminer les dépisteurs potentiels. La grille SEGA modifiée s’est ainsi avérée un instrument de détection assez pertinent car dotée de plusieurs atouts. Elle se révèle être à la fois efficace, validée scientifiquement, simple pour une administration par n’importe quel acteur du champ gérontologique formé à son utilisation et surtout peu chronophage. Des travailleurs médicaux, paramédicaux et sociaux, régulièrement en contact avec des personnes âgées vivant au domicile, pourraient donc facilement être formés sur son usage et intégrer la passation du support dans leur travail quotidien. C’est ce que nous avons souhaité savoir au travers d’une enquête en mesurant la faisabilité de la chose auprès de coordinateurs de soins et de services à domicile, de médecins généralistes, d’infirmiers et infirmières, d’ergothérapeutes, de kinésithérapeutes et de logopèdes. Il en est donc ressorti que ces professionnels sont favorables à l’adoption de la grille SEGAm, pensent son intégration possible dans leur pratique quotidienne et en perçoivent l’utilité car la notion de fragilité ne leur est pour la plupart pas complètement étrangère. Certains des items de l’outil SEGA modifié pourraient néanmoins poser des problèmes d’estimation (l’humeur) et de perception (l’état de santé par des administrateurs non médecins) mais c’est surtout le risque de sentiment d’intrusion dans sa vie privée qui pourrait être potentiellement perçu par la personne âgée qui a été le plus souvent pointé du doigt par les répondants. Il convient donc de sensibiliser cette dernière sur le bienfondé de la démarche et, d’une manière générale, de tenter d’en faire également un acteur de sa propre autonomie via des actions préventives de sensibilisation et de promotion à la santé. En parallèle, certains pensent que le support pourrait les aider, dans le cadre de leur travail, à saisir l’origine de certains troubles de leurs patients ou encore permettrait de faire comprendre à ces derniers la nécessité de leur intervention auprès d’eux. Dans un contexte de détection de la fragilité, rappelons que le but n’est nullement de se substituer aux gériatres mais bien de rediriger les sujets à risque vers des structures de prise en charge adaptées dans lesquels des examens plus approfondis ainsi que des plans d’intervention personnalisés pourraient être prodigués par ces professionnels de la gériatrie. 125 A ce sujet, il conviendrait d’inciter les hôpitaux de jour gériatrique à prendre le relais en aval en tant que structure principale pour l’orientation des personnes détéctées dans le but de confirmer le diagnostic de fragilité (via EGS), de cerner plus en profondeur les éléments qui la constitue pour jeter les bases de tout plan personnalisé de soins, de prendre le temps d’en expliquer les tenants et les aboutissants aux premiers concernés et d’organiser des suivis dans le temps. Le médecin généraliste pourrait ensuite être le coordinateur du plan personnalisé de soins d’où la nécessité d’un travail coopératif entre les deux entités médicales. D’une manière générale, l’adoption d’un outil de référence commun par tous les acteurs du champs gérontologique dans le cadre de la gestion de la fragilité ne pourrait que renforcer la cohésion dans les échanges et les collaborations entre ces derniers. Ces synergies ne doivent pas exclusivement concerner les acteurs médicaux, paramédicaux et sociaux mais s’étendre également aux intervenants du secteur des gérontechnologies en vue de rationaliser les solutions destinées à détecter la fragilité ainsi que celles ayant pour objectif de prévenir et de compenser les situations de dépendance pour qu’elles puissent réellement répondre aux attentes de leur public cible. Pour parvenir à accorder l’ensemble des protagonistes, il conviendrait certainement de déterminer une entité gouvernementale chargée de coordonner les interactions entre ces derniers. Nos politiques en place ont trop longtemps subi les conséquences du vieillissement comme en attestent les constats établis dans la deuxième partie de ce travail plutôt que de l’anticiper. Il est donc temps de la part de nos pouvoirs publics d’en prendre conscience et de prendre des mesures dans ce sens. Le concept de fragilité est relativement récent mais pourrait y contribuer. Pour illustrer ces propos faisons un parallèle avec la cancérologie qui, à l’origine, devait exclusivement composer avec des patients en phase terminale. Au fil du temps, au travers de dépistages et d’actions de sensibilisation, la maladie a pu être appréhendée de façon beaucoup plus précoce et la cancérologie a largement gagné en efficacité. 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Identification (vignette) Médecin traitant: Personne de référence (tél): Motif d’admission: Destination du patient: Facteurs de déclin fonctionnel et de séjour prolongé 0 1 2 74 ans ou moins entre 75 et 84 ans 85 ans ou plus Domicile Domicile avec aide MR ou MRS Médicaments 3 ou moins 4 à 5 médicaments Plus de 5 médicaments Fonctions cognitives Normales Peu altérées Très altérées Humeur Normale Parfois anxieux Souvent triste et déprimé Perception de santé (en général) Meilleure Bonne Moins bonne Aucune Une et sans gravité Normal, poids stable, apparence normale Perte d’appétit, de poids (3kg/3mois) Franchement dénutri (BMI <21) Pas en dehors de l’AA De 1 à 3 Plus de 3, ou AVC, ou cancerou BPCO, ou Ins. Card. Cong. AVJ se lever, marcher Autonome Soutien Incapacité AVJ continence Autonome incontinence accidentelle Incontinence AVJ manger Autonome Préparation Assistance AVJi : repas, téléphone médicaments Autonome Aide Incapacité AGE Provenance Chute les 6 derniers mois Nutrition Maladies invalidantes (comorbidité) Comme motif d’hospitalisation /26 Données complémentaires Accompagnant Hospitalisation récente (délai) Vision et/ou audition P de référence, ou pas utilité P de référence absente Pas ces 6 derniers mois Oui il y a moins de 6 mois P de référence épuisée Dans le mois qui précède Normale Diminuée et appareillée Très diminuée Couple (famille) Seul avec aide Seul sans aide Aucune Proches Professionnelle(nom, tel : Projet pour la sortie (proches) Institutionnalisation Retour à domicile Incertitude ou alternative Projet pour la sortie (patient) Institutionnalisation Retour à domicile Incertitude ou alternative Perception charge (proches) Normale Importante Trop importante Habitat Aide existante à domicile Fait le : avec l’aide de (proches) : par : 58 Annexe B Grille individuelle d’évaluation du niveau de fragilité Cet outil est destiné à l’évaluation rapide du profil de fragilité des personnes âgées. L’évaluation est faite par tout acteur du champ gérontologique formé à l’évaluation de l’outil, à partir de questions posées au senior et/ou à la personne de référence présente ou contactée par téléphone. La grille n’est pas une évaluation gériatrique, mais dessine un profil de risque de fragilité et donne un signalement des problèmes et des facteurs susceptibles d’influencer le déclin fonctionnel. Nom & Prénom de la personne ……………………………………………………………………………………………………………………………… Année de naissance .......................................... Âge ………………………………………… Sexe …………………………………….. Date évaluation N° Structure Fonction de l’évaluateur N° Personne POIDS (en Kg) TAILLE (en cm) Code postal Statut marital Profil gériatrique et facteurs de risques 0 1 2 Volet A Age Provenance Médicaments Humeur Perception de sa santé par 74 ans ou moins Domicile 3 médicaments ou moins Normale Meilleure santé Entre 75 ans et 84 ans Domicile avec aide prof. 4 à 5 médicaments Parfois anxieux ou triste Santé équivalente 85 ans ou plus FL ou EHPAD 6 médicaments ou plus Déprimé Moins bonne santé Aucune chute Une chute sans gravité Chute(s) multiples ou compliquée(s) Poids stable, apparence normale Perte d’appétit nette depuis 15 jours ou perte de poids (3kg en 3 mois) De 1 à 3 maladies Dénutrition franche Indépendance Aide partielle Incapacité Indépendance Soutien Incontinence occasionnelle Aide ponctuelle Peu altérées Incapacité Incontinence permanente Assistance complète Très altérées Score rapport aux personnes de même âge Chute dans les 6 derniers mois Nutrition Absence de maladie connue et traitée Maladies associées AIVQ (confection des repas, téléphone, prise des médicaments, transports) Mobilité (se lever, marcher) Continence Continence (urinaire et/ou fécale) Prise des repas Fonctions cognitives (mémoire, orientation) Indépendance Normales (confusion aigüe, démence) Total Plus de 3 maladies …. / 26 Score ≤ 8 Personne peu fragile TOTAL Volet A 8 < Score ≤ 11 Personne fragile Score > 11 Personne très fragile Volet B 0 Hospitalisation au cours des 6 derniers mois Vision Audition Support social / entourage Données complémentaires 1 1 hospitalisation de durée < 3 mois Plusieurs hospitalisations ou 1 seule > 3 mois Normale (avec ou sans correction) Normale (avec ou sans correction) Couple (ou famille) Diminuée Très diminuée Diminuée Très diminuée Seul sans aide Seul avec aide Aide quotidienne ou multiple Aide à domicile professionnelle Aidant naturel Aucun besoin Aide unique occasionnelle Aucun besoin Perception de la charge par les proches Habitat Supportable Aide unique occasionnelle Importante Adapté Peu adapté Situation financière 2 Aucune hospitalisation Score Aide quotidienne ou multiple Trop importante Inadéquat Pas de problème Aide déjà en place Problème identifié et absence d’aide Perspectives d’avenir selon la personne Maintien lieu de vie actuel Maintien lieu de vie et renforcement aides Changement de lieu de vie souhaité Perspectives d’avenir selon son entourage Maintien lieu de vie actuel Maintien lieu de vie et renforcement aides Changement de lieu de vie souhaité TOTAL Volet B : …. / 22 Plus le score est élevé, plus grande est la fragilité Cette grille est une adaptation de la grille SEGA (Short Emergency Geriatric Assessment ou Sommaire de l’Evaluation du profil Gériatrique à l’Admission). Auteurs : SCHOEVAERDTS Didier, BIETTLOT Serge, MALHOMME Brigitte, REZETTE Céline, GILLET Jean‐Bernard, VANPEE Dominique, CORNETTE Pascale, SWINE Christian, La Revue de Gériatrie : 2004, vol.29, n°3, pp.169‐178 Remarques de l’expérimentateur ................................................................................................................................................................ ............................................................................................................................................................... …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. Volet C Synthèse et actions Principaux problèmes repérés …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………. Propositions d’actions pour diminuer le niveau de fragilité Besoins repérés par l’évaluateur d’une prise en charge médico‐sociale OUI NON Assistante sociale Protection juridique Auxiliaire de vie Portage de repas Garde de jour Téléalarme Garde de nuit Activité physique ou sportive Hébergement temporaire Vie associative Accueil de jour Soutien aidant naturel Entrée en EHPAD Autre action / à préciser Demande d’A.P.A. TRANSMISSION AU MEDECIN TRAITANT OUI NON Besoins repérés par l’évaluateur d’une prise en charge sur décision médicale OUI NON Évaluation gériatrique complète Prise en charge médicale ciblée Kinésithérapeute Psychologue Ergothérapeute Orthophoniste Diététicien Atelier équilibre Éducation thérapeutique du patient Soutien nutritionnel Autre action / à préciser GUIDE D’UTILISATION DE LA GRILLE D’EVALUATION DU NIVEAU DE FRAGILITE DES PERSONNES ÂGEES EN CHAMPAGNE‐ARDENNE Définition de la personne âgée fragile par le Groupe technique régional Bien Vieillir du PRSP « C’est une personne présentant un état instable conduisant à un risque de décompensation somatique, psychique ou sociale, secondaire à un évènement même minime ; cet état est potentiellement réversible, s’il est identifié, et si des actions adaptées sont mises en place. » Volet A : Provenance : La personne vit‐elle à domicile ou en lieu de vie collectif ? Si elle vit à domicile, reçoit‐elle une aide professionnelle ? (FL : Foyer Logement ; EHPAD : Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes Médicaments : Combien de médicaments différents la personne prend‐elle par jour ? Considérer chaque substance différente prise au moins une fois par semaine. Humeur : Au cours des trois derniers mois la personne s’est‐elle sentie anxieuse, triste ou déprimée ? La question posée est celle du « moral ». On peut demander : Vous sentez‐vous bien, êtes‐vous anxieux, êtes‐vous souvent triste ou déprimé ? Prenez‐vous des antidépresseurs depuis moins de trois mois ? Perception de sa santé : Par rapport aux personnes de votre âge, diriez‐vous que votre santé est meilleure, équivalente, moins bonne ? Cette question doit être posée directement à la personne. Chute durant les six derniers mois : Au cours des 6 derniers mois, la personne a‐t‐elle fait une chute? Par chute compliquée, on entend une chute ayant nécessité un bilan médical. Nutrition : La personne a‐t‐elle actuellement un appétit normal, un poids stable? Durant les 3 derniers mois, la personne a‐t‐elle perdu du poids sans le vouloir ? Si la personne n'a pas de problème évident de nutrition, d’appétit ou de poids, on code (0) ; si elle a une diminution nette de l’appétit depuis au moins 15 jours, on code (1) ; si elle est franchement dénutrie et a perdu sans le vouloir plus de 3 kg en trois mois, on code (2). Autant que possible veuillez renseigner le poids et la taille dans les items au début de la grille, ce qui permettra de calculer l’IMC (Indice de Masse Corporelle). Dénutrition si IMC <21. Maladie associées : La personne souffre‐t‐elle d’une ou plusieurs maladies nécessitant un traitement régulier ? Mobilité : La personne a‐t‐elle des difficultés pour se lever et/ou pour marcher ? Cette zone explore l’indépendance de la personne dans les transferts de la position assise à la position debout et la marche. Le soutien peut être technique (canne, déambulateur) ou humain, on code (1). L’incapacité se définit par l’impossibilité de se lever et/ou de marcher, on code (2) dans cette situation. Continence : La personne a‐t‐elle des problèmes d’incontinence, utilise t‐elle des protections ? Si la personne n’a pas d’incontinence urinaire ni fécale, on code (0). Si elle a des pertes occasionnelles ou une incontinence seulement la nuit, on code (1) ; si elle est incontinente urinaire et/ou fécale en permanence, on code (2). Prise des repas : La personne a‐t‐elle des difficultés pour prendre ses repas, doit‐elle être aidée, doit‐on lui donner à manger tout au long du repas ? Si la personne est tout à fait indépendante, on code (0) ; si son état nécessite une préparation des aliments dans l’assiette et des instructions pour le repas, on code (1) ; si elle nécessite une assistance complète pour les repas, on code (2). Adaptée par le groupe « Bien vieillir » du PRSP de Champagne‐Ardenne et le réseau RéGéCa Activités instrumentales de la vie quotidienne (AIVQ) : La personne a‐t‐elle des difficultés pour accomplir des activités quotidiennes telles que préparation des repas, usage du téléphone, gestion des médicaments, formalités administratives et financières à accomplir…? Si la personne est tout à fait indépendante, on code (0) ; si son état nécessite une aide partielle pour réaliser au moins une de ces activités, on code (1) ; si elle nécessite une assistance complète, on code (2). Fonctions cognitives : Au vu de votre entretien, diriez‐vous que la personne a des problèmes de mémoire, d’attention, de concentration, ou de langage ? Par fonctions cognitives on entend mémoire, attention, concentration, langage, etc. Il ne s’agit pas de faire une évaluation neuropsychologique ou un mini‐mental test (MMSE), mais d’apprécier la situation connue du patient à cet égard. Soit la personne n’a pas de problème de mémoire à l’évidence et on code (0) ; soit il y a un doute sur l’intégrité des fonctions cognitives et on code (1) ; soit les fonctions cognitives sont connues pour être altérées et l’on code (2). COTATION SUR 26 : Elle indique l’intensité du profil de fragilité en reflétant globalement le nombre de problèmes signalés ; il est clair que ce chiffre n’a qu’une valeur indicative. On peut considérer que le profil de la personne est peu fragile pour un score inférieur ou égal à 8, qu’il est moyen pour un score compris entre 9 et 11 et qu’il est très fragile pour un score supérieur ou égal à 12. Volet B : Données complémentaires. Cette partie regroupe des facteurs susceptibles d’influencer le plan de soins et d’aides. Les facteurs sensoriels, le recours à l’hospitalisation y sont pointés ainsi que des facteurs propres aux aides existantes et à l’aidant principal (perception de la charge de soins) ainsi que les facteurs propres aux attentes de la personne et de ses proches. Hospitalisation récente : La personne a‐t‐elle été hospitalisée durant les 6 derniers mois ? Combien de fois a‐t‐elle été hospitalisée ? Une hospitalisation a‐t‐elle duré plus de 3 mois ? Vision : La vue de la personne, avec des lunettes si elle en porte, est‐elle normale, diminuée ou très diminuée ? Audition : L’ouïe de la personne, avec des prothèses auditives si elle en porte, est‐elle normale, diminuée ou très diminuée ? Support social / entourage : La personne vit‐elle seule à domicile, en couple, ou avec un ou plusieurs membres de sa famille ? Aide à domicile professionnelle : Selon vous, la personne de l’aide à domicile de la part de professionnels ? Cette aide est‐elle occasionnelle ou quotidienne ? Combien de services différents interviennent‐ils à son domicile ? L’aide peut‐être à visée soit sanitaire, soit médico‐sociale, soit sociale. Aidant naturel: La personne a‐t‐elle besoin de recevoir de l’aide à domicile de la part de sa famille ? Cette aide est‐elle occasionnelle ou quotidienne, combien de personnes différentes interviennent‐elles à son domicile ? Perception de la charge par les proches : l’accompagnement de la personne est‐il vécu par son entourage comme supportable, importante ou trop importante ? Si l’entourage est absent, on code (2). Habitat : De votre point de vue de professionnel, diriez‐vous que l’habitat de la personne est adapté, peu adapté, ou inadéquat ? Cette zone explore l’influence des conditions d’habitat sur l’autonomie de la personne. Exemples : chambre à l’étage, éclairage déficient, salle de bains non aménagée, absence de barres d’appui, etc. Situation financière : la personne vous semble t‐elle avoir des difficultés sur le plan de ses ressource ? A‐t‐ elle demandé une aide ? La reçoit‐elle déjà ? Il s’agit d’une appréciation déclarative par la personne. Perspectives d’avenir selon la personne : Cette question doit être posée directement à la personne. Dans les 6 prochains mois, envisagez‐vous de modifier votre mode de vie ? Par exemple : renforcer les aides à domicile familiales ou professionnelles, changer de lieu de vie, entrer en maison de retraite ? Perspectives d’avenir selon l’entourage : Cette question doit être posée directement à l’aidant naturel de la personne. Dans les 6 prochains mois, envisagez‐vous la nécessité de modifier le mode de vie de votre parent ? Par exemple : renforcer les aides à domicile familiales ou professionnelles, changer de lieu de vie, entrer en maison de retraite ? Ces deux dernières questions permettent de noter une discordance entre l’avis de la personne et celui de ses proches, notamment sur l’entrée en institution Adaptée par le groupe « Bien vieillir » du PRSP de Champagne‐Ardenne et le réseau RéGéCa Annexe C : Retranscription de l’échange de courriers électroniques avec le Docteur Elisabeth Quignard, Médecin gériatre au centre hospitalier de Troyes et ancienne directrice du Réseau gériatrique de Champagne-Ardenne (RéGéCA). Olivier Bar, email envoyé le 29 octobre 2013 : Bonjour Docteur, Etudiant en dernière année de master en Sciences de Gestion à l’Université catholique de Louvain en Belgique, j’ai choisi de développer mon mémoire de fin d’études sur le thème des personnes âgées fragilisées. Un des objectifs du projet serait de pouvoir détecter le plus rapidement possible les personnes fragilisées et proposer des services intégrés qui les maintiendraient le plus longtemps possible à leur domicile. Ces services leur permettraient donc de rester autonomes, d’améliorer leur qualité de vie et de moins recourir à une hospitalisation de longue durée dans un établissement hospitalier ou à une place dans un home. En faisant quelques recherches sur Internet, je suis tombé sur une présentation assez intéressante dont il semblerait que vous soyez l’auteure (voir pièce jointe). Je me permets donc de vous contacter afin de savoir s’il serait possible de me communiquer les noms des ouvrages de référence qui ont étayé votre présentation. Si c’est possible, j’aurais également souhaité votre avis ou des pistes de réflexion/développement pour pouvoir identifier les personnes à risque et donc établir les profils (caractéristiques) des personnes âgées risquant à court et moyen terme de rentrer dans la catégorie des personnes fragilisées. Pour les personnes déjà fragilisées, il faudrait pouvoir déterminer le degré de fragilité afin d’adapter certains services (services sociaux, des soins, étude et réaménagement de leur habitat, ….). Tous vos conseils sont les bienvenus ! Je vous remercie par avance pour votre aide et vous souhaite une excellente soirée Cordialement, Olivier Bar Réponse du Dr Elisabeth Quignard, email envoyé le 7 novembre 2013 : Bonjour Monsieur, C'est avec un groupe de travail institutionnel que nous avons réfléchi au départ sur cette problématique de la fragilité: il associait des membres du PRSP (santé publique régionale) et le réseau RéGéCA, réseau gériatrique de la région Champagne Ardenne. Nous avions les mêmes préoccupations que celles que vous exposez dans votre mail : repérer les personnes âgées fragiles pour pouvoir mettre en oeuvre des actions de prévention secondaire. Parmi les différentes grilles d'évaluation de la fragilité, nous avons choisi la grille SEGA (Short Emergency Geriatric Assessment) qui est une grille belge élaborée par le Dr Didier SCHOVAERTS et son équipe. Voici les références : La Revue de Gériatrie, 2004, vol.29, N°3, pp. 169-178. Initialement, cette grille doit être utilisée en direction des personnes âgées de plus de 75 ans se présentant aux urgences. Nous avons travaillé à modifier cette grille, avec l'accord de l'auteur, pour la rendre utilisable au domicile en routine, auprès des personnes âgées, par les différents intervenants et services du domicile, dans une optique de repérage. Et nous avons ajouté, grâce à un groupe de travail piloté par RéGéCA, un volet C aux volets A et B, qui correspond à un plan personnalisé de soins et d'aide. Puis la SFGG, société française de gériatrie et gérontologie, a créé un groupe de travail "Réseaux", qui a décidé d'utiliser cette grille. Un certain nombre de réseaux de santé en France utilise donc la grille SEGA, comme par exemple le réseau Gérard Cuny à Nancy, qui en a une bonne expérience. Elle n'était pas validée jusqu'ici sur le plan scientifique, et c'est l'équipe de Pr NOVELLA et du Dr DRAME, de Reims, qui a fait le travail de validation, mené en commun avec la CARSAT (assurance maladie). Ce travail fait également l'objet d'une thèse de doctorat en médecine qui doit être soutenue en décembre prochain à la Faculté de médecine de Reims. Je mets le Dr DRAME en copie de ce mail pour l'informer de votre démarche et vous permettre de le contacter si vous le souhaitez, car je ne suis moi-même plus en charge de ce dossier, ayant quitté le réseau RéGéCA depuis 2010. Vous pouvez aussi contacter le réseau RéGéCA, pour des renseignements plus récents, je mets également la secrétaire en copie pour l'informer. Vous souhaitant bon courage pour vos travaux, Cordialement, Dr Elisabeth QUIGNARD Annexe D Avant de remplir le questionnaire, consultez l’outil de dépistage de la fragilité (grille SEGAm) disponible en annexe (cf. Annexe B). 1) Connaissiez-vous le concept de fragilité chez la personne âgée avant cette sollicitation ? NON pas du tout OUI j’en connaissais l’existence mais pas de façon précise OUI je m’y suis déjà intéressé 2) Après avoir consulté l’outil de dépistage de la fragilité et dans l’hypothèse fictive où on vous le demandait (temps de passation moyen: 5min), pensez vous, en fonction de vos «réalités de terrain», pouvoir intégrer ce dépistage lors de vos consultations ou vos visites à domicile chez vos patients de 65 ans et plus dans votre prise en charge globale? Argumentez en quelques mots votre réponse. (Quelles pourraient en être les difficultés ou les freins et dans ce cas, que faudrait-il faire pour les contourner ou au contraire quels seraient les facteurs favorisants) NON car_ _____________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ OUI car_ ______________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ _ ____________________________________________________________________________ Annexe E Bonjour, Étudiant en dernière année de master en Sciences de Gestion à l’UCL Mons, j’ai choisi de développer mon mémoire de fin d’études sur le thème de la fragilité des personnes âgées. Bien que sa définition ne fasse pas encore consensus, il est communément admis que la fragilité est l’étape avant la dépendance. Tout l’intérêt du concept réside dans la détection précoce du sujet âgé fragile vivant dans la communauté puisque le processus semble réversible si repéré assez tôt. Un outil de repérage assez simple (tiré de la grille SEGA) a été validé psychométriquement par le Professeur Novella et le Docteur Dramé en France. J’aurais voulu avoir votre avis quant aux possibilités d’administration de cette grille auprès des personnes de 65 ans et + lors de vos visites à domicile de tous les jours (quels seraient les freins ou les facteurs favorisant compte tenu de vos réalités de terrain). A cette fin, j’ai développé un petite page où vous pourrez découvrir le support et où 2 simples questions vous seront posées : • • • • • • www.asape.be/generalistes (si c’est un médecin généraliste qui répond) www.asape.be/infi (si c’est un infirmier ou une infirmière qui répond) www.asape.be/kine (si c’est un ou une kinésithérapeute qui répond) www.asape.be/ergo (si c’est un ou une ergothérapeute qui répond) www.asape.be/logo (si c’est un ou une logopède qui répond) www.asape.be/mut (si c’est un travailleur social d’une mutualité ou un coordinateur de soins et de services à domicile d’une mutualité qui répond) Pourrais-je dès lors solliciter votre concours pour y répondre? Cela ne vous prendra que 2 minutes et me permettra d’avoir une idée sur la faisabilité de passation d’un tel instrument compte tenu de vos impératifs quotidiens. D’avance un grand merci de votre collaboration! Cordialement, Olivier Bar Annexe F : Retranscription de l’échange de courriers électroniques avec Madame Sandrine Pradier, déléguée territoriale de l’Association nationale Française des Ergothérapeutes, diplômée en gérontechnologie et en informatique. Olivier Bar, email envoyé le 27 mai 2014 : Bonjour Madame Pradier, Étudiant en dernière année de master en Sciences de Gestion à l’UCL Mons en Belgique (cours du soir), j’ai choisi de développer mon mémoire de fin d’études sur le thème de la fragilité des personnes âgées. Un des objectifs du projet serait de pouvoir détecter le plus rapidement possible les personnes fragilisées et proposer des services intégrés qui les maintiendraient le plus longtemps possible à leur domicile. Ces services leur permettraient donc de rester autonomes, d’améliorer leur qualité de vie et de moins recourir à une hospitalisation de longue durée dans un établissement hospitalier ou à une place dans un home. J'ai ainsi pu constater au cours de mes recherches que la domotique avait fait des avancées en matière de gérontechnologie et pourrait répondre à certains besoins pour un maintien au domicile des personnes âgées. Je me demandais comment étaient accueillies ces solutions chez les séniors? Existe-t-il des données chiffrées qui permettraient de voir la place qu'occupent ces technologies chez nos ainés? J'aurais également souhaité, si c'est possible, avoir votre avis sur les éventuels principaux freins qui subsistent aujourd'hui par rapport à ces outils intelligents (coût? Mentalités?, manque d'infos des intéressés? Peur de la technologie? Manque de développement de solutions dirigées vers les personnes âgées par les industriels?). J'imagine que le coût est parfois assez conséquent mais serait-ce la seule explication? Quelles seraient les éventuels facteurs bloquants ou favorisants? Je pense également que la France propose des aides pour acquérir ce type d'installations. Pouvez-vous m'indiquer de quels subsides il s'agit? Je me permets de vous contacter suite à une de vos présentations auquel ma compagne a eu l'occasion d'assister fin mars à Tournai. Je vous remercie par avance pour votre aide et vous souhaite une excellente journée. Cordialement, Olivier Bar Réponse de Madame Sandrine Pradier, email envoyé le 29 mai 2014 : Bonjour, Vous demandez beaucoup d’informations que je diffuse dans les cours et les congrès (celui de Tournai était plus ciblé). Alors je vais essayer de résumer. En France, nous avons déjà beaucoup avancé sur ce constat. Des actions sont lancées sous l’acronyme PAERPA (personnes âgées en risque de perte d’autonomie). Par ailleurs, les fabricant et revendeurs de technologies pour séniors se sont regroupés sous la bannière gouvernementale de la Silver Economie. Néanmoins, malgré toutes les actions lancées, ces technologies ne trouvent pas leur public... Notre interprétation est multiple : Les technologies ne sont pas évaluées par des professionnels spécialisés : rien n’interdit à un industriel d’appeler un produit GPS alors qu’il ne contient pas de puce du même nom. La veille technologique est extrêmement importante, car les évolutions sont aussi rapides que la téléphonie Il y a le phénomène d’obsolescence programmée aussi... Les actions qui sont menées envers les anciens les considèrent tous avec le même besoin, sous prétexte qu’ils sont... vieux. Donc ils installent à tous le même matériel... inadéquat ! Les suivis de DMC sont actuellement en quantified self et devraient être en télémédecine pour séduire les séniors. Les meilleurs prescripteurs de ces solutions (les ergothérapeutes) sont peu formés, et avec beaucoup de préjugés mais cela change dans les meilleures IFE ... Concernant les données chiffrées, elles sont vite obsolètes aussi... vous les trouverez sur le web. Concernant l’avis des personnes âgées sur les technologies, il est plutôt positif, si elles sont adaptées à leurs besoins et surtout bien expliquées concernant leur utilisation, et la maintenance. Jamais vu de rejet SI ET SEULEMENT SI on explique correctement la manipulation de l’appareil. Après cela devient comme la télévision ! Concernant les aides, alors en France c’est n’importe quoi ! cela dépend de votre âge, taux d’invalidité, votre caisse de retraite, votre mutuelle, et où vous vivez ! Les politiques d’aides sont locales... Bien sûr, ces informations sont résumées mais dans mes cours aux IFE, je mets plusieurs jours à expliquer tout cela, alors... Bien cordialement, Sandrine Pradier Déléguée territoriale ANFE spécialisée en gérontechnologie