Elephant Man - LGT Baimbridge
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Elephant Man - LGT Baimbridge
Elephant Man David Lynch 3 raisons de voir le film 1. Un film humain et sensible sur la différence. 2. La « Lynch touch » appliquée à une histoire vraie. 3. Un noir et blanc intemporel. Pitch Elephant Man s’inspire d’une histoire vraie. à Londres, à la fin du xix e siècle, un jeune chirurgien ambitieux nommé Frederick Treves (Anthony Hopkins) découvre dans une fête foraine une créature monstrueuse exhibée par son maître. John Merrick (John Hurt) est atteint d’une maladie rare qui lui confère une tête difforme et des membres atrophiés. La police interdit le spectacle, et Bytes (Freddie Jones), le « propriétaire de Merrick, gagne la Belgique. Face aux mauvais traitements dont il est l’objet, les autres monstres de la troupe aident Merrick à s’enfuir pour Londres. Il est recueilli par Treves qui obtient du directeur (John Gielgud) le droit de le loger à l’hôpital. Mais si le sort de Merrick s’améliore le jour, il continue d’être maltraité la nuit, le portier de l’hôpital organisant pour les curieux des visites à domicile… En 1980, Lynch n’a réalisé qu’un long-métrage, Eraserhead (1977) à la diffusion confidentielle. Lorsque le réalisateur et producteur Mel Brooks, intéressé par le scénario, envisage de produire Elephant Man, on lui suggère de faire appel à Lynch et on lui montre Eraserhead. Impressionné par l’originalité du film, il engage Lynch qui se retrouve à la tête d’un projet vertigineux : tourner un film historique, en respectant des délais (il avait mis cinq ans à faire Eraserhead) et avec des acteurs légendaires (John Gielgud, Anthony Hopkins). Du coup, Lynch lui-même avoue avoir réalisé tout le film sous tension : « Je n’avais fait qu’Eraserhead et, venant de Missoula, dans le Montana, mettre en scène un drame victorien à Londres, en Angleterre, avec la crème de la crème, n’a pas été du tout cuit. Un plouc arrive, un dingue ; s’ils n’avaient pas été inquiets, c’est qu’ils n’auraient pas été normaux ! C’était vraiment génial, mais je n’ai pas passé un seul jour sans ressentir cette terreur, je ne me suis jamais senti en sécurité. » Entretiens avec Chris Rodley, p. 71. Zoom John Merrick s’est enfui de Belgique avec l’aide des autres monstres de la troupe de Bytes. De retour à Londres, il est remarqué par de jeunes garçons qui le poursuivent, et bientôt traqué par une foule haineuse qui l’immobilise. On le voit ici seul contre tous, au centre de l’image et de tous les regards. Un homme s’apprête à lui enlever le voile qui cache son visage. Ce photogramme, par sa composition, exprime la haine dont l’« hommeéléphant » est l’objet, encerclé par la foule, acculé devant l’escalier qui barre l’horizon et ferme complètement une image déjà très dense. On voit ici le personnage en position de complète infériorité, étranger parmi ses semblables. Mais en même temps, John Merrick est unique, singulier dans une foule elle-même interchangeable. Tous ces hommes sont de dos, identiques, rendus anonymes par leur habit passe-partout (manteau et chapeau). John Merrick, lui, fait face. Paradoxalement, celui qui est « voilé » est aussi celui qui, dans son humanité sincère, a un vrai visage, fût-il le plus vulnérable. Et ce qui fait peur ici, c’est la normalité, avec sa vindicte agressive et grégaire, prête à lever la main. 1 8 Elephant Man David Lynch Carnet de création Le cinémascope À partir d’Elephant Man, Lynch choisit l’écran large du cinémascope. Celui-ci lui sert, selon Michel Chion, « non pas tant à remplir l’image de détails de décoration qu’à augmenter autour des personnages le vide. (David Lynch, p. 67). Dans le cas d’Elephant Man, on comprend aisément le potentiel qu’offre ce format : Merrick est la figure même du personnage isolé au milieu des autres, soit parce qu’il est l’objet d’un spectacle malsain (au début, à la fête foraine, puis la nuit, à l’hôpital), soit parce que, apparemment accepté par la bonne société londonienne, il continue néanmoins d’inspirer le dégoût, comme le montre la scène où il invite un couple à prendre le thé. Le noir et blanc Lynch choisit de tourner en noir et blanc, ce qui n’est pas du tout à la mode à l’époque. Seul Woody Allen fait un choix similaire avec Manhattan (1979). Or, ce parti pris inattendu ne répond pas à une visée esthétisante, à la volonté de faire une belle image contrastée. Ainsi que l’explique Michel Chion, le noir et blanc « colle à l’idée de fumée, de crasse, de misère » (op. cit. p. 67). Il sert à créer une atmosphère brumeuse, à l’image des bas-fonds dans lesquels évolue initialement Merrick, ou encore, plus globalement, à l’image de la société industrielle qui subordonne désormais les hommes aux machines (tel l’ouvrier blessé opéré par Treves). C’est donc l’hostilité du monde à l’égard de l’individu que contribue à exprimer le noir et blanc, le personnage de l’homme-éléphant ne constituant que le cas extrême d’une logique plus générale. Le costume La question du costume de l’homme-éléphant a été l’une des principales causes du stress éprouvé par le cinéaste dans la réalisation d’Elephant man. Dans un garage à Wembley, pendant plusieurs mois, Lynch élabore un costume qui doit permettre à John Hurt de ressembler à John Merrick, tout en évitant d’avoir à le maquiller pendant des heures chaque jour. Ce travail se fonde non sur de simples témoignages écrits mais sur un moulage en plâtre du vrai John Merrick, réalisé après sa mort et conservé dans un hôpital londonien. Mais tous ses efforts sont anéantis à l’instant même où il essaie le costume sur l’acteur : « Ce n’est pas tant l’allure qui ne collait pas, que le matériau : au lieu d’être flexible, il ressemblait à du béton ! Et il était impossible que John puisse bouger là-dedans. Absolument impossible ! » (Entretiens avec Chris Rodley, p. 72.) Le costumier envoyé à la rescousse, Chris Tucker, fabrique alors un costume à partir du moulage de la tête de John Merrick et d’un moulage qu’il fait faire de celle de John Hurt. Le résultat est proche, semble-t-il, de l’apparence réelle de Merrick, tout en permettant à l’acteur de respirer et de se mouvoir ! Parti pris « C’est le monstre qui a peur » Pour Serge Daney, le film procède comme si Lynch disait au spectateur : « Ce n’est pas toi qui comptes, c’est lui, l’homme-éléphant ; ce n’est pas ta peur qui m’intéresse, c’est la sienne ; ce n’est pas ta peur d’avoir peur que je veux manipuler, c’est sa peur de faire peur, la peur qu’il a de se voir dans le regard de l’autre. Le vertige change de camp. » Cahiers du cinéma, n° 322, avril 1981, p. 33. Matière à débat Un film fantastique ? Sélectionné et primé au festival du film fantastique d’Avoriaz en 1981, Elephant Man n’entretient pourtant qu’un rapport ténu avec le genre fantastique. Inspiré d’une histoire vraie, il respecte les codes de la reconstitution historique (costumes, décors, vraisemblance), comme dans la scène 2 8 Elephant Man David Lynch de l’opération chirurgicale, pratiquée sans anesthésie du patient ni antisepsie du personnel ou du site opératoire. Seuls la séquence initiale (évoquant la naissance de Merrick et éclairant son surnom d’« homme-éléphant » sur le mode légendaire) et le traitement du son (dû au sound designer Alan Splet) font discrètement échapper le film à sa dimension réaliste. C’est peut-être au caractère organique du son, plus qu’aux images, que le film doit cette étrangeté qui a contribué à son classement parmi les films fantastiques. En effet, comme l’observe Michel Chion, David Lynch et Alan Splet ont introduit « de sourds battements, des chuintements et sifflements de vapeurs, voire de doux sons éoliens de nature cosmique », qui sont comme « une voix du monde nous parlant à l’oreille » (ibid., p. 68). De même, la bande-son insiste « sur la respiration pénible, asthmatique, terrorisée, de John Merrick, quand on n’a pas encore vu ses traits sur sa cagoule » (ibid., p. 68). Alors même que le film évite de montrer des images spectaculaires (nous ne voyons pas l’« homme-éléphant » quand les badauds, eux, payent pour le spectacle à la fête foraine) et refuse d’effrayer le spectateur, pour privilégier la peur éprouvée par le monstre vis-à-vis des autres (« c’est le monstre qui a peur », dit Serge Daney, signalant un renversement de perspective par rapport à une certaine norme du genre fantastique). C’est probablement ce que la bande-son suggère de souffrance isolée (l’essoufflement de Merrick) ou partagée (le souffle haletant du monde industriel) qui confère au film son inquiétante étrangeté. Nous sommes tous des voyeurs Envoi John Merrick est au centre des regards : celui de la foule qui se presse pour voir le monstre ; celui du chirurgien Frederick Treves, d’abord intrigué par cette créature hors norme et soucieux de sa renommée avant d’éprouver une authentique affection à son égard ; celui de la bonne société londonienne qui acclame Merrick à la fin de la représentation théâtrale dont il est pourtant le spectateur, et non l’acteur. Cette insistance sur le regard traduit le voyeurisme dont les êtres humains font preuve, voyeurisme particulièrement malsain quand il s’applique à des monstres. En effet, les personnages qui se pressent autour de Merrick, toutes catégories sociales confondues, ne cherchent pas à nouer une relation humaine (celle-ci peut toutefois se créer a posteriori, comme avec Treves), mais à satisfaire leur curiosité. L’indignité de ce comportement est soulignée à l’intérieur même du film par le personnage très positif de l’infirmière en chef (Wendy Hiller), qui met en cause les motivations des visites que reçoit Merrick. Le spectateur lui-même doit assumer sa part de voyeurisme, dans la mesure où le montage choisi par Lynch aiguise chez lui une attente – celle du moment où il découvrira le monstre dont tout le monde parle. Le fait de retarder ce moment joue avec notre curiosité malsaine de spectateurs attirés par l’anormalité. Comme Freaks de Tod Browning (1932) auquel il rend hommage, le film fait ainsi surgir une réflexion sur la monstruosité morale, ordinaire, des êtres dits normaux. Passerelles À voir Aude Lemeunier •David Lynch évoque la réalisation du film •Dossier Elephant Man •Mini-site Elephant Man sur le site Image •Étude d’Elephant Man •L’accueil critique d’Elephant Man en France •La figure du monstre dans la littérature et au cinéma À lire •Chion (Michel), David Lynch, éd. Cahiers du cinéma, coll. « Auteurs », 1992, réédité et réactualisé en 2007. •Lynch (David), Entretiens avec Chris Rodley, éd. Cahiers du cinéma, 1998, 2 nde édition 2004. •Daney (Serge), « Le monstre a peur », Cahiers du cinéma, n° 322, avril 1981. 3 © SCÉRÉN-CNDP Vénus noire (2010) d’Abdellatif Kechiche : au début du xix e siècle, la Sud-Africaine Saartjie Baartman est un pendant féminin et parisien de John Merrick, livrée au voyeurisme de la foule et à la bonne conscience de la communauté scientifique.