jurisprudence récente en droit du travail

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jurisprudence récente en droit du travail
JURISPRUDENCE RÉCENTE EN DROIT DU TRAVAIL
(juin 2004)
Par :
Me Louise Cadieux, avocate
Associée Lafortune Leduc, s.e.n.c.
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JURISPRUDENCE RÉCENTE EN DROIT DU TRAVAIL
(Juin 2004)
Il n’y a pas si longtemps encore, il fallait trouver un fondement dans la convention collective
avant d’entreprendre un grief arbitrable. Cela n’est plus aussi vrai aujourd’hui. En effet, un grief
pourrait aujourd’hui trouver son fondement à l’extérieur de la convention collective et être
arbitrable.
L’ARRÊT PARRY SOUND
Une décision récente de la Cour suprême du Canada a changé le droit à cet égard dans la foulée
d’autres décisions. Il s’agit de l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des
services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324 1 . Dans cette affaire originaire de la province
de l’Ontario, une employée à l’essai, syndiquée et couverte par une convention collective, prend
un congé de maternité avant la fin de sa période d’essai. Quelques jours après son retour au
travail, l’employeur la congédie. Elle dépose un grief parce qu’elle considère avoir été congédiée
sans motif et que cette décision est arbitraire, discriminatoire, injuste et de mauvaise foi. Devant
l’arbitre, l’employeur plaide que, en vertu de la convention collective, il « peut, à son entière
discrétion, congédier un employé à l’essai pour tout motif qu’il juge acceptable et une telle
mesure ne peut faire l’objet d’un grief ni être soumise à l’arbitrage ». Après avoir été soumise à
diverses instances, l’affaire se retrouve devant la Cour suprême du Canada.
Dans une décision rendue à 7 contre 2, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada
concluent, après avoir examiné les dispositions de la Loi (ontarienne) sur les normes d’emploi, de
la Loi (ontarienne) de 1995 sur les relations de travail et le Code (ontarien) des droits de la
personne, que les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi fixent plutôt un
minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent se soustraire par contrat et que les arbitres
ont non seulement le pouvoir mais la responsabilité de mettre en œuvre et de faire respecter les
droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois
sur l’emploi comme s’ils faisaient partie de la convention collective. De telle sorte, en
l’occurrence, que le grief de la plaignante a été jugé, en dépit des dispositions de la convention
collective, arbitrable à cause des dispositions des lois sur les droits de la personnes et sur l’emploi
qui interdisent la discrimination fondée sur le sexe (femme enceinte) et qui créent une
présomption à l’effet qu’une femme enceinte congédiée à l’intérieur d’un certain délai l’a été à
cause de sa condition de femme enceinte et qu’il appartient dès lors à l’employeur de renverser
cette présomption en établissant une autre cause juste et suffisante de fin d’emploi. En fait, les
tribunaux comprennent que les employés syndiqués ne peuvent avoir moins de protection ou des
conditions de travail moins avantageuses que des employés non-syndiqués protégés par les lois
minimales du travail et les lois sur les droits de la personne.
Bien que cette affaire se passe en Ontario, cette décision de la Cour suprême du Canada nous
porte à croire que sa portée s’étendra à l’extérieur de cette province, là où des lois similaires aux
lois ci- haut mentionnées sont en vigueur.
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[2003] 2 R.C.S. 157
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Ainsi, tant dans la partie III du Code canadien du travail que dans la Loi (québécoise) sur les
normes du travail, les normes minimales du travail portent, entre autres choses, sur la durée du
travail et les repos, le salaire minimum, l’égalité des salaires, congé annuel, jours fériés, chômés
payés, réaffectation de l’employée enceinte ou allaitante, congé de maternité, congé parental et
congé de soignant, congés de décès, licenciements collectifs, licenciements individuels,
indemnités de départ, saisie-arrêt, congé de maladie, accidents et maladie professionnels,
congédiement injuste, paiement du salaire, harcèlement du salaire etc...
Une lecture combinée des articles 57 (1), 60 (1) et 168 (1) du Code canadien du travail nous
porte à croire que cette décision de Parry Sound est tout à fait transposable aux entreprises
fédérales.
De même une lecture combinée de l’article 93 de la Loi (québécoise) sur les normes du travail,
l’article 13 de la Charte (québécoise) des droits et libertés de la personne et l’article 100.12 (a)
du Code (québécois) du travail nous mène à la conclusion que cette décision de Parry Sound est
tout à fait transposable aux entreprises provinciales au Québec.
Désormais, un grief pourra revendiquer un droit qui se fonde sur la convention collective ou sur
toute autre disposition d’ordre public d’une loi relative aux droits de la personne ou d’une loi
relative aux normes minimales du travail.
En fait, dès que l’on parle de dispositions d’ordre public, elles sont obligatoires pour tous,
employeur et syndicat.
L’AFFAIRE DES ENSEIGNANTS
La question se pose désormais de savoir si l’arbitre a une compétence qui exclut ou non celle de
la Commission canadienne des droits de la personne ou de la Commission québécoise des droits
de la personne, selon le cas, en matière de discrimination. En octobre 2003, cette question a été
posée à la Cour suprême du Canada dans une affaire de Commission des droits de la personne et
des droits de la jeunesse en faveur de Normand Morin, Jocelyne Fortin, Chantal Douesnard,
Josée Thomassin, Claude Dufour et al. c. Le procureur général du Québec, et al, (dossier 29188)
où notre cabinet représentait le Tribuna l des droits de la personne. L’affaire a été prise en
délibéré et nous attendons une décision sous peu. Dépendamment des conclusions de la Cour
suprême du Canada dans cette affaire, les employés syndiqués pourront ou ne pourront plus
déposer auprès des commissions (canadienne et québécoise) des droits de la personne des plaintes
allèguant discrimination. Il serait donc possible que le seul recours ouvert à l’employé syndiqué
soit désormais le grief et l’arbitrage.
L’AFFAIRE ISIDORE GAGNON
On peut penser par exemple au délai-congé dans les cas de fin d’emploi pour des raisons d’ordre
économique ou de réorganisation au sein de l’entreprise. En matière de délai-congé dans une
entreprise fédérale, il faut que le programme de départ volontaire respecte minimalement les pré-
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avis et indemnités prévues au Code canadien du travail qui est le pendant de la Loi sur les
normes du travail au Québec. Or, une jurisprudence constante est à l’effet que les indemnités
prévues à ces lois ne constituent que le minimum que l’employeur doit payer en pareille situation.
Au Québec, les articles 2091 et 2092 du Code civil du Québec prévoient que bien que chaque
partie à un contrat à durée indéterminée puisse y mettre fin en donnant à l’autre un délai congé,
ce délai-congé doit être raisonnable et tenir compte notamment de la nature de l’emploi, des
circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
Enfin, le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du
préjudice qu’il subit, lorsque le délai congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de
manière abusive.
Dans une affaire récente de Isidore Gagnon c. Jean-Pierre Tremblay - et – Syndicat du bois
ouvré de la région de Québec Inc. (C.S.D.)2 devant la Cour d’appel du Québec, le syndicat avait
saisi un arbitre d’un grief collectif contestant le fait que l’employeur n’ait pas donné un délaicongé raisonnable conforme aux articles 3, 4, 8 et 9 de même que 2091 et suivants du Code civil
du Québec. L’employeur a répondu avoir respecté les dispositions de la convention collective
prévoyant un court délai de pré-avis et a plaidé l’irrecevabilité du grief du fait de l’inapplicabilité
des dispositions du Code civil relatives au contrat individuel dans un contexte de litige devant
exclusivement porter sur l’application et l’interprétation des dispositions d’une convention
collective. Or, plaidait l’employeur, la réclamation ne découle ni expressément ni implicitement
de la convention collective. Dans cette affaire de Isidore Gagnon, la Cour d’appel du Québec, se
basant sur l’arrêt Parry Sound de la Cour suprême du Canada, a déclaré que les articles 2091 et
2092 du Code civil du Québec qui sont d’ordre public, font donc partie implicitement des
conventions collectives et peuvent être interprétés et appliqués par l’arbitre de grief. La Cour
suprême du Canada a accueilli la demande en autorisation de pourvoi et cette affaire devrait y
être plaider le 16 février 2005.
Il existe quelques décisions qui ont déclaré qu’en l’absence de dispositions contractuelles ou
législatives prévoyant une situation, le droit supplétif qui s’applique au Québec et ce, même aux
entreprises fédérales, est le Code civil du Québec 3 . Certains pensent donc que l’arrêt Isidore
Gagnon pourrait s’appliquer aux entreprises fédérales au Québec.
Aux critères déjà prévus par l’article 2091 du Code civil du Québec, s’ajoutent les critères
suivants établis par la jurisprudence à savoir : l’âge du salarié, l’importance de l’emploi, les
difficultés à se trouver un emploi identique ou similaire, les conditions économiques du marché
de l’emploi dans la région, l’instruction, les compétences et qualifications du salarié. Il demeure
que l’employé a toujours l’obligation de minimiser ses dommages.
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C.A.Q. 9 décembre 2003, dossier n° 200-09-003505-010, les honorables Rothman, Rousseau-Houle et
Biron (ad hoc)
St-Germain Transport ltée et Bergeron, Me Jean-Marie Lavoie, arbitre, 18 août 1998; Saint-Hilaire c.
Canada (Procureur général) C. F. A., dossier n° A-335-99, 19 mars 2001, les honorables Desjardins,
Décary et Létourneau