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DOSSIER THÉMATIQUE Troubles digestifs du sportif Foie et dopage Liver and doping Jérôme Watelet* D * Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nancy. ans la course à la performance, l’usage de substances exogènes agissant sur la croissance, la vigilance ou la récupération ou ayant simplement des effets antalgiques est devenu une règle chez le sportif de haut niveau. Les nombreuses affaires à scandale publiées quotidiennement dans la presse en sont le meilleur témoignage. Les données sont plus parcellaires pour ce qui est du milieu extraprofessionnel ; 3 à 5 % des enfants, 5 à 15 % des licenciés amateurs et 1 à 5 % des sportifs de loisir sont concernés. Des produits dopants utilisés, nombreux seraient ceux à avoir une toxicité hépatique. La preuve indirecte en est apportée par l’utilisation fréquente de médicaments hépatoprotecteurs (Legalon®) ou d’acides aminés considérés comme tels (Epuram®, Thioctacid® et Ipoazotal®) par certains haltérophiles, bodybuilders et médecins d’équipes étrangères assurant le suivi des cyclistes du Tour de France. Ce recours au dopage peut très rapidement se transformer en addiction, un athlète vulnérable pouvant développer au cours de sa carrière une dépendance qui risquera également de perdurer une fois celle-ci terminée. L’exemple le plus médiatisé à ce jour est celui du cycliste italien Marco Pantani, dont l’autopsie avait permis d’imputer le décès à une overdose de cocaïne. La vigilance du médecin qui suivra l’athlète doit donc s’exercer à deux niveaux : il s’agit, d’une part, de tenter de Source. L’Équipe. 188 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 5 - septembre-octobre 2008 dépister la prise de produits illicites et, d’autre part, de ne pas en sous-estimer les conséquences sur le plan hépatique. Alcool L’objectif n’est pas ici de démontrer les effets délétères de l’alcool sur le foie mais d’apporter la preuve que le sportif et l’ancien sportif sont des sujets à risque de développer une dépendance vis-à-vis de l’alcool, celui-ci accompagnant habituellement la prise de produits dopants. Avant l’avènement des psychostimulants, les sportifs utilisaient l’alcool pour ses propriétés euphorisantes et anxiolytiques, avec l’illusoire perspective de pouvoir améliorer leurs performances. Les anecdotes à ce sujet ne manquent pas, que ce soit Suzanne Lenglen, qui se relança lors de sa première finale à Wimbledon (1919) après un cognac bu avant le troisième set, ou, plus récemment, l’Américain Bode Miller, ancien numéro un mondial du ski alpin, qui reconnaissait avoir participé à certaines compétitions en état d’ébriété. L’usage de l’éthanol, considéré alors comme un produit dopant, fut interdit pour la première fois lors des Jeux olympiques de Mexico, en 1968. Le problème reste cependant entier, et il a été démontré que l’activité sportive pouvait entraîner non seulement une consommation abusive d’alcool, mais aussi une véritable alcoolodépendance, notamment chez les athlètes de haut niveau (1). Les exemples sont légion et ont fait la une de nombreux journaux ; ainsi l’hépatite alcoolique, à l’âge de 46 ans, de Diego Maradona, idole du football argentin (L’Équipe, 4 avril 2007), ou encore les décès de Manoel Garrincha (meilleur buteur de la Coupe du monde de football 1962) et de George Best (footballeur international anglais d’origine nord-irlandaise), ce dernier ayant succombé à l’âge de 59 ans des suites d’une rechute de son éthylisme alors qu’il avait subi une transplantation hépatique trois ans auparavant pour une hépatopathie cirrhogène. Points forts »» Le sportif dopé est sujet à développer au cours de sa carrière, ou ultérieurement, une addiction. »» Tout bilan hépatique perturbé à distance d’un effort chez un sportif devra en premier lieu faire évoquer une hépatotoxicité par consommation de produits plus ou moins licites. »» Les principaux produits hépatotoxiques utilisés et prohibés restent les stéroïdes anabolisants, consommés depuis cinq décennies. Ce qui est nouveau, c’est leur dissimulation possible dans des compléments alimentaires, ces produits risquant tant de positiver un contrôle antidopage que d’engendrer des anomalies hépatiques. »» Un bilan biologique perturbé peut se corriger tardivement après l’arrêt du dopant incriminé. »» Les atteintes organiques induites par les anabolisants (adénomes, péliose, hyperplasie nodulaire régénératrice) et les transfusions (hémosidérose) peuvent aussi régresser après arrêt du produit suspecté sous une stricte surveillance médicale. Une étude française réalisée sous l’égide du ministère de la Jeunesse et des Sports (2) a évalué le risque de dépendance des sportifs vis-à-vis de l’alcool : sur 1 111 patients pris en charge pour des conduites addictives dans des centres spécialisés, 117 étaient des sportifs qui avaient côtoyé le niveau national ou international. Quinze pour cent d’entre eux avaient consommé de l’alcool pendant leur activité sportive, et une majorité (75 %) avait développé une dépendance à l’issue de leur carrière, les sports collectifs étant particulièrement exposés. D’autres travaux commandités par le même ministère et réalisés chez des sujets plus jeunes ont confirmé ces données : une pratique sportive intense est plus fréquemment associée à une consommation alcoolique régulière et à des ivresses répétées ; le dénominateur commun était l’arrêt brutal d’une activité physique intense menée pendant la période adolescente. Il est à noter qu’à l’heure actuelle, et d’après le texte réglementaire en vigueur (décret n° 2007-41 du 11 janvier 2007), l’alcool n’est considéré comme “substance interdite” (classe III) que “dans certains sports” (aéronautique, automobile, billard, boules, karaté, motocyclisme, motonautisme, pentathlon moderne, épreuves comprenant du tir et tir à l’arc), selon la formule du code antidopage émanant du Comité international olympique. Le seuil de violation varie selon la discipline de 0,1 à 0,3 g/l. L’alcool ne fait plus l’objet de restrictions en football, gymnastique, triathlon et ski depuis janvier 2005. Virus des hépatites B et C (VHB et VHC) Sachant que la pratique sportive intensive peut générer une véritable pharmacodépendance pouvant aller jusqu’à la toxicomanie avérée, il n’est pas étonnant de constater des risques accrus d’hépatite B (3) ou C (4-7) chez les athlètes. L’échange de seringues était le facteur commun retrouvé chez des culturistes (6), des haltérophiles (4) ou des footballeurs (5-7). Dans la lutte contre le dopage (et indirectement contre tout risque potentiel de transmission virale), les perfusions autrefois autorisées à des fins “de récupération” font partie depuis 2005 des méthodes prohibées par l’Agence mondiale anti- dopage. D’autres modes de contamination du VHB ont été décrits, essentiellement chez les athlètes pratiquant des sports de combat, avec un risque potentiel de transmission par le sang en cas de plaie ou de lésion cutanée chez les sumotoris et les footballeurs américains, ou par la sueur chez les lutteurs turcs (8). Les conclusions des auteurs aboutissent toujours à la nécessité d’une vaccination préventive (8, 9), non obligatoire mais très fortement conseillée chez les athlètes pratiquant des sports de combat et généralement partisans des traitements parentéraux, qu’ils soient autorisés ou illicites. Cette vaccination ne devra pas – pour des raisons de tolérance – être effectuée dans les 7 jours précédant une compétition ni pendant une phase d’entraînement intensif. Mots-clés Foie Dopage Alcool Hépatites virales Anabolisants Hyperferritinémie Keywords Liver Doping Alcohol Viral hepatitis Anabolic steroids Hyperferritinemia Stéroïdes anabolisants Apportant un gain d’énergie, en termes tant de développement musculaire que de récupération, les anabolisants hormonaux furent utilisés dans tous les sports de force, avec un usage qui tendit à se généraliser dans les années 1950 dans le culturisme, l’haltérophilie ou encore l’athlétisme. Pour preuve, les confessions rétrospectives, dans les années 1970, d’athlètes comme le champion de France de lancer de poids Arnjolt Beer : “Je peux dire que, si l’on prend les dix meilleurs lanceurs du monde, au poids, au disque, au javelot et au marteau, le pourcentage de ceux qui prennent des anabolisants est fort simple à déterminer : c’est 100 %, oui, 100 %”. Il en fut bien évidemment de même sur le plan international, comme en témoigne Ricky Bruch, lanceur de disque suédois : “Sans eux [les anabolisants], je n’aurais jamais dépassé les 67 mètres. J’ai tenté de ne pas en prendre pendant quelques mois. Mes performances sont alors tombées à une moyenne désastreuse. J’ai repris mon traitement et depuis j’ai remporté successivement soixante concours” (Science & vie, n° 206, mars 1999 – déclaration faite en 1972). Le recours à ces substances finit par gangrener d’autres disciplines sportives, et quelques affaires notamment ont fait beaucoup parler d’elles dans les milieux du cyclisme, du judo, du football ou du tennis. La plus médiatisée fut certainement celle du sprinteur Ben Johnson, qui rendit sa médaille d’or du La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 5 - septembre-octobre 2008 | 189 DOSSIER THÉMATIQUE Troubles digestifs du sportif Foie et dopage 100 mètres, gagnée lors des Jeux olympiques de Séoul en 1988, après avoir été convaincu d’usage d’anabolisants. Ces produits sont toujours utilisés dans le milieu sportif, comme le montrent les résultats des contrôles antidopage effectués lors des Jeux paralympiques de Sydney (plus de la moitié des contrôles positifs étaient induits par les stéroïdes) et la suspension récente, pour deux ans, de Floyd Landis, vainqueur du Tour de France 2006, pour dopage à la testostérone. Cette pratique n’est pas limitée aux sportifs de haut niveau et aux adultes. A ainsi été observé, depuis les années 1990, une augmentation d’un facteur de 1,5 à 2,5 des doses moyennes de stéroïdes anabolisants consommées par les sujets jeunes. On dénombre par exemple 2,6 à 5,8 % d’usagers réguliers de ces substances illicites chez les adolescents masculins, avec des constats parfois ahurissants : le plus jeune consommateur avait 8 ans, et plus de la moitié des usagers avait commencé à prendre ces produits avant l’âge de 14 ans. Ces chiffres de 1995 sont issus d’études nord-américaines réalisées avant la mise en place de mesures draconiennes, et notamment de contrôles antidopage ; le problème semble de moins grande ampleur en Europe, où 1 à 2 % des adolescents seraient concernés. En raison de leur utilisation détournée, la plupart des stéroïdes anabolisants ont depuis été retirés du commerce. Malgré l’interdiction d’utilisation de ces produits et les avertissements adressés tant par les instances dirigeantes du sport que par les autorités médicales, les effets néfastes affectant les sportifs se multiplièrent essentiellement aux niveaux cardio-vasculaire, hormonal (stérilité et masculinisation) et psychologique (agressivité, accoutumance, dépendance, suicide). Au niveau hépatique, les premières lésions furent rapportées de manière anecdotique, quasi exclusivement chez des culturistes et des haltérophiles. Les atteintes semblaient plus sévères avec les dérivés 17-α-alkylés qu’avec leurs homologues β-estérifiés. Sur le plan biologique, l’atteinte la plus classique est une cytolyse. Les valeurs sont généralement modérées, mais des taux atteignant 100 fois la normale ont parfois été décrits (10). L’atteinte cholestatique, qu’elle soit clinique ou biologique, est plus rare. Il faut parfois attendre cinq mois après l’arrêt des stéroïdes pour voir se normaliser le bilan hépatique. Toutefois, un bilan hépatique anormal chez un athlète prenant des anabolisants ne reflète pas systématiquement une hépatotoxicité médicamenteuse, en raison du biais que peut représenter une rhabdomyolyse associée ; dans ce cas, la normalité du dosage de la créatine phosphokinase et de la γ-GT peut permettre d’éliminer une atteinte musculaire (11). Afin de préciser les types d’atteinte hépatique causée par la prise d’anabolisants, plusieurs équipes ont étudié la fonction hépatique d’athlètes volontaires soumis à ces produits lors de périodes d’entraînement. Les résultats restent discordants, même si les bilans sanguins hépatiques demeuraient la plupart du temps normaux. Ces constatations seraient imputables à une susceptibilité individuelle mais aussi au fait que les posologies et durées de traitement proposées aux athlètes lors de ces études longitudinales étaient largement Tableau. Tumeurs hépatiques (adénomes et/ou carcinomes hépatocellulaires) chez les athlètes abusant d’anabolisants. Revue de la littérature. Auteur (réf.) Âge Durée de la prise (années) de stéroïdes Lésions (nombre, taille) Complications Manifestations cliniques Traitement et durée de suivi Klava (12) 30 3 ans 1 adénome (9 cm) Douleur épigastrique Surveillance (1 an) Bagia (13) 31 Non renseigné Multiples nodules adénomateux infracentimétriques disséminés+ hémorragie Douleurs abdominales Nausées Surveillance (18 mois) puis chirurgie Socas (14) 35 15 ans 2 adénomes (6 cm, 12 cm) + hémorragie Asymptomatique Surveillance (4 ans) Régression (2 et 4 cm) 23 6 mois Multiples nodules adénomateux infracentimétriques disséminés Asthénie Surveillance (1 an) Disparition lésionnelle Creagh (15) 27 3 ans 4 adénomes (1 cm, 2 cm, 2,5 cm, 4 cm) + hémorragie + transformation maligne Douleurs abdominales Chirurgical (décès postopératoire) Gorayski (16) 35 2 ans 1 adénome (9 cm) + transformation maligne Douleur épigastrique Toux Chirurgical Overly (17) 26 4 ans Hépatocarcinome de la totalité du foie (autopsie) Asthénie Amaigrissement Décès (2 mois) Goldman (18) 37 5 ans Hépatocarcinome du foie droit + hémorragie intratumorale Douleurs abdominales Nausées Chirurgical 190 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 5 - septembre-octobre 2008 DOSSIER THÉMATIQUE inférieures à celles observées habituellement chez les sportifs dopés. Sur le plan morphologique et histologique, l’atteinte hépatique est caractérisée par quatre types de lésions, dont les deux principales sont représentées par l’adénome et l’hépatocarcinome (tableau). ➤➤ L’adénome : six cas ont été publiés à ce jour (12-16). Ils concernaient exclusivement des hommes culturistes âgés d’une trentaine d’années. Le point commun est une surconsommation d’anabolisants (pris par voie orale et/ou parentérale), parfois associée à une polymédication (diurétique ou autres dopants), pendant des périodes variant de 6 mois à 15 ans. L’aspect des adénomes était classiquement polymorphe, la taille et le nombre des lésions variant. La moitié des lésions présentait des signes de nécrose ou d’hémorragie. Dans la plupart des cas, et après confirmation histologique, l’abstention thérapeutique était la règle, sous réserve d’un arrêt impératif et définitif de toute prise de stéroïdes. Cette approche attentiste permettait d’obtenir une régression, voire une disparition, des lésions dans des délais relativement courts. Le recours à la chirurgie s’est imposé uniquement en cas d’hémorragie massive, d’absence de régression après un an et demi de sevrage, ou en cas de transformation maligne. ➤➤ L’hépatocarcinome (15-18) : il s’agit de l’atteinte la plus grave, avec une évolution fatale dans deux des quatre cas publiés (15, 17). Dans la moitié des cas, il s’agissait de la transformation maligne d’un adénome. Ces observations ont longtemps été confinées dans la presse médicale avant d’être relayées par des magazines sportifs ; on citera le cas de Daljit Singh, culturiste de 27 ans, qui fut le premier athlète dont la mort par hépatocarcinome a été officiellement et directement rapportée à la prise d’anabolisants (L’Équipe Magazine, 26 septembre 1987), ou encore celui d’Andreas Münzer, décédé d’une rupture de carcinome hépatocellulaire quatre jours après avoir accédé à une septième place lors d’un tournoi international de bodybuilding. Son épouse rapportera la prise de 120 tablettes de stéroïdes associée à celle d’insuline et d’hormone de croissance pendant les dix mois précédant son décès (Bodyfitness, 1996, n° 23). ➤➤ La péliose : deux cas ont été rapportés, là encore chez des culturistes ; l’un révélé par des douleurs abdominales dans un contexte de décompensation ascitique (19), le second découvert fortuitement lors de l’autopsie chez un homme de 23 ans décédé d’un arrêt cardiaque probablement lié à la prise continue de stéroïdes pendant neuf mois (20). ➤➤ L’hyperplasie nodulaire régénérative (HNR) : Zeid et al. (21) se sont ouvertement interrogés sur la découverte fortuite de varices œsophagiennes chez un haltérophile qui ne présentait par ailleurs aucun signe histologique de cirrhose. La possibilité d’une HNR fut évoquée pour la première fois onze années plus tard à l’occasion d’un premier épisode d’hématémèse chez un culturiste (22) dont la biopsie hépatique n’avait pas mis en évidence de signes histologiques de cirrhose. L’imputabilité des anabolisants fut confortée par la normalité d’une nouvelle endoscopie réalisée 6 mois plus tard après l’arrêt des stéroïdes. Une atteinte hépatique n’est donc pas rare chez les sportifs consommateurs de stéroïdes ; elle a même été reconnue récemment comme un facteur de mortalité prématurée (23). Transfusion sanguine, érythropoïétine et fer Il est communément admis que la pratique d’un sport d’endurance peut être à l’origine d’une diminution du stock en fer de l’organisme. Cette réduction peut survenir rapidement, mais elle reste généralement très limitée du fait de l’augmentation réactionnelle de l’absorption digestive. Une carence martiale, voire une anémie ferriprive, ne peut donc survenir que s’il existe dans le même temps des pertes digestives, phénomène rencontré relativement fréquemment dans les disciplines aérobies intenses. Dans ce contexte, une supplémentation martiale a longtemps été conseillée aux athlètes. Celle-ci s’effectuait de manière totalement empirique, sans support biologique, au risque d’engendrer des consommations excessives, et ce d’autant que les molécules concernées ne faisaient pas partie de la réglementation antidopage. Après 1995, et suite aux transfusions sanguines dont l’usage s’était répandu à partir des années 1970, l’utilisation d’érythropoïétine (EPO), généralement couplée à une supplémentation ferrique parentérale (intramusculaire ou intraveineuse), n’a, quant à elle, cessé de croître. Ainsi, les taux moyens d’hémoglobine de fondeurs professionnels, estimés en 1989 à 14,8 g/dl pour les hommes et à 14,4 g/dl pour les femmes, atteignaient en 1996 19,5 g/dl pour les hommes et 19,7 g/dl pour les femmes, un an avant l’instauration de taux réglementaires limites par la Fédération internationale de ski. La découverte d’hyperferritinémies probablement secondaires à une prise excessive de fer a été rapportée la même année, essentiellement chez les cyclistes (24). Ces constatations motivèrent la réalisation d’une enquête multicentrique natioLa Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 5 - septembre-octobre 2008 | 191 DOSSIER THÉMATIQUE Troubles digestifs du sportif Foie et dopage Pourcentage de cyclistes avec une hyperferritinémie (%) nale qui confirma l’existence d’une supplémentation “anarchique”, non justifiée, dans le milieu cycliste professionnel français (25). Des études internationales ont confirmé ces données, les valeurs de ferritinémie les plus élevées ayant été rapportées chez les coureurs professionnels (26). Bien ancré dans les esprits, le recours à la supplémentation martiale reste toujours d’actualité, et certains sulfates de fer faisaient encore partie des molécules appartenant à la pharmacie de certaines équipes étrangères sur le Tour de France 2007. Le suivi longitudinal dorénavant proposé aux sportifs professionnels a permis de mettre en évidence une évolution à la baisse, lente mais régulière, des taux de ferritinémie : les taux relevés en 2005 étaient ainsi inférieurs à ceux de 2001, que ce soit sur le plan national (figure) [27] ou international (28). L’augmentation constatée en 2003 s’expliquerait par une modification des stratégies de dopage, avec l’abandon de l’EPO recombinante humaine au profit d’un retour aux transfusions homologues ou autologues, comme en témoignent les contrôles positifs de l’Américain Tyler Hamilton (Tour d’Espagne 2004) et, plus récemment, du Kazakh Alexandre Vinokourov (Tour de France 2007). Cette stratégie peut induire une hémosidérose secondaire persistant à l’arrêt de la supplémentation et potentiellement toxique à long terme. En effet, les excès de fer, même minimes, peuvent ne pas s’éliminer spontanément et exposent théoriquement le sportif à un risque accru d’insulinorésistance, de fibrose hépatique ou de carcinome hépatocellulaire. La seule étude 36 34 32 35 32,6 32,1 30 30,7 28 26 26,1 24 22 20 Cyclistes (hommes) Nombre de prélèvements sanguins effectués 2001 2002 2003 Année 2004 2005 61 52 57 51 49 189 170 162 156 186 Figure. Évolution du pourcentage moyen de cyclistes professionnels français présentant une hyperferritinémie (27). 192 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XI - n° 5 - septembre-octobre 2008 rétrospective disponible à ce jour (29), réalisée auprès de 514 anciens cyclistes de haut niveau, a retrouvé une hyperferritinémie chez 13 % des sujets inclus, sans pour autant retrouver de surmortalité à moyen terme. Néanmoins, l’évolution cirrhogène de ce type d’hépatopathie chez le sportif, si rare soit-elle, existe réellement (données personnelles). À défaut de consensus, les recommandations sont claires et ne prêtent pas à discussion : il n’existe aucun avantage à proposer une prophylaxie martiale chez des athlètes dont le bilan hématologique et martial est strictement normal ; une hyposidérémie isolée ne saurait être compensée et doit ainsi être associée à une hypoferritinémie. Quant aux surcharges en fer persistant à l’arrêt de la compétition, elles doivent être traitées, et de nombreux athlètes français et italiens ont déjà bénéficié de saignées, avec des résultats variables sur la mobilisation du fer (30). Autres produits toxiques Si l’atteinte hépatique est classique lors de la prise d’anti-inflammatoires, aucun cas mettant en cause un athlète n’a, à notre connaissance, été publié à ce jour. Néanmoins, et au vu de la consommation non négligeable d’antalgiques par les sportifs, le risque potentiel est bien réel. Nous avons récemment rapporté le cas d’un coureur à pied ayant présenté une hépatite aiguë révélant une cirrhose dont la seule étiologie retrouvée fut la prise quotidienne et continue d’une association paracétamol-codéine à des doses journalières variant de 4 à 8 g pendant quatorze ans, soit une quantité cumulée d’environ 20 kg de paracétamol (31). Le sportif, toujours en quête d’une nouvelle performance, est également consommateur de produits de phytothérapie ou, plus fréquemment, de compléments alimentaires. Dans un marché en pleine expansion, celui-ci verra sa tâche facilitée par la vente libre via Internet et la possibilité d’automédication. Ce type de pratique est à haut risque, puisqu’il a été démontré que les industriels pouvaient introduire sans les déclarer des produits illicites à visée dynamisante et énergétique tels que la nandrolone et l’éphédra. Ayant évalué 634 compléments alimentaires achetés dans 13 pays sur une période de un an, Geyer et al. (32) ont ainsi démontré la présence de produits interdits potentiellement hépatotoxiques dans 15 % d’entre eux, essentiellement sous forme de stéroïdes anabolisants, à des concentrations variant de 0,01 à 190 µg/g. De nombreux sportifs DOSSIER THÉMATIQUE se sont d’ailleurs retranchés derrière ce convaincant motif pour expliquer la positivité d’un contrôle antidopage (N. Keita, spécialiste du 400 mètres haies au Championnat du monde d’athlétisme d’Osaka, 2007). La récente publication des deux premiers cas d’hépatite imputable à la prise d’anabolisants dissimulés dans des compléments alimentaires n’a donc pas étonné (33). Quant aux autres principaux produits utilisés à des fins dopantes, il ne semble pas que la créatine, l’hormone de croissance et certains facteurs de croissance comme l’insulin-like growth factor-1 (IGF-1) aient une toxicité hépatique. Les autres témoignages restent anecdotiques et se basent sur le vécu de l’entourage médical des athlètes. Gérard Gémion, médecin-chef à l’hôpital de Lausanne, rapporte ainsi à propos de cyclistes professionnels renommés : “Les dopés sont menacés de mort. À la mi-mai 1998, Mauro Gianetti, vice-champion du monde en 1996, a été hospitalisé en urgence. Il a passé 15 jours en soins intensifs, en état de choc. Il avait trop pris de PFC, le dernier produit à la mode, et souffrait d’une grave insuffisance rénale et hépatique. Il a failli en mourir. On peut aussi citer le champion cycliste belge Johan Museeuw, qui a souffert lui aussi d’insuffisances rénale et hépatique, comme tous ceux qui se gavent d’EPO ou de PFC…” (FranceSoir, 15 juillet 1998). Conclusion En cas d’atteinte hépatique confirmée à distance d’un effort, la consommation de produits hépatotoxiques sera la première cause à rechercher, sous quelque forme que ce soit (essentiellement prise médicamenteuse, mais aussi phytothérapie ou compléments alimentaires…). Interroger le sportif s’avère donc primordial tant que le dialogue reste possible, ouvert et objectif. Il est évident qu’à l’heure actuelle les mesures de contrôle antidopage draconiennes imposées aux athlètes professionnels facilitent le diagnostic des prises interdites, le problème étant probablement tout aussi répandu mais moins contrôlé dans le milieu amateur. Si l’hépatotoxicité est dans la plupart des cas imputable à ces substances dopantes illicites, il ne faudra pas sous-estimer la possibilité d’absorption d’autres produits parfois totalement méconnus du pratiquant. En témoigne le cas de ces deux golfeurs dont le réflexe de lécher avant chaque coup leur balle (continuellement enduite d’un herbicide chimique utilisé sur les greens, à base d’acide 2-4-dichlorophénoxyacétique, plus communément appelé “agent orange”) occasionna chez eux une atteinte hépatique révélée de manière aiguë (34) ou sur un mode chronique à l’état précirrhotique (35)… ■ Références bibliographiques 1. Schwenk TL, Gorenflo DW, Dopp RR et al. Depression and pain in retired professional football players. Med Sci Sports Exerc 2007;39:599-605. 2. Lowenstein W, Arvers P, Gourarier L et al. Activités physiques et sportives dans les antécédents des personnes prises en charge pour addiction. Ann Med Interne 2000;151(Suppl.A):18-26. 3. Crampin AC, Lamagni TL, Hope VD et al. 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