Les procédures d`insolvabilité sous le droit luxembourgeois (faillite
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Les procédures d`insolvabilité sous le droit luxembourgeois (faillite
• Droit commercial Les procédures d’insolvabilité sous le droit luxembourgeois (faillite, gestion contrôlée, concordat, sursis de paiement) et la période suspecte (articles 445 et 446 du Code de Commerce) Jean-Michel Schmit, Avocat à la Cour et Associé, NautaDutilh Avocats Luxembourg Nicolas Bonora, Avocat, NautaDutilh Avocats Luxembourg Avec la crise économique et financière, les avocats de la place sont désormais plus fréquemment amenés à aviser au sujet des procédures d’insolvabilité sous le droit luxembourgeois. La présente étude en dresse le panorama, sans cependant avoir vocation à en présenter les moindre arcanes. L’étude est limitée aux sociétés (i) constituées au Luxembourg, (ii) dont le centre des intérêts principaux se situe au Luxembourg et (iii) qui ne relèvent pas d’une loi spéciale. Elle se cantonnera donc à un cadre strictement national, la faillite en droit international privé faisant l’objet d’un large développement dans la présente édition de la revue ACE sous la plume de Donata Grasso et Bénédicte Kurth. Les principales options qui s’ouvrent aux sociétés en difficulté sont les suivantes: (i) la faillite qui est régie par les articles 437 à 592 du Code de Commerce; (ii) la gestion contrôlée telle que prévue par un arrêté grand-ducal du 24 mai 1934; (iii) le sursis de paiement régi par les articles 593 à 614 du Code de Commerce; et (iv) le concordat régi par les articles 508 à 527 du Code de Commerce. Il existe certaines autres procédures d’insolvabilité plus spécifiques, tels que la procédure de surendettement applicable aux particuliers, les procédures propres aux établissements financiers sous la loi de 1993 relative au secteur financier et les procédures d’assainissement et de réorganisation applicables à la profession du notariat. Ces procédures ne seront pas traitées dans cet article. Nous nous intéresserons tout d’abord au régime général de la faillite qui est la procédure d’insolvabilité la plus répandue (1), avant d’aborder les autres procédures d’insolvabilité applicables et en présenter le mécanisme et les caractéristiques essentielles (3). En deuxième partie, un coup de projecteur particulier sera porté sur la notion de période suspecte, notion clef du droit des faillites (2). 1. Le régime général de la faillite 1.1. Les conditions de la faillite L’article 437 du Code de Commerce dispose que « tout commerçant qui cesse ses paiements et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite ». L’application du régime de la faillite du Code de Commerce présuppose donc que l’on soit en présence d’un commerçant. Cette qualité est reconnue de facto à toute société commerciale. Au jour où le tribunal statue, deux conditions doivent être cumulativement réunies: (i) la cessation des paiements et (ii) l’ébranlement du crédit. ACE • n° 6 • juin 2009 • page 3 • Droit commercial La cessation des paiements se définit comme l’impossibilité dans laquelle se trouve le commerçant de faire face à ses engagements 1. Ceci suppose impayées des dettes certaines, liquides et exigibles 2. Il n’est pas nécessaire que le commerçant ait cessé tous ses paiements et il est intéressant de constater que le défaut de paiement d’une seule dette suffit pour établir l’état de cessation de paiement dès lors que celle-ci présente une certaine importance et est certaine, liquide et exigible 3. Une simple gêne financière momentanée est quant à elle cependant insuffisante pour caractériser l’état de cessation de paiements. L’ébranlement du crédit se traduit par l’impossibilité pour le débiteur d’obtenir du crédit. Aux termes de la jurisprudence, celui-ci peut provenir tant de l’impossibilité pour le débiteur d’obtenir de l’argent frais pour payer ses dettes et ainsi mettre fin à la cessation de paiements, que du refus des créanciers d’accorder des délais de paiement 4. 1.2. L’ouverture de la faillite Aux termes de l’article 440 du Code de Commerce, le Tribunal de Commerce compétent en matière de faillite est celui du domicile du commerçant ou de son siège social. On entend par siège social, le lieu où le débiteur possède effectivement son principal établissement, son centre d’activités. Il ressort d’une décision du Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale que les juridictions luxembourgeoises peuvent déclarer en faillite une succursale luxembourgeoise d’une société étrangère s’il est établi que le siège social à l’étranger est fictif et que le siège du principal établissement avec le centre d’activité le plus important se trouve au siège de la succursale luxembourgeoise 5. Ensuite, l’article 442 du Code de Commerce prévoit qu’une société peut être déclarée en état de faillite soit (i) sur aveu des directeurs de la société; soit (ii) sur assignation d’un ou plusieurs créanciers; ou enfin (iii) d’office par le Tribunal. 1. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 19 avril 1991, n° 40318 du rôle. 2. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 14 janvier 1972, Pas 22, 306; Cour d’appel de Luxembourg, 2 octobre 1996, n° 17936 et 18523 du rôle. 3. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 5 février 1982, faillite n° 6/82. 4. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 20 juin 1986, n° 36964 du rôle; 19 avril 1991, n° 40318 du rôle. 5. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 14 novembre 1997, n° 47753 du rôle. ACE • n° 6 • juin 2009 • page 4 1.3. Le rôle des différents intervenants de la faillite En vertu de l’article 635 du Code de Commerce, la compétence en matière de faillites revient au Tribunal d’Arrondissement siégeant en matière commerciale. Sa compétence s’étend du prononcé de l’ouverture de la faillite jusqu’au prononcé de sa clôture. C’est également ce tribunal qui est compétent pour trancher les litiges qui peuvent naître de la faillite. Le rôle principal en cas de faillite est joué par le curateur désigné par le tribunal. Celui-ci se voit confier l’administration des biens de la faillite. Sa mission est de réaliser les biens du débiteur et de répartir le produit de leur réalisation entre les différents créanciers en respectant leur rang. A partir du jugement déclaratif, la société en faillite est représentée et peut agir que par le seul curateur. La société en faillite est dessaisie de l’administration de ses biens et ne peut plus accomplir de paiement, opérations ou autres actes sur les biens de la faillite. Seul le curateur pourra agir en justice au nom et pour le compte de la société en faillite, que ce soit comme demandeur et défendeur. Il continue les procès en cours. Le rôle joué par le curateur est hybride puisqu’il doit agir dans le double-intérêt de la société faillie et de la masse de créanciers. Il exerce ses fonctions sous le contrôle du juge-commissaire qui est lui aussi nommé par le Tribunal d’Arrondissement siégeant en matière commerciale. 1.4. Les conséquences de l’ouverture de la faillite A. Le régime des contrats en cours Le principe est celui de la continuation des contrats conclus avant le jugement déclaratif de faillite. Le curateur doit respecter les contrats s’ils remplissent, au jour de la faillite, les conditions de droit commun de l’opposabilité aux tiers. Le curateur doit toutefois s’assurer que l’exécution du contrat est favorable à la masse des créanciers. S’il estime nécessaire de mettre un terme à un contrat, il devra le faire en respectant les conditions prévues par celui-ci. Dans certains cas, l’autorisation du juge-commissaire sera nécessaire (art. 543 et 571 du Code de Commerce). B. Effets sur les contrats de travail Il résulte des termes de l’article L-125-1 du Code du Travail que la faillite a pour conséquence de mettre • Droit commercial un terme avec effet immédiat aux contrats de travail. Chaque salarié a toutefois droit au maintien des salaires ou traitements se rapportant au mois de la survenance de la faillite et au mois subséquent. Par ailleurs, conformément à l’article 125-1 du Code du Travail, les salariés se voient attribuer une indemnité égale à 50 % des mensualités se rapportant au délai de préavis auquel le salarié aurait pu prétendre. Il convient toutefois de préciser que l’indemnité totale attribuée au salarié ne peut dépasser celle à laquelle il aurait eu droit en cas de licenciement avec préavis. C. La situation des créanciers Le principe d’égalité des créanciers constitue l’une des pierres angulaires du droit des faillites luxembourgeois. Les créanciers chirographaires ne sont plus en mesure de réaliser leurs droits à l’encontre de la société en faillite et ce à compter du jour du prononcé de la faillite. Ces créanciers constituent ainsi ce qu’on appelle la masse des créanciers. L’ensemble des biens et droits du failli forme alors le patrimoine à partager entre les créanciers, c’est à dire une masse spécialement affectée à leur désintéressement. On distingue alors créanciers dans la masse et créanciers de la masse. Les dettes relatives à la gestion de la masse sont des dettes dites de la masse. Les dettes de la masse sont considérées comme « superprivilégiées » puisqu’elles seront payées avant toutes les autres dettes. Parmi les dettes de la masse on trouve notamment les frais encourus par le curateur, ainsi que ses frais et honoraires, les frais de conservation du patrimoine du failli, les loyers échus postérieurement au prononcé de la faillite, etc. Par ailleurs, il y a une suspension des poursuites individuelles et voies d’exécution contre la société en faillite. Certains créanciers privilégiés peuvent toutefois agir en mettant le curateur en cause. C’est le cas notamment du créancier hypothécaire. L’exercice des droits conférés au créancier bénéficiant d’un gage sous la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière n’est quant à lui pas suspendu par la faillite. Ce dernier point fait l’objet d’une étude approfondie dans ce même numéro, sous la plume de Danielle Kolbach et Vassiliyan Zanev. Il convient de noter qu’en vertu de la loi, certaines créances bénéficient d’un privilège. Les créanciers qui bénéficient d’un tel privilège sont qualifiés de créanciers privilégiés. Il est ainsi prévu que les salaires dus au titre des six mois de travail précédant la déclaration de faillite ainsi que les montants résultant de la rupture du contrat de travail sont considérées comme privilégiées au même rang que le privilège établi par l’article 2101 du Code Civil. Les salariés sont ainsi créanciers privilégiés de premier rang. Ces créances sont garanties par le Fonds pour l’emploi. Le montant de ce privilège n’est toutefois pas illimité puisque son plafond est fixé à un montant égal au sextuple du salaire social minimum de référence. Les créances de la Sécurité Sociale et des autorités fiscales sont également privilégiées. De même, les bénéficiaires de garanties financières, tels que les créanciers gagistes ou hypothécaires, ont le statut de créanciers privilégiés. Il convient également de relever que la loi du 31 mars 2000 sur les effets des clauses de réserve de propriété prévoit qu’une telle clause conserve ses effets à l’égard de la masse des créanciers en cas de faillite du débiteur. Cette clause prévoit que le vendeur du bien en reste propriétaire jusqu’à complet paiement du prix par l’acheteur. Celle-ci se révèle particulièrement intéressante pour le vendeur en cas de faillite puisqu’il bénéficie d’une forme de privilège, dans la mesure où il peut reprendre possession du bien vendu au failli mais non encore complètement payé par ce dernier. D. La réalisation des actifs L’article 477 alinéa 1er du Code de Commerce prévoit que le curateur peut, sur autorisation du juge-commissaire, vendre immédiatement les objets sujets à dépérissement prochain ou à dépréciation imminente. A cette fin, il suffit pour le curateur de saisir le juge-commissaire par voie de requête ou même par simple lettre. Pour les autres objets mobiliers, l’alinéa 2 de l’article 477 prévoit que le curateur ne pourra les vendre que sur autorisation du tribunal, sur rapport du juge-commissaire et le failli entendu ou dûment appelé. Le tribunal déterminera le mode et les conditions de la vente. 1.5. La responsabilité des dirigeants A. La responsabilité civile La loi du 21 juillet 1992 a introduit en droit luxembourgeois deux actions spécifiques en cas de faillite permettant d’étendre la faillite aux dirigeants d’une personne morale faillie, respectivement de condamner un dirigeant social à combler une partie du passif de la faillite. Il est intéressant de relever, à titre liminaire, que la loi vise toujours un « dirigeant de droit ou de fait, apparent ou occulte, qu’il s’agisse d’une ACE • n° 6 • juin 2009 • page 5 • Droit commercial personne physique ou d’une personne morale ». Ceci nous amène donc à considérer qu’un actionnaire se comportant dans les faits comme un dirigeant de la société pourrait à son tour engager sa responsabilité. L’article 495 du Code de Commerce prévoit qu’après déclaration en faillite, tout dirigeant de droit ou de fait peut être déclaré personnellement en faillite si l’une des conditions prévues à cet article est remplie. Il peut ainsi y avoir une extension de la faillite au dirigeant dans les trois cas suivants: (i) si le dirigeant a fait, sous le couvert de la société masquant ses agissements, des actes de commerce dans un intérêt personnel, ou (ii) si le dirigeant a disposé des biens sociaux comme des siens propres ou (iii) s’il a poursuivi abusivement, dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale. L’effet recherché de l’extension de la faillite au dirigeant est ainsi de sanctionner celui qui a détourné une société à des fins personnelles. Lorsque le tribunal fait droit à une telle action, le passif de la faillite du dirigeant comprend alors, outre son passif personnel, celui de la société dont il est dirigeant et la date de cessation des paiements est celle fixée par le jugement ayant prononcé la faillite de la société. Il apparaît utile de préciser ici que pour prononcer l’extension de la faillite au dirigeant, le tribunal doit constater que celui-ci a personnellement cessé ses paiements et que son crédit est ébranlé. Il doit en outre avoir eu la qualité de commerçant dans les six mois précédant la déclaration de sa faillite. L’article 495-1 prévoit de son côté une action en comblement de passif à l’encontre du dirigeant de société fautif. Ce dernier, qu’il soit dirigeant de droit ou de fait, doit s’être rendu coupable d’une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite. Il s’agit donc d’une responsabilité pour faute prouvée. La notion de faute grave et caractérisée ne connaît par ailleurs pas de définition légale. Il appartient alors aux tribunaux de déterminer si oui ou non une faute est suffisamment grave ou caractérisée pour justifier une telle action. Il ressort ainsi de la jurisprudence récente que, peuvent être considérées comme des fautes graves ou caractérisées, l’absence de tenue régulière de comptabilité 6, l’aveu tardif de la cessation de paiement 7 ou encore le non-paiement des créanciers publics permettant ainsi d’utiliser d’un 6. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 26 février 1999, n°48414 du rôle. 7. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 2 avril 1999, n°48903 du rôle. ACE • n° 6 • juin 2009 • page 6 faux crédit auprès du public 8. Il est intéressant de souligner que si cette faute doit avoir un lien causal avec la faillite puisqu’elle doit avoir « contribué » à celle-ci, l’article ne prévoit en revanche pas que celle-ci doive avoir un lien causal avec l’insuffisance d’actif qu’a fait apparaître la faillite. Cette action ne peut être intentée que par le curateur de la faillite et se prescrit par trois ans à partir de la vérification définitive des créances. Le tribunal appréciera souverainement le montant à mettre à la charge des dirigeants et il le fera en fonction de la gravité des fautes commises par ces derniers. En cas de faute grave et caractérisée, les dirigeants de droit ou de fait de la société déclarée en faillite, associés ou non, apparents ou occultes, rémunérés ou non encourent également une interdiction professionnelle. L’action en interdiction professionnelle est prévue par l’article 444-1 du Code de Commerce. Enfin, lorsque l’on se trouve en présence d’administrateurs de société anonymes ou de gérants de société à responsabilité limitée déclarées en faillite, leur responsabilité peut être recherchée par le biais des articles 59 et 192 de la loi du 10 août 1915. La responsabilité de l’administrateur ou du gérant tombe alors sous les règles du mandat. Par ailleurs, le curateur peut également rechercher la responsabilité de tiers à l’égard de la masse des créanciers. L’application des règles ordinaires de la responsabilité aquilienne des articles 1382 et 1383 du Code Civil trouvent à s’appliquer. Il pourrait par exemple s’agir de la faute commise par une banque 9, un comptable ou un réviseur. B. La responsabilité pénale Les dirigeants de sociétés peuvent également voir leur responsabilité pénale engagée en cas de faillite et ce sur le fondement des articles 573 à 578 du Code de Commerce qui traitent de la banqueroute simple et de la banqueroute frauduleuse. Peuvent ainsi être constitutifs de banqueroute simple, l’aveu tardif de faillite, le fait de ne pas répondre aux convocations du curateur ou du juge-commissaire, ou encore le défaut de tenue d’une comptabilité conforme aux prescriptions de la loi sur les sociétés commerciales. Les cas de banqueroute frauduleuse sont eux repris à l’article 577 et doivent nécessairement faire apparaître l’intention dolosive de leur auteur 10. 8. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 12 février 2003, N°71584,71677 et 73039 du rôle. 9. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 7 décembre 1990, n°428/90. 10. Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 10 juillet 1998, n°47886, 47887 et 48049 du rôle. • Droit commercial 1.6. La clôture de la faillite Avant la clôture de la faillite, le curateur doit obligatoirement convoquer les créanciers à la reddition des comptes et il doit dresser un projet de répartition des actifs qu’il soumet au juge-commissaire. Une fois les montants redus aux créanciers payés, le curateur peut alors présenter une requête en clôture de la faillite En cas d’insuffisance d’actif, c’est-à-dire dès que l’actif de la faillite est insuffisant pour couvrir les frais d’administration et de liquidation de la faillite, le curateur déposera une requête en clôture de la faillite au Tribunal d’Arrondissement compétent qui prononcera, le cas échéant, la clôture de la faillite. Il est à noter que la faillite, même pour insuffisance d’actif, ne peut pas être clôturée dans les six mois du jugement déclaratif de faillite. 2. La période suspecte 2.1. Notion et détermination de la période suspecte La notion de période suspecte est l’une des pierres angulaires du droit des faillites luxembourgeois puisque les actes posés par le failli durant cette période peuvent être remis en cause. Il s’agit d’éviter que le failli puisse passer un certain nombre d’actes avant sa mise en faillite qui seraient préjudiciables aux droits des créanciers. La notion de période suspecte a donc été prévue pour sauvegarder les intérêts de ces derniers. L’article 445 du Code de Commerce prévoit ainsi la nullité d’un certain nombre d’actes et d’opérations lorsqu’ils auront été réalisés par le failli depuis l’époque déterminée par le tribunal comme étant celle de la cessation de ses paiements ou dans les dix jours qui auront précédé cette époque. La période suspecte ne peut toutefois pas remonter à plus de six mois avant le jugement déclaratif de faillite. En pratique, le tribunal fixe d’une façon quasiment systématique son début à six mois avant la faillite. 2.2. Annulation de certains actes accomplis par le failli Les actes et opérations visés à l’article 445, et dont la nullité pourra être demandée, sont les suivants : (i) tous actes translatifs de propriété mobilière ou immobilière à titre gratuit, ainsi que tous autres actes qui présenteraient un caractère de libéralité; (ii) les paiements pour dettes non échues; (iii) les paiements pour dettes échues faits autrement qu’en espèces ou effets de commerce et enfin (iv) le fait de donner des sûretés pour des dettes contractées antérieurement au début de la période suspecte. Il convient toutefois de noter que ce dernier cas ne s’applique pas aux hypothèques et privilèges légaux. Sont en revanche visées toutes dettes, quelque soit leur nature, contractées antérieurement à l’acte constitutif de la sûreté. On cherche à éviter que le failli avantage un créancier par rapport aux autres, en lui donnant une sûreté postérieurement à la naissance de sa créance. Précisons également que dans le cas prévu sub. (iii) il s’agit d’éviter toute dation en paiement 11, c’est-àdire la remise d’une chose différente de celle qui faisait l’objet de l’obligation. Une telle dation ferait sortir des actifs du patrimoine du débiteur et pourrait ainsi être particulièrement préjudiciable aux intérêts des créanciers. En revanche, suite à l’introduction de la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière, qui a généralisé la compensation et les clauses de connexité, on admet que la compensation entre commerçants et personnes commerçantes ou non commerçantes, lorsqu’elle a fait l’objet d’une convention entre les parties avant la faillite, est à considérer comme valable en cas de faillite et est opposable au curateur et à tous tiers. En l’absence de convention valable, si la compensation est intervenue en période suspecte, elle devra être considérée comme nulle. Dans les différents cas prévus à l’article 445, la nullité est automatique. Ceci n’est pas aussi direct pour les actes prévus à l’article 446. Ici la nullité est facultative, cet article prévoyant en effet que certains actes « pourront être annulés » si certaines conditions sont réunies. Les actes visés par l’article 446 sont les paiements faits par le débiteur pour dettes échues ainsi que tous autres actes à titre onéreux. Ils peuvent être annulés, si ceux qui ont traité avec le débiteur avaient connaissance de la cessation de paiements de ce dernier. L’application de cet article est particulièrement malaisée puisqu’il convient non seulement de prouver que le créancier avait conscience des difficultés financières du débiteur, mais encore qu’il avait connaissance de la cessation de paiements. Il appartient en outre au curateur de prouver que la masse a subi un préjudice du fait de l’acte litigieux en question. L’acte doit ainsi avoir rompu l’égalité des créanciers et il s’agit pour les 11. V. sur ce point, Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 8 janvier 1999, nº 48300 du rôle; Tribunal d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 3 décembre 1999, nº45990 du rôle. ACE • n° 6 • juin 2009 • page 7 • Droit commercial juges d’apprécier si le tiers était ou non de bonne foi 12. B. La loi du 22 mars 2004 sur la titrisation L’article 447 du Code de Commerce règle plus particulièrement le cas des droits d’hypothèque et de privilège. Ceux-ci peuvent être valablement inscrits jusqu’au jour du jugement déclaratif de la faillite. Toutefois, les inscriptions prises dans les dix jours qui ont précédé l’époque de la cessation de paiements ou postérieurement, peuvent être déclarées nulles, s’il s’est écoulé plus de quinze jours entre la date de l’acte constitutif de l’hypothèque ou du privilège et celle de l’inscription. Il s’agit ici de sanctionner la négligence grave d’un créancier en tant qu’elle est susceptible de nuire aux tiers. Une autre exception de taille à la période suspecte est prévue dans la loi du 22 mars 2004 sur la titrisation. Cette loi contient des dispositions spécifiques gouvernant la faillite du cédant lorsque des créances futures sont cédées à un organisme de titrisation. L’article 55 prévoit en effet que la cession d’une créance future est subordonnée à sa naissance, mais lorsque celle-ci survient, elle prend effet entre parties et devient opposable aux tiers dès le moment de l’accord de cession, sauf stipulation contraire de celui-ci et ce nonobstant l’ouverture d’une faillite ou de toute autre procédure collective à l’encontre du cédant avant sa naissance. Cette dernière disposition offre donc au cessionnaire de la créance future une protection exceptionnelle en cas de faillite du cédant et ce malgré les règles de la période suspecte. En effet, même si la cession devient effective lorsque le cédant se trouve en période suspecte, cette cession de créance demeure parfaitement valable et exécutoire. Enfin, l’article 448 prévoit la nullité de tous actes ou paiements faits en fraude des créanciers et ce quelle que soit la date à laquelle ils ont eu lieu. Il faut donc un préjudice éprouvé par les créanciers et le curateur doit en outre prouver la fraude du débiteur. Une volonté caractérisée de nuire n’a pas à être établie, il suffit de prouver que l’acte était anormal et que le débiteur a agi en sachant qu’il portait préjudice aux créanciers 13. 2.3. Exceptions à la période suspecte Deux exceptions majeures aux règles de la période suspecte existent en droit luxembourgeois et sont prévues dans des lois spéciales. 3. Panorama des autres procédures d’insolvabilité applicables en droit luxembourgeois 3.1. La gestion contrôlée A. La loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière Cette procédure a été introduite dans la législation luxembourgeoise par un arrêté grand-ducal du 24 mai 1935. La loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière prévoit une exception importante aux règles de la période suspecte et accroît considérablement la protection des titulaires de sûretés prévues par cette loi. L’article 21 leur permet ainsi de réaliser leur sûreté et ce malgré la faillite du débiteur. Les règles de la période suspecte (et en particulier celles de l’article 445) ne leur sont donc pas applicables. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de cette exception et du mécanisme de l’article 21 puisque Danielle Kolbach et Vassiliyan Zanev y consacrent un large développement dans ce même numéro. Elle reste relativement peu utilisée, mais peut s’avérer extrêmement intéressante pour une société qui rencontre des difficultés momentanés pour faire face à ses obligations, mais où il existe une perspective certaine de redressement. La société peut alors réorganiser ses affaires grâce à la gestion contrôlée. Elle peut aussi permettre, si les perspectives sont plus sombres, de réaliser les actifs de la société en préparant un projet de réalisation de l’actif qui soit le plus respectueux possible de l’intérêt de tous les créanciers. 12. Tribunal 1997, nº 13. Tribunal 1997, nº d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 17 janvier 44113 du rôle. d’Arrondissement (com.) de Luxembourg, 11 juillet 46914 du rôle. ACE • n° 6 • juin 2009 • page 8 Par ailleurs, il est rare que le Tribunal d’Arrondissement siégeant en matière commerciale fasse droit à des requêtes en gestion contrôlée. On constate également que très peu de gestions contrôlées aboutissent et qu’elles se terminent bien souvent par une faillite. • Droit commercial A. Conditions d’ouverture Aux termes de l’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 24 mai 1935, un commerçant peut demander le bénéfice de la gestion contrôlée si son crédit est ébranlé ou si l’exécution intégrale de ses engagements est compromise. Ces deux conditions ne sont donc pas cumulatives. Ce même article prévoit que la gestion contrôlée peut être demandée par le commerçant soit en vue de la réorganisation de ses affaires, soit de la bonne réalisation de son actif. Il ressort de la jurisprudence que le débiteur qui demande à bénéficier de la gestion contrôlée doit en outre être de bonne foi. Il ne s’agit pas d’une condition de fond, mais la bonne foi doit exister et c’est le tribunal qui apprécie son existence. Pour que le commerçant puisse être qualifié de mauvaise foi, il doit s’être rendu coupable de fautes lourdes ou d’irrégularités graves 14 et il ne mérite alors pas de bénéficier de la gestion contrôlée. Cette bonne foi doit exister dans le chef du demandeur non seulement lors du dépôt de la requête, mais également durant toute la procédure en gestion contrôlée lorsque celle-ci est accordée 15. Enfin, quant aux conditions d’ouverture proprement dites, il ressort de la jurisprudence que pour qu’une entreprise puisse bénéficier du régime de la gestion contrôlée, il faut qu’il existe une possibilité de réorganisation de cette entreprise de nature à améliorer la marche des affaires et à diminuer le passif 16. De surcroît, pour pouvoir être admis au bénéfice de la gestion contrôlée, le débiteur doit faire des propositions suffisamment concrètes et réalistes en vue d’améliorer la marche des affaires et à diminuer le passif 17. B. Ouverture de la gestion contrôlée La requête en gestion contrôlée n’est pas recevable lorsque la faillite du requérant a été déclarée par un jugement coulé en force de chose jugée. Elle doit être déposée au greffe du Tribunal d’Arrondissement siégeant en matière commerciale compétent. Le tribunal entend le requérant et examine la requête en chambre du conseil. Si le tribunal estime que la mesure sollicitée peut soit assurer progressivement l’assainissement et l’exercice normal du commerce du requérant, 14. Cour d’appel de Luxembourg, 17 février 1982, Reding et Kunsch; Cour d’appel de Luxembourg, 10 février 1982, Pas. 25, 301. 15. Cour d’appel de Luxembourg, 24 mars 1982, nº6376 du rôle. 16. Cour d’appel de Luxembourg, 9 juillet 1980, nº W.B./Halubek Associates. 17. Cour d’appel de Luxembourg, 19 novembre 1981. soit rendre meilleures les conditions de réalisation de l’actif, il va déléguer l’un de ses juges pour lui faire rapport sur la situation du commerçant (article 2). Le juge délégué peut se faire assister d’un expert pour mener à bien sa mission de vérification. Une fois le rapport du juge délégué déposé, le tribunal se réunit alors une nouvelle fois en chambre du conseil pour entendre le requérant puis statue en audience publique en décidant soit de (i) rejeter la requête, soit de (ii) placer la gestion du patrimoine du requérant sous le contrôle d’un ou de plusieurs commissaires. C. Procédure et rôles des différents intervenants Les commissaires nommés par le tribunal ont pour mission de faire dresser l’inventaire des biens dépendant de la gestion contrôlée ainsi qu’un état de la situation active et passive du commerçant. Ils doivent établir dans le délai fixé par le tribunal soit un projet de réorganisation du commerce du requérant, soit un projet de réalisation et de répartition de l’actif (article 6). Ce projet est alors communiqué aux créanciers et ces derniers doivent faire parvenir au greffe du tribunal leur adhésion ou leur opposition dans les quinze jours de sa communication ou, le cas échéant, de sa publication. Le tribunal n’approuve le projet des commissaires que si plus de la moitié des créanciers représentant, par leurs créances non contestées par les commissaires, plus de la moitié du passif ont donné leur adhésion (art 8 alinéa 5). Les créanciers qui s’abstiennent sont comptés parmi les adhérents au projet. Ce jugement approuvant le projet des commissaires est obligatoire pour le commerçant, pour les créanciers de celui-ci, pour les codébiteurs solidaires et les cautions. Si en revanche le tribunal estime ne pas pouvoir approuver le projet des commissaires, il rejette alors la requête, mais peut aussi assigner aux commissaires un bref délai dans lequel ces derniers seront chargés de dresser un nouveau projet. D. La situation des créanciers Le projet des commissaires doit tenir équitablement compte de tous les intérêts en présence et doit respecter le rang des privilèges et hypothèques tel qu’il résulte de la loi. Il résulte de la jurisprudence que bien que l’arrêté grand-ducal ne s’exprime pas expressément sur ce sujet, il existe bien une masse des créanciers dans le cadre de la gestion contrôlée et ce dans la mesure où les droits des créanciers se cristallisent à l’ouverture de la procédure, formant ainsi une masse. Dès lors, il est possible d’établir le ACE • n° 6 • juin 2009 • page 9 • Droit commercial même distinguo qu’en matière de faillites entre dettes de la masse et dettes dans la masse 18. Par ailleurs, les commissaires nommés par le tribunal ont qualité pour demander la nullité de tous actes ou paiements qui seraient faits en fraude des droits des créanciers, conformément à l’article 448 du Code de Commerce et demander la nullité de tout acte qui serait fait en fraude de l’arrêté grand-ducal du 24 mai 1935. E. La situation du débiteur A partir de la décision du tribunal qui délègue un juge pour faire un rapport sur la situation du débiteur, il y a de plein droit au profit de ce dernier sursis à tous actes ultérieurs d’exécution même par les créanciers hypothécaires, privilégiés ou gagistes. La loi ne défend donc que les actes ultérieurs d’exécution et il reste donc permis aux créanciers de faire tous les actes conservatoires de leurs droits. Il résulte également de l’article 3, qu’à compter de cette même décision, le débiteur ne peut, à peine de nullité, aliéner, constituer des gages ou hypothèques, s’engager ou recevoir un capital mobilier sans l’autorisation écrite du juge délégué. Par ailleurs, en vertu de l’article 5, dès que le tribunal fait droit à la requête en gestion contrôlée et que la gestion du patrimoine du débiteur est placée sous le contrôle d’un ou de plusieurs commissaires, le débiteur ne peut alors plus, à peine de nullité, sans l’autorisation des commissaires, aliéner, engager ou hypothéquer ses biens meubles ou immeubles, plaider, transiger ou emprunter, recevoir aucune somme, faire aucun paiement, ni se livrer à aucun acte d’administration. Il s’ensuit que les commissaires jouent un rôle central dans la gestion contrôlée. Ces derniers doivent agir d’un commun accord avec le débiteur, ce qui peut parfois donner lieu à des problèmes 19. Les commissaires peuvent engager leur responsabilité s’ils commettent des erreurs d’appréciation lorsqu’ils dressent l’inventaire des biens dépendant de la gestion contrôlée ainsi que l’état de la situation active et passive du débiteur. F. Faillite du requérant Si la gestion contrôlée aboutit, la société va alors continuer à exister et va pouvoir poursuivre son activité. Sinon, la faillite de la société sera prononcée. 18. Cour d’appel de Luxembourg, 11 juillet 1984, n°7145 du rôle; Cour d’appel de Luxembourg, 26 février 1986, n°8264 du rôle. 19. V. sur ce point, Cour d’appel de Luxembourg, 24 juin 2005, affaire Luxembourg Consulting Food S.A. ACE • n° 6 • juin 2009 • page 10 Le tribunal peut prononcer la faillite du requérant en gestion contrôlée soit après le rejet du rapport déposé par le juge-délégué, soit après rejet de la requête en gestion contrôlée suite à l’établissement du projet par les commissaires. Par ailleurs, conformément à l’article 4, lorsque le tribunal constate que le requérant se trouve en état de cessation de paiement, il détermine alors l’époque à laquelle a eu lieu la cessation de paiement et cette date ne peut être fixée à une date de plus de six mois antérieurs au dépôt de la requête. Cependant, la faillite ne peut être prononcée qu’après la décision définitive de rejet du rapport du juge-délégué intervenue ou du rejet pur et simple de la requête du débiteur ou encore du rejet du projet des commissaires. 3.2. Le sursis de paiement Les dispositions relatives au sursis de paiement figurent aux articles 593 à 614 du Code de Commerce. Cette procédure d’insolvabilité est rarement utilisée en pratique. Elle ne doit pas être confondue avec le régime du sursis de paiement applicable aux établissements financiers et dont les dispositions figurent dans la loi de 1993 relative au secteur financier. Peut-être le fait que le régime du sursis de paiement spécifique aux établissements financiers a été récemment appliqué à plusieurs banques de la place, va conduire les tribunaux à également accepter plus facilement l’application du régime de sursis de paiement de droit commun. A. Conditions Conformément à l’article 593 du Code de Commerce, le sursis de paiement peut être accordé au commerçant qui, par suite d’événements extraordinaires et imprévus, est contraint de cesser temporairement ses paiements, mais qui, d’après son bilan dûment vérifié, a des biens ou moyens suffisants, pour satisfaire tous ses créanciers en principal et intérêts. Cet article prévoit également que le sursis de paiement peut aussi être accordé si la situation du commerçant, bien qu’actuellement déficitaire, renferme des éléments sérieux de rétablissement de l’équilibre entre l’actif et le passif. Il s’agit de permettre à un commerçant de faire face à une gêne momentanée en l’autorisant à surseoir à payer ses créanciers pendant un temps déterminé. Ce sursis doit lui permettre de sortir de cette impasse et de payer ensuite ses créanciers. Il ne peut être • Droit commercial accordé que si la situation du commerçant présente des garanties d’amélioration certaine lui permettant de faire face à son passif. Le régime du sursis de paiement ne peut par ailleurs plus être accordé une fois la procédure de faillite ouverte. La Cour, lorsqu’elle accorde le sursis, en fixe la durée et nomme un ou plusieurs commissaires chargés de surveiller et de contrôler les opérations du débiteur pendant toute la durée du sursis. Cet arrêt est publié dans les conditions prévues à l’article 601 du Code de Commerce. Ce sursis peut être prolongé et ce en suivant la procédure prévue à l’article 600 du Code de Commerce. B. Procédure et rôles des différents intervenants C. La situation des créanciers Le débiteur doit adresser une requête en sursis de paiement simultanément au Tribunal de Commerce dans l’arrondissement duquel il est domicilié et à la Cour Supérieure de Justice. Conformément à l’article 605 du Code de Commerce, le sursis ne s’applique qu’aux engagements contractés par le débiteur avant l’obtention du sursis de paiement. Le Tribunal d’Arrondissement siégeant en matière commerciale nomme un ou plusieurs experts qui procéderont à la vérification de l’état des affaires du débiteur et un de ses juges pour en surveiller les opérations. Il s’agit du juge-commissaire. Il est important de relever que le sursis de paiement ne s’applique pas aux créanciers privilégiés. Ceux-ci sont listés à l’article 605 et comprennent principalement les créanciers publics et les créances garanties par des privilèges, hypothèques ou nantissements. Toutefois, il est prévu à l’article 606 du Code de Commerce que les créanciers hypothécaires ou privilégiés ne peuvent, pendant la durée du sursis, faire procéder à la saisie ou à la vente des immeubles et de leurs accessoires nécessaires à l’exercice de la profession ou de l’industrie du débiteur, pourvu toutefois que les intérêts courants des créances garanties soient payés. Il s’agit donc de préserver les intérêts du débiteur en lui permettant de garder son outil de travail et de sortir de l’impasse financière dans laquelle il se trouve. Aux termes de l’article 595 du Code de Commerce, le tribunal pourra même soit immédiatement, soit pendant le cours de l’instruction d’ores et déjà accorder au débiteur un sursis provisoire. Les créanciers sont ensuite convoqués au moins huit jours avant la réunion par lettre-recommandée envoyée par le juge-commissaire. Au jour indiqué dans la convocation, le juge-commissaire fait son rapport sur la situation du débiteur en présence des créanciers. Ces derniers sont ensuite entendus contradictoirement avec le débiteur (Article 597 du Code de Commerce). Les créanciers déclarent individuellement le montant de leur créance et leur décision d’adhérer ou non à la demande en sursis de paiement. Le tribunal dresse ensuite un procès verbal détaillé et y joint son avis motivé. Cet avis ainsi que toutes les pièces justificatives à l’appui de la demande en sursis de paiement, sont transmis dans les trois jours au procureur général près la Cour Supérieure de Justice. Ce dernier les soumettra ensuite, accompagnées de ses conclusions, au président de la Cour Supérieure de Justice. Ce dernier commet alors un conseiller qui va rendre un rapport sur lequel la Cour statuera dans la huitaine de la réception des différentes pièces (Article 598). On le voit, il s’agit d’une procédure extrêmement lourde, qui fait intervenir un grand nombre d’intervenants différents. Le sursis ne peut être accordé par le tribunal que si les conditions prévues à l’article 593 sont remplies (voir ci-dessus) et si la majorité des créanciers représentant, par leurs créances, les trois quarts de toutes les sommes dues, ont adhéré à la demande (article 599). Quant à la situation des créanciers chirographaires, l’article 603 du Code de Commerce prévoit que le paiement des créances existant au moment de la demande en sursis de paiement ne peut être fait, pendant la durée du sursis, qu’à tous les créanciers proportionnellement à leurs créances. D. La situation du débiteur Le débiteur se trouve privé de la faculté d’effectuer seul un certain nombre d’actes. Ainsi, il a besoin de l’autorisation préalable des commissaires surveillants s’il souhaite aliéner, engager ou hypothéquer ses biens, meubles ou immeubles, plaider, transiger, emprunter, recevoir une somme, faire un paiement ou se livrer à tout acte d’administration (article 603 du Code de Commerce). Son activité se trouve ainsi en quelque sorte placée sous la tutelle du commissaire nommé par la Cour. Par ailleurs, l’article 604 du Code de Commerce prévoit que, pendant la durée du sursis, aucune voie d’exécution ne peut être employée contre la personne ou les biens du débiteur. Les saisies pratiquées ACE • n° 6 • juin 2009 • page 11 • Droit commercial avant le prononcé du sursis restent en état mais le tribunal peut toutefois en accorder la mainlevée après avoir entendu le débiteur, le créancier et les commissaires surveillants. Toutefois, il est à noter que le sursis ne suspend pas le cours des actions intentées ni l’exercice d’actions nouvelles contre le débiteur, lorsque ces actions n’ont pas pour objet la demande de paiement d’une créance non contestée. pour une société qui rencontre des difficultés financières de conclure un accord, appelé concordat, avec ses créanciers et ce afin d’éviter le prononcé de la faillite. Cette procédure est rarement utilisée puisqu’elle requiert l’intervention d’un grand nombre d’intervenants, ce qui la rend compliquée et relativement longue. Enfin, pendant la durée du sursis (y compris pendant la durée du sursis provisoire) aucune inscription hypothécaire ne peut être prise sur les immeubles du débiteur. A. Conditions E. Fin du sursis La révocation du sursis peut être demandée par un ou plusieurs créanciers ou par les commissaires surveillants. Ils ne peuvent le faire que si (i) le débiteur s’est rendu coupable de dol ou de mauvaise foi ou (ii) si le débiteur a contrevenu à l’article 603 du Code de Commerce en payant certains créancier chirographaires pendant la durée du sursis ou encore (iii) s’il apparaît que l’actif du débiteur n’offre plus de ressources suffisantes pour payer intégralement toutes ses dettes. Si le sursis n’est pas révoqué avant cette date, il prend fin à son expiration. En effet, l’arrêt de la Cour accordant le sursis fixe une durée précise pour le sursis. En cas de faillite du débiteur dans les six mois qui suivent l’expiration du sursis, l’époque de cessation de paiements remontera de plein droit au jour de la demande de sursis et ce aux termes de l’article 613 du Code de Commerce. 3.3. Le concordat préventif de la faillite C’est une loi très ancienne, la loi du 14 avril 1886 concernant le concordat préventif de la faillite, qui a instauré le régime du concordat préventif de faillite en droit luxembourgeois. Cette loi a été modifiée par une loi du 1er février 1911 et un arrêté grand-ducal du 4 octobre 1934. Le concordat préventif s’analyse comme une faveur qui est faite au débiteur. Il s’agit en effet d’une mesure protectrice des intérêts du débiteur. L’article 1er de la loi modifiée du 14 avril 1886 dispose ainsi que « le débiteur commerçant pourra éviter la déclaration de faillite, s’il obtient de ses créanciers un concordat préventif dans les formes et conditions prescrites par la présente loi ». Il s’agit ainsi ACE • n° 6 • juin 2009 • page 12 Le concordat préventif ne peut être établi que si la majorité des créanciers représentant par leurs créances non contestées ou admises par provision, les trois quarts de toutes les sommes dues, ont adhéré à la demande. Cette majorité se calcule selon des critères bien précis et qui sont déterminés par l’article 2 de la loi modifiée du 14 avril 1886. Ce même article prévoit que le concordat n’aura d’effet que moyennant l’homologation du Tribunal de Commerce et qu’une telle homologation ne sera accordée qu’en faveur du débiteur malheureux et de bonne foi. Il ressort en outre des termes de l’article 18 de la loi que si à un moment quelconque de l’instruction de la demande en concordat, le tribunal acquiert la conviction que le débiteur n’est pas malheureux et de bonne foi, il pourra le déclarer en faillite. Le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d’après les faits et circonstances de la cause, si la bonne foi exigée existe ou fait défaut 20. Les conditions du concordat préventif sont donc celles de la faillite, auxquelles s’ajoutent le fait que le débiteur doit être malheureux et de bonne foi. B. Procédure et rôles des différents intervenants La requête en concordat de préventif de faillite doit être adressée par le débiteur au Tribunal d’Arrondissement de son domicile. Selon l’article 3 de la loi du 14 avril 1886, elle doit être accompagnée de propositions concordataires faites par le débiteur. Selon l’article 5, suite à l’introduction de la demande, le Tribunal d’Arrondissement siégeant en matière commerciale déléguera un de ses juges pour vérifier la situation du requérant et établir un rapport. Ce rapport doit être fait à bref délai de manière à ce que le tribunal puisse statuer dans la huitaine. Ensuite, le tribunal va délibérer en chambre du conseil pour décider si oui ou non il y a lieu de poursuivre la procédure pour l’obtention d’un concordat préventif de faillite. Cette décision est motivée et rendue en audience publique. 20. Cour d’appel de Luxembourg, 23 décembre 1887, Pas. 2, 555. • Droit commercial Si le tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure en obtention d’un concordat, il prononcera dans le même jugement la faillite. Ce jugement est susceptible d’appel dans les quinze jours de son prononcé. Si en revanche le tribunal estime que la procédure pour l’obtention d’un concordat peut être poursuivie, il fixera immédiatement les lieu, jour et heures auxquels les créanciers seront convoqués. Le débiteur peut ainsi effectuer ses propositions concordataires à ses créanciers avant cette convocation. Le juge délégué nommé par le tribunal surveille le bon déroulement des opérations concordataires et c’est lui qui présidera l’assemblée des créanciers. Aux termes de l’article 7, le juge délégué peut également nommer des experts afin que ces derniers l’assistent dans sa mission en procédant à la vérification des affaires du débiteur. Le débiteur va ensuite faire ses propositions concordataires et c’est sur ordre du juge délégué que les créanciers seront convoqués individuellement par lettre recommandée huit jours au moins avant l’assemblée concordataire (article 8). Au jour fixé pour l’assemblée des créanciers, le juge délégué fera un rapport sur l’état des affaires du débiteur. Ce dernier formulera alors en personne ou par fondé de pouvoirs ses propositions concordataires. Les créanciers font alors par écrit la déclaration du montant de leurs créances et déclarent en même temps s’ils adhèrent ou non au concordat (article 9). Enfin, le juge délégué fera son rapport en audience publique du tribunal au jour fixé en conformité avec l’article 12 (5) et les créanciers ainsi que le débiteur pourront être entendus. Selon l’article 15, le tribunal statuera ensuite, sur les conclusions du Ministère public, par un seul et même jugement sur les contestations et sur l’homologation. Ce même jugement détermine en même temps la date de cessation de paiements. Le tribunal refusera l’homologation du concordat lorsque les dispositions de la loi n’ont pas été respectées ou lorsque des motifs tirés de l’intérêt public ou de l’intérêt des créanciers sont de nature à empêcher le concordat préventif. L’appel comme l’opposition au jugement d’homologation ne sont pas suspensifs de son exécution Enfin, il existe une catégorie particulière de concordat préventif, le concordat par abandon d’actif. Dans ce cas, le débiteur et les créanciers doivent désigner dans le concordat, une ou plusieurs personnes chargées de réaliser l’actif du débiteur sous la surveillance du juge délégué. Des liquidateurs sont alors nommés par le tribunal et ils exercent leur mission sous la surveillance du juge délégué (art 34). C. Situation des créanciers L’homologation du concordat le rend obligatoire pour tous les créanciers. Il ne s’applique qu’aux engagements contractés antérieurement à son obtention. Il est également important de préciser que le concordat préventif est sans effets relativement (i) aux impôts et autres charges publiques, (ii) aux créances garanties par des privilèges, hypothèques ou nantissements et (iii) aux créances dues à titre d’aliments. Ainsi, l’une des particularités les pus notables du concordat est que les créanciers hypothécaires ou privilégiés ou nantis de gage n’ont voix délibérative dans les opérations relatives au concordat, pour leurs créances, que s’ils renoncent à leurs hypothèques, privilèges ou gages et ce aux termes de l’article 10. Le vote du concordat emporte ainsi de plein droit renonciation. Avant le vote de l’assemblée concordataire, le juge délégué avertit cette catégorie de créanciers des conséquences de leur vote. La renonciation demeure sans effet si le concordat n’est finalement pas admis par le tribunal. D. Situation du débiteur Tout comme dans le cadre de la faillite, le débiteur ne pourra plus aliéner, hypothéquer ou s’engager sans autorisation du juge délégué (article 6 de la loi du 14 avril 1886). Par ailleurs, aux termes de l’article 5 de la loi du 14 avril 1886, la décision du tribunal déléguant un de ses juges pour vérifier la situation du débiteur entraîne de plein droit, au profit de ce dernier, un sursis provisoire à tous actes ultérieurs d’exécution. E. Fin du concordat Le juge délégué est chargé d’examiner l’état du concordat tous les trois mois. Pour mener à bien cette tâche, il peut se faire assister d’experts qu’il désignera (article 28). Le concordat prend fin en cas de retour à meilleure fortune du débiteur. Dans ce cas, il sera tenu de payer intégralement ses créanciers. Le concordat peut également prendre fin en cas d’annulation de celui-ci par le tribunal. Ainsi, l’article 26 prévoit que les cautions et tous créanciers liés par le concordat peuvent en demander l’annulation en cas de condamnation du débiteur pour banqueroute simple ou frauduleuse intervenue après l’homologation soit pour cause de dol découvert depuis ladite homologation et résultant soit de la dissimulation de ACE • n° 6 • juin 2009 • page 13 • Droit commercial l’actif, soit de l’exagération du passif. Dans ces deux cas, le tribunal prononce l’annulation du concordat et la faillite du débiteur. Cette annulation du concordat libère de plein droit les cautions. Finalement, en cas d’inexécution du concordat, la résolution peut en être poursuivie en présence des cautions qui y sont intervenues pour en garantir l’exécution. Cette résolution du concordat ne libère toutefois pas lesdites cautions. Il est enfin à noter qu’en cas de faillite du débiteur dans les six mois suivant la résolution du concordat, la date de cessation de paiements pourra être reportée au jour où le concordat a été demandé. 4. Conclusion En définitive, on constate que la faillite demeure la reine des procédures d’insolvabilité tant est si bien qu’on parle couramment de droit des faillites, lais- ACE • n° 6 • juin 2009 • page 14 sant ainsi de côté les autres procédures qui s’ouvrent au débiteur en difficulté. Celles-ci permettraient, si elles étaient plus fréquemment appliquées, d’éviter bien des faillites et d’assurer le sauvetage d’entreprises en difficulté. Les créanciers en sortiraient également gagnants. Il serait certainement opportun que le législateur intervienne pour moderniser et simplifier ces procédures qui font sans doute intervenir un trop grand nombre d’intervenants, sont trop complexes et ne garantissent pas suffisamment les droits des intéressés. L’introduction en droit luxembourgeois d’une véritable procédure de redressement judiciaire pourrait aussi constituer une alternative utile. On pourrait dire que celle-ci existe déjà sous la forme de la gestion contrôlée. Pour rendre cette procédure attractive, il faudrait cependant que le législateur intervienne pour en simplifier significativement les modalités d’application.