Doors
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Doors
On a retrouvé la clé. Réactualisation du mythe de la Mort d’Orphée. Ainsi parlait Jim Morrison, l’une des incarnations majeures du rock, de la jeunesse de la seconde moitié du 20e siècle. Sa légende s’articule sur ce recyclage involontaire. Dans la mythologie gréco-romaine, ce sont des femmes ivres, prêtresses de Bacchus, dieu de l’ivresse, des Bacchantes, qui dérangent l’artiste dans sa solitude et lui font un mauvais sort. La solitude amère où l’a plongé la mort d’Eurydice. Elles tuent Orphée, le premier poète, l’homme et son inspiration. Sagesse des mythes antiques qu’il faut sans cesse interpréter. 1 7-19, rue Beautreillis : dernier domicile connu. C’est peut-être là qu’est mort Jim Morrison. Mais qu’y avait-il derrière la Porte ? Juste un type qui s’est noyé dans une baignoire ? L’adresse d’un Desdichado américain ? Morrison aurait voulu ouvrir les portes de l’esprit, libérer les gens. Jouir sans entrave, vivre sans contrainte. Mais quand il s’est aperçu qu’il n’y arrivait pas, il n’a eu plus qu’une hâte : gagner Paris et retrouver l’âme des anciens poètes. Là, Baudelaire revient hanter Morrison. Au Rock’ n’Roll Circus, le soir de son décès, il se remémore quelques vers de la « Mort Des Amants ». Jim Morrison était certainement un vrai poète. Il y a une quête spirituelle chez lui, celle de l’excellence. Il faut oublier le frimeur, l’exhibitionniste, le sex-symbol. Se focaliser sur ses déceptions, son désarroi. Ce qu’il ressent quand la critique se gausse de ses textes. Se dire poète n’est pas sans risque. On s’expose à la risée, aux calomnies, aux jaloux, aux envieux. On se moque de ses recueils, « Lords » et « New Creatures », où il a pourtant mis le meilleur de lui-même, sa sensibilité exacerbée sous l’image du macho imbu de son propre reflet. Narcisse rejoint Orphée aux enfers. La critique, la justice, l’établissement ont cherché à le casser. Se focaliser sur cet être désemparé, sous l’emprise de l’alcool et la drogue, le doute subsiste. L’artiste tente en vain de remettre ses pas dans un sillon doré et perdu. Tous ces poètes français : Baudelaire, Nerval, Rimbaud... Les textes d’Arthur Rimbaud l’habitent toujours. Les siens sont sympathiques mais ne sont-ils pas que l’ombre américaine du témoin de Charleville ? Qu’il ait hanté le Rock’n’Roll Circus, boîte à la mode, et qu’il y soit mort (?) ne laisse pas de troubler. La pochette de l’abum «Strange Days », avant les Rolling Stones, dénonce ce que va devenir le rock, un cirque de freaks. ERRANCES DE MORRISON La poésie demande de l’exigence et une certaine humilité. A ce titre, Morrison ne serait pas poète. Il se prenait, parfois, pour le porte-parole de toute une génération. Et si Jim était avant tout un frimeur ? Si sa poésie n’était qu’une pose, une posture et donc une imposture ? Juste un crooner psyché ? Un Frank Sinatra mort dans l’œuf ? Pas facile de trancher. Mais si le poète est la mauvaise conscience de son temps alors Jim en est véritablement un. Comme Blake et Breton. Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, dans les chansons des Doors. Il y a du sang dans les rues. On a tué notre leader. Les spectateurs sont des vampires assagis. Morrison est un anti-Pangloss, et tout sauf un Candide. Tout va mal dans le pire des mondes. Cauchemar climatisé. En 1971, Jim erre à Montparnasse, puis rue de l’Odéon, devant les galeries d’art. Désœuvré, il boit une bière, regarde tel paysage de Vermeer, tel fétiche wolof, telle tristesse de Watteau. Des comédiens de cirque sans le moindre contrat. Des saltimbanques. La statue du Sénégal lui semble délicieusement kitsch. Dans une autre vitrine, rue Bonaparte, des singes de Goya, contraints à la mendicité. Des autographes de Verlaine à son propriétaire. Une facture fanée, adressée à Baudelaire. Les papiers sont jaunis. DOORS Réouverture des Portes De l’encre de grimoire. Sur les quais, il longe la Seine, passe devant la librairie Champion, voit les livres exposés en vitrine, des correspondances d’auteurs qu’il ne connaît que de nom. Une autre bière, il s’enivre une fois de plus, feuillette un vieux livre d’art dans une solderie. Des estampes abîmées de temples égyptiens perdus dans les roseaux. Des esquisses d’archéologues amateurs. La pierre de Rosette, une Porte, un Seuil, vers un décryptage oublié. Puis il se rend au PèreLachaise. Dans moins de deux mois il y sera inhumé. Par une matinée radieuse de juin, Jim se met en quête des différentes résidences de Baudelaire dans l’île Saint-Louis. L’hôtel particulier du duc de Luynes, avec ses gargouilles dorées. Les bouges minables qu’il a occupés, endetté, avec sa Noire sans tendresse, critique, syphilitique et cynique. C’est là qu’il écrit d’humiliantes lettres à sa mère pour lui soutirer de l’argent avec ses sempiternelles jérémiades. Jim fouille dans ses poches. Les chèques de voyage sont bien là. Mais il se sent bien plus désemparé que Baudelaire. Il ne sait pas pourquoi. Il compulse, déprimé, les volumes de la correspondance du Grand Homme, dans la Pléiade. Il ne comprend rien au français qu’il a négligé d’apprendre, préférant filmer à l’épate des bouts de documentaire. Il a essayé de réfléchir sur le cinéma, l’esthétique, l’art des images mouvantes/émouvantes. Il a trouvé des phrases-choc. Des aphorismes. Mais il s’est souvent contenté de formules à l’emporte-pièce, clinquantes. Quant à la rue CampagnePremière, où a logé Rimbaud, dans une pièce mansardée sous les toits, il ne la trouve pas. Il abandonne ses recherches, retourne sur les quais peu avant son décès, dans des circonstances aussi prosaïques que mystérieuses. Une surdose au Rock’n’Roll Circus (lui qui fait depuis si longtemps partie du cirque rock’n’roll) durant son séjour dans la capitale. Orphée devenu Silène à Paris. L’ombre de Morrisson hante toujours les rues. Elle longe la Seine, s’attendrit sur ses eaux sales un peu Styx, s’attarde chez les bouquinistes, compulse un vieux traité de magie grise, attribué à Eliphas Lévi, déniche un exemplaire rare et défraîchi des « Fleurs Du Mal ». A l’heure de l’informatique, certains ne jurent que par leur Mac. Certaines aussi... D’autres sont plutôt windows. Moi, fidèle, je suis resté très doors. LA FORMATION C’est le titre de l’essai d’Aldous Huxley « The Doors Of Perception », qui inspire le nom du groupe. Les Seuils, plus que les Portes, en fait. Les Doors se forment en 1965, à Los Angeles, avec James Douglas Morrison (chant), Ray Manzarek (claviers), Robbie Krieger (guitare) et John Densmore (batterie). « Il y eut cette année-là un intense élan d’énergie. Je quittai l’école et partis vivre au bord de la plage. Je dormais sur un toit. Une nuit la lune m’apparut sous les traits d’une femme. J’avais rencontré l’Esprit de la Musique. » (« Wilderness », p.69). Les Doors, quatuor de rock, n’ont pas de bassiste. C’est Ray Manzarek, aux claviers, qui en assure les parties sur son Fender Keyboard Bass. Les maquettes de 1965 (« Hello, I Love You », « Moonlight Drive ») sont fort intéressantes. On y sent l’influence déterminante des Rolling Stones. La voix de Jim Morrison n’est pas encore mise en valeur, un harmonica bluesy occupe le devant de la scène. Robbie Krieger, l’homme de l’ombre, petit guitariste timide et dégarni, joue bien mais est limité dans son jeu. N’est pas Jimi Hendrix qui veut. C’est pourtant lui qui compose « Light My Fire » et tant d’hymnes des Doors. Les arabesques et fioritures de l’orgue sont dues à Ray Manzarek, le second couteau de Morrison. John Densmore, le batteur, au style jazzy, est leur autre point commun avec les Stones : Charlie Watts venant également du jazz. THE DOORS « Break On Through (To The Other Side) » (évade-toi de l’autre côté) ouvre magistralement 7