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Adénocarcinome du col utérin
Les difficultés diagnostiques du pathologiste
● P. Tranbaloc*
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es adénocarcinomes du col utérin posent divers problèmes diagnostiques aux pathologistes et sont
d’autant plus préoccupants que leur incidence est en
augmentation, notamment chez la femme jeune (1). Il y a 20 ans,
ils représentaient 5 % des cancers du col utérin, alors que, actuellement, on considère que 15 % en moyenne des carcinomes cervicaux sont des adénocarcinomes (5). Cette augmentation est liée,
d’une part, à la moindre fréquence du carcinome épidermoïde,
dont on dépiste mieux les précurseurs et, d’autre part, à une amélioration de l’identification des néoplasies glandulaires. Grâce à
une coloration histochimique simple, le bleu alcian, des tumeurs,
considérées initialement comme des carcinomes épidermoïdes
peu différenciés par la mise en évidence d’une muco-sécrétion,
se révèlent être des néoplasies glandulaires.
Surtout, les cellules ont un mode d’agencement caractéristique.
Elles se groupent en amas tridimensionnels, prenant parfois une
architecture papillaire (figure 1).
LE DÉPISTAGE CYTOLOGIQUE DES ADÉNOMES CERVICAUX
Le dépistage constitue la première difficulté, liée à de multiples
raisons.
● Les cellules cylindriques de l’épithélium glandulaire desquament
peu, et la lésion peut concerner au début les glandes endocervicales en respectant le revêtement cylindrique de surface. Le frottis ne pourra la déceler. On a proposé l’utilisation systématique de
la brosse endocervicale afin de recueillir davantage de cellules glandulaires. Malgré cela, et en dépit de l’utilisation des critères de
Bethesda (6) sur la significativité d’un frottis (présence de cellules
glandulaires endocervicales), les faux négatifs restent fréquents.
● Le caractère souvent bien différencié des carcinomes glandulaires proches du tissu cylindrique normal est une source supplémentaire de difficulté diagnostique.
● Les cellules glandulaires néoplasiques sont plus petites que les
éléments malpighiens et, au sein des placards denses qu’elles constituent, les anomalies nucléaires sont plus difficilement perceptibles.
Dans certains cas, on peut évidemment évoquer cytologiquement
un adénocarcinome sur l’aspect des cellules et leur mode de groupement. Classiquement, les cellules d’un adénocarcinome, comme
pour toute néoplasie, ont un noyau dont le volume a augmenté avec
une chromatine anormale et densifiée (hyperchromatisme), mais
qui est souvent excentré, tandis que leur cytoplasme paraît vacuolisé, ce qui traduit leur nature glandulaire.
* Anatomo-cyto-pathologiste, centre de pathologie, 19, rue de Passy, 75016
Paris.
La Lettre du Gynécologue - n° 237 - décembre 1998
Figure 1. Frottis : adénocarcinome du col. Amas papillaire de cellules à
noyau hyperchromatique avec un cytoplasme vacuolisé.
À côté des images ne posant guère de problème diagnostique, il
n’est pas rare d’observer des anomalies glandulaires discrètes,
dont la signification, difficile à préciser, correspond aux AGUS,
ou Atypical Glandular Cells of Undetermined Significance, de la
classification de Bethesda (6). Craignant de laisser une néoplasie glandulaire non dépistée, le cytologiste n’hésite pas à signaler la présence de ces anomalies glandulaires mineures, qui se
révèlent être, le plus souvent, des modifications bénignes ou réactionnelles. L’exemple classique est celui des modifications épithéliales glandulaires liées à la présence d’un DIU, qui s’accompagne souvent d’une cervicite et d’atypies réactionnelles, parfois
impressionnantes, mais parfaitement bénignes (4).
ADÉNOME IN SITU ET ADÉNOME INFILTRANT
La difficulté du dépistage précoce des adénocarcinomes cervicaux explique pourquoi leur histoire naturelle est mal connue.
Par analogie avec les lésions malpighiennes, on a décrit des dysplasies épithéliales glandulaires, des adénocarcinomes in situ et
des adénocarcinomes micro-invasifs. Certains auteurs individualisent, en reprenant la terminologie de Richart, des néoplasies
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glandulaires cervicales intra-épithéliales (CIGN) de grades I et
II, correspondant aux dysplasies glandulaires, et de grade III,
équivalant à l’adénocarcinome in situ (3).
D’autres préfèrent distinguer l’adénocarcinome in situ des hyperplasies endocervicales atypiques.
Il convient d’être prudent à l’égard de ces lésions, car les critères
de définition morphologique des dysplasies glandulaires ne sont
guère reproductibles. La seule lésion “précurseur” définie morphologiquement est l’adénocarcinome in situ. Celui-ci correspond à une entité bien caractérisée. La bordure épithéliale des
glandes endocervicales (figure 2) devient limitée par un épithélium comportant des signes de transformation épithéliomateuse.
Il est pluristratifié (figure 3), constitué de cellules à noyau hyperchromatique, avec des images de mitoses. On a décrit diverses
variétés d’adénocarcinome in situ, en fonction du type cellulaire
observé : endocervical, intestinal (8) ou endométrial. Cette classification n’a aucune influence sur le pronostic. Cependant, la
muqueuse glandulaire endocervicale normale est, par définition,
faite de cellules muco-sécrétantes, et les formes constituées de
ces cellules peuvent plus facilement échapper au diagnostic.
Figure 2. Muqueuse glandulaire normale. Tubes glandulaires limités
par un épithélium régulier mucosécrétant.
Figure 3. Adénocarcinome in situ. Glandes limitées par un épithélium
pluristratifié avec des atypies nucléaires et des mitoses.
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Lorsqu’on le compare aux néoplasies malpighiennes (où les
lésions intra-épithéliales sont fréquentes en regard des
carcinomes infiltrants), on est frappé par la rareté de
l’adénocarcinome in situ par rapport aux adénocarcinomes
invasifs. Or, toute lésion infiltrante doit bien débuter par un
stade intra-épithélial, ce qui souligne le peu d’efficacité du
dépistage cytologique. D’ailleurs, l’adénocarcinome in situ est
souvent découvert fortuitement, sur l’analyse histologique
d’une pièce de conisation effectuée pour une CIN
malpighienne. La coexistence des deux lésions s’explique par
une parenté pathogénique. L’infection à HPV, et
particulièrement l’HPV 18 (10), est également incriminée
dans la genèse des néoplasies glandulaires. On retrouve en
outre, comme pour les lésions malpighiennes, une distribution
préférentielle au niveau de la zone de transformation. Celle-ci
a des applications thérapeutiques importantes (2).
Théoriquement, en cas de néoplasie glandulaire, toutes les
glandes du canal endocervical jusqu’à l’isthme sont
susceptibles d’être concernées, et le seul traitement rationnel
d’un adénocarcinome in situ découvert sur une conisation
serait l’hystérectomie. Du fait de la distribution topographique
analogue à celle des CIN malpighiennes, il est raisonnable, si
la limite supérieure de la résection endocervicale est saine,
chez une femme jeune souhaitant préserver sa fécondité,
d’avoir une attitude conservatrice.
Plusieurs auteurs ont rapporté des cas d’adénocarcinome microinvasif (9), et l’on a même décrit, par analogie avec le carcinome micro-invasif malpighien, des images d’invasion stromale
débutante et de micro-invasion constituée. En fait, les critères
de définition morphologique de ces lésions sont peu reproductibles. Cela s’explique aisément si l’on se réfère à la structure
normale des muqueuses cervicales malpighienne et glandulaire.
Au niveau d’une muqueuse malpighienne, sous l’épithélium de
surface, le chorion est abondant. Les images de micro-invasion
ont de la place pour s’exprimer et sont assez faciles à identifier.
En revanche, la muqueuse glandulaire endocervicale normale
est constituée d’un réseau de structures glandulaires entremêlées, laissant très peu de tissu conjonctif d’interposition. L’infiltration débutante de ce dernier, qui caractérise la micro-invasion, devient très difficile, voire impossible à identifier dans
certains cas. Ainsi, seules deux entités restent bien définies en
pratique, l’adénocarcinome in situ et l’adénocarcinome infiltrant.
On conçoit dès lors pourquoi il est souvent très difficile, lorsque
l’on découvre une néoplasie glandulaire sur une biopsie de
quelques millimètres de diamètre, de pouvoir préciser le caractère in situ ou infiltrant de la lésion, et pourquoi il faut souvent
avoir recours à une conisation diagnostique. Certains éléments
nous permettent d’affirmer l’infiltration néoplasique.
Il s’agit essentiellement de l’architecture de la lésion. Du fait de
l’invasion de la charpente conjonctive, celle-ci disparaît, les
glandes deviennent étroitement juxtaposées (figure 4) et constituent des massifs creusés de cavités glandulaires réalisant des
images dites cribriformes ou polyadénoïdes. Parfois, entre les
glandes néoplasiques, on retrouve du tissu conjonctif, mais il
est différent de celui de la muqueuse endocervicale normale,
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s’agissant d’un stroma fibreux. Enfin, la topographie des glandes
peut aider au diagnostic d’infiltration, lorsque les glandes ont
une situation anormalement profonde dans la charpente conjonctive du col, au-delà du plan des glandes normales.
LES TYPES HISTOLOGIQUES DES ADÉNOCARCINOMES
INFILTRANTS DU COL
Il sont très variés (12), d’où les nombreuses classifications proposées par les pathologistes. Ces tumeurs sont classées en fonction de leurs aspects architecturaux et cytologiques. Dans 70 %
des adénocarcinomes du col, la lésion est constituée de tubes
glandulaires rappelant les glandes endocervicales. D’autres
tumeurs expriment des inflexions morphologiques qui traduisent
la plasticité de l’épithélium müllerien.
Certains adénocarcinomes endométrioïdes ressemblent aux adénocarcinomes de l’endomètre, posant le problème du diagnostic
différentiel avec un carcinome endométrial, notamment chez la
femme âgée.
Les formes à cellules claires, associées ou non à une exposition
in utero au diéthylstilbestrol (DES), tirent leur nom de la clarté
des cellules tumorales, dont le cytoplasme est riche en glycogène.
Les carcinomes papillaires séreux ressemblent à un carcinome
ovarien.
Quelques adénocarcinomes cervicaux ont un aspect proche de
celui des tumeurs coliques.
Certaines tumeurs ont si peu d’anomalies, et les glandes les
constituant sont si proches des glandes endocervicales normales,
qu’on les nomme adénocarcinomes avec déviation minime ou
adénomes malins. La mauvaise réputation de ces tumeurs, considérées classiquement comme très agressives, pourrait être due à
un diagnostic tardif lié à leur bonne différenciation.
On peut également observer des tumeurs associant un double
contingent malpighien et glandulaire. Ce sont les carcinomes dits
mixtes, classés, selon les auteurs, comme des entités à part ou
des formes particulières d’adénocarcinomes. Ces lésions seraient
plus agressives que les carcinomes épidermoïdes purs.
Figure 4. Adénocarcinome infiltrant. Glandes carcinomateuses
étroitement juxtaposées avec disparition du tissu conjonctif
d’interposition.
Figure 5. Atypies épithéliales glandulaires réactionnelles à une
cervicite.
LE DIAGNOSTIC DIFFÉRENCIEL ENTRE ADÉNOCARCINOME
ET LÉSION GLANDULAIRE BÉNIGNE
En cas de cervicite marquée, des atypies glandulaires réactionnelles, au contact de l’inflammation, peuvent évoquer une prolifération épithéliomateuse (figure 5).
Dans la métaplasie tubaire, les glandes endocervicales ont perdu
leur mucosécrétion. Elles sont limitées par un épithélium cilié,
ressemblant à l’épithélium tubaire (figure 6). Cette métaplasie
occasionne souvent des faux positifs sur frottis (7).
Rarement, en cas de grossesse intra-utérine ou ectopique, on peut
observer, au niveau des glandes endocervicales, des atypies
d’Arias-Stella, pouvant simuler un adénocarcinome.
Les vestiges mésonéphrotiques (wolfiens) sont également un
piège classique. Cela est lié au fait que les structures tubuleuses
qui les constituent sont profondément enchâssées dans la charpente conjonctive du col et sont limitées par un épithélium non
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Figure 6. Métaplasie tubaire. Glande endocervicale limitée par un
épithélium cylindrique cilié, ressemblant à un épithélium tubaire.
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mucosécrétant. Toutefois, celui-ci est régulier, unistratifié, et ne
comporte pas d’atypie (figure 7).
Enfin, le diagnostic différentiel de l’hyperplasie microglandulaire (11) est à bien connaître. Il s’agit d’une lésion observée le
plus souvent chez la femme jeune, sous traitement estroprogestatif.
Elle peut être asymptomatique ou se révéler par des leucorrhées,
voire des métrorragies. Elle se présente sous la forme d’un polype
ou d’un ectropion polypoïde, parfois inquiétant cliniquement.
À l’examen histologique, la lésion est constituée d’une prolifération de tubes glandulaires de petite taille, étroitement juxtaposés (figure 8), disposés dans une charpente conjonctive œdéma-
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teuse et inflammatoire, ou au contraire compacte, faite de cellules identiques aux éléments épithéliaux des glandes. À la différence d’un adénocarcinome, avec lequel elles ne doivent pas
être confondues, les cellules épithéliales des tubes glandulaires
ont un noyau monomorphe et l’activité mitotique est réduite. La
négativité pour l’antigène carcinoembryonnaire (ACE) par
immunohistochimie peut apporter une aide dans certains cas.
L’hyperplasie microglandulaire est une lésion de nature bénigne,
régressant parfois à l’arrêt de la thérapeutique estroprogestative,
et sans potentialité évolutive vers un adénocarcinome. Elle est
rare en tant qu’entité anatomoclinique, mais paraît très fréquente
comme microfoyer de découverte histologique fortuite, si l’on
prend soin de la chercher attentivement sur les conisations ou les
hystérectomies.
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Figure 7. Vestiges wolfiens. Glandes profondément enchâssées dans la
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La Lettre du Gynécologue - n° 237 - décembre 1998

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