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DEMOISELLES D’AVIGNON
“L’emploi du collage est une sorte de désespoir du peintre...”
Aragon
1
du temps des montres à ressort
de Ciné Monde à 0,50 N.F.
soyez exact
soyez secret si vous voulez aimer
dans la chambre noire de la cave en terre battue
déchirées passées recouvertes
Claudette Colbert
Geori Boue
Marie-José Neuville
d’autres encore jolies speakerines
soyez aimées comme le fut la Vénus
de Lespugue dans l’ivoire sculptée
et vous que le temps n’entame pas
la plus troublante
Heléna Ronée en Nâtarâja
vos yeux verts n’ont pas vieilli
sur le mur des belles aux seins lourds
Tina Waine (212- 56- 82 cm)
2
seul dans sa chapelle
cave d’ombres accrues par l’été
L.F. que j’imagine
juché sur une échelle pour coller
ses belles ses idoles en cheveux
en buste surtout et en pied
(cachant le haut d’un visage
recouvrant Jacqueline de papier)
et Colette
d’encre rouge éclaboussée
dont je devine le corps parcouru
de pliures de lignes et d’accrocs
comme surgi des veines du carton
pour s’élever vers le ciel
3
mi-femme mi-lionne
Nadia Cassini sur un degré de pierre
développant sa taille
les seins parfaits de l’âge nubile
magicienne Circé aux beaux cheveux
d’une Odyssée de pacotille (chant X)
à Spetsaï au bord de l’eau divine
dans l’éblouissement du soir
une italienne me jeta un sort
“Près de Sienne, en septembre,
les fontaines donnent du vin ;
qui le boit, dit-elle, se délivre de moi.”
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j’ai su dessiner ton visage
tes chevilles et tes poignets
mais pas la nuit de tes cheveux
ni même ton lierre d’ombre
devant une cloison de papier
pose une japonaise en bikini
fière et cambrée
une couverture de magazine
une inconnue après la guerre
après la nuit
j’ai perdu les encres de ton corps nu
5
l’été fut notre seule chambre
l’ombre du sous-bois notre nuit
le lit toujours défait des champs
accueillait nos rêves d’étreintes
tu aurais pu être Sylvie
et moi l’amoureux du Valois
dans le sous-bois où elle est assise
Christina Lindberg
nymphe dont les cheveux frôlent les seins
s’envisage dans le miroir d’une fleur
comme rêve en écho Ilaria Occhini
ondine de magazine
en sortie de bain parmi les feuillages
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belle adolescente blonde allongée
sur le sable du bord de mer
souriante ambrée
formes naissantes sur fond de dunes
ombrées d’hélianthèmes
à l’abri du vent dans les dunes
nous aurons une chambre claire
où dormir dans le chant des pins
ô mon absente mon enfance
ouvre tes bras de sable fin
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entre ses bras elle serre ses seins
seule parure
éclairant le visage renversé
bouche ouverte dont la nuit fascine
lèvres peintes
les yeux fermés dans son absence
vous étiez Marthe dans nos jeux
le troisième de vos prénoms
à l’heure où viennent les outrages
après boire rire danser
Marthe vous vous prêtiez à tout
je vois encore votre visage
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ou naïves
offrant leurs seins en détournant les yeux
calmes et dociles
beaux insectes corsetés
saisis dans le balai de leurs postures
huit pages en couleur
Sylvia Solar
Catherine Spaak en tenue de bain
ou souriantes
légères dans leurs jupes de tergal
jambes en compas et talons aiguilles
permanentées
les mains jointes de jeunes premières
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Reconnaissance
à celles qui m’ont offert leurs yeux
leurs seins leur sourire
aux Belles de Ciné Monde
que je ne puis toutes nommer
aux inconnues au bord des piscines
mes amantes des pages en couleur
pardonnez
mes collages outrages
vieillir ne tue pas le désir
soyez remerciées de votre patience
Dévotions posthumes
L. F.
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15 rue de la Madeleine
à la fenêtre vous attend Sylvie
que vous invitiez dans l’alcôve
l’été respiré en silence au grenier
comme l’on visite une église
pour secrètes dévotions
vous lui montrez les paysages de neige
les animaux de compagnie
les Vénus mammosa
et vos nus découpés de filles
timides aux corps démodés
qui se dévêtent
pour vous
l’élégance des mains
la pudeur
l’été
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tombeau sans fleurs ni générique
pour
cinquante-deux vedettes de cinéma
dans l’ombre de la cave et du grenier
1946 - 1974
oubliées
retournées à la poussière
visages effacés par la suie
laiteuse coulée des chères nues
reliques avant le noir
sans fête ni ostention que privée
pour jouir en prière
murmurant les noms désuets
les mensurations en centimètres
icônes en bas résille
des jours de deuil
l’après-guerre en couleurs
comme un jour de Toussaint
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que serait un portrait de vous
horloger au 13
parmi cadrans pendules et aiguilles
on venait encore
à l’automne pour des montres en dépôt
on parlait
des livres (des femmes) aimés
trois pièces où se tenir
deux pour collages érotiques
(à l’abri des désirs profanes)
des belles épinglées comme des nymphes
les bras levés pour offrir leurs corps
sages actrices
bustes anonymes
5/08/1988 à 6:15
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elles éveillent vos désirs secrets
celles
offertes
que vous allez rejoindre
à la cave - aussi bien débarras loin de la rue où s’éloignent les autres
(vers quel rendez-vous ?)
à l’heure sans aiguilles de rêver
aux roses aréoles
à la tendresse des aisselles
sur le papier
usé
dont je découvre
les blessures
comme un corps profané
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assise au pied d’un arbre
pour dévoiler ses jambes en fuseau
la naissance des cuisses
sous le jupon de dentelle et la robe vichy
sans visage
presque cachée par d’autres
(elles agenouillées)
une bergère sans toile de Jouy
sans agneau ni Céladon
notre amour versera des larmes
dans des jardins qui ne sont plus
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dans la lumière soudaine de juin
Dany Carel en deux-pièces lamé
debout sur un lit aux draps bleus
devant volutes en fer forgé
en forme de coeur
tu m’attendais devant la grille
de la porte d’entrée du treize
sous la flèche de métal noir
au-dessus du coeur en spirale
juin illuminait tes cheveux
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nue sous la palette noire d’un peintre
absent
dans l’atelier tapissé
de bandes noires sur fond blanc
sourit une copie de Marylin
ta peau réveillent les peintures
les roses sous la chair diffuses
la neige pure de ton cou
et mauve l’ombre de tes seins
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après visages sagement collés
France Anglade et Yori Bertin
Danièle Colette
et autres Françoise
en lettres blanches sur fond noir
il vous fallut les photos des starlettes
assises sur leurs talons
à l’âge du bikini
et les inconnues à la fin
gros seins en gros plans
avalanche de chair tendre
pour quarts d’heure pornographiques
plaisir anthume de
solitaire
et moi
devant vos collages
( mur peau palimpseste)
j’imagine vos yeux d’alors
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(celles que l’on ne voit plus
que l’on devine
cachées par d’autres plus girondes
et nouvelles captives
DALIDA écrit au stylo bille
sur fond vert
le visage effacé de Patachou
une inconnue sous sa voilette de
suie
une bouche esquissant un sourire
n°1419 17 octobre 1961 mardi
entre deux livraisons
deux jambes dans des bas résille
et
cet œil crevé par un clou)
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(avec les citations des couvertures)
messes noires et jeunes débutantes
en robe droite de velours de coton
pour mieux briller sous les lumières
cette semaine de l’Exactitude
(sept jours de joie à 500.000 Frs !)
les chasseurs de la Garde impériale
entre vos bras ont perdu leurs chevaux
en septembre 61
Brigitte Bardot la vérité nue
et si l’on passe l’océan
la sirène de Santa Monica
Peggy O’Connors se vernit les ongles
dans la Vengeance aux deux visages
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papiers collés d’une exposition
temporaire
en province où l’on s’ennuie
tous les jours de 9h00 à 18h00
entrée libre au fond de la cour
où
s’efface
la beauté naïve
des filles des magazines
tombent
la poussière des visages
les toiles d’araignée de leurs bas
l’artiste est mort en août
les corps laiteux des belles aux derniers jours
de l’innocence
ont disparu dans la nuit
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si nues qu’elles semblent endimanchées
si nombreuses qu’elles pourraient
faire scandale si vous ne les cachiez
- on vous dirait pervers érotomane elles les doubles pages
quatrièmes de couverture elles vignettes
parutions mensuelles
vous attendent patientes
étoiles (incon)nues
telles dans l’atelier
Demoiselles d’Avignon
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dernières oraisons
dans la lumière du grenier
corps et visages en ex-votos
pour célébrer les grâces féminines
les plaisirs pris
dans l’ombre de la cave
où finissent vos revues préférées
secrètes amours en vitraux
vous êtes un autre que j’ai rêvé
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verticale (51 par 33)
Michèle Krojanker
éclaboussée de pâles éphélides
sur papier d’emballage
(Teinturerie Labrunye à Caen
en capitales rouges stylisées)
les bras cachés par du linoléum
semé de taches ocres et brunes
froissée
la peau marbrée de traces de colle
par transparence
ta peau fut le premier émoi
comme glisse une eau sur la main
puis il y eut l’eau de ta voix
de tes bras de tes lèvres nues
l’eau de ta source caressée
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vos trois nus sur papier glacé
Février 33
à la fenêtre de la chambre
elle offre son visage posé sur l’épaule
bras levés elle attache ses cheveux
Sous les combles
elle est assise nue sur un Voltaire
de velours sombre les cheveux défaits
nu collé sur carte marine
latitude 48°20’ au large d’Ouessant
près de vos amours colorisées
l’ombre l’embellit
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passés le rire la surprise
le désir d’
une aisselle nue
d’un visage complice
je rends vos collages à la nuit
j’oublierai les yeux les noms les
poses
de vos belles-de-jour comme de-nuit
la poussière fera leur linceul
leurs corps ne seront que papiers froissés
ternis
noircis pour écrire ces poèmes
sans mécanisme
qui vous auraient - je crois - fait rire
aujourd’hui l’élégie ne paie plus