L`Assemblée nationale : « lieu » de renouvellement

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L`Assemblée nationale : « lieu » de renouvellement
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Communication
L’ASSEMBLEE NATIONALE DANS LA PERIODE DU DOI MOI :
LIEU DE RENOUVELLEMENT DES ELITES POLITIQUES
DU REGIME COMMUNISTE VIETNAMIEN ? /
THE NATIONAL ASSEMBLY: « ARENA » OF RENEWAL FOR THE
VIETNAMESE POLITICAL ELITES?
Matthieu SALOMON
CERI (Sciences-Po) - IRASEC (Bangkok)
1er Congrès Réseau Asie / 1st Congress Réseau Asie-Asia Network
24-25 sept. 2003, Paris France
Centre de Conférences Internationales du Ministère des Affaires Etrangères
Center of International Conferences, Ministry of Foreign Affairs
Thématique II / Theme II : Pouvoir et société / Government and Society
Atelier 5 / Workshop 5 : Les élites dans les sociétés asiatiques contemporaines : renouvellement et
reconversions / Elites in contemporary Asian societies : renewal and reconversions
© 2003 - Matthieu Salomon.
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Matthieu Salomon
CERI (Sciences-Po), rattaché à l’IRASEC (Bangkok)
Lauréat du programme « Vent d’Est » - Ministère des Affaires Etrangères
« L’Assemblée nationale dans la période du Doi moi :
lieu de renouvellement des élites politiques du régime communiste vietnamien ? »1
(version 21 septembre 2003)
« La xanh thi rung toi boi,
la vang o lai trên troi : oai oam ! »
Vers vietnamiens (anonyme ?)
(« les feuilles vertes tombent massivement des arbres,
les feuilles jaunes restent dans le ciel : ce n’est pas naturel ! »)
Un régime politique tel que le régime communiste vietnamien, et plus précisément ses dirigeants, peuventils poursuivre volontairement et sincèrement l’objectif de renouveler les élites occupant les positions de pouvoir
selon des principes rénovés (remettant en question la conjugaison du slogan « rouge et expert »), sans provoquer leur
propre perte ? L’Histoire, bien que pavée de cimetières d’aristocraties, est avare en expériences concrètes d’élites
ayant creusé elles-mêmes leurs propres tombes. Le risque inhérent à toute réforme est la perte de contrôle. Le Parti
communiste vietnamien, dont l’histoire est marquée de façon indélébile par les guerres et l’adversité, connaît ses
classiques : ici même réside tout le défi du Dôi moi, voie du renouveau officiellement lancée en 1986 par les autorités
de Hanoi, et tout spécialement de sa « face politique ». Slogan présidentiel d’autres temps et d’autres latitudes : le
changement dans la continuité…
Si l’objectif premier du Doi moi est de sortir le Vietnam, et principalement son Parti dirigeant, de l’impasse
dans laquelle il s’est enfermé au lendemain de la paix, au début des années 1980, cet objectif devait et doit toujours
passer pour les autorités vietnamiennes, par une nécessaire « reconquête » de légitimité, d’efficacité et
d’ « accountability » de ses élites. Il apparaît évident que ce modèle de réforme est fortement influencé par des
normes modernes exogènes d’élaboration du discours sur les élites, normes relevant de perspectives démocratiques
mais surtout développementalistes. Il s’agit de renouveler la légitimité du Parti et du pouvoir par l’acquisition d’une
sorte de « mandat électoral » classique2. Ainsi, fini le temps de l’orthodoxie communiste de guerre, et place à une
doctrine plus souple, (re)placée sous le signe de la « pensée Hô Chi Minh ». La personnalité du fondateur du Parti
Communiste Indochinois, symbole de la lutte nationaliste communiste, comme ses écrits et ses positions politiques
successives, ont d’ailleurs permis a posteriori aux virages idéologiques comme pratiques d’être pris sans trop risquer
de faire voler en éclats l’ensemble de la superstructure politique. C’est en ce sens aussi que la figure de « l’Oncle
Hô » est aujourd’hui, bien davantage qu’il y a une vingtaine d’années, l’incarnation nécessaire au discours de
« légitimation » du régime vietnamien.
Dans le domaine spécifique du recrutement et de la promotion des élites, depuis le lancement du programme
de « renouveau », et afin de satisfaire leur quête de légitimité, les dirigeants communistes vietnamiens affichent
officiellement une volonté d’ouverture et de renouvellement. Si ce discours s’adresse bien entendu au Parti luimême, l’Assemblée nationale (Quôc hôi) apparaît comme le premier « lieu symbole » de la mise en application de
ces nouvelles « normes ». En effet, dans un processus de séparation du Parti et de l’Etat, accompagné par une volonté
1
Ce papier reprend quelques aspects d’un article qui analyse plus précisément les élections des députés de la 11ème Législature et
le processus de sélection des candidats : Matthieu Salomon, « Les élections législatives du 19 mai 2002 (XIème Assemblée
nationale) : processus de sélection et vote populaire dans le Vietnam contemporain », in Jean-Luc Maurer, Christophe Gironde
(dir.), Le Vietnam à l’aube du XXIe siècle. Bilan et perspectives politiques, économiques et sociales, IUED-CRAM
(IUHEI/IUED) - Editions Khartala (à paraître, septembre 2003).
2
Russell Heng Hiang Khng, « Leadership in Vietnam : Pressure for reform and their limits », in Contemporary Southeast Asia,
vol.15, n°1, juin 1993, p.98-110.
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2
de soumettre le Parti aux lois3, la mise en avant de l’Assemblée nationale comme « représentant du peuple »,
souverain dans les décisions politiques fondamentales, et uniquement guidé par la théorie et l’avant-garde du Parti,
est une des clés de voûte de la re-légitimation du régime. A travers ses trois fonctions officielles principales législation, décision sur les questions importantes et garantie du contrôle populaire - elle représente le cœur de la
démocratie socialiste. De plus, les efforts les plus importants en matière de transparence du régime ont également
porté sur cette institution : dès 1989 des sessions de l’Assemblée sont filmées et des extraits de celles-ci passent à la
télévision nationale. Les dispositions de la nouvelle constitution, votée en 1992, ont renforcé le pouvoir et la place de
cette assemblée populaire nationale. Ainsi, l’Assemblée nationale vietnamienne, dont le rôle de « marionnette » était
sans doute trop évident4, est une institution clé des réformes politiques entreprises.
Il s’agira ici de définir les orientations officielles en matière de renouvellement et de promotion des
représentants nationaux du peuple, et ensuite de les confronter à la réalité des processus… Ainsi, plusieurs questions
semblent incontournables : qu’en est-il vraiment de l’ouverture du processus électoral ? Quelles évolutions réelles
des profils socio-économiques des députés peut-on observer ? Peut-on caractériser un groupe cohérent de nouvelles
élites au sein de l’Assemblée nationale ? In fine la logique profonde de promotion/élection des représentants du
peuple vietnamien a-t-elle évolué depuis le lancement des réformes ? Et si oui dans quel sens… ?
Affirmation d’une volonté d’ouverture du monde politique communiste vietnamien
Comme n’ont de cesse de le rappeler les dirigeants vietnamiens, le Doi moi n’est pas seulement un
processus de réformes économiques : c’est également un processus de réforme politique et institutionnelle. Ce
chantier porte tant sur la face partisane que sur la face étatique du régime. Néanmoins, dans une perspective de
promotion de la transparence vis-à-vis des Vietnamiens et surtout des partenaires internationaux, c’est plus
spécialement sur les grandes institutions étatiques, Assemblée nationale et gouvernement, que l’accent est mis dans
le discours officiel. Dans cette phraséologie, l’Assemblée, organe de représentation, de décision et de contrôle
suprême occupe évidemment une place cruciale comme lieu d’ouverture, notamment vers la « société civile ». Il
semblerait que les dirigeants communistes vietnamiens aient pris conscience des insuffisances de cette assemblée
comme de son « défaut de légitimité » et aient entrepris de réformer cette institution. Le « lieu politique » principal
par lequel le régime communiste vietnamien tente d’intégrer, de coopter et d’attirer de nouvelles élites est
l’Assemblée nationale5.
Il est intéressant de remarquer que l’un des premiers arguments avancés pour justifier l’évolution proclamée
de la composition de l’Assemblée nationale est structurellement lié au Dôi moi économique (et non au déficit de
légitimité « purement » politique6). Ainsi dans les pages consacrées aux députés, on peut lire dans un ouvrage officiel
sur les réformes institutionnelles7, que dans la période d’économie de marché à orientation socialiste, les problèmes
de l’élection des députés de l’Assemblée nationale et de leurs activités seront très différents par rapport à la période
de planification centralisée. De cette constatation découle la volonté affichée de « standardiser » (tiêu chuân) les
connaissances et niveaux des députés en matière politiques (chinh tri), juridiques (phap luât), de gestion de l’Etat
(kiên thuc quan ly nha nuoc), de moralité (dao duc)… La nouvelle ère qui s’ouvre ne permet plus un recrutement
« imparfait » des députés, surtout dans une optique de renforcement de l’institution8. Le mécanisme régulant les
3
En 1988 est adopté le principe selon lequel le Parti ne donne que des orientations politiques générales mais n’intervient plus dans
le travail législatif précis.
4
Cf. Dans un discours de la période initiale du Doi moi, le Secrétaire général du Parti Nguyên Van Linh affirmait que le
« formalisme » et le « bureaucratisme » de l’Assemblée nationale devaient être abandonnés et il insistait sur le fait que
l’Assemblée ne pouvait plus continuer à n’être seulement qu’une chambre d’enregistrement (rubber stamp), elle devait vraiment
débattre et remettre en cause les politiques… VNA, 17 juin 1987. Dans les années 1980 également, la langue populaire détournait
le mot « député », nghi si, en nghi nhac qui signifie « hocher la tête de haut en bas en signe d’approbation perpétuelle »…
5
« … le Parti reste une forteresse : l’intégration de forces nouvelles n’est pas son affaire puisque l’Assemblée est faite pour
cela » (p.123) in Papin, Philippe, Parcours d’une nation, Asie Plurielle, La Documentation Française, Paris, 1999, 179p.
6
Même si, indirectement, entre les lignes, ce déficit est évidemment reconnu et est à la source de la volonté de réforme…
7
Nguyên Duc Binh, Trân Ngoc Hiên, Doan Trong Truyên, Nguyên Van Thao, Trân Xuân Sâm (dir.), « Dôi Moi va tang cuong hê
thông chinh tri nuoc ta trong giai doan moi » (Le Doi Moi et le renforcement du système politique de notre pays dans l’étape
nouvelle), Nha Xuât Ban Chinh Tri Quôc Gia (Editions Politiques Nationales), 1999, 168 pages, p.122.
8
« Truoc nhung yêu câu cua tinh hinh hiên nay, nêu dai biêu, thiêu nhung kiên thuc cân thiêt, thi kho tranh khoi khieu « nghi
gât », nhât la dôi voi nhung dai biêu moi. Vi vây, cac co quan huu quan cân co nhung hinh thuc phu hop dê nang cao trinh dô dai
bieû » (« Devant les demandes de la situation actuelle, si les députés ne sont pas assez qualifiés alors il est difficile d’éviter qu’il
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3
élections à l’Assemblée nationale doit permettre de « découvrir » de vrais hommes de talent, en arrivant à conjuguer
la liberté des citoyens à se présenter devant les électeurs, le principe de recommandation incombant aux organismes
du Front de la Patrie et le principe selon lequel le Parti est le guide politique du système9. En ce sens, en 2002, il y
avait 11 critères officiels pour le recrutement des candidats. Le pouvoir a affiché avec force une volonté de
changement. Les dispositions officielles prises pour le renouvellement des élites, dans l’optique de représenter le
peuple et de renforcer la capacité de l’institution, ont été nombreuses ; le processus électoral a été réformé et s’est
« ouvert » : autorisation des candidatures indépendantes en 1992 (article 25 de la nouvelle loi sur les élections des
députés ; puis avec la loi d’avril 1997 ces candidats ont plus de liberté pour mener campagne), revalorisation dans le
discours de la prise en compte des qualifications des candidats (vs. critères politiques), politique de « quotas »…
Dans le processus de renouveau de cette institution on retrouve en fait deux principes, d’ailleurs
potentiellement contradictoires : améliorer l’efficacité de l’institution et améliorer son caractère représentatif10.
Rénover et améliorer la qualité des activités législatives de l’Assemblée nationale sont des tâches qui ont été
officiellement fixées par les 8ème et 9ème Congrès du Parti. Dans cette perspective, l’amélioration des compétences des
députés est un ressort évident. Il s’agit notamment de promouvoir des experts, bureaucrates et personnalités
spécialisés dans certains domaines (gestion économique, droit…), issus de milieux et secteurs socioprofessionnels
différents (monde de l’entreprise…). Comme le rappelle explicitement Le Thanh Van dans le très officiel Tap chi
Cong san (Revue Communiste) : « L’Assemblée nationale doit avoir un nombre suffisant de représentants experts en
économie et en droit… »11. Tous les discours officiels affirment cette volonté de renforcer les capacités de
l’Assemblée en améliorant les connaissances (kiên thuc) des députés, leur niveau de formation et leur expérience… ;
et ce en premier lieu dans les domaines fondamentaux des réformes : économie, droit… Depuis la loi sur les
élections législatives de 1992, les normes officielles à propos du « niveau » (trinh dô) et des « capacités » (nang luc)
des candidats sont exposées clairement. Elles sont encore plus précises dans la loi régissant les élections de 1997. En
2002, il était officiellement obligatoire d’occuper un certain niveau de responsabilité dans les organisations de l’Etat
pour prétendre « se » présenter devant les électeurs12. Néanmoins, comme nous le verrons plus loin, il ne faut pas se
méprendre, cette volonté s’accompagne toujours de « garanties politiques » : l’objectif est, explicitement, de
promouvoir un bataillon de nouveaux députés « rouges et experts » (vua hông vua chuyên)13.
Pour ce qui est de l’autre principe à la base de l’évolution du « recrutement » de l’Assemblée nationale, la
recherche de représentativité, il est à intégrer dans le renouveau idéologique officiel général qui (re)met fortement
l’accent sur la notion de « grande solidarité » (dai doan kêt) émanant de la « pensée Hô Chi Minh ». Dans un
discours prononcé devant les députés en 1992, Doi Muoi, alors Secrétaire général du Parti affirmait que :
« aujourd’hui plus que jamais, nous devons développer la tradition glorieuse, qui fait notre force, et renforcer la
grande solidarité du peuple, solidarité de tous les hommes, appartenant à toutes les classes et couches sociales, qui
aiment leur patrie, avec l’alliance des ouvriers, des paysans et des intellectuels ; la solidarité du peuple, de toutes les
ne soient des « béni oui oui », notamment par rapport aux nouveaux députés. Ainsi, les organismes intéressés doivent prendre les
mesures pour élever le niveau des députés »), Hoc Viên Chinh tri Quôc gia Hô Chi Minh (Institut politique national Hô Chi
Minh), Khoa Nha nuoc va Phap luât (Département de l’Etat et du Droit), « Nha nuoc va phap luât xa hôi chu Nghia » Tâp II
(L’Etat et le droit socialiste, Vol.2), Nha xuât ban Chinh tri Quôc gia, 1995, p.46.
9
Nguyên Duc Binh (…), op. cité.
10
Ces deux aspects de l’évolution sont explicités dans : « Phat huy quyên lam chu cua nhân dân quyêt tâm thuc hiên thang loi
cuôc bâu cu dai biêu Quôc hôi Khoa X » (Développer le droit du peuple à être maître et être déterminé à conduire avec succès la
réalisation des élections des députés à la 10ème Législature de l’Assemblée nationale), Nha Xuât Ban Chinh Tri Quôc gia, Ha Nôi,
1997, 66 p. Dans cet ouvrage voir : Lê Quang Dao, « Toan dân doan kêt, phat huy quyên lam chu, thuc hiên tôt cuôc bâu cu dai
biêu Quôc hôi Khoa X » (La solidarité de tout le peuple, développer le droit du peuple à être maître, réaliser avec succès les
élections des députés à la 10ème Législature de l’Assemblée nationale), p.15-27 ; et Vu Mao, « Nhung vân dê chu têu trong Luât
bâu cu dai biêu Quôc hôi » (Les problèmes principaux de la Loi sur les élections des députés de l’Assemblée nationale), p.28-43
11
Le Thanh Van, « Vê tô chuc va hoat dông cua Quôc hôi voi yêu câu hoan thiên Nha nuoc phap quyên xa hôi chu nghia Viêt
Nam » (A propos de l’organisation et du fonctionnement de l’Assemblée nationale dans l’exigence de parfaire l’Etat de droit de la
République socialiste du Viêt-Nam), in Tap chi Cong san (Revue Communiste), n°33 (novembre 2002), p.18-24.
12
Pour plus de détails, voir Matthieu Salomon, op. cité.
13
Nguyên Quang Minh, « Ban vê tinh dai diên nhân dân cua Quôc hôi » (A propos de la représentativité populaire de
l’Assemblée nationale), in Tap chi Nghiên cuu lâp phap (Revue des Recherches législatives), n°3-4, 2001, p.18-23.
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4
religions… »14. Ainsi le pouvoir a perpétué une sorte de politique de quotas : le discours officiel affirme la nécessité
de réserver une « juste » représentation à certains « groupes minoritaires » qui ne doivent pas être sous représentés :
« Un nombre approprié de sièges doit être réservé aux minorités ethniques15, aux femmes, aux jeunes, aux nonmembres du Parti, aux représentants religieux et aux différentes classes sociales »16. Notamment en réponse à la
nouvelle donne économique, les postes de responsabilité deviendraient plus accessibles à des non membres du Parti
qui ont plus l’expérience de l’économie de marché. A propos de ces députés non-membres du Parti, avant les
élections de 1997, Vu Mao avait prédit que la nouvelle Assemblée comprendrait 20% de députés non encartés, et que
ce chiffre apparaissait comme une bonne proportion pour le futur17. En 2002, l’objectif officiel était que ce chiffre
dépasse les 15% finalement atteints en 1997.
Ainsi, le discours officiel portant sur le renouvellement des députés vietnamiens affirme la volonté
d’appuyer un changement notable dans les critères de promotion pour ainsi améliorer tant la représentativité que
l’efficacité de l’Assemblée populaire suprême ; mais cette volonté ne brise en aucun cas le cadre du système de
recommandation des cadres à la base du processus de sélection des candidats mené indirectement par le Parti sous
l’égide officielle du Front de la Patrie (Mat trân Tô Quôc), organisme chapeautant les différentes organisations de
masses du régime. L’élection des députés à l’Assemblée nationale serait en train de se transformer en une élection
semi-concurrentielle, et la fonction de député en une réelle « fonction politique ». En effet, si l’on met de côté la
première Assemblée nationale18, avant le Dôi moi, l’élection à l’Assemblée est une récompense pour des personnes
ayant prouvé leur engagement communiste et révolutionnaire durant les guerres. Le statut de « député » fait pour
ainsi dire fonction de « décoration », de « médaille ». La majorité des députés, véritables « godillots », ne sont pas
des personnalités politiques de premier rang, ce qui correspond bien à l’absence ou presque de tout pouvoir réel de
cette Assemblée. Les dirigeants ne s’efforcent même pas de simuler la réalité d’une quelconque autorité de cette
institution. Ainsi les postes, s’ils ne sont pas uniquement attribués à des membres du Parti, sont plus des « titres » que
des fonctions réelles.
Evolution des profils socio-économiques et institutionnels des députés depuis les années 1980
Nous ne rentrerons pas dans ce papier dans le détail des chiffres. En se rapportant au tableau n°1 en annexe :
« Evolution de la composition de l’Assemblée nationale depuis le lancement du Doi moi », nous pouvons observer
les tendances lourdes de l’évolution des caractéristiques des députés. On retrouve en fait, selon nous, l’idée d’une
« régularisation », d’une « normalisation »19 progressive de la politique vietnamienne. Régularisation marquée par
une évolution complexe, caractérisée par l’institutionnalisation des structures et organisations du régime, corollaire
de l’avènement de la paix, du renouvellement des générations, de l’ouverture du pays et du développement
économique.
14
Dô Muoi, « Phat huy vai tro cua Quôc hôi xây dung nha nuoc phap quyên cua dân do dân vi dân » (Développer le rôle de
l’Assemblée nationale dans le processus de construction de l’Etat de droit du peuple, pour le peuple et par le peuple), Nha Xuât
Ban Su Thât (Editions de la Vérité), Ha Nôi, 1992, 21p.
15
Après les problèmes survenus sur les hauts plateaux au début de l’année 2001, le discours portant sur « juste représentation »
des minorités ethniques n’a fait que se renforcer (Cf. résolution du 7ème Plénum du 9ème Congrès du PCVN, tenu en janvier 2003,
sur la « solidarité nationale »). Il est frappant que ce soit cette catégorie qui soit listée en premier. Ainsi, lors des dernières
élections législatives (mai 2002) par exemple, les autorités ont souligné le fait que, dans les provinces fortement peuplées par ces
minorités, les candidats étaient en grande majorité membres de ces communautés.
Cf. également : « Dai biêu Quôc hôi la nguoi dân tôc thiêu sô. Tu Khoa I dên Khoa IX, 1946-1992 » (Les députés à l’Assemblée
nationale représentants les minorités ethniques. De la 1ère à la 9ème Législatures, 1946-1992), Nha xuât ban van hoa dân tôc
(Editions de la Culture populaire), Ha Nôi, 1996, notamment l’introduction.
16
Directive n°07-CT/TU du 25 janvier 2002 émise par le Bureau Politique du Parti Communiste à propos des élections des
députés à la 11ème Législature. Les mêmes idées se trouvent dans la Directive n°13-CT/TW du 02 avril 1997 émise par le Bureau
Politique à propos des élections des députés à la 10ème Législature.
17
Frederick Balfour, « Slouching towards democracy : Vietnam elections promise Few Surprises », AFP, 16 juillet 1997.
18
Au sein de celle-ci en effet plusieurs partis politiques étaient représentés et des figures marquantes (notamment d’intellectuels
révolutionnaires) se détachaient. Le Viêt-Nam Cach mang dônh minh hôi avaient 20 membres et le Viêt-Nam Quôc dân dang 50
membres (soit 17% des membres de l’Assemblée nationale n’étaient pas membres du Viêt Minh).
19
Au sens entendu par Carlyle Thayer dans : « The regularization of politics : continuity and change in the Party’s Central
Committee (1951-1986) », in David G. Marrr, Christine P. White, Postwar Vietnam : dilemnas in socialist development, SEAP,
Cornell University, Ithaca New-York, 1988, p.177-193.
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5
En ce qui concerne la représentation des « minorités politiques », l’augmentation du nombre de femmes
(plus d’un député sur 4 depuis 1997 est une femme) est en effet importante depuis les élections de 1997 (de 18 à 26%
cette année-là). Elle s’accompagne de l’augmentation, cependant moins forte, du nombre de représentants des ethnies
minoritaires (maintenant aux alentours de 17% de l’institution). Enfin, les « jeunes », en tant que groupe social,
voient également leur place se renforcer dans l’institution. Ainsi les députés qui sont membres du Parti élus en 2002
ont en moyenne une petite cinquantaine d’années. Pour ce qui est du renouvellement des députés à chaque élection,
on note que le « turnover » institutionnalisé est efficace : depuis le début des années 1990, à chaque élection, seul 1
député sur 4 est réélu (contre 1 sur 2 dans les années 1980). Cependant une variable semble particulièrement stagner :
l’ouverture de l’hémicycle à des non-membres du Parti. Pire, le mouvement amorcé apparaît avorté. En 2002, ce sont
90% des élus (contre 85% en 1997) qui sont encartés. On est bien loin des objectifs, déjà modestes, évoqués
précédemment. De plus, les élus non-membres du Parti ne terminent le plus souvent pas leur mandat sans avoir pris
leur carte : l’organisation partisane les intègre en son sein.
Pour ce qui est des profils socio-institutionnels des députés, la première tendance frappante est le poids
prépondérant des fonctionnaires. Ainsi, en se reportant à l’encadré n°1, la « domination » des députés fonctionnaires
au sein de l’hémicycle apparaît évidente : 59% des élus membres du Parti sont employés par les autorités locales ou
centrales. Quand on sait que le secteur public n’emploie aujourd’hui au Vietnam qu’aux alentours de 15% de la
population active (suivant les calculs), c’est sans doute sur ce point que le défaut de représentativité de l’Assemblée
vietnamienne est le plus flagrant. D’autre part, les profils des représentants ont évolué avec le développement,
l’institutionnalisation et la bureaucratisation du pays : les anciens députés issus en grand nombre du monde paysan et
des cols bleus ont été remplacés par des cadres fonctionnaires des organisations étatiques ou partisanes. Dans cette
perspective, la proportion de cadres issus des organisations centrales semble se stabiliser autour de 30% et retrouve
ainsi son niveau du début des années 1980 : en 2002, près d’un élu sur 3 est un cadre dont la candidature a été
présentée par les autorités centrales. La tendance actuelle accentue ainsi encore la sous-représentation du monde
rural. L’évolution de la composition représente également les rapports de forces entre les différents secteurs de la
société vietnamienne dans la normalisation de la paix (permanence du poids des militaires…).
D’autre part, les députés sont « en moyenne » de mieux en mieux formés : en 2002, les chiffres officiels font
état d’un membre de l’Assemblée sur 4 ayant reçu une formation post-universitaire. Ce qui est certain, au delà de
cette question de diplômes, c’est qu’il est maintenant de plus en plus nécessaire pour être candidat d’occuper un
poste d’un certain niveau de responsabilité ou de justifier d’une certaine expérience, du moins sur le papier. De plus,
l’évolution socio-économique du pays et son ouverture au monde ont sans conteste permis une amélioration, par
rapport à des normes techniques occidentales, des capacités générales des élus vietnamiens : langues étrangères,
domaines de compétence… Néanmoins, le niveau d’instruction générale, et surtout le niveau des connaissances
juridiques et économiques, sont toujours sujets tant de railleries populaires que de plaintes et autocritiques
officielles20.
Par rapport aux objectifs du pouvoir en termes de capacité en droit, même si une amélioration est
indéniable21, il n’y a en 2002 toujours que 6% des élus membres du PCVN qualifiés de « juristes ». En ce qui
concerne la promotion au sein de l’Assemblée de représentants du monde de l’entreprise la situation semble
similaire22. Détaillons ce dernier point : en 1992, les agents économiques élus à l’Assemblée nationale étaient moins
de 25 (6% des députés). Cinq années plus tard, en 1997, la 10ème Législature comprend près de 45 représentants du
monde de l’entreprise (soit 10%), mais seulement deux d’entre eux travaillent dans le secteur privé. En 2002, 25 des
498 députés élus sont chefs d’entreprises (soit 5%), dont 20 travaillant pour des entreprises d’Etat. Ces chiffres
restent encore très modestes. Néanmoins, l’idée de former une sorte de « groupe » (pour ne pas dire lobby) pour faire
entendre l’opinion de cette catégorie d’élites semble s’affirmer23. Selon Nguyên Si Dung (Directeur du Centre
d’Information, de Documentation et de Recherches scientifiques de l’Assemblée nationale) : « Il faut regrouper pour
pouvoir créer la différence ». Ainsi, certains des nouveaux députés chefs d’entreprises n’hésitent pas à affirmer, tel
20
Bui Quôc Thanh, « Vê hoan thiên tô chuc va dôi moi nôi dung hoat dông cua cac co quan chuyên môn cua Quôc hôi » (A
propos du perfectionnement de l’organisation et du renouveau du contenu des activités des organismes spécialisés de l’Assemblée
nationale), in Tap chi công san, (Revue communiste), n°22, août 2002.
21
Pour appréhender la situation réelle passée du Vietnam, on rappellera que pendant plusieurs décennies de guerre il n’y avait
plus de Ministère de la Justice, que l’Université de Droit de Hanoi n’a réouvert ses portes qu’à la fin des années 1970…
22
Papin, op. cité, chap.9.
23
Minh Duc, « Tiên noi doanh nhân trong Quôc Hôi » (La voix des chefs d’entreprises à l’Assemblée nationale), in Tap chi
Nghiên cuu Lâp phap (Revue des Recherches Législatives), n°12 (décembre), 2002, p.14-16.
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6
Huynh Van Chinh (Directeur de la Société de textile « 29/03 » à Da Nang ), que « la société vietnamienne dans son
ensemble mais également l’Assemblée nationale ne comprennent pas bien le rôle des entreprises »24. Cependant, il
apparaît très délicat d’évaluer l’évolution réelle de la sensibilisation de l’ensemble des députés aux problèmes et
problématiques touchant le monde de l’entreprise (les multiples « casquettes » des députés, à travers notamment les
membres de leur famille, rendent difficile leur classement par profession…).
Certaines évolutions semblent donc corroborer le discours officiel de renouvellement des membres de
l’Assemblée et de recherche d’un meilleur équilibre des profils socioprofessionnels, donc d’une institution plus
représentative et efficace : femmes, diplômes, ouverture au monde de l’entreprise et donc à la société civile…
Néanmoins, comme nous le verrons plus loin, ces nouveaux députés restent le plus souvent à la « marge » des
véritables sphères de pouvoir. Pour conclure, et éviter tout risque de sur-interprétation de la réalité de l’ouverture du
processus électoral, l’étude des candidatures indépendantes, autorisées depuis 1992 se passe de commentaires (voir
tableau 1). En 2002, dix ans après la réforme, ils ne seront que 13 à franchir avec succès les « épreuves de
sélection » ; et seulement 2 d’entre eux seront élus.
Caractéristiques réelles du renouvellement des députés vietnamiens.
On doit admettre que certaines personnalités « nouvelles » ont profité de l’ouverture officielle du processus
de sélection pour incorporer les rangs de l’Assemblée populaire suprême, avec l’accord (et non contre) et grâce à la
cooptation du pouvoir. L’ouverture, même si elle apparaît extrêmement réduite, existe25. L’évolution vers un
processus plus transparent (public) et davantage soumis à consultation semble être un autre acquis de la procédure de
sélection de nouvelles élites. Même si ce phénomène est rare : certains candidats proposés par le Parti (on ne parle
pas ici des candidats importants occupant des fonctions élevées dans l’appareil partisan) peuvent être rejetés lors des
séances de consultation des électeurs organisées lors du processus de sélection. Ceci ne signifie pas que la vox populi
puisse imposer des candidats, elle dispose d’un certain pouvoir dans un cadre défini par le Parti : si certains candidats
très populaires sont trop marqués « indépendants », et donc étiquetés déloyaux et incontrôlables, le « droit de
censure » des autorités est très ferme26.
Pour ce qui est de l’amélioration de la formation des députés, même si la tendance lourde apparaît
encourageante, ce point soulève des questions liées à des « problèmes sociaux » plus généraux : valeur des diplômes,
corruption du système éducatif…27. De plus, cette tendance semble plus relever d’un lent renouvellement
générationnel « naturel » que d’un réel renouvellement/promotion volontaire, qui serait accompagné de la mise de
côté de certains cadres, et surtout du sacrifice de la génération actuellement aux commandes du pays. On ne peut
négliger que la majorité des députés actuels, et donc parmi eux, les juristes, économistes…, ont reçu leur formation
initiale (diplômes plus expériences professionnelles, c’est à dire entre 3 et 10 ans) en URSS ou dans les pays frères ;
même si certains ont également profité d’une « seconde » formation, depuis l’ouverture du pays, dans les pays
occidentaux (Australie, Etats-Unis, France….). Sans négliger l’impact de cette première formation à l’étranger
(ouverture aux autres, contact avec un Occident, études…) qui a contribué à faire de ces hommes et femmes une
génération qui sait s’adapter, incorporer un savoir « étranger »…, on ne peut que constater que, ce monde
s’effondrant, ces expériences apparaissent aujourd’hui très « lointaines » (dans tous les sens du terme).
24
Idem op.cité. Dans ce même article, relatant un colloque organisé par cette revue, le journal Forum des entreprises et la
Chambre de Commerce et d’Industrie du Viêt-Nam, en partenariat avec d’autres institutions, sur la place des chefs d’entreprises à
l’Assemblée nationale, le député Phan Duc Nhan ( Directeur de la Société de construction Quang Nam) a également affirmé que
« les dirigeants sont invités à adopter une nouvelle perception du rôle des entreprises »… Cf. Lors du 5ème Plénum (9ème Congrès)
du Comité Central du Parti Communiste vietnamien (18 février - 2 mars 2002) une résolution a été adoptée donnant, pour la
première fois, le feu vert aux membres du Parti pour s’engager discrètement dans des affaires privées (par contre, participer à
l’exploitation inhérente au capitalisme leur est toujours interdite bien sûr… Tout est ici affaire de définition… et d’hypocrisie…)
25
On pourrait citer comme exemple de personnalités « populaires » élues dans les années 1990, M. Duong Trung Quôc (rédacteur
en chef de la revue « Xua va Nay » - Hier et aujourd’hui) qui plaidait pour la réévaluation historique de la dynastie des Nguyên ;
M. Trân Dông A, chirurgien réputé de Hô Chi Minh Ville ; M. Tôn Thât Bach, directeur d’hôpital à Hanoi…
26
Cf. lettre ouverte de Nguyên Thanh Giang, candidat à la candidature, écarté de la liste finale pour les élections de 1997.
27
On peut également rappeler une décision du Ministère de l’Education datant d’une demi-douzaine d’années qui consistait à
annuler le titre de « vice docteur » (« pho tiên si ») : résultat, grâce à cette décision, tous les « pho tiên si » sont devenus
« docteur » (« tiên si »)…
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7
Il est frappant, mais naturel, que l’ensemble des élites issues des années de domination du Parti Communiste
vietnamien, marquées du sceau de la légitimité nationaliste charismatique gagnée lors de la conquête de
l’indépendance, ait été appelé à donner un bain de jouvence à cette légitimité menacée de routinisation et confrontée
aux problèmes économiques et sociaux concrets de l’après-guerre (cette problématique est d’autant plus dramatique
pour la génération actuelle qui ne fait plus véritablement partie des glorieux héros militaires ou tacticiens, et qui est
d’autant moins à même de jouer sur ce ressort d’autorité et de légitimité). Cette quête passe par la transformation du
capital initial par l’acquisition de nouveaux attributs de légitimité plus « classiques » : diplômes, expériences
économique ou de gestionnaire… Si la dimension idéologique (rouge) n’est pas ôtée à la panoplie du mandarin
actuel, celle-ci se modernise tout en retrouvant par la même occasion des teintes anciennes oubliées pendant un
moment de l’histoire. Ici encore, on peut sans doute parler, en l’entendant dans une acceptation quelque peu
différente, de « normalisation » du pouvoir. Le pouvoir a réinvesti massivement les modèles nationalistes,
développementalistes et traditionnels. Néanmoins, la grande majorité des Vietnamiens se plaignent encore de la
faible qualité des députés. Dans leurs analyses on retrouve d’ailleurs soulignée la tension entre « représentativité » et
« efficacité » : de nombreux députés dont l’élection relève de façon évidente des « quotas » de représentation sont
ainsi jugés inaptes au travail au sein de l’Assemblée populaire suprême28. Cet aspect de la réalité apparaît encore de
façon paradigmatique, quelles que soient les évolutions réelles de la qualité de l’institution dans son ensemble, lors
des séances d’interpellation des ministres, retransmises en direct à la télévision.
D’autre part, une des caractéristiques évidentes de l’Assemblée nationale est qu’elle est plus représentative
de l’équilibre entre les différents organismes partisans et étatiques qui concentrent le pouvoir, que de la population
vietnamienne dans son ensemble. Une large partie de l’éventail social semble toujours être tenue à l’écart de cette
tribune nationale. Ainsi, dans certains articles portant sur ce sujet, on voit se dessiner, en ombres chinoises du
discours officiel, cette crainte que l’Assemblée nationale ne soit en fait que l’Assemblée suprême des représentants
des organismes étatiques29.
Un des acquis indéniables du Doi moi concernant le recrutement et la promotion des élites en général, et des
députés à l’Assemblée nationale, est l’institutionnalisation du renouvellement de ces hommes. A la différence des
années marquées de l’empreinte de la guerre, les élections sont bien institutionnalisées, se tiennent maintenant à un
rythme régulier de 5 ans et à chaque vote un « turnover » important est programmé. Néanmoins, plus l’on se
rapproche de la sphère des députés influents (Comité permanent, députés permanents, Conseil des ethnies et autres
Commissions…) moins ce phénomène est réel. Si le second cercle du pouvoir semble plus ouvert et renouvelé, le
noyau dur apparaît quasiment imperméable.
En effet, si le pouvoir vietnamien tente d’attirer au sein de cette institution des cadres de valeur ; si la
volonté de promouvoir des responsables selon des critères de compétence et d’expérience existe, le véritable effort de
« recrutement » porte néanmoins véritablement (et uniquement ?) sur les postes importants à pourvoir au sein de
l’Assemblée : Comité permanent, présidences de Commissions internes, députés permanents… Ainsi en 2002, les
membres des commissions de l’Assemblée, et surtout ses membres permanents, ont été en général choisis parmi des
cadres d’expérience30. Néanmoins si cet effort est réel, la fidélité politique reste la condition sine qua non du choix.
Pour démonstration, si l’on étudie avec précision la composition de 2 des 8 commissions (en comptant le Conseil des
Ethnies) de la 11ème Assemblée nationale élue en 2002, la Commission des Lois (34 membres) et la Commission de
l’Economie et du budget (40 membres) – qui peuvent être considérées comme faisant partie des commissions les plus
importantes, on ne trouvera qu’un non-membre du Parti et seulement 4 personnes entrées au Parti après 1986, année
de lancement officiel du « renouveau » (ces 5 n’ont aucune fonction particulière, ils ne sont ni député permanent, ni
28
Ainsi en est-il d’une jeune députée de la province de Bac Nhin, chanteuse de profession, qui aurait déclarée lors d’une réunion
publique regroupant des enseignants de sa circonscription qu’elle ne pouvait pas répondre aux questions portant sur des thèmes
politiques faute de connaissances des dossiers… mais qu’elle pouvait par contre… chanter ! (Entretien, automne 2002, Hanoi).
29
Nguyên Quang Minh, op.cité p.22. Encore une fois, plus le discours officiel insiste sur la lutte contre une quelconque
« déviation » ou un certain « phénomène néfaste », plus, le plus logiquement du monde, l’observateur peut supposer que ce
phénomène existe, et évaluer sa « gravité ».
30
Pour exemple nous pouvons citer les « nominations » de l’ancien Directeur général des Douanes (M. Nguyên Duc Kiên),
l’ancien Directeur général du Trésor (M. Dang Van Thanh) et l’ancien vice-Gouverneur de la Banque Central (Mme Duong Thu
Huong) au sein de la Commission Economie et Budget ; de l’ancien Ministre de la Justice (M. Nguyên Dinh Lôc) au sein de la
Commission des lois ; et du Recteur de l’Ecole Normale Supérieure d’Economie au sein de la Commission de l’éducation et de la
culture.
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8
vice-président de commission). Statistiquement, en moyenne, ces 73 membres ont leur carte du Parti depuis plus de
25 ans.
En fait, pour véritablement appréhender la problématique du renouvellement et de l’ouverture des élites
politiques vietnamiennes à travers l’Assemblée nationale, il faut raisonner en prenant en compte l’idée de « sphères
de pouvoir », conjuguée avec les deux objectifs de représentation et d’efficacité. En effet, pour ce qui est des artifices
de représentativité, l’ouverture est limitée aux marges de l’institution (qui est elle-même située à la périphérie du
pouvoir…). Les postes clés du fonctionnement de l’Assemblée sont toujours occupés par des idéaux types
d’apparatchik du Parti (homme, kinh, formé à l’idéologie soviétique, membre du Comité central, plus de 30 ans de
Parti…). La composition du Comité permanent « élu » en 2002, détaillée dans le tableau n°2, symbolise la main-mise
toujours prégnante du Parti sur l’institution. Néanmoins, dorénavant, une plus grande attention est portée à la qualité
et donc à l’efficacité de ces apparatchiks. En moyenne, les membres du Comité ont été admis au Parti au milieu des
années 1960 (soit depuis une quarantaine d’années). La composition de la deuxième sphère de pouvoir de
l’Assemblée, les commissions (voir les exemples précédents), montre que la logique commandant aux promotions est
quasi-scientifique, et semble répondre à des critères éminemment bureaucratiques : les titulaires de ces postes ont
adhéré en général au Parti plus tardivement, ont été élus pour la première fois député plus récemment… L’hémicycle
national est toujours fondamentalement une institution rouge dont les membres se doivent, pour arriver à un certain
niveau de responsabilité, de posséder une légitimité communiste très forte, d’appartenir à une « maison rouge ».
Tableau 2 : Composition du Comité permanent de l’Assemblée nationale (11ème session : 2002-2007)
Année de
naissance
Année d’entrée
dans le PCVN
1937
1959
Nombre de
mandats de
député (2002
inclus)
3
1940
1965
3
1944
1966
Formation première
Fonction au sein
du Parti
Ingénieur électrique
Bureau politique
Bureau politique
2
Ingénieur mécanique +
gestion
Docteur en science militaire
Nguyên Van An
(Président de l’AN)
Truong Quang Duoc
(Vice-président de l’AN)
Nguyên Phuc Thanh
(Vice-président de l’AN)
Nguyên Van Yêu
(Vice-président de l’AN)
Lê Quang Binh
1942
1963
3
Licencié en droit
Comité central
1947
1968
2
-
Mme. Trân Thi Tâm Dan
Vu Duc Khiên
Nguyên Duc Kiên
Vu Mao
1939
1940
1948
1939
1960
1969
1968
1962
5
3
3
4
Trang A Pao
1945
1967
3
Bui Ngoc Thanh
Mme. Nguyên Thi Hoai
Thu
Hô Duc Viêt
1944
1943
1971
1964
3
6
Licencié en droit + Université
de science militaire
Docteur en chimie
Docteur en droit
Licencié en économie
Université d’hydraulique +
Université d’économie
Université d’économie et du
plan
Docteur en Economie
Licencié en « politique »
1947
1967
3
Docteur en mathématiques
physiques + formation
politique
Comité central
Comité central
Comité central
Comité central
Comité central
Comité central
Les freins au processus d’ouverture
La cause de la lenteur de l’ouverture du processus de recrutement et promotion de nouvelles élites au sein de
l’Assemblée nationale vietnamienne est avant tout à chercher dans les « freins politiques » : si la devise « expert et
rouge » est l’idéal officiel clamé par les autorités… « rouge » demeure la condition sine qua non. Depuis
l’autorisation officielle de la liberté de candidature, en 1992, dans les faits, la sélection des dossiers par les autorités
représente un véritable chemin de croix pour ces candidats indépendants. Cette année-là, 38 des 40 personnalités
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9
indépendantes ayant rempli les formalités pour se présenter devant les électeurs seront finalement disqualifiées pour
« raisons techniques » ou se retireront d’« elles-mêmes » de la bataille électorale31. Dans les directives officielles du
Bureau Politique relatives à la préparation des élections dans les années 1990, une condition, indispensable pour
comprendre la réalité de l’ouverture du recrutement des députés, apparaît toujours explicitement : « co lich su chinh
tri ro rang » (avoir une histoire politique claire). C’est véritablement tout le processus de sélection/désignation des
candidats qui est piloté par la direction du Parti, à travers ses organisations de masse. Ainsi, même un membre du
Parti ne peut pas, s’il n’est pas « proposé » par ses supérieurs, se présenter devant les électeurs32. La question du
renouveau du leadership passe avant tout par la question du renouveau des élites du Parti Communiste lui-même.
Si le blocage est en premier lieu idéologique, il renvoie cependant également à une logique de « groupes »,
de « clans ». Le fonctionnement du monde politique vietnamien est régulé par les principes de cooptation et de
partage du pouvoir. Le soutien d’un haut dirigeant, faisant office de protecteur (ô du) semble également pouvoir être
considéré comme une condition sine qua non de promotion. Ce n’est qu’en échange de la fidélité à certains des
principes indépassables du système (parti unique, solidarité des membres face à l’extérieur…), et à un « patron »
occupant une haute fonction dans ce système, que le membre peut espérer atteindre certains postes de responsabilité.
Enfin, la lenteur du renouvellement des députés vietnamiens s’explique par le fonctionnement même du
système bureaucratique. Comme dans l’administration, la logique qui prévaut, au delà du respect de la ligne politique
et du fonctionnement clanique, est celle de la promotion « au temps ». Ainsi, les députés sélectionnés sont souvent
choisis selon le principe « o lâu lên lao lang » (celui qui vit longtemps devient chef du village). Ainsi, malgré des
discours affirmant la volonté de favoriser l’élection d’un pourcentage non négligeable de députés non-membres du
Parti, la réalité se heurte à la règle informelle selon laquelle un cadre ayant tant d’années d’engagement, ayant prouvé
sa fidélité au système et ayant atteint tel niveau de responsabilité, est dans la logique intrinsèque du système
« évidemment » appelé à telle fonction ; et par conséquent, si volonté il y a, elle se confronte directement à la
promotion mécanique et à la « course aux postes » à laquelle se livrent en interne les cadres du Parti.
Conclusion : le poids de l’histoire et de la « solidarité de classe ».
Certains auteurs, tel Gareth Porter, ont pu parler à propos des réformes vietnamiennes de l’affirmation d’une
situation de « creeping pluralism ». Ce concept nous semble pertinent si on l’entend dans une conception restrictive
et que l’on pose comme condition première à cette marge de manœuvre et de différenciation la nécessaire « fidélité
politique ». Le principe des trois « non »33, énoncé lors du 7ème Plénum du Comité Central du Parti, en août 1989,
semble toujours, et plus que jamais, une référence indispensable à la compréhension de l’évolution des élites
politiques vietnamiennes. Le renouvellement de ces élites doit toujours être appréhendé en termes de « processus de
sélection interne » et en termes d’équilibre des pouvoirs entre différentes affiliations ou groupes d’intérêts des
leaders. Dans ce contexte, certains hauts responsables n’hésitent pas à affirmer que la représentativité au sein de
l’Assemblée nationale est imparfaite et que la « qualité » (les capacités) des hommes et femmes qui la composent est
problématique34. A l’heure actuelle, les évolutions des critères de « promotion » au poste politique qu’est la fonction
de « député » ne sont vraiment observables qu’à la marge ; ou plus exactement « double marge » : tant en ce qui
concerne les caractéristiques des candidats qu’en ce qui concerne la géographie concentrique des cercles de
pouvoir… Sans doute les véritables lieux d’ouverture et de renouvellement des élites vietnamiennes, sont à chercher
au-delà des « postes politiques » (même si ce n’est que député…), du côté d’experts et de hauts fonctionnaires,
travaillant davantage dans l’ombre…
La véritable évolution de la composition de l’Assemblée nationale vietnamienne peut, selon nous, être
qualifiée en termes d’institutionnalisation du pouvoir et de son fonctionnement, de fonctionnarisation et de
bureaucratisation des représentants du peuple, corollaire de la régularisation de la politique vietnamienne. Elle suit en
cela les grandes lignes de l’évolution de la structure partisane du pouvoir. Elle se modernise avec lui. Néanmoins, on
ne peut en aucun cas parler de véritables bouleversements volontaires, l’essentiel du changement restant avant tout
31
Russell Heng Hiang Khng, op. cite.
Entretien, Hanoi, juin 2003. Cf. Le règlement interne du Parti (art. 41.2) et le document : « Les interdits des membres du Parti »
(art. 7), rédigé par M. Pham Thê Duyêt (Président du Front de la Patrie) et adopté par le Bureau politique le 12 mai 1999.
33
Ne pas remettre en question le leadership du Parti, ne pas remettre en question le Parti unique et refuser le pluralisme.
34
Entretien, Hanoi, juin 2003.
32
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10
affaire d’image, de « publicité ». Néanmoins un processus est enclenché et le pouvoir ne pourra pas contrôler un
facteur déterminant : le temps.
Peut-être pouvons-nous émettre une hypothèse qui va bien au-delà de la problématique vietnamienne
générale actuelle et de notre étude sur l’Assemblée nationale en particulier. Il serait intrinsèque à une révolution
communiste, menée par une idéologie orthodoxe qui fait des classes exploitées le moteur de l’histoire, guidée à ses
débuts par des intellectuels en rupture de banc social convaincus que le salut de l’humanité (ou de la patrie) viendra
de l’application de ce nouveau système de pensée, de « fabriquer » à travers ses mouvements de mobilisation et ses
politiques de recrutement, une seconde génération de « dirigeants révolutionnaires prolétaires acculturés ». Par
mauvaise conscience sociale et par croyance en un nouveau système de pensée eschatologique, les pères fondateurs
et la logique même du système engendrent la formation de cette nouvelle classe de leaders sélectionnés comme
« élus » et portés au pouvoir en raison même de ces caractéristiques « naturelles » (pour ce qu’ils sont).
Historiquement, au Viêt-Nam, cette génération s’est de plus affirmée pendant une période de culture de guerre
marquée par la nécessité de l’ordre, l’intransigeance, le centralisme démocratique35… Sans tomber dans une
perspective élitiste, ce que nous voulons avancer comme hypothèse d’analyse est que cette génération n’a jamais
connu, appris, compris, les principes démocratiques. De plus, elle est très sensible aux sirènes du pouvoir et de la
société de consommation naissante. Peut-on ainsi en attendre une véritable volonté de renouveler les postes
dirigeants sans assurance qu’ils ne seront les premières « victimes » de la nouvelle donne ? Sur ce point, nous
pouvons parier sur la solidarité partisane, la défense des privilèges et la peur de la perte de contrôle. Du point de vue
des élites, dans le contexte vietnamien actuel, gagner du temps c’est pouvoir reconvertir, réinvestir et faire fructifier
son capital politique. En ce sens, le véritable renouvellement des élites communistes vietnamiennes ne devrait être
principalement que le fait de la naturelle évolution générationnelle, liée à l’ouverture du pays. Sauf, bien entendu, si
l’histoire réserve encore des surprises au peuple vietnamien…
35
Dans la pratique le travail et les interventions des députés, même s’ils participent de la constitution de « soupapes de sécurité »
par le pouvoir, restent encore très « prudents ». Ainsi, M. Nguyên Si Dung (Directeur du Centre d’Information, de Documentation
et de Recherches scientifiques de l’Assemblée nationale) regrette que « comment faire pour « satisfaire l’échelon supérieur » soit
le critère de comportement de bon nombre d’intervenants ». Cf. Nguyên Si Dung, « « Quyêt » o Quôc hôi » (La prise de décision
à l’Assemblée nationale), in Tap chi Nghiên cuu Lâp phap (Revue des Recherches Législatives), n°12 (décembre), 2002, p.3-4.
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11
Tableau n°1 : Evolution de la composition de l’Assemblée nationale
2002
XIème Assemblée
nationale
(498 députés)
1997
Xème Assemblée
nationale
(450 députés)
- administration : 198
-industrie : 21
-agriculture : 17
-éducation : 22
-santé : 18
-org. masses : 63
-forces armées : 78,
(dont 55 militaires)
-religieux : 8
1992
IXème Assemblée
nationale
(395 députés)
-industrie : 19
-agriculture : 58
-militaires : 38
-politiques : 43
-Etat : 123
-artistes : 20
-éducation : 24
-Front Patrie,
org. masses : 59
-religieux : 7
Près de 25
(6%)
1987
VIIIème assemblée
nationale
(496 députés)
-travailleurs : 91
-paysans : 105
-artisans et petite
industrie : 19
-militaires : 49
-politiques : 100
-intellectuels : 123
-religieux : 9
1981
VIIème Assemblée
nationale
(496 députés)
-travailleurs : 100
-paysans : 92
-artisans et petite
industrie : 9
-politiques : 121
-militaires : 49
-intellectuels et
artistes : 110
-religieux : 15
Catégories
socioprofessionnelles :
Voir encadré 2 cidessous
Monde de l’entreprise
25 (20 SOE/5 privé)
(5%)
45 (dont 2 du privé)
(10%)
Elus appartenant aux
ethnies minoritaires
86
(17,27%)
78
(17,3%)
66
(16,7%)
70
(14,1%)
74
(14,9%)
Nombre de femmes
136
(27,31%)
447
(89,8%)
465 (126)
93,4% (25,3%)
118
(26,2%)
382
(84,9%)
411 (90)
91,3% (20%)
73
(18,5%)
362
(91,6%)
222
56,2%
88
(17,7%)
465
(93,7)
108
(21,8%)
435
(87,7%)
154/344
(30,92%)
13
(2)
135
(27,1%)
348 pour la 1ère fois
(69,9%)
134/316
(29,8%)
11
(3)
96/299
(24,3%)
2
(0)
116/380
(23,4%)
167/329
(33,7%)
108
(27%)
Environ 50%
Environ 50%
Nombre de membres
du PCVN
Formations supérieu
res (dont postuniversitaires)
Cadres central/local
(« poids » du central)
Candidatures (et élus)
indépendantes
Députés réélus
Encadré 1 : Informations sur les caractéristiques des 447 députés membres du Parti Communiste vietnamien
élus en 2002
Age moyen : entre 50 et 55 ans
344 hommes (77%)
50% viennent des provinces du centre du pays, 27% du sud et 23% du nord
376 sont kinh (84%)
Catégories socio-professionnelles :
-
-
militaires : 37 (8,28%)
police : 15 (3,36%)
pouvoir central : 94 (21,03%)
autorités locales : 169 (37, 81%)
mass médias : 7 (1,57%)
industrie et services : 27 (6,04%)
agriculture : 9 (2,01%)
artistes : 4 (0,89%)
éducation et recherche : 26 (5,82%)
santé : 10 (2,24%)
juristes : 26 (5,82%)
associations : 22 (4,92%)
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