Baromètre
Transcription
Baromètre
Le Baromètre mètre Juillet 2009 | #9 Les élèves-avocats FACE À la crise Actualité du droit Enjeux du projet de loi Hadopi, Perspectives du rapport Darrois DU CÔTÉ DES AVOCATS Les professionnels du droit s’expriment N Édito Barreau-journalisme Le Baromètre 63 rue de Charenton, 75012 Paris [email protected] Site internet www.aea-paris.net http://barometre.free.fr Rédacteur en chef Lydia Hamoudi Rédacteur en chef adjoint Sahand Saber Directeur de la publication Clément Salines N Nouvelle présentation pour un nouveau baromètre. Le journal change son image et sa plume ! À cette occasion, l’équipe de rédaction cru 2009 s’est investie pour repenser le journal. Nouvelle ligne éditoriale d’abord. Le journal de l’EFB est le journal de tous les élèves-avocats. À cet égard, il doit rester ouvert à tous. Pour ce premier éditorial, l’équipe tenait donc à vous faire passer ce message : « le baromètre c’est vous, c’est nous, c’est l’ensemble des élèves ! » N’hésitez pas à nous rejoindre. Journalistes en herbe ou profanes plein d’idées, le journal vous ouvre ses pages pour vous permettre de vous exprimer sur les sujets qui vous tiennent à cœur. Le baromètre doit en effet rester un journal qui vous ressemble. Pour optimiser cette idée, sa structure même a subi une réforme d’envergure. Refonte des rubriques mais également diversification des pages consacrées à la culture et à la vie des élèves, parce que vous n’êtes pas uniquement – loin s’en faut – de futurs professionnels du droit. Pour ce premier numéro, l’équipe a tenté de suivre au mieux vos préoccupations en abordant des thématiques d’actualité juridique comme le rapport Darrois ou encore le projet de loi Hadopi. En ces temps de crise, le baromètre est également allé chercher les informations objectives de nature à répondre à vos interrogations quant à votre future carrière. Enfin, dans un registre plus léger, il a développé sa rubrique culture et s’est aussi intéressé aux grandes figures de la profession à laquelle vous vous destinez. Comité de rédaction Comité de rédaction : Olivier Dorgans, Renan Budet, Nathalie Sitbon, Jennyfer Sellem, Jacques-Alexandre Bouboutou, Jacques Mandrillon, Charlotte Pennec, Mélissa Sémari, Louis Cofflard, Julien Berbigier, Guillaume Chiron. Photograhes Olivier Dorgans et Sarah Foliard Conception graphique et réalisation Sarah Foliard www.sarahfoliard.com Imprimeur SOPAIC IMPRIMERIE rue François Urano 08000 WARCQ Tél. : 03.24.33.42.42 Fax. : 03.24.33.76.90 e-mail : [email protected] Réalisation de couverture Sarah Foliard et Olivier Dorgans Nous remercions la Maison Ponsard & Dumas de Paris de nous avoir gracieusement prêtées les robes utilisées pour les photos de couverture ainsi que pour les photos de l’article « Les élèves-avocats » face à la crise. Tout un programme que nous vous proposons au fil de ces quelques pages… L’équipe de rédaction 2009 LE BAROMÈTRE | 3 L’avenir ensemble. Conseil sur les opérations les plus complexes du marché, Linklaters est régulièrement cité en tête des classements des meilleurs cabinets d’avocats d’affaires dans le monde. Nos équipes à Paris offrent à leurs clients, en France et à l’étranger, des services juridiques de haut niveau et des solutions créatives dans tous les domaines clés du droit des affaires. La diversité des expériences et les personnalités de nos collaborateurs sont des éléments fondamentaux de notre réussite. Rejoignez-nous et, ensemble, cultivons l’excellence. linklaters.com/careers Sommaire P.06 Actualité du droit Rubrique consacrée au nerf de la guerre : nouvelles réformes, sujets polémiques… P.18 Du côté des avocats Projecteurs sur ceux qui ont déjà passé la robe… en attendant notre tour ! P.34 À la une Sujet que nous avons décidé de mettre en exergue. Au menu du présent numéro : les élèves-avocats et la crise. P.39 Quelque part dans le monde Pour savoir ce qu’il se passe en dehors de nos frontières. P.46 Bouillon de culture Parce que nous ne sommes pas que de futurs avocats, un grand bol d’air ! P.59 Entre nous Retour sur vos premières expériences et sur les évènements organisés par votre AEA. Le Baromètre | 5 Actualité du droit Hadopi : L’abordage manque sur les pirates du Net Internet, grâce à la mise à disposition de logiciels de copie et de piratage, permet la reproduction illicite d’œuvres immatérielles telles que la musique, le cinéma ou les séries. Le fait de télécharger illégalement, de pirater des œuvres protégées, constitue un acte de contrefaçon qui est un délit portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle de ses ayant droits. L’ I. L’IMPACT ÉCONOMIQUE SUR LES SECTEURS TOUCHES PAR LE PIRATAGE Selon un rapport publié en novembre 2008 par les cabinets de conseil Tera Consultants et Equancy & Co, le piratage aurait entraîné en France, pour la seule année 2007, une perte de 1,355 milliards d’euros de recettes ainsi que la suppression de 5 000 emplois dans les secteurs étudiés : musique, édition, télévision et cinéma. La filière de l’industrie musicale aurait subi, en 2007, une perte de 369 millions d’euros et celle du cinéma une perte de 605 millions d’euros. La Ministre de la Culture, Christine Albanel, soutient que le téléchargement illégal a entrainé une chute de 50% du marché de la musique en cinq ans, avec une réduction de 30% des emplois et ajoute que le cinéma serait victime « d’autant de piratages chaque jour que d’entrées, soit 400 000 à 500 000 »2. Les chaînes de télévision subissent également des pertes, évaluées à 234 millions d’euros, liées à une 1 http://www.guim.fr/blog/files/Equancy-Tera-Rapport_Hadopi.pdf. 2 http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39387210,00.htm 6 | Le Baromètre diminution des recettes publicitaires. Les films et les séries télévisées étant téléchargées illégalement ou visionnées en streaming sur Internet, les taux d’audience sont moins importants. Par conséquent, les annonceurs refusent de payer des prix aussi élevés que dans le passé. Par conséquent, les chaînes de télévision soutiennent activement la loi Hadopi. Pour l’instant, le secteur du livre est peu touché par le piratage sur Internet. Cependant, ce secteur ne semble épargné que de façon temporaire car une fois adopté l’usage du livre numérique, on peut craindre un phénomène de pillage massif. Les auteurs du rapport estiment qu’à terme le secteur du livre devrait subir une perte de 147 millions d’euros. Cependant, le phénomène du piratage ne doit pas être uniquement étudié au regard de bilans économiques et de pertes financières. Cette analyse est trop réductrice et ne prend pas en compte ce qui est devenu un nouvel accès à la culture et un mode de consommation révolutionnaire des œuvres culturelles. Le téléchargement illicite, ce n’est pas seulement la possibilité d’acquérir gratuitement des musiques mais également la chance de pouvoir découvrir des artistes que l’on ne connaît pas et dont on n’aurait jamais eu ni l’envie, ni même l’idée d’acheter le CD ou le DVD dans le commerce. Le prix des œuvres culturelles, qui se trouve justifié (voire mis en exergue en raison de leur modicité) par les maisons de production et les artistes lors de leurs interviews, reste un véritable frein à l’accès à ces œuvres. Il convient de rappeler que les offres haut débit des fournisseurs d’accès à internet (FAI) se sont développées grâce au téléchargement illicite. Qui utilise un débit de plus de 20 Méga pour consulter sa boîte mail ? Cependant, face au lobbying des maisons de production et des artistes, le gouvernement a décidé de répondre à leur demande et d’élaborer une loi permettant de lutter contre le piratage. II. LA LOI HADOPI : LE MEILLEUR MOYEN DE LUTTER CONTRE LE TELECHARGEMENT ILLICITE SELON LE GOUVERNEMENT La loi « Création et Internet », communément désignée sous le terme « HADOPI », a été adoptée le 13 mai après plusieurs péripéties parlementaires. Ce texte avait été voté au Sénat le 30 octobre 2008 mais rejeté d’une manière inattendue par l’Assemblée Nationale le 9 avril dernier. De façon (un peu moins) surprenante, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer les dispositions majeures de ce texte. Un bref rappel des dispositions de ce texte permet de mieux comprendre l’opposition qu’il a suscité. a. Une nouvelle forme de responsabilité envisagée Pour guérir les internautes de la fièvre téléchargeuse, le remède préconisé par le gouvernement reposait sur un système dit de « riposte graduée » encadré par une autorité administrative indépendante, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (la fameuse Hadopi). La loi prévoit la création d’une obligation, génératrice d’un système de responsabilité inédit fondé non pas sur une faute mais sur un défaut de surveillance : « la personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits (…) Le fait, pour cette personne, de manquer à [cette] obligation (…) peut donner lieu à sanction (…) » Le piratage aurait entraîné en France, pour la seule année 2007, une perte de 1,355 milliards d’euros de recettes ainsi que la suppression de 5 000 emplois. Il s’agit d’un bouleversement dans le domaine du droit de la propriété intellectuelle car ce qui serait sanctionné n’est pas l’acte de téléchargement illicite, c’est-à-dire de contrefaçon, mais le défaut de surveillance de sa connexion. La personne visée par les sanctions n’est pas forcément celle qui a procédé à des téléchargements illicites, coupable d’actes de contrefaçon, mais l’abonné qui n’a pas été capable de protéger sa connexion. Gilles Vercken, avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, considère qu’il s’agit d’une évolution de notre droit puisqu’il s’agirait de sanctionner « sur la base d’une présomption, le titulaire de l’abonnement et non pas l’auteur de la contrefaçon3 » . b. Le système de la riposte graduée (avant et après correction par le Conseil Constitutionnel) Bien que le Conseil Constitutionnel ait censuré les dispositions principales de ce texte, le gouvernement a confirmé son intention de promulguer la loi Hadopi. Le système initialement envisagé par le gouvernement prévoyait trois étapes constitutives de la sanction : 3 http://www.20minutes.fr/article/309123/Culture-Gilles-Vercken-Le-systeme-Hadopi-est-une-usine-a-gaz.php Le Baromètre | 7 Actualité du droit (1) Lorsque la Hadopi, pour la première fois, constate ou est prévenue d’infractions sur la connexion d’un abonné, elle a la possibilité d’envoyer ou non un premier e-mail d’avertissement au titulaire de la ligne. (2) Lorsque des infractions sont enregistrées dans un délai de six mois suivant la première constatation, la Hadopi adresse alors une nouvelle recommandation au titulaire de la ligne soit par e-mail, soit par lettre recommandée avec accusé de réception. (3) Lorsqu’une nouvelle infraction est constatée sur la connexion de l’abonné, dans l’année suivant la réception de la recommandation constatant la seconde infraction, plusieurs types de sanctions peuvent être prononcées pouvant aller jusqu’à la été censuré car il violait la présomption d’innocence puisque, sous couvert de sanctionner l’obligation de surveillance de son abonnement, il était institué une présomption de culpabilité de l’abonné. Le 13 juin dernier, le gouvernement a fait promulguer au Journal Officiel la loi telle quelle, à l’exception des articles censurés, et prévoit de la compléter avant la fin de la cession parlementaire, pour son volet répressif, par un nouveau texte remettant en place les sanctions de suspension mais dont le pouvoir décisionnaire sera, cette fois, confié à l’autorité judiciaire. Au final, le rôle de la Hadopi se trouve réduit aux étapes (1) et (2) décrites précédemment, ce qui a amené certains commentateurs à qualifier cette au- Ce qui est sanctionné n’est pas l’acte de téléchargement illicite mais le défaut de surveillance de sa connexion. suspension de l’accès à Internet du titulaire de la connexion pour une durée d’un mois à un an. Cette suspension est assortie de l’interdiction de souscrire pendant la même période à un autre abonnement Internet. Pendant cette période, l’abonné est tout de même obligé de payer son forfait Internet. Cette mesure a été qualifiée de double peine par certains, étant donné que l’abonné devra continuer de payer pour un service dont il est privé. Dans sa décision du 10 juin dernier, le Conseil Constitutionnel a décidé de censurer les dispositions centrales de cette loi. Le Conseil a considéré que l’accès à Internet, si ce n’est pas un droit fondamental, doit être analysé comme un accessoire de la liberté d’expression qui est un droit fondamental et doit être protégé à ce titre. Le Conseil veillera donc à ce qu’on ne porte pas une atteinte disproportionnée à cette liberté. Par conséquent, le fait de suspendre un abonnement qui sert à télécharger illégalement a été déclaré disproportionné. À l’opposé de l’adage « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », le Conseil estime que même les pirates jouissent de la liberté d’expression. Le mécanisme de sanction prononcée par la Hadopi a 8 | Le Baromètre torité administrative de « machine à spam la plus chère du marché ». c. Un système censé favoriser le développement des offres légales L’interdiction du téléchargement illégal n’est pas destinée à mettre fin à la possibilité de télécharger des œuvres sur Internet. Le but de ce texte est de permettre le déploiement des offres légales, qui se trouvent jusqu’à présent étouffées par le piratage. Ainsi des accords concernant la Chronologie des médias devraient être conclus entre les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les ayant droits pour réduire à quatre mois le délai d’attente entre la sortie en salle et la sortie en DVD et en VOD d’œuvres cinématographiques. De plus, le texte prévoit que les sites de téléchargement légal bénéficieront d’un sur-référencement naturel sur les moteurs de recherche. Concrètement, cela signifie que lorsqu’une personne tapera le terme « téléchargement » sur Google, les sites d’offres légales devront apparaître en tête de liste. Toutefois, les sites de référencement explique que cette mesure n’est pas techniquement réalisable car leurs moteurs de recherche fonctionnent sur la base d’algorithmes mathématiques aléatoires ne pouvant être préprogrammés. d. Un type de système déjà mis en place aux États-Unis Face à l’ampleur des frais nécessaires pour poursuivre en justice les internautes téléchargeant illégalement, l’association représentant les industries du disque aux Etats-Unis, la RIAA (Recording Industry Association of America) a décidé de changer de tactique dans sa lutte contre le piratage. En décembre dernier, elle est parvenue à un accord avec plusieurs FAI américains, pour mettre en place un système de riposte graduée, conçu et appliqué en dehors de toute législation. Trois FAI importants ont déjà mis en œuvre ce système : AT&T, Comcast et Cox. Cependant ces trois fournisseurs d’accès, ne disposant pas d’un soutien légal, préfèrent ne pas mettre en place de sanction trop lourde à l’encontre de leurs abonnés. Seul Cox a été jusqu’à couper l’abonnement internet de certains de ses abonnés. Ce système semble toutefois porter ses fruits puisque ces FAI ont annoncé que 70% des internautes avertis abandonnaient le téléchargement illégal, taux qui monterait même à 90% après le second avertissement4. C’est l’effet de peur suscité par Big Brother : «We are watching you», «I know what you did last…». Le but de ce texte, la lutte contre le téléchargement illégal, est noble mais les moyens pour y parvenir le sont beaucoup moins, aux yeux de certains. Dès le mois de novembre 2008, la Commission européenne a envoyé une note d’observation à la France très critique à l’égard du projet de loi Hadopi dans laquelle elle mettait en garde contre les atteintes aux données personnelles, au droit à la vie privée et à la liberté d’information et la suspension de l’abonnement internet. Bien que le Conseil Constitutionnel ait censuré les dispositions principales de ce texte, le gouvernement a confirmé son intention de faire appliquer la loi Hadopi. L’opposition européenne au projet français s’est encore accentuée suite au dépôt par l’eurodéputé français Guy Bono d’un amendement 138 dans le cadre de l’examen, devant le Parlement européen, du second paquet Télécom. Cet amendement énonce que « aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire ». Il s’agit d’ériger l’accès à Internet en liberté fondamentale et de considérer que la suspension de la connexion à Internet ne puisse être prononcée que par décision de justice et non à la seule initiative d’une autorité administrative. Il s’agit de la position reprise par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 10 juin. 70% des internautes avertis abandonnent le téléchargement illégal, taux qui monterait même à 90% après le second avertissement. III. UNE LOI FORTEMENT CONTESTÉE a. Le désaveu européen : l’accès à internet est une liberté fondamentale La vision européenne de la lutte contre la contrefaçon commise sur Internet est en contradiction avec les moyens envisagés par le gouvernement. En septembre 2008, cet amendement avait été adopté une première fois par le Parlement européen à 88%. Suite à des pressions françaises, un texte de compromis a été aménagé et devait être voté pour remplacer l’amendement 138. Cependant, le 6 mai dernier, les eurodéputés ont voté à nouveau à une très large majorité pour l’amende- 4 Com. Comm. Elect. n° 6, juin 2008, chr. 6, Benjamin MONTELS, Un an de droit de l’audiovisuel. 5 http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/politique/20090507.FAP0752/hadopi_martine_aubry_invite_les_artistes_a_elaborer_une.html Le Baromètre | 9 Actualité du droit ment 138 original (407 voix pour et 57 voix contre). Alors que le gouvernement français avait décidé d’ignorer la position du Parlement européen, le Conseil constitutionnel a repris dans sa décision du 10 juin dernier cette position, considérant que seule une autorité judiciaire pouvait prononcer la suspension de la connexion à Internet. b. Division au sein du monde politique L’ensemble de l’opposition est réuni contre ce texte. Martine Aubry, Première Secrétaire du PS, considérait que ce texte aurait été un échec pour toutes les parties : « perdant pour les internautes sur lesquels va désormais peser une présomption de culpabilité, perdant pour les artistes, puisque le projet de loi ne rapportera pas un euro de plus à la création »5. L’opposition à ce texte ne se situe pas uniquement chez les adversaires du parti au gouvernement mais aussi dans les rangs de l’UMP, où un certain nombre de députés s’est publiquement opposé à ce texte. Afin d’éviter tout nouveau cafouillage parlementaire, le vote devant le Parlement était devenu un c. Un coût de fonctionnement très lourd et aucun bénéfice pour les artistes Christine Albanel a annoncé que la Hadopi serait dotée d’un budget de 2,8 à 3 millions d’euros pour la première année et prévoit que la Haute autorité devrait être en mesure d’expédier 10 000 courriers électroniques d’avertissement par jour, puis 3 000 lettres recommandées quotidiennes et 1 000 décisions, transactions ou suspensions d’abonnement par jour, ce qui constitue une très lourde charge de fonctionnement administratif. Sachant qu’une lettre recommandée est en principe facturée 5,90 euros, un rapide calcul nous permet de constater que l’envoi de 3 000 lettres recommandées couterait quotidiennement à l’Hadopi 17 700 euros, soit plus de 6 millions d’euros par an. Avec des frais aussi importants, on peut penser que les auteurs et les artistes seront grassement récompensés par le nouveau système. Combien de sorties virulentes dans les médias d’artistes, d’auteurs et de comédiens, qui ont mis toute leur verve dans la lutte pour l’adoption de ce texte ? Ce texte ne prévoit pourtant aucune forme de rémunération L’opposition à ce texte ne se situe pas uniquement chez les adversaires du parti au gouvernement mais aussi dans les rangs de l’UMP. symbole politique plutôt qu’une loi sur le piratage. Jean-François Copé, Président du groupe UMP expliquait d’une façon très professionnelle que « désormais ce n’est plus la teneur du texte qui est en cause mais le problème politique créé par son » le 9 avril par l’Assemblée. Le débat et la réflexion sur un texte censé réguler l’accès aux œuvres culturelles pour les années à venir ont été remplacés par une guerre de partis. Le professionnalisme de nos hommes politiques est à saluer bien bas... supplémentaire pour les artistes et aucune aide financière pour le soutien à la création. Les principaux bénéficiaires de ce texte sont les maisons de production et les diffuseurs qui seront à la base de la mise en place des offres légales et qui pensent récupérer des parts de marché dont le téléchargement illégal les aurait privés. Le système de la licence globale avait fait beaucoup de bruits lors de son adoption éclair par l’Assem- 6 http://tf1.lci.fr/infos/high-tech/0,,3847469,00-deezer-pascal-negre-mange-chapeau-.html 10 | Le Baromètre blée en décembre 2005. Il prévoyait un système permettant d’encadrer les téléchargements, de rémunérer les ayant droits, de soutenir financièrement la création artistique et de permettre un libre accès aux œuvres culturelles. Cependant, ce modèle remettait trop fortement en cause les modèles économiques actuels et fut rejeté. À ce jour, on peut penser qu’aucun autre système n’a été avancé permettant de concilier aussi bien les intérêts des ayant droits avec les aspirations des internautes et les évolutions technologiques. tion répartie à 50/50 entre artistes et producteurs et de mettre en place une taxe pour financer l’aide à la création culturelle. En revanche, il y a fort à parier que, dans le cadre des accords négociés par les maisons de production, la part de rémunération producteurs/artistes ne soit pas égale. d. Absence de prise en compte des évolutions technologiques Les systèmes de surveillance qui seront annoncés par la Hadopi auront à subir une forte concurrence des hackers. En Suède, le 17 avril dernier, les créateurs du site The Pirate Bay, qui permettait de télécharger illégalement des œuvres, ont été très lourdement condamnés par les autorités judiciaires. Ce procès était devenu un symbole de l’opposition entre internautes et ayant droits. La très lourde condamnation (un an de prison ferme et 3 millions d’euros d’amende) a scandalisé une partie de la communauté web qui a, par la suite, dévoilé des moyens pour lutter contre les systèmes de reconnaissance qui seront mis en place pour détecter les pirates. On peut citer à titre d’exemple le logiciel VirtualBox qui permet de faire tourner un deuxième système d’exploitation sur son PC, sur lequel seront installés les logiciels de reconnaissance de Hadopi. La loi Hadopi ne semble pas prendre en compte les évolutions technologiques. Le téléchargement est aujourd’hui concurrencé, voir souvent supplanté, par le streaming qui permet de visionner une œuvre en direct sur Internet, sans avoir à la télécharger sur son disque dur. Les sites mettant en ligne des œuvres en streaming peuvent être poursuivis pour contrefaçon par les ayant droits mais pas les internautes qui visionnent ces œuvres. Ce texte ne prévoit aucune forme de rémunération supplémentaire pour les artistes et aucune aide financière pour le soutien à la création. Le site deezer.com, diffusant en streaming un catalogue de musique impressionnant, a longtemps été considéré par les ayant droits comme le symbole des pertes financières enregistrées par ces derniers. Ce site est aujourd’hui cité en exemple par la Ministre de la Culture et par les dirigeants de maisons de production, comme Pascal Nègre6. Comment un cancre a-t-il pu devenir un élève modèle ? Grâce à des accords financiers confidentiels. Alors qu’un système légal permettrait d’assurer une transparence économique et une meilleure rémunération de tous les acteurs de l’industrie musicale, un accord permet à ceux qui le négocient de gérer euxmêmes les différentes rémunérations. Les grands perdants dans cette affaire sont les internautes et… les artistes ! Un système comme celui de la licence légale aurait permis d’assurer une juste rémunéra- Plutôt que de lutter pour la survie d’un business model dépassé, pourquoi se refuse-t-on à en élaborer un nouveau ? Enfin, le business modèle des œuvres musicales et cinématographiques est en constante évolution depuis l’avènement du haut débit et des sites de partage. Aujourd’hui, de nombreux artistes se font connaître grâce à Internet et aux téléchargements gratuits de leurs œuvres. Il serait mal aisé de donner d’une main, ce qu’on s’empressera ensuite de reprendre de l’autre. Plutôt que de lutter pour la survie d’un modèle dépassé, pourquoi se refuse-ton à en élaborer un nouveau ? Jacques Mandrillon, promotion Jean-Denis Bredin, Série C. Le Baromètre | 11 Actualité du droit Quelques heures avant le réexamen du texte HADOPI le 29 avril à l’Assemblée nationale… Nous luttons contre l’asservissement de l’internet aux intérêts puissants des télécoms de l’information ou de l’industrie du divertissement pour définir les nouveaux droits d’auteurs à l’âge numérique. L Interview de Monsieur le Député Christian PAUL le baromètre : Monsieur le Député, dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques heures du réexamen dans l’hémicycle du projet de loi « création et internet » ? Christian PAUL : Combatif et constructif. Nous luttons contre l’asservissement de l’internet aux intérêts puissants des télécoms, de l’information ou de l’industrie du divertissement pour définir les nouveaux droits d’auteurs à l’âge numérique. Ce double engagement correspond à un projet de civilisation progressiste, contraire à la vision réactionnaire de ceux qui défendent la loi Hadopi et sa riposte graduée. Par l’obligation d’installer un logiciel de surveillance derrière chaque connexion, en condamnant la gratuité, on impose la marchandisation totale de cet espace de démocratie, de libre échange d’idées et de savoirs que constitue internet. Par ce dispositif, les auteurs ne percevront pourtant pas un centime de rémunération supplémentaire. La culture sera sous l’emprise des grands canaux de distribution que le gouvernement entend labelliser. C’est le contraire de ce qu’il faut faire lorsqu’on prétend défendre l’exception culturelle, faite de diversité et d’ouverture ! C’est pourquoi élus de tous bords, associations, juristes, professionnels de la culture appellent au rejet du texte et à réfléchir, à repenser le mode de rémunération des auteurs en s’émancipant des logiques prévalant au sein de la grande distribution culturelle. L.B. : Vous avez qualifié le projet de loi de « hasardeux ». Où voulez-vous en venir au juste ? 12 | Le Baromètre C.P. : Ce projet de loi est hasardeux car il repose sur une double erreur. D’une part, couper la connexion ne suffira pas à freiner le téléchargement libre de fichiers numériques, tant les usages et les outils évoluent. D’autre part, verrouiller la connexion n’augmentera pas les revenus de la création. Le gouvernement prétend bloquer les téléchargements dits frauduleux simplement par l’installation d’un outil de sécurisation qui pourra tracer les échanges à partir des points de connexion que constituent les adresses IP. Cet argument est totalement fallacieux. Il est non seulement possible de pirater les adresses, de télécharger à partir du wifi d’une collectivité, ou d’une entreprise, mais aussi parce qu’il existe et existera toujours une nouvelle solution pratique ou technologie pour déjouer tous les pièges sécuritaires que le gouvernement entend bâtir au lieu d’accompagner des usages de masse. L.B. : Vous prônez la création d’un système de « contribution créative » que certains qualifient cela licence globale déguisée. Que répondezvous à cette assimilation ? c.p. : Quelque soit la formulation ou les modalités avancées, nos propositions ont le mérite d’ouvrir un débat sur la création d’une rémunération nouvelle pour les auteurs quand la loi n’en propose aucune et se contente de promouvoir une illusion sécuritaire. De plus, la contribution créative n’est pas exclusive d’autres formes de soutien à la culture financées par internet à l’instar de la télévision pour le cinéma. Ou encore les moyens tirés des recettes © Assemblée Nationale Inter -view publicitaires sur les sites gratuits. Ajoutons que de nombreux professionnels réfléchissent aussi à l’avenir de la création dans la civilisation numérique à travers des formes multiples. Le sachant, le gouvernement éclairé par l’inefficacité de la méthode répressive trois ans après la loi DADVSI, a pris la lourde responsabilité de différer ce débat. C’est donc lui qui pénalise les artistes ! L.B. : Le droit fondamental du citoyen d’accéder à internet n’est pas consacré en droit positif. Existe-t-il de facto selon vous ? c.p. : Lors d’une discussion sur le paquet télécom, le Parlement européen s’est invité dans notre débat à propos de la sanction de coupure de l’internet considérant qu’internet est une liberté fondamentale, permettant l’accès à l’éducation, la formation, l’expression publique, etc. En conséquence, la coupure en dehors du cadre d’une juridiction serait inacceptable aux yeux des démocraties européennes. Il a posé des conditions refusant toute mise en œuvre de sanction qui ne résulterait pas d’une instance indépendante et impartiale, ce que n’est pas la Hadopi. L.B. : Vous dénoncez une violation du principe de l’interdiction de la double peine. Or, la loi sanctionne le manquement de vigilance de l’abonné qui ne surveille pas son accès à internet et non directement l’atteinte portée à la propriété intellectuelle d’autrui. Il s’agirait alors de protéger deux valeurs sociales différentes. Que répondezvous à cela ? c.p. : Cette loi ouvre la voie à la double sanction car si la peine administrative prévue par la loi Hadopi au titre du manquement à l’obligation de surveillance a lieu, elle n’empêchera pas les ayants droits de poursuivre au pénal au titre de la contrefaçon. L’abonné sera non seulement privé de sa connexion mais sera néanmoins contraint de poursuivre le paiement de l’abonnement au cours de la période de suspension. Sanction administrative, sanction pénale, sanction financière, tout sera bon pour instaurer une pénalisation des échanges non marchands. Le manquement à l’obligation de surveillance a de quoi nous inquiéter car cela n’a rien à voir avec la rémunération des ayant-droits. Comment ceux là prouveront ils la causalité entre la surveillance et le préjudice éventuel qu’ils subissent ? L.B. : Pour quelle raisons contestez-vous les chiffres déclarés par Christine Albanel sur les effets positifs de la riposte graduée à l’étranger ? (80% des internautes cessent le téléchargement illégal après réception du second avertissement). c.p. : Cette étude, dont se prévaut Madame la ministre a été commandée par les représentants des ayant-droits (la Société civile des producteurs de phonographie) à l’IPSOS... D’autres études, indépendantes et réalisées à grande échelle comme celle de O1.net auprès de 10 000 internautes, démentent totalement l’argument sur lequel repose tout le mécanisme de la riposte graduée et sa méthode soit disant dissuasive. Non seulement les internautes la jugent inacceptable à 75%, mais elle se heurte à un front de résistance puisque 44,7% des sondés refusent d’être accusés à tort, et les deux tiers avouent qu’ils continueront de télécharger après un avertissement ou trouveront des voies de contournement pour continuer à télécharger librement. Les policiers du net pourront toujours courir après la technologie, les usages ont déjà rendu la loi caduque ! Enfin, le progrès législatif en matière culturelle, c’est de réguler, d’adapter les droits d’auteurs non de chercher à interdire l’accès. C’est la raison pour laquelle, selon la même étude 61% des sondés préfèrent payer plus cher leur abonnement pour financer la culture et continuer à écouter librement de la musique. Propos recueillis par Jennyfer Sellem, promotion Jean-Denis Bredin, Série H. Le Baromètre | 13 Actualité du droit Les portes ouvertes du rapport Darrois : la Commission n’a pas opté pour le grand saut Tout ça pour ça ! C’est ce que pourraient dire des observateurs distraits à la lecture du rapport de la Commission de réflexion tendant à réformer la profession d’avocat, remis au Président de la République le 8 avril dernier. Mais s’il ne fait pas écho à toutes les attentes formulées par la profession, le rapport laisse entrevoir des opportunités dont la plupart ne devraient pas rester lettres mortes. A Alors que la lettre de mission fixait comme objectif la création d’une « grande profession du droit » afin de mettre fin à un « éparpillement des compétences », la Commission n’a pas opté pour le grand saut. Exit la « profession unique » pour une « profession unifiée », car la première ne serait pas réaliste en l’état actuel des choses. L’échec de la fusion avec les notaires porte un enseignement fondamental : l’avocat ne peut pas tout faire, néanmoins, il peut faire beaucoup plus, il n’est pas qu’un professionnel de l’instance, il est également conseil depuis la fusion en 1991 mais on n’avait pas pris toute la mesure de ce rôle. L’avocat veut être présent dans toutes les activités d’as- La commission présidée par Jean-Michel Darrois, avocat ancien membre du Conseil de l’Ordre, entendait échapper à tout corporatisme par une répartition équitable entre les partisans et les adversaires de la question, épineuse, de la fusion entre les avocats et les notaires. L’idée suggérée en 2008 dans le rapport Attali a été écartée d’entrée de jeu. En effet, l’indépendance de l’avocat ne permet pas qu’il dresse des actes authentiques. C’est là la marque de l’officier public qu’est le notaire, investi d’une délégation de l’autorité publique et soumis en conséquence à un contrôle de l’État. « Exit la “profession un iqu car la première ne sera it Mais d’autres greffes prendront. Au 1er septembre 2010, les conseils en propriété intellectuelle seront absorbés par les avocats. Le 1er janvier 2011, ce sera au tour des avoués, en attendant les avocats aux Conseils, épargnés par le présent rapport. En outre, la Commission propose que les avocats puissent être experts-comptables, s’ils en ont les qualifications, ou employer des experts-comptables. Les opportunités sont là, il faudra les saisir… 14 | Le Baromètre sistance juridique même les plus suspectes car il est capable de les purifier par sa déontologie. La déontologie ne doit pas être un frein, elle est la valeur ajoutée de l’avocat. Cependant, elle ne saurait être un argument de vente pour une profession sans frontières. Point de fusion avec les notaires donc, mais deux lots de consolations devraient redonner le sourire aux robes noires. Premier lot : le partage des émoluments entre le notaire et l’avocat lorsque ce dernier a contribué à la préparation d’un acte authentique. Deuxième lot : la création de l’acte d’avocat. Il s’agirait de donner à un acte sous seing privé contresigné par un avocat, non pas la force exécutoire, mais au moins la même valeur probante qu’un acte authentique par le jeu de l’article 1322 du Code civil. Toutefois, les notaires sont sur leurs gardes et le projet risque d’être ajourné plus d’une fois. Il faut dire que c’est un cheval de Troie à peine déguisé pour investir le champ des transactions immobilières. Et le Barreau de Paris a pris les devants en adoptant le 21 avril 2009, l’article P.6.2.0.4 de son règlement intérieur. Celui-ci permet aux avocats d’être mandataire en transactions immobilières et de constituer des groupements centralisant les offres de vente et de location dans un fichier commun, afin de faciliter la recherche d’acquéreurs pour leurs clients. Une autre création originale du Barreau de Paris, l’avocat agent sportif est encouragé du bout des lèvres par la Commission. Il y a quelques années, voire quelques semaines, on vous aurait traité de fou ! D’ailleurs, une proposition de loi du Sénat de juin 2008 voulait interdire aux avocats l’exercice de cette profession. L’agent sportif, serait un commerçant, car pour lui, le démarchage ferait partie du métier. L’avocat, lui, ne peut être commerçant et se voit interdit tout démarchage. Mais ce n’est pas aussi simple. La vérité, c’est que certains avocats interviennent déjà énormément auprès des sportifs pour la rédaction de contrats ou le conseil en droit les avocats de plein exercice. En outre, ces avocats seront inscrits à un tableau spécial de l’Ordre, le Tableau B. Fallait-il davantage scinder la profession en classes d’avocats qui s’observent sans se comprendre car ils ne font pas la même chose ? La question est posée. La Commission devait éviter un éparpillement des métiers du droit mais pas nécessairement au prix d’un éparpillement au sein de la profession d’avocat. « L’avocat ne peut pas tout faire, néanmoins, il peut faire beaucoup plus, il n’est pas qu’un professionnel de l’instance, il est également conseil depuis la fusion en 1991 mais on n’avait pas pris toute la mesure de ce rôle ». À la réflexion, le statut de l’avocat en entreprise n’est pas si éloigné de celui de certains collaborateurs salariés de cabinets d’avocats qui ne disposent pas d’assez d’autonomie pour développer une clientèle personnelle. Mais c’est aux collaborateurs non salariés que pense le rapport en prévoyant notamment un préavis d’un an avant rupture et une un ique” pour une “profession unifiée”, ra it pas réaliste en l’état actuel des choses ». de l’image, sans pouvoir encore jouer ce rôle d’intermédiaire entre les clubs et les joueurs. C’est que les fédérations nationales et internationales reconnaissent aux avocats la faculté d’être agents en les dispensant d’être titulaire d’une licence. C’est enfin que d’autres pays comme le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Espagne l’ont admis avant nous. Mais le rapport va encore plus loin avec l’idée de créer une espèce hybride : l’avocat en entreprise, un nouveau débouché pour les titulaires du CAPA. Placé sous la subordination de son employeur, celui-ci n’aurait pas le droit de disposer d’une clientèle personnelle mais serait tout de même tenu aux règles déontologiques, dont un devoir d’indépendance qu’il reste à redéfinir. N’ayant pas le droit de plaider, il se muera en apporteurs d’affaires pour assurance chômage pour ceux d’entre eux qui ont plus de six ans d’ancienneté. À certains moments, le rapport Darrois prend des accents d’abolition des privilèges. Il propose la suppression du monopole territorial de la postulation existant en faveur des avocats du ressort d’une Cour d’appel et il veut permettre aux avocats inscrits à un Barreau étranger et exerçant à l’étranger de devenir associé de cabinets français, parce que cette possibilité est réciproquement reconnue dans les autres pays. En ce qui concerne les nouvelles règles devant régir les structures d’exercice, le toilettage indispensable de celles-ci rentre en conflit avec les difficultés inhérentes à l’exercice en groupe. Deux propositions du Le Baromètre | 15 Actualité du droit rapport promettent des débats vifs si elles arrivent devant l’Assemblée nationale. La première proposition révèle que la cession des parts sociales en cas de départ d’un des associés de la structure n’est pas toujours sans heurts. Les sociétés de personnes proposées à la profession d’avocat ne seraient plus soumises aux dispositions de l’article 1843-4 du Code civil relatif à la nomination d’un expert, en cas de contestation entre associés, pour déterminer la valorisation des droits sociaux. L’idée de l’accord statutaire unanime des associés ne semblerait toutefois pas suffisante pour écarter cet article du Code civil disposant d’une application dans les sociétés d’exercice de chaque profession, elles-mêmes obligatoirement dirigées par les associés exerçant en leur sein. Indépendance oblige. Cette mesure a déjà fait l’objet d’un décret, mais sans aller nécessairement jusqu’à la création de telles sociétés, ces diverses professions devraient aussi prochainement pouvoir mettre en commun leurs moyens dans des sociétés civiles de moyen ou des GIE. Enfin et la commission l’a bien compris, pour parvenir à faire émerger une profession unifiée, il faut agir dès la formation initiale. C’est ainsi que la Commission envisage la création des « écoles profession- Parmi les propositions du rapport Darrois en faveur de votre future profession, je peux citer la volonté de faciliter le regroupement des cabinets d’avocats et améliorer ainsi le fonctionnement actuel des structures d’exercice afin de s’adapter à la concurrence internationale. extensive en jurisprudence. C’est donc directement le mode de règlement des désaccords entre associés applicable à toutes les sociétés qu’il conviendrait de repenser par la même occasion. Quant à la seconde proposition, il s’agirait de faire disparaître la notion de patrimonialité dans des structures d’exercice qui devraient toutes avoir la personnalité morale. Cependant, il semble difficilement conciliable d’admettre, d’un côté, la personnalité morale de ces structures (association d’avocats en particulier) et de dénier, de l’autre, la notion de patrimoine propre. Même le droit anglosaxon fonde l’existence de la personnalité morale sur celle d’une personne distincte de chacun de ses membres (et donc à celle d’un patrimoine propre). Aussi, cette seconde proposition promet des débats passionnés. Mais revenons-en au vif du sujet : la profession unifiée. C’est l’idée phare du rapport Darrois que de permettre la naissance de sociétés interprofessionnelles mêlant des professions du droit (huissiers, notaires, avocats, avocats aux Conseils) et du chiffre, tels les experts comptables. On aurait alors une société commune, détenant des participations 16 | Le Baromètre nelles du droit » caractérisées par la pluridisciplinarité et le travail en équipe des futurs magistrats, notaires et avocats. La scolarité serait organisée sur la base d’un socle commun d’un an d’enseignements, comprenant notamment la déontologie et la rédaction d’actes. L’orientation vers les différents métiers ne se ferait plus que par le stage final. Tout faire reposer sur le stage final n’est peut-être pas très réaliste au vu des spécificités de chaque profession, mais dans l’intention, c’est sûrement cela la clé du rapport Darrois : mieux former avant de réformer. Jacques-Alexandre Bouboutou et Guillaume Chiron, promotion Jean-Denis Bredin, Série F. L Inter -view Négociations et réformes en cours à la Chancellerie Les progrès accomplis depuis plusieurs années pour améliorer les conditions de détention sont considérables et se poursuivent. En matière de prison, il ne suffit pas de dénoncer, il faut agir. Interview de Guillaume Didier, Porte-parole du Ministère de la Justice L LE BAROMÈTRE : Surpopulation carcérale, conditions de détention difficiles selon le Contrôleur général des prisons, taux de suicide en détention particulièrement élevé, surveillants pénitentiaires mobilisés : les prisons françaises sont-elles au bord du chaos? Guillaume Didier : La situation des prisons françaises est difficile, mais les progrès accomplis depuis plusieurs années sont considérables et se poursuivent pour améliorer les conditions de détention. En matière de prison, il ne suffit pas de dénoncer, il faut agir. À Lyon par exemple, nous venons de fermer deux prisons datant du 19ème siècle. Ces prisons étaient déjà vétustes dans les années 80, ce n’est donc pas une nouveauté, et pourtant, ce n’est qu’en 2009, grâce à l’effort des trois derniers Gardes des Sceaux, qu’une nouvelle prison vient d’ouvrir à Lyon. En effet, depuis 2002, un programme d’ouverture sans précédent de prison est lancé avec des établissements modernes, conformes aux normes du Conseil de l’Europe. En 2008,3000 nouvelles places ont été ouvertes, 5000 le seront en 2009, pour plus de 13 000 nouvelles places en 2012. Le Gouvernement fait véritablement des prisons une priorité. Alors que nous sommes dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, que la tendance est à la diminution du nombre de fonctionnaires et à la réduction du budget de l’Etat, le budget de l’administration pénitentiaire progresse : 2 milliard 500 millions d’euros en 2009 (une hausse du budget de 10% en 2 ans), le remplacement de tous les départs à la retraite et une création de plus de 2300 emplois supplémentaires depuis 2008. Par ailleurs, conformément aux engagements du Président de la République, la France s’est dotée d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté, totalement indépendant, qui a pour mission de contrôler non seulement les prisons mais également l’ensemble des lieux ou des personnes sont privées de liberté (locaux de garde à vue, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention etc.) Enfin, la loi pénitentiaire est actuellement discutée devant le Parlement, la deuxième en 60 ans. La France se dote enfin d’une loi fondamentale sur le service public pénitentiaire afin de garantir les droits des détenus, d’améliorer la reconnaissance des personnels pénitentiaires, de s’engager pour la réinsertion des détenus et développer les aménagements de peine pour éviter la récidive. L.B. : Que comptez-vous faire pour améliorer la situation du dépôt du TGI de Paris, dénoncée par le contrôleur mais aussi par le Bâtonnier de Paris ? Le Baromètre | 17 Actualité du droit quiétudes, pour les avocats. Pour autant, la situation du dépôt impose que l’on agisse sans attendre : des investissements importants sont en cours, les cellules du 1er étage ont été entièrement rénovées et mises aux normes et les travaux sont engagés pour les cellules du rez-de-chaussée. Ndlr : Suite aux protestations au sujet de l’état de la souricière du dépôt du TGI de Paris, le Garde des Sceaux a décidé d’octroyer un million d’euros afin que des travaux de rénovation soient effectués. © Ministère de la justice L.B. : Le Président de la République a annoncé le 7 janvier dernier, lors de la rentrée solennelle de la Cour de Cassation, le lancement d’une grande réforme de notre procédure pénale avec notamment la suppression du juge d’instruction. Pourquoi est-il nécessaire, selon vous, de supprimer cette institution participant pourtant à l’équilibre de notre système judiciaire ? G.D. : Même si le dépôt du TGI de Paris ne dépend pas du ministère de la Justice mais du préfet de police de Paris, le procureur de la République de Paris exerce son contrôle dans ce lieu où transitent des dizaines de justiciables tous les jours. Sa situation, au cœur du palais de Justice de Paris, monument historique à quelques mètres de la Sainte Chapelle ne facilite pas les choses. À cet égard, la décision du Président de la République de construire le nouveau TGI de Paris aux Batignolles et de doter ainsi la capitale d’un tribunal adapté aux enjeux de notre époque est une avancée considérable pour tous : justiciables, magistrats et fonctionnaires et j’en suis sûr, même si cela suscite aujourd’hui quelques in18 | Le Baromètre G.D. : La réforme voulue par le Président de la République est beaucoup plus large que la seule réforme du juge d’instruction. Le Président de la République a annoncé sa volonté de renforcer les doits des victimes et des mis en cause tout au long de la procédure pénale Le juge d’instruction est nécessairement au cœur de cette réflexion : son rôle actuel révèle une confusion, certains parlent de schizophrénie entre le juge enquêteur et le juge arbitre. Ne nous trompons pas : le juge d’instruction n’est pas une conquête de la démocratie, c’est une institution créée par Napoléon, et nous sommes l’un des derniers pays au monde à conserver cette fonction. L’objectif est de recentrer chacun sur son cœur de métier : le procureur poursuit, l’avocat défend et le juge tranche en toute indépendance, Nous devons garantir un système plus équilibré entre les parties. Entre le tout inquisitoire et le tout accusatoire, le Président préconise d’explorer une 3e piste : celle du contradictoire. Les travaux de la commission présidée par Philippe Léger permettront de définir les modalités de mise en œuvre de ces droits nouveaux : garanties du débat contradictoire, rôle du parquet, place de l’avocat, secret de l’enquête, modalités de mise en examen et de détention provisoire… L.B. : Cette réforme sera-t-elle alors aussi celle du statut du parquet ? G.D. : Il n’est pas tant question de la réforme du statut du parquet que celle d’un renforcement des droits des parties. Les magistrats du parquet, je le rappelle, sont des magistrats à part entière, et à ce titre garants des libertés individuelles. Aujourd’hui, plus de 95% des enquêtes pénales sont déjà conduites par le parquet. Laisser entendre que des affaires seront « enterrées », c’est faire fi du serment prêté par les magistrats, c’est jeter un discrédit inadmissible aux parquetiers, c’est oublier le rôle et les pouvoirs des avocats, c’est mésestimer l’importance des médias et omettre l’ensemble des garanties de notre future procédure pénale. En effet, la victime pourra, dans des conditions à déterminer par le législateur, continuer à déposer une plainte avec constitution de partie civile. La victime pourra ainsi continuer à mettre en œuvre l’action publique, c’est une garantie essentielle. Enfin, et c’est le plus important, le rapport Léger préconise que l’enquête conduite à l’avenir par le parquet se déroule sous le contrôle d’un juge indépendant, « juge de l’enquête et des libertés », qui décidera des mesures attentatoires aux libertés, contrôlera la proportionnalité des investigations et répondra aux demandes d’acte des parties. L.B. : Le rapport Darrois vient d’être remis au Président de la République. Concrètement, quels sont les changements majeurs proposés concernant notre future profession ? G.D. : Le chef de l’État a salué la qualité et la pertinence des propositions du rapport de Me Darrois sur les professions du droit. Cette réflexion s’inscrit dans le cadre plus général de la modernisation de notre système judiciaire engagée par le Gouvernement depuis 2 ans. création d’un acte d’avocat. Cette idée sera mise en œuvre car c’est un apport essentiel en faveur de la sécurité juridique des contrats, importante pour nos concitoyens. Parmi les autres propositions en faveur de votre future profession, je peux citer la réduction des coûts des prestations en cas d’intervention conjointe d’un avocat et d’un notaire mais aussi la volonté de faciliter le regroupement des cabinets d’avocats et améliorer ainsi le fonctionnement actuel des structures d’exercice afin de s’adapter à la concurrence internationale. Nous allons travailler et mener la concertation avec les professions, comme l’a demandé le Président de la République, afin de mettre en œuvre ces propositions. L.B. : Rachida Dati va quitter la Chancellerie dans quelques jours : la Justice est-elle désormais plus moderne et plus compréhensive, comme la Ministre tout juste nommée l’annonçait en mai 2007 ? G.D. : Rachida Dati l’a dit dés son arrivée place Vendôme, elle s’est inscrite dans la continuité des réformes portées par tout ses prédécesseurs. Plus de 30 réformes en deux ans : de la carte judiciaire à la mise en œuvre de classes préparatoires intégrées aux écoles de la Justice ; de la sécurisation des juridictions à l’ouverture de plus de 8000 places de prison, de l’augmentation des aménagements de peine de plus de 40% à la création des peines planchers et de la rétention de sûreté, la réforme de la Justice avance… le bilan des réformes en témoigne ! Propos recueillis par Jennyfer Sellem, promotion Jean-Denis Bredin, Série H. Ce rapport émet des propositions innovantes car elles apportent des réponses nouvelles et concrètes à la nécessaire évolution des professions. Par exemple, la commission Darrois propose la Le Baromètre | 19 Du côté des avocats Philippe Bilger : défenseur d’une liberté d’expression raisonnée et sans hypocrisie Attablé à la buvette du Palais de Justice de Paris, Philippe Bilger, avocat Général près de la Cour d’Assises, nous parle avec simplicité et sans tabou des sujets d’actualité. L LE BAROMÈTRE : Comment voyez-vous les jeunes avocats ? nelle d’une pratique. On peut m’accuser d’être réactionnaire, c’est vrai, je le suis ! Philippe bilger : Je porte sur les jeunes avocats un regard qui n’est pas singulier. Tout d’abord, je n’ai pas de révérence de principe au regard de la fonction sacrée de défense. L.B. : L’avocat croit en la bonté de la nature humaine, qu’en est-il du magistrat ? L.B. : C’est-à-dire ? P.B. : C’est-à-dire que la défense n’a pas de caractère intouchable selon moi. Le jeune avocat en particulier, je l’écoute et je l’observe à l’audience. J’attache une importance particulière au jeune avocat car c’est l’avenir ! Mais j’attends toujours les œuvres... L.B. : Les jeunes avocats n’ont pas l’air de vous impressionner… P.B. : Je vois chez les jeunes avocats un léger contentement de soi, une indifférence à l’égard du rituel, une allure qui se perd. Cette remarque est d’ailleurs valable chez les jeunes magistrats aussi. Je fais le lien entre l’insignifiance de certaines règles qu’il faut respecter et la qualité profession- 20 | Le Baromètre P.B. : Pour l’avocat, c’est sa philosophie. Mais il me tape sur les nerfs avec son optimisme qui veut laisser croire que toutes les destinées sont réparables. Le métier de magistrat, lui, est ancré sur un pessimisme exclusif ; lequel perd sa cible de temps en temps. En effet, en tant que magistrat, il faut aussi parfois savoir opter pour un optimisme artificiel ; se dire que tel être que l’on juge ne recommencera pas ; que la société arrivera à recréer ce lien de confiance. S’il arrive que je l’éprouve, cela reste rare. L.B. : Vous deviez quantifier l’influence sur les jurés qu’à l’avocat Général par rapport à l’avocat, que diriez-vous ? P.B. : L’avocat retrouve aux assises une influence considérable quand il a du talent. Pour être honnête, mon influence peut être un petit peu plus importante car je suis en charge à Paris d’une session Inter -view entière. Cela a l’avantage de créer une affection intellectuelle avec les jurés. Il y a une permanence pour l’avocat Général qui peut être un avantage à la condition qu’il soit bon, bien sûr... La justice criminelle est une justice formidable car elle rééquilibre les chances, redonne de la force à l’avocat. Même si je peux discuter de la qualité des présidents... L.B. : Le Président peut-il influencer les jurés dans un sens favorable à l’accusation ? P.B. : Un président ne doit pas influencer. Je ne crois pas qu’aujourd’hui à la Cour d’appel de Paris il existe un Président qui influence les jurés dans un sens favorable à l’accusation. J’ai parfois même l’impression depuis l’affaire Outreau que les droits L.B. : Comprenez-vous son ressenti ? P.B. : Il y a une effervescence liée à l’oralité des débats que je comprends très bien. Toutefois, ce qui me parait grave c’est qu’un certain nombre d’avocats, dans les affaires importantes, veulent profiter de l’effervescence de la liberté de parole à l’audience, car il reste essentiel de préserver la légitimité des juges. Dans l’affaire Ferrara, j’ai été frappé de voir des avocats brillants et respectueux de la fonction judiciaire se laisser abandonner à des propos qui m’ont laissés bouche bée. Ce n’est pas concevable ! L.B. : S’il on vous suit bien, il y a une atteinte à la dignité à la justice ? « On ne peut être un grand magistrat qu’en laissant venir l’Homme » de l’accusation devraient même être rappelés à certains Présidents. Ils ont tellement peur d’offenser les droits de la défense qu’ils en oublient ceux de l’accusation. L.B. : Karim Achoui (cf Baromètre n°8, « Karim Achoui, de l’autre côté du miroir ») accuse pourtant ouvertement la Présidente Drai d’avoir tout fait pour rallier les jurés favorables à la défense dans le sens de ses préjugés. Que lui répondezvous ? P.B. : D’abord, je suis très réservé quant à la prétendue certitude qu’un juré vous est favorable. Ensuite, je trouve scandaleux qu’il accuse la Présidente Drai comme il le fait. Je n’attache rigoureusement aucune importance aux dires des accusés sur leur perception de l’audience à partir du moment où ils vitupèrent une condamnation qu’ils estiment injuste et qu’ils utilisent en plus la voie d’appel. Karim Achoui est condamné à sept ans, il fait appel, il en a tout fait le droit. Pour le reste, est-ce que cela légitime des dénonciations scandaleuses, qui plus est de la part d’un avocat, sur la Présidente ? P.B. : Évidemment ! Je suis d’ailleurs autant choqué par les propos tenus que par l’absence d’intervention de la part du parquet. L.B. : Derrière un magistrat, il y a nécessairement un homme. De ce fait, un magistrat peut-il être réellement impartial ? P.B. : On ne peut être un grand magistrat qu’en laissant venir l’Homme. Il faut donc faire de son Humanité un mélange indissociable tout en gardant à l’œil les dangers qui guettent l’impartialité qui peut en découler. J’ai conscience qu’un avocat Général ne doit pas soutenir mécaniquement un discours stéréotypé de l’accusation. L’avocat Général doit arriver à l’audience avec une infinie curiosité et doit se demander si la thèse à laquelle il adhère va tenir. C’est extrêmement difficile, croyez moi ! Pour en revenir à Monsieur Achoui, il met en oeuvre un processus judiciaire légitime qui lui permettra s’il est innocent de faire valoir son point de vue. L.B. : Pourra t-il faire valoir en appel la partialité de la Présidente ? Le Baromètre | 21 © Ministère de la justice Du côté des avocats « L’avocat me tape sur les nerfs avec son optimisme qui veut laisser croire que toutes les destinées sont réparables » P.B. : Les avocats de Karim Achoui ne vont pas se gêner pour déblatérer une fois encore sur la Présidente. Je pense que les remarques de certains avocats ont été contreproductives. c’est fait pour ça, pour ne pas donner l’envie de recommencer. Un avocat Génaral ne peut pas avoir un rapport gai et joyeux avec la prison. Il y a une tristesse quant à la nécessité de la prison. L.B. : Est-ce une stratégie de la part des avocats de décrédibiliser la Présidente ? L.B. : Mais est-ce réellement efficace, par exem ple pour un pédophile ? P.B. : Tout à fait, je ne vois que cette explication à ces violences. Il s’agit de préparer l’appel en disant que le premier procès a été un scandale. Cependant, cela peut aboutir à un effet contreproductif. P.B. : Le pédophile fait partie à mon sens de ces personnes qui sont gravement responsables et victimes d’elles-mêmes. Pour lui, je ne juge pas la prison inefficace car pendant un certain temps la société sera à l’abri de celui-ci. Il est nécessaire de les traiter. Je suis le seul magistrat à être favorable à la rétention de sûreté. L.B. : Auriez-vous aimé requérir en appel ? P.B. : Oh que oui !! L.B. : Est-ce que cela vous gêne humainement de requérir la prison ? P.B. : C’est important quand on est avocat Général de garder à l’esprit que la prison c’est dur, douloureux, éprouvant. D’une certaine manière, la prison 22 | Le Baromètre Propos recueillis par Nathalie Sitbon, promotion Jean-Denis Bredin, Série T, et Octave Lemiale, promotion Abdou Diouf, Série J. L Inter -view Gisèle Halimi, avocate Le refus absolu de la résignation S’il est des rencontres qui résonnent comme de remarquables repères pour un élève avocat, celle avec Gisèle Halimi en est une. Avocate au barreau de Paris depuis 1949, militante féministe inlassable, elle a accepté de nous recevoir pour évoquer son enfance, sa vie, ses combats. Un témoignage exceptionnel. L Le Baromètre : Comment est né « votre » féminisme, votre engagement pour la cause des femmes ? Gisèle Halima : Mon féminisme est né d’une révolte violente et d’un profond sentiment d’injustice. J’ai souvent l’habitude de dire que j’ai suivi le parcours inverse de celui de Simone de Beauvoir, avec qui j’ai partagé les grands combats pour la cause des femmes. Ni discriminée, ni infériorisée en tant que femme parce que son milieu petit-bourgeois l’encouragea à poursuivre des études, elle eut un féminisme résolument intellectuel. À l’inverse, moi qui suis née en Tunisie, dans un milieu pauvre, inculte, religieux et traditionnel, je fus très tôt préparée à un destin tout tracé, celui de se marier au plus vite, parce que j’étais une fille. D’une discrimination insupportable que personne n’arrivait à me justifier, est né ce sentiment d’injustice qui me fera choisir dès l’âge de dix ans la profession d’avocate et fondera plus tard mon engagement pour la cause des femmes. L.B. : Quelle a été la place de l’ingrédient « politique » dans votre engagement ? G.H. : À l’évidence, une place majeure. Le fait que mon féminisme soit devenu très vite politique tient aux circonstances dans lesquelles s’est déroulée mon enfance, c’est-à-dire, en pleine décolonisa- tion. J’avais notamment observé que l’on employait au sujet des Tunisiens, les mêmes stéréotypes, les mêmes slogans infériorisant, que lorsqu’il s’agissait de parler des femmes. J’ai toujours été frappée de constater qu’il y avait en effet de véritables correspondances entre l’oppression des femmes et les racines sociales de l’oppression en général. À partir de ce moment là, j’ai senti que je ne pourrai plus supporter l’injustice, que cela m’était comme je l’ai dit dans ma première plaidoirie, physiquement insupportable. Aussi, j’ai décidé, par l’action, de lier féminisme et politique. L.B. : Dans cette prise de conscience frondeuse, les procès politiques ont joué un très grand rôle… G.H. : Plus que jamais. D’abord, il y a eu mon combat aux côtés des indépendantistes algériens du FLN, accusés à tort de meurtres sur des Français et dont les aveux avaient été obtenus par la torture. Parmi eux, Djamila Boupacha, jeune militante âgée d’à peine de 21 ans et dont j’assurais la défense pour un attentat qu’elle n’avait pas voulu commettre, incarna le symbole de cette lutte contre la torture. C’est quelque chose qui vous marque profondément. J’étais une jeune femme, j’avais deux enfants, j’étais seule, et tout le monde se demandait ce que je faisais là. Mais malgré tout, je ressentais comme un sentiment de fierté à plaider devant les tribunaux militaires d’une Algérie encore Le Baromètre | 23 © Assemblée Nationale Du côté des avocats en guerre, parce que ces procès mettaient en cause la vie, l’honneur, la revendication politique de tout un peuple. Mais plus que tout autre, ces procès politiques ont forgé en moi une appréhension particulière de la défense. Il s’agissait de plaider au-delà de la seule défense, pour semer quelque chose. Je savais par exemple que je ne plaiderai que très peu, du moins le moins possible, les circonstances atténuantes. Ainsi, au procès de Bobigny, où je défendais en 1972 une mineure appelée devant la justice pour le crime d’avortement, on ne venait pas demander pardon. Au contraire, nous revendiquions l’acte d’avorter en mettant en accusation la loi, devant l’opinion publique prise à témoin. Mais à la différence de Jacques Vergès, jamais il n’a été question de sacrifier l’individu dont j’assurais la 24 | Le Baromètre « La liberté d’un avocat est la cela, alors vous ne pourrez ja défense. Il y a toujours eu pour moi, une grande part d’affectivité dans l’exercice de ma profession ou dans mon approche des personnes qui venaient s’entretenir de ce qu’elles subissaient. En témoignant d’un parfait accord entre votre métier d’avocat et votre condition de femme, vous rappelez toute la difficulté du métier d’avocat, ne pas s’identifier à celui que l’on défend… En passant mon CAPA il y a maintenant 60 ans, la très convenable déontologie prescrivait aux avo- cats de respecter un recul nécessaire, une certaine distance avec son client, qui à l’époque était fait de beaucoup de mépris. Je n’ai jamais pu m’y résoudre. D’autant qu’en parlant d’affectivité, il ne s’agissait pas pour moi de m’identifier à mon client. Encore qu’au procès de Bobigny, l’identification fut totale tant je me sentais à la fois inculpée dans le box et avocate à la barre. Ce qui me valu à l’époque une convocation disciplinaire devant le Conseil de l’Ordre, pour avoir porté atteinte à l’honneur de la robe et aux règles de la profession. Avec le recul, cette affectivité m’a certainement permis de donner d’autres proportions, résolument multiplicatrices, à mes plaidoiries et de prendre un ton qui alors, me rassurait moi-même. tentation qui serait celle de légaliser la gestation pour autrui ? L.B. : Votre combat pour le libre accès à la contraception est-il encore aujourd’hui d’actualité ? L.B. : Que répondez-vous à celles qui revendiquent un libre choix au nom du droit de chacun de disposer de son corps ? G.H. : Oui, sans aucun doute. Si de remarquables progrès ont été réalisés pour permettre un meilleur accès de toutes aux moyens anticonceptionnels, l’information sur la contraception est à mon sens, toujours insuffisante et encore quasi-clandestine en France. Ce n’est pas faute d’avoir régulièrement suggéré aux différents ministres en charge de la santé ou des droits des femmes, de mettre en place une véritable campagne d’information à la télévision. Je reste en effet convaincue que c’est l’une des raisons qui fait qu’aujourd’hui en France, le nombre d’avortements reste stable, ce que je regrette beaucoup. Particulièrement, lorsqu’il est le fait de très jeunes femmes. L’avortement se doit de rester un ultime recours, c’est notre slogan à « Choi- G.H. : La gestation pour autrui est à mon sens une nouvelle forme majeure d’aliénation du corps de la femme et les ressorts financiers qui la sous-tendent me laissent penser qu’il y a là des relents de prostitution. J’ai en effet beaucoup de difficultés à imaginer qu’une telle pratique, légale ou non, puisse se faire sans rémunération. De façon générale, cette location de ventre revient à créer de nouvelles catégories de femmes, hiérarchisées par l’argent. Les femmes stériles qui ont de l’argent et les femmes fécondes, qui parce qu’elles n’ont pas d’argent, mettent leur corps à disposition des femmes s tériles. G.H. : Cette pratique met en cause la dignité même de la personne humaine, or il faut que l’on ait au moins cela en commun, autrement on ne peut plus prétendre vouloir vivre en société. Il faut avoir été enceinte, porté un enfant pendant 9 mois, accouché pour savoir que c’est loin d’être quelque chose d’anodin. La grossesse vous extrait de votre vie normale, elle vous transforme. Aussi, comment pourrait-on vouloir s’y soumettre volontairement ? Je ne peux m’imaginer cet altruisme abstrait, où une femme féconde se mettrait au service de femmes stériles. Il y a par ailleurs une question qui n’est jamais posée dans ce débat, celle de l’avenir de l’Huma- est la plus grande qui soit. Si vous êtes convaincus de ez jamais accepter que l’on y porte atteinte » sir la cause des femmes », personne ne saurait préconiser l’avortement pour l’avortement. Pour affirmer que notre corps nous appartient, nous avons d’autres moyens que celui-ci. La vraie liberté c’est la contraception, c’est là où l’on peut choisir. Après on ne choisit plus, c’est de l’ordre de l’ultime recours. nité : quels enfants fabrique-t-on ainsi, pour quel monde ? Dans tous les cas, l’enfant ne saurait être une thérapie. L.B. : Avec votre expérience du débat sur la prostitution, débat qui divise encore aujourd’hui les féministes, quel regard portez-vous sur cette G.H. : Je me refuse à accepter ce raisonnement qui verrait consacrée la politique du fait accompli. Cela reviendrait à supprimer toute forme d’État de droit L.B. : Mais le risque de clandestinité exige t-il que le législateur encadre cette pratique ? Le Baromètre | 25 Du côté des avocats dans sa fonction de protection des valeurs fondamentales fondant notre vie collective et notamment le devoir de protection des plus vulnérables. La bataille pour la parité en politique est un autre versant de votre engagement pour la cause des femmes. Élue à l’Assemblée nationale de 1981 à 1984, vous oeuvrez depuis sans relâche pour une plus grande représentativité des femmes en politique… En France et cela plus qu’ailleurs, la bataille pour la parité est loin d’être encore gagnée. S’il est vrai que la féminisation de la vie politique française progresse, elle n’est en réalité qu’à ses premiers balbutiements par rapport à certains de nos voisins européens comme l’Espagne ou les pays scandinaves. Et ce ne sont certainement pas les sanctions financières pénalisant le non respect de la parité par les partis politiques qui amélioreront la situation. Ils préfèrent en effet payer les amendes plutôt que d’avoir à respecter les règles sur la parité. L.B. : Les femmes en politique ne seraient-elles donc pas condamnées à n’être que des alibis ? la cause des femmes » travaille à l’élaboration de la Clause de l’Européenne la plus favorisée, qui vise à établir un ensemble législatif constitué des meilleures lois existant dans l’Union Européenne concernant les droits des femmes, et qui serait applicable à toutes les citoyennes européennes. Ce travail que nous avons présenté en novembre dernier a reçu le soutien de la plupart des formations politiques de notre pays, ce qui me semble très encourageant au moment de renouveler les membres du Parlement européen. L.B. : La présence des femmes en politique est un indicateur essentiel de la place des femmes dans une société. Aussi, après tant d’années passées à défendre la cause des femmes, quel bilan tirezvous aujourd’hui de la condition féminine dans la société française ? G.H. : Sans conteste, ces dernières décennies auront été marquées par l’amélioration de la condition féminine. Je dois d’ailleurs rappeler que le féminisme que je défends n’est pas de préférer « Le féminisme, c’est affirmer qu’à un même niveau de compétences, hommes et femmes sont interchangeables » G.H. : Avec une si faible représentativité sur la scène politique, c’est bien évidemment le risque. Et le plus inquiétant, c’est que les femmes se rendent complices de ce détournement en saluant l’arrivée d’autres femmes au pouvoir. Ma conviction est que ces femmes que le pouvoir masculin choisit, n’ont rien de féministes et qu’elles n’ont peut-être pas même la compétence. Féministes, elles le deviennent une fois les illusions déçues, quand elles sont les premières licenciées. Aussi, sur cette question de la parité en politique et plus généralement de la place des femmes dans notre société, je reste convaincue que l’échelon européen offre d’importantes perspectives. Ainsi depuis 2005, « Choisir 26 | Le Baromètre une femme à un homme, mais bien de militer qu’à égalité de compétences, les femmes ne doivent pas être éliminées sous prétexte qu’elles sont des femmes. C’est affirmer qu’à un même niveau de compétences, hommes et femmes sont interchangeables. Les autres féministes, si elles n’ont pas déjà disparues, ont surtout fait le choix de combats spectaculaires et médiatiques, sans contribuer fondamentalement à la cause des femmes. Je pense là notamment aux Chiennes de garde. Cela étant, il faut encore que les mentalités évoluent. Quand une femme arrive à des fonctions importantes, qu’elles soient politiques ou économiques, on en parle comme quelque chose d’extraordinaire, comme © Assemblée Nationale quelque chose qui déroge à la règle. Avec en plus, l’exigence supplémentaire qui pèse sur elle, d’être irréprochable. À l’évidence, il n’y aura jamais la même règle d’appréciation, la même indulgence ou la même sévérité pour les mêmes actes, selon que l’on s’adresse à un homme ou à une femme. Aussi, je reste convaincue du rôle fondamental qu’a la loi pour faire évoluer les mentalités et ainsi avancer vers cette égalité plus subtile. Je donne souvent en exemple, ce moment qui fut le plus fort de ma vie de députée. C’était en 1981, au moment du « La vraie liberté c’est la contraception, c’est là où l’on peut choisir. Après on ne choisit plus, c’est de l’ordre de l’ultime recours » débat sur l’abolition de la peine de mort. Oratrice principale, je savais que 63% des Français y étaient farouchement opposés. Mais malgré tout, j’avais cette intime conviction que la loi une fois votée changerait les mentalités. Aujourd’hui on ne peut pas dire que le pari ait été perdu, bien au contraire. L.B. : Le présent numéro du Baromètre fait le portrait de Jeanne Chauvin, première femme avocat. Quel regard portez-vous sur la situation de la femme avocat, après 60 ans de barre ? G.H. : Il faut bien dire que le milieu du barreau était au début de mon exercice le plus misogyne qui soit. Songez ainsi qu’un jour, j’ai été un réprimandée par un membre du Conseil de l’Ordre parce que je portais des pantalons. Sans aucun doute, on peut reconnaître que la profession est aujourd’hui incontestablement un bel exemple de mixité professionnelle. Mais il existe encore un certain nombre d’inégalités dans l’exercice du métier entre les hommes et les femmes, que l’on ne saurait tolérer. Ainsi par exemple, les femmes hésitent trop souvent avant de se lancer dans la merveilleuse aventure de l’ouverture d’un cabinet. Sans doute parce qu’on les a un peu trop persuadées qu’elles faisaient de parfaites collaboratrices. Il faut admettre que nous occupons désormais des territoires qui nous étaient interdits jusque là et qu’il faut du temps pour que cela change. Mais il y a autre chose que je considère cette fois comme un échec personnel et dont je pris la mesure en formant certaines collaboratrices au procès d’assises. En effet, peu de femmes avocates osent aller plaider devant les cours d’assises. Il est vrai que le regard porté par les magistrats, les jurés, les journalistes ou même le public est totalement différent quand la défense est assurée par une femme. On la détaille, on la scrute, au point que nombre de mes consoeurs se soient résignées à abandonner aux hommes, cet aspect majeur de la défense pénale. Pour que les choses changent, il faut que les femmes y aillent, qu’elles osent enfin, sans jamais se résigner. Aux futurs avocats que nous sommes, quels seraient vos conseils pour un exercice professionnel en conscience ? Vous qui avez forgé l’actuel serment d’avocat, celui d’un avocat libre et responsable. De façon certaine, je vous dirais de ne pas tenir pour acquises les idées reçues, de garder intacte votre faculté de vous insurger, cela me paraît très important, et d’avoir à l’esprit que la liberté d’un avocat, est à mon sens, la plus grande qui soit. Si vous êtes convaincus de cela, alors vous ne pourrez jamais a ccepter que l’on y porte atteinte. Renan Budet et Ariane Ory-Saal, Série A et Série G, promotion Jean-Denis Bredin. Le Baromètre | 27 Du côté des avocats Le rêve de Jeanne Chauvin, avocate pionnière Dans sa longue marche depuis l’Antiquité romaine, la profession d’avocat n’a longtemps évolué que sur une jambe jusqu’au jour où s’est présentée une jeune personne, vêtue d’une toque sur une chevelure bouclée et d’une cravate blanche sur une robe noire... C Cette femme est née en 1862, un an seulement après que Julie-Victoire Daubié, première bachelière de France se voit refuser l’entrée à l’Université. Issue de la bourgeoisie, elle obtient son baccalauréat et poursuit de brillantes études qui lui valent d’être licenciée en philosophie et en droit. En 1887, elle était la première femme française accédant à la faculté de droit, trois ans après la roumaine Sarmiza Bilcescu. En 1892, soit deux ans après sa consœur roumaine, cette femme savante et combative soutient en droit une thèse de doctorat assez audacieuse. Son sujet : « Des professions accessibles aux femmes en droit romain et en droit français ». Le message est clair, une plaidoirie avant l’heure… Il était maintenant temps de toquer aux portes du Tribunal. Frappez Mademoiselle Chauvin, on ne 28 | Le Baromètre © Sébastien Blondon et Michel Jouan Connaissez-vous Jeanne Chauvin ? Il a souvent été question de féminisation des professions du droit. On vous a dit qu’il y avait trop de femmes dans la magistrature. Vous avez remarqué que les facultés de droit étaient largement peuplées d’étudiantes. Vous savez qu’il y a maintenant plus de femmes avocat que d’hommes. Mais connaissez-vous Jeanne Chauvin, la première avocate française ? Il a souvent été question de féminisation des professions du droit. On vous a dit qu’il y avait trop de femmes dans la magistrature. Vous avez remarqué que les facultés de droit étaient largement peuplées d’étudiantes. Vous savez qu’il y a maintenant plus de femmes avocat que d’hommes. Mais connaissez-vous Jeanne Chauvin, la première avocate française ? vous ouvrira pas, eussiez-vous tous les titres ! Dans sa thèse, elle aussi faisait un rêve : « l’éducation des filles sera de tous points égale à celle des garçons, les professions privées et les fonctions publiques professionnelles seront également accessibles aux deux sexes et aux mêmes conditions ; ce sont les conclusions de l’équité et de la logique ». Et c’est par sa force de conviction, son sens de la plaidoirie, que cette avocate dans l’âme triomphe de tous les barreaux que l’on dresse devant son rêve d’égalité. Déjà, alors qu’elle s’apprêtait à « plaider » sa thèse, la soutenance dut être repoussée à cause du chahut orchestré par ses camarades masculins. Docteure en droit, c’est avant tout grâce au soutien des députés radicaux, Léon Bourgeois et son propre frère, Émile Chauvin, bientôt agrégé des facultés de droit, qu’elle devient la première femme enseignant cette matière… dans un lycée de jeunes filles. Poursuivant son combat pour l’égalité, en 1893, elle prépare une proposition de loi sur la capacité des femmes à être témoin dans les actes publics et privés et une autre sur la capacité des femmes mariées de disposer du produit de leur travail ou de leur industrie personnelle. La première est acquise en 1897, la seconde en 1907. Nous sommes à présent le 24 novembre 1897. Devant les juges de la Cour d’appel de Paris, Jeanne Chauvin vient clamer le droit de réaliser son rêve : prêter serment et devenir avocat. Elle en a tous les titres. À ses côtés, point de Bâtonnier, il saute son nom sur la liste des prestataires, ni de représentants du Conseil de l’Ordre ; son adversaire est le célèbre Procureur général Bertrand. La réponse ne se fait pas attendre. C’est non ! Pourquoi ? Parce que si aucun texte n’interdit l’accès de la femme à la profession d’avocat, il en est un qui interdit explicitement aux femmes d’être magistrate, or la tradition veut qu’un avocat puisse suppléer un juge empêché… ou le syllogisme juridique au service du machisme. Ajoutez que les femmes ne sauraient plaider car elles ne jouissent pas de droits politiques, l’affaire est pliée. Il y avait un adage : « robe sur robe ne vaut ». Qu’importe à Mademoiselle Chauvin, le combat continuera sur le terrain législatif. À présent, elle a le soutien des organes féministes comme le quotidien La Fronde de Marguerite Durand et dans l’Hémicycle, celui de deux anciens premiers secrétaires de la Conférence du Stage du Barreau de Paris, les très influents députés René Viviani et Raymond Poincaré. Il faut cependant triompher du conservatisme de certains parlementaires, comme le député Perier de Larsan ou le sénateur Gourju. L’un redoutait que, sujet à la séduction de la femme avocat, le juge soit bientôt accusé « de s’être laissé convaincre par d’autres moyens que de bons arguments juridiques » ; l’autre, qu’elle ne soit « broyée » dans la concurrence pour rechercher une clientèle, laquelle demande « une personnalité virile ». Pour d’autres encore, tel le député Massabuau, traiter ainsi professionnellement la femme comme l’égal de l’homme mènerait à la destruction du mariage et de la famille ! « Frappez mademoiselle Chauvin, on ne vous ouvrira pas, eussiez-vous tous les titres ! » Il fallait voir également les nombreuses caricatures qui circulaient et entendre quand on l’insultait de sautillante « pie séduite au brillant de tous les boutons de cristal ». Mais qu’importe, victoire ! La Chambre des députés, puis le Sénat, plus d’un an plus tard, votent à une majorité forte la loi promulguée le 1er décembre 1900, « ayant pour objet de permettre aux femmes munies des diplômes de licencié en droit de prêter le serment d’avocat et d’exercer cette profession ». Elle a gagné, « avocat » peut prendre un « e » désormais. Enfin, hormis sur les documents officiels… Mais Jeanne Chauvin n’est pas la première avocate de France, elle est la première française avocate. Madame Olga Petit, ressortissante russe née Balachovski et épouse d’un avocat renommé, lui grille la politesse en prêtant serment le 13 décembre 1900, « la robe ceinturée à la taille ». Mademoiselle Chauvin devra patienter jusqu’au 19. Qu’importe ! Ce sera bien Jeanne Chauvin, la première femme à plaider en France en 1907 après avoir satisfait aux conditions de stage. Ce n’est pourtant pas le fin mot de l’histoire. Rappelons qu’il a fallu attendre 1976 pour voir une femme avocat aux Conseils en la personne de Martine Luc-Thaler et 1996 pour que Dominique de la Garanderie devienne la première femme Bâtonnier du Barreau de Paris. Enfin, une question simple. En France, quel est le pourcentage de femmes associées au sein des cabinets d’avocats ? Réponse : 20%. Jacques-Alexandre Bouboutou, promotion Jean-Denis Bredin, Série F. Le Baromètre | 29 Du côté des avocats Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement Arnaud Gossement est avocat en droit de l’environnement, associé du cabinet Huglo-Lepage. Militant pour la protection environnement il est aussi docteur en droit, enseignant à l’Université de Paris I et à Sciences Po. Jeune, c’est avec une très grande ouverture d’esprit, humour et authenticité qu’il nous révèle son parcours… et son message. L Le Baromètre : Pourquoi avoir choisi d’être avocat en droit de l’environnement ? ARNAUD GOSSEMENT : Le droit de l’environnement c’est d’abord une passion. C’est pour ça que j’y ai consacré mon sujet de thèse et que je suis entré dans une association de protection de l’environnement. C’est après que j’ai pu faire converger cette passion pour la défense de l’environnement avec le droit, à travers le métier d’avocat. A la sortie de l’université, après avoir achevé ma thèse, je ne me suis pas posé trop de questions, le métier d’avocat m’est apparu naturel, parce que c’est la défense. C’est l’occasion d’assurer la cause de la protection de l’environnement. C’est allier l’utile à l’agréable. J’ai ensuite eu l’opportunité d’entrer au cabinet Huglo-Lepage. En stage avec Corinne Lepage, je me suis épris des dossiers et ce fût l’occasion de constater que j’avais la passion du métier d’avocat. Le sentiment d’utilité a été déterminant. Sinon c’est une corvée et c’est trop difficile. L.B. : Quelle cause défends-tu ? A.G. : La cause que je défends est celle de l’environnement, mais je la défends au sens large. Je 30 | Le Baromètre ne distingue pas « l’avocat de cause » et « l’avocat de client ». Défendre l’environnement, c’est tout autant défendre une association, une collectivité qu’une entreprise, même si j’ai le privilège de refuser certains dossiers. Les entreprises sont elles-mêmes les victimes de la La cause que je dé fe mais je la défends au dégradation de l’environnement, donc plutôt que de les conseiller de passer entre les gouttes, il est préférable de les amener à préférer une vision vertueuse de l’écologie et de l’économie. C’est en effet bien plus profitable pour elles de respecter et d’appliquer le droit de l’environnement. Il y a donc deux manières de conseiller un client, soit on lui fait croire qu’il est possible de passer entre les gouttes – certainement pas – soit on tient le langage de la vérité à savoir que respecter le droit de l’environnement, c’est contraignant mais ça vaut le coup, et c’est même souvent une source de profit. Inter -view L.B. : Doit-on être militant pour être avocat en droit de l’environnement ? A.G. : Absolument pas. On peut être un excellent avocat en droit de l’environnement, sans être militant, membre d’une association de protection de l’environnement. Chacun a son parcours. Il faut cependant être passionné par l’environnement, et il y a mille manières de l’être. Il faut avoir la passion de l’environnement et être un excellent juriste, c’est ce qui fait la différence entre les charlatans et les bons. C’est qu’il faut être au courant de tous les textes relatifs au sujet et suivre l’évolution de la jurisprudence. Et bien évidemment, il faut être à l’écoute de son client, qu’il se sente en confiance avec son avocat. On ne gagne pas toujours. L.B. : Tu as plusieurs casquettes : militant, avocat, enseignant. Dans quelle mesure est-ce compatible ? A.G. : Il ne faut pas avoir de vision restrictive du droit de l’environnement. Il n’y a aucun souci pour moi d’être enseignant, militant et avocat. Un avocat Les associations nouent des partenariats avec des grandes entreprises du secteur privé. Et du côté entreprise, il ne s’agit jamais d’un bloc, surtout quand elle est grande. Il s’y mêle souvent différentes cultures. Par ailleurs, une pollution qui résulte d’une décision datant de trente ans n’est pas nécessairement le fait des actuels dirigeants. Certaines entreprises peuvent connaître aussi des difficultés passagères. Bien sûr, il reste toujours des canards boiteux, avec une culture du laxisme et qui se contrefoutent de la législation environnementale, mais ils sont heureusement minoritaires. Proposer de tirer les conséquences d’une violation du droit de l’environnement, en rectifiant sa pratique pour l’avenir, c’est constructif, utile, on marque un point. Néanmoins, le vrai problème est plutôt culturel, il faut convaincre les responsables publics et privés que l’environnement est une opportunité et non une contrainte. Par exemple, s’agissant du secteur de l’automobile, s’il s’était adapté aux exigences de protection de l’environnement en produisant des voitures moins gourmandes en essence et moins émettrices de gaz à effet de serre, il aurait sans doute mieux résisté à la crise économique actuelle. dé fends est celle de l’environnement ; ds au sens large. doit vivre dans le monde réel ! À titre personnel, je ne vois pas de contradiction entre le fait d’être avocat et membre d’une association, dès lors qu’on respecte les règles déontologiques de notre profession. Et le premier, c’est celui de la transparence. Je ne cache jamais le fait que je suis membre d’une association de protection de l’environnement. Et à l’inverse, je ne donne jamais le nom de mes clients à quiconque. C’est donc le secret professionnel. J’insiste sur le fait qu’il ne faut pas avoir de vision caricaturale, ni des associations, ni des entreprises. L.B. : Cela fait sept ans que tu es au Barreau. Quelles sont tes impressions sur les évolutions du droit de l’environnement ? A.G. : Il n’y a encore que peu de cabinets ou de départements exclusivement dédiés à cette matière. Pourtant, il est très difficile d’exercer si l’on n’est pas spécialisé dans cette matière, ce qui ne veut pas dire non plus qu’il faut se mettre des œillères. Il faut en faire son activité dominante étant donné qu’il s’agit d’une matière d’une très grande complexité et en constante évolution, surtout depuis Le Baromètre | 31 Du côté des avocats le Grenelle de l’environnement. C’est une matière carrefour qui pollinise les autres matières du droit et qui en même temps se nourrit de celles-ci. C’est à se demander d’ailleurs si nous ne sommes pas en train de passer du droit de l’environnement à celui du développement durable que je préfèrerai qualifier de « soutenable ». L.B. : Avocat en droit de l’environnement, une profession d’avenir ? A.G. : Oui ! L’avocat en droit de l’environnement accomplit une tâche essentielle pour l’avenir de notre planète. Cela étant, est-ce qu’il y aura davantage de place pour les jeunes avocats à court terme ? Question compliquée…pour deux raisons. Premièrement, on vit une crise économique et financière mondiale qui touche nos clients. Deuxièmement, les avocats sont parfois concurrencés par d’autres professions qui exercent une activité de conseil juridique plus ou moins clairement, ce qui ne va pas sans poser de problèmes. De manière générale, comme il faut aujourd’hui régler les problèmes en amont en anticipant les difficultés, l’activité de conseil en droit de l’environnement progresse bien plus qu’en contentieux. L.B. : Le Grenelle de l’environnement constituet-il un apport pour le marché du droit de l’environnement ? A.G. : C’est évident ! Je fais déjà du conseil sur les conséquences juridiques du Grenelle, alors même que la loi n’est pas votée. Sans compter le projet de loi Grenelle II… En outre, il y a de grandes réformes qui se dessinent. À titre d’exemple, les entreprises vont devoir notamment se préoccuper de plus en plus de la biodiversité – compensation, trames vertes, trames bleues,… – ce qui devrait faire progresser la demande de conseils. L.B. : La crise est elle un frein ou une opportunité pour l’application du droit de l’environnement ? A.G. : C’est évidemment une opportunité, mais aujourd’hui, toutes les entreprises ne sont pas en bonne santé financière. On constate surtout une difficulté des clients à régler les avocats dans les délais. C’est un problème général dans la profession. Or l’avocat n’est pas la banque de ses clients. L.B. : Tu as fait ta thèse sur le principe de précaution. Peux-tu nous en dire un mot ? A.G. : Il me semble important d’avoir une activité intellectuelle à coté de son métier. Je suis très heureux d’avoir mené cette thèse sur le principe de précaution, car je m’en sers tous les jours dans ma 32 | Le Baromètre pratique professionnelle. Il ne faut jamais déconnecter la théorie de la pratique. Le « bon avocat », c’est aussi celui qui va non pas appliquer mais contribuer au progrès du droit en proposant, par exemple, un revirement de jurisprudence. Comme avocat je ne me considère pas comme un exécutant. De ce point de vue, mon entente avec Corinne Lepage vient de ce qu’elle a gagné des procès célèbres, mais surtout parce que c’est une personne passionnée par l’environnement et toujours à la pointe de l’actualité en la matière. L.B. : Y a-t-il un message que tu aimerais délivrer aux élèves avocat, une certaine vision de cette profession ? que des dossiers en droit de l’environnement. Non, il faut être souple, curieux, avoir de la patience, prendre en charge des dossiers variés et ne pas se laisser borner par les découpages pédagogiques des différentes matières du droit. C’est un métier très difficile, on est au cœur de situations conflictuelles. En outre la matière juridique exige une rigueur de raisonnement, et il est impossible d’être un bon avocat sans avoir la passion du droit et de la matière. Il y aura toujours de la place pour ce type de profil. C’est tout aussi important, peut être même plus, que d’avoir de beaux diplômes. Propos recueillis par Camille Billmann et Louis Cofflard, promotion Jean-Denis Bredin, série F. A.G. : Une question me parait très importante : comment devient-on avocat en droit de l’environnement ? Il faut faire de bons stages, au cours desquels on se fait remarquer. On y démontre à ses futurs confrères sa capacité à travailler. La deuxième chose, c’est qu’il ne faut pas dès le début de sa carrière exiger de ses confrères associés de n’avoir Je suis contre la stratégie du passage entre les gouttes : pour une entreprise ou une collectivité le respect de l’environnement est une opportunité, pas une contrainte. Le Baromètre | 33 À la une Les élèves-avocats face à la crise Dossier de ce premier numéro du Baromètre 2009-2010, « Les élèves-avocats face à la crise » résume l’ensemble des inquiétudes que notre profession nourrit à l’encontre de cette crise mondiale qui affecte désormais les secteurs d’activités que nombre d’entre nous percevait jusqu’alors comme offrant des opportunités infinies. D Durement frappés par une baisse sensible de l’activité, les Fusions-Acquisitions, le Private Equity et autre Marché de Capitaux ne connaissent plus le faste qui les a souvent caractérisé. Mais plus encore, l’article « Les avocats d’affaires à l’heure des charrettes » paru le 16 avril dernier dans Les Echos n’est pas venu nous rassurer tant il affiche ouvertement l’impact de la crise, la dépression qui l’accompagne, et les conséquences qu’elle engendre sur de nombreux postes notamment dans les plus grand cabinets. La concurrence apparaît plus accrue et les demandes de stage pour la période finale allant de Janvier à Juillet 2010 se font plus désormais plus tôt. Si l’inquiétude se fait le plus entendre chez les élèves de la promotion Jean-Denis Bredin, elle apparaît néanmoins alarmiste, nous confie le directeur de l’EFB Gérard Nicolaÿ : « La crise frappe essentiellement pour les élèves de la promotion 20072008 Pierre Mazeaud. Les promotions Abdou Diouf et Jean Denis Bredin ne doivent pas trop s’inquié34 | Le Baromètre ter ». Les élèves de la promotion Mazeaud, confrontés aux réorganisations auxquelles procèdent les cabinets, font l’objet de toutes les attentions sur un marché qui ne semble pas leur offrir de places suffisantes. À l’évidence, la priorité leur revient. Ainsi, la crise, perçue comme actuelle et en phase de reflux, ne doit pas alerter les promotions à venir. Dans un courriel envoyé à l’ensemble de la promotion Jean-Denis Bredin, Monsieur Nicolaÿ faisait savoir que « pour ce qui concerne la promotion Pierre MAZEAUD qui a obtenu le CAPA en octobre-novembre 2008, 60% environ d’entre eux ont prêté serment, ce qui montre que le marché devient difficile ». Selon le Professeur Jean Néret, associé du cabinet Jeantet et Président du Conseil d’administration de l’EFB, « la crise est arrivée à son pic, elle ne peut désormais que se dissiper ». Que faire en attendant ? La situation n’offre d’autres choix qu’une concurrence encore plus accrue entre les élèves de la promotion Mazeaud. À défaut, l’option que préconisent certains avocats et responsables de recrutement est le développement des acquis, soit par un nouveau Master soit par une expérience à l’étranger, autre manière de revenir sur un marché qui sera alors plus généreux. Mais le pessimisme continue à guetter les élèves voués à s’orienter vers les domaines qui accusent le coup tel que les activités Corporate. Les cabinets, fussent-ils de niche ou full service, connaissent un ralentissement de leur activité en ce domaine, au point que les réductions d’offres de stages commencent à se faire ressentir. « Nous nous sommes toujours concentrés sur des objectifs de carrières bien précis », nous confie un élève de la promotion Abdou Diouf. « Nous craignons que la crise nous oblige à revoir nos plans et nous pousse à envisager une carrière que nous ne souhaitions pas », poursuit-il. Autrement dit, l’idée que les élèves aient tous obtenu un stage ne doit pas être traduit comme un indicateur rassurant. « Avoir un stage, c’est bien ! Mais encore faut-il savoir si c’est ce que nous cherchions », rapporte une élève de la promotion Jean-Denis B redin. Les temps ne sont plus à la confiance. La compétition apparaît plus ouverte que jamais et les demandes de stage pour la période finale allant de Janvier à Juillet 2010 se font désormais plus tôt. Nombre d’élèves ont déjà trouvé leur stage final « par peur de ne pas arriver à temps », nous dit une autre élève. « On s’y est pris bien à l’avance. Les recherches ont commencé en janvier dernier soit un an avant la période du stage final. Les élèvesLe Baromètre | 35 À la une avocats ont aujourd’hui des profils de plus en plus conformes à la demande des cabinets. Le premier arrivé est le premier servi », rajoute-elle. Cette attitude va dans le sens des conseils de Monsieur Nicolaÿ qui, dans son mail, invitait les élèves à « anticiper [les] recherches de stage et de collaboration ». À défaut de perspectives claires, les élèves-avocats luttent pour obtenir des stages dans les cabinets les mieux réputés de la place de Paris. « On ne s’occupe pas de la question de notre future collaboration. On sait qu’elle sera difficile à obtenir. On cherche à obtenir des stages dans des cabinets prestigieux et avoir un joli C.V. C’est ce qui nous distinguera une fois sortis de l’EFB lorsque nous commencerons nos recherches pour les collaborations », nous dit un élève de la promotion Jean-Denis Bredin. Les témoignages des professionnels se veulent plus rassurant. Chez les grandes firmes que nous 36 | Le Baromètre avons pu consulter, l’optimisme reste de mise. « Les effets de la crise ne se font pas ressentir pour le moment. Notre activité est toujours très soutenue mais nous restons vigilants. Le danger risque d’être plus important pour les cabinets de niche qui ne consacrent leur activité qu’à un secteur particulier à Il semblerait qu’à l’heu n’aient pas envisagé de l’endroit duquel la crise pourrait avoir impact direct. Il n’y pas de réorganisation prévue pour le moment. Nous nous adaptons régulièrement au marché mais rien qui ne procède de la crise », nous confie Mahasti Razavi, associée du département Commercial et Propriété Intellectuelle et chargée du recrutement chez August et Debouzy. Les cabinets full- service affirment être plus aptes à traverser cette crise qui n’affecterait que certains domaines mais dont ils sauraient néanmoins atténuer les effets par l’activité que d’autres secteurs pourraient produire. Si l’activité Corporate tend à ralentir, les départements Contentieux et Social-Restructuration ne connaissent aucune baisse de régime. Cela étant, le Professeur Jean Néret refuse l’idée de voir dans la crise une aubaine pour ces secteurs du droit : « Nos clients sont atteints par cette crise. Ils sont contraints de nous consulter plus fréquemment en cabinets américains, les cabinets franco-français ne sont pas soumis à une politique globale dont les décisions seraient prises aux États-Unis et auxquels ils auraient à se soumettre. « Nous prenons nos décisions stratégiques à Paris, nous ne dépendons pas d’un bureau ailleurs dans le monde » déclare Maître Razavi. Pour Pascal Agboyibor, Managing Partner de Orrick Rambaud Martel, « si certaines décisions devaient être imposées de l’étranger, nous les traiterions en revanche localement et nous nous assurerions d’avoir épuisé tous les recours existants Si l’activité Corporate tend à ralentir, les départements contentieux et social-restructuration ne connaissent aucune baisse de régime. matière de droit social et de restructuration mais il n’en demeure pas moins que leur santé financière, aujourd’hui fragilisée, nous oblige à revoir notre politique de facturation à la baisse ». Autrement dit, si l’activité est là, les rentrées ne sont plus les mêmes. Il semblerait qu’à l’heure actuelle, les cabinets parisiens n’aient pas envisagé de prendre des mesures particulières. Comme nous l’explique Emmanuel Gaillard, Managing Partner de Shearman & Sterling Paris et Responsable du pôle arbitrage international au niveau mondial, « quand bien même la crise pourrait nous affecter, nous ne pourrions pas nous permettre de nous priver des nouveaux talents ou de licencier les avocats que nous avons formés pour ensuite recruter massivement lorsque les marchés auront retrouvé leur stabilité. Nos équipes doivent pour éviter des suppressions d’emplois. Nous agissons de manière aussi responsables que possible ». Cela étant, au bureau français d’Orrick, on se vante d’avoir développé l’un des départements contentieux les plus importants de la place de Paris, à la différence de nombreuses firmes anglo-saxonnes qui ont négligé cette activité et qui pourraient désormais songer à s’y investir. « Nos avocats ont été formés tant au Conseil qu’au Contentieux. La crise nous montre que cette stratégie a été la bonne » rajoute Maître Agboyibor. « De toute manière, nous ne sommes pas dupes », rétorque un élève de la promotion Jean-Denis Bredin. « Un certain nombre de cabinets parmi les plus importants ne sont pas venu cette année pour les forum collaborations et stages. Cela traduit bien l’heure actuelle, les cabinets parisiens gé de prendre des mesures particulières. être prêtes à tout moment. Nous privilégions le reclassement des avocats des secteurs qui peinent vers les secteurs qui ne connaissent pas de baisse d’activité comme l’arbitrage international ». leurs difficultés. Quant à ceux qui ont maintenu leur présence, leur intérêt était de défendre leur image. Leurs offre étaient simplement moins nombreuses que les années précédentes », rajoute-il. Encore faut-il ne pas traiter tous les grands cabinets d’une seule et même manière. À la différence des Certaines matières ne connaissent en revanche pas les effets néfastes de la crise. Le droit pénal en fait Le Baromètre | 37 À la une partie affirme Maître Olivier Gutkès, avocat spécialisé en droit pénal des affaires : « Notre activité augmente en droit pénal des affaires et il n’est pas impossible que cela soit un des effets de la crise ». Lui-même a commencé à exercer en temps de crise : « Après avoir obtenu un DEA de droit international privé puis avoir effectué un LLM à Londres, j’ai commencé en profitant de la loi de fusion entre la profession d’avocat et celle de conseil juridique. Je suis devenu avocat par hasard et le suis resté par vocation. » En effet, c’est par hasard, parce qu’il ne trouvait pas d’emploi de juriste dans le contexte de la crise financière consécutive à la première guerre du Golfe, que Maître Gutkès a embrassé la profession : « Le marché du droit était complètement sinistré. J’ai dû quitter Paris et rejoindre un cabinet à Strasbourg où j’ai eu peu de dossiers correspondant à ma formation universitaire. » Il s’est vu alors confier des dossiers de droit pénal essentiellement. Après être devenu le responsable du département de droit pénal au sein de ce cabinet, il est revenu dans la capitale pour s’y installer. Aujourd’hui, le cabinet de Maître Gutkès compte sept collaborateurs et a une activité qui ne cesse de s’accroître en droit pénal général et des affaires. Passionné par cette matière, prêtant selon lui à « l’exploration des méandres de l’âme humaine », cet avocat au parcours atypique pourrait être considéré comme une exception. « La crise m’a obligé à changer de ville, de spécialité, à reconsidérer toutes les idées que je pouvais avoir sur ma future carrière. Le conseil que je donnerai aux futurs avocats est de s’adapter à la situation, à la fois sur le domaine d’activité qui est le leur et sur la situation géographique. Je pense que les avocats attirés par le miroir aux alouettes des gros cabinets peuvent tout à fait s’épanouir dans une plus petite structure située et dans une ville de province ». Et pour ce qui est de la spécialité, « la formation universitaire apprend à penser. Le plus important pour les jeunes avocats c’est véritablement de s’adapter. Ils ont quarante ans de carrière à faire dans un monde du droit qui va connaître des soubresauts et des évolutions et, tout au long de leur 38 | Le Baromètre carrière, ils vont devoir faire preuve de souplesse. Ils ne devraient jamais se laisser enfermer dans des voies qui ne leur permettraient plus de faire face aux modifications de leurs conditions d’exercice.» En somme, « il faut toujours s’adapter au monde qui nous entoure, sans vouloir à tout prix qu’il s’adapte à nous ». Le conseil que je donnerai aux futurs avocats est de s’adapter à la situation, à la fois sur le domaine d’activité qui est le leur et sur la situation géographique. En réalité, si la crise apparaît comme une période de tumulte absolument exceptionnelle, les effets qu’elle engendre sur les grands cabinets s’inscrivent dans une courte durée. Les conséquences de ce bouleversement devraient néanmoins amener les firmes à observer davantage les innovations des secteurs bancaires et boursiers afin d’en mesurer régulièrement les enjeux et les risques qu’elles font prendre à l’ensemble des acteurs qui interviennent lors des opérations. L’inquiétude est légitime pour les élèves-avocats de la promotion Pierre Mazeaud tant cette période les expose à des difficultés qu’il est urgent de résoudre. Les promotions Abdou Diouf et Jean-Denis Bredin devraient en revanche être les premières à entrer sur un marché post-crise aguerris de ses failles, de ses fautes et de ses vices. Lydia Hamoudi et Sahand Saber, Série G et Série M, Promotion Jean-Denis Bredin L Inter -view Rencontre avec Maître Quelque part dans le monde Karim Lahidji Avocat iranien, Karim Lahidji vit en exil à Paris depuis plus de vingt-sept ans. Luttant sans relâche en faveur des Droits de l’Homme en Iran depuis les années soixante, les épreuves que lui-même et les siens ont enduré tout au long de ces années n’ont jamais entamé sa détermination. Il se confie pour la première fois à la rédaction du Baromètre. L LE BAROMÈTRE : Maître Karim Lahidji, merci à vous de nous recevoir ici au bureau français de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Vous êtes l’un des visages les plus connus du monde associatif iranien. Quel a été à l’origine la raison de votre engagement en faveur des droits de l’homme ? Quels ont été vos premiers combats lorsque vous étiez avocat en Iran ? cats militaires l’étaient ce qui portait atteinte aux droits de la défense puisque ces avocats militaires étaient nommés non pas par les accusés mais par les autorités. Cela m’obligeait à consacrer la plupart de mon temps aux affaires civiles et commerciales. Néanmoins, d’une manière assez confidentielle, voire clandestine, mes activités en faveur des prisonniers politiques ont commencé. Karim lahidji : Mon combat a commencé lorsque j’étais étudiant à la faculté de droit. J’étais en licence, au début des années 1960, lorsqu’il m’est venu la foi en trois grands principes en lesquels je crois et pour lesquels je me bats depuis maintenant plus de quarante cinq ans : l’abolition de la peine de mort, la prohibition de la polygamie et le droit à l’euthanasie. L’année décisive fut l’année 1968. Cette année là, la conférence mondiale des Droits de l’Homme se déroulait à Téhéran. René Cassin, Prix Nobel de la Paix la même année, était présent mais malheureusement nous, jeunes avocats iraniens, nous n’étions pas invités. Le problème que nous avions était que les procès à caractère politique étaient jugés devant les tribunaux militaires. Les avocats civils n’étaient pas habilités à plaider devant ces tribunaux. Seuls des avo- L.B. : De quelles natures étaient ces activités ? K.L. : Je prenais contact avec les familles des prisonniers politiques, et avec certaines ambassades pour faire passer des informations à l’extérieur du pays. J’ai pu obtenir un passeport en 1971 et je suis arrivé en France. J’ai immédiatement pris contact avec Amnesty International à Londres, avec l’Association Internationale des Juristes Démocrates dont le siège était à Bruxelles, avec l’International Commission of Jurists à Genève et avec la FIDH1. Mais toutes mes activités restaient confidentielles et n’avaient cours seulement lors de mes déplacements à l’étranger. L.B. : Et lors des premières grandes manifestations au cours de l’année 1978, vous militiez pour le renversement du Shah ? 1 Fédération Internationale des Droits de l’Homme Le Baromètre | 39 Quelque part dans le monde n’avait absolument rien à voir avec la Constitution de la République Islamique en matière de droits et libertés fondamentaux. L.B. : Pendant la Révolution, Sadegh Khalkhali, nommé Procureur général des Tribunaux révolutionnaires par Khomeiny, que l’on appelait le « Juge rouge » avait élaboré un concept juridique : le concept de « présomption de culpabilité » selon lequel toute personne suspecte devait être condamné, le plus souvent à la peine de mort, sauf si elle parvenait à prouver son innocence Autrement dit le simple doute pouvait entériner la mort. Quel fut votre sentiment lors des premières vagues de répression commises par le régime essentiellement contre les partisans du Shah, les parodies de procès, les arrestations arbitraires, les exécutions sommaires ? K.L. : Khalkhali justifiait ses actes atroces par les ordres que lui donnait Khomeyni lui-même. Les suspects étaient considérés comme des criminels. Il suffisait que les suspects soient pour être arrêtés et exécutés. Leur culpabilité n’était pas à prouver. J’ai protesté dès la première exécution mais j’étais le seul. Le silence de tous était assourdissant. Certaines organisations même, notamment les Fedayin‑e Khlagh2 et les Moudjahidines du peuple3, considéraient que les tribunaux révolutionnaires étaient trop souples, trop indulgents. Ces mouvements demandaient davantage de fermeté et de répression. K.L. : Non car les ONG n’ont pas pour rôle de changer un gouvernement ou un régime. Les ONG se doivent de revendiquer le respect des Droits de l’Homme. Notre combat dans ces deux associations était circonscrit aux lois internationales et notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qu’avait ratifié le Parlement iranien en 1975. Cette ratification donnait valeur juridique à leur contenu et nous pouvions alors appuyer nos revendications sur ces textes en plus de celui de la Constitution de 1906, Constitution qui n’était certes pas idéale mais qui « Jusqu’en décembre 19 islamique, les gens ne pa La situation m’a poussé à quitter l’Iran le 20 mars 1982. J’ai franchi les montagnes de l’Ouest de l’Iran et suis arrivé à Istanbul. Là-bas, j’ai pris contact avec l’ICR et je suis finalement arrivé en France le 20 avril 1982. Quelques mois plus tard avec d’autres iraniens, j’ai créé la LDDHI4 affiliée quelques années plus tard à 2 Organisation d’extrême-gauche d’inspiration guévariste recourant à la violence armée 3O rganisation d’inspiration « islamo-marxiste » recourant à la violence armée et qualifiée de sectaire par nombre de spécialistes. 4 Ligue de Défense des Droits de l’Homme Iranienne 40 | Le Baromètre la FIDH et avec l’insistance de membre de la FIDH, je suis devenu vice-président de la FIDH et ce depuis 10 ans maintenant. L.B. : Avec le temps, quel regard portez-vous sur la Révolution ? Pensez-vous qu’elle fût regrettable ? Pensez-vous qu’il eut été meilleur de pousser le Shah à réformer plus en profondeur les instituions ? K.L. : Le climat révolutionnaire n’a duré que trois mois alors que le combat avait commencé deux ans auparavant. Nous avons commencé dès 1977 avec des revendications qui étaient conformes à la loi en vigueur en Iran c’est-à-dire les Pactes internationaux et la Constitution iranienne. Nous ne souhaitions en aucune manière avoir des activités de nature subversive. Malheureusement le régime du Shah restait trop rigide et n’engageait ses réformes que trop lentement. On ne fait pas une révolution, une révolution se fait elle-même, elle s’impose d’elle-même. Jusqu’en décembre 1978 personne ne parlait de République islamique, les gens ne parlaient que de liberté, de liberté et de liberté. Le régime impérial a commis des erreurs monumentales et Khomeyni a été poussé d’Irak vers la France où il a pu trouver une assise médiatique très importante. Je pense que si le Shah avait opéré des réformes rapides, la monarchie aurait pu devenir un régime de monarchie constitutionnelle et démocratique. Je me souviens vers la fin de l’année 1976, j’étais société iranienne sans jamais prendre en compte la nature politico-juridique du régime. La République Islamique est une oligarchie cléricale. Il y a certes des éléments de façade présentant un aspect démocratique. Il existe trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Il y a des élections pour le Parlement et la Présidence mais au-delà de ces trois pouvoirs, il existe un super pouvoir appelé le « Velayat Faghigh » c’est-à-dire le Guide Suprême en la personne de l’Ayatollah Khamenei. Il n’est pas élu et il supervise les trois pouvoirs. En ce qui concerne les compétences de ces trois pouvoirs, nous pouvons voir qu’ils ne remplissent pas le rôle qui leur revient. Au sein du pouvoir exécutif, le Président n’a pas beaucoup de pouvoir. Le vrai chef de l’exécutif, c’est le guide suprême qui possède tous les pouvoirs stratégiques tant en matière politique et qu’en matière économique. En matière législative, le Guide Suprême nomme un Conseil de six mollahs chargé de contrôler la conformité des lois votées par le Parlement avec des principes islamiques qu’il définit lui-même. Autrement dit, ces six personnages ont un droit de veto sur les lois votées. Ces six religieux supervisent également les élections. C’est a eux que revient la mission de fixer les listes électorales. Ils suppriment toutes les personnes qui, selon eux, ne répondent pas aux critères islamiques garants du régime. En fin de compte, les iraniens n’ont de choix que parmi ceux dont le nom figure sur ces listes électorales. Cette pré-sélection vaut pour toutes les élections. re 1978 personne ne parlait de République ne parlaient que de liberté ». alors avec des amis intellectuels iraniens et nous assistions à la démocratisation de trois pays : l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Nous espérions que l’Iran serait la quatrième. Nous avons raté cette opportunité et nous l’avons payé très cher ! L.B. : Pensez-vous que ces élections sont de fausses élections ou de vraies élections dont on peut vraiment attendre une alternance ? K.L. : Malheureusement, dans les médias occidentaux, on parle d’une certaine démocratie dans la Enfin, le pouvoir judiciaire est présidé par un mollah nommé lui-même par le Guide Suprême. Ainsi si vous pensez que la seule présence de ces pouvoirs constitue une démocratie, vous avez tort car il y un personnage au dessus de ces pouvoirs qui les contrôle tous ! Si une alternance doit avoir lieue au sein du régime, celle-ci doit être avalisée par le Guide Suprême qui établit à l’avance les règles du jeu. En 2003, enfin une grande victoire pour vous et pour de nombreux iraniens ! Votre amie Shirin Ebadi se voit décerner le Prix Nobel de la Paix pour son acLe Baromètre | 41 Quelque part dans le monde tion en faveur des droits de l’Homme en Iran. Pourtant le Président Khatami, qui s’était fait le porteparole d’un nouvel Iran démocratique dans lequel la société civile devait pleinement avoir sa place dans les affaires publiques, avait minimisé cette récompense déclarant que les prix pour la science et la littérature sont plus importants. Réaction de déception, j’imagine… Shirin Ebadi est une amie de trente-cinq ans. Elle était magistrate, j’étais avocat. Lorsque la nouvelle est arrivée, elle était chez moi à Paris. Pour moi c’était la première victoire depuis le début de mon engagement en faveur des Droits de l’Homme il y a « Ce régime ne représente pas le peuple mais seule une petite minorité d’iraniens, il faut que la grande majorité du peuple puisse s’exprimer ». quarante-cinq ans. Enfin notre combat est reconnu ! Mais il est évident que les membres du clergé aient vu d’un mauvais œil le fait qu’une femme de tendance laïque soit récompensée sur la scène internationale. Même le moins méchant de tous qu’était Khatami eut une mauvaise réaction. Quant à ses propos sur la science et la littérature, c’est le discours officiel du régime islamique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les étudiants en droit et en sciences sociales et humaines sont soumis à des pressions très fortes, plus fortes que les étudiants en mathématique, en physique ou en chimie. Le régime ne cesse de vouloir imprégner leurs études de l’idéologie islamiste tandis que les étudiants leur opposent une résistance farouchement hostile. L.B. : Reza Pahlavi, le fils du dernier Shah d’Iran et héritier de la couronne impériale, a écrit un livre « Iran : l’heure du choix » dans lequel il expose sa vision de l’avenir de l’Iran : un régime démocratique, laïc, pluraliste et dans lequel les pouvoirs seraient effectivement séparés. Il dit ouvertement que son action ne vise pas à remonter sur le trône. Il en revient au peuple de décider. Les Iraniens doivent selon lui s’unir qu’ils soient monarchistes ou républicains, qu’ils soient de gauche ou de droite, pour faire triompher les Droits de l’Homme en Iran. Qu’en pensez-vous ? 42 | Le Baromètre K.L. : C’est très bien que l’ensemble des groupes d’oppositions de tendances différentes se parlent ! C’est déjà un grand progrès que les groupes d’opposition discutent de tous les principes préalables pour qu’une démocratie puisse être instaurée dans un pays. Ceci n’était pas le cas avant la révolution ! Il fut un temps encore récent où ces mouvements n’étaient pas favorables à ce dialogue. C’est donc un progrès important. Maître Lahidji, à l’occasion du nouvel an iranien, le « Nowrouz », le Président Obama a lancé un appel au dialogue à l’attention du régime, message auquel M. Khamenei lui a répondu par un refus catégorique. Selon l’opposition, il ne faut pas uniquement dialoguer avec le régime mais il faut également dialoguer avec le peuple. Le régime ne doit pas être considéré comme le seul interlocuteur. Oui, c’est tout à fait vrai. Je suis favorable au dialogue car le dialogue permet de faire évoluer la situation mais je suis d’accord avec vous, et Shirin Ebadi et moi-même l’avons dit à Bruxelles à M. Javier Solana. Nous sommes d’accord sur le principe du dialogue avec la République Islamique mais vous devez également dialoguer avec le peuple iranien à travers les représentants de la société civile. Il était d’accord mais encore faut-il que les paroles soient suivies des actes ! J’ai transmis le même message au Président Obama pour qui j’ai beaucoup de respect. Outre le fait que ce régime ne représente pas le peuple mais seule une petite minorité d’iranien, il faut que la grande majorité du peuple puisse s’exprimer. Propos recueillis le 4 avril 2009 par Sahand Saber, Promotion Jean-Denis Bredin, Série M. À Délinquance policière Selon la définition de Max Weber, l’État disposerait du « monopole de la violence légitime », et il serait la seule source de légitimité pour quiconque utilise la violence. Par conséquent, l’État et l’armée ont le droit de recourir à la force afin de rétablir l’ordre. Le code de déontologie de la Police Nationale oblige les policiers à n’utiliser la force qu’à des fins légitimes ou pour faire exécuter des ordres mais ce en considération de la force qu’on leur oppose. Or depuis de nombreuses années, Amnesty International dénonce le niveau élevé des violences policières en France, que ce soit dans les commissariats ou sur le terrain. À En 2005, l’Organisation a publié un rapport intitulé « France. Pour une véritable justice » qui s’intéresse à une trentaine d’affaires de graves violations des droits humains, avérées ou présumées, commises par des policiers entre 1991 et 2005 et fit le constat d’une « impunité de fait » pour les policiers en France. Selon ce rapport, plusieurs facteurs qui expliqueraient ce climat d’impunité : les lacunes et faiblesses de la législation qui ne contient aucune définition exhaustive de la torture, l’absence de disposition permettant aux gardés à vue de consulter un avocat dès leur rétention, la lenteur de la procédure judiciaire engagées contre les agents de police. Enfin, Amnesty International a formulé de nombreuses recommandations qui permettraient de mettre un terme à l’impunité de fait. Elle recommande notamment la création d’un organisme indépendant chargé d’enquêter sur toutes les allégations de graves violations des droits humains imputées à des agents de la force publique et qui « pourrait être une version améliorée » de la Commission nationale de déontologie de la sécurité1. Toute personne devrait pouvoir saisir directement cet organisme qui devrait être habilité à enquêter sur toutes les allégations de violations graves des droits humains formulées contre les forces de l’ordre, sans avoir à passer par un Parlementaire, comme c’est le cas actuellement. Il aurait le pouvoir Amnesty International dénonce le niveau élevé des violences policières en France. d’examiner immédiatement les lieux des faits ; de convoquer des témoins et d’ordonner la communication de documents ; de suivre les enquêtes menées par la police. Amnesty International exhorte aussi les autorités françaises de faire en sorte que tous les gardés à vue puissent consulter un avocat dès le début de leur rétention, que tous les interrogatoires de police soient filmés et que les procédures et les lignes 1C réée en 2000, la CNDS doit « veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ». Le Baromètre | 43 Quelque part dans le monde de conduite relatives aux contrôles d’identité soient soigneusement revues. Malgré les nombreuses recommandations faîtes par Amnesty International, la situation s’est détériorée. Le nombre de « violences illégitimes » exercées par les forces de l’ordre sont en hausse constante depuis quelques années. Ainsi dans son rapport annuel rendu public le mercredi 12 avril 2009, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS) a traité plus de 108 plaintes, dont 72 contre la Police Nationale, constatant ainsi une hausse de 10% par rapport à 2004. Le 1er Juin 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt « Taïs Vs. France » dans lequel elle a condamné la France et demandé qu’elle donne à ses fonctionnaires de police des instructions précises sur l’utilisation des méthodes de contrôle. La même année, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitement inhumains ou dégradants (le CPT) a effectué une visite en France. Dans son rapport, il fait observer qu’outre les allégations de mauvais traitements dénoncés par les détenus, il a reçu des déclarations similaires des autorités médicales, juridiques et même policières, ainsi que des organes indépendants comme le Médiateur de la République ou la CNDS. Amnesty International a ainsi rendu un nouveau rapport publié en avril 2009 et intitulé « France. Des policiers au dessus des lois » qui reprend les problèmes mentionnés en 2005, dénonçant de nouvelles allégations de violation des droits humains commises en France par des agents de la force publique depuis le premier rapport et constatant par ailleurs une tendance croissante à l’inculpation pour « outrage » ou « rébellion » des victimes ou des témoins de mauvais traitements commis par des agents de la force publique. « Les gens doivent pouvoir faire confiance à leur police. Or, aujourd’hui, ce n’est souvent pas le cas. Cette confiance ne sera possible que lorsque les gens verront que des mesures disciplinaires appropriées sont prises en temps voulu, et que les policiers responsables d’actes criminels sont tra2 I nformations obtenues par Amnesty International. 3 « Libération » du 11 octobre 2008. 44 | Le Baromètre duits en justice selon une procédure impartiale et indépendante », affirme David Diaz-Jogeix, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. Toute personne qui souhaiterait déposer une plainte contre un agent de la force publique peut s’adresser directement au procureur de la République. Pour les affaires graves ou complexes, ce dernier peut saisir le juge d’instruction. Mais la plupart du temps, le juge d’instruction ou le procureur font appel à la police judiciaire pour des auditions de témoins, de suspects ou pour recueillir des éléments de preuve. Ce qui conduit à un manque d’indépendance de fait. Ainsi, les enquêtes pénales et disciplinaires sur les comportements policiers sont menées par une unité spécialisée de la Police nationale, l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) à l’Île de France et où l’unité correspondante est l’Inspection générale des services (IGS). Les plaintes peuvent être déposées directement par des particuliers auprès de ces services. Leurs conclusions sont ensuite transmises au procureur de la République, qui décide s’il y a lieu de saisir un juge d’instruction. Amnesty International constate que les recherches menées par la police sur des policiers ne sont pas exhaustives : tous les témoignages ne sont pas nécessairement pris en compte et il n’y a pas forcément de recherche active d’autres éléments de preuve, comme des bandes vidéo ou des certificats médicaux. Ainsi lorsque le dossier est présenté au procureur au juge d’instruction, les éléments permettant de poursuivre les policiers mis en cause sont souvent insuffisants et aboutissent au classement sans suite de la plainte. Le parquet ou le tribunal accordent souvent, soit « le bénéfice du doute aux agents de la force publique », soit des relaxes ou des acquittements très controversés, soit des peines symboliques nonobstant la gravité des infractions. À tel point que bien souvent, les avocats l’anticipent et déconseillent à leurs clients de les poursuivre en justice. Certes, les plaintes déposées contre la police ne sont pas toutes fondées, mais l’écart entre le nombre de plaintes reçues et le nombre de sanctions disciplinaires prises permet de s’interroger sur l’exhaustivité et l’impartialité des enquêtes. Ainsi, « Sur 663 plaintes examinées par l’organe d’inspection de la police en 2005, seules 16 ont conduit à la radiation des agents concernés ; en 2006, seules huit allégations de violence sur 639 ont abouti à une telle radiation. De très nombreuses plaintes déposées contre des agents des forces de l’ordre sont classées sans suite par le parquet avant même d’arriver au tribunal2 ». L’article 10 du Code de déontologie de la police dispose que toute personne appréhendée est « placée sous la responsabilité et la protection de la police » et qu’elle ne doit subir de la part des policiers « aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant ».Les fonctionnaires de police témoins de mauvais traitements doivent agir pour les faire cesser ou les porter à la connaissance d’une autorité compétente. Qui plus est, « le fonctionnaire de police ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins spéciaux doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne ». Et pourtant, Hakim Ajimi est décédé d’une « asphyxie mécanique » le 9 mai 2008 à Grasse3. Lors de son interpellation, il était maintenu à plat ventre, face contre terre, un policier avec un genou sur son dos, un autre pratiquant une clé d’étranglement. Une fois de plus, Amnesty s’inquiète de cette méthode d’immobilisation qui a déjà valu à la France une condamnation par la justice européenne. Et les cas sont encore nombreux. Aujourd’hui, certains moyens ont été mis en place afin d’éviter les « bavures policières » : existence de caméras dans les lieux publics, sur les taser, dans les véhicules sérigraphiés et même sur les agents de police en patrouille pédestre4. Néanmoins, le système d’activation de ces caméras reste à l’initiative de l’agent qui la porte. Aux États-Unis, il existe des associations qui se sont fixé comme but d’œuvrer pour modifier le comportement policier. Par exemple, Copwatch rassemble des associations activistes qui suivent et filment les interventions des forces de l’ordre afin de prévenir le phénomène de brutalités policières. Dans la plupart des cas, ce sont témoignages de victimes de violences policières que nous avons car aucun policier n’ose s’exprimer sur le sujet de peur d’être révoqué. Mais, pour le Baromètre, un officier de police, qui souhaite garder l’anonymat car astreint au devoir de réserve, souhaite dénoncer ce qu’il vit. Il nous raconte qu’il a lui-même été témoin de ces violences et qu’il en a fait part à l’IGS, témoignant ainsi contre ses collègues. Mais l’enquête a été classée sans suite malgré les nombreuses preuves matérielles qu’il possédait. Il constate aussi que les fonctionnaires de police se servent des « outrages et rebellions » afin de se protéger des éventuelles plaintes. Ces dernières années, le délit d’outrage est devenu en France un délit « en vogue ». De 17 700 faits enregistrés en 1996, on est passé à 31 731 en 20075. Une expression qui revient souvent « On touche, on ramène6 » . « De très nombreuses plaintes déposées contre des agents des forces de l’ordre sont classées sans suite par le parquet avant même d’arriver au tribunal ». Selon lui, il n’existe plus de rapport humain entre citoyens et policiers car ces derniers sont soumis à un quota sur le nombre d’interpellations effectuées dans le mois. On lui demande personnellement de faire 30 « Bâtons7 » par mois, « peu importe la qualité du travail, seule la quantité compte ». Il tient aussi à préciser « que les tensions entre les policiers et la population sont dues majoritairement à un manque de communication et de compréhension. Il faut rétablir le dialogue social afin que la population retrouve confiance à leur police qui représente le service public ». Melissa Sémari, Promotion Jean-Denis Bredin, Série T. 4E xpérimentées uniquement dans la banlieue parisienne. 5 I nformations obtenues par Amnesty International. 6J argon policier qui signifie que lorsqu’ un policier utilise la violence illégitime, il est obligé de déposer plainte contre elle afin de se protéger et de cette manière la victime devient coupable. 7 Jargon policier qui veut dire garde à vue. Le Baromètre | 45 Bouillon de culture Aux portes du Palais Cette histoire pourrait être celle d’un palais des milleet-une nuits, ou celle d’un château imaginaire avec ses contes et ses légendes. L’histoire que nous allons pourtant parcourir est celle d’un lieu bien réel, le Palais de Justice de Paris qui, avec la majesté de ses façades et de ses tours dominées par la flèche de la SainteChapelle, demeure aujourd’hui un des monuments les plus visités de la capitale. L’objectif de cet article en « feuilleton » réalisé avec l’aide précieuse de Monsieur Yves Ozanam, Archiviste de l’Ordre des Avocats, est à la fois de tracer un aperçu de l’histoire du Palais, avec son activité, ses ornementations et ses symboliques, mais également de découvrir un Palais insolite qui garde encore bien des secrets. 46 | Le Baromètre © Ordre des avocats de Paris Voici son histoire... La demeure des rois Tout commença par l’avènement du pouvoir romain dans la bourgade de Lutèce et par l’édification sur l’île de la Cité d’un palais chargé d’accueillir les magistratures romaines. Lutèce, ou la « ville des parisiens » en référence à leurs ancêtres nomades « parisii », se replie sur l’Île de la Cité à la fin du 3e siècle afin d’échapper aux invasions barbares. Le palais se fortifie. En 508, Clovis fait de la « Cité » sa place forte ; Dagobert, le plus parisien des rois francs, y séjourne souvent ; et vers la fin du 9e siècle, le palais résiste aux incursions normandes. Les Capétiens succédant aux Mérovingiens à la fin du 10e siècle, Hugues Capet (987-996) fait de Paris le centre de sa puissance, et son fils Robert le Pieux (996-1031) entreprend la reconstruction du palais. L’enceinte du Palais prend la forme d’un quadrilatère fortifié renforcé de tours dissuasives. Le roi et sa famille s’installent dans le futur « logis du roi », et la « Salle du roi » (ancêtre de la salle des PasPerdus) abrite la « curia regis », une assemblée des grands féodaux qui compose le Conseil du roi et assiste celui-ci dans ses décisions administratives et judiciaires. Au 12 siècle, le Palais de la Cité devient véritable résidence royale. Louis VI le Gros (1108-1137) e construit la Grosse Tour, et son fils Louis VII (11371180) « l’oratoire du roi ». Au 13e siècle, Philippe Auguste (1180-1223) réorganise l’administration du royaume, puis fait du Palais sa résidence habituelle en fixant la Cour à Paris. La ferveur religieuse de Louis IX (1226-1270) permet au Palais de s’embellir de la Sainte-Chapelle – construite en 1243 pour accueillir les reliques de la Passion données en gage aux Vénitiens par l’empereur latin de Constantinople Baudoin II – et d’un petit bâtiment protégeant les livres et les archives du roi, le « Trésor des Chartes ». Philippe le Bel (1285-1314) souhaite bâtir un palais plus grand « de merveilleuse et coûtable œuvre, le plus bel que nul en France oncques vit ». La Grand’Salle est ainsi construite pour accueillir les sessions du « parlement », une commission chargée de rendre la justice au nom du roi sous le terme « d’arrêts », et dont les membres sont qualifiés de « magistri », les maîtres de la Cour. Jean II Le Bon (1350-1364) fait bâtir les cuisines dites à tort « de Saint Louis », ainsi que la tour carrée sur laquelle son fils Charles V fera placer une horloge. Au 14e siècle, les difficultés financières et la reprise des hostilités avec l’Angleterre créent une rupture dans l’histoire du Palais. Étienne Marcel, prévôt des Le Baromètre | 47 Bouillon de culture © Ordre des avocats de Paris Bourbon, passé au service de Charles Quint. Exaspéré par les remontrances du premier président Jean de Selve, François Ier quitte la salle, notifie sans délai un édit interdisant au parlement de s’immiscer dans les affaires de l’État, et s’exclame : « de même qu’il n’y a au monde qu’un soleil, il n’y a en France qu’un roi ! ». marchands de Paris, renverse le pouvoir en 1358 et force le futur Charles V (1364-1380), alors résidant au Palais, à s’exiler. Le roi finit par reprendre Paris mais délaisse le Palais au profit du Louvre ou de l’Hôtel Saint-Pol à proximité de la Bastille. Le Palais continue néanmoins d’accueillir les rois étrangers ainsi que les fameux « lits de justice », ces impressionnantes réunions du parlement durant lesquelles le roi notifiait sa volonté aux magistrats, sur un siège embelli de dais et de coussins de drap d’azur semé de fleurs de lis d’or. La tentation du pouvoir Au 15e siècle, le royaume est coupé en deux par la « Guerre de Cent Ans » : Charles VII (1422-1461) a son parlement à Poitiers, tandis que le parlement de Paris se soumet à Henri V d’Angleterre. Au retour triomphal de Charles VII dans la capitale en 1437, le parlement de Paris lui jure fidelité. Le roi regroupe les deux parlements en un seul et confie à ce dernier une mission exclusive de justice. Au 16e siècle, le parlement renforce sa position de contre-pouvoir. En 1527, François Ier (1515-1547) vient présider un lit de justice pour juger le duc de 48 | Le Baromètre Sous Henri II (1547-1559), la solennité du rituel parlementaire est accru : trône surélevé de trois marches, appareil de draperies somptueuses, magistrats en robe rouge. La Sainte-Chapelle se dote de grands orgues, et le roi construit l’arc de Nazareth reliant l’Hôtel de la Chambre des Comptes à la galerie des Archives. Le parlement s’affirme comme le protecteur de l’intégrité du royaume et des droits de la Couronne, ce que le chancelier Michel de L’Hospital dénonce en affirmant avec fermeté : « Il faut que la loi soit sur les juges, non pas les juges sur la loi ». Malheureusement, la fin du siècle est entachée par les violentes « Guerres de religion » : l’enregistrement de l’édit de pacification de 1572 accordant Un Palais insolite q des droits aux protestants soulève l’opposition des magistrats lors de la Saint-Barthélemy, et au décès du roi Charles IX en 1574, le parlement s’investit davantage dans les affaires de l’État. En 1585, Henri III (1574-1589) décore la Tour de l’Horloge d’un nouveau cadran et commence l’édification du Pont-Neuf à l’extrémité ouest de l’Île de la Cité. Avec la « Ligue » qui mobilise les défenseurs de la religion catholique contre les protestants, le parlement de Paris est de nouveau pris dans la tourmente de la guerre civile. La fuite du roi Henri III en mai 1588, après l’insurrection fomentée par le duc de Guise connue sous le nom de « Journée des Barricades » entraîna une scission de la Cour : un parlement royaliste s’installe avec le roi à Tours, tandis que les magistrats ligueurs investissent la capitale. À Paris, le premier président Achille de Harlay répond alors au duc de Guise : « C’est grand pitié, Monsieur, quand le valet chasse le maître ! Au reste, mon âme est à Dieu, mon cœur au roi, et quant à mon corps, je l’abandonne, s’il le faut, aux méchants qui désolent le royaume ». pour soumettre les magistrats, mais à sa mort, Philippe d’Orléans rétablit le droit de remontrances préalable à l’enregistrement. Le début du 17e siècle est marqué par l’aménagement de la place Dauphine et l’achèvement du Pont-Neuf, mais également par la mort du roi Henri IV, assassiné le 14 mai 1610 par François Ravaillac qui devient un des prisionniers les plus célèbres de la Conciergerie où il subira le supplice des brodequins avant d’être publiquement supplicié puis démembré. Au début du 18e siècle, l’opposition entre le parlement de Paris et la monarchie se radicalise. Les magistrats développent des théories remettant en cause l’absolutisme royal au motif qu’il faut « protéger le roi contre lui-même », c’est-à-dire le protéger contre les mauvais conseils, quitte à lui désobéir. Louis XV (1715-1774) rappelle aux magistrats que la puissance souveraine réside toute entière en sa personne, dans son célèbre discours du 3 mars 1766 prononcé lors de la séance de « Flagellation » en raison de la vigueur exceptionnelle de l’admonestation royale. Les magistrats croient pendant un certain temps que la déstabilisation de la monarchie va tourner à leur avantage. Le 5 mai 1788, ils s’enferment dans le Palais, refusant de livrer l’un des leurs que Louis XVI (1774-1792) a fait quérir. Marie de Médicis devient alors régente du jeune Louis XIII (1610-1643). La Grand’Chambre symbolise pour un temps le trône officiel, et le parlement de Paris le coeur de l’idéologie dynastique ainsi La corruption et l’arrogance des magistrats les ont cependant rendus impopulaires. Comme toutes les autres juridictions de l’Ancien Régime, le Parlement de Paris est supprimé dans les premiers mois En 1589, Henri IV (1589-1610) monte sur le trône, entre dans la capitale en 1594 et réunit les deux parlements. Il met fin aux guerres de religion par l’édit de Nantes enregistré en 1599 qui tolère le culte protestant. e qui garde encore bien des secrets. que le socle de l’autorité législative des Bourbons ; une aubaine de courte durée pour les magistrats, que Richelieu ne tarde pas à reprendre sous son autorité. En 1611, Louis XIII crée les quais de pierre de l’Île de la Cité, ce qui entraine l’encavement de la Conciergerie. Peu avant sa mort, le roi nomme sa femme Anne d’Autriche régente. Celle-ci gouverne avec l’assistance du Cardinal Mazarin, détesté par les parlementaires. Les difficultés financières de la monarchie et l’obligation pour les magistrats d’enregistrer les actes royaux sans délibération finit par mettre le feu aux poudres. Durant la « Fronde » de 1648 à 1652, le parlement complique la tâche de la régence, et va même jusqu’à donner l’ordre de « courir sus au Mazarin ». de la Révolution. Le 14 août 1790, il se réunit une dernière fois pour enregistrer le décret de « l’Assemblée Nationale » lui signifiant sa suppression ; le procès-verbal se termine par « Et la Cour s’est levée ». Puis, au jour du 15 octobre 1790, Jean Sylvain Bailly, alors maire de Paris, appose les scellés aux portes du p alais. Ainsi s’achève une histoire pluriséculaire. La monarchie elle-même allait succomber deux ans plus tard... Julien Berbigier, Promotion Jean-Denis Bredin, Série A. À suivre... Fort impressionné par cette révolte, Louis XIV (1643-1715) fait le nécessaire durant son règne Le Baromètre | 49 Bouillon de culture SOUS LA ROBE Chers futurs confrères, camarades et amis, l’heure est grave !!! Après avoir brillamment subi les écrits et oraux du CRFPA, survécu aux 3 jours de prérentrée, voici venu le moment de trouver un stage (PPI, alternance ou stage final). Après avoir passé le premier barrage sur CV, la future star du barreau que vous êtes se retrouve convoquée en entretien. Malgré vos immenses qualités intellectuelles, personnelles et surtout professionnelles, le premier jugement que votre maître de stage portera sur vous sera basé… sur votre apparence ! D’où l’importance de soigner sa superficialité et d’adopter une tenue adaptée lors d’un entretien, en stage et simplement au quotidien. Puisque le but du jeu c’est d’avoir le look de l’emploi, autant être honnête : les avocats sont loin d’être la profession au look le plus funky. Ce n’est pas parce qu’on doit s’habiller classique qu’il faut avoir l’air de sortir des années 80. 50 | Le Baromètre © Sarah Foliard « Ce n’est pas parce qu’on doit s’habiller classique qu’il faut avoir l’air de sortir des années 80 ». Pour vous mesdemoiselles, mesdames, Pour dire à son potentiel futur recruteur « je suis une jeune professionnelle efficace et sympathique » on commencera par l’évidence : éviter tout ce qui est sexy, provocant voire même les tendances trop pointues. La jupe est au niveau du genou, le décolleté n’est pas plongeant. Pour ne pas ressembler à Mélanie Griffith dans Working Girl, on évitera les tailleurs, aujourd’hui beaucoup trop connotés « hôtesse d’accueil », et on remplacera la veste par un gilet ou un pull, plus confortable. Du côté des couleurs, on privilégiera les couleurs neutres (noir, blanc, gris, bleu marine et les teintes pastel). Et pour celles qui ont peur de mixer les couleurs, une tenue en noir et blanc reste très efficace, et n’aurait pas été reniée par Coco Chanel herself ! Parlons maintenant des bijoux : bannissez tous les maxis colliers, grandes boucles d’oreilles et brace- lets qui font bling bling quand vous bougez votre bras ne serait-ce que d’un demi-millimètre. Ce sont autant de détails qui attirent l’attention et il serait dommage que votre interlocuteur se focalise dessus plutôt que sur toutes les choses passionnantes que vous lui racontez non ?!! Question chaussures, ça dépend de vous. Si vous avez le vertige en talons hauts, optez pour les ballerines. Si vous préférez voir la vie quelques centimètres plus haut, limitez vous quand même à 5 – 6 cm, et attendez de voire le dress code de l’endroit avant de tenter plus haut. Et enfin pour le maquillage, restez sobre. Le but est juste d’avoir bonne mine, un peu de blush et une pointe de mascara suffisent largement. Si vous voulez faire plus, attention à ne pas tomber dans l’excès. Le Baromètre | 51 © Sarah Foliard Bouillon de culture « Pour ceux qui n’auraient pas suivi les cours de Patrick Bateman, une petite session de rattrapage expresse ». Pour vous messieurs, Je ne pense pas vous apprendre quoi que ce soit en vous disant que le costume est de rigueur. Cependant la tenue masculine renferme de nombreuses subtilités. Pour ceux qui n’auraient pas suivi les cours de Patrick Bateman (héros du roman American Psycho, gourou de la mode masculine et serial killer à ses heures perdues), une petite session de rattrapage express. Commençons par la question épineuse des chaussettes : selon les maîtres à penser de la mode masculine, la couleur des chaussettes doit être assortie à celle des chaussures ou celle du pantalon. Retenez juste qu’elles doivent être discrètes et de couleur sombre. Vous ne souhaitez tout de même pas que la première chose que l’on remarque chez vous, soit vos chaussettes ! Pour vous simplifier la vie, achetez les par lots et non pas une paire à la fois. Si l’une d’elle tente de vous faire un remake de « la grande évasion », vous trouverez toujours une cousine pour la remplacer ! Ensuite, pour les couleurs, l’idée est toujours de concilier sobriété et élégance. Pour ce faire, le costume sera dans les teintes sombres. En revanche pour les chemises, sachez qu’il n’y a guère que BHL qui peut encore la porter blanche, mais c’est presque son bleu de travail. Bref, osez la couleur, ça fait plus moderne. Quand je parle de couleur, je me comprends… Plutôt du bleu à la Jean d’Ormesson que du jaune citron, et n’ayez pas peur du rose ! Attention à votre cravate, « THE » détail : pas de taches, pas de couleurs trop flashy, et pas de motifs douteux (dans le doute l’uni fait la force). Et enfin n’oubliez pas de soigner vos chaussures : un petit coup de cirage + brosse et elles paraîtront comme neuves !!! Vous voilà parés de votre plus belle armure, prêts à triompher de toutes les épreuves vous menant au Saint-Graal de l’élève avocat : le stage idéal, et qui sait… une future collaboration. Charlotte Pennec, Promotion Jean-Denis Bredin, Série C. 52 | Le Baromètre Gary Gilmore - l’homme qui voulait mourir L’idée d’une chronique relative à la représentation de la justice dans la littérature et le cinéma m’est venue alors que je suivais un cours intitulé « Culture et Droit » au sein d’une université étrangère. Je réalisai que l’étude du droit ne devait se cantonner à la simple appréhension de règles et qu’une approche transversale permettait une meilleure compréhension du phénomène juridique. Un grand nombre de supports à ma disposition, j’ai décidé de vous présenter une œuvre méconnue de la littérature américaine, Le Chant du Bourreau de Norman Mailer, récemment republié chez Robert Laffont. Par une glaciale matinée de janvier 1977, Gary Gilmore se tient droit devant les cinq hommes qui s’apprêtent à lui donner la mort. Il attend patiemment que ses bourreaux, positionnés derrière un lourd rideau de velours d’où seul dépassent les canons de leurs fusils, appuient sur la gâchette. Un ultime appel en révision vient d’être rejeté. Il est 8h07, l’ordre est donné. Une violente détonation s’ensuit. Cinq balles fusent, atteignent le thorax du condamné, le traversent et finissent leur course folle dans le sac de sable placé dans son dos. Sa mort est immédiate. La violence synchronisée de l’instant contraste avec le silence qui envahit immédiatement la pièce. Gary Gilmore est mort. « Allons‑y ! » sont ses derniers mots. « Ceci est ma vie, ceci est ma mort. J’ai été condamné par les tribunaux à mourir et j’accepte cette sentence ». « Le Chant du Bourreau » publié deux ans après la condamnation à mort de Gary Gilmore oscille entre les genres littéraires. Travail journalistique d’une ampleur jusqu’alors inégalée pour certains, œuvre de fiction pour d’autres, les quelques mille trois cents pages qui la composent retracent les moments clefs de la vie de Gary Gilmore, de sa jeunesse délinquante à sa mise à mort pour le double meurtre d’un employé de station service et d’un réceptionniste de motel. Couronné par le prestigieux prix Pulitzer en 1980, le travail de Norman Mailer, déjà récipiendaire de la même récompense en 1968, adopte une structure binaire. L’auteur présente dans une première partie la jeunesse chaotique de Gary Gilmore, sa lente mais irrésistible chute dans la petite puis grande délinquance, ses condamnations pour vols à main armée, ses séjours successifs en prison, pour arriver à sa libération conditionnelle en avril 1976, quelques mois avant que celui-ci ne commette l’irréparable. Dans la seconde moitié du récit, Norman Mailer décrit avec minutie le procès de Gilmore, sa condamnation à mort, les appels formés par ses avocats en dépit de sa volonté à voir la sentence exécutée, et conclut sur son exécution le 17 janvier 1977, première depuis la réinstauration de la peine capitale fin 1976 aux États‑Unis. Mailer, en journaliste méticuleux, a longuement enquêté pour dresser un portrait fidèle du socioLe Baromètre | 53 Bouillon de culture pathe qu’incarne Gary Gilmore, en recueillant de nombreux témoignages et en compilant une grand partie des pièces produites lors de son procès. Loin de se cantonner à la simple enquête journalistique « Le Chant du Bourreau » transcende les genres littéraires. Norman Mailer tire d’un fait divers la matière nécessaire à la construction d’une véritable juridictionnel et pénitentiaire américain au travers d’un kaléidoscope de polaroïds, tout en posant les jalons d’une réflexion sur de la peine de mort aux États-Unis. Alors que les controverses autour de la peine capitale atteignent des sommets de virulence quand Norman Mailer écrit « Le Chant du Bourreau », celui-ci réussit l’impossible en maintenant La mort comme échappatoire… tragédie américaine en deux actes. La neutralité de ton adoptée tout au long du récit lui confère une teinte fataliste : Mailer, spectateur des événements qu’il relate, se distancie de l’inexorable descente aux enfers de Gary Gilmore, véritable archétype de l’antihéros. Mais c’est au travers de ce détachement a priori risqué que l’auteur œuvre à la consécration d’un genre littéraire à part entière, à la croisée du récit journalistique et de l’œuvre de fiction inspirée de faits réels, et ce tout en renouant avec une tradition américaine oubliée, celle de la tragédie classique. Truman Capote avait déjà posé les jalons du roman noir de non fiction dans son chef-d’œuvre De Sang Froid publié en 1966. « Le Chant du Bourreau » donne au « nouveau journalisme » ses lettres de noblesse et Norman Mailer se pose désormais en chef de file de ce mouvement. Au delà de la l’incroyable avancée littéraire qu’il représente, Le Chant du Bourreau constitue un creuset d’instantanés de la société américaine et de son système judiciaire. L’étude sociologique conduite par l’auteur introduit le lecteur au système 54 | Le Baromètre un ton objectif, au risque de désarçonner quelque peu son lecteur, habitué à des prises de positions nettes en la matière. Loin de desservir les propos de l’auteur, cette neutralité invite tout un chacun à prendre part au débat et à réfléchir sur les incidences des condamnations à mort au sein d’une société donnée. Parallèlement à la place centrale que prend la peine capitale dans la seconde moitié du récit, Norman Mailer brosse un panorama complet de l’état des prisons américaines et met en lumière le processus de déshumanisation inhérent à l’incarcération. Si Gary Gilmore insiste tant pour que sa peine ne soit pas commuée, c’est aussi en raison de ses nombreuses expériences en milieu carcéral. Norman Mailer réussit donc le pari risqué qu’il s’est imposé : réinventer un genre littéraire tout en structurant son récit comme une tragédie américaine empreinte de poésie et de lyrisme. « Le Chant du Bourreau » résonnera longtemps dans votre esprit une fois terminé. Olivier Dorgans, Promotion Jean-Denis Bredin, Série H. Un week-end à Tours Construite au cœur du Val de Loire classé Patrimoine Mondial de l’UNESCO, ville d’Art et d’Histoire, Tours est un de ces rares endroits où se mêlent qualité de vie, convivialité et développement. Sa douceur ligérienne, son patrimoine historique et culturel prestigieux, son statut intemporel de « Jardin de la France », sa gastronomie généreuse et l’abondance de ses vignobles sont ses principaux atouts. Autrefois cité royale, devenue ville « rieuse, amoureuse, fraîche, fleurie, et parfumée » selon Honoré de Balzac, Tours est aujourd’hui une ville universitaire, moderne et animée, soucieuse de sa culture et de sa ligne. Histoire Tout commença au 1er siècle lorsqu’une ville romaine s’implanta sur un lieu déjà habité par une variété locale de Gaulois : les Turons. Au 4e siècle, la ville gallo-romaine est en pleine expansion. Avec la basilique Saint-Martin construite au 5e siècle, la venue de Clovis pour faire l’action de grâce, et celle de l’évêque Grégoire pour écrire « l’histoire des Francs », Tours devient rapidement la Capitale religieuse des Gaules, et sinon la Capitale Sainte des Mérovingiens. Au 13e siècle, la cité cessa d’être féodale pour devenir royale. Grâce aux finances du pouvoir central, l’édification d’un château royal aboutit. Au terme de la « Guerre de Cent Ans », Tours devient le centre politique du royaume de France. Louis XI y établit la Cour. Soierie, orfèvrerie, broderie, armurerie s’installent dans la cité où, dit-on dans le reste du pays, le français est le mieux parlé. On construit beaucoup, et notamment les plus majestueux châteaux de la Loire, comme Chenonceau (1513) et Chambord (1519). François Rabelais voit le jour à Chinon, François Ier s’installe dans la région, et Léonard de Vinci investit le Clos Lucé avant de mourir à Le Baromètre | 55 Bouillon de culture Amboise. Natif de Tours en 1799, Honoré de Balzac écrivit : « Ne me demandez pas pourquoi j’aime la Touraine. Je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis dans le désert, je l’aime comme un artiste aime l’art ». de la France libre » en juin 1940. La seconde moitié du 20e fut enfin une période de reconstruction et de sauvegarde des quartiers anciens. Tours connut l’âge d’or au 19e siècle avec la circulation du premier navire à vapeur en 1829, l’ouverture au public de la gare ferroviaire en 1845, l’aménagement du marché des Halles en 1865, et la construction du Grand Théâtre en 1868. La ville devient le siège du « Gouvernement de Défense Nationale » en 1870. Elle se dote d’un Palais de Justice, et d’un Hôtel de Ville en 1904. Tours connaît même un destin politique national sous les bombes de la Seconde Guerre Mondiale en devenant la « Capitale L’autoroute A10 relie Paris à Tours (238km/20,80 euros de péage). Les gares ferroviaires de Tours et de Saint-Pierre des Corps permettent de rallier la capitale en 55 minutes avec un TGV (30 euros), et en 2h00 avec un train Corail (14,50 euros). L’aéroport « Tours-Val de Loire » dispose de vols réguliers vers Figari, Dublin, et Londres. Transport Orientation et renseignements Office du tourisme, 78/82 rue Bernard Palissy. Tél. : 02 47 70 37 37 Mairie, 3 rue des minimes. Tél. : 02 47 21 60 00 Bureau de Poste, 1 boulevard Béranger. Tél. : 02 47 60 34 20. Fil bleu, 9 rue Michelet. Tél. : 02 47 66 70 70 Bus urbain (1,25 euros le ticket) À voir et à faire le premier jour En arrivant par le train à la gare SNCF, pensez à jeter un coup d’oeil à la façade de la Gare. La structure a été conçue par Victor Laloux, architecte tourangeau à qui l’on doit le musée d’Orsay à Paris, et la nouvelle basilique Saint-Martin à Tours. Sur la gauche en sortant, à l’angle de la rue de Nantes et la rue de Bordeaux, ne ratez sous aucun prétexte la savoureuse brioche nature – ou au pépites de chocolat – de la Briocherie Lelong, véritable institution à Tours depuis 1907 et qui s’est exportée à l’angle de Broadway et de la 6e avenue à New York. Au bout de la rue de Bordeaux, rue piétionne et commerciale, vous trouverez les restaurants aux terrasses ombragées de l’avenue Grammont – principale artère de la cité. Prenez à droite. Vous tomberez alors sur la place Jean Jaurès, où se dressent le Palais de Justice et l’Hôtel de Ville. Si ce n’est pas le jour du marché aux fleurs (Boulevard Béranger. 56 | Le Baromètre Samedi) continuez tout droit pour longer la rue Nationale et ses nombreux commerces. Au croisement de la rue Nationale avec les rues du Commerce et Colbert, arrêtez-vous un instant pour admirer les contours de l’Église Saint-Julien. Suivez la rue du Commerce sur la gauche. Vous verrez l’hôtel Goüin, fière bâtisse de la Renaissance. Un peu plus loin, une des plus belles et grandes « vieilles villes » d’Europe vous ouvre les bras ; un dédale de rues tortueuses animées jour et nuit par les étudiants et les touristes de toutes nationalités, si propice aux promenades et aux rencontres, et si irrésistible dans la cité tourangelle. Les joyaux de la Place Plumereau apparaissent enfin : maisons à colombages, bars, confiseries, restaurants. Chaque ruelle dissimule des trésors d’architecture et l’on s’y sent particulièrement bien. Si vous voulez faire une pause, accordez-vous un verre à la terrasse du Vieux Mûrier, un bar à la cote qui sert une délicieuse « pêche à l’eau » idéale pour se reposer au soleil. Prenez ensuite la rue du Grand Marché, puis à gauche sur la rue Bretonneau où vous croiserez le chemin du « Monstre », une sculpture moderne qui a su faire couler beaucoup d’encre. Plus loin, le Grand Marché des Halles est le rendez-vous incontournable des amoureux du bon manger et des produits typiques du terroir. En tournant à gauche sur la rue des Halles, vous verrez la Tour Charlemagne, élevée sur le tombeau de Luitgarde, épouse de Charlemagne décédée en 800. Juste en face se dresse la fameuse basilique Saint-Martin (1886-1924), édifiée sur le tombeau du Saint, visible dans la crypte. Prenez alors la rue Marceau sur la gauche et suivezlà jusqu’au bout pour rejoindre la rue des Tanneurs. Devant vous, des escaliers en pierre permettent de descendre sur les Quais de la Loire, où vous pourrez passer une bonne partie de la soirée. À voir et à faire le second jour Pour les amateurs d’objets et livres anciens, un détour par la rue de la Scellerie en venant de la rue Nationale s’impose pour chiner dans le quartier des antiquaires, et admirer la façade du Grand Théâtre (construit par Léon Rohard de 1868 à 1872). La rue de la Scellerie mène à la place François Sicard, porte d’entrée du musée des Beaux Arts (18 place François Sicard. Tél. : 02 47 05 68 73. Payant et Gratuit tous les 1er dimanche de chaque mois). Ancien Palais de l’Archevêché, ce musée entouré d’un somptueux jardin expose au public des collections renommées : Primitifs italiens, Mantegna, Rubens, Rembrandt, Delacroix, Monet, Rodin, et même Viera da Silva. Sur la gauche en remontant la rue Jules Simon, vous contemplerez la Cathédrale Saint Gatien, et son Cloître de la Psalette. Construite au 12e et 16e siècles, elle abrite de magnifique vitraux, et de monumentales grandes orgues, récemment restaurées. Prenez alors la rue Colbert sur la gauche ; de retour à l’Église Saint-Julien, si vous êtes curieux, le musée du Campagnonnage (8 rue nationale. Tél. : 02 47 21 62 20. Payant) évoque avec pédagogie une trentaine de métiers à travers de prestigieux chefs-d’œuvre, complexes et insolites, du début du 19e siècle à nos jours. Aménagé dans les celliers de l’abbaye Saint-Julien, le musée des vins de Touraine (16 rue Nationale. Tél : 02 47 21 62 20. ayant) tient à présenter la place éminente du vin : histoire, religions, rites sociaux, métiers, confréries bachiques, culture de la vigne. Un passage obligé pour tout oenologue en herbe ou avisé. Revenez ensuite place Jean Jaurès, et si ce n’est pas le jour de la brocante (boulevard Béranger. 4e dimanche de chaque mois), installez-vous au bar Le Palais, pour déguster un rafraîchissement mérité, face aux imposantes façades du Palais de Justice et de l’Hôtel de Ville. Où se loger Pour les plus petits budgets, l’auberge de jeunesse de Tours est toute indiquée (5 rue Bretonneau. À partir de 18,30 euros petit déjeuner compris. Tél. : 02 47 37 81 58). Pour plus de « standing », l’hôtel quatre étoiles l’Univers est une référence (5 boulevard Heurteloup. Tél. : 02 47 05 37 12). Si vous souhaitez sortir un peu de Tours, prenez le bus n°61 jusqu’à Rochecorbon. Vous croiserez alors sur le superbe site des Hautes Roches (86 Quai de la Loire. Tél. : 02 47 52 88 88). Cet hôtel-restaurant quatre Le Baromètre | 57 Bouillon de culture étoiles dont la réputation n’est plus à faire a su séduire une clientèle exigeante par ses chambres troglodytiques, ses plats raffinés, et sa vue imprenable sur la Loire. 02 47 20 67 29) et le Donald’s Pub (16 bis Rue Longue Échelle. Tél : 02 47 61 07 85) sont quant à eux des bars roots étudiants tout indiqués pour les concerts gratuits. Où manger Événements Parmi les innombrables bonnes tables du coin, retenons Le boeuf sur la place pour les meilleures pièces de viandes, les frites fondantes faîtes maison, et les sauces à en tomber par terre (35 place Grand Marché. Tél. : 02 47 38 83 84). La Charcuterie Hardouin pour grignoter les indémodables et délicieuses saucisses sèches (70 rue Bernard Palissy), la Brasserie Relais Buré pour les nostalgiques du petit Paris des années 30 (1 place de la Résistance. Tél. : 02 47 05 67 74). Pour les amateurs de crêpes, filez tout de suite à la Bigouden (3 rue Grand Marché. Tél. : 02 47 64 21 91), et pour les inconditionnels de la gastronomie savoyarde, retenez La sourie Gourmande (100 rue Colbert. Tél. : 02 47 47 04 80). Afin de terminer en beauté, allez donc prendre votre déjeuner à la Cuisine de Georges (20 rue Georges Courteline. Tél. : 02 47 36 92 04). Le maître des lieux vous mijotera lui-même ses petits plats et vous servira le meilleur vin entre deux discussions. Parmi les grands événements à ne pas manquer si vous passez dans le coin, citons : le festival de musique Aucard de Tours sponsorisé par « Radio Béton », la radio locale décalée ; les Fêtes Musicales, festival international de musique classique ; le fameux Festival de Jazz d’Avoine ; et sur un autre registre, Vitiloire, qui est « le » festival des vins de la Loire durant lequel 130 vignerons, caves coopératives et négociants s’installent en plein air pour présenter leurs vins au grand public. Une ville rieuse, amoureuse, fraîche, fleurie et parfumée. Où boire un verre et où sortir Pour les aventuriers du houblon, commencez votre quête par le bar des Frères Berthom (5 rue du Commerce. Tél. : 02 47 20 01 66) qui, avec son cadre rustique, sa musique rock-électro et son ambiance chaleureuse, reste un incontournable de la nuit tourangelle. Le Temps des Rois (place Plumereau. Tél. : 02 47 05 04 51) et le Vieux Mûrier (place Plumereau. Tél : 02 47 66 54 14) sont très appréciés dans la vieille ville. Le Pale (18 place Foire le Roi. Tél. : 02 47 64 80 56) est également très prisé, que ce soit pour son atmosphère « friendly » ou son jeux de fléchettes. Vous voulez un bon bar à cocktails ? Filez au Corsaire (187 avenue Grammont. Tél : 02 47 05 20 00). Un bar dansant ? Pensez à l’Ailleurs (rue de Châteauneuf), avec son ambiance sensuelle et sa salsa cubaine. Les Trois Pucelles (19 rue Briçonnet. Tél. : 58 | Le Baromètre Julien Berbigier, Promotion Jean-Denis Bredin, Série A. Entre nous L’Association des élèves-avocats 2009-2010 Clément Salines est le président de l’association des élèves-avocats de la promotion 2009-2010. Comme le lecteur de ces lignes pourra le constater, l’immense prestige lié à sa fonction l’a fait s’engoncer dans une mégalomanie galopante qui le pousse à s’exprimer à la troisième personne. Il est difficile de résumer en quelques phrases l’activité d’une association comme l’AEA et Clément succombera à la facilité en évitant de le faire. Sachez tout de même qu’en tant qu’élèves-avocats, vous êtes tous membres de cette association. Il espère que chacun apportera sa pierre à l’édifice et qu’il aidera à faire vivre cette belle école qu’est l’EFB. Il vous encourage à venir grossir les rangs des membres actifs en contactant dès à présent les directeurs des pôles d’activité qui vous intéressent. Pour le reste, écologie oblige, il ne gâchera pas davantage le précieux papier du Baromètre et va laisser s’exprimer ceux qui, contrairement à lui, travaillent… Et n’oubliez pas : pour qu’un élève-avocat soit fier de sa formation, il doit d’abord être fier de son association. Alors aidez-nous à rendre aussi mémorable qu’il est possible la promotion parrainée par l’immense Jean-Denis Bredin ! Le Baromètre | 59 Entre nous Bureau Président : Clément Salines | Contact : [email protected] Vice-Président : Antoine Vey | Contact : [email protected] Trésorier : Olivier Dorgans | Contact : [email protected] Secrétaire Général : Julien Berbigier | Contact : [email protected] Secrétaire chargé de Communication : Olivier Vuillod | Contact : [email protected] Coordination des évènements : Florie Caillot | Contact : [email protected] Pôle jurisnight Chaque mois, Florie et son équipe se démènent pour vous concocter une soirée exceptionnelle dans les plus belles salles de la capitale. Entrée et boissons à un prix défiant toute concurrence pour une ambiance à la fois festive et bon enfant, un rendez-vous désormais incontournable ! Contact : Florie Caillot, [email protected] Pôle professionnel Le nouveau pôle professionnel a pour mission de faire le lien entre les élèves et les secteurs juridiques offrant des débouchés. Il se chargera également d’organiser des colloques sur la place de l’avocat dans la société de demain. Contact : Marie Pivot, [email protected] Pôle solidarité Le pôle solidarité est une aventure à laquelle participent des personnes motivées qui travaillent pour développer des projets qui impliqueront les élèves-avocats dans des actions tournées vers les élèves-avocats eux-mêmes, et vers l’extérieur, en utilisant autant que possible ce lien juridique qui nous caractérise. Solidairement vôtre ! Contact : Marion Souid, solidarité@aea-paris.net 60 | Le Baromètre Pôle intégration Le pôle intégration vous propose deux weekends de fête et de convivialité. Au programme : s’amuser, faire la teuf et créer des liens entre les futurs avocats que nous sommes. Le premier week-end, nouveauté créée par l’AEA 2009, a lieu les 27 et 28 juin. Il a pour but de célébrer dignement la fin des cours pour certains et de permettre aux autres de rencontrer leurs futurs camarades de promo. Après le soleil, la neige ! Le second week-end renoue avec les traditions et vous emmène sur les pistes pour faire du ski, du surf et la fête. Le pôle intégration est dirigé par Ludivine Verweyen et Jacques Mandrillon et activement soutenu par tous les membres de l’AEA. L’intégration des élèves-avocats est le souci de tous ! En espérant que vous serez nombreux à nous rejoindre lors de notre prochain événement ! Contact : Ludivine Verveyen et Jacques Mandrillon, [email protected] Pôle Baromètre Le baromètre est le journal de l’EFB. Il a pour ambition de retranscrire vos expériences d’élèves-avocats, de votre scolarité elle-même aux activités organisées par l’AEA, mais aussi de vous raconter le monde extérieur, juridique ou encore culturel. Nous sommes également en quête de nouvelles plumes alors, si vous vous sentez une âme de journaliste, n’hésitez pas à nous rejoindre ! Contact : Lydia Hamoudi, [email protected] Pôle juris’cup Chaque année depuis dix-neuf ans, la Juris’cup accueille à Marseille, mi-septembre, 2 200 personnes de toute la France et de l’étranger pour le plus grande régate du monde juridique et judiciaire. L’AEA sera évidemment présente pour représenter l’EFB et réitérer la performance de l’année dernière. Venez soutenir le ou les bateaux coureurs à bord des trois bateaux accompagnateurs réservés pour les élèves de l’EFB. Au programme : un week-end de voile et de fête dans la rade de Marseille. Contact : Paul Jourdan-Nayrac, [email protected] Pôle international Parce que la profession d’avocat tend à s’internationaliser, l’AEA dispose également d’un pôle international. Nous souhaitons notamment organiser un law trip dans une ville européenne et mêler ainsi culture et plaisir ! Et parce que l’international se conçoit aussi près de chez vous, nous vous attendrons pour des verres très… internationaux. Contact : Hélène Lallemand, [email protected] Pôle sport Toujours aussi actif et diversifié, le pôle sport continue sa route via la nouvelle équipe de l’AEA. Au programme : reprise des vieux succès (Juris’Cup, Question pour un champion, équipe de football), et développement de nouveaux projets (tournoi de Guitar Hero, compétition de poker, mini tournoi de basket-ball) ! N’hésitez pas à nous contacter si vous avez quelque chose en tête ! Contact : Benjamin Porcher, [email protected] Le Baromètre | 61 Entre nous Pôle gastronomie Pôle théâtre Faire du théâtre à l’EFB ! Oyez Oyez futurs avocats ! Si vous souhaitez participer à une pièce de théâtre, en tant que comédien, metteur en scène, régisseur, musicien, décorateur, costumier ou maquilleurSi vous souhaitez prendre des cours d’impro et/ou participer à des batailles d’impro, Si vous avez de supers idées ou projets culturels, théâtre ou autre, Si vous voulez vous exprimer, vous lâcher, vous éclater à l’EFB ! Rejoignez le pôle théâtre de votre AEA ! Contact : Anne-Claire Veysset, [email protected] Pôle éloquence Le pôle éloquence à plusieurs objets : poursuivre les activités de la petite conférence mais également instaurer des cours d’improvisation en libre accès une fois par mois en partenariat avec le pôle théâtre avec l’intervention d’un ancien et actuel Secrétaire de la Conférence et des professeurs de théâtre. Nous envisageons aussi d’instaurer un cycle de débats trois ou quatre fois dans l’année entre un avocat et un magistrat, journaliste etc… Nous allons créer une fédération de l’éloquence avec la Conférence du Stage et la Conférence Lysias notamment et prendre contact avec les grandes écoles parisiennes de commerce et d’ingénieurs pour organiser un concours où l’EFB serait représentée. Contact : Pierre-Philippe Boutron, [email protected] 62 | Le Baromètre Tout nouveau tout beau, le pôle gastronomie est né cette année avec un objectif simple : ravir vos papilles ! Au programme des dîners à thèmes pour découvrir les cuisines du monde, des visites/petits déjeuners au quai Branly pour allier le plaisir des yeux et de la bouche, des brunchs… Alors si vous aimez la bonne chair et avez envie de faire partager des bons plans ou idées gastronomiques, goûter de nouvelles choses et bien sûr rencontrer vos futurs confrères autour d’un bon repas, n’hésitez pas ! Contact : Amélie Najsztat, [email protected] Pôle rencontre Le pôle rencontre a été créé pour développer nos relations avec nos voisins du droit, les CRFPA, les ENM, les futurs notaires, les jeunes experts-comptables… par le biais d’afterworks. Il vous permettra de rencontrer des personnalités issues ou non du monde du droit à l’occasion de conférences ou de débats. Enfin et surtout, il vous organisera des speed datings où vous pourrez vivre des moments sympas de détente et plus si affinités… Contact : Jacques-Alexandre Bouboutou, [email protected] #9 Le Baromètre Juillet 2009 Le Baromètre | 63 Préparez-vous à réussir votre examen du CRFPA avec Prépa Dalloz ! Sur Internet ou en prépa d’été : >> >> >> >> >> des supports de révision dédiés au CRFPA et actualisés, une équipe pédagogique qualifiée, des entraînements en situation, l’actualité juridique en continu, un accès en ligne aux manuels, revues, codes Dalloz... Rendez-vous dès à présent sur www.prepa-dalloz.fr et découvrez nos 5 formules pour réussir votre examen !