Golden Boys 3.2: Benj (Collection Eros) (French Edition) - e

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Golden Boys 3.2: Benj (Collection Eros) (French Edition) - e
Benj
Golden Boys 3.2
De Fleur Hana
Tous droits réservés, y compris droit de reproduction totale ou partielle, sous toutes formes.
©2013Les Editions Sharon Kena
www.leseditionssharonkena.com
ISBN : 978-2-36540-491-4
Acte III : Lui
Benjamin attend en face de l’adresse communiquée par Fanny. La rue est déserte à cette heure
avancée de la nuit, mais si le connard n’a pas changé ses habitudes, il ne devrait plus tarder. Ça fait
une semaine qu’il ronge son frein en attendant la bonne opportunité, et la voici enfin. Il voit arriver un
couple titubant. Le gentleman raccompagne sa nouvelle escort-girl chez elle et c’est le moment qu’a
choisi Benj pour enfin faire ce qui le démange depuis plusieurs jours.
Une fois la jeune femme dans le hall de son immeuble, il sort de sa voiture et se précipite sur le
richard. Celui-ci ne voit rien venir et se retrouve plaqué contre la façade du bâtiment qu’il longeait.
— Tu te souviens d’avoir violé une femme la semaine dernière ? lui murmure Benj à l’oreille.
L’agresseur frémit, la voix de celui qui le maintient de force est trop calme et contrôlée, ça
n’augure rien de bon. Il ne répond pas, alors Benjamin l’écrase un peu plus.
— Je te demande si tu te rappelles avoir forcé une jeune femme à coucher avec toi, sale raclure !
Il hoche enfin la tête et Benj, maintenant certain de ne pas faire erreur sur la personne, saisit
l’homme par la nuque et tape violemment son visage contre le crépi. L’autre lâche un juron et se met
à le menacer :
— Laissez-moi ! Je vais porter plainte, je…
— Je ne crois pas, non, parce que si tu fais ça, tout le monde sera au courant que non seulement
t’es pas foutu de te dénicher une nana et que tu dois embaucher une petite amie, mais qu’en plus tu es
un putain de violeur ! Je vais te dire ce que tu vas faire : tu vas arrêter de te fournir en gonzesses et je
te garantis que je saurai ce qu’il en est. Je ne suis pas là par hasard ce soir, c’est clair ?
Il acquiesce encore et Benj le retourne pour lui asséner un coup de poing dans le ventre et un autre
dans la mâchoire qui le fait tomber à terre. Là, il lui balance quelques coups de pieds et l’abandonne
sur le trottoir. L’envie de l’achever est trop forte et il risquerait vraiment de perdre les pédales s’il
continuait. Alors il joue la carte de la sécurité, parce que lui en prison, il ne serait plus utile à
personne. Et aujourd’hui, il se sent responsable de Fanny et Laura, plus qu’il ne l’a jamais été de
personne.
Il remonte dans sa voiture et se rend chez elle.
Elle lui ouvre rapidement, elle l’attendait. Il entre et elle se jette dans ses bras, tremblante.
— Ça va, la rassure-t-il en lui caressant le dos.
Elle se recule et l’observe en détail jusqu’à ce qu’elle remarque les phalanges de sa main droite en
sang.
— Viens, lui dit-elle simplement.
Elle le conduit sur le canapé et va chercher de quoi le soigner. Pendant ce temps il se faufile
silencieusement dans le couloir et jette un œil à la silhouette paisible et endormie de la petite fille
blottie sous ses couvertures. C’est là que Fanny le trouve.
— Elle a demandé après toi aujourd’hui…
Depuis une semaine, Benj ne laisse pas passer un jour sans venir voir Laura et sa mère. Il joue
avec la fillette et se contente d’être présent pour Fanny. Celle-ci ne parle presque pas, elle ne porte
plus vraiment les marques de son agression mais il sait que les plus tenaces, celles qu’on ne voit pas,
mettront du temps à s’estomper. Quand il vient les voir, elle les regarde s’installer au salon, sourit à
chaque fois que sa fille l’observe et reprend son air absent quand elle pense que personne ne la voit.
Lui n’est pas dupe. Il sait que ça ne va pas, comment est-ce que ça pourrait aller après ce qu’elle a
vécu ? Elle refuse bien sûr de porter plainte, ça dévoilerait ses activités illicites et l’autre ne se
gênerait pas pour contre-attaquer. Il aimerait au moins qu’elle en parle à un professionnel mais elle
ne veut pas non plus. Alors il fait ce qu’il pense être la meilleure chose étant donné les
circonstances : il se contente d’être présent.
La semaine passée, il a assuré pour elle les soirs à la boîte. Mais il a insisté pour lui en donner le
salaire. Elle ne travaille plus, elle ne donne même plus ses cours. Il espère qu’elle va réussir à
surmonter le traumatisme, parce qu’il ne peut subvenir entièrement à leurs besoins, même s’il
aimerait pouvoir le faire.
Ils s’installent au salon et elle désinfecte sa blessure avec précaution. Il la regarde prendre soin de
lui et la trouve vraiment changée. Elle a perdu ce petit côté hautain qui ressortait surtout quand elle
était en mode prof de pole dance. Elle essaie d’être forte, il s’en rend bien compte…
— Elle dort, fait-il remarquer.
Fanny lève les yeux de sa main blessée et sourit.
— Je sais.
Même son sourire est factice.
— Ce que je veux dire, c’est que si tu as besoin de lâcher un peu la pression, c’est le moment,
précise-t-il.
— Je ne peux pas faire ça, Benj. Si j’ouvre les vannes, je ne crois pas que je pourrai les refermer
de si tôt.
Elle reprend son travail d’infirmière et il la laisse entourer ses doigts d’une bande de gaze. Dès
qu’elle a terminé, avant qu’elle n’ait le temps de se lever pour ranger la trousse de secours, il l’attire
contre lui. Elle se laisse faire. Il est assis sur le canapé, elle est à genoux devant lui et elle pose la
tête sur ses cuisses. Il lui caresse doucement la nuque et il finit par l’entendre pleurer. Elle essaie
d’être discrète mais un léger sanglot s’échappe de temps à autre. Ils restent longtemps comme ça, de
longues minutes, peut-être une heure. Quand elle semble prête à se relever, il prend délicatement son
visage en coupe.
— Je reste ce soir, d’accord ?
Elle sourit. Ils ont pris cette habitude depuis le lendemain de son agression. Il sait que Laura
s’attache à lui mais comme il n’a pas l’intention de les lâcher, ça ne le dérange pas. Ils déplient le
canapé et, comme chaque soir, se couchent l’un contre l’autre. Il la prend dans ses bras, elle se
rapproche de lui, il dépose un baiser dans ses cheveux et ils s’endorment enlacés.
***
Leur nouvelle routine est d’aller ensemble, tous les trois, à l’école. Benj voit bien que ça fait
plaisir à Laura, et Fanny ne lui a pas encore demandé de les laisser tranquilles, alors il reste dans le
coin.
L’école n’est pas loin, ils y vont à pied. Laura donne la main à Benj, il ne veut pas faire de la
psychologie de comptoir mais il semblerait que la petite miss avait bien besoin d’une présence
masculine dans sa vie. Il ne veut pas trop se projeter mais il n’imagine plus son quotidien sans elles.
Alors bon, si elle veut le voir comme un papa de substitution, ça lui convient.
Ils arrivent devant le portail et il sent Fanny lui attraper le bras et le serrer. Il suit son regard. Un
père embrasse son enfant et quand il se relève, il lance une œillade vers eux et Benj capte la surprise
sur son visage. Il n’a pas besoin qu’elle lui explique que ce type a probablement été un client…
Jusqu’où est-elle allée avec lui ? Il n’a même pas envie de le savoir. Ils disent au revoir à Laura,
Benjamin lui promet de revenir la voir le lendemain, puis il entraîne Fanny loin d’ici. Il ne dit rien,
c’est inutile, elle est déjà assez accablée. Par contre, aujourd’hui il va essayer de faire bouger les
choses.
— Je t’amène voir une copine ce matin, annonce-t-il sur le chemin du retour.
— Qui ?
— Elle bosse dans un snack, c’est pas la panacée mais elle m’assure qu’ils arrangent les horaires
pour les parents. Faudra sûrement que tu mettes Laura à la cantine par contre.
— Attends, de quoi tu parles ? lance-t-elle en s’arrêtant au milieu du trottoir.
Il revient sur ses pas et lui fait face.
— Il te faut un boulot, non ? Ne me dis pas que tu avais l’intention de recommencer ?
Elle ne répond pas.
— Je peux vous aider, Fanny, mais tu sais autant que moi que ça ne suffira pas. Alors il va falloir
que tu bosses et il n’est pas question que tu retournes faire la…
— Ben dis-le, faire la pute.
Il ferme les yeux, compte jusqu’à dix pour garder son calme et les rouvre.
— Ok, t’es pas obligée d’être agressive, d’accord ? Maintenant on ne va pas faire semblant, on ne
va pas d’un coup réagir comme si tu n’avais pas fait tout ce que tu as fait. Ça ne veut pas dire que tu
dois rester bloquée dessus. Laura compte sur toi.
— Je sais, merci, je me suis débrouillée huit ans sans toi, je pense que je m’en sortirai seule.
Il recule d’un pas et accroche son regard au sien. Il pensait bien que tôt ou tard elle passerait en
phase d’ajustement et elle est en version agressive. Il a fait des recherches sur Wikipédia, c’est tout
ce qui était à sa portée. Il essaie de se raisonner, de se dire que ce n’est pas contre lui, mais c’est pas
évident. Il sait qu’il doit être patient mais il a du mal à s’imaginer en punching-ball.
Il se contente donc de hausser les épaules et d’attendre de voir si elle a autre chose à lui dire. Elle
reprend le chemin de chez elle en l’ignorant. Il hésite à la suivre, elle a peut-être besoin d’être
seule… Il a ses clefs de voiture en poche, il peut aussi bien la laisser un peu respirer et rentrer
bosser chez lui.
Il lui emboîte le pas mais quand elle disparaît dans l’immeuble, il bifurque pour rejoindre sa
voiture. Il s’installe au volant et au moment de démarrer, la portière passager s’ouvre. Elle entre et
s’assoit. Il la regarde alors qu’elle fixe un point au loin devant elle.
— Désolée, je sais que tu veux m’aider, je sais pas ce qui m’a pris.
— Pas de souci.
— Si, y’a un souci. J’ai l’impression d’être un énorme boulet pour toi.
Il défait sa ceinture et s’approche d’elle. Il lui attrape doucement le menton et tourne son visage
vers le sien. Ses yeux sont brillants.
— Tant que tu veux de moi, je reste dans les parages. Si tu en as marre de me voir, tu me le dis et
je te laisse tranquille, ok ?
Elle hoche imperceptiblement la tête et il voit une larme s’échapper. C’est un signe qu’il connaît
bien maintenant, elle n’est que l’éclaireuse des nombreuses autres qui vont suivre d’ici quelques
secondes. Il la prend dans ses bras pour qu’elle puisse se laisser aller.
— J’ai peur de rester seule, lui confie-t-elle entre deux sanglots.
— Alors viens avec moi, je dois bosser un peu… On ira chercher Laura et on l’amènera manger
quelque part, ça te va ?
Elle acquiesce et lui sourit. Cette fois, il sent qu’elle est soulagée.
— Et si tu veux, on ira voir Lola cet après-midi.
— C’est ta copine qui travaille dans un snack ?
— C’est ça, c’est la copine de Dante en fait… Elle est passée manager et elle te propose de faire
un essai si tu veux.
— J’ai jamais bossé dans la restauration…
— Et alors ? Tu en es capable. Allez, on y va. Tu veux prendre quelque chose chez toi ?
— Non, j’ai tout ce qu’il me faut.
Ils attachent leurs ceintures et il démarre. Elle pose sa main sur son genou et y exerce une petite
pression. Il sait que c’est sa façon de le remercier.
***
Ça fait deux heures qu’il bosse sur une nouvelle commande et que Fanny se repose sur son lit. On
dirait que cette histoire l’a vidée de ses forces… Il lui jette un coup d’œil discret de temps en temps,
il a peur qu’elle fasse une déprime, pour ne pas dire dépression. Le mot le terrorise. Il voit bien qu’il
a déjà du mal à gérer la situation, alors si en plus on passe au stade inférieur, ça risque d’être
chaotique. Il tente de la motiver…
— Tu veux pas qu’on s’entraîne pour le duo ? Tu finiras bien par y retourner, non ?
Il sait qu’elle adore danser, bien sûr c’est compliqué, il y a le côté « monter sur scène »,
s’exhiber… elle n’est peut-être pas prête pour ça. Mais tous les deux, dans sa chambre, ça devrait
aller… Il n’a jamais démonté la barre ni replacé les meubles.
Elle se redresse un peu et semble réfléchir.
— Bon, toi tu fais comme tu le sens mais moi je suis obligé de m’exercer, je danse ce soir…
Le temps qu’elle se remette, il la remplace à la boîte. Finalement, il ne lui reste pas beaucoup de
soirées de libres entre ça et les Golden Boys. Mais s’il ne danse pas les soirs de Fanny, elle les
perdra et n’aura plus de boulot quand elle se sentira de reprendre. Des fois il se demande pourquoi il
se sent autant responsable d’elle. Il ne la connaît que depuis quelques semaines, il a juste couché
avec elle… Et pourtant, c’est comme une évidence, il ne s’est même pas posé la question. Ça lui
vient naturellement.
Il se met à l’aise et enlève son jean mais réalise qu’elle va peut-être être embarrassée après ce
qu’elle a vécu. Il tourne la tête vers elle pour jauger sa réaction et s’aperçoit qu’elle se met
également en tenue. Bon, ok, ça va le faire…
Il lance la musique, il opte pour The Sea de Morcheeba, histoire de reprendre tranquillement.
C’est un morceau parfait pour la barre, sensuel et qui permet de faire des mouvements tout en
douceur. Elle se dirige vers lui, se hisse sur la pointe des pieds et l’embrasse. C’est un baiser léger,
elle a à peine effleuré ses lèvres. Mais il dégage une intensité bien plus forte que n’importe quelle
autre façon de s’embrasser. Elle commence à danser seule, pratique des enchaînements qu’il
reconnaît bien, car elle les lui a enseignés. Et soudain, il se sent de trop. Il remet lentement ses
fringues et sort de la pièce. C’est presque l’heure d’aller chercher Laura. Depuis la semaine dernière,
il est sur la liste des personnes autorisées à la récupérer alors il laisse un mot à Fanny et décide
d’aller leur prendre des plats à emporter et de revenir ici avec la miss.
Après avoir raccompagné la fillette à l’école, ils se rendent au snack où bosse Lola. Fanny se
dandine un peu sur son siège.
— Tu as changé d’avis ? On n’est pas obligés si tu le sens pas… la rassure-t-il.
— Non, je peux pas me reposer sur toi éternellement, il faut que je me bouge, répond-elle d’un ton
décidé.
Ils arrivent sur place et il laisse Lola prendre les choses en main. Il ne veut pas donner
l’impression qu’elle est assistée et ne peut rien faire sans lui. Il sort passer un coup de fil à Yoan
pour vérifier leurs engagements de cette semaine. Quand il estime qu’elles ont eu le temps de
discuter, il les retrouve à l’intérieur.
— Ben alors, il lui est arrivé quoi à ta main ? s’étonne Lola devant les phalanges écorchées de
Benj.
— Rien de grave… élude celui-ci.
Mais Lola, c’est pas vraiment le genre à lâcher l’affaire comme ça. Elle s’approche et lui prend la
main.
— Tu t’es battu ! Tu crois que je ne sais pas reconnaître les marques que laissent des coups ? le
sermonne-t-elle en mettant les poings sur les hanches.
— Tu regardes trop de films. C’est en dansant, j’ai pas fait gaffe, je me suis écorché sur le mur…
— Mouais… si tu le dis…
Le regard suspicieux qu’elle lui lance lui indique bien qu’elle n’est pas dupe, elle sait qu’il lui
cache quelque chose. Cette nana est vraiment trop perspicace. Il décide de dévier la conversation.
— Alors, le job ? demande-t-il à Fanny, en ignorant Miss Columbo.
— Je fais une semaine d’essai à partir de lundi.
Elle sourit, c’est bon signe. Il se détend un peu, il ne s’était pas rendu compte à quel point il était
stressé avant ça… Premier objectif atteint !
— Vous êtes ensemble ? demande Lola, avec sa discrétion habituelle.
— Non, pas vraiment… répond Benj.
— Oui, répond Fanny en même temps.
Le regard de l’inquisitrice navigue de l’un à l’autre alors que Benjamin réalise qu’il vient de
gaffer. Fanny regarde ailleurs, elle est embarrassée. Et lui se sent vraiment con.
— On y va ? On doit faire des courses et…
— Ok, dit-elle en se levant. Merci Lola, je repasse demain te déposer les papiers pour la période
d’essai. J’apprécie que tu me laisses ma chance.
Elles se serrent la main, Benj fait la bise à Lola et les voilà tous les deux sortis.
Une fois dans la voiture, il se sent obligé de rompre le silence.
— Je ne savais pas quoi répondre… tente-t-il.
— C’est bon, on n’était pas ensemble avant… avant… tu sais quoi… Et on ne l’est pas plus
maintenant, y’a pas de souci.
Elle boucle sa ceinture et tourne la tête vers la vitre. Il voit bien qu’elle lui en veut mais merde,
comment pouvait-il savoir à quoi s’en tenir ? Elle lui avait pourtant bien fait comprendre, et puis… il
ne sait plus.
— Fanny, je suis désolé, j’aurais voulu qu’on en parle avant…
— J’ai compris, t’en fais pas. J’apprécie tout ce que tu fais pour nous mais on va bientôt pouvoir
se débrouiller si je décroche ce boulot… Tu vas récupérer ta vie et te débarrasser de ta bonne action
sociale.
Elle ne le regarde toujours pas, il la trouve à nouveau agressive, comme sur le chemin du retour de
l’école. Rome ne s’est pas faite en un jour, essaie-t-il de se convaincre. Elle a besoin de patience, de
compréhension…
— Écoute, j’aimerais qu’on en discute entre nous avant de…
— Y’a rien à dire, Benj, je comprends que tu ne veuilles pas d’une pute qui se traîne maintenant un
viol à gérer par-dessus ses nombreuses autres tares.
Mauvais plan. Il pousse un long soupir. Comment peut-elle sincèrement croire que c’est comme ça
qu’il la voit ? Elle est traumatisée, ok, mais ça ne lui donne aucune raison pour… si, ça lui donne des
excuses, allez, patience on a dit…
— Fanny, tente-t-il en posant la main sur son bras, jamais je ne te considèrerai comme ce que tu
viens de décrire, d’accord ? Je sais pas ce que je suis pour toi, mais pour moi tu comptes beaucoup.
Elle ne répond pas, garde ses lunettes de soleil sur le nez et il ne distingue qu’un bout de son
profil. Il ne doit pas la brusquer, il se rappelle qu’il doit y aller mollo avec elle… Alors il défait sa
ceinture, se penche un peu sans lâcher son bras pour qu’elle sente qu’il fait un mouvement vers elle…
et il passe la main sur sa nuque. Doucement. Il la pose de manière à ce que leur peau entre légèrement
en contact, il l’effleure sous ses cheveux parfaitement lisses. Il approche lentement le visage et
dépose un baiser sur son épaule. Elle sursaute, merde !
— Pardon, je ne voulais pas te faire peur…
Elle se retourne enfin et il constate que son visage est trempé par les larmes silencieuses qui
doivent couler depuis quelques minutes.
— Je suis cassée… parvient-elle à murmurer. Il m’a abîmée, tu ne peux même pas me toucher sans
que je pense aux horreurs qu’il m’a faites.
Il soupire. Bien sûr qu’elle se sent brisée… Son rôle à lui est de la rassurer du mieux qu’il peut.
— Je sais que tu as l’impression d’être tellement au fond que tu ne pourras plus remonter. Mais je
t’assure que je ne bougerai pas, je t’attendrai le temps qu’il faudra. Je suis convaincu que tu iras un
peu mieux chaque jour, ok ? C’est à ça qu’on va employer notre énergie. Et si tu voulais juste… tu
sais… consulter…
Il se passe nerveusement une main dans les cheveux et son regard la fuit. Il sait qu’il ne devrait pas
insister mais il ne voit pas comment sa simple présence suffirait à l’aider. Elle a besoin de consulter
un psy pour exorciser ce qu’elle a vécu, c’est pas son boulot et il n’a aucune idée de comment s’y
prendre ! Il la regarde à nouveau et elle a enlevé ses lunettes, elle le fixe.
— Ok, dit-elle simplement.
— Ok ? Tu veux voir quelqu’un ?
— Je vais le faire parce que ça semble important pour toi. Et tu es important pour moi.
— Je pense vraiment que ça te fera du bien, lui murmure-t-il en tendant le bras vers elle.
Il n’ose plus trop s’approcher, il doit la laisser faire le premier pas maintenant. C’est à elle de
prendre l’initiative s’il ne veut pas la brusquer. Et c’est ce qu’elle est en train de faire, à son grand
soulagement. Elle réduit la distance entre eux et pose la tête sur son torse. Il lui caresse doucement
les cheveux. Elle soupire.
— Je ne sais pas comment je ferais sans toi…
— Tu surmonterais tout ça, parce que tu n’as pas le choix, mais je préfère être présent.
— Merci, Benj, pour tout.
— Allez, il nous reste pas beaucoup de temps avant l’école, tu veux faire quoi ? Ça te dirait
d’aller boire un café en terrasse ? Il faut profiter du soleil, t’en penses quoi ?
Elle se redresse et lui sourit au milieu des larmes séchées. Elle acquiesce, et les voilà partis pour
un instant de détente.
***
Trois semaines se sont écoulées depuis le viol. Fanny s’est bien adaptée à son nouveau boulot.
Benj est rassuré qu’elle travaille avec Lola, ça lui permet, l’air de rien, de vérifier si tout se passe
bien.
Il a fait sa soirée à la boîte et s’apprête à rentrer chez lui quand il est projeté au sol. Les clefs de
sa voiture glissent sous celle-ci et quand il tente de se relever, il reçoit un tel choc dans le ventre
qu’il hurle sous la violence de la douleur qui lui tord les entrailles. Il s’appuie sur les coudes pour ne
plus être à terre, à la merci de son assaillant, quand il est à nouveau écrasé contre le bitume. Ils sont
au moins deux : l’un le maintient immobile pendant que l’autre lui expédie un coup de botte coquée
dans le visage. Il encaisse quelques coups quand il entend du bruit du côté de l’entrée de service. Là,
ses agresseurs le relâchent et il sent l’haleine alcoolisée de celui qui s’abaisse à son niveau :
— C’est un cadeau de la part de qui tu sais. Mets-toi encore une fois en travers de son chemin et
c’est la fille de ta petite copine qui y passe.
Il lui crache dessus et s’en va. Quelques instants après, il capte une certaine agitation autour de lui.
Quand il aperçoit les lumières des secours se refléter sur la façade du Magic Night, il se laisse aller
et sombre dans une rassurante pénombre… puis il glisse dans l’inconscience, protection automatique
que son corps lui offre pour l’aider à supporter la douleur.
C’est quoi cette odeur ? On se croirait dans un hôpital… Benj ouvre un œil, pas les deux, a priori
c’est impossible. Il est dans une chambre aux murs verts à donner la nausée à n’importe qui. Il a donc
la confirmation qu’il est bien à l’hôpital, car ce sont les seuls endroits qui mettent un point d’honneur
à vous rendre encore plus mal à l’aise que vous ne l’étiez en entrant. Il essaie de se redresser mais un
élancement insupportable se déclenche dans ses côtes et il pousse malgré lui une plainte douloureuse.
— Hey…
Il sent sa main sur la sienne et tourne doucement la tête. Fanny a une tête à faire peur, pire qu’après
son viol. Les cernes sous ses yeux sont la preuve qu’elle n’a pas dû se reposer depuis un sacré bout
de temps. Il essaie de parler mais sa bouche est trop sèche. Il réussit tout de même à articuler « soif »
et elle approche immédiatement un gobelet muni d’une paille. Il aspire un peu d’eau et finit par
reposer la tête sur son oreiller. Enfin il parvient à parler.
— Laura…
— Elle est avec Lola… Elle va bien.
— Et toi ?
— Benj, c’est toi qui es dans un lit d’hôpital… On s’en tape de comment je vais. Toi, comment tu
te sens ?
— J’ai mal… Il s’est passé quoi ?
— Tu ne t’en souviens pas ?
— Vaguement… Je crois que je suis tombé dans une embuscade, ils m’attendaient…
Il s’interrompt un instant car parler réveille la douleur de son œil gauche, qu’il ne peut ouvrir. Il
regarde à nouveau Fanny.
— Je fais peur ?
— Un peu…
— J’ai quoi ?
Elle hésite. Le bilan ne doit pas être plus beau à voir que son visage. Il la fixe de son œil valide
pour l’inciter à parler.
— Trois côtes brisées, des hématomes sur le corps et au visage. Mais rien de vraiment grave.
Il hoche la tête. Ça ira, d’ici quelques semaines tout ira bien.
— Est-ce que tu sais qui a fait ça ? lui demande-t-elle en serrant un peu sa main.
— Je n’ai pas vu mes agresseurs, ils m’ont plaqué au sol.
— La police attend que tu sortes de l’hôpital pour que tu puisses aller faire ta déposition. Mikaël
et Leslie ont vu deux hommes s’enfuir, c’est eux qui ont appelé les secours.
C’est donc eux qu’il avait entendus sortir des coulisses. Il faudra qu’il pense à les remercier car
sans leur intervention, il ne sait pas dans quel état il serait à l’heure actuelle.
— Benj… commence Fanny, hésitante.
Il la regarde à nouveau et elle pleure. Merde. Il va avoir du mal à la soutenir dans l’état où il se
trouve, et la frustration déclenche une colère qu’il tente de masquer. Elle serait capable de s’en
croire responsable.
— Qu’est-ce qui te travaille ? demande-t-il.
— C’était lui ?
Il détourne le regard. Elle n’a vraiment pas besoin de savoir ça.
— Non, j’aurais reconnu sa voix et il n’est pas du genre à se salir les mains, tente-t-il de biaiser.
— Mais c’était des hommes qu’il a embauchés tu crois ?
— Ça m’étonnerait. Je pense plutôt que c’est une histoire de mari jaloux. J’ai couché avec pas mal
de filles dans les soirées qu’on fait avec les Golden Boys…
Il se tait, il a mal. Doublement. Mal de rappeler à Fanny qu’il a un passé de coureur de jupons,
mais parler lui est également douloureux physiquement.
— Ils vont te laisser sortir demain. D’après eux ça ne sert à rien que tu restes, et si ton état reste
stable ces prochaines vingt-quatre heures, tu pourras rentrer.
— Ok, c’est bien, je déteste les hôpitaux.
— Comme tout le monde, je pense…
— Ouais…
— Je veux que tu viennes à la maison. On va se relayer pour s’occuper de toi avec Lola et Dante
aussi et…
— Tu as assez de problèmes comme ça, je vais pas m’incruster chez toi. Et puis tu dirais quoi à
Laura ?
— Elle est assez grande pour comprendre.
— Vaut mieux qu’elle ne me voie pas, le temps que je fasse moins peur.
— Tu vas trop lui manquer et tu le sais, je ne peux pas lui mentir indéfiniment…
— Je vais rentrer chez moi, c’est mieux.
Elle ne dit plus rien. Il se tourne en grimaçant à cause de la douleur que chaque mouvement lui
déclenche dans les côtes. Et il constate qu’elle pleure en silence. Alors il comprend qu’elle se sent
responsable, mais aussi qu’elle a encore besoin de lui près d’elle. Quel con. Il s’imaginait que son
agression allait effacer la sienne ? Il tend la main pour toucher son genou, au prix d’un effort qui lui
semble surhumain.
— Ok, arrête de pleurer, je vais venir…
Elle secoue la tête. Bon, maintenant ils sont dans le jeu « finalement non », « mais tu voulais »,
« c’est trop tard », bref, il n’a vraiment pas la force de rentrer dans ce système alors tant pis, il se
laisse aller à être un peu brusque.
— Putain, Fanny, je te dis que je vais venir ! J’ai mal partout, je suis épuisé, alors, sois gentille,
dis-moi que c’est bon, que demain tu viens me chercher et que tu vas m’installer dans ton salon,
comme ça je peux dormir un peu…
— D’accord… murmure-t-elle d’une petite voix.
Il ferme les yeux, enfin uniquement son œil en bon état, et tâtonne pour trouver la main de Fanny. Il
la serre et l’amène contre son torse. Elle se penche et l’embrasse doucement sur les lèvres.
— Je ne pars pas, je reste avec toi… l’entend-il murmurer avant de s’endormir.
***
— Ok, je peux marcher seul, s’agace-t-il en repoussant du mieux qu’il peut Matt et Dante qui lui
servent de béquilles.
— Ouais, manquerait plus que tu te rétames dans les escaliers…
— Toi, enchaîne Matt, tu devrais pas trop la ramener, parce que grâce à tes conneries tu t’es
retrouvé avec une entorse. Lui au moins ne s’est pas mis tout seul dans la merde…
— Non, bien sûr, il subit un passage à tabac et tu veux me faire croire que c’était gratuit ? répond
Dante en ricanant.
— Bon les gars, j’ai pas besoin de nounou… tente Benj en ouvrant la porte de l’appartement de
Fanny.
Elle est au travail, il lui avait assuré qu’il pouvait s’installer seul. Mais elle lui a envoyé ses
collègues, et leurs babillages commencent déjà à lui prendre la tête. Il avale tellement de calmants
pour la douleur que tout ce dont il rêve, c’est s’allonger et comater tranquillement. Mais non, avec
Dante dans le coin, la sérénité est à bannir de ses plans.
Il entre dans le salon et constate que Fanny a tout prévu pour son arrivée. Le canapé-lit est ouvert
et fait, elle a mis une tonne d’oreillers… Elle a rapproché la table basse pour qu’il ait tout à portée
de main. La télévision a été placée pour être en face de lui. Bref, elle a pensé à tout. Il trouve une
feuille de papier sur le lit et l’attrape avant que les des deux zouaves qui le suivent ne lui prennent la
tête avec ça. Il s’assoit et se penche pour enlever ses chaussures mais le mouvement le fait grimacer.
— Allez, viens là ma belle, on va te chouchouter, lance Matthias avec une pointe de moquerie dans
la voix.
— Putain, les gars, je sais pas ce qui est le plus lourd là : être impotent ou devoir compter sur
vous… soupire Benj pendant que son ami lui retire ses baskets.
Il s’installe dans le lit de pacha que lui a préparé Fanny.
— Sérieusement, vous pouvez partir, je sais que vous n’avez pas que ça à faire… Matt, t’as
sûrement des cours à réviser et toi Dante, à l’heure qu’il est, tu devrais être avec tes patients… Si
j’ai un souci, j’appelle.
Les deux infirmiers improvisés échangent un regard entendu.
— On savait que tu dirais ça, alors je t’ai calé dans mon emploi du temps, réplique Dante. Je vais
rester avec toi une petite heure et j’irai faire ma tournée. Tu n’auras qu’un court moment à passer seul
avant le retour de Fanny.
Benj soupire, il suppose qu’il n’obtiendra rien de mieux aujourd’hui. Matt se lève.
— Bon, je vais aller bûcher mais je reviens demain matin.
— Ouais… Merci les gars… Tu passeras le bonjour à Adeline, lui lance Benj alors qu’il se dirige
vers la porte.
— Ce sera fait ! Elle essaiera de venir…
Benj n’a pas le temps de répondre que c’est n’importe quoi, qu’il n’a pas besoin de toute une
équipe à domicile, que Matthias est déjà sorti. Dante est occupé avec les médicaments qu’ils ont
achetés à la pharmacie en venant.
— Je te fais ton pilulier, après tu as les antidouleurs à prendre ponctuellement, tu connais la dose
mais je te laisse un carnet et un stylo à portée de main. Tu dois bien noter ce que tu avales pour ne
pas dépasser le max. Tu n’as pas besoin d’infirmier mais je m’occuperai de tes plaies au visage. J’ai
vu pire, tu vas retrouver ta gueule d’ange, t’auras juste une petite cicatrice sur la joue, ça va les faire
craquer… ajoute-t-il en laissant de côté son ton professionnel pour le taquiner.
— Merci, mec, lui répond Benj en s’allongeant.
Il serre la feuille dans sa poche. C’est con mais il a hâte d’être seul pour lire le message que lui a
laissé Fanny. Mais d’après ce qu’il comprend, il ne va pas souvent avoir l’occasion d’être livré à
lui-même.
L’heure passe rapidement et Dante prend enfin congé. Benj lutte contre le sommeil artificiel
provoqué par les calmants et sort le papier froissé de sa poche.
« J’ai tout arrangé pour que tu sois à l’aise, fais comme chez toi, je rentre immédiatement après le
travail. Bises. Fanny »
Voilà, c’est juste un petit mot banal sans aucun sens caché, mais ça lui fait plaisir qu’elle s’occupe
de lui. Il se laisse enfin aller à dormir et apprécie cet instant de solitude tout en étant impatient
qu’elle rentre.
Il a dû se retourner dans son sommeil car une vive douleur dans les côtes le réveille en sursaut. Un
cri incontrôlé lui échappe, les médicaments ne doivent plus faire effet.
— Benj ?
Fanny s’accroupit devant lui et il voit l’inquiétude sur son visage.
— Ça va, j’ai juste bougé en dormant… Tu es rentrée depuis longtemps ? demande-t-il en
s’appuyant sur un coude pour lui faire face.
Elle se relève et arrange les oreillers de manière à ce qu’il n’ait à faire aucun effort pour se tenir
surélevé.
— Ça fait une petite demi-heure, répond-elle. Tu veux des calmants ?
— Non, ça va aller, merci. Où est Laura ?
— Dante et Lola s’occupent d’elle ce soir, et demain aussi.
Benj lève son sourcil valide pour manifester son étonnement.
— Tu ne voulais pas qu’elle me voie comme ça ? Je comprends.
— Non, c’est pas ça…
Elle hésite et il la surprend à rougir en évitant son regard.
— Y’a un souci ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu préfères que je rentre chez moi finalement ?
— Non, tout va bien…
Elle arrange les couvertures et enchaîne quelques mouvements complètement inutiles. Il saisit sa
main quand elle s’apprête à tapoter les oreillers qu’elle vient juste d’installer.
— Je vois bien que quelque chose ne va pas…
Elle rougit de plus belle, décidément, il ne comprend rien à ce qui se passe.
— Je t’ai préparé du bouillon parce que je sais que ça te fait mal de mâcher. Tu as faim ?
— Oui…
Il n’est pas convaincu par son soudain changement de sujet mais il a effectivement très faim et il
pourra l’interroger l’estomac plein.
Ils mangent ensemble et elle lui raconte comment ça se passe au travail pour elle, à l’école pour
Laura. Elle parle beaucoup, comme si elle essayait de combler les vides et l’empêcher de demander
à nouveau ce qui la tracasse. Il la laisse débarrasser, elle s’affaire dans sa minuscule cuisine et il ne
la voit pas. Elle lui a allumé la télévision mais il coupe le son, ça ne l’intéresse pas.
Au bout de longues minutes, elle revient enfin.
— Je devrais peut-être dormir dans la chambre de Laura, propose-t-elle, toujours en rougissant.
Ben merde, il ne la connaît pas depuis si longtemps que ça mais il ne l’a jamais vue aussi
embarrassée !
— Fanny, j’ai quelque chose à te dire, commence-t-il en tapotant l’espace à côté de lui.
Elle s’assoit mais se tient raide.
— Tu regrettes de m’avoir proposé de venir, c’est ça ? lance-t-il en espérant se tromper.
— Non ! proteste-t-elle avec assez d’énergie pour qu’il s’autorise un soupir de soulagement.
— Alors dis-moi ce qui se passe… s’il te plaît… C’est ton agression qui te travaille ?
— J’ai vu un psy hier, il m’a reçue en urgence… lui confie-t-elle en un murmure.
— Ça s’est bien passé ? s’enquit-il en se redressant.
Sauf qu’il a oublié qu’il ne pourra plus faire ces mouvements simples pendant quelque temps et il
lâche un juron quand la douleur se réveille.
— Merde, Benj ! Tu sais bien… Tiens… prends ton calmant…
Elle panique, bredouille, renverse un peu d’eau sur lui. Bref, c’est vraiment étrange comme
situation… Les antidouleurs mettent une petite demi-heure à agir, alors en attendant il s’allonge et
essaie de rester immobile.
— Je vais t’aider à te mettre à l’aise, lance-t-elle. Tu veux dormir comment ?
— Je dors nu habituellement, s’amuse-t-il à dire pour la taquiner.
— Oh…
— Fanny, je plaisante, je ne vais pas te demander de m’aider à me mettre à poil ! Je sais pas ce
qui te rend si nerveuse mais si c’est ma présence, je vais rentrer chez moi. Je peux appeler un de mes
colocs pour qu’il vienne me chercher maintenant si tu veux. Ça m’emmerde de voir que tu es
tellement gênée en ma présence.
Elle s’assoit à côté de lui et pivote pour lui faire face.
— Ok, ce que je vais te dire n’est pas évident… Mais voilà… ça fait une petite semaine environ…
disons… c’est pas facile… je… hum…
Elle cherche ses mots et il décide de ne pas la brusquer car il a la sensation que c’est lié à son
viol. Ça doit venir d’elle, naturellement. Alors il attend patiemment qu’elle se décide à se confier. Ce
qu’elle finit par faire d’un ton plus assuré :
— Benj, j’ai envie de toi, déclare-t-elle en le regardant dans les yeux. Je culpabilise depuis une
semaine car quand tu t’allonges avec moi, j’ai des pulsions et j’ai l’impression que ça minimise la
gravité de mon agression. Je m’en veux d’avoir des pensées… de ce type à ton égard parce que ça me
renvoie une image négative de moi-même et de ce que je suis censée traverser. Alors j’en ai discuté
avec le psychiatre hier et puis je suis allée lire quelques témoignages sur Internet… Et c’est normal,
je veux dire… ça prouve juste que je ne me considère pas comme responsable de ce que ce type m’a
fait et si j’en ai envie, et bien je ne dois pas en avoir honte. Mais je suis là, en train de te parler de
sexe alors que tu es vraisemblablement indisponible et j’ai peur de me coucher à côté de toi et que tu
sentes que j’ai envie de te toucher et de te…
— Fanny, j’ai envie de toi, maintenant…
Il réalise trop tard ce qu’il vient de dire, il a peur de la brusquer. Mais elle soupire.
— Merci. Je pensais que peut-être, avec tout ce que tu sais sur moi, en sachant ce que ce type m’a
fait, tu n’aurais plus jamais envie de me toucher ou…
Elle pleure. Il se redresse pour la prendre dans ses bras mais elle devance son geste et se blottit
contre lui, du bon côté, celui qui ne le fait pas souffrir. Les médicaments commencent à agir alors il
se sent comme dans du coton, il ne contrôle plus vraiment la partie « censure » de la parole…
— N’hésite plus jamais à me dire ce que tu veux, d’accord ?
Il la sent acquiescer et elle descend lentement la main vers son entrejambe. Elle se glisse sous la
ceinture de son pantalon de jogging et enserre délicatement son érection.
— Je ne veux pas te faire souffrir, alors tant que tu auras mal aux côtes, je vais m’occuper de toi,
d’accord ? lui susurre-t-elle, tout en faisant monter et descendre sa prise sur son sexe.
Il gémit de plaisir tant il a attendu ce moment. Il savait qu’elle avait besoin de temps. Ces trois
dernières semaines, à aucun moment il ne lui a fait des avances. Ça ne l’a pas empêché d’avoir des
envies mais il était conscient que c’était à elle de faire le premier pas, le jour où elle se sentirait
prête. L’ironie du sort veut que ça tombe quand lui n’est pas apte à faire grand chose, mais elle a l’air
d’apprécier également de le masturber. Ce n’est pas ce qu’il préfère habituellement mais ce soir, ça
lui semble être déjà merveilleux.
Elle mordille son oreille et laisse jouer sa langue sur l’arête de sa mâchoire. Elle l’aide à retirer
ses vêtements, le t-shirt demandant un peu plus d’effort pour lui éviter de souffrir, mais les calmants
sont efficaces et il se retrouve nu assez rapidement. Elle se lève et se déshabille lentement, sans le
quitter des yeux, avec la grâce due à ses talents de danseuse. Quand elle n’a plus aucun vêtement sur
elle, elle s’allonge d’abord contre lui. Il pose la main sur sa poitrine, ses seins sont tendus, ses tétons
durs et sensibles. Il joue un peu avec l’un, puis l’autre et elle gémit de plaisir. Il est rassuré, il aurait
arrêté si elle le lui avait demandé mais il ne peut pas se mentir : ça lui demanderait un sacré effort et
un tête à tête entre sa main et son érection pour se calmer. Parce que là, malgré tout ce qu’ils
traversent, ce sont ses sens qui prennent le dessus. Et il n’a qu’une envie : la toucher, la sentir contre
lui.
Elle se cambre pour que son sein épouse mieux la paume de la main de Benj et elle reprend ses
caresses sur son entrejambe. Il s’installe de manière plus accessible et elle en profite pour lui écarter
un peu les cuisses et prendre ses testicules délicatement entre ses doigts. Elle les taquine un peu et
descend d’un coup en gémissant alors qu’il ne la touche plus. Elle les lèche, un par un et c’est à son
tour de laisser échapper quelques râles de plaisir au contact de sa langue. Elle parcourt du bout de
celle-ci toute la longueur de son sexe. Il n’y tient plus : il lève le bassin pour qu’elle comprenne ce
dont il a envie. Ce dont il a besoin. Elle le prend dans sa bouche sans plus attendre ni cesser ses
caresses. Au moment de jouir, il la prévient au cas où elle souhaite se retirer, même s’il préfère
franchement pouvoir éjaculer dans sa bouche… mais elle ne bouge pas et il laisse exploser l’orgasme
en elle.
Quand elle remonte à son niveau, il l’embrasse et sent qu’elle lui sourit pendant le long baiser
qu’il lui offre. Mais il ne veut pas en rester là, pas si elle le laisse faire. À son tour de lui faire du
bien. Il pose la paume de sa main sur le sexe chaud de Fanny et y insère sans plus attendre deux
doigts. Elle est excitée et il sent qu’il durcit à nouveau. Il aimerait pouvoir lui faire l’amour mais il
sait que c’est encore trop tôt et que ses douleurs aux côtes l’empêcheraient de faire ça correctement.
Alors il titille un peu son clitoris et rompt le contact de leurs lèvres.
— Viens au-dessus de moi…
Elle se place à califourchon, lui offrant son intimité juste là où il le souhaitait. Elle prend appui
contre le mur des deux mains et se penche en avant. Ses cheveux balaient le haut du visage de Benj
qui ressent cet effleurement plus sensuellement qu’il ne l’aurait cru. Elle s’abaisse un peu et il
embrasse ce petit bout de chair qui la fait aussitôt réagir. Elle gémit, discrètement, mais il en ressent
les vibrations dans chaque caresse qu’il lui offre de la langue. Il replace deux doigts en elle, qu’il
bouge au rythme que Fanny impose en balançant le bassin. Il ne la quitte pas des yeux tout en la
faisant monter au septième ciel où elle ne tarde pas à arriver en poussant des cris plus intenses. Elle
le regarde en jouissant, c’est la scène la plus excitante qu’il ait vécue de toute sa vie. Elle se décale
lentement, l’embrasse sans gène alors qu’il sent la moiteur de son sexe sur ses lèvres.
— Ne bouge pas… lui murmure-t-elle.
Elle empoigne son érection, à nouveau au maximum, et se glisse dessus, encore trempée du long
baiser intime qu’ils viennent de partager. Ils gémissent de concert alors qu’elle se met à se mouvoir
sur lui avec précaution. Elle prend soin de ne pas lui faire mal, il a de nombreux hématomes sur le
corps mais elle ne le touche pas. Seul son sexe en elle maintient le lien entre eux et il ne tarde pas à
jouir à nouveau, laissant se répandre en elle le peu de semence qu’il est capable d’éjaculer après un
premier orgasme. Elle se retire et s’allonge du bon côté pour se lover dans ses bras.
Les antidouleurs ajoutés à ses deux rounds, et toute l’émotion de cet instant le plongent dans une
délicieuse torpeur. Elle s’approche de son oreille et murmure :
— C’était lui ?
— Ça n’a pas d’importance… réussit-il à marmonner.
— Benj, ça en a pour moi… est-ce que c’est lui qui t’a envoyé ces types ?
— Oui, mais n’y pense plus, on est quittes, il nous laissera tranquille maintenant.
Et sur cette ultime phrase qui lui a demandé un effort surhumain, il s’endort heureux, dans les bras
de la femme dont il sait être amoureux.
Acte IV : Elle
Deux heures, elle peut enfin sortir et souffler. Elle n’a jamais été autant tendue de toute sa vie. Elle
a eu l’impression d’être non pas la victime mais le bourreau, à plusieurs reprises. Mais elle a tenu
bon, elle a été au bout. Depuis trois semaines que Benj s’est installé chez elle et qu’il lui a avoué que
C. était à l’origine de son agression, elle y pensait. Ses deux séances hebdomadaires chez le
psychiatre l’ont également aidée à y voir plus clair. Elle commence à comprendre que non, elle n’a
pas mérité ce qui lui est arrivé. Elle commence tout juste à le réaliser, même… Mais elle sait que le
chemin à parcourir est encore long.
Maintenant qu’elle a fait sa déposition, elle saisit ce que le docteur Millot lui a dit… Le fait que ce
soit consigné par écrit, qu’il y ait une trace, et surtout que l’agression soit signalée et évite peut-être à
d’autres femmes d’en être victimes… Tout ça devrait lui enlever un énorme poids des épaules.
Pourtant, même si elle doit reconnaître qu’effectivement ça lui fait du bien, ce n’est pas aussi
spectaculaire qu’elle se l’était imaginé. C’est bête comme on peut espérer que quelques heures, un
récit douloureux et une signature pourraient tout arranger. Bien sûr que non ! Il en faudra plus, bien
plus que ça pour qu’elle réussisse à laisser cet épisode derrière elle.
Elle soupire et retourne à l’appartement. Petit à petit, Benj y a installé ses affaires. Elle sait très
bien qu’il est en mesure de vivre seul, mais il a compris que c’est elle qui ne pouvait plus rester
isolée chez elle avec sa fille. Elle aime qu’il soit près d’elles et s’il est encore là, c’est qu’il doit
apprécier leur compagnie. Elle ne sait pas comment le remercier pour tout ce qu’il fait pour Laura et
elle. Mais rentrer chez soi et savoir que quelqu’un vous attend, c’est réconfortant et exactement ce
qu’il lui faut ces temps-ci.
Elle a posé une journée de RTT pour s’occuper de sa déposition à la gendarmerie. Laura étant à la
cantine, Fanny décide donc de s’arrêter acheter une pizza et des bières avant de retrouver Benj. Il
doit travailler, mais elle aime l’observer pendant qu’il est concentré devant son écran d’ordinateur
qu’il a installé au salon. Dans leur chambre. Leur espace privé qui ne l’est pas vraiment. Mais, même
si elle se fait l’effet d’un vieux cliché usé, pour le moment tout ce qui importe est d’être avec lui.
Tant pis si c’est dans la cage à lapins qui lui sert d’appartement.
Comme prévu, elle le trouve devant son ordinateur. Il porte ses lunettes de repos, ça lui donne un
côté intello sexy qui n’est pas pour lui déplaire. Elle devrait lui suggérer de les porter quand il danse.
Quoi que… non, en fait non. Elle sait bien que c’est son boulot mais elle n’a pas besoin d’exciter
encore plus les filles qui sont déjà bien assez émoustillées de le voir se trémousser pour elles.
Jalouse ? Possessive ? Elle secoue la tête pour s’ôter ces impressions. Elle sait qu’il compte
beaucoup pour elle et réciproquement, mais elle n’a surtout pas envie de se prendre la tête avec les
détails de ce qu’est vraiment leur relation. Carpe diem, c’est son nouveau mantra.
— Hum… pizza ? Dis-moi que tu as pris une bière et je t’épouse sur le champ, lance-t-il sans
quitter son écran des yeux.
Elle rit en posant le repas sur la table basse. Elle vient se placer dans son dos et l’enlace tout en
déposant un baiser dans son cou.
— Pizza et bière, en effet. Est-ce que ce sera assez convaincant pour te faire lâcher ton ordi ?
Il se retourne et la prend par la taille avant de l’embrasser puis de répondre :
— Ça dépend : y’a de la sauce piquante ?
Elle lui met une tape sur l’épaule, inutile de faire semblant de lui mettre un coup de poing elle
aurait sûrement plus mal qu’autre chose, et va chercher des assiettes pendant qu’il déballe ce qu’elle
a acheté.
— Tu as pu faire la course que tu voulais ? lui lance-t-il en s’affairant.
Elle ne lui a pas encore avoué. Tout va changer après ça, ils vont devoir être sur leurs gardes car
si C. a envoyé ses hommes de main une fois, il ne devrait pas hésiter à recommencer quand il saura
qu’elle a déposé plainte. Elle doit l’en informer, il a été tabassé par sa faute.
Le temps qu’elle se décide à répondre, Benj est devant elle.
— Ça va ? s’inquiète-t-il.
— J’étais à la gendarmerie, lâche-t-elle enfin.
Voilà, le premier pas est fait. La suite devrait aller d’elle-même, non ? Elle est toujours en prise
avec ce sentiment de honte et de culpabilité. Car elle a bien conscience que si elle avait écouté ce
que Benj lui avait demandé de faire –ou plutôt de ne pas faire– elle n’en serait pas là. Si elle avait
arrêté son travail d’escort-girl et, par extension, ne s’était plus prostituée comme il l’en avait presque
suppliée, elle n’aurait pas été violée, il n’aurait pas été battu et… Elle n’a aucune idée d’où ils en
seraient mais elle donnerait n’importe quoi pour changer la réponse qu’elle lui avait alors donnée.
Mais elle essaie de suivre les conseils de son psy. On ne peut pas modifier le passé donc il est
essentiel de se concentrer sur le présent. Il lui répète aussi que dans toute situation, il est possible de
trouver du positif. Au début, ça lui semblait complètement surréaliste, surtout de la part d’un psy.
Comment trouver du positif dans le fait d’avoir été violée ? Allez dire ça à une victime ! Mais, petit à
petit, il lui a fait comprendre que cette épreuve les avait rapprochés Benj et elle, qu’elle avait
totalement arrêté la prostitution, qu’elle avait un nouveau travail (qui paye moins mais qui est légal)
… Bref, en creusant un peu, on peut se consoler avec ces petits détails…
— Fanny, je te parle. Tu faisais quoi à la gendarmerie ?
Elle entend l’inquiétude dans sa voix et sort de ses pensées.
— Je déposais plainte, pour le viol.
— Tu aurais dû me le dire, je serais venu avec toi…
Il la prend dans ses bras et la serre contre lui. Voilà, c’est exactement pour ça qu’elle aime l’avoir
près de lui. Parce qu’il a toujours la bonne réaction au bon moment. Elle sait qu’elle a une longue
reconstruction devant elle après l’agression, mais elle sait aussi qu’elle n’en sera pas capable sans
lui.
Ils s’installent à table sans un mot, il attend sûrement qu’elle lui en dise plus, ou alors il lui laisse
simplement le choix de décider si elle veut lui en dire plus… Ce qu’elle décide de faire, parce qu’il
est autant concerné qu’elle depuis que C. s’en est pris à lui.
— La procédure est longue, ça peut durer deux ans. Je dois décider si je n’interviens qu’en tant
que témoin dans l’affaire ou si je me porte partie civile. Mais ça coûte beaucoup d’argent…
L’avocat, tout ça… c’est pas un truc de pauvre de se faire violer, tente-t-elle de plaisanter.
Mais ça ne prend pas, c’est maladroit et déplacé. Elle se ressaisit.
— J’ai le temps pour me décider. En fait, maintenant que j’ai déposé plainte, l’affaire est entre les
mains de la justice. Ils vont de toute façon mener une enquête… On va devoir faire attention parce
qu’il pourrait bien t’envoyer encore ses brutes si…
Elle s’interrompt en voyant Benj pâle comme la mort.
— Laura, dit-il simplement, il a menacé de s’en prendre à elle.
Fanny laisse tomber la part de pizza qu’elle tenait et le fixe sans comprendre. Pourquoi parle-t-il
de sa fille ? Que vient-elle faire dans l’histoire ?
— J’aurais dû te le dire. Je ne voulais pas t’inquiéter pour rien mais maintenant que tu as porté
plainte, il faut qu’on soit vraiment prudents, tu comprends ? ajoute-t-il en lui prenant la main.
Elle a un mouvement de recul incontrôlé et elle voit passer un éclair de tristesse dans les yeux de
Benj. Elle l’a blessé, mais pourquoi ne lui a-t-il pas parlé de ça avant ? C’est la sécurité de sa fille,
merde ! Elle doit être au courant de ce genre de chose !
— Fanny ?
— Il a menacé ma fille et tu ne m’as rien dit ? demande-t-elle confirmation, très calmement.
Elle ne doit pas péter les plombs, pas maintenant que la machine est lancée et qu’elle ne peut plus
rien faire pour l’arrêter. Tout ce qu’elle a à faire c’est garder la tête sur les épaules pour gérer au
mieux le merdier qui prend place dans sa vie depuis quelques semaines.
— Tu n’avais pas besoin de savoir, ils m’ont dit de ne plus approcher ce type, je ne le ferai pas !
Jamais je ne mettrais la vie de Laura en danger !
Lui, par contre, il commence à perdre le contrôle et à élever la voix. Zen, Fanny, détends-toi. Il n’a
pas d’enfant, il ne sait pas ce que c’est que de passer chaque minute de sa vie à s’inquiéter pour
quelqu’un dont on est responsable… Il n’a aucune idée de ce que ça représente d’être parent. Il
s’amuse avec Laura, il passe du temps avec elle, mais il n’est pas son père, tu ne dois pas reporter
sur lui la rancœur que tu nourris envers les hommes depuis que tu as mis au monde et élevé ta fille,
seule.
Elle pousse un profond soupir. Elle connaît la suite logique des événements, même si c’est
douloureux.
— Tu dois partir, tu ne peux plus vivre avec nous. Je sais que tu es allé le confronter pour moi, je
sais ça, mais si tu représentes une menace pour ma fille, tu ne peux plus rester.
Il finira par comprendre. Un jour, peut-être, il aura des enfants et il réalisera qu’elle n’avait pas le
choix.
Il ne proteste même pas. Elle sent son cœur se déchirer en le voyant rassembler ses affaires. Il va
avoir besoin de faire plusieurs trajets à la voiture pour tout charger. Elle décide d’aller s’isoler dans
la chambre de Laura le temps qu’il vide les lieux. Elle ne supporte pas de le mettre dehors comme ça
mais elle n’a pas le choix. Et si elle assiste à son départ, elle pourrait faire l’erreur de lui demander
de rester. Elle se sent nulle, vraiment merdique, mais maintenant que la plainte est partie, elle ne peut
pas se permettre de s’exposer à la vengeance de C. vis-à-vis de Benj. Bien sûr, il reste la possibilité
qu’il s’en prenne à elles sans passer par l’excuse de se venger des coups reçus de son petit ami. Mais
pour ça, elle peut prévenir la police, dire qu’elle a reçu des menaces ou bien… Mais quel merdier !
Quelle idée débile elle a eu d’aller lancer la procédure ! Qu’est-ce que ça va changer pour elle ?
Rien du tout ! Elle va devoir vivre avec le poids de cette agression et que ce connard paye pour ce
qu’il lui a fait ne l’aidera pas à mieux protéger sa fille !
Benj apparaît dans l’encadrement de la porte. Elle se lève mais ne s’approche pas.
— Je comprends que tu m’en veuilles, que tu ne souhaites plus que je reste ici. Je n’avais pas
réalisé que je vous mettais en danger, Laura et toi. Mais si tu as besoin de moi, je serai là, quoi qu’il
arrive.
Cette déclaration faite, il s’en va, la laissant en larmes s’écrouler sur le lit de sa fille. Elle finit par
s’y endormir. Elle sait que ce n’est qu’un petit répit mais elle profite de ce calme avant la tempête
qui ne manquera pas de suivre.
***
— Pourquoi il y a des cartons partout, maman ?
Fanny s’accroupit devant Laura et prend une grande inspiration.
— On doit partir, ma chérie. Je sais, c’est soudain, mais moi non plus je ne m’y attendais pas. Tu
vas terminer le mois à l’école mais après on déménage, d’accord ?
— Benj vient avec nous ?
— Non ma grande, il ne peut pas. Il a son travail.
La petite fille commence à avoir les yeux brillants et elle s’en veut de lui infliger ça. Mais elle se
répète encore qu’elle n’a pas le choix. Peut-être qu’à force de le psalmodier, elle finira par y croire
elle-même.
— Il nous rendra visite ? demande Laura en retenant ses larmes.
— S’il a le temps, promis, on l’invitera. Mais d’abord on doit trouver une nouvelle maison, une
nouvelle école…
Ça va lui coûter mais elle n’a pas d’autre option. Elle se donne l’impression d’être le témoin d’une
affaire de mafieux, alors qu’elle est juste la victime d’un viol. Mais cet enfoiré a menacé sa fille,
quelle mère serait-elle si elle prenait le risque de l’exposer et qu’il s’attaque à elle ?
Elle laisse Laura devant un dessin animé avec son goûter et s’enferme à la salle de bain pour
téléphoner en privé. On décroche à la quatrième sonnerie, alors qu’elle allait abandonner en se disant
qu’elle avait essayé.
— Allô ?
Elle ne peut plus reculer…
— C’est Fanny.
Long silence. Puis sanglots étouffés. Elle avait plus ou moins prévu le déroulement de la situation,
alors elle attend. Finalement elle entend le combiné bouger.
— Fanny ?
C’est son père.
— Oui, c’est moi, papa. J’ai besoin d’aide.
— Qu’est-ce qui se passe ? La petite va bien ?
Le temps n’est pas aux mystères, elle lui raconte tout. Elle n’entre pas dans les détails bien sûr,
mais elle lui explique pourquoi elle a besoin d’un pied-à-terre, au moins le temps de trouver un
nouvel appartement. On ne lâche pas un logement dans une HLM comme ça, en espérant en décrocher
un autre dans la foulée. Ses parents sont dans une ville juste à côté mais, même si C. a le bras long, il
ne connaît pas leur existence. Ils ne portent même pas le même nom puisqu’elle a adopté celui de
jeune fille de sa mère quand ils lui ont tourné le dos. Avec un peu de chance, elle pourra rester dans
la région, au moins le temps que la procédure soit bouclée.
Ils se mettent d’accord avec son père : elle et Laura emménageront à la fin du mois dans la petite
maison, mitoyenne de la leur, qui est surtout louée l’été pour les touristes et donc disponible en cette
saison. Elle met bien les choses au point car elle ne veut pas qu’ils s’imaginent avoir un quelconque
droit sur l’éducation de leur petite-fille. Là encore, beaucoup de chemin reste à parcourir. Mais elle
se redit que c’est la meilleure chose à faire et retrouve Laura au salon pour lui expliquer ce qui va se
passer.
— Hey, on arrête la télé une minute pour discuter ? lui demande-t-elle en éteignant le poste.
Laura a toujours été une petite fille étonnante et Fanny remarque immédiatement qu’elle a compris
que c’était une discussion sérieuse qui s’annonçait.
— Tu sais que je suis fâchée avec mon papa et ma maman ?
Elle hoche la tête, elles en ont parlé assez souvent pour qu’elle sache à quoi s’en tenir à ce niveau.
— Je pense que je vais faire la paix avec eux, ça te dirait qu’on aille s’installer dans une maison
collée à la leur pendant quelques temps ? Ce serait juste en attendant d’avoir un nouvel appartement à
nous.
— Ils sont gentils ?
— Très gentils, et ils aimeraient vraiment te connaître. Je pense que ça nous ferait du bien de
bouger un peu, qu’en dis-tu ?
— Je vais changer d’école ?
— Oui, on va changer de ville, même…
— Alors c’est d’accord ! Je n’aime pas cette école… lui avoue-t-elle en un murmure.
L’information prend Fanny de court, elle n’avait aucune idée de ça ! Bon, ça tombe bien, tout se
goupille comme il faut, elle prend ça pour un signe. Laura commence à lui poser des questions sur la
maison : est-ce qu’il y a un jardin ? Est-ce qu’elle aura sa chambre ? Malheureusement, cette petite
ne perd pas le nord et conclut :
— Mais si c’est juste à côté, Benj pourra venir nous voir facilement alors, non ?
Elle est vraiment pleine d’espoir et Fanny n’a pas le cœur de lui avouer qu’elles ne reverront
sûrement jamais celui qui a un peu joué le rôle de papa pour sa fille pendant quelques semaines.
— On verra s’il a le temps. Tu sais, avec son travail, c’est pas facile d’être disponible. Mais on
lui proposera quand on sera bien installées, d’accord ?
Laura est satisfaite et elle la laisse retourner à son émission et terminer son goûter. Elle espère que
l’excitation du changement lui fera oublier doucement la promesse d’inviter Benj. Ce ne serait
vraiment pas prudent. Si C. a été capable d’envoyer deux types le tabasser sur son lieu de travail,
c’est qu’il l’a fait suivre pour identifier qui il était. Elle ne peut donc pas prendre le risque que ce
soit toujours le cas, il les mènerait directement à elles. Déjà que les deux semaines qu’il reste pour
finir le mois lui semblent insurmontables, elle n’imagine pas ce que ce serait si C. les retrouvaient
chez ses parents : il faudrait sans cesse être sur ses gardes, craindre d’être agressée, pire : qu’il s’en
prenne à Laura.
Elle s’exhorte au calme et établit mentalement la liste de tout ce qu’elle doit faire avant son départ.
Le travail est la priorité, elle décide de parler à Lola dès le lendemain matin en prenant son service.
Elle doit aussi passer voir son patron au Magic Night pour résilier son contrat. Benj pourra sûrement
continuer à faire ses soirées, ça lui fera un peu d’argent. C’est complètement futile de penser à ça
mais elle se dit que ça lui fera toujours un petit plus. Même si ça ne compensera jamais le fait qu’elle
l’ait largué sans autre forme de procès le matin même.
Ce matin… elle a l’impression que c’était il y a une éternité mais il ne s’est passé que quelques
heures depuis qu’il a enlevé ses affaires du salon. C’est comme s’il ne s’était jamais installé ici.
Comme s’il n’avait pas vécu avec elles ces dernières semaines. Comme s’il ne l’avait pas tenue dans
ses bras pendant des heures lorsque Laura dormait et qu’elle se laissait enfin aller à pleurer.
Comme s’ils n’avaient jamais été ensemble.
Et tout ça à cause de cet enfoiré qui l’a violée. Non, tout ça, c’est à cause d’elle, bien sûr. Elle ne
récolte que ce qu’elle a semé, tout simplement. C’est logique. Elle s’imaginait qu’elle était une bonne
mère, qu’elle faisait son maximum. Mais quelle bonne mère irait se prostituer ? Évidemment qu’il y a
des conséquences à ce genre de comportement.
Elle se reprend, ce n’est pas du tout le moment de se laisser aller à l’apitoiement, ça ne servirait à
rien et ne l’aiderait pas à accomplir la montagne de tâches qui l’attendent avant son départ.
***
— Tu pars ?
— Oui, je sais, c’est nul de te planter et…
— Non, t’en fais pas pour ça. C’est juste que c’est soudain… Tu as des soucis ? Et Benj ?
— Benj n’est pas au courant et pour l’instant j’aimerais que ça reste comme ça.
Lola lance un regard lourd de reproches à Fanny, qui encaisse sans ciller. Elle est très forte dans le
rôle de la femme indépendante qui prend ses décisions et les assume. Quant à ce qui se passe sous la
carapace, c’est une autre affaire mais c’est elle que ça regarde. En façade, elle se doit d’assurer.
— Je ne pensais pas qu’il y avait des soucis entre vous mais bon, ça ne me concerne pas. Tu veux
que je parle de toi pour un poste là où tu vas ?
L’avantage de bosser dans une chaîne, c’est qu’il y en a partout.
— Je veux bien, seulement si ça ne te pose pas de souci.
Fanny se rend compte que Lola est contrariée pour Benj. Mais comment lui expliquer ce qui se
passe sans entrer dans les détails ? Elle ne comprendrait que si elle lui parlait de tout, et ça, elle s’y
refuse. Il y a déjà trop de personnes impliquées, elle n’aime pas cette situation.
— Ok, je vais voir ce que je peux te trouver mais il me faut le nom de la ville… ajoute Lola en
croisant les bras.
— Tu penses pouvoir garder cette information pour toi ? lui demande-t-elle sans détour.
Elles se jaugent un instant du regard et Lola finit par acquiescer.
— Je peux. Quelque chose d’important a dû se produire pour que tu quittes tout du jour au
lendemain. Ce ne sont pas mes affaires et je sais tenir ma place, malgré ce que certains peuvent en
dire. Mais Benj est un ami de Dante et s’il me posait des questions, je ne pourrais pas lui mentir.
Donc tu ne me donnes ta destination que si tu acceptes cette possibilité.
Fanny pèse le pour et le contre et décide qu’elle peut tenter sa chance. Débarquer chez ses parents,
vivre à leurs crochets, être un boulet… Elle a réussi à ne pas le faire pendant huit ans, ce n’est pas
maintenant qu’elle va commencer. Arriver avec un travail dans ses bagages, ce serait vraiment pas
mal.
— Promets-moi que tu ne diras rien avant quelques mois… Je vais me faire domicilier chez ma
sœur pour mon courrier, Benj pourra me joindre comme ça s’il le veut. Mais sinon, je préfère qu’il
ne sache pas où nous allons.
Elle voit encore la désapprobation dans les yeux de sa manager mais fait comme si de rien n’était.
Elle va probablement blesser plus d’une personne dans le processus, mais si c’est le prix à payer
pour mettre sa fille à l’abri de cette brute de C., alors elle le paiera. Elle s’en voudra, mais elle n’a
pas le choix, comme elle se le répète depuis la veille. Ça finira par rentrer…
Elle commence à travailler, après tout il lui reste deux semaines, ça lui fera toujours ça en plus.
Étonnamment, elle se rend compte que ça lui change pas mal les idées, ce qui est tout à fait bienvenu
étant donné les circonstances.
Quand elle sort quelques heures plus tard pour rentrer chez elle et continuer les cartons commencés
la veille, elle s’arrête net en le voyant. Il est appuyé contre sa voiture, les mains dans les poches, et il
l’observe. Il n’esquisse aucun mouvement. Il reste simplement là, à la regarder, alors qu’elle se tient
au milieu du trottoir, également immobile. Ils échangent un long regard silencieux. Quelques
personnes passent entre eux et rompent le lien visuel mais à aucun moment, ni l’un ni l’autre ne baisse
les yeux. Il finit par se redresser mais n’avance pas. Il lui laisse le choix, comme il l’a toujours fait.
Et à cet instant précis, elle sent toute sa détermination la quitter. A-t-il idée de l’effet qu’il produit
sur elle juste en se tenant là ? Non, il n’en sait rien, il est juste lui. Et c’est de lui qu’elle a besoin.
Elle fait un pas en sa direction et c’est quand elle le voit se détendre qu’elle comprend qu’elle fait
une erreur. Mais elle ne s’arrête pas pour autant, non, elle s’octroie le droit d’être égoïste pour une
fois. Penser à elle, juste à elle. Elle revient de loin, et c’est en partie grâce à lui si elle n’est pas au
fond du trou en train de pleurer. Elle met sa raison de côté se jette dans ses bras. Il l’enlace, toujours
silencieux, et lui caresse lentement le dos. Est-elle la seule à trouver ce geste, en apparence innocent,
tellement érotique ?
Elle relève la tête et l’embrasse enfin.
Toujours sans prononcer une seule parole, ils montent dans la voiture et il la conduit chez lui. Là,
elle se laisse guider, elle a besoin qu’il prenne les commandes. Elle n’en peut plus de toujours être
forte pour elle et sa fille, toujours être celle qui s’occupe de tout. C’est ça qu’elle aime tant quand
elle est avec Benj, il lui permet d’être vulnérable et de temps en temps, c’est vital de sentir qu’on
peut avoir des failles. C’est lui qui lui a évité d’avoir peur du sexe après le viol, avec lui tout est si
naturel.
Elle ne se souvient pas être descendue de voiture, ni d’avoir monté les étages, mais ils sont
allongés sur son lit. Il l’embrasse tendrement et elle se tortille un peu sous lui. C’est le moment ou
jamais de s’offrir un dernier instant intime avec celui qu’elle va quitter, quoi qu’il arrive.
Elle commence à le déshabiller et il la laisse faire. Il se retrouve rapidement nu contre elle alors
qu’elle porte encore ses vêtements. Elle pose les mains sur ses fesses et rapproche son corps du sien.
Elle sent son érection frôler son entrejambe. Un petit soupir s’échappe et fait vibrer sa langue qui
danse avec la sienne. Elle perçoit un léger goût salé et réalise qu’elle a versé une larme qui vient de
mourir sur ses lèvres. Non, elle ne pleurera pas, pas maintenant. Elle aura tout le temps de le
regretter quand elle sera dans sa nouvelle vie. Pour l’heure, elle veut profiter de chaque seconde à
fond parce qu’elle sait que c’est la dernière fois. Elle sait qu’elle ne pourra plus le voir tant que
durera la procédure. Et si C. s’en tire, elle devra encore se cacher et n’aura plus aucune chance de
retrouver Benj. Alors elle doit vraiment savourer cette parenthèse du mieux qu’elle peut.
Elle met ces pensées de côté et commence lentement à le masturber, sans cesser de l’embrasser. Il
se contrôle assez pour réussir à la dévêtir et glisse la main entre ses cuisses. Elle sait qu’elle est
prête pour qu’il la pénètre maintenant mais elle veut que les préliminaires se prolongent, elle veut
graver chaque geste dans sa mémoire. La tendresse dont il fait preuve l’émeut bien plus qu’elle ne le
voudrait, elle sent déjà la douleur arriver, celle qui ponctuera ce petit bout de paradis et qui sera
longue, très longue à cicatriser.
Encore une fois, elle se recentre sur le moment présent, juste quand Benj insère deux doigts en elle.
Il fait tourner son pouce sur son clitoris, elle est tout près de l’orgasme. Elle lâche son sexe pour
prendre ses testicules dans sa main et les caresser délicatement pendant qu’elle sent monter la vague
qui va la submerger d’une seconde à l’autre. Elle l’agrippe dans le dos des deux mains quand elle se
laisse aller à jouir, le son de ses cris atténué par le baiser qu’ils n’ont cessé d’échanger.
Elle est encore tremblante de l’orgasme quand il entre en elle et se met à bouger lentement,
délicieusement, sans la quitter des yeux. Elle ne peut plus retenir les larmes qui tentent de percer le
barrage de volonté qu’elle essaye de leur imposer depuis qu’elle l’a aperçu devant son travail tout à
l’heure. Une première roule sur sa joue, puis une autre et elle sait qu’il est trop tard, les vannes sont
ouvertes. Il ne cesse de l’observer, elle gémit de plaisir sous ses va-et-vient et il émet quelques râles
si masculins, si excitants, si lui. À travers le rideau humide qui brouille sa vue, elle s’aperçoit qu’il
pleure aussi. Pas comme elle, non, c’est plus discret, plus viril comme façon de pleurer. Mais elle en
est sûre, il y a bien un sillon humide sur chacune de ses pommettes. Il se rapproche et l’embrasse, se
dépose alors sur sa langue le goût amer de la séparation à venir, la tristesse saline qui teinte ce
dernier coup de hanches juste avant qu’il ne jouisse en elle et qu’elle le sente se tendre encore une
fois entre ses cuisses.
Il se recule légèrement, brisant le lien de leurs lèvres, et se lève. Il ne s’habille pas mais sort. Il se
rend sûrement dans la salle de bain. Il lui laisse l’opportunité de partir maintenant, sans devoir lui
donner une explication, rien. Et elle saisit cette occasion car elle sait que, aussi lâche que puisse
sembler son attitude, si elle reste, s’il la prend dans ses bras, s’il lui parle, elle ne pourra plus partir.
Or, elle doit garder à l’esprit qu’elle se doit de partir et de couper avec tout ce qui la rattache à C.,
pour le bien de Laura. Elle doit assumer les conséquences de ses actes passés. Pour ceux du présent,
elle verra plus tard.
Elle remet ses vêtements à la hâte, le regard fixé sur la barre de pole dance qui est toujours
installée au centre de la chambre de Benj. Elle ramasse son sac, passe à côté et pose la main dessus.
Danser, elle adore ça, mais elle sait aussi qu’elle doit laisser cet aspect de sa vie derrière elle. C.
connaît son activité de danseuse, ce serait trop facile pour lui de la retrouver.
Elle descend dans la rue et, au lieu de respirer, elle a l’impression d’étouffer. Une petite voix dans
sa tête ne cesse de lui marteler qu’elle fait une erreur mais elle n’a pas le temps de l’écouter. Pas
alors que Laura risque d’être mise en danger. Elle doit partir. Elle attend le bus, dans un état second,
et quand elle y monte, elle entend Polly{1} dans les haut-parleurs et ne peut s’empêcher de sourire tant
la situation lui semble ironique. Peut-être que si elle avait eu le courage de Polly elle n’en serait pas
là… Elle secoue la tête, elle se met vraiment à divaguer, il est temps de tourner la page.
***
Trois mois plus tard
— Comment vous voyez-vous à l’heure actuelle ?
Fanny change de position. Elle commence par croiser les bras sous sa poitrine et se souvient de ce
que sa psychiatre lui avait confié lors de sa première séance à son arrivée, trois mois auparavant.
Elle pose les mains sur ses cuisses pour ne pas se fermer à la discussion et inspire profondément
avant d’expirer un grand coup afin de se donner le courage de parler. Ces thérapies de groupe sont
une épreuve en soi mais elles sont tellement bénéfiques qu’elle ne s’imaginerait pas vivre sans.
— Je pense… commence-t-elle hésitante, non, je suis sûre, corrige-t-elle d’une voix plus posée,
que je n’ai pas mérité ce qui m’est arrivé. Je lui ai dit non, je n’ai pas cessé de lui dire non. Le fait
que je me prostituais ne lui donnait pas le droit de disposer de mon corps sans mon aval.
Plusieurs femmes hochent la tête et elle sent même une main se poser sur son épaule,
l’encourageant à continuer. L’introspection est une étape importante dans l’acceptation de la victime
et Fanny reprend :
— Je ne suis pas fautive des actions déviantes et violentes de cet homme. Il ne mérite pas que je
m’interroge sur ma responsabilité. J’ai dit non, je lui ai dit non, je me suis débattue, et il m’a forcée à
coucher avec lui. Je suis une victime.
Murmures d’approbation autour d’elle. Elles sont toutes dans la même galère. Bien sûr, chacune
traîne son histoire particulière mais au final, elles arrivent ensemble à la conclusion qu’aucune
femme ne mérite d’être violée, quelle que soit la situation.
Une autre patiente prend la parole et Fanny l’écoute attentivement.
Quand elle sort de la séance de groupe, elle se sent toujours détendue. Elle en a fait un sacré
chemin depuis son agression. Oh, elle a bien conscience qu’il est encore long mais elle a réussi à
comprendre qu’elle n’était en rien à blâmer pour les actions de C. et ça, c’est quelque chose qui lui
permet vraiment de respirer à nouveau sereinement. Elle a cessé de se dévaloriser et bien que sa
confiance en elle soit loin d’être au top niveau, elle sait qu’elle avance, baby steps, vers le mieux.
En arrivant chez elle, elle passe voir Laura, qui est restée chez ses grands-parents. C’est les
vacances d’hiver et la petite fille apprend à bien connaître sa famille. Ils semblent moins extrémistes
et de toute façon, c’est la condition pour qu’elle les laisse passer du temps ensemble. Il n’est pas
question qu’ils se mettent à faire du bourrage de crâne avec sa fille comme ils ont essayé de le faire
avec elle. Elle fait un bisou à la fillette qui fait une partie de petits chevaux avec son grand-père et
rentre chez elle se détendre un peu. C’est son jour de congé mais elle a tellement de choses à faire
cette journée qu’elle en profite rarement pour se poser.
Le répondeur clignote, elle écoute son message. L’avocate lui demande de la rappeler.
Quand elle a expliqué à ses parents la situation dans laquelle elle se trouvait, ils ont
immédiatement souhaité payer ses frais d’avocat afin qu’elle se constitue partie civile. Elle sait que
C. a été entendu et a nié les faits. Il a également parlé de son activité de prostitution. Elle n’a pas
démenti. Ils ne peuvent rien contre elle car il n’y a pas de preuve et surtout, ils ne savent bien sûr pas
qu’elle s’y adonnait régulièrement.
— Maître Langlois, c’est Fanny Garnier.
— Bonjour Fanny, comment allez-vous ?
— Bien, merci.
— J’ai d’excellentes nouvelles. Deux autres femmes ont déposé plainte suite à ma petite enquête.
Elles ont souhaité garder l’anonymat pour éviter de se retrouver dans votre situation, C. est encore en
liberté et il est craint dans le milieu. Mais c’est bon signe, si vous êtes plusieurs à dénoncer ses actes
de violence, il y a de bonnes chances pour que d’autres victimes se manifestent. Tout ça vient étayer
votre témoignage et nous sommes en bonne voie pour obtenir gain de cause.
Fanny sent un énorme poids s’ôter de ses épaules. Depuis trois mois, elle avait l’impression
qu’elle devait passer son temps à se justifier, à prouver qu’elle était bien une victime. Tout ça n’était
pas simplifié par le fait qu’elle ne se soit pas présentée à l’hôpital et qu’elle ait tardé à déposer
plainte. Une fois que C. a été entendu et qu’il a bien sûr menti, elle a été à nouveau interrogée. On lui
a demandé pourquoi elle avait tardé à se manifester, elle a cru devenir folle tant elle se sentait mise à
l’index alors que c’était elle la victime ! Donc c’est en effet une très bonne chose que d’autres
victimes aient parlé.
Quand elle raccroche, elle a, pour la première fois depuis le dépôt de sa plainte, l’impression que
la situation bouge. On l’avait prévenue que la procédure était longue et éprouvante pour les victimes.
Mais elle n’avait jamais pensé que ça aurait pu l’être autant.
Elle s’installe devant l’ordinateur portable que ses parents ont tenu à lui offrir pour Noël et relève
ses messages. Elle en attend un de Lola. Rongée par la culpabilité, une semaine après son
déménagement, elle a fini par tout lui raconter. C’est pour ça que Benj ne sait pas où elles sont, Laura
et elle. Lola a compris que c’était trop important pour qu’elle lui dévoile quoi que ce soit. Elle ment
donc à son ami, pour la protection d’une ancienne collègue de travail devenue depuis une confidente.
Mais elle est surtout d’une aide essentielle pour que Fanny tienne le coup dans sa nouvelle vie. Elle
lui donne des nouvelles de Benj. Malheureusement, elles ne sont pas bonnes. Mais elle sent bien que
Lola minimise. Elle ouvre son nouvel e-mail :
« J’ai entendu dire que tu as été promue manager ! On peut savoir pourquoi toi tu y arrives en trois
mois ? Il m’a fallu un an pour monter les échelons ! Félicitations ! J’aimerais pouvoir fêter ça avec
toi… Mais je sais, tu vas me dire que ce n’est pas raisonnable car C. me fait sûrement surveiller
puisque nous travaillions ensemble. Donc, je ne te proposerai qu’une soirée chacune de notre côté
pour l’occasion !
J’ai vu Benj hier, il est passé voir Dante pour mettre au point un nouveau numéro à la barre. Il était
comme d’habitude, rien de nouveau. Tu verrais les progrès qu’il fait. J’ai voulu les filmer pour te
montrer, il n’y a que quelques secondes car ils m’ont prise en flagrant délit et je me suis fait traiter de
perverse ! Tu imagines ça, toi ? Dante et Benj qui m’accusent moi de voyeurisme ! On aura tout vu !
Envoie-moi une photo de Laura, s’il te plaît, ça grandit trop vite à cet âge et je suis sûre que je ne
vais pas la reconnaître !
Donne-moi des nouvelles, je t’embrasse.
Lola. »
Fanny soupire et retient une petite larme qui menace de s’échapper. Elle a pris sur elle depuis des
mois, sinon elle passerait ses journées au lit à déprimer. Elle avait enfin trouvé un homme qui lui
donnait envie de se surpasser, un travail stable et légal, elle avait lâché la prostitution et pouvait
continuer à danser… Et il a fallu que cet enfoiré de C. fasse tout basculer dans sa vie… à nouveau.
Elle lance la vidéo et son cœur se serre en voyant Benj. Il a maigri, aucun doute. Il est toujours très
bien foutu, c’est évident, de toute façon il n’a pas le choix avec son travail. Mais elle qui connaît son
corps par cœur peut affirmer qu’il a perdu du poids. Il est cerné et éteint. Merde. C’est elle qui lui
fait ça ? C’est à cause de la succession des pires décisions de sa vie qu’il n’est plus que l’ombre de
lui-même ? Ses pensées vagabondent dangereusement vers les abîmes qu’elle ne connaît que trop
bien mais elle éclate de rire au moment où Dante découvre que Lola les filme et se met à tortiller des
fesses devant la caméra. Benj se contente d’attendre que la pseudo-dispute prenne fin, appuyé contre
la barre.
Elle sait qu’elle se fait du mal et que la meilleure solution serait de tourner définitivement la page,
mais elle n’arrive pas à s’y résoudre. Laura fait irruption dans sa chambre au moment où elle avait
l’intention de se laisser aller à une petite crise de larmes.
— J’ai gagné ! crie-t-elle en se jetant dans ses bras.
Fanny a le temps de refermer l’ordinateur portable avant de la réceptionner.
— Tu es sûre que Papi ne t’a pas laissée gagner ? Tu sais, quand j’étais petite je voyais toujours
quand il faisait exprès de perdre et ça me mettait en colère parce que je voulais vraiment gagner…
— Il n’était pas content d’avoir perdu en tout cas… Mais tu sais, maman, les petits chevaux c’est
le hasard, c’est pas grave si on gagne ou si on perd.
— Exactement !
— Mamie t’invite à manger ce soir, elle prépare un poulet coco et elle a cuisiné toute la journée
pour faire des nans{2}. Elle dit que tu adores la nourriture indienne.
— Elle a raison, tu veux qu’on aille dîner chez eux ?
— Oui !
Cet aspect de leur nouvelle vie était celui qui l’inquiétait le plus : comment ses parents et sa fille
allaient réagir les uns au contact des autres ? Finalement, tout se passe pour le mieux. Bien sûr, ses
parents sont pratiquants et il faut se plier à certains rituels, quand elles mangent chez eux en
particulier. Mais pas une fois ils n’ont forcé Laura à venir les accompagner à la messe le dimanche
matin par exemple. La petite fille a eu envie de voir ce que c’était, par curiosité, mais elle s’est
ennuyée et ils n’ont jamais plus fait allusion à ça. Sans jouer le rôle d’une psy, Fanny pense que le
jour où elle est partie, ils ont réalisé qu’aucune forme d’extrémisme n’était bonne et ils se sont un peu
calmés. C’était la condition sine qua non pour qu’elles refassent partie de leur vie. Même si elle sait
très bien qu’elle n’avait pas d’autre option et qu’elle serait venue chez eux quoi qu’il arrive.
Elle a laissé tomber l’idée de se trouver un appartement, c’est bien trop pratique de vivre ici…
Ses parents étant à la retraite, ils adorent s’occuper de Laura et aller la chercher à l’école. Ça lui
permet d’être plus souple dans ses horaires au travail.
***
1 mois plus tard
— Fanny, ici Maître Langlois.
— Bonjour, Maître.
— Vous avez une minute ?
— Je vous demande un instant…
Elle fait signe à son assistante de prendre le relais et s’isole dans la salle de repos.
— Je vous écoute.
— Malheureusement, j’ai de mauvaises nouvelles. Les autres filles se sont toutes rétractées. Il
semblerait qu’elles aient subi des pressions de la part de l’accusé. Je suis désolée mais nous
repartons sur une procédure qui vous concerne vous uniquement. Ceci dit, il ne faut pas perdre espoir
car même si les filles refusent de porter plainte, leur témoignage est ajouté au dossier. Maintenant
qu’elles ont déposé sous serment, elles ne peuvent pas revenir sur leur déposition, c’est toujours du
positif pour notre affaire.
Fanny ne répond pas, elle est anéantie et cherche à tâtons une chaise pour s’asseoir.
— Fanny ? Vous êtes toujours là ?
— Il les a menacées comme il l’a fait avec moi ?
— C’est ce que je crains, mais je n’ai aucune preuve, elles refusent toutes de me parler et on ne
peut pas les y obliger.
— Vous ne pourriez pas me dire qui elles sont ? Ce sont sûrement des filles avec qui j’ai travaillé
quand j’étais escort-girl et…
— Je suis navrée, Fanny, mais vous savez tout autant que moi que c’est impossible. Je n’ai pas le
droit de vous communiquer ces informations.
Alors voilà, c’est terminé, tout ça pour ça ?
— Ne perdez pas la foi, le dossier est solide, il ne s’en sortira pas comme ça !
Malgré son enthousiasme, Fanny avait mis tellement d’espoir dans la coalition qu’elles formeraient
avec les autres victimes, qu’elle a l’impression de repartir à zéro, tout simplement. Et pourtant, ça ne
fait que quatre mois qu’elle est allée à la gendarmerie…
Quand elle rentre ce soir-là, elle a vraiment besoin de soutien. Mais elle sait ce dont elle a surtout
envie… Elle s’autorise ce qu’elle se refuse de faire depuis des semaines…
— Oui ?
Juste le fait d’entendre sa voix lui fait un bien fou. Elle réalise qu’il lui a manqué bien plus qu’elle
ne le pensait. À force de faire semblant chaque jour, elle avait presque réussi à se convaincre qu’elle
allait bien. Alors qu’elle ne se sent entière que quand elle est avec lui.
— Allô ?
Elle soupire. Elle n’a pas le droit de revenir dans sa vie, pas maintenant, pas après l’avoir laissé
tomber.
— Fanny ?
Elle laisse échapper un sanglot. Il pense toujours à elle après tout ce temps…
— Fanny…
Ce n’est plus une question, il sait que c’est elle. Mais elle ne sent pas la légitimité de lui parler,
alors elle reste silencieuse.
— Vous me manquez, Laura et toi. Tu me manques. J’aimerais tellement vous voir.
Elle pleure tant qu’elle est obligée d’éloigner le téléphone le temps d’essuyer les larmes qui
inondent son visage.
— Quand ce sera terminé, je serai là si tu veux toujours de moi. Tu ne peux pas savoir à quel point
je m’en veux d’avoir mis Laura en danger. Je n’aurais jamais cru que je pouvais mener ce fils de pute
à ta fille.
Il culpabilise ? C’en est trop, elle ne peut pas le laisser penser ça. Mais les mots restent coincés
dans sa gorge quand elle essaie de lui répondre. C’est lui qui reprend la parole.
— Je t’aime, Fanny, et je t’attendrai même si tu ne reviens jamais. Je dois y aller, je danse ce soir,
mais rappelle-moi, quand tu veux, cette nuit, demain, tout le temps, si je sais que tu penses à moi je
tiendrai le coup. Je t’aime.
Il raccroche et elle s’effondre sur son lit.
Épilogue
— Non mais, putain, c’est pas possible ! Merde quoi ! Qui a eu cette idée pourrie, encore ?
Lola s’avance et ajuste la cape de Benj qui recule comme si elle l’avait brûlé au troisième degré.
— Arrête de faire l’enfant ! Les femmes adorent les vampires, c’est tendance. Edward, Lestat, tout
ça… Elles adorent !
— Non mais merde, pas les dents !
— Ok, les dents, on peut peut-être laisser ça de côté, suggère Dante. De toute façon sur la barre ça
fait chier cette cape !
— Tu l’enlèveras une fois qu’on aura fait l’intro, intervient Yoan qui est encore une fois celui qui
est le plus à l’aise quand il est déguisé.
Benj soupire, au moins il a gardé l’option boxer sous ses fringues, en prétextant que le deal était
valable pour toutes les fois où il danserait sur la barre.
— Est-ce que vous avez déjà fait un flop avec l’une de mes idées ? demande Lola, les mains sur
les hanches.
Matt, qui semble être celui qui s’amuse le plus de la situation, fait voler sa cape autour de lui.
— Putain, j’ai toujours rêvé de porter une cape, merci Lola !
Benj sourit, il a peut-être une vie de merde depuis qu’il a la sensation d’avoir perdu l’amour de sa
vie, mais il a des potes au top et son boulot lui maintient la tête hors de l’eau. Un an sans la voir,
juste à l’écouter respirer au téléphone quand elle appelle… Il est sûr que c’est elle, même si elle ne
dit jamais rien…
— Bon, les gars, on va niaquer quelques cous ? suggère Yoan en souriant, dévoilant ainsi les
canines amovibles et démesurément longues qui font partie du show.
Couverture réalisée par Jaja's Team
Crédits images : Depositphotos
N° éditeur : 917089-36540
dépôt légal : janvier 2014
{1}
Chanson de Nirvana, figurant entre autre sur l’album Nevermind en version acoustique, inspirée d’un fait réel : Polly, jeune
femme enlevée, séquestrée, violée et torturée, réussit à échapper à son bourreau en lui faisant croire qu’elle aime les sévices qu’il lui
inflige. Dans cette chanson, Kurt Cobain souhaitait rendre hommage à Polly (même si elle est chantée du point de vue du ravisseur, ce
qui peut choquer à la première écoute)
{2}
Galette indienne utilisée comme du pain.
Page titre
Acte III : Lui
Acte IV : Elle
Épilogue