Yasmine Laraqui annonce le débarquement d`Alien

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Yasmine Laraqui annonce le débarquement d`Alien
Yasmine Laraqui annonce le débarquement
d'Alien Nation à Marrakech
La photographe, plasticienne et vidéaste marocaine Yasmine Laraqui récidive
avec Alien Nation, l'exposition itinérante du collectif Awiiily. A voir du 26 février au
31 mars, dans le cadre de la Biennale de Marrakech.
Les installations, les toiles et les performances de Lina Laraki, Chahine Icone,
Omeyma Gzara, Lea Porter, Andres Salgado, Alice Ito, Gaetan Henrioux, Yasmine
Laraqui, Omar Elhamy et Rita Alaoui se déplacent de Paris à Marrakech du 26 février
au 31 mars en collaboration avec l'espace marrakchi 18 Derb El Fennane et Mint
Collective.
a mission est ambitieuse : « Ne plus limiter la forme, mettre le lieu et l'acte artistique
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sur le même plan, remettre en question les limites et les frontières ».
Entretien avec une Casablancaise qui ne quitte plus son Holga - une marque chinoise,
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une sorte de Volkswagen Beetle de la photographie - et son adaptateur secteur, tant les
artistes et galeristes - aux quatre coins du globe - réclament avec insistance cette artiste
citoyenne du monde.
Qui est le collectif Awiiily, un mélange d'univers juxtaposés ou plutôt une
fratrie d'artistes ?
e collectif regroupe des artistes d'un peu partout dans le monde avec des parcours et
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des travaux propres à leurs histoires personnelles, donc plutôt un mélange d'univers
juxtaposés. De ce fait, nous ne nous positionnons pas par rapport à la scène artistique
marocaine en particulier - ce serait ne pas prendre en compte une bonne partie du
collectif, ni les contextes de nos premières expositions ; le run space new-yorkais ou
l'atelier parisien.
'est par affinités esthétiques et conceptuelles que le groupe s'est créé. Chahine Icone,
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Léa Portier, Andres Salgado, Omeyma Gzara, Alice Ito et Raphaël Faon et moi nous
sommes connus à l'Ecole nationale supérieure d'arts Paris-Cergy, nous avons eu le
temps de nous voir évoluer et de comprendre nos univers respectifs. J'ai rencontré
Gaëtan Henrioux à Paris également qui nous a présenté ensuite Sepànd Danesh. Quant
à Zahra Sebti, Abdeslam Alaoui et Lina Laraki, c'est Youth's Talking qui nous as réunis la
première fois, mais depuis nous travaillons ensemble souvent et toujours avec autant de
plaisir. Ce qui fait que nous sommes aussi une fratrie construite au fur et à mesure.
onc nous sommes peut-être, comme certains le disent, un cheval de Troie dans le
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contexte artistique connu et amorphe de la scène mondialisée en réseaux hybrides et
acculturés. J'entends par là que le concept d'identité est fictif. Raphael Faon, un des
membres du collectif, développe une thèse très convaincante sur le sujet. En définitive,
l'identité résulte du vécu aléatoire de chacun d'entre nous. Il n'y a rien de bon à essayer
de retrouver une identité de groupe dans un passé fantasmé, Mme Belghoul est pour moi
un parfait exemple de cette dangerosité.
I l faudrait davantage ouvrir les yeux, prendre tous les fragments culturels qui nous
constituent déjà et tenter de reconnaître qu'il est une sphère artistique qui n'attend pas
d'être nommée, ni reconnue pour exister. Disons que c'est la conclusion à laquelle Awiiily
est parvenue. Chahine Icone nous as baptisés : « Les 12 hommes en colère ; il y en aura
toujours un pour l'ouvrir ».
Il s'agit là de votre deuxième expérience en tant que curateur : aujourd'hui vous
traitez les questions de forme de l'acte artistique et de frontières, ce qui n'est pas
aux antipodes des questions précédemment posées par Youth Talking, votre
première expérience de curatrice. Alien Nation aurait une filiation avec l'historique
Youth's Talkingde 2010 ?
Il y a forcément une filiation avec l'historique de Youth's Talking. J'avais 20 ans lors de
la création et de la première exposition Youth's Talking, disons qu'à cette époque tout ce
que je savais était que je voulais proposer une plateforme d'expression différente, sans
trop savoir où je mettais les pieds. Cinq années et quelques péripéties plus tard, Awiiily a
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pris forme, une nouvelle forme.
L'idée d'une structure internationale m'était chère, car c'est à mon sens la
représentation la plus juste que l'on puisse donner au monde de l'art aujourd'hui,
peut-être pour demain.
Il y a des centaines de labels dans le monde de l'art, ils sont tous connotés et
lourdement identitaires ; ça ne nous représente pas pour la plupart. J e m'explique : il y a actuellement une polémique à l'échelle mondiale sur la
problématique de montage et de production d'expositions d'artistes réunis dans une unité
de lieu en raison de leur identité, ou de leur ethnicité. Récemment à New York, deux
expositions se sont illustrées. Je pense à « Our America : the latino presence in
American art » et « Radical presence », la première étant entièrement dédiée aux artistes
latinos et la seconde aux Afro-Américains.
es critiques reçues par ces initiatives curatoriales sont d'une part l'incohérence
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conceptuelle de tels labels ; parce qu'il en résulte une flopée d'artistes aux sensibilités
diverses et aux discours différents, réunis par le seul motif de leurs origines. D'une autre
part, cela contribue à une nouvelle forme de ségrégation à laquelle des artistes tels
qu'Adrien Piper ou Barbara Chase-Ribound par exemple refusent de participer, bien qu'il
s'agisse d'expositions institutionnelles qui offrent une très large visibilité.
Plusieurs nouvelles problématiques se présentent avec ce nouveau projet
multinational. Essayez-vous de dépasser le processus académique ankylosé des
galeries d'art ?
oncernant l'autoproduction, c'est un choix qui s'impose faute de moyens, d'où le
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protocole spécifique de nos expos, façon système D. Il faut préciser tout de même qu'il y
a galeriste et galeriste. En d'autres termes il y a des marchands d'arts qui ont un cursus
purement commercial et qui ne jurent que par la valeur mercantile des pièces qu'ils
proposent, de nombreuses enseignes de la ville blanche, ou d'ailleurs dans le monde,
pourraient être qualifiées de boutiques de décorations pour bourgeois sur guest list, et
c'est à peine caricatural.
Il y a toutefois des exceptions, les galeristes qui ont un cursus plus ou moins en rapport
avec le monde de l'art, son histoire et son contexte et qui essaient de faire avancer les
choses tant au niveau de la diffusion de l'art comme un objet culturel à la portée de tous,
qu'au niveau de l'intégrité des artistes et de leurs discours.
vec Awiiily, comme avec Youth's Talking, l'idée est d'amener l'art ailleurs, pour
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d'autres publics et pour d'autres raisons que le marché qui parfois le nourrit, parfois le
pourrit. e n'est pas une idée nouvelle, mais elle stimule et fait des remous dans le monde de
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l'art depuis toujours.
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Quel est le regard des Américains sur le travail accompli par Awiiily ? Par
ailleurs, quel regard Yasmine Laraqui — la globe-trotteuse — porte
sur la dynamique marocaine ?
Les Américains sont très curieux de l'étranger mine de rien, les retours étaient
encourageants, les gens paraissaient intéressés. Nous avons organisé une discussion à
la fin de l'exposition afin de répondre aux interrogations des visiteurs, et je pense que
créer cet espace d'interaction avec un public est très enrichissant pour nous aussi. es initiatives du genre sont plutôt communes ici, les jeunes artistes se prennent un
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espace à 15 et invitent les gens à venir voir leurs travaux et les gens viennent ; ce qui est
sympathique.
Pour le reste, on verra bien, je pense qu'Alien Nation fera son chemin sous d'autres
formes, dans de nouvelles villes dans le monde, nous y travaillons. a dynamique marocaine actuelle a cette volonté « d'amener l'art ailleurs », les scènes
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indépendantes sont à mon sens le vrai reflet d'une société qui accepte sereinement sa
multiplicité. Ça bouillonne dans tous les arts et tous les sens : du boulevard des jeunes
musiciens à l'battoir, aux labels électroniques comme Runtomorrow, aux run spaces qui
fleurissent ; l'ultra laboratory, le 18, iwa, aux collectifs hyper actifs ; je pense à Mint, NAP,
pixylone et titswi.
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