Paroles, Paroles: Ute Lemper, divanarchiste

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Ute Lemper, divanarchiste
Paroles, Paroles De Weill à Neruda, la chanteuse allemande donne de la voix à contrecourant. Concert mardi au BFM.
Ute Lemper, chanteuse allemande établie à New York, pose dans le patio de l'hôtel Kempinski,
aux Pâquis.
Image: Olivier Vogelsang
De Fabrice
Gottraux
13.12.2014
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Elle est arrivée seule à l’hôtel. Genève, station de transit entre
Stuttgart, où elle répondait la veille à la presse nationale, en
attendant Paris. «Je n’ai pas d’assistants, je voyage seule et ça
me convient. Une diva!? On me demande parfois de sortir
mon manteau de fourrure… Je n’en ai pas non plus!» Une
franche poignée de main, un regard direct. Une touche. Une
pose pour le photographe. Du théâtre, Ute Lemper connaît les
arcanes. La scène, musique, cinéma, interview, est son arène
qu’elle investit sans retenue, y mettant la voix comme le corps.
«Physicalité» pourrait constituer le leitmotiv de son être
scénique. «Spiritualité» sera le dernier terme qu’Ute Lemper
lâche au sortir de la discussion. Chanteuse capable de rendre
sa monnaie à Kurt Weill comme d’embrasser Pablo Neruda, la
New-Yorkaise d’adoption, 51 ans, quatre enfants, revient
mardi prochain pour un concert au BFM. Entre bandonéon et
piano, il y aura du Weill et du tango, du Brel aussi, comme de
la passion et de l’amour, deux mots qu’Ute Lemper a inscrits
sur l’ardoise…
New York, vous y vivez depuis dix-huit ans?
Cette ville me procure un sentiment très «relax», que je ne
trouve pas ailleurs. On est Allemande à Londres comme à
Paris. Tandis qu’à New York, on est New-Yorkais sans perdre
toutes ces différentes cultures. Mais j’avoue que l’Europe me
manque. J’y tourne, au moins cinq fois par année, en Italie, en
Angleterre, en France, en Espagne aussi, avec le projet
Neruda. J’ai la green card depuis vingt ans. Mais je ne veux
pas du passeport américain. Je me sens Européenne. Et je
représente cette culture, à commencer par l’héritage allemand
bien sûr.
C’est une mission, représenter la culture européenne?
Oui. Ça a commencé il y a plus de trente ans lorsque, avec
Universal, j’ai été choisie pour enregistrer les musiques
bannies par les nazis. Il y avait là un vrai projet historique et
musicologique. Ces disques de Kurt Weill se sont vendus dans
le monde entier. C’était la première fois, après la guerre, que la
langue allemande était destigmatisée. Les Berlin Cabaret
Songs, les Sept péchés capitaux, Mahagonny, tout cela a été
joué jusque dans les universités américaines, en Israël aussi
devant les survivants de l’Holocauste…
Interpréter Kurt Weill dans les années 80 allait au-delà
de la musique?
Un tel projet permettait de relancer le dialogue sur le passé.
Moi, Allemande, après la guerre, je pouvais parler de cet
Moi, Allemande, après la guerre, je pouvais parler de cet
héritage allemand. Un héritage très compliqué, très lourd. J’ai
vite compris que cette mission tenait aussi de l’humain, du
politique, de l’historique mais aussi de l’humanitaire.
Cette mission a-t-elle porté ses fruits?
Les Allemands ne disent jamais merci. Mais comme j’ai fait
beaucoup de choses, des comédies musicales à Broadway
comme à Londres, tourné beaucoup de films également, visité
le répertoire français, le tango argentin et composé mes
propres musiques depuis quinze ans, alors, quand même, les
Allemands considèrent que je dois avoir un peu de talent. C’est
compliqué, cette reconnaissance… D’autant plus que ma
carrière avait commencé ailleurs, en 1986, à Paris, avec le
Cabaret de Jérôme Savary. Les Allemands ne m’ont pas
«cuisinée» eux-mêmes. Et mes débuts sur les scènes n’avaient
rien à voir avec l’industrie du disque. Dans un même temps, je
me suis gardée de la presse à sensation. Je n’habite pas en
Allemagne et c’est tant mieux. A New York, je suis anonyme, je
suis une petite poule qui se balade dans la rue à côté des
grandes stars.
Face à la presse allemande, l’autre jour, ça s’est passé
comment?
On m’interroge beaucoup sur mon existence, en particulier sur
ma vie de mère. Mon quatrième enfant est né en 2011. Un
enfant à 48 ans?! Bon Dieu, ça n’est pas standard! Mais qu’estce qui est standard? Je ne m’en rends pas compte. Il y a deux
semaines à Munich, j’ai reçu un prix intitulé Querdenken, un
prix de l’«anticonformisme». Un mot très joli en allemand,
pour évoquer ceux qui pensent en dehors de la normalité. Pour
la vie que je mène, bien établie, en dehors de tout, en dehors
des conventions, cela me semble tout à fait… normal.
Anticonformiste, vous l’êtes depuis quand?
J’ai compris il y a très longtemps qu’il n’y avait pour moi
qu’une seule manière de vivre, c’est-à-dire très librement.
Enfant, je vivais dans une famille très moraliste, très
catholique, avec des parents soucieux du qu’en-dira-t-on.
Adolescente, il était clair que je ne pourrais pas vivre comme
cela. Alors j’ai laissé tout cela derrière moi pour me créer une
vie très libre. Bien sûr, il y a les grandes responsabilités,
comme de donner une vie stable aux enfants. Ils nous ont
d’ailleurs suivis dans les tournées… Mais tout l’amour que je
ressens pour ma profession va de pair avec un travail intuitif.
La mode, le commercial, je n’en ai rien à faire! Aucune maison
de disques, aucun manager ne me dicte quoi que ce soit. Je
crée comme je veux. Mon projet autour de Charles Bukowski,
il y a quatre ans, s’inscrivait dans l’avant-garde et la rébellion.
Avec l’album Forever, Love Poems of Pablo Neruda, je rejoins
l’univers du tango argentin, également l’expressionnisme
français. Neruda a vécu longtemps en Europe, il a été poète,
diplomate, politicien, il a confronté l’oppression et le fascisme.
Cet homme a aussi donné beaucoup de consolation aux gens.
De Neruda, vous avez choisi les poèmes d’amour.
Pourquoi pas ses écrits politiques?
J’avais peur de banaliser cet aspect-là. Et ses poèmes d’amour
portent sa mentalité d’exil, de fuite, de même que sa profonde
nature hédoniste. Il adorait la vie, la bouffe, tout en étant
désespéré par l’idée de ne pouvoir la remplir assez, sa vie. C’est
aussi un sentiment de perdition. Neruda était obsessif. Et
compulsif. La femme, qu’il adorait dans tous les sens,
physique et mental, le soumettait littéralement à l’expérience
de l’amour.
Cette dialectique de l’amour vous parle à vous aussi?
Je suis addict à l’amour. Les moments les plus forts, lorsqu’on
ressent et l’humanité et l’éternité, sont les moments essentiels
de la vie. Mais la dimension spirituelle, plus vaste, plus
humaine, en dehors de la relation entre homme et femme,
s’avère très belle aussi. C’est une passion, une affinité pour
l’humanité, la musique, la poésie. Ainsi qu’une compassion
pour ceux qui souffrent.
Cela rejoint votre «mission» d’artiste?
Avec l’âge, je ressens de plus en plus cette dimension
spirituelle. Sur scène, j’ai eu ma période avec des batteries et
des basses. Aujourd’hui, je cherche l’épure, la transparence de
l’âme, sans aucune censure.
Weill et Brecht vous ont-ils aidée à vous débarrasser
de votre censure?
La vraie rencontre avec Brecht, c’était au lycée. J’ai découvert
La vraie rencontre avec Brecht, c’était au lycée. J’ai découvert
une musique pour les jeunes, fraîche, rebelle, un peu
anarchiste, avec des personnages en dehors de la société,
immoraux. C’était aussi le boycott de l’exploitation
matérialiste. Jeune, j’adorais ça, ça correspondait à mon
propre esprit anarchiste. J’avais beaucoup de rage contre
l’établissement, les Eglises, les droites, les politiciens, tous
ceux qui nous disaient ce qu’il faut faire. L’Allemagne de ma
jeunesse était étroite d’esprit… Finalement, celle d’aujourd’hui
est très différente, beaucoup plus ouverte, comme dans le reste
du monde. C’est inévitable. Le progrès, celui d’une humanité
multiculturelle, nous ne pouvons pas l’arrêter. Dans cinquante
ans, toutes ces petites limites provinciales, nationalistes,
seront obsolètes.
Pourtant, les extrêmes droites sont virulentes
actuellement…
…
Ce sont des gens qui perdent le sentiment de faire partie de
quelque chose de clair, et ne veulent pas progresser. Le
progrès, ça reste compliqué. Et ça fait peur. A moi aussi. Mais
comme musicienne! Peut-on, par exemple, trouver de l’âme
lorsqu’on compose sur un ordinateur? Je suis un dinosaure,
peut-être… Mon prochain projet concernera encore une fois le
domaine littéraire: j’ai écrit des chansons en partant du
Manuscrit retrouvé de Paulo Coelho. Ce sont des mots anciens
replacés dans la modernité. Cette lecture m’a touchée: ce jourlà, j’étais un peu triste dans mon cœur et ce livre m’a apaisée.
Paulo Coelho, ça se vend autant qu’«Harry Potter».
C’est mainstream.
Non, c’est spécial. Coelho nous donne un grain de spiritualité
qui nous manque. Ses livres, L’Alchimiste surtout, sont à part.
Cela dit, quand il vire dans le religieux, je n’en veux pas. Je ne
suis pas religieuse.
Vous aimez la scène: pourquoi?
Je raconte des histoires, pour chacun. Je le fais à travers des
explosions, ou des silences. Je joue avec une certaine
physicalité. Mais je cherche aussi de la profondeur. Le
physique et l’âme, on a besoin des deux.
Ute Lemper Bâtiment des Forces Motrices, place des
Volontaires 2, mardi 16 décembre à 20 h 30. Infos: opusone.ch (TDG)
(Créé: 12.12.2014, 19h42)
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