Et lE sort dE « JEn

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Et lE sort dE « JEn
Et le sort de « Jen » ?1
>Carlos Polenus
Conseiller spécial de la Confédération Syndicale
Internationale, il est devenu un expert des questions
syndicales et ouvrières en Chine. Auparavant, il a
été secrétaire fédéral du BBTK (Setca flamand),
il a enseigné l’économie et travaillé en Afrique
La Chine n’est pas près de disparaître de l’actualité. Pour les nationalistes, c’est une dictature Han qui opprime les minorités ethniques,
pour les démocrates, il s’agit d’un système politique autoritaire
cheminant vers le statut de superpuissance, pour les entrepreneurs
est un pays de cocagne doté d’énormes marchés et d’une grande
liberté d’entreprise, à savoir la liberté de payer des salaires peu élevés,
d’imposer de longues heures de travail, et de polluer sans relâche.
L’évolution sociale de « Jen », le travailleur chinois moyen, est,
elle peu connue.
En 2007, après quatre années de préparation académique et de
débat, une nouvelle législation a été adoptée en matière de travail.
Elle concerne tous les travailleurs : ouvriers, employés et fonctionnaires. Il est intéressant de constater que l’Internet a été impliqué
dans l’élaboration de la réforme. Au cours de l’année 2006, ce sont
pas moins de 190 000 commentaires en ligne qui ont été traités par
un professeur d’université et son équipe, avant la phase finale de
marchandage politique.
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Traduction du néerlandais par Edgar Szoc
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Le seul pays au monde dans lequel une démarche similaire
a été menée est le Brésil. Sous la présidence de Lula, les droits
syndicaux ont en effet sensiblement progressé, notamment en
termes de droit d’initiative d’établissement d’un syndicat, de
protection des délégués syndicaux d’entreprise et de contrôle
de l’application de la législation sociale et du travail.
En Chine, c’est une population de plus de 300 millions de travailleurs
qui a désormais sans aucune équivoque droit à un contrat de travail
écrit reprenant le salaire horaire, le nombre d’heures ouvrées hebdomadairement, la tarification des heures supplémentaires, et l’interdiction
des châtiments corporels. C’est donc un marché du travail formel qui
est créé. Un employeur qui ne paierait plus de salaire depuis six mois à
un travailleur migrant venu de la campagne, ne pourra plus prétendre
devant un tribunal qu’il n’a jamais entendu parler de cette personne.
La retenue sur salaire ou le non-paiement de celui-ci sont dorénavant considérés comme des vols. Les sanctions arbitraires et physique
sont interdites, le licenciement sans préavis ni indemnité est illégal.
L’application de cette loi a été rapide grâce à la mise en place
d’un système national de comités de médiation individuelle. Ceuxci donnent aux travailleurs migrants la possibilité de déposer
gratuitement plainte sans obligation de rester dans la province
où ils travaillent, ni de recourir aux services onéreux d’un avocat
du travail. Les plus de 600 000 plaintes annuelles ont démontré
l’utilité pratique du système.
Le syndicat unique chinois, l’ACFTU (All China Federation of
Trade Unions) a négocié et promu cette loi, mais n’en constitue pas
l’agent actif sur le terrain des entreprises. C’est d’ailleurs, de manière
plus générale, que son impact s’avère supérieur sur le contrôle
réglementaire au plan national que sur les entreprises elles-mêmes.
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Des études datant de 2010 ont permis de constater que 11%
d’employés supplémentaires disposaient désormais d’un contrat
écrit et que 6% se trouvaient en cours d’une procédure fondée sur
le nouveau Code du travail. Ce sont en particulier les travailleurs
migrants, qui constituaient la partie la plus vulnérable du marché
de l’emploi, qui bénéficient de la nouvelle législation. Une zone
grise subsiste toutefois de manière non négligeable, puisqu’elle
constituerait 16% de la force de travail.
Le marché chinois de l’emploi est particulièrement segmenté :
environ 200 millions de travailleurs paysans ont quitté les provinces
intérieures pour aller travailler dans les provinces côtières. Leur
salaire y est nettement plus élevé que dans les campagnes – mais au
prix d’une lourde exploitation physique, sociale et même culturelle.
Ils ne disposent pas des mêmes droits que les travailleurs urbains et
n’ont pratiquement pas accès aux services sociaux tels que la garde
d’enfants, l’école, les soins de santé, le logement, etc.
Beaucoup en reviennent avec des récits d’horreur. Mais ils se sont
également frottés à la modernité et se sont acquis quelques compétences.
C’est parfois à la campagne même qu’ils montent leur propre affaire.
La politique chinoise de l’enfant unique commence à atteindre son
point de basculement démographique. La population est vieillissante
et l’afflux de nouveaux travailleurs sur le marché va diminuant. La
jeune génération issue de la campagne n’est par ailleurs plus prête
à subir le même travail d’esclave que les précédentes. Ils veulent
de la ville, mais ils veulent aussi y rester et profiter des avantages
de la modernité. C’est avec les images télévisées de l’Exposition de
Shanghai et des Jeux olympiques de Pékin qu’ils ont grandi.
Pour attirer des travailleurs en suffisance, certaines villes et provinces
côtières améliorent leurs conditions de séjour. Trente d’entre elles ont
augmenté le salaire minimum en vigueur. Les salaires minimums
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en Chine constituent d’ailleurs moins un véritable plancher qu’un
objectif à atteindre pour les migrants.
droit de grève, de médiation des conflits collectifs, etc. a fait l’objet
d’un large échange entre les deux organisations.
Pour répondre à la pénurie de travailleurs, les entreprises engagent également des étudiants. Les lignes de production de biens
d’exportation comme les iPod, iPhone ou iTab destinés aux consommateurs occidentaux branchés sont occupées par des travailleurs
qui, dans 99% des cas, y restent moins d’une année. C’est de cette
façon que les étudiants les plus pauvres gagnent l’argent nécessaire à
leur scolarité. Quant aux enseignants, ils conservent leur emploi en
fournissant au recrutement des groupes d’étudiants à engager en bloc.
Le temps est donc venu de prendre nos responsabilités. Grâce à
l’amélioration du partenariat avec des universitaires et des militants
syndicaux chinois, le mouvement syndical international est à même
d’obtenir de réels progrès.
Lorsque les 30% des étudiants travaillant au sein de l’usine Honda
à Nanhai (province du Guangdong) ont constaté que l’augmentation
du salaire minimum provincial ne leur était pas appliquée, ils ont
organisé une grève. Bien que relevant du ministère de l’Éducation,
et donc en dehors du périmètre du droit du travail, ils ont réussi leur
grève puisque l’augmentation de salaire leur a été accordée. Elle a
d’ailleurs donné le coup d’envoi à une série d’arrêts de travail, de
manifestations et de grèves dans plus de 1000 entreprises exportatrices du Guangdong. C’est également à l’extérieur de la province
du Guangdong que les travailleurs ont mené le combat – tout en se
limitant à des revendications d’ordre économique. La presse leur
a témoigné beaucoup de sympathie et les médias sociaux se sont
chargés de les soutenir et de les relayer.
L’ACFTU a réagi rapidement à cette occasion de mettre le système
actuel de négociations collectives en surchauffe, en exigeant de passer
du droit actuel à l’information en matière de salaires à un système
de salaire négocié entre délégués syndicaux et chefs d’entreprise.
L’accord de coopération conclu entre la CSI (Confédération syndicale
internationale) et l’ACFTU y a d’ailleurs joué un rôle : le savoir-faire
en matière de négociations collectives, de relations industrielles, de
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