L`industrie musicale française et le Star System

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L`industrie musicale française et le Star System
Université Paul Cézanne
Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille
Institut de recherche et d’études en droit de la communication et de l’information
L’INDUSTRIE MUSICALE FRANÇAISE
ET LE STAR SYSTEM
Anne-Christelle BLANCHON
Mémoire
Réalisé sous la direction de M. le Professeur Guy Drouot
Master Recherche Droit des Médias
2007-2008
2
Université Paul Cézanne
Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille
Institut de recherche et d’études en droit de la communication et de l’information
L’INDUSTRIE MUSICALE FRANÇAISE
ET LE STAR SYSTEM
Anne-Christelle BLANCHON
Mémoire
Réalisé sous la direction de M. le Professeur Guy Drouot
Master Recherche Droit des Médias
2007-2008
3
« L’Université n’entend donner aucune approbation, ni
improbation, aux opinions émises dans les mémoires,
ces opinion devront être considérées comme propres à
leurs auteurs. »
4
Ce mémoire est l’aboutissement d’un travail rendu possible grâce à
l’investissement de plusieurs personnes que je souhaite
remercier
tout particulièrement
Mon directeur de mémoire M Guy Drouot pour ses
conseils dans l’élaboration de mon mémoire
Toute l’équipe enseignante de l’IREDIC et notamment
mon directeur de Master M Jean Frayssinet pour nous
permettre de traiter des sujets ouverts
Mes parents pour leur soutien
5
Je suis surtout connu pour ma notoriété
Andy Warhol
Je suis star de la pop, je sais que c’est injuste et que ce n’est
pas mérité. Mais heureusement que la vie est injuste sinon je
ne serais pas riche et célèbre
Robbie Williams
Chaque fois qu’il y a un changement de support, il y a un
Socrate qui engueule un Platon
Michel Serres
6
ABRÉVIATIONS
Art.
Article
C. Cass.
Cour de Cassation
CA
Cour d’appel
CSA
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
CPI
Code de la Propriété Intellectuelle
FAI
Fournisseur d’accès à internet
IFPI
Fédération internationale de l’industrie phonographique
MTP
Mesures techniques de protection
SACEM
Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
SCPP
Société civile des producteurs phonographiques
SNEP
Syndicat national de l’édition phonographique
SPPF
Société civile des producteurs de phonogrammes en France
TGI
Tribunal de Grande Instance
TNT
Télévision numérique terrestre
VOD
Vidéo on demand
7
SOMMAIRE
INTRODUCTION
TITRE I LA DOMINATION DU STAR SYSTEM DANS LE
MONDE DU PRÉ-NUMÉRIQUE
CHAPITRE 1 : L’INDUSTRIE MUSICALE DIRIGÉE PAR LES MAJORS
DU DISQUE
CHAPITRE 2 : L’INDUSTRIE MUSICALE TIRAILLÉE ENTRE
CONCENTRATION ET DIVERSITÉ
TITRE II LA REMISE EN CAUSE DU STAR SYSTEM
À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE
CHAPITRE 1 : L’INTÉGRATION MALAISÉE DES MAJORS DANS LE
MONDE NUMÉRIQUE
CHAPITRE 2 : L’INTRUSION RÉUSSIE DES INDÉPENDANTS DANS LE
MONDE NUMÉRIQUE
CONCLUSION
8
INTRODUCTION
Raymonde Moulin affirmait il y a quelques années que « l’artiste n’est affranchi, pour
assurer son existence, ni du marchand, ni de la critique, ni de la demande, ni des mécanismes
publicitaires, ni des aléas de l’économie. 1». En effet, la création musicale est avant tout le
résultat d’une véritable industrie, c’est-à-dire une activité à but lucratif organisée à grande
échelle, dont la logique économique paraît supplanter l’amour de l’art.
Depuis l’invention du phonographe Thomas Edison en 1877, permettant pour la
première fois la reproduction de la voix humaine sur un support enregistré, la musique s’est
démocratisée. Le temps où le premier disque, un 78 tours, tournait sur le gramophone d’Émile
Berliner crée en 1888 est désormais révolu. Nous sommes passés d’une pratique élitiste à un
divertissement de masse. C’est l’invention du compact disc qui permettra de démocratiser
définitivement la musique en tant que pratique culturelle. Or, depuis le début des années 2000,
l’industrie du disque semble montrer quelques failles et voit son chiffre d’affaires
progressivement baisser.
Cette phase de récession de l’industrie musicale, bien qu’elle alarme tous les acteurs de
ce marché, n’est pourtant pas la première. En effet, déjà dans les années 1920, l’essor de la
diffusion de musique gratuite à la radio avait été accusé de pénaliser les ventes de disques.
Toutefois, rapidement, la radio n’est plus apparue comme un concurrent du disque mais au
contraire comme un instrument de promotion. Il s’agit d’ailleurs aujourd’hui de l’un des
principaux canaux de prescription des œuvres musicales. Par la suite, au début des années
1980, la baisse des ventes de vinyles a été imputée aux copies effectuées sur les cassettes
vierges. La Recording Industry Association of America (RIAA) avait lancé à cette époque une
campagne intitulée « Home taping is killing music ». Pour autant, et une fois encore,
l’industrie musicale a su sortir de cette phase de récession et se redynamiser autour d’un
nouveau support, le compact disc.
Aujourd’hui, ce support physique fait lui aussi l’objet d’une crise que l’industrie
musicale peine à dépasser. Le banc des accusés est cette fois-ci occupé par le piratage
numérique. Ce n’est plus ici l’apparition d’un nouveau support physique qui déstabilise
1
Moulin (R.), De la valeur de l’art, Flammarion, Paris, 1995, p. 22.
9
l’industrie musicale mais au contraire l’apparition d’une activité qui s’exerce en l’absence
d’un tel support (outre son ordinateur). Cette révolution numérique, dont la dématérialisation
de l’œuvre est l’élément le plus frappant, a plongé les acteurs de la filière musicale dans le
désordre le plus complet. Le lien, classiquement entretenu entre ces derniers sur le marché
physique de la musique, semble se désorganiser.
En effet, l’industrie musicale actuelle présente une structure atypique dominée par des
multinationales, verticalement intégrées et concentrées horizontalement (dénommées les
majors du disque), autour desquelles gravitent une kyrielle de petits acteurs indépendants.
Cette structure résulte notamment des différents phénomènes de concentration opérés à
l’occasion des phases de récession de l’industrie du disque. Ainsi, la crise qui frappe le
secteur au tournant des années 1930 a eu pour conséquence un fort mouvement de
concentration. À la fin des années 1930, quatre grandes firmes dominent le marché :
RCA/Victor, Columbia, EMI et Decca.
Progressivement, les industries du disque apprennent à élaborer des stratégies mettant
en place une complémentarité entre disque et radiodiffusion. Notamment, les politiques de
construction de stars, capables de vendre plusieurs millions de disques, reposent très
fortement sur la radiodiffusion intensive des titres. Peu d’attention est consacrée à la qualité
de la musique proprement dite dans cette stratégie commerciale. Les plus grandes firmes ne se
concentrent que sur quelques artistes très vendeurs. C’est la naissance du star system. La
firme Decca l’a organisé de façon plus systématique en focalisant ses efforts sur un nombre
limité de grandes stars, qu’elle produit en très grandes quantités via de vastes campagnes de
promotion2.
Le développement du haut débit et l’engouement pour les réseaux peer-to-peer sont en
passe de remodeler ce système économique et provoque de nouveaux problèmes juridiques.
Le peer-to-peer est actuellement l’une des technologies les plus performantes de l’internet en
permettant l’échange massif de fichiers entre internautes, sans que les contenus soient
obligatoirement stockés sur un serveur facilement identifiable. Le piratage numérique de
fichiers musicaux est devenu aujourd’hui une pratique extrêmement courante. Il est considéré
comme la cause essentielle de la faille des majors ces dernières années. Celles-ci arrivent en
2
Beuscart (J-S.), La construction du marché de la musique en ligne, Thèse, Cachan, 2006, 430 p.
10
effet difficilement à suivre le rythme de l’incontrôlable immersion des nouvelles technologies
sur le marché.
Cependant, toutes ces phases de récession successives ne sont peut-être pas tant dues à
l’apparition de nouveaux formats qu’à l’absence de cohésion entre ces derniers. En effet,
l’industrie musicale a été frappée depuis son existence par des guerres de standards
successives mises en opposition avec des phases de coopération technologique. À titre
d’exemple, le lendemain de la Seconde Guerre mondiale s’est vu proposer le 33 tours de la
CBS en même temps que le 45 tours de la RCA. Malgré la cohabitation singulière de ces deux
formats, cette segmentation du marché musical a tout d’abord semé la confusion dans l’esprit
des consommateurs et fait baisser les ventes de disques de 23% entre 1947 et 19493. 60 ans
plus tard, le même épisode se renouvelle. Le développement du marché de la musique en
ligne est en effet entravé du fait de la coexistence entre de multiples standards, témoignant
d’une certaine mésentente entre les majors de la musique et posant des problèmes
d’interopérabilité pour les consommateurs entre les différents lecteurs.
Toutes les critiques portées à l’encontre du numérique sont-elles cependant vraiment
justifiées ? Ne pourrait-il pas être, lui aussi, un nouveau relai de croissance comme le furent
en leur temps tous les nouveaux formats ? En clair le piratage menace-t-il vraiment l’industrie
musicale comme ont l’air de le prétendre les majors du disque ? Ou celles-ci ne craignentelles pas plutôt de voir disparaître leur hégémonie sur le marché musical ? Finalement, le
monde numérique ne marquerait-il pas la fin du star system plus que celle de l’industrie
musicale ? Malgré le caractère international de ces interrogations, le rôle central des règles de
droit dans le fonctionnement de l’industrie musicale justifie que l’on restreigne le champ de
notre étude au cadre français.
Le star system régulait jusqu’à présent tous les maillons de la chaîne de valeur de
l’industrie du disque. Or, l’apparition de nouveaux réseaux de distribution, en particulier la
vente en ligne, augure d’une modification structurelle de la filière musicale. L’offre
disponible sur le marché est désormais quasiment indénombrable et son accès simplifié, ce
qui tend à réduire le pouvoir d’influence des plus gros. Le passage du monde physique au
3
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, éd. La découverte, coll. Repères, Paris, 2006, p. 34.
11
monde numérique déséquilibre les rapports de force établis entre les majors de la musique et
les indépendants, le plus souvent au profit de ces derniers.
Au-delà de son aspect économique omniprésent, la logique du star system et sa remise
en cause depuis la révolution numérique soulève également de nombreux débats juridiques.
L’économie et le juridique sont en effet très étroitement imbriqués au travers des questions
relatives au droit de la concurrence. La concentration accrue du marché de la musique
enregistrée est tout à fait symptomatique des abus susceptibles d’être commis par ces
entreprises culturelles. En adoptant une vision un peu plus large, le droit d’auteur apparaît lui
aussi sujet à caution dans l’organisation économique de l’industrie musicale. La grande loi sur
le droit d’auteur de 19574 modifiée en 19855, organisant la protection et la rémunération de
ces derniers ne tient pas compte de l’influence du lobbying et des majors dans l’industrie
musicale. Tel n’est d’ailleurs pas le rôle qui lui est dévolu. Cependant, la conception
personnaliste du droit d’auteur français telle qu’issue de ces lois se révèle parfois peu en
adéquation avec la conception économique de l’industrie musicale. Dans la logique du star
system, il ne s’agit pas de répondre à un soucis égalitaire à l’égard des auteurs d’œuvres de
l’esprit mais au contraire d’en privilégier quelques uns au détriment des autres.
Avec la révolution du numérique, le droit d’auteur est encore un peu plus laissé en
marge de l’exploitation des œuvres musicales. La culture du « tout gratuit » s’est installée en
même temps que les réseaux peer-to-peer jusqu’à mettre en danger l’avenir de la création
musicale. Liberté, égalité et gratuité semble être le nouveau triptyque applicable au monde de
l’internet6. L’engouement pour la consommation gratuite et illégale d’œuvres musicales fait
des ravages pour les ayants-droit. Les atteintes au droit d’auteur se multiplient et sont de plus
en plus difficile à endiguer. Il a alors fallu envisager de nouveaux instruments juridiques pour
assurer l’effectivité du droit d’auteur dans le monde des réseaux.
Tout d’abord, de nombreuses commissions de lutte contre le piratage ont
successivement été mises en places afin de trouver une solution à ce phénomène et établir des
rapports sur le sujet. Parmi eux, on peut citer deux rapports récents, respectivement de M Jean
4
Loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la Propriété Littéraire et Artistique.
Loi n° 85-660 du 3 juillet 1985, relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des
producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle, publiée
au JO du 4 juillet 1985.
6
Voir sur ce point Axel (P.), La révolution musicale : Liberté, égalité, gratuité, éd. Pearson Education France,
Paris, 2007, 225 p.
5
12
Cedras sur « le téléchargement illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur »7, et celui issu
de la commission Olivennes portant sur « le développement et la protection des œuvres
culturelles sur les nouveaux réseaux »8. Ensuite, au niveau communautaire, la directive « sur
l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de
l’information » a vu le jour le 22 mai 20019. Enfin, plus de trois ans après la date limite de
transposition en droit interne10, la loi française du 1er août 200611 dite DADVSI a été adoptée,
en créant une série de disposition permettant de mieux appréhender l’activité dans la « société
de l’information ».
Grâce à l’adaptation du droit aux nouvelles technologies, l’industrie de la musique peut
poursuivre les contrefacteurs de l’internet, mais aussi proposer des services de distribution de
musique adaptés aux contraintes de l’offre en ligne. En effet, la loi DADVSI de 2006 tient
notamment compte des différents aspects de la contrefaçon numérique en sanctionnant les
acteurs favorisant le téléchargement illégal sur internet12. Dans son aspect préventif, la loi
prévoit également la mise en place de mesures techniques de protection destinées à réguler les
utilisations d’œuvres en ligne13. Ces mesures ont néanmoins été sérieusement remises en
cause à l’occasion de la commission Olivennes. Remis sur le bureau de l’Élysée le 23
novembre 2007, ce rapport, dirigé par M Denis Olivennes, est le résultat d’un accord conclu
entre les ayants-droit du cinéma, de l’audiovisuel et de la musique, les fournisseurs d’accès à
internet (FAI) et les pouvoirs publics.
En revanche, la commission Olivennes ne remet en cause la lutte contre le piratage et
prévoit au contraire son renforcement grâce à la mise en place d’une riposte graduée via un
7
« Le téléchargement illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur », Rapport confié à J. Cedras et remis au
ministre de la Culture et de la Communication le 12 avril 2007.
8 « Le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux », Rapport remis au
ministre de la Culture et de la Communicationle 23 novembre 2007, mission confiée à D. Olivennes (président
directeur général de la FNAC), assisté par O. Bomsel (professeur d’économie et chercheur au Centre d’économie
industrielle de l’Ecole des Mines), I. Falque-Pierrotin (conseiller d’Etat, déléguée générale et présidente du
Conseil d’orientation du Forum des droits sur l’internet) et P. Faure (vice-président du Conseil général des
technologies et de l’information).
9
Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, sur l’harmonisation de certains aspects du droit
d’auteur et droits voisins dans la société de l’information, 22 mai 2001.
10
Fixée par l’article 13 de la directive au 22 décembre 2002.
11
Loi n° 2006-961 du 1er août 2006, relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de
l’information, publiée au JO du 3 août 2006.
12
Il est ainsi prévu par exemple à l’article L. 335-2-1 du CPI qu’ « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de
300 000 euros d'amende le fait : 1° D'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public,
sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public
non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés ; 2° D'inciter sciemment, y compris à travers une annonce
publicitaire, à l'usage d'un logiciel mentionné au 1°. ».
13
Art. L. 331-5 du CPI.
13
mécanisme d’avertissement et de sanction14. Une telle mesure, requérant un système de
filtrage des internautes et des fichiers échangés, fait grand bruit au sein des professionnels de
l’internet ainsi que du côté des consommateurs. La mise en place à grande échelle d’une
technique de filtrage généralisée renforcerait les majors dans leur logique de fermeture du
marché et servirait en réalité plus les intérêts de ces dernières que ceux des artistes. C’est ce
dont nous allons nous rendre compte au cours de notre développement. Cependant, malgré les
critiques et le désaccord des parlementaires européens pour ce mécanisme15, ainsi que toutes
les difficultés juridiques qu’il pose, notamment du point de vue de la protection des données
personnelles16, le législateur a prévu de déposer un tel projet de loi devant le conseil des
ministres le 11 juin 200817.
Tous ces débats d’actualité sont le reflet d’une profonde mutation de l’industrie
musicale et de son modèle économique dominant, à savoir le star system. Il était donc
intéressant de se pencher sur la question du véritable impact du numérique sur l’industrie
musicale. Or, pour cela, il est nécessaire de comprendre les rouages actuels de la filière
musicale. Le star system n’est pas seulement un concept mais régit bel et bien l’ensemble des
stratégies adoptées par l’industrie musicale. Il est à l’origine de nombreuses faiblesses dans la
diversité musicale et de nombreuses inégalités dans la répartition des valeurs. Il apparaît alors
comme l’une des raisons de la mise en place de mesures destinées à sauvegarder le pluralisme
musical ou à assurer le financement de l’ensemble des acteurs de l’industrie musicale.
La source des incertitudes d’ordre économique, politique et juridique de notre actualité
est liée au fait que l’industrie musicale est à ce jour entre deux tendances : une concentration
des acteurs de plus en plus aigüe en parfaite harmonie avec la logique du star system et une
remise en cause de ce système dans le monde du numérique et du piratage massif. Pour
comprendre les causes et conséquences de cette mutation, il nous faut connaître les
mécanismes du star system et ceux des réseaux peer-to-peer.
14
Voir sur ce point le rapport de la commission Olivennes.
Voir sur ce point le rapport Bono, adopté par le Parlement européen le 11 avril 2008.
16
L’application du mécanisme d’avertissement et de sanction suppose en effet qu’à un moment les coordonnées
numériques dont dispose l’autorité publique en charge de cette procédure soient rapprochées du nom du titulaire
de l’abonnement. Or, comme l’a précisé le conseil constitutionnel dans sa réserve d’interprétation de sa décision
n°2004-499 du 29 juillet 2004, les données personnelles recueillies à l’occasion de la collecte des adresses IP
« ne pourront, en vertu de l’article L 34-1 du Code des Postes et des Communications électroniques, acquérir un
caractère nominatif que dans le cadre d’une procédure judiciaire et par rapprochement avec des informations
dont la durée de conservation est limitée à un an ».
17
Dumout (E.), « Riposte graduée : le projet de loi Hadopi au conseil des ministres le 11 juin », www.zdnet.fr, 20
mai 2008.
15
14
En effet, il s’agit de savoir comment et pourquoi le star system, un modèle économique
qui dirige tout le secteur de l’industrie musicale depuis l’apparition de la musique enregistrée,
est aujourd’hui en passe d’être supplanté par de nouveaux modèles économiques issus du
monde de l’internet. Quel est aujourd’hui l’avenir de l’industrie musicale au regard, d’un côté
de la croissance exponentielle du téléchargement illégal et, de l’autre, de la forte
concentration du marché musical ? Le star system est-il en train de céder sa place ou peut-il
au contraire se réaffirmer au sein du monde numérique ? Quels autres régimes, tant
économiques que juridiques, sont susceptibles d’accompagner l’évolution de l’industrie
musicale et de répondre à ses nouveaux besoins ?
Pour répondre à ces questions, il apparaît opportun d’apprécier l’omnipotence du star
system dans le monde du pré-numérique (Titre 1.) pour mieux évaluer les difficultés
rencontrées par ce modèle dans le monde numérique (Titre 2.). Cela nous permettra peut-être
d’envisager des alternatives à la structure actuelle de l’industrie musicale.
15
TITRE I LA DOMINATION DU STAR SYSTEM DANS
LE MONDE DU PRÉ-NUMÉRIQUE
Au-delà de sa valeur purement artistique, la musique s’analyse également aujourd’hui
comme une valeur financière considérable. Devenue une véritable industrie, la filière
musicale n’est pas resté longtemps l’apanage des seuls amoureux de la musique. Les grandes
multinationales y ont vu leurs intérêts et se sont intégrées dans la chaîne de valeur jusqu’à en
contrôler les maillons. Désormais, toute l’organisation de l’industrie musicale est le résultat
des actions des majors (Chapitre 1.) qui ont définitivement démocratisé la musique et impulsé
sa diversification. Quelques grandes sociétés maîtrisent donc le secteur musical et contribuent
à en rendre l’accès de plus en plus difficile pour les nouveaux acteurs. Le monde prénumérique est en effet caractérisé par un phénomène de concentration important, au risque
parfois de nuire à la diversité culturelle (Chapitre 2.). Au regard de sa structuration actuelle,
on constate alors que le marché physique de la musique enregistrée se confrontent à de
nombreuses difficultés pour relancer sa croissance.
16
CHAPITRE 1 L’INDUSTRIE MUSICALE DIRIGÉE PAR LES
MAJORS DU DISQUE
Quelques grandes majors déterminent la politique artistique suivie par nos vedettes.
Elles sont à l’origine de toutes les stratégies commerciales observées dans le marché du
disque et régulent les flux financiers et artistiques circulant au sein de ce marché (Section 1.).
L’hégémonie des majors dans l’industrie musicale a comme conséquence l’éviction des
indépendants, qui ne sont plus à même d’offrir aux artistes des garanties suffisantes pour le
suivi de leur carrière (Section 2.). Toute l’organisation de la filière musicale et de leurs
acteurs reposent donc essentiellement sur les rapports de force entretenus entre les majors et
les indépendants, lesquels sont de plus en plus étroitement liés.
SECTION 1
L’HÉGÉMONIE DES MAJORS DU DISQUE DANS L’INDUSTRIE
MUSICALE
Le pouvoir d’influence exercé par les majors au sein du marché physique de la musique
est le reflet de leur puissance financière. Présentes dans tous les maillons de la chaîne de
valeur de la filière musicale (§1.), les majors marquent sans réelles difficultés leur
prépondérance dans le secteur de l’industrie phonographique (§2.). C’est en cela que le
marché du disque se retrouve construit selon la logique du star system, c’est-à-dire une
logique économique privilégiant la starisation des artistes plutôt que la qualité de leurs
œuvres.
§1 La structure actuelle du marché physique de la musique
Le marché physique de la musique est déterminé selon un processus chronologique
précis. La vie d’un disque se déroule ainsi à travers différents cycles, allant de la création
même de l’œuvre jusqu’à sa commercialisation auprès du client final (A.). Le rôle joué par les
17
majors et les indépendants à l’intérieur de ces cycles diffèrent quelque peu, selon la capacité
de chacun (B.).
A Les différentes étapes de la fabrication du disque
Pour passer de l’œuvre musicale au produit fini, le disque, plusieurs étapes sont
nécessaires. Ces étapes étroitement liées entre elles régissent la filière industrielle du disque
depuis la création de l’œuvre musicale (1.) jusqu’à son industrialisation (2.), c’est-à-dire son
exploitation matérielle.
1) La création artistique
La création artistique s’élabore grâce à la dynamique de trois acteurs successifs. Tout
d’abord, une œuvre ne naît pas sans son ou ses auteurs. Dans le cadre d’une œuvre musicale,
l’auteur du texte et le compositeur de la musique (éventuellement l’arrangeur) qui sont parfois
une seule et même personne, constituent ces « auteurs ». L’éditeur graphique, avec qui les
auteurs ont conclu un contrat d’édition, intervient ensuite pour administrer l’exploitation de
l’œuvre. Son rôle, à l’origine restreint à la transcription de l’œuvre sur papier et à la vente des
partitions, s’est aujourd’hui diversifié. Il recherche des débouchés annexes au disque comme
des adaptations audiovisuelles, des publicités, des compilations et va même parfois jusqu’à
aider l’artiste dans la gestion de sa carrière. Les rôles d’éditeur graphique et de producteur
semblent ainsi s’entremêler. Enfin, l’artiste-interprète (essentiellement le chanteur) est le
dernier maillon du chaînon de la création artistique en se plaçant sur la scène médiatique.
Le droit d’auteur intervient ici au titre de la protection de l’œuvre originale18 et de la
rémunération des créateurs en contrepartie de l’exploitation commerciale de ladite œuvre.
Titulaires de droits moraux19 et patrimoniaux20, les auteurs peuvent décider comme ils
l’entendent du moment et des conditions dans lesquelles l’œuvre sera mise à la disposition du
public. À la différence du copyright anglo-saxon, la conception personnaliste du droit
18
Art. L. 111-1 du CPI : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un
droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous […] ».
19
Art. L. 121-1 du CPI : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre […] ».
20
Art. L. 122-1 du CPI : « Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le
droit de reproduction. ».
18
d’auteur ne semble pas suivre une logique du profit maximum, mais marque bien l’accent sur
l’existence d’un véritable droit exclusif au profit des créateurs plus que d’un simple droit à
rémunération. En réalité, si les droits de propriété intellectuelle agissent comme un voile
protecteur devant d’éventuels comportements clandestins qui exploiteraient l’œuvre de
manière non autorisée, ce voile ne résiste pas à la réalité du marché. En effet, dans une
logique de star system l’auteur dépend entièrement de sa maison de disques qui détermine
souvent elle-même les conditions d’exploitation de l’œuvre. L’auteur n’a que peu de poids
dans la chaîne industrielle du disque et il lui est difficile, avant d’accéder au statut de star, de
négocier les clauses de son contrat. Ce transfert de pouvoir d’influence de la tête de l’auteur à
celle de son producteur est le résultat d’un marché fondé sur la commercialisation à grande
échelle des œuvres avant d’inciter au renouvellement de la création. Or, la deuxième étape
dans la filière du disque, à savoir l’industrialisation de l’œuvre, est précisément le fait du
producteur et de l’éditeur phonographique.
2) L’industrialisation de l’œuvre musicale
La filière musicale, au-delà de son aspect culturel, est avant tout une filière industrielle
dans son fonctionnement. L’exploitation commerciale de l’œuvre créée fait ainsi partie
intégrante du processus artistique. La vie économique de l’œuvre commence avec le
producteur qui finance l’enregistrement du master, c’est-à-dire de la bande-mère dont il
détient la propriété. Juridiquement, il s’agit de « la personne physique ou morale qui prend
l’initiative et la responsabilité de l’œuvre 21». Il faut la distinguer du producteur artistique qui
porte la responsabilité artistique de l’enregistrement contre une rémunération assise sur les
ventes. Après la réalisation du master, l’éditeur phonographique assure la production
industrielle de l’œuvre, c’est-à-dire sa fixation et sa reproduction sur un support matériel, CD,
DVD musical ou fichier numérique.
Dans les faits, ces fonctions se retrouvent souvent effectuées par une maison de disques
et sont, en termes économiques, l’activité la plus importante de l’activité industrielle
musicale. Les majors sont alors les plus à même de supporter cette exploitation matérielle de
l’œuvre. Une fois le produit fini, celui-ci va être commercialisé par un distributeur auprès des
grossistes et des détaillants. L’activité de distribution mêle gestion des stocks et stratégies de
21
Art. L. 132-23 du CPI.
19
positionnement des produits en fonction du public ciblé. Là encore, les majors sont
extrêmement présentes et possèdent toutes leur propre structure de distribution. Cette dernière
phase de la chaîne de valeur de l’industrie musicale achève le circuit physique de la vie d’un
disque.
Durant toutes ces étapes, indépendants et majors interviennent à des degrés différents en
fonction essentiellement de leur capacité financière.
B La répartition des rôles entre indépendants et majors
L’industrie musicale se présente comme un oligopole à frange concurrentielle. Cette
expression communément admise pour définir la structure de la filière phonographique
illustre les rapports de force entretenus entre les majors de la musique et les indépendants. Cet
éternel combat entre David et Goliath aboutit ici à une répartition des rôles entre ces deux
acteurs, les indépendants intervenants au stade de la détection des talents (1.) et les majors
assurant ensuite le suivi de la carrière de ces talents (2.).
1) La détection des talents par les indépendants
Il semble que l’art et l’exigence de résultats immédiats fassent rarement bon ménage.
Ceci semble avoir parfaitement été appréhendé par les labels indépendants qui privilégient a
priori la recherche de talents au profit à court terme. Ils sont réputés offrir un meilleur
traitement aux artistes grâce notamment à leur connaissance du terrain et un contact plus
direct avec les artistes et le public, du fait de leur petite taille. Dans l’industrie du disque, ces
indépendants sont considérés comme la frange concurrentielle de l’oligopole, c’est-à-dire des
majors. Le secteur musical serait ainsi structuré autour des rapports entre un centre et une
périphérie22. Cette périphérie ne doit pas pour autant être relayée à la marge, tant elle est
importante pour l’équilibre de la filière musicale. En France, les indépendants contrôlent plus
de la moitié de l’offre de musique enregistrée et agissent comme découvreurs de talents. Les
innovations de contenus viennent donc essentiellement de la périphérie du secteur. Les
22
D’Angelo (M.), « L’impitoyable industrie du disque », Le Monde, juin 1998, pp. 24-25.
20
producteurs indépendants travaillent souvent, au moins à leurs débuts, sur un créneau musical
spécifique.
En effet, pour entrer sur le marché, les indépendants ont dû, à défaut de moyens de
promotion suffisant, orienter leurs activités en direction de ce que l’on appelle des « niches
musicales ». Il s’agit d’un marché spécialisé relativement étroit par opposition aux marchés de
masse comme la variété, par exemple. Ce fut le cas du rock dans les années 50, du reggae
dans les années 70, du rap dans les années 80 ou encore de la world music et de la techno. Peu
connus à leurs débuts, ces secteurs n’intéressaient pas les majors qui recherchaient le profit
immédiat. Les indépendants pouvaient alors investir ces musiques dont le coût de production
artistique reste relativement abordable. Toutefois, l’engouement constaté aujourd’hui par les
consommateurs pour ces musiques ont conduit les majors à s’y intéresser. Ce qui constituait
autrefois des « niches musicales » sont devenues des secteurs dominés par les majors. Mais ce
qui est important de relever ici, c’est que la reconnaissance et le développement de ces genres
musicaux n’a été rendu possible que par l’existence de structures indépendantes.
En revanche, ces structures indépendantes peuvent difficilement assurer le suivi de la
carrière de leur artiste devenue une star.
2) Le suivi de la carrière de l’artiste par les majors
Quatre majors – Universal Music, Warner Music, Sony-BMG et EMI – réalisent près
des trois quarts du chiffre d’affaires mondial de l’industrie, et même plus de 80% en Europe et
aux États-Unis. Cette situation oligopolistique des majors témoigne d’une grande
concentration dans l’offre de musique enregistrée. Ces majors ont le caractère de
multinationales aux secteurs diversifiés (cinéma, audiovisuel, livre, presse) et sont présentes
sur les cinq continents par l’intermédiaire de nombreuses filiales. Elles interviennent
également aux différents stades de la réalisation et de la gestion du phonogramme et surtout
de la commercialisation et de la promotion des produits à l’échelle mondiale, grâce à la
maîtrise de la distribution23. Ainsi, grâce au contrôle des moyens de distribution et de
l’ampleur de leurs moyens marketings, les majors sont considérées comme les plus à même
d’assurer le suivi de la carrière des stars. Trois caractéristiques essentielles distinguent les
23
Voir infra, p. 32.
21
majors des producteurs indépendants : le cumul des activités d’édition, de production et de
distribution, leur dimension internationale et leur surface financière.
La trajectoire usuelle d’un artiste est ainsi de débuter avec un label indépendant, puis de
signer avec une major s’il rencontre le succès. Tel a pu être le cas de groupes comme Oasis ou
Nirvana, ou encore de la Mano Negra et Bob Marley qui ont tous débuté chez un label
indépendant avant d’être signés par des majors. Pour autant, on constate une absence
d’étanchéité dans la frontière entre majors et labels indépendants. À cet égard, la plupart des
indépendants se trouvent sous licence d’une major et/ou distribués par elle, sont détenus à
50% par une major (Tôt ou Tard, Up Music) ou appartiennent à un groupe de média (TF1
Music, M6 Interactions).
Ce continuum de situations entre les deux pôles que représentent les majors d’un côté et
les indépendants « purs » (Wagram) de l’autre, laisse apparaître la prépondérance des majors
sur le marché physique de la musique.
§2 La prépondérance des majors sur le marché physique de la musique
En tant qu’oligopole, les majors de la musique n’ont pas de mal à affirmer leur position
dominante sur le secteur. Elles guident ainsi toute la filière musicale en imposant leur logique
dite du star system, autrement dit une logique financière (A.). Le droit d’auteur lui-même,
dans ses pratiques contractuelles, semble s’être mis au service de la stratégie développée par
les majors (B.). Le marché physique de la musique, tant dans son point de vue économique
que dans son point de vue juridique, est donc tourné en faveur des majors et de leurs
décisions.
A L’économie du star system favorable aux majors
Le star system prend en compte, pour conditionner l’industrie phonographique, des
coûts fixes existants au sein du cycle de vie d’un disque (1.). Ce sont ces coûts fixes qui
déterminent la concentration des ventes sur seulement quelques titres (2.).
22
1) Les coûts fixes de distribution et de promotion
Les deux maillons clés de la chaîne de valeur de l’industrie du disque sont la
distribution et la promotion de celui-ci. Or ces activités à coûts fixes sont précisément celles
qui demandent le plus d’investissement de la part des maisons de disques. En effet, les frais
de distribution et de promotion représentent les trois quarts des coûts totaux et conditionnent
l’accès du produit aux tiers. En revanche, les coûts d’enregistrement et de fabrication ne
représenteraient, selon le Syndicat national des éditeurs phonographiques (SNEP), que moins
de 15% du prix hors taxe d’un disque, ce qui permet d’ailleurs la survie des indépendants. Les
majors quant à elles occupent une position de force dans les secteurs de la distribution et de la
promotion afin de réduire leurs coûts de transaction et d’exclure leurs rivaux. Cette exclusion
se comprend lorsqu’au regard de la hausse des dépenses moyennes de promotion et la baisse
du prix de vente moyen d’un disque, on constate inévitablement une augmentation du seuil de
rentabilité d’un album.
Cette logique du star system dans laquelle les dépenses en recherche de talents sont
sacrifiées au profit de la promotion s’explique en partie par la nature même de la musique
enregistrée. Bien prototype, informationnel et d’expérience, la musique enregistrée fait de la
distribution et de la promotion les éléments clés de la chaîne de valeur. Dans une économie de
prototype, l’essentiel des coûts est consenti alors que règne encore la plus grande incertitude
sur le succès potentiel du produit. Ceci est caractéristique du l’industrie musicale car, en tant
que bien d’expérience, la satisfaction du public pour un disque ne sera révélée qu’après-coup.
Enfin, le produit musical est un bien informationnel, c’est-à-dire un bien pouvant être
numérisé et donc coûteux à produire mais pas à reproduire. Toutes ces données économiques
amènent les majors à se positionner confortablement dans les réseaux de distribution et de
promotion et à concentrer leurs ventes sur quelques titres.
2) La concentration des ventes sur quelques titres
Dans les industries culturelles, les raisons du succès restent en partie imprévisibles. Les
firmes sont donc incitées à produire un grand nombre d’artistes, ce qui s’avère peu coûteux
comme nous venons de le voir car l’essentiel des coûts fixes par album est supporté après
23
l’enregistrement (promotion, distribution), puis à promouvoir une sélection de ceux qui
semblent rencontrer une demande. Le star system consiste ainsi à s’efforcer de concentrer les
ventes sur quelques stars afin de renforcer une tendance naturelle de la demande qui est de se
concentrer sur un petit nombre de titres, sous l’effet du bouche à oreille et des effets de mode.
Les 10% de succès commerciaux suffisent alors à compenser les pertes réalisées sur le reste
du catalogue. En France en 2004, plus de 280 000 références étaient en vente, dont 2 500
nouveautés commercialisées par les majors. Pourtant, seulement 4,4% de ces références
représentaient 90% du volume des ventes24. Depuis le début des années 2000, l’entrée des
productions issues de la télé-réalité (Star Academy, Pop Stars, La Nouvelle Star) n’a pas
contribué à améliorer cette situation. Ainsi, en décembre 2001, les ventes des artistes de la
Star Academy et de Pop Stars représentaient 40% des ventes de single en France25.
Cette focalisation de l’attention sur un nombre réduit d’artistes résulterait d’un « effet
palmarès ». Dès lors que l’on dispose de classements, l’attention se dirige en effet
spontanément sur les mieux placés des candidats, conduisant à une surestimation de leurs
qualités. Selon Chung et Cox, la probabilité qu’un consommateur achète un disque est
fonction du nombre des consommateurs qui ont déjà acheté ce disque, et la probabilité qu’un
consommateur achète un disque sans tenir compte du choix des autres est quasi nulle26. C’est
pourquoi les achats de disques tendent inévitablement à se concentrer sur quelques albums. Il
faut ajouter à cela que la popularité déjà acquise avec de précédents albums est une condition
déterminante de la présence et de la persistance dans les hit-parades. Face à cet « effet disque
d’or »27, ou le mécanisme d’auto-renforcement des choix initiaux, les médias jouent un rôle
amplificateur28.
Face à cette logique du star system et à l’importance des coûts fixes par album devant
être supportés, les majors semblent trouver un soutient inconscient de la part du droit d’auteur
et de ses pratiques contractuelles.
24
« L’industrie du disque à l’heure de la convergence Télécoms-Médias-Internet », CNAM, Paris, 2006, p. 5-6.
Idem.
26
Benhamou (F.), L’économie du star system, éd. Odile Jacob, Paris, 2002, p. 108.
27
Les disques d’or sont les disques vendus à plus de 500 000 exemplaires.
28
Voir infra p. 20.
25
24
B Le droit d’auteur favorable aux majors
L’analyse des différentes pratiques contractuelles susceptibles de lier un artiste à son
producteur ou sa maison de disques nous révèle une plus grande facilité d’action pour les
majors au détriment des indépendants. Les premiers peuvent plus aisément proposer des
contrats de licence (2.) à leurs artistes alors que les seconds sont souvent obligés de se tourner
vers des contrats d’artiste (1.).
1) Le contrat d’artiste
Le contrat d’artiste, ou contrat d’enregistrement exclusif, est un contrat de travail aux
termes duquel le producteur engage l’artiste pour fixer ses interprétations sonores et
audiovisuelles et les exploiter sous toutes formes et sur tous support, moyennant le versement
d’un cachet et d’une rémunération proportionnelle à l’exploitation. Le contrat d’artiste porte
donc sur des enregistrements qui ne sont pas encore réalisés. Le producteur prend en charge
les coûts d’enregistrement, de fabrication, de promotion, de marketing, le paiement des droits
de reproduction mécanique, et même les frais de distribution dans le cas où la maison de
disques dispose d’une telle structure. Une fois produits, le producteur est titulaire de tous les
droits de propriété intellectuelle sur les enregistrements pour le monde entier et pour la durée
légale de protection des droits des artistes-interprètes29. Généralement, le contrat est conclu
pour une durée d’exclusivité permettant la réalisation d’au moins trois ou quatre albums, le
producteur bénéficiant souvent en outre au terme du contrat d’un droit de préférence lui
permettant à conditions égales à celles proposées par un tiers, d’obtenir le bénéfice d’un
nouveau contrat.
En ce qui concerne la rémunération de l’artiste-interprète, celui-ci recevra tout d’abord
une avance négociée de gré à gré, dont le montant varie selon la notoriété de l’artiste. Cette
avance est récupérable mais non remboursable, c’est-à-dire que le producteur ne versera
aucune royaltie à l’artiste avant d’avoir récupéré les sommes avancées mais que l’artiste ne
sera jamais obligé de rembourser le producteur si la vente de ses enregistrements n’y suffisait
pas. Ce système est à la base de la faillite de beaucoup de stars car il aboutit fréquemment à ce
29
Voir art. L. 211-4 du CPI.
25
qu’un artiste à gros succès se trouve néanmoins en position de dette par rapport à sa maison
de disques en raison de l’avance considérable qui lui aura été consentie. Les royalties versées
à l’artiste dépendent également de sa notoriété. Il s’agit du pourcentage perçu par l’artiste sur
le prix de gros hors taxes du disque, diminué de certains abattements30. Ces royalties varient
en général entre un minimum contractuel de 5% du prix de gros pour un artiste dit « en
développement » et 25% pour une star confirmée. Le pourcentage peut croître avec le niveau
des ventes. On peut donc lire dans ces clauses contractuelles un « système dans lequel la
réputation et les rémunérations matérielles et symboliques qu’elle apporte deviennent le mode
de paiement du créateur ou de l’auteur. […] seul l’accès à la célébrité devient un moyen de
recueillir les retombées de la création 31», ce qui renforce la logique du star system.
Au regard du caractère d’exclusivité de ce contrat et de la durée des droits
d’exploitation consenti au producteur, les artistes préfèrent de plus en plus souvent se diriger
vers des contrats de licence, ce que les producteurs indépendants peuvent difficilement leur
proposer pour des questions de rentabilité.
2) Le contrat de licence
Par la signature d’un tel contrat, le producteur autorise un éditeur phonographique à
exploiter le master dont il est propriétaire, à charge pour ce dernier d’assurer la fabrication, la
promotion, le marketing et la distribution du disque (ou bien il conclu un contrat de
distribution dans le cas où il n’est pas son propre distributeur). À la différence du contrat
d’artiste, le contrat de licence ne comporte donc pas de budget enregistrement car celui-ci est
entièrement financé par le producteur. La durée de cession des droits d’exploitation des
enregistrements varie théoriquement de 3 à 5 ans à compter de la remise des derniers
enregistrements par le producteur au licencié. Elle concerne la plupart du temps le monde
entier, mais le producteur peut conserver la possibilité de récupérer certains territoires en cas
de défaut d’exploitation des phonogrammes dans un ou plusieurs territoires déterminés. En
contrepartie de cette autorisation d’exploitation, le producteur reçoit des redevances fixées en
pourcentage du prix de gros hors taxe et qui s’échelonnent généralement de 12 à 25% selon le
30
31
Voir infra, p. 83.
Benhamou (F.), L’économie du star system, op. cit., p. 162.
26
degré de notoriété. Au terme du contrat de licence, le producteur est de nouveau titulaire des
droits d’exploitation des enregistrements.
Un tel contrat paraît donc plus attractif financièrement pour un artiste, même en
développement, qui serait son propre producteur (à titre individuel ou par l’intermédiaire
d’une société qu’il crée). Ceci est d’autant plus vrai dans des « niches » telles que la musique
électronique où les budgets de production sont assez faibles. Par l’effet du droit d’auteur, ces
niches qui étaient à l’origine le domaine de prédilection des petits producteurs sont
aujourd’hui de plus en plus représentées par des grandes maisons de disques par
l’intermédiaire d’un contrat de licence. Ce dernier desserre les liens temporels entre l’artiste et
la maison de disques, ce qui rassure le premier mais nécessite un confort financier plus élevé
du second pour rentabiliser son investissement.
Tout semble donc concourir à un effet d’éviction des indépendants sur le marché
musical, depuis la prépondérance des majors à toutes les étapes de fabrication d’un disque
jusqu’aux modalités contractuelles du droit d’auteur.
SECTION 2 L’EFFET D’ÉVICTION DES INDÉPENDANTS DANS L’INDUSTRIE
MUSICALE
Afin de s’assurer une position oligopolistique, les majors de la musique tendent à
évincer les indépendants du marché musical. En effet, au regard des coûts fixes de la chaîne
de valeur évoqués ci-dessus, on constate l’existence de forte barrières à la promotion et à la
distribution des disques (§1.). Les majors de la musique vont donc se positionner
stratégiquement sur ces secteurs pour avoir la mainmise sur les canaux de prescription (§2.),
quasi indispensables au succès d’un titre.
27
§1 L’existence de barrières à la promotion et à la distribution du disque
Pour espérer toucher le public le plus large possible, il est essentiel de contrôler aussi
bien les aspects promotionnels du disque que sa distribution auprès du consommateur final.
L’accès à la publicité télévisuelle (A.), en tant qu’outil de promotion des œuvres, ainsi que
celui au réseau de distribution (B.), sont donc des éléments déterminants de la chaîne de
valeur dans l’industrie du disque. C’est la raison pour laquelle il est de plus en plus difficile
de bénéficier d’une place privilégiée au sein de ces canaux, tant ils sont convoités.
A L’accès à la publicité télévisée
Le rythme de passage dans les médias constitue un instrument de mesure de la gloire.
La course à la couverture médiatique est alors lancée, engendrant des dépenses publicitaires
spectaculaires (1.). Cette course risque néanmoins d’être freinée, ou du moins de glisser vers
le secteur privé (renforçant ainsi les difficultés d’accès à la publicité télévisée), suite à
l’annonce de la suppression de la publicité sur le secteur public (2.).
1) L’importance des investissements publicitaires
Depuis l’autorisation de la publicité télévisée pour les disques, en mai 1988, la
puissance du marketing télévisuel ne se dément pas. Ce recours de plus en plus massif à des
dépenses publicitaires entraîne un effet d’éviction des producteurs indépendants, qui ne
peuvent satisfaire aux conditions d’achat d’espace publicitaire au regard de leur budget.
Même si les dépenses publicitaires de l’édition phonographique ont baissé depuis 2002, elles
demeurent très élevées : en 2004, elles auraient représenté plus de 40% du chiffre d’affaires
de gros hors taxes de l’industrie32. Le média télévisuel semble ainsi se prêter au jeu du star
system. L’espace publicitaire devient le terrain de prédilection des majors qui dominent
largement le marché télévisuel, au détriment des indépendants qui peinent à assurer la
visibilité de leurs œuvres. En 2002, Universal Music était même le principal annonceur
télévisuel en France, tous secteurs confondus. L’objectif premier de tels investissements
32
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 40.
28
publicitaires est bien entendu de créer d’importantes économies d’échelles. En effet, de fortes
dépenses publicitaires initiales permettent une promotion à frais variables très réduits,
diminuant d’autant les dépenses de promotion par unité vendue. Selon l’UFPI, pour entrer au
top 20, l’investissement en marketing doit désormais atteindre de 460 000 à 760 000 euros.
Dès 1997, la Direction Générale de la concurrence, à la suite du vote de la loi portant
sur l’interdiction des prix abusivement bas dans la distribution des disques, pointait du doigt
les effets néfastes que la domination des majors dans l’accès à la publicité télévisée pouvaient
engendrer : « La publicité crée une demande et participe à la croissance du marché, mais elle
a l’inconvénient de focaliser l’attention sur quelques titres, les compilations notamment, au
détriment de vraies nouveautés (jeunes talents, par exemple) et du fonds de catalogue. En
restreignant le marché, la publicité télévisée aurait, indirectement, un effet sur la diversité de
la création en France »33. Or, l’impact de cette concentration de la promotion télévisuelle sur
le consommateur n’est pas négligeable. Par mimétisme ou effet de mode, le consommateur
aura tendance à acheter ce qui est « vu à la télé ». Le lancement via les médias est alors vital
mais doit s’accompagner également pour être optimal d’une information donnée par un réseau
personnel. La dimension artistique intervient donc peu lors de la décision d’achat, ce qui peut
s’avérer dangereux pour la création française. Un autre danger serait la suppression de la
publicité sur le service public.
2) Les conséquences de la suppression de la publicité sur le service public
La déclaration du Président Nicolas Sarkozy a fait l’effet d’une bombe dans le milieu de
l’audiovisuel : il souhaite en effet la suppression totale de la publicité sur les chaînes de
télévision publiques afin de permettre une réalisation optimum des missions de service public.
Une telle réorganisation de l’audiovisuel public n’est pas vue d’un bon œil par l’industrie du
disque. Le SNEP a en effet demandé le 23 janvier 2008 une dérogation visant au maintient de
dispositifs de publicité pour les produits culturels, notamment musicaux. Frédéric Lefebvre,
député UMP des Hauts-de-Seine, semble avoir conscience des enjeux de la suppression de la
publicité télévisuelle pour l’industrie musicale et préconise pour y faire face un renforcement
du parrainage. Il déclarait dans Le Figaro du 23 janvier 2008 son choix pour « de nouvelles
émissions sur le service public dans lesquelles des maisons de disques ou la Fnac
33
Site du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, www.finances.gouv.fr/DGCCRF/missions.htm.
29
soutiendraient des artistes. Quitte à y introduire le placement de produit ». La possibilité
d’associer des marques dans l’univers musical serait ainsi une forme de dérogation
envisageable.
À l’heure actuelle, la réglementation relative au placement de produits manque
d’harmonisation et relève souvent d’une étude au cas par cas par le CSA. Traditionnellement
présent dans les œuvres cinématographiques et audiovisuelles, le placement de produits est
une activité extrêmement lucrative pour les annonceurs. L’intrusion de cette pratique dans des
émissions musicales permettrait de remédier partiellement au manque à gagner de l’industrie
musicale. Parfois proche de la publicité clandestine, le CSA veille néanmoins au grain et
vérifie que cette présence ne revête pas un caractère promotionnel. Le scénario ne doit pas
être influencé par le produit ou un service ou se dérouler au sein d’une entreprise identifiée ou
identifiable. La nouvelle directive SMA adoptée en décembre 2007 prévoit l’encadrement
juridique d’une telle pratique et s’inscrit vers un assouplissement de ces règles34.
De son côté, la SACEM relance la question du rôle des chaînes privées. Selon elle, le
transfert de ressources publicitaires au bénéfice des chaînes privées n’a de sens que si ces
dernières voient leurs obligations renforcées en matière de production et de diffusion de
programmes de qualité, tout particulièrement dans le domaine musical. En effet, les
conventions des deux premières chaînes privées (TF1 et M6) insistent peu sur de telles
obligations. Au contraire, la convention de la chaîne musicale M6 prévoit même une
diminution de la part minimale de sa programmation annuelle à des émissions musicales.
Entre 2008 et 2011, le pourcentage de cette programmation passera de 26% à 20%35. De
même, les obligations de préachat et de diffusion annuelle de vidéomusiques consacrées à des
artistes francophones sont en voie d’être allégées. Le nombre minimale de ces vidéomusiques
passera ainsi de 130 en 2008 à 100 à partir de 201136. S’il est prévu de suivre une politique
favorable à la diversité des producteurs musicaux et des diffusions à heure de grande
audience, aucune clause n’est en revanche consacrée à la qualité des programmes musicaux.
En ce qui concerne la convention de TF1, il est seulement prévu que la société diffuse des
concerts et des spectacles vivants.
34
Voir art. 3 octies de la directive SMA.
Art. 36 de la convention de M6.
36
Art. 37 de la convention de M6.
35
30
Cette première barrière posée à l’entrée de la publicité télévisée se double d’une
seconde dès lors qu’il s’agit d’accéder au marché de la distribution.
B L’accès à la distribution
La distribution auprès du consommateur final est le dernier maillon de la chaîne de
valeur dans l’industrie du disque. Il en est d’autant plus important. Malheureusement, son
accès se trouve limité par un phénomène de concentration (1.) aboutissant très fréquemment à
des politiques de ristournes (2.) pour s’implanter sur le marché.
1) La concentration de la distribution de détail
Cette tendance du star system à focaliser les forces commerciales sur un petit nombre de
titres est en phase avec la structure du marché de détail. Celui-ci voit se renforcer la position
dominante des grandes surfaces spécialisées (GSS) et des grandes surfaces alimentaires
(GSA). Ainsi, en 2006, si 40% des ventes de disques ont été réalisées dans les grandes
surfaces spécialisées (Fnac, Virgin, Megastore), la part des hypermarchés était supérieure à
34%37. Or, dans les seconds, le nombre de références proposées est de dix à vingt fois
inférieure à l’offre d’un magasin spécialisé. Ces deux types de magasins (les multispécialistes
et les hypermarchés, inclus les livraisons aux grossistes) dominent aujourd’hui à 94,4% le
marché de la distribution. Cette évolution s’est opérée au détriment des disquaires
indépendants dont la part de marché est passée de 8% en 1995 à moins de 2% en 200638. Les
disquaires de proximité sont donc désormais absents des moyennes, le développement de la
grande distribution étant placé au cœur de la polémique. L’augmentation de la part de
distribution des GSA a bien un effet amplificateur dans la position dominante des majors.
Cette structure du marché des détaillants n’est alors pas sans conséquences sur la
diversité de l’offre des phonogrammes. En effet, face à cette restructuration des circuits, les
pouvoirs publics ont révélé que « l’évolution des poids respectifs des différents canaux de
vente au détail pose un problème certain d’accès à la production phonographique, et donc à
37
38
Source : SNEP, 2005.
Source : SNEP/IFOP.
31
la richesse de la création et du patrimoine musical pour toutes les populations ne vivant pas
dans les grandes agglomérations disposant d’un magasin Fnac ou Virgin Megastore, ou
surtout intéressés par quelques genres musicaux spécifiques comme l’est une partie du public
jeune »39. Le canal des GSS et celui des GSA connaît cependant une baisse relative de leur
chiffre d’affaires, dû essentiellement à la diminution de vente de CD et l’augmentation de la
part de marché des ventes par internet. Ces distributeurs restent néanmoins largement
majoritaires.
La position dominante de la grande distribution renforce ainsi le star system et creuse le
fossé entre les majors et les indépendants en pouvant imposer ses politiques de ristournes.
2) Les politiques de remises dans la distribution de détail
Les points de vente constituent le dernier rouage de la filière musicale. Leur importance
est d’autant plus grande qu’ils incarnent le contact direct avec le consommateur. Le
phénomène de concentration de la distribution s’est alors accompagné de pratiques
spécifiques de rémunération des distributeurs. Parmi elles, le trading marketing qui consiste
en une multitude de services payants proposés par les distributeurs pour une mise en avant
particulière des produits (signalisation, moyens d’animation en magasins, présentoirs
spéciaux…). Les distributeurs les plus puissants profitent alors de leur place privilégiée pour
exiger des remises de plus en plus importantes en contrepartie de ces services. La moyenne
des taux de remise de toutes les maisons de disques (majors et indépendants) est aujourd’hui
comprise entre 10 et 25%, soit une progression de plus de 5% en dix ans. La conséquence de
ces pratiques est le déréférencement de certains produits, voir de certains catalogues (la
musique classique, par exemple), qui n’auraient pu bénéficier du budget marketing suffisant
pour se soumettre aux politiques de remises des distributeurs.
Un pouvoir d’influence réciproque s’installe donc entre les gros distributeurs et les
majors du disque, laissant de côté les petits indépendants. En effet, la contrainte physique liée
à l’espace disponible dans les rayons conduit la grande distribution à s’intéresser tout
particulièrement aux catalogues des majors et à proposer ainsi les albums a priori les plus
39
Rapport publié conjointement par l’Inspection Générale des Finances et par l’Administration des Affaires
Culturelles sur l’économie du disque.
32
vendeurs. De la même manière, les majors se trouvent dépendantes des chaînes de grande
distribution si elles veulent offrir à leurs albums la meilleure visibilité possible. Les
indépendants se retrouvent donc entre deux géants et peine à y faire leur place.
Les difficultés rencontrées par les indépendants au sein du marché de la distribution, ne
pouvant égaler les offres financières des majors, se trouvent renforcées dès lors que les
canaux des deux médias majeurs, à savoir la radio et la télévision, sont déjà préemptés par les
majors.
§2 La stratégie de préemption des canaux de prescription par les majors
Face aux barrières promotionnelles des œuvres musicales et à la concentration du
secteur de la distribution, les majors ont choisi de préempter les canaux des deux principaux
médias pour le marché physique de la musique, que sont la radio et la télévision. La
prédominance des majors se fait donc là encore ressentir, l’accès à la programmation
radiophonique (A.) ou aux émissions musicales à la télévision (B.) étant largement élaboré au
profit des majors et peu représentatif des indépendants.
A L’accès à la programmation radiophonique
La diffusion radiophonique des œuvres musicales témoigne d’un manque crucial de
diversité. En effet, les playlists des radios se révèlent être de plus en plus retreintes (1.), ce qui
entraîne ou est la cause d’une pratique accrue des accords au rendement (2.).
1) Le resserrement des play list
Le passage en radio reste aujourd’hui, avec la publicité directe, le meilleur moyen
d’assurer la promotion des disques. Le message y est direct et se passe du discours du produit.
Les producteurs cherchent alors à s’imposer sur les ondes afin d’optimiser les chances de
succès de leurs titres. Des études ont en effet démontré que la diffusion d’une nouveauté à la
33
radio sur une période d’au moins quinze jours joue un rôle décisif sur la vente de disques. Or,
depuis 1996, la playlist des radios se resserre de plus en plus au profit de quelques titres sur
lesquels les majors concentrent tous leurs moyens en promotion et en marketing. Cette
faiblesse dans la diversité des programmations radiophoniques est notamment due à
l’étroitesse des fenêtres promotionnelles disponibles au regard du nombre de nouveautés. On
aboutit alors à une distribution très inégalitaire, avec des extrêmes surdimensionnés, typique
du star system. Les playlists des radios se limitent le plus souvent à quarante titres et pour les
réseaux FM « jeunes » tels que NRJ, Fun Radio ou Skyrock, le top 40 représente en moyenne
les deux tiers des diffusions.
Cette réduction des playlists fait écho à l’importance des résultats d’audience. Le
financement par la publicité requiert en effet des taux d’audience élevés qui favorisent cette
concentration sur quelques titres. Patrick Zelnik, président de l’Union des producteurs
phonographiques français indépendants et PDG du label Naïve, constatait en 2000 que trois
groupes (CLT-UFA, Europe 1 Communications et NRJ) contrôlent en France les revenus
publicitaires de plus de 70% de la radio en France40. La concurrence entre des radios de plus
en plus nombreuses pousse ces dernières à prendre de moins en moins de risques, et donc à
limiter le passage de titres méconnus. De ce fait, la programmation des radios devient assez
uniforme, ce qui réduit considérablement les chances d’exposition des artistes en
développement. Pour parvenir à être diffusés sur les ondes, ces derniers doivent en effet
souvent recourir à des accords au rendement envers les programmateurs de radio.
2) Les accords au rendement
Le comportement actuel des radios sur la sélection des titres diffusés s’explique en
grande partie par la main mise des sociétés en position dominante sur leur programmation. De
nombreux accords de publicité entre les majors et les radios conduisent à une situation
appelée de pay per play. Il s’agit littéralement de payer pour être diffusé. À cet égard, on peut
s’intéresser notamment à la pratique du payola, qui consiste à rémunérer un programmateur
ou un responsable de radio afin d’influencer la constitution de sa playlist. Considéré comme
illégal aux États-Unis à partir de 1960, ce système n’a pas pour autant disparu. Il a d’ailleurs
40
Libération, 1er février 2000.
34
refait surface en 2005 quand Sony-BMG et Warner Music ont accepté de régler à l’amiable,
pour respectivement 10 et 5 millions de dollars, une affaire de corruption des programmateurs
de radio aux États-Unis. Cette pratique illustre l’enjeu que représente le passage à la radio
pour la carrière d’un artiste. En France, on évoque les « accords de partenariats » entre les
majors et les radios, c’est-à-dire les entrées dans les playlists moyennant intéressement aux
ventes du disque. De tels agissements constituent un moyen d’exclusion des indépendants.
Pour encadrer de telles pratiques, un accord interprofessionnel a été signé le 5 mai 2003
entre les radiodiffuseurs, les producteurs de phonogrammes et les éditeurs de musique. Il a
pour vocation de poser les règles de « bonne conduite » entre ces différents acteurs, afin de
promouvoir la diversité culturelle et l’émergence de nouveaux talents. Une « séparation
opérationnelle entre les fonctions d'édition et de production musicale d'une part, et de
programmation et de diffusion d'autre part »41, semble être un préalable indispensable pour y
parvenir. Ainsi, il est énoncé dès le préambule que « la programmation est libre, et doit rester
du seul ressort des services de communication radiophonique ». Les techniques de pay per
play sont interdites et les accords au rendement limités. L’objectif est d’encadrer le
développement des pratiques commerciales qui se doivent d’être équitables et transparentes.
Néanmoins, la porte de la diffusion payante des chansons reste ouverte. En effet, « On entend
par accord au rendement un accord, limité dans le temps, par lequel un producteur de
phonogrammes bénéficie de l'espace publicitaire sur l'antenne d'une radio afin de
promouvoir un enregistrement phonographique dans le cadre de messages publicitaires en
rémunérant totalement ou partiellement cet achat par le biais d'un intéressement sous forme
de reversement commercial fondé sur l'exploitation de cet enregistrement ». En clair, même si
les risques sont partagés entre les radiodiffuseurs et les producteurs de phonogrammes, cette
pratique relève toujours du paiement contre diffusion et privilégie les capacités financières les
plus importantes, c’est-à-dire les majors.
Ces majors profitent également de leur capacité financière pour tenter de monopoliser
les émissions musicales et en restreindre l’accès pour les indépendants.
41
Accord interprofessionnel entre les radiodiffuseurs, les producteurs de phonogrammes et les éditeurs de
musique, 5 mai 2003.
35
B L’accès aux émissions musicales télévisées
En tant que média populaire, la télévision est propice à la diffusion d’émissions
musicales. Ces dernières sont convoitées tant par les producteurs que les diffuseurs euxmêmes, tous ayant le même objectif de « l’effet paillettes » de ces émissions (1.). Cette mise
en scène des artistes et l’interprétation de leurs œuvres sur l’écran de télévision est d’ailleurs
facilitée par l’application du régime de la licence légale (2.).
1) Un accès filtré par l’apparition des producteurs-diffuseurs
Les émissions musicales à la télévision ont longtemps constitué l’un des pôles les plus
fédérateurs en termes d’audience. Aujourd’hui, l’arrivée de la TNT s’est accompagnée de
chaînes musicales. Europe 2 TV doit ainsi consacrer 75% de son temps d’antenne à des
programmes musicaux, obligation que la chaîne a malheureusement parfois du mal à
respecter42. Depuis quelques années, les programmes de divertissements musicaux se
retrouvent même en première partie de soirée. Mais, deux concepts dominent au sein de cette
offre : la télé-réalité musicale et les palmarès en tout genre. L’uniformisation de l’offre et la
faible contribution de ces émissions au renouvellement de la création musicale sont alors
souvent dénoncées. Les fortes contraintes d’audience qui pèsent sur les prime times rendent
en effet les diffuseurs réticents à programmer des nouveautés. Les artistes émergents peuvent
donc difficilement espérer apparaître dans la petite lucarne, ou du moins y interpréter leurs
propres titres.
L’engouement pour les émissions de télé-réalité musicale a notamment lancé un débat
sur les partenariats existants entre les producteurs et les télédiffuseurs, de nature à évincer
potentiellement les indépendants. On assiste à une fusion des activités, peu propice à une
situation concurrentielle. En effet, de nombreuses chaînes de télévision font la promotion de
disques qu’elles produisent ou coproduisent. Les diffuseurs créent ainsi des filiales de
production musicale, telles que la société « Une musique » pour TF1 ou bien « M6
Interactions ». TF1 connaît également des accords de co-exploitation via TF1 Entreprises
portants sur Star Academy. Ces phénomènes de concentration tendent à réduire d’autant plus
42
CSA, « Les bilans des chaînes gratuites de la TNT : Europe 2 TV, année 2006 », Les bilans du CSA, octobre
2007.
36
les voies d’accès à la télévision. La volonté des chaînes d’occuper dorénavant une position de
référence dans la production phonographique ne fait qu’ajouter à la difficulté de
renouvellement de la filière musicale. La puissance du média télévision met en situation de
dépendance les producteurs traditionnels.
Le fort développement pour l’intérêt des émissions de télé-réalité musicale pose aussi la
question de la qualité de l’offre. La stratégie de sur-médiatisation qui repose sur ces
programmes permet aux sociétés qui la pratiquent de s’affranchir de la contrainte qualitative.
Pour remédier à ce risque inhérent à de telles émissions, la définition d’une « œuvre
audiovisuelle musicale » permettrait peut-être d’inciter positivement les chaînes à produire
des émissions musicales de qualité. En attendant, l’accès aux émissions musicales est
seulement soumis au régime de la licence légale.
2) Un accès soumis au régime de la licence légale
L’exploitation télévisuelle des phonogrammes du commerce est soumis au régime de la
licence légale, tel que défini à l’article L. 214-1 du CPI. En pratique il s’agit d’une
autorisation légalement donnée aux fins d’utilisation des phonogrammes sans que ni l’artisteinterprète ni le producteur de phonogramme ne puissent s’y opposer. Il s’agit d’une véritable
expropriation du droit d’autoriser l’exploitation du phonogramme, en contrepartie de laquelle
les titulaires ont droit à une « rémunération équitable ».
Dès la mise en place du système de licence légale, les syndicats de producteurs de
phonogrammes ont progressivement suggéré d’opérer une distinction entre deux étapes du
procédé de radiodiffusion d’un phonogramme du commerce. La 1ère étape étant celle de la
reproduction du phonogramme – qui serait soumise au régime du droit d’auteur –, la 2nd étape
étant celle de la télédiffusion du vidéogramme incluant celle du phonogramme – qui
bénéficierait de la licence légale –. Or, les diffuseurs ont vivement protesté contre une telle
distinction, la reproduction étant un préalable indispensable à la radiodiffusion. L’objectif ici
pour les producteurs était bien entendu de limiter l’application du régime de la licence légale
et de retrouver leur pouvoir de négociation du taux, de l’assiette et du montant de la
rémunération due par les diffuseurs.
37
La 1ère chambre civile de la Cour de Cassation est venue définitivement clore les
tensions existantes entre les diffuseurs et les ayant-droits en opérant une subtile distinction
entre acte de reproduction et acte d’incorporation du phonogramme du commerce dans le
vidéogramme43. Dès lors, il apparaît aujourd’hui que l’incorporation d’un phonogramme du
commerce dans un vidéogramme destiné à la télédiffusion échappe à la licence légale alors
que la sonorisation en directe d’un phonogramme du commerce tombe dans le cadre de
l’article L. 214-1 du CPI, et ce alors même que ce phonogramme aura nécessairement fait
l’objet d’une numérisation préalable sur mémoire informatique.
L’intérêt ici de développer le mode d’exploitation des phonogrammes du commerce
dans les émissions télévisées est de comprendre le rapport de force qui s’exerce constamment
entre les producteurs de disques et les diffuseurs. L’importance réciproque de ces deux
acteurs l’un envers l’autre révèle là encore la logique du star system car, quel que soit le
gagnant de cette mise en opposition, l’issue en sera toujours une émission musicale starifiée.
Les intérêts ne divergent pas sur l’organisation intrinsèque de la filière musicale mais sur les
conditions de sa rémunération dans le cadre de son exploitation télévisuelle.
Toutes ces relations entre les différents acteurs de la filière musicale témoignent d’une
certaine tension dans l’organisation de l’industrie musicale. En effet, celle-ci a du mal à
conjuguer sa structure concentrée avec des objectifs de diversité musicale.
43
C. Cass., Civ. 1ère, 29 janvier 2002, Légipresse, 2002, n° 190, III, p. 45.
38
CHAPITRE 2
L’INDUSTRIE MUSICALE TIRAILLÉE ENTRE
CONCENTRATION ET DIVERSITÉ
L’industrie du disque est fortement marquée par des mouvements de concentration, et
ce à l’échelon mondial. Or, la concentration apparaît souvent comme corrélée négativement
avec la diversité culturelle. Tiraillée entre les perspectives économiques et les objectifs
culturels, l’industrie phonographique se retrouve souvent en proie à quelques difficultés.
Malheureusement, il semble que la première voie ait tendance à être privilégiée. Les
différentes opérations de concentration se multiplient en effet au fur et à mesure (Section 1.),
au risque parfois d’affaiblir la diversité culturelle dans le secteur musical (Section 2.).
SECTION 1 L’INDUSTRIE DU DISQUE EN PROIE À DE FORTES
CONCENTRATIONS
Depuis ses débuts, l’industrie du disque a toujours été relativement concentrée, sauf
quelques périodes d’exception44. Cette tendance à la concentration ne se dément pas
aujourd’hui, bien au contraire. Les majors se dirigent ainsi vers un renforcement de leur
position oligopolistique (§1.). Or, toute position dominante est propice en elle-même à
susciter des abus éventuels de la part de son détenteur. La concentration de plus en plus
accrue de l’industrie du disque tend donc à élever les risques d’abus de position dominante
par les majors (§2.).
§1 Le renforcement de la situation oligopolistique des majors
L’industrie musicale présente de fortes spécificités structurelles. Outre la coexistence de
firmes multinationales avec une multitude de labels indépendants, on constate au sein de ces
44
Cela concerne essentiellement deux périodes : celle allant de 1914 à 1923, marquée par un progrès
technologique rapide et la décennie 1955-1965 avec l’apparition notamment du rock’n’roll.
39
rapports de force une concentration horizontale (A.) et une intégration verticale (B.) poussée.
Ces deux phénomènes sont des facteurs de renforcement de la position confortable des majors
et aboutissent donc tous les deux à éloigner, ou au contraire intégrer au centre sa périphérie.
A Un phénomène de concentration horizontale
La concentration horizontale de l’industrie du disque concerne aussi bien le rachat des
indépendants par les majors (1.), que le rapprochement des majors entre elles (2.). Ces
différentes opérations révèlent la supériorité de l’économique dans le secteur musical, devant
lequel même le juridique tend parfois à s’effacer.
1) Le rachat des indépendants par les majors
Dans les années 1970, les indépendants étaient encore très présent sur le marché de la
distribution. Puis les années 1980 ont été un tournant décisif, lorsqu’un nombre croissant de
labels indépendants furent rachetés par les majors et que d’autres acceptèrent de se faire
distribuer par elles. Ce mouvement de consolidation n’a jamais cessé depuis et, aujourd’hui,
l’immense majorité des labels indépendants est distribuée par les majors. En France, en 2004,
la part de marché de la distribution indépendante était de 7%45. Pour les majors, la croissance
externe via le rachat d’indépendants est le moyen le plus rapide et le plus efficace d’intégrer
au fur et à mesure la nouveauté dans leurs catalogues. En effet, nous l’avons vu, l’innovation
des contenus tient essentiellement de la périphérie, les majors ayant du mal à anticiper le
développement de niches musicales. Les indépendants représentent alors des « vaches à lait »
pour les majors, qui surveillent la part de marché détenu par ces derniers, critère essentiel du
rachat.
Autrement dit, la major laisse à la société indépendante le soin de développer des
artistes et des répertoires présentant un potentiel, tout en tentant de la maintenir, par le biais
de la distribution, dans son aire d’influence. Ce n’est qu’une fois l’artiste conforté et en
mesure d’assurer une rentabilité suffisante à un management mondial que l’incorporation de
45
Source : IFPI, 2005.
40
l’indépendant devient un enjeu. Dénicheurs de talents, les indépendants sont ainsi
extrêmement convoités par les majors. Or, les premiers ont plus de difficultés que les seconds
à encaisser la chute des ventes de CD et ne peuvent donc refuser les offres d’achat qui leur
sont faites, sous peine de disparaître. Ainsi, Universal, leader mondial du disque, a par
exemple racheté l’été dernier le label britannique V2 et les artistes phares du label français
Atmosphériques (Louise Attaque, Abd Al Malik…) qu’il contrôle majoritairement. Cette
stratégie de rachat des indépendants performants visent également à empêcher ces derniers de
se regrouper pour offrir une alternative crédible de distribution. De plus, ce phénomène de
rachat massif des indépendants s’est doublé d’une intensification des rapprochements entre les
majors, pour aboutir à une concentration accrue du marché.
2) Le rapprochement des majors entre elles
La situation actuelle de l’industrie du disque et de la domination incontestée des majors
est la conséquence de nombreux mouvements de fusions et d’acquisitions, au niveau de
l’industrie du disque, et à celui des industries de la communication. En effet, l’industrie du
disque connaît un mouvement de concentration important et continu depuis au moins les
années 1990, en particulier avec le rachat de Virgin par EMI en 1992, la fusion entre
Universal et Polygram en 1999 et la fusion entre Sony Music et BMG en 2004. Ainsi, si en
1997 on comptait 7 majors qui dominaient le marché musical (Polygram, Sony Music, BMG,
Warner Music France, EMI, Virgin et MCA-Universal), ce chiffre est passé à 6 en 1998 (suite
à la fusion entre MCA-Universal et Polygram, désormais Universal), puis à 5 l’année suivante
(Universal, Sony Music, BMG, AOL-Time Warner, EMI-Virgin). Ce nombre s’est
aujourd’hui encore restreint. Désormais, seules 4 majors profitent d’une position dominante
sur le marché de l’industrie du disque (suite à la fusion de Sony Music et BMG, devenu SonyBMG).
Il était important de rappeler cette succession de mouvement de concentration pour
comprendre le paysage actuel de la filière musicale, et comment le star system a alors pu
imposer sa logique commerciale. C’est cette position oligopolistique des majors, et a fortiori
l’exclusion des indépendants, qui aboutit à un difficile respect de la diversité culturelle. La
gestion d’une activité culturelle par une multinationale subie inéluctablement les lois du
marchés, c’est-à-dire les lois du profit. Il ne faut pas y voir pour autant une condamnation
41
sans appel des majors, car cette exploitation à grande échelle du produit musical (qui fait écho
au chiffre d’affaires réalisé par ces majors) permet ainsi au plus grand nombre d’y accéder.
Parallèlement à cette réduction du nombre d’entités, la part de marché de ces dernières a
en effet augmenté considérablement. Elle a même atteint 96,40% en 1999. En 2007, malgré
une baisse depuis plusieurs années, les 4 majors représentent encore 78% du chiffre d’affaires
annuel du CD audio. Universal tient la première place avec 31,4% de part de marché, tandis
que la première maison de disque indépendante française progresse pour atteindre 5,3% du
chiffre d’affaires46. Outre le résultat d’un phénomène de rapprochement entre elles, les majors
doivent leur position dominante à une stratégie d’intégration verticale, qui leur permet de
contrôler toutes les étapes de la vie d’un disque.
B Un phénomène d’intégration verticale
Cette concentration horizontale se double également d’un phénomène d’intégration
verticale, par lequel les majors cherchent à contrôler le dernier maillon de la chaîne de valeur
de l’industrie du disque, c’est-à-dire la distribution (1.). Cette stratégie d’intégration verticale
par les majors est généralement facilitée par l’activité multimédia de leur maison-mère (2.).
1) Le contrôle de la distribution
Après un mécanisme de concentration horizontale, les majors du disque ont su mettre en
place une stratégie d’intégration verticale. Il s’agit pour elles de contrôler la vie du disque de
l’édition à la diffusion, en passant par la distribution, la gestion des artistes et l’activité de
pressage de disques. Plus encore, ces multinationales sont elles-mêmes filiales de
multinationales de la communication, à l’exception notable d’EMI. Cette stratégie
d’intégration verticale est particulièrement intéressante sur le secteur de la distribution. En
effet, commandant un maillon essentiel de l’accès au consommateur final, le distributeur se
trouve en position d’imposer aux tiers ses tarifs et ses conditions. Une major peut ainsi
facturer la distribution d’un CD jusqu’à environ 40% du prix de gros hors taxe et en retirer
46
Source : SNEP, 2007.
42
une rente confortable47. De plus, assurer l’approvisionnement en phonogrammes d’un grand
nombre de grossistes et de détaillants nécessite la mise en place d’un vaste réseau de
distribution.
Contrôler la distribution permet alors à un producteur de réduire ses coûts de
transaction. Sur un marché où les barrières à l’entrée sont élevées, disposer de son propre
réseau de distribution est un atout important. Ceci est d’autant plus vrai que les frais de
distribution sont généralement dus, même en cas d’échec commercial. Or, nul n’est en mesure
de prédire les chances de succès d’une nouvelle réalisation. Cette incertitude conduit les
majors à préférer s’intégrer dans la distribution plutôt que de s’appuyer sur des relations
contractuelles avec un distributeur. L’intégration verticale vers la distribution représente donc
un instrument d’exclusion des rivaux ou d’augmentation de leurs coûts. Désormais, un label
souhaitant être mondialement distribué est quasiment contraint de conclure un contrat de
distribution avec une major. Mis à part quelques gros indépendants (Wagram, Naïve), très peu
peuvent prétendre accéder à l’étape ultime de la distribution sans le recours aux majors. Cette
situation confortable des majors est par ailleurs souvent facilitée par l’activité de la maisonmère.
2) Un contrôle parfois facilité par l’activité de la maison mère
Au regard de l’importance de la voie promotionnelle pour le succès d’un album, le
prescripteur dispose quasiment d’un pouvoir de vie et de mort sur le produit. Il est alors
tentant de faire cohabiter un prescripteur et un producteur au sein d’un même ensemble
industriel. Faire passer une publicité pour un titre promu par ailleurs dans les espaces
rédactionnels est de plus en plus fréquent dans les filières culturelles, et notamment musicales.
Pour une major, la stratégie de préemption des canaux de prescription est en effet
potentiellement facilitée par le profil multimédia de sa maison mère. Ainsi, M6 est contrôlé
par RTL Group, qui détient plusieurs stations de radio et qui est filiale de Bertelsmann,
maison mère de Bertelsmann Music Group (désormais Sony-BMG). Les frontières entre
prescripteurs, producteurs et distributeurs, perdent peu à peu leur étanchéité pour mieux
répondre à la logique du star system et dépasser les barrières à l’entrée du marché. Les majors
diversifient leurs activités et sont présentes sur tous les fronts.
47
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 27.
43
Le cas Vivendi Universal en est une parfaite illustration. Grâce à plusieurs fusions
successives, le groupe est devenu numéro deux mondial dans le domaine des médias. En ce
qui concerne la filière musicale, Universal Music rassemble bon nombre de labels (Universal
Records, Barclay, Polydor, Mercury Records…) et détient plus du tiers du marché français du
disque. Présent également sur le réseau numérique par l’intermédiaire de sites de distribution
en ligne (MP3.com, et mise en place d’un service de musique en ligne par abonnement sur les
portails Yahoo), Vivendi Universal axe sa stratégie sur le rapprochement des contenus et de
l’internet grâce au phénomène de convergence. Le groupe rachète également en septembre
2001 la mythique salle de l’Olympia à Paris, au moment même où il annonce la création d’un
nouveau service de musique sur téléphone portable. Vivendi Universal intègre ainsi
progressivement l’ensemble des étapes d’un processus de production de plus en plus
sophistiqué.
Du fait du contrôle des canaux de prescription, les majors sont ainsi fréquemment
susceptibles d’outrepasser les règles du droit de la concurrence, ces dernières étant tentées
d’abuser de leur position dominante.
§2 L’accroissement des risques d’abus de position dominante
Les risques d’abus de position dominante sont inhérents à toute situation concentrée, et
a fortiori au secteur musical. Les majors guident ainsi notamment la politique tarifaire mise en
place par l’industrie phonographique (A.). Pour autant, les majors ne sont pas libres de tout
encadrement juridique et ne peuvent à ce titre prétendre à toutes sortes d’initiatives. La
Commission Européenne surveille en effet les actions menées par les majors (B.), de sorte à
éviter d’éventuels abus nuisibles par exemple à la diversité culturelle.
44
A Des politiques tarifaires imposées par les majors
Les majors de la musique semblent contrôler les fluctuations constatées dans le prix de
vente des disques (1.). Ce sont en effet les indépendants qui doivent s’adapter aux prix du
marché. On peut alors s’interroger sur les conséquences éventuelles de l’instauration d’un prix
unique pour le disque sur les rapports de force ente majors et indépendants (2.).
1) L’impact de la fluctuation des pratiques tarifaires des majors sur les
indépendants
À la différence du secteur de l’édition du livre, la tarification des CD n’est pas soumise
à une politique de prix unique. Au contraire, les prix sont fluctuants et impulsés par les
décisions des majors. Ainsi, il n’est pas rare qu’un même produit change plusieurs fois de prix
sur une même année. Les disquaires indépendants qui jusque là avaient survécu à la
concentration des magasins de distribution, se retrouvent de nouveau dans une situation
économiquement fragile. En effet, lorsqu’un petit disquaire achète par exemple un certain
nombre de CD pour 15 euros pièce à une maison de disques afin de le revendre au client final
20 euros, mais qu’entre temps la major a baissé le prix de 15 euros à 8 euros, le disquaire qui
n’avait pas encore écoulé son stock subi la différence. Ce yo-yo tarifaire est dévastateur pour
les trésoreries et peut conduire à la fermeture des petits magasins de détail.
On peut alors se demander si l’instauration d’un prix unique, comme il en existe pour le
livre48, pourrait remédier à cette situation. L’application d’un prix fixe permettrait peut-être
l’existence d’un réseau plus dense et plus varié de disquaires. Ceci contribuerait donc à
favoriser la diversité culturelle, que la concentration actuelle du marché de la distribution de
détail tend à limiter. On dénombre en effet beaucoup plus de petites librairies indépendantes
comparé à nos disquaires. Les titres les moins vendeurs seraient également plus facilement
visibles, et le degré de rotation des bacs moins rapide. Dans le secteur littéraire, les gondoles
semblent plus diversifiées, et la gamme de choix au sein de chaque catégorie (roman, histoire,
arts…) plus importante. Or, il serait difficilement réaliste d’imputer ce décalage entre ces
deux secteurs culturels à une différence en termes quantitatif des auteurs littéraires d’une part
48
Loi relative au prix du livre n° 81-766 du 10 août 1981.
45
et des artistes-interprètes de l’autre. La filière musicale n’a pas pour autant suivi la voie
empruntée par le secteur littéraire, mais on peut se demander si cette politique de prix fixe
aurait eu le même impact sur l’industrie phonographique.
2) L’impact éventuel d’une politique de prix fixe sur l’industrie phonographique
Malgré l’existence éventuelle d’un prix de vente fixe, la vision d’une industrie
phonographique diversifiée et intégrant à manière quasi-égale majors et indépendants peut
paraître utopique. En effet, la seule refonte du marché de la distribution de détail ne suffirait
sûrement pas à introduire et placer efficacement les indépendants au sein de la filière
musicale. La distribution est la dernière étape de la chaîne de valeur, or le secteur de la
promotion qui est un préalable quasi-indispensable à une bonne distribution est lui aussi sujet
à de fortes concentrations49. En définitive, c’est seulement une refonte globale de l’industrie
du disque qui permettrait éventuellement de relancer la croissance de la musique sur support
physique. Une offre diversifiée en aval de la chaîne ne serait possible que suite à un
phénomène de déconcentration en amont. Pour arriver dans les bacs, les artistes doivent en
effet pouvoir franchir les barrières promotionnelles. Malheureusement, ceci ne semble pas
encore d’actualité au regard des multiples opérations de fusions et acquisitions qui continuent
de s’opérer. Les majors ne veulent pas perdre leur position oligopolistique ni ouvrir le marché
à de nouveaux concurrents. Une politique de prix fixe ne paraît donc pas à ce jour adapté à
l’organisation structurelle de l’industrie musicale.
Les tarifs des CD sont donc encore pour l’instant voués à la fluctuation des désirs de
majors. Malgré tout, nos majors restent soumises aux normes européennes et nationales en
matière d’ententes50 ou d’abus de position dominante51. L’industrie musicale, en tant
qu’activité économique, n’échappe pas en effet aux règles de la concurrence. La Commission
Européenne est d’ailleurs très attentive au respect du jeu de la concurrence par les maisons de
disques, qui ne peuvent par exemple imposer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou
de vente des CD.
49
Voir supra, p. 20.
Article 81 du traité CE et 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986
51
Article 82 du traité CE et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986
50
46
B Des politiques de fusion contrôlées par la Commission Européenne
La Commission Européenne est très attentive aux diverses opérations de fusions et/ou
acquisitions ayant lieu entre les différentes entités de la filière musicale. Elle veille à ce que
de telles pratiques n’entravent pas le droit de la concurrence en créant des goulots
d’étranglement trop importants à l’entrée du marché musical. Les autorisations de la
Commission Européenne pour de telles pratiques (1.) ne sont donc pas toujours évidentes. En
effet, à défaut de garanties suffisantes, la Commission Européenne n’hésite pas à refuser ces
opérations de concentration (2.).
1) Des opérations de concentration autorisées
Être en position dominante n’est pas condamnable en soi, cela résulte du libre jeu de la
concurrence. Seuls les abus pouvant survenir du fait de cette situation sont répréhensibles et
ne peuvent être tolérés. Or, les rapprochements entre plusieurs entités profitant déjà d’un
chiffre d’affaires confortable, sont susceptibles d’entraîner de tels abus. Les conséquences de
l’autorisation à de telles opérations doivent donc être extrêmement mesurées. Plusieurs
fusions entre nos majors ont ainsi fait l’objet d’un examen détaillé de la part de la
Commission Européenne et soulevé de vives réactions de la part des indépendants. Tel a été le
cas de la fusion entre Sony Music et BMG qui a connue de multiples rebondissements. En
effet, après une première approbation de la Commission en 2004, un recours avait été déposé
par Impala (Independent music companies association), un réseau de labels indépendants,
pour voir annulée cette décision. Ils craignent un renforcement de la position dominante des
majors, qui serait nuisible à la diversité culturelle et à la survie des indépendants.
Face à cette demande, le Tribunal de première instance de l’Union Européenne juge le
13 juillet 2006 que la fusion Sony-BMG doit être annulée, au regard des risques de position
dominante. Les deux majors n’ont pas dit leur dernier mot et déposent un recours commun le
3 octobre suivant et proposent un nouveau projet de fusion. Un an plus tard, en 2007, la fusion
Sony-BMG est de nouveau acceptée par la Commission Européenne, les deux majors peuvent
ainsi se positionner définitivement en tant que numéro deux mondial du secteur, derrière
Universal Music. Pour la Commission, il n’y a pas d’entente sur les budgets, les prix, l’accès
aux détaillants ou encore les dates de sorties, et n’entraîne donc aucun problème sérieux de
47
concurrence sur le marché concerné. Une telle décision fait l’effet d’une bombe chez les
indépendants, qui considèrent que réduire l’offre au lieu de l’élargir accentue le sentiment de
crise. D’autant plus que quelques années auparavant, les labels indépendants avaient obtenu
gain de cause en ce qui concerne la fusion entre Warner Music et EMI, sur les mêmes motifs
que ceux avancés pour la fusion Sony-BMG.
2) Des opérations de concentration refusées
La crise subie par l’industrie du disque depuis quelques années amène la Commission
Européenne à contrôler strictement des opérations de fusions qui auraient pour conséquence
de renforcer davantage la concentration déjà présente dans le secteur musical. De telles
inquiétudes justifient d’émettre des conditions à un rapprochement éventuel, voir de le refuser
purement et simplement. La Commission a ainsi désapprouvé en octobre 2000 la fusion de
Warner et EMI, qui aurait placé ces deux majors en tête de liste avec un chiffre d’affaires
annuel de 8 milliards de dollars. Ce refus de la part de la Commission doit être analysé en
parallèle de la réponse positive à la fusion entre le premier fournisseur d’accès internet AOL
et le géant des médias Time Warner. Cette fusion, qui correspond en réalité plus à un rachat
des actions de Time Warner par AOL, est la plus importante de tous les temps. Sa valeur étant
estimée à 190 milliards de dollars, la Commission Européenne ne pouvait autoriser une telle
opération sans émettre quelques conditions. Elle a ainsi soumis son acceptation de la fusion
AOL-Time Warner en partie à la réduction de la position du nouveau groupe dans la
distribution de musique en ligne, craignant la formation de trop fortes barrières à l’entrée sur
ce marché, source d’un risque élevé d’abus de position dominante.
Dans un tel contexte, la création d’une société commune, à 50/50, entre Warner Music –
futur membre du groupe AOL-Time Warner – et le britannique EMI, aurait donné naissance à
un mastodonte du disque et une position « autosuffisante » dans le domaine de la musique en
ligne. Pour sauver sa fusion avec AOL, Time Warner a donc dû renoncer, du moins
temporairement, à son alliance avec EMI, sous peine de se voir sanctionner pour création d’un
monopole anticoncurrentiel52. En mai 2007, le troisième groupe mondial de la musique, EMI,
a finalement accepté l’offre de rachat du fonds d’investissement Terra Firma, ce qui maintient
encore aujourd’hui à 4 le nombre de majors. Néanmoins, l’approbation de la Commission
52
Dumout (E.), « Time Warner lâche EMI pour sauver sa fusion avec AOL », www.zdnet.fr, 6 octobre 2000.
48
Européenne pour la fusion Sony-BMG va peut-être relancer les espoirs et les initiatives de
Warner quant à une éventuelle fusion avec EMI.
Si cela devait être le cas, le passage de 4 à 3 majors sur le marché de la musique
enregistrée aboutirait surement à renforcer la faiblesse de la diversité culturelle, souvent
pointée du doigt.
SECTION 2 L’INDUSTRIE DU DISQUE EN PROIE À DES DIFFICULTÉS D’ORDRE
CULTURELLES
L’industrie musicale est avant tout une industrie culturelle et, en tant que telle, cherche à
promouvoir la diversité au sein de ses offres et ses acteurs. La faiblesse culturelle souvent
pointée du doigt dans l’industrie du disque, et cela souvent à juste titre, tend néanmoins à
suivre la voie de l’amélioration (§1.). Les pouvoirs publics ont en effet compris l’importance
de l’industrie phonographique pour le secteur culturel et commencent à dépasser leur timidité
pour intervenir désormais activement dans un secteur marchand. Les pouvoirs publics suivent
ainsi, à notre grande satisfaction, une politique de soutient à la création culturelle (§2.).
§1 Une faiblesse culturelle en voie d’amélioration
Le marché physique de la musique enregistrée ne répond pas aujourd’hui aux objectifs
de diversité culturelle que le consommateur serait susceptible d’attendre. Il tend néanmoins à
prendre la voie de la diversité (A.), dont la promotion par les pouvoirs publics se fait de plus
en plus active (B.). Malgré un résultat encore peu effectif, l’effort fournit témoigne de la
volonté de l’industrie musicale de se réactualiser.
49
A Un marché physique en route vers la diversité
Les mouvements de concentration précédemment évoqués sont souvent des obstacles à
la diversité culturelle et à l’innovation musicale (1.). Le marché physique de la musique
enregistrée cherche néanmoins à répondre à ces objectifs d’ordre culturel, notamment grâce à
l’aide apportée par les sociétés de gestion collective (2.).
1) L’innovation musicale menacée par la concentration des producteurs
La question du lien entre la concentration de l’industrie d’un côté, l’innovation et la
diversité musicale de l’autre, se pose de façon récurrente. Elle est même régulièrement au
centre des critiques de l’industrie du disque. Des études révèlent que les périodes de
concentration de marché apparaissent comme des périodes d’homogénéité de la production,
tandis que les périodes d’accroissement de la concurrence sont des périodes de diversité des
productions. Par diversité de la production musicale, il faut entendre « la variété, l’égale
répartition et la disparité d’une part des produits dans la manière dont ils sont faits et
distribués, et alors consommés et, d’autre part, des producteurs compte tenu de leur pouvoir
de marché potentiel et de la manière dont ce pouvoir est exprimé 53».
Cette distinction entre diversité des produits et diversité des producteurs d’une part, et
diversités offerte et consommée d’autre part, est en effet intéressante à étudier. Les analyses
que nous avons effectuées jusqu’à présent montrent sans nul doute une concentration accrue
des producteurs, due à une réduction du nombre des entités sur le marché. En revanche, si les
playlists des radios nous offrent un programme relativement homogène, cela ne signifie pas
une absence de disparité dans les produits existants. Ainsi, si le nombre d’albums
commercialisés baisse progressivement (-23% entre 2005 et 2006), à l’inverse le nombre des
nouvelles signatures d’artistes augmentent (62 nouveaux contrats entre 2005 et 2006). Il ne
s’agit donc pas d’une crise de la création, mais plutôt d’une crise de la distribution, laquelle
entraîne une crise de la consommation. Depuis les années 2000, le développement des
émissions de téléréalité accentuent la crise, en prouvant au grand public que la qualité
musicale n’est pas la condition sine qua non au succès d’un artiste.
53
« La diversité musicale face aux défis des technologies numériques », colloque CEPN&MSH PN-IFC, INA, 3
avril 2007.
50
Pour remédier à de telles conséquences, les sociétés de gestion collective sont les
premières à promouvoir des actions culturelles via le plus souvent une aide financière.
2) L’action culturelle des sociétés de gestion collective
Outre leur fonction de perception et de redistribution des ressources collectées au titre
du droit d’auteur, les sociétés de gestion collective, et notamment la SACEM, œuvrent en
faveur du développement, de la diversité et de la pérennité de la création musicale. L'action
culturelle de la SACEM s'articule en trois domaines d'intervention intrinsèquement liés : l'aide
à la création, le soutien au spectacle vivant et l'aide à la formation. Ces diverses actions
contribuent à l'émergence de nouveaux talents et, in fine au renouvellement des répertoires. À
cet égard, la SACEM se positionne aujourd'hui comme le premier soutien privé à la création
contemporaine en France.
L'action culturelle de la SACEM est financée à plus de 80% par des ressources issues de
la copie privée, ainsi que par une contribution statutaire et volontaire de la SACEM. L’origine
de ces ressources nous amène à nous intéresser à la question de la taxation des supports
d’enregistrements au titre de la copie privée54. En effet, Si cela concernait classiquement les
CD ou DVD vierges, l’assiette de la rémunération pour copie privée tend à s’élargir afin de
tenir compte des nouveaux matériels permettant la reproduction à usage privé d’œuvres. Une
commission, dite d’Albis, a ainsi été chargée durant la période estivale 2007, de fixer les
rémunérations à appliquer aux supports numériques, et notamment les disques durs externes
non professionnels, les clés USB et les cartes mémoires.
Malgré l’implosion de la commission d’Albis en raison du mécontentement des
syndicats d’industriels, les nouvelles modalités de rémunération pour copie privée sont
54
L. 311-4 du CPI : « La rémunération prévue à l'article L. 311-3 est versée par le fabricant, l'importateur ou la
personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3° du I de l'article 256 bis du code général
des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'œuvres, lors de la mise
en circulation en France de ces supports.
Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d'enregistrement qu'il permet.
Ce montant tient compte du degré d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur
incidence sur les usages relevant de l'exception pour copie privée. Il ne peut porter rémunération des actes de
copie privée ayant déjà donné lieu à compensation financière. ».
51
applicables depuis le 1er octobre 200755. L’élargissement de l’assiette de la rémunération pour
copie privée et la mise en place d’un nouveau barème devraient occasionner des gains,
évalués entre 16 et 20 millions d’euros par an selon la SACEM, et ainsi même gonfler le
budget de l’action culturelle de la SACEM. Si le consommateur se sent directement pénalisé
par la hausse des prix des supports vierges, cela devrait servir indirectement à leur offrir une
plus grande diversité culturelle.
Les pouvoirs publics sont intervenus ici de manière cachée via l’action menée par des
organismes privés. Ils leur arrivent cependant, et de plus en plus fréquemment, d’intervenir
ouvertement en faveur de la promotion de la diversité culturelle.
B La promotion de la diversité culturelle par les pouvoirs publics
L’importance de la diversité culturelle est une réalité qui dépasse les frontières. Sa
promotion intervient alors aussi bien au niveau européen, notamment par le biais de la
convention UNESCO (1.), qu’au niveau plus intimiste de la région voir des départements ou
des communes. Les collectivités territoriales sont en effet relativement sensibles à la notion de
diversité culturelle et soutiennent très souvent des labels indépendants (2.).
1) La convention UNESCO
Adoptée en octobre 2005 et entrée en vigueur le 18 mars 2007, la Convention UNESCO
marque une volonté ferme en faveur de la protection et de la promotion de la diversité des
expressions culturelles. Malgré une évolution sémantique, qui nous à fait passer du concept
d’exception culturelle à celui de spécificité culturelle et enfin aujourd’hui de diversité
culturelle, l’objet est toujours le même. Il s’agit « d’intégrer la culture en tant qu’élément
stratégique dans les politiques nationales et internationales de développement 56». Il faut pour
cela réguler la concentration, car c’est elle qui tue la diversité, et équilibrer le marché entre
55
Jusqu’alors, la rémunération pour copie privée était un montant absolu en fonction d’une capacité. Désormais,
le consommateur devra s’acquitter d’une nouvelle taxe dont le coût devient proportionnel à la capacité, les
barèmes s’effectuant par paliers.
56
Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, 20 octobre 2005,
préambule.
52
majors et indépendants pour garantir la diversité des répertoires et l’accès au marché. En effet,
« il n’y a pas de diversité sans pluralisme. Le pluralisme implique la multitude des acteurs, au
niveau de la production, de la diffusion et de la distribution 57». Selon Patrick Zelnik, cette
pluralité d’acteurs pourrait être permise en créant un environnement favorable aux entreprises
culturelles, et notamment aux petites entreprises. « L’artisanat culturel est une solution à la
crise et apporte la diversité, il faut mettre en œuvre de petits projets 58».
En outre, cette diversité ne doit pas s’arrêter aux frontières nationales mais bel et bien
profiter du contexte de mondialisation pour s’exercer en relation avec les pays tiers.
« L’export est devenu de plus en plus important vu le rétrécissement du marché avec la
crise 59», et la Convention UNESCO encourage à stimuler les échanges culturels. Il est
nécessaire que les Etats se dotent de politique(s) culturelle(s) sur leur territoire pour assurer
un pluralisme effectif, qui constitue un patrimoine commun de l’humanité. Cela implique de
« placer la culture au-dessus de l’économie 60». En tant que « vecteur privilégié de la
diversité, la musique peut montrer la voie [et] devenir un chantier prioritaire 61».
Tous ces objectifs se retrouvent également à l’échelle des collectivités territoriales qui
mettent souvent en œuvre des mécanismes de soutient aux labels indépendants, pour leur
donner une visibilité plus apparente face aux géants du disque.
2) Le soutient des collectivités territoriales aux labels indépendants
Les difficultés des indépendants ont un impact direct sur l’émergence de nouveaux
talents et donc sur la diversité culturelle. Or, la filière phonographique est un secteur
marchand qui bénéficie traditionnellement de peu de soutien public, au péril du
renouvellement des créations. Cette situation inquiète certaines collectivités territoriales, qui
mettent en place différents dispositifs d’aide aux labels indépendants locaux. Cette
57
Zelnik (P.), président du label indépendant Naïve et de l’Impala, colloque Musique et Diversité, Centre
Pompidou, 4 septembre 2007.
58
Idem.
59
Allard (J-P.), directeur de Polydor et président du Bureau Export de la Musique Française, colloque Musique
et Diversité, Centre Pompidou, 4 septembre 2007.
60
Patrick Zelnik, loc. cit.
61
Quintin (O.), directrice générale Education Culture à la Commission européenne, colloque Musique et
Diversité, Centre Pompidou, 4 septembre 2007.
53
intervention publique n’est pas désintéressée, car en soutenant la vitalité artistique locale, les
collectivités protègent aussi un bassin d’emploi et enrichissent l’attractivité de leur territoire.
Quoiqu’il en soit, l’intervention des collectivités permet aux labels bénéficiant de l’aide de
poursuivre leur politique artistique au milieu d’une concentration accrue du marché du disque.
La logique du star system semble ici défiée, l’accent étant posé sur la création artistique et la
découverte de jeunes talents, plus que sur la promotion de superstars. Malgré la dimension
(seulement) régionale de ces dispositifs, on ne peut que saluer le « développement de
partenariats novateurs entre les secteurs public et privé 62».
Deux catégories de dispositifs sont ainsi mis en place par les collectivités locales : ceux
où elles interviennent de manière directe auprès des acteurs, et ceux où elles délèguent la
gestion à un opérateur intermédiaire. Dans le premier cas, on peut faire référence au dispositif
d’aide à la filière phonographique mis en place, financé et géré par la région Rhône-Alpes
depuis la fin de l’année 2004. Le budget de ce dispositif s’élevait à 388 000 euros en 200663.
Dans le second cas, la région Poitou-Charentes donne l’exemple avec son réseau
d’accompagnement à la distribution des autoproduits régionaux (Radar)64. Ce projet s’adresse
spécifiquement aux artistes régionaux non signés et autoproduits. Il leur donne la possibilité
de se positionner comme une alternative aux circuits commerciaux de distribution, et donc de
pallier le manque de visibilité des disques autoproduits régionaux. La mise en place de
dispositifs d’aides à la distribution, soit par la création d’une plateforme numérique soit par
une aide à la mise en bacs, paraît en effet plus appropriée au contexte actuel qu’une simple
aide à la création, les coûts étant moindres à cette étape de la chaîne de valeur65.
Pour être réellement effective, la promotion de la diversité culturelle et les actions
intentées en sa faveur par les collectivités territoriales doivent s’accompagner de dispositifs
plus généraux impulsés par les pouvoirs publics à l’échelle nationale.
62
63
Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, op. cit., p. 10.
Milliard (M.), « Labels en ville : les dispositifs locaux de soutient à la filière discographique »,
www.irma.asso.fr, 3 septembre 2007.
64
Idem.
65
Voir supra, p. 15.
54
§2 Une diversité culturelle soutenue par les pouvoirs publics
L’intervention des pouvoirs publics dans l’industrie musicale en faveur de la diversité
culturelle emprunte essentiellement deux courants. Il s’agit d’une part d’imposer aux
diffuseurs différents quotas ayants pour objectifs de limiter l’affluence des seuls titres promus
par les majors (A.). D’autre part, il s’agit à l’inverse d’inciter au maximum la création de
nouveaux titres via une aide financière (B.). L’industrie musicale n’est plus désormais mise de
côté par les pouvoirs publics mais fait au contraire l’objet d’une attention toute particulière.
A L’ambivalence de l’instauration des quotas
La mise en place de quotas radiophoniques destinés à orienter les radios vers la
production et la diffusion de titres francophones (1.) ne permet pas toujours d’atteindre
l’objectif de diversité culturelle escompté (2.). La politique des quotas, malgré son effet
positif sur l’industrie musicale francophone, ne permet pas en effet de prendre en compte la
diversité musicale à son échelon mondial.
1) Les quotas de production et de diffusion
Afin de soutenir l’industrie musicale française face à l’immersion de titres anglophones,
les radios se sont vues imposées des quotas de production et de diffusion. La loi du 30
septembre 1986 modifiée66 s’attache ainsi à prévenir la diversité dans les programmes
radiophoniques, et notamment la « diversité française ». À titre d’exemple, il est prévu à
l’article 28 de ladite loi que la convention passée entre le CSA et un service radiophonique
diffusé par voie hertzienne terrestre doit notamment porter sur le temps consacré à la diffusion
d'œuvres audiovisuelles d'expression originale française en première diffusion en France, la
part du chiffre d'affaires consacrée à l'acquisition des droits de diffusion de ces œuvres ainsi
que la grille horaire de leur programmation.
66
Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 dite Léotard, relative à la liberté de communication.
55
À cet égard, la proportion substantielle d'œuvres musicales d'expression française doit
atteindre un minimum de 40 %, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de
nouvelles productions67. Des proportions différentes peuvent être appliquées pour des radios
spécialisées, soit dans la mise en valeur du patrimoine musical soit dans la promotion de
jeunes talents. Ces deux types de quotas, nouvelles productions pour les disques récents des
artistes connus, et nouveaux talents, sont importants. Si l’on n’avait des quotas que sur les
nouveaux talents, on courrait le risque que les chanteurs connus ne passent plus à la radio.
Dans sa procédure d’autorisation d’usage des fréquences pour la diffusion de services
de radio par voie hertzienne terrestre, le CSA tient d’ailleurs notamment compte des
« dispositions envisagées en faveur de la diversité musicale au regard, notamment, de la
variété des œuvres, des interprètes, des nouveaux talents programmés et de leurs conditions
de programmation 68». La politique des quotas radiophoniques est donc chère au législateur
français qui espère ainsi édulcorer les faiblesses culturelles existantes et promouvoir la
musique francophone et les artistes émergents.
Cependant, l’impact de ces politiques de quotas peut être à double tranchant pour la
diversité culturelle et constituer parfois un frein à son développement.
2) Les quotas comme frein à la diversité
Il est impossible au regard de la liberté de circulation des personnes et des produits au
sein de l’Union Européenne, d’établir des quotas restrictifs fondés sur la nationalité. Le critère
retenu pour l’instauration des quotas a donc été celui de la langue, français et langues
régionales assimilées. Ceci exclut toute la musique instrumentale, la techno, ou la house.
C’est d’ailleurs l’un des arguments que les radios opposent à la rigidité des quotas. En effet, la
montée des répertoires locaux en France du fait des quotas imposés n’a pas véritablement
servi à élargir la palette des musiques de variétés, à l’exception notable du rap.
En ce sens, l’instauration de quotas peut être un frein à l’échange avec les autres
cultures et à la diversité, sauf si l’on imagine éventuellement des quotas non plus nationaux
mais européens. Ce protectionnisme à la française fait alors sortir des playlists des radios les
67
68
Art. 28, 2° bis de la loi du 30 septembre 1986 modifiée.
Art. 29, 6°, de la loi du 30 septembre 1986 modifiée.
56
musiques du monde, autres qu’anglo-saxonnes. De plus, la législation sur les quotas a
indirectement favorisé l’explosion des rotations. En effet, il a été un réflexe opportun pour les
programmateurs d’augmenter les passages pour des artistes francophones déjà connus, de
manière à « remplir » le quota sans pour autant diversifier leurs playlists. Ceci est possible car
les termes de la loi indiquent que parmi les 40% de chansons d’expression française, la moitié
au moins doit provenir de nouveaux talents ou de nouvelles productions. Or, il est
évidemment moins risqué pour les radios de programmer le dernier album d’un artiste
confirmé plutôt que le premier album d’un artiste émergent. Les radios ont donc exploité les
failles terminologiques de la loi pour la tourner à leur avantage.
Malgré cette ambivalence dans les effets d’une telle politique des quotas, il ne serait
surement pas souhaitable de la supprimer. En effet, elle reste aujourd’hui l’un des moyens les
plus efficaces pour permettre à des artistes francophones indépendants de voir leurs titres
diffusés sur les ondes. On pourrait en revanche souhaiter, plutôt que la quantification de la
part de titres francophones et de nouvelles productions, l’instauration de limites quant à la
vitesse de rotation et à la diffusion de titres du top 40, qui sont les véritables entraves à
l’élargissement des playlists.
Outre l’instauration de quotas radiophoniques, l’intervention des pouvoirs publics en
faveur de la diversité culturelle prend également une dimension financière, même si celle-ci
montre encore quelques signes de timidité.
B La timidité de l’intervention financière
Traditionnellement peu enclin à intervenir dans l’industrie musicale, les pouvoirs
publics ont récemment pris un tournant et manifestent désormais leur volonté d’intervenir
financièrement dans ce secteur. Cela s’est traduit notamment à travers la mise en place d’un
crédit d’impôt destiné à l’industrie phonographique (1.). Cette intervention financière reste
malgré tout timide, comme le montre les difficultés à instaurer une TVA réduite pour le
marché musical (2.).
57
1) La mise en place d’un crédit d’impôt
Malgré la frilosité des pouvoirs publics à intervenir dans un secteur marchand et de
business, plusieurs actions ont déjà été mises en place et perdurent. La plus importante est
surement l’adoption de la loi de 1985 sur les droits d’auteur et les droits voisins, qui entame la
construction d’une politique culturelle en faveur du disque. Outre l’établissement de droits
pour les producteurs et interprètes, cette loi prévoit par exemple également, par
l’intermédiaire de l’article L. 321-9 du CPI, le reversement de 25% des sommes prélevées au
titre de la copie privée pour alimenter les comptes de soutien à la création musicale. Ce
mécanisme constitue toujours aujourd’hui un élément clé du système d’aide à la filière du
disque, d’autant plus que la taxe pour copie privée a récemment été étendue aux nouveaux
supports69. De même, un fonds d’avances aux industries musicales (FAIM) à été crée à
l’IFCIC fin 2005 et dispose à ce jour d’une capacité d’environ 3 millions d’euros, ou encore
un programme d’aide à la création de disquaires et donc de soutient à la distribution a été
relancé (FISAC Culture).
C’est dans cette même dynamique de « politique de relance » que le crédit d’impôt à la
production phonographique a été adopté dans le cadre de la loi DADVSI du 1er août 2006. La
crise du disque a en effet conduit l’État à intervenir de manière plus marquée sur ce secteur.
Le crédit d’impôt à la production phonographique vient ainsi de voir sa capacité de
financement quadruplée et portée à 12 millions d’euros, grâce à un vote du parlement fin
200770. Son mécanisme s’est calqué sur celui du crédit d’impôt en faveur de la production
cinématographique et audiovisuelle, lui-même imaginé à partir de celui pour la recherche
industrielle. Par ce mécanisme, les labels (indépendants ou majors) ayant plus de 3 années
d’existence peuvent bénéficier, sous conditions, d’une déduction d’impôt égale à 20% de
leurs dépenses de production et de développement pour un projet « nouveau talent ». Toute
aussi louable soit-elle, il s’agit là d’une mesure ponctuelle destinée à dépasser une
conjoncture difficile, et dont l’application prendra fin au 31 décembre 2009. Il faut de plus
préciser ici que le crédit d’impôt ne s’appliquant qu’aux producteurs, il est un risque que le
dispositif ne fasse qu’accroître le nombre d’albums produits mais ne trouvent pas de
débouchés en termes de distribution physique (d’où l’importance de la complémentarité du
69
Voir supra, p. 43.
Milliard (M.), « Labels : L’État fait crédit. La relance du disque par le crédit d’impôt », www.irma.asso.fr, 3
mars 2008.
70
58
FISAC Culture). Il serait donc tout à fait opportun de cumuler ce dispositif financier des
pouvoirs publics par une baisse de la TVA sur les produits de la musique.
2) L’attente d’une TVA à taux réduit
Les efforts fournis par les pouvoirs publics ces dernières années pour soutenir
fiscalement l’industrie musicale n’apparaissent pas encore suffisant aux yeux des
professionnels de ce secteur. Les membres du SNEP estiment qu’il est impératif d’aller plus
loin, en particulier au niveau européen, pour instituer une véritable aide publique à la filière
musicale. Les demandes, sans cesse renouvelées, des acteurs de ce marché portent notamment
sur l’application d’un taux de TVA réduit. Au même titre que le livre, qui bénéficie lui d’une
TVA réduite à 5,5% au lieu du taux de 19,6% appliqué traditionnellement, la musique
enregistrée doit elle aussi pouvoir prétendre en tant que produit culturel à cette dérogation.
Cette baisse du taux de TVA, et a fortiori du prix de vente au public, doit pouvoir favoriser
l’accès à ce bien culturel, et donc constituer un facteur de développement de la diversité
culturelle.
En qualité de candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy œuvrait dans ce sens
en indiquant son souhait de généraliser la TVA réduite à l’ensemble des biens et services
culturels. Cette promesse semble vouloir se concrétiser avec l’adoption le 23 novembre 2007
de l’accord Olivennes. Cet accord prévoit notamment que « les pouvoirs publics s’engagent à
solliciter de l’Union européenne une généralisation à l’ensemble des biens et services
culturels du taux de TVA réduit, cette mesure devant bénéficier en tout ou partie au
consommateur à travers une baisse des prix publics ». Si elle devait avoir lieu, cette baisse de
la TVA à 5,5% devrait, en pratique, réduire le prix des produits et biens culturels de près de
12%71. Cette mesure devrait alors entraîner l’augmentation des ventes et faciliter le
développement des industries musicales. Selon le SNEP, cette réduction du taux de TVA doit
d’ailleurs concerner l’ensemble des biens culturels, qu’ils soient vendus « off line » ou « on
line ».
Il reste à la France de persuader ses partenaires européens du bien-fondé d’une telle
initiative. Or, l’harmonisation des taux de TVA est toujours l’un des sujets épineux à
71
Par exemple, un disque acheté actuellement 15 euros verrait son prix d’achat tomber à 13,20 euros.
59
Bruxelles. On voit cependant une voie s’ouvrir. En effet, si le rapport Bono de la Commission
de la Culture du Parlement Européen conteste le dispositif de riposte graduée prévu dans
l’accord Olivennes, il envisage en revanche la mise en œuvre d’un cadre fiscal favorable aux
industries culturelles. La TVA réduite pour l’industrie du disque s’inscrit ainsi dans les projets
de ce rapport établit au niveau européen. Espérons que l’industrie du disque réussisse enfin à
rejoindre le secteur du livre et offrir une TVA à 5,5%.
Au regard des analyses effectuées dans le monde pré-numérique de l’industrie musicale,
le star system semble s’être ancré dans son mode de fonctionnement. Il conditionne l’accès
aux canaux de prescription et conserve une tendance allant à l’encontre de la diversité
musicale. Pourtant, le star system est un dictateur faillible et ne sort pas indemne de toutes les
immersions technologiques. Il a ainsi du mal aujourd’hui à s’imposer au sein du monde
numérique et tente par tous les moyens de contrecarrer ce nouveau phénomène de liberté.
60
TITRE II LA REMISE EN CAUSE DU STAR SYSTEM
À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE
« Si on poursuit tout le combat que l’on a mené à l’Unesco pour dire que les biens
culturels ne sont pas des marchandises comme les autres, si on va jusqu’au bout de ça, on va
d’une certaine manière jusqu’à une logique d’ouverture et de gratuité 72». L’ancien Ministre
de la Culture Renaud Donnedieu De Vabres retranscrit ici parfaitement la nouvelle tendance
lancée par la vague internet. L’accessibilité de la toile pour toute personne qui le désire
conduit à remettre en cause le modèle économique dominant des majors, à savoir le star
system. L’abolissement des frontières à l’entrée offre en effet beaucoup plus d’opportunités
pour les indépendants et tend ainsi à inverser les rapports de forces actuel entre les gros et les
petits. Cette avancée technologique est source d’instabilité pour les majors qui perdent leurs
repères traditionnels (Chapitre 1.). Les indépendants en revanche ont su s’adapter à cette
nouvelle ère du numérique qui leur est particulièrement profitable (Chapitre 2.).
72
Discours du ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres lors de l’adoption du texte de loi Dadvsi du
1er août 2006.
61
CHAPITRE 1 L’INTÉGRATION MALAISÉE DES MAJORS
DANS LE MONDE NUMÉRIQUE
Les majors du disque n’ont pas su anticiper le passage du marché physique de la
musique au marché en ligne de celle-ci. Leur intégration récente n’en a été que plus difficile
et relève plus de l’intrusion que de l’adaptation. Ainsi, si le marché en ligne semble a priori
favorable à l’innovation musicale et à sa diversité (Section 1.), du fait de la disparition des
barrières à l’entrée du marché, les majors n’ont pas encore réussi à dépasser les effets négatifs
causés par le piratage (Section 2.) pour le faire basculer à leur profit. Les possibilités offertes
par le monde numérique ne sont donc que trop peu exploitées par les majors, qui cherchent au
contraire à ralentir ce phénomène pour maintenir leur mainmise sur l’industrie musicale.
SECTION 1 UN MARCHÉ EN LIGNE A PRIORI FAVORABLE À L’INNOVATION
MUSICALE
La vague internet est à l’origine d’un souffle de liberté tant du point de vue du
consommateur que de celui des petits producteurs ou des artistes eux-mêmes. Apparemment
propice à une plus grande diversité culturelle (§1.), notamment du fait de son ouverture et de
l’interaction intensive avec les internautes, la toile montre en réalité très vite ses limites. Les
inégalités déjà présentes dans le marché physique de la musique semblent ainsi se reproduire
de nouveau sur le marché on line, au grand dam de la diversité culturelle (§2.).
§1 Une diversité culturelle apparente
Internet semble synonyme dans les esprits d’une offre musicale plus diversifiée car plus
accessible pour le consommateur et plus facile à exposer pour l’artiste ou son producteur.
Ceci s’explique, d’une part, grâce à la généralisation de l’internet dans les foyers (A.) et,
62
d’autre part, par la multiplicité de l’offre disponible sur la toile (B.). Tout ceci contribue en
effet à générer un sentiment d’abondance, parfois confondu avec le concept de diversité
culturelle.
A La généralisation des nouvelles technologies dans les foyers
Tant l’apparition du haut débit, l’augmentation du nombre de ses abonnés que
l’apparition de nouveaux formats d’encodage (1.) contribuent à l’instauration d’une culture du
e-commerce dans l’esprit du consommateur devenu internaute. Le cyberconsommateur est en
réalité très souvent un véritable téléchargeur d’œuvres musicales, dont le nombre ne cesse de
croître (2.).
1) L’évolution des formats
Le phénomène de convergence entre les tuyaux et les contenus a conduit à une mutation
de l’industrie musicale, tant dans son mode de consommation que dans son mode de
production. La première de ces mutations a été générée par l’apparition au début des années
1990, du format d’encodage MP3 (ou plus précisément le MPEG-1 Layer Three). Cette
technologie permet de stocker sur un même support physique le contenu de douze CD grâce à
un mécanisme de compression des données. Cumulé avec le déploiement des connexions
internet à haut débit, elle a révolutionné les systèmes d’échanges de fichiers musicaux sur
internet et bouleversé le secteur de l’industrie musicale. À cet égard, la création aux ÉtatsUnis à la fin des années 1990 du site MyMP3.com, a autorisé les internautes à stocker les
fichiers numériques de CD qu’ils étaient censés posséder, et a donc permis de facto aux autres
internautes de télécharger ces fichiers.
Ce qu’il est intéressant de relever ici, c’est la « provenance » de cette innovation
technique, parce que contrairement aux « supports » précédents, ce nouveau format a été
élaboré hors de l'industrie phonographique, par des techniciens n'ayant aucun lien direct avec
les multinationales de ce secteur73. Ainsi, pour la première fois, la mise en concurrence de
73
Ce format a été mis au point grâce aux travaux de laboratoires indépendants financés par l’Union Européenne.
63
l’industrie phonographique avec l’arrivée d’un nouveau format provient de l’extérieur. C’est
peut-être précisément ce qui a ralentit l’intégration des majors, et plus généralement de
l’industrie musicale, dans ces nouvelles technologies. Les maisons de disques ont dans un
premier temps refusé de s’adapter à cette stratégie de dématérialisation des œuvres et continué
à faire abstraction de ce qui était peut-être en train de devenir le successeur du disque. Or, fin
2005, le nombre d’abonnés au haut débit en France a dépassé les 9 millions, soit une
croissance de plus de 60% en un an. Au regard de l’importance que prend ce nouveau marché,
et avec lui le nombre de téléchargement de fichiers musicaux, l’industrie musicale a donc
finalement dû tenter de prendre en marche et exploiter ce nouveau modèle économique
d’exploitation des œuvres, d’autant que le nombre de téléchargement de ces dernières ne
cesse de croître.
2) L’augmentation du nombre de téléchargement
Les possibilités offertes par internet et l’accroissement du nombre de ses utilisateurs
induit également une augmentation constante et exponentielle du nombre des téléchargements
de fichiers musicaux effectués sur la toile. Les sites de partage de fichiers voient leurs adeptes
se multiplier, pour atteindre par exemple un pic de 1,57 millions de connexions simultanées
en février 2001 au profit du célèbre Napster. Parallèlement au marché illégal de
consommation numérique des œuvres, le nombre de téléchargements légaux est également en
voie de progression et ce tant sur le réseau internet que sur la téléphonie mobile. Ainsi, en
2006, les revenus numériques des éditeurs phonographiques ont représentés 43,5 millions
d’euros, en progression de 42% par rapport à 200574. Au sein de ces revenus numériques, on
relève que les revenus du téléchargement ont été multipliés par 9 entre 2004 et 2006, et les
revenus de la téléphonie mobile par 4 pour la même période75.
Au regard de ces données chiffrées, la crise du disque alertée par les producteurs de
phonogrammes ne peut être associée à une crise de la consommation. La culture du ecommerce vient à supplanter les ventes de support physiques mais ne manifeste pas une
baisse de l’intérêt des consommateurs. Cet intérêt se concentre d’ailleurs particulièrement
pour les titres vendus à l’unité. En effet, en 2006, 28,8 millions de titres ont été achetés sur
74
75
Source : SNEP, 2007.
Idem
64
des plateformes de téléchargement légal dont 11 millions de titres à l’unité contre seulement
1,1 millions d’albums téléchargés dans leur totalité76. Le consommateur recherche donc une
plus grande souplesse dans l’offre de musique, que la vente sur support physique ne lui
procure pas (mis à part le single, mais ceux-ci n’existent que pour les tubes d’un artiste). En
revanche, l’offre numérique se révèle de plus en plus attractive pour le consommateur qui
dispose d’une plus grande liberté de choix.
B La mise à disposition d’une offre abondante
La technologie de l’internet est tout à fait propice à l’abondance de l’offre musicale. En
effet, l’apparition des réseaux dits peer-to-peer permettant l’échange massif de fichiers entre
internautes (1.) est l’un des facteurs clés de cette abondance. La numérisation des catalogues
détenus par les producteurs sur le marché physique de la musique contribue également à
enrichir l’offre disponible sur l’internet (2.), et double l’offre gratuite et souvent illégale des
œuvres musicales sur internet d’une offre légale mais généralement payante.
1) L’apparition des réseaux peer to peer
Les réseaux peer-to-peer sont rapidement devenus, depuis leur apparition en 1999, le
principal moyen d’obtention de musique en ligne pour les internautes. Un réseau peer-to-peer
est un système d’échange de fichiers où tous les demandeurs sont également des offreurs. Si
cela n’est pas illégal en soi, une telle infrastructure est néanmoins propice à des abus de la
part de ses utilisateurs. Ainsi, la plupart des téléchargements illégaux transitent par ces
réseaux d’échanges. L’architecture décentralisée d’un tel système en rend son utilisation plus
facile et plus accessible pour les internautes. De nombreux fichiers et informations sur ces
derniers sont ainsi mis à la disposition réciproque des internautes. En outre, plus le nombre de
participants au système est élevé, plus il est aisé d’obtenir les chansons recherchées.
Napster fût le premier service de peer-to-peer. Né en 1999 sous l’initiative d’un jeune
homme de 19 ans dénommé Shawn Fanning, la rapidité de son développement a fait l’objet de
76
Idem
65
controverses nourries par les acteurs de l’industrie musicale. Ce système de partage de
fichiers repose sur un serveur central qui indexe les fichiers disponibles et oriente les
internautes entre eux. L’hébergement à proprement parlé des fichiers disponibles au
téléchargement a donc lieu sur les disques durs des internautes eux-mêmes. Le serveur central
ne jouant que le rôle d’un moteur de recherche. Ce type d’évolution a très rapidement séduit
les adeptes du téléchargement, on comptait dès octobre 1999 (quelques mois seulement après
sa naissance) 22 000 utilisateurs connectés simultanément pour plus de 50 000 fichiers
disponibles. Ces chiffres ont continué d’augmenter jusqu’à la fermeture du site en avril 2000,
suite à une plainte déposée par l’industrie musicale77.
Napster aura amorcé le processus des réseaux peer-to-peer, lesquels vont se multiplier
par la suite. Kazaa, Gnutella, Morpheus et autres systèmes de partage de fichiers vont venir
inonder la toile. Contrairement à Napster, ces nouveaux systèmes optent pour une gestion
entièrement décentralisée des fichiers et utilisent chaque internaute comme un mini-serveur,
sans indexation des fichiers dans un serveur central. Cette croissance effrayante des chemins
illégaux pouvant être empruntés doit donc trouver une concurrence dans la numérisation des
catalogues des maisons de disques, pour proposer une offre alternative au téléchargement
illégal des œuvres.
2) La numérisation des catalogues
Face au développement sans précédent de l’offre pirate des œuvres musicales sur
internet, les maisons de disques ont dû opter pour une politique active, afin d’attirer et
satisfaire les consommateurs de musique numérique. Pour ce faire, elles ont entrepris de
grands travaux de numérisation des œuvres de leurs catalogues. Fin 2006, les majors avaient
numérisés, au niveau international, 2,2 millions de titres soit 47% de plus qu’en 200578. À
l’échelle nationale, plus d’un million de titres des majors disposent d’ores et déjà de
l’autorisation des ayants droits pour être digitalement commercialisés. De leur côté, les
indépendants ont numérisé jusqu’à présent plus de 50 000 titres.
77
78
Voir infra, p. 73-74.
Source : SNEP, 2007.
66
Parallèlement à cette stratégie de numérisation des œuvres, encore a-t-il fallu rendre
l’offre de contenus attractive. La politique tarifaire constitue l’enjeu majeur dans un contexte
où la culture du « tout gratuit » paraît bien ancrée. Des prix déclassés sont alors apparu dans
l’univers numérique, que ce soit de façon temporaire ou non. À titre illustratif, Universal
Music proposait en novembre 2006 une gamme de 1 500 albums à 7 euros. Des offres
illimitées ont également vu le jour, permettant d’écouter voir de télécharger des milliers de
titres pour un forfait mensuel très modeste79. Aujourd’hui, le marché des téléchargements
payants ne peut donc plus être qualifié d’émergent.
Les grandes majors (mais également les indépendants) se positionnent désormais sur le
marché numérique et diversifient le mode de consommation de leurs offres : albums à la carte,
une meilleure qualité sonore, VoD, sites communautaires…Les maisons de disques
construisent des alliances avec les opérateurs de télécommunications pour mieux être
présentes sur le marché on line. Des accords ont notamment été signés avec Orange, ITunes,
Free, Canal Play, Virgin Mega et Club Internet pour développer les offres VoD et les
contenus musicaux en vidéo. De même, des accords ayant pour objet la légalisation et la
rémunération des contenus vidéo ont été signés par une grande majorité de maisons de
disques et les deux principaux sites communautaires Daily Motion et YouTube. Pourtant, ce
marché en ligne connaît encore quelques difficultés du point de vue de la diversité musicale.
§2 Une diversité culturelle limitée
De la même façon que sur le marché physique de la musique, internet se prête
également à quelques phénomènes de concentration. Certaines firmes bénéficient ainsi d’une
position dominante sur le marché de la musique en ligne (A.). La musique n’est plus de la
dictature des majors, mais n’échappe pas pour autant à tout jeu d’influence de la part des plus
grands. Le même schéma que pour la musique sur support physique se renouvelle ainsi, et on
aboutit alors également sur la toile à un risque de faiblesse de la diversité culturelle (B.).
79
FnacMusic propose par exemple une offre illimitée en streaming pour 9,99 euros/mois permettant d’accéder à
l’ensemble du catalogue FnacMusic (sans possibilité de téléchargement) ; le site Musicme propose quant à lui
une offre forfaire de téléchargement illimité à 14,95 euros/mois.
67
A La position dominante de certaines firmes
Les majors ne sont plus les seules à connaître une position dominante dans le secteur de
la musique. Des firmes spécialisées dans le multimédia, dont le parfait exemple est Apple,
sont désormais également très présentes sur le marché de la musique en ligne. Apple impose
ainsi aisément ses tarifs, au risque de pratiquer des abus sanctionnables (1.). À l’inverse, les
majors du disque, malgré leurs tentatives de fusions avec des groupes multimédias puissants
sur l’internet, n’ont pas réussit à tirer profit de la convergence (2.).
1) La domination consacrée de la firme Apple
Compte tenu de l’ampleur des catalogues de droits qu’elles contrôlent, les majors
disposent d’un certain pouvoir de marché vis-à-vis des plateformes de téléchargement, des
opérateurs de téléphonie mobile et des fournisseurs d’accès à internet. Elles cherchent alors à
faire grimper le prix de la musique en ligne, pour obtenir des marges plus importantes.
Certaines plateformes de téléchargement légal ont cédé face à la pression, en faisant passer le
prix unitaire de certains morceaux de 0,99 euros à 1,19 euro. Tel a été le cas de MSN Music
ou encore Wanadoo80. Cependant, on constate très vite que le pouvoir d’influence des majors
dans le monde numérique est en réalité limité. Ainsi, Apple, leader sur le marché, reste
inflexible et se refuse à une telle augmentation, au motif que toute hausse tarifaire menacerait
le développement de la musique en ligne81. Rappelons que pour Apple, la musique en ligne ne
représente qu’un produit d’appel destiné à accroître les ventes de baladeurs numériques.
L’hégémonie des majors sur les supports physiques ne semble pas se répercuter sur la
musique numérique. Les problèmes rencontrés par les majors dans leurs pourparlers avec
Apple conduisent en effet à relativiser quelque peu leur pouvoir d’influence. De plus, le prix
actuel de la musique en ligne ne laissant que des marges très réduites aux plateformes
payantes, on risque d’aboutir inévitablement à un nouveau phénomène de concentration. Ceci
réduira d’autant plus le pouvoir de négociation des maisons de disques.
80
81
« La hausse de la musique en ligne se généralise ? », www.clubic.com, 11 avril 2006.
« Apple restera sur sa grille tarifaire de 0,99 euro », www.clubic.com, 2 mai 2006.
68
Le géant Apple, du fait de sa politique tarifaire, a justement fait l’objet d’enquêtes
opérées par la Commission Européenne82. L’objet des débats portait notamment sur les
obstacles au marché intérieur crées artificiellement par ITunes, la plateforme musicale
d’Apple. En effet, des différences de prix sont constatées sur la boutique en ligne ITunes, d’un
pays européen à l’autre. Au Royaume-Uni, les titres vendus en téléchargement sur ITunes
étaient facturés 79 pence (1,16 euros), soit 17 centimes de plus que ses voisins européens. Or,
les consommateurs ne peuvent acheter de la musique sur ITunes que de leur pays d’origine, et
sont donc contraints à payer le prix correspondant à leur lieu de résidence. Les autorités
antitrust britanniques ont alors déposé plainte afin d’obtenir une pratique tarifaire unique et
non discriminatoire. La société Apple rejetait la faute sur les majors de disques, prétextant que
les conditions contractuelles lui avaient été imposées par les maisons de disques pays par
pays, et qu’elle avait été contrainte d’appliquer des tarifs distincts. Finalement Apple a cédé à
la pression et a annoncé en janvier 2008 sa volonté d’aligner les tarifs appliqués en GrandeBretagne sur ceux des autres pays européens.
Cette domination d’Apple sur le marché musical on line est quasi exclusive lorsque l’on
constate l’échec des fusions des majors du disque avec celles du multimédia.
2) Les fusions échouées des majors du disque avec les majors du multimédia
Pour s’intégrer et bénéficier d’une place privilégiée dans la nouvelle consommation
numérique des œuvres musicales, les majors ont voulu profiter de la convergence entre les
tuyaux et les contenus. C’est dans cette logique que s’inscrit la fusion AOL-Time Warner
ainsi que celle de Vivendi-Universal, annoncées au début de l’année 2000. Ces opérations
résidaient dans la volonté de contrôler une large gamme de contenus qui alimenteraient un
nombre extrêmement important de clients potentiels. L’effet escompté n’a pas aboutit et s’est
au contraire révélé être un échec cuisant. Dès 2002, AOL-Time Warner (désormais Time
Warner depuis fin 2003) enregistrait une perte nette de 98,6 milliards de dollars et Vivendi
82
La rédaction, « Bruxelles enquête sur les prix d’ITunes », www.numerama.com, 3 avril 2007.
69
Universal (redevenu Vivendi depuis le 20 avril 2006) un résultat déficitaire de 23,3 milliards
d’euros, conduisant à la cessation des activités cinéma et édition83.
Au regard de ces résultats, appartenir à un groupe multimédia possédant notamment des
activités de distribution en ligne semble aujourd’hui avoir perdu de son attrait pour les majors
de la musique. L’échec de ces stratégies peut être imputé en partie à la lenteur du lancement
du haut-débit en France. De plus, le marché de l’électronique grand public n’était pas, à
l’époque, encore mûr pour la convergence. Enfin, le début des années 2000 est marqué par
l’essor du piratage sur les réseaux peer-to-peer, ce qui ne pouvait encourager les majors à
mettre des fichiers numériques en ligne, craignant de favoriser ainsi le téléchargement
illégal84.
Ces difficultés pour les majors d’être présentes à la fois sur le marché des contenus et de
la distribution en ligne sont patentes. En effet, l’industrie du disque apparaît ici comme un
simple fournisseur de contenus et a perdu sa place d’acteur central de la distribution. Ce sont
désormais les FAI qui sont les plus en mesure d’imposer leurs conditions aux majors. Internet
n’est donc pas moins propice à la position dominante de certains acteurs que le marché
physique, on constate simplement un glissement des acteurs tenants de cette position.
Malheureusement, quelles que soient les firmes bénéficiant d’une situation quasioligopolistique, celle-ci constitue toujours un risque pour la diversité culturelle.
B La situation ambigüe de la diversité culturelle
La consultation des plateformes de téléchargement légal de musique en ligne révèle trop
souvent une faiblesse dans la diversification des offres. En effet, un contraste apparaît tant au
niveau de l’origine des œuvres proposées (1.), qu’au niveau des genres musicaux disponibles
(2.).
83
Curien (N.) et Moreau (F.), « L’industrie du disque à l’heure de la convergence Télécoms-Médias-Internet »,
op. cit., p. 7.
84
Ibid, p. 8.
70
1) Le contraste culturel entre l’origine des œuvres
Si internet contribue bien à dynamiser la création musicale, les artistes qui parviennent à
percer grâce à internet sont plus souvent anglo-saxons ou américains qu’africains. La diversité
que permet internet serait en réalité sélective. On peut difficilement croire au hasard quand la
culture occidentale se retrouve prédominante sur le web. En effet, internet met en valeur
certaines cultures plutôt que d’autres, et ce essentiellement pour des raisons économiques.
Pour les labels africains, l’utilisation d’internet pour la promotion de ses artistes représente un
investissement car la bande passante y est beaucoup plus réduite que dans les pays très
développés. Or, mettre un produit en ligne nécessite plus de puissance que pour en
télécharger. Internet n’est donc peut-être pas la solution miracle pour lutter contre la
concentration de l’industrie de la culture, et se révèle plus accessible pour un artiste du
« nord » que pour un artiste du « sud »85.
Ceci s’explique par l’omniprésence de l’aspect commercial, même dans le secteur
culturel en version numérique. En effet, tous les sites communautaires réputés offrir une
visibilité à tous les artistes qui le souhaitent, sont rachetés peu à peu par des très gros. Ainsi,
1,65 milliards de dollars auront été versés par Google pour acquérir le site You Tube, tandis
que My Space aura été racheté par News Corp pour 580 millions de dollars. Ces solutions
commerciales risquent de fragiliser la diversité culturelle qui profitait jusqu’à présent de la
brèche ouverte par internet. Il ne s’agit pas de condamner par avance les possibilités offertes
par la toile, mais d’en relativiser les impacts sur la réalité de la diversité culturelle. Si celle-ci
est bien facilitée au sein des artistes occidentaux, on constate encore cependant un contraste
avec ceux issus de pays plus émergents et qui ne bénéficieraient du soutient d’aucune
structure. En outre, la multiplication de l’offre ne signifie pas pour autant variété de la
consommation. Quand bien même la visibilité sur internet serait offerte de manière égalitaire
entre les artistes, on peut pressentir à l’heure actuelle que celle-ci n’obtiendra pas le même
effet sur tous, les consommateurs, étant encore trop imprégné de la culture du hit.
Une question vient alors à notre esprit, à savoir si internet ne serait pas là encore au
service des majors, voir du star-system, en excluant arbitrairement certains artistes de sa
couverture médiatique. En réalité, cette sélection relèverait plutôt d’un retard technologique et
85
De Malleray (A.), « La diversité culturelle au Nord et au Sud : deux poids, deux mesures », APEM, 27 mai
2007.
71
d’une organisation encore mal établie des labels présents dans les pays du sud86. Cependant,
ce contraste Nord/Sud n’est pas le seul sur la toile, car on constate également un contraste
culturel entre les genres musicaux.
2) Le contraste culturel entre les genres musicaux
La quantité n’est pas synonyme de diversité, même si elle en est une condition
nécessaire. À la différence des œuvres musicales diffusées sur support, la diffusion par voie
électronique ne connaît plus de limites physiques liées aux capacités de stockage, chaque
internaute téléchargeant l’œuvre à partir de son ordinateur personnel. Pourtant, on constate
une faible diversité dans les contenus mis en ligne au regard des possibilités offertes. D’une
part, il est une tendance fortement majoritaire pour les offres de titres à la demande, les
albums étant quant à eux souvent délaissés. D’autre part, il est également une tendance
incontestable selon laquelle certains genres musicaux sont beaucoup moins représentés que
d’autres. La musique classique est ainsi mise à l’écart, notamment en ce qu’elle est souvent
mal répertoriée sur les sites de musique en ligne87.
Pour aboutir à une réelle diversité culturelle, il aurait été nécessaire que les pouvoirs
publics accompagnent l’espace illimité du Net en tant qu’espace culturel. Or, les sites de
musique en ligne ne connaissent pas les quotas imposés sur les stations de radio. En effet, les
quotas de diffusion ou de production ne sont pas adaptés aux sites de téléchargement de
musiques. Il serait en revanche envisageable d’imposer des quotas de « visibilité » des
œuvres, mais les titres téléchargés dépendront toujours du choix de l’internaute, ce qui risque
de limiter fortement les politiques de diversité culturelle sur internet.
Les internautes devraient eux-mêmes être à l’origine de la diversité de la consommation
des œuvres. En effet, le problème de la musique en ligne ne réside pas tant dans la diversité de
ses contenus, mais plutôt dans la mauvaise visibilité des œuvres les moins téléchargées. On
peut néanmoins douter qu’une meilleure visibilité de la musique classique conduirait à une
réelle augmentation de sa consommation, sans prévoir au préalable une éducation musicale de
l’internaute. Celle-ci serait la véritable solution in fine aux effets négatifs du peer-to-peer.
86
Idem.
Voir sur ce point BEUC - CLCV - UFC Que-Choisir, « Enquête sur la diversité culturelle offerte par les sites
de téléchargement de musique », http://alliance.bugiweb.com/usr/Documents/RapportDiversite.pdf.
87
72
SECTION 2 UN MARCHÉ EN LIGNE TOUCHÉ PAR LES EFFETS NÉGATIFS DU
PEER-TO-PEER
Le rapport relatif au « téléchargement illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur »,
délivré le 12 avril 2007 au Ministre de la Culture et de la Communication par M. Jean Cedras,
abordait les données du problème en déclarant que « Techniquement possible, l’accès libre,
gratuit et sans limite aux œuvres protégées est inadmissible éthiquement, économiquement et
juridiquement 88». Pourtant, le piratage est bel et bien présent sur nos réseaux et constitue une
nouvelle nuisance à grande échelle pour l’industrie du disque (§1.). Les majors ont donc dû
réagir face à cette engouement pour la consommation illégale des œuvres musicales (§2.),
pour ne pas voir l’industrie musicale perdre de sa valeur.
§1 Un piratage nuisible à l’industrie du disque
Même sur internet, les œuvres musicales restent avant tout des œuvres de l’esprit
protégeables en tant que telles par le droit d’auteur. Or, celui-ci fait l’objet de multiples
atteintes sur la toile (A.), les actes de contrefaçon étant facilités par la dématérialisation de
l’œuvre. Ce piratage numérique à haute échelle a alors bien entendu des répercussions sur le
monde physique, et contribue notamment, aux dires des majors, à la chute des ventes des
disques (B.).
A Les atteintes aux droits d’auteur
Les œuvres musicales sur internet sont l’objet, comme dans le monde matérialisé, de
reproduction et de diffusion pour pouvoir être consommées par les internautes. Les droits de
reproduction et de diffusion des ayant-droits sur leurs œuvres sont donc particulièrement
88
« Le téléchargement illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur », Rapport confié à J. Cedras et remis au
ministre de la Culture et de la Communication le 12 avril 2007, p. 5.
73
touchés par le piratage numérique (1.). En effet, l’exception au droit d’auteur pour copie
privée est de plus en plus difficile à revendiquer pour les internautes (2.).
1) Les contrefaçons par reproduction et par représentation
L’article L. 122-1 du CPI subdivise les droits patrimoniaux de l’auteur en deux
prérogatives : d’une part le droit de représentation89, d’autre part le droit de reproduction90.
L’auteur et le cessionnaire des droits ont le monopole de l’exploitation de l’œuvre, c’est-àdire que tout autre acte de reproduction ou de représentation sans leur autorisation portera
atteinte à leurs droits et sera dès lors réprimé par le délit de contrefaçon. Ainsi, la
jurisprudence reconnaît que « toute reproduction par numérisation d’œuvres musicales
protégées par le droit d’auteur, susceptible d’être mise à la disposition de personnes
connectées au réseau Internet, doit être autorisée expressément par les titulaires ou
cessionnaires des droits91 ».
Dans le cadre du peer-to-peer, le téléchargement descendant (downloading), qui
constitue une contrefaçon par reproduction de l’œuvre sur le disc dur, s’accompagne souvent
automatiquement d’un téléchargement ascendant (uploading) constituant alors une
contrefaçon par représentation92, puisque les internautes qui ont accès au disc dur de celui qui
met à disposition ne forment pas un cercle de famille93. Les logiciels de partage de fichiers
fonctionnent désormais tous de manière décentralisée, ce qui rend les deux actes de
reproduction et mise à disposition quasiment indissociable. Le droit exclusif des auteurs sur
l’exploitation de leurs œuvres s’en trouve inéluctablement affecté. Or, la licence globale ayant
été écartée par le législateur94, il ne reste plus que le droit d’auteur pour protéger
juridiquement les œuvres circulant sur internet.
89
Art. L. 122-2 CPI : « La représentation consiste dans la communication de l'œuvre au public par un procédé
quelconque […] ».
90
Art. L. 122-3 CPI : « La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés qui
permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte […] ».
91
TGI Paris, ord. réf., 14 août 1996, (aff. « Brel » et « Sardou ») JCP E, 1996, II, n° 881, note Edelman B.
92
Voir sur ce point Cedras (J.), « Le téléchargement illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur », Rapport
remis au Ministre de la Culture et de la Communication, avril 2007.
93
Art. L. 122-5 CPI.
94
Cedras (J.), « Le téléchargement illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur », loc. cit.
74
Pour tenter de limiter la constitution de tels actes, le législateur joue essentiellement la
carte de la prévention et de la sensibilisation, et prévoit également la répression de l’édition de
logiciels d’échanges « manifestement destiné(s) à la mise à disposition du public non
autorisée d’œuvres ou objets protégés » ainsi que de la publicité pour ce type de logiciels. Il
s’agit ici de responsabiliser les éditeurs, plus facile à poursuivre que les internautes, en les
incitant à configurer leurs logiciels pour ne permettre que des échanges autorisés par les
titulaires de droits95. Indirectement, l’article L. 336-1 du CPI apparaît comme le moyen
d’imposer les MTP aux éditeurs de logiciels susceptibles d’être utilisés pour la mise à
disposition illicites d’œuvres protégées, ce qui paraît peu en adéquation avec le mouvement
du logiciel libre96.
La prise en compte ici des éditeurs de logiciels ne décharge pas de leur responsabilité
les internautes auteurs de contrefaçon. Ceux-ci sont d’autant plus sujets à des condamnations
éventuelles que l’exception pour copie privée leur est fréquemment refusée.
2) Les limites à l’exception pour copie privée
Le droit exclusif des auteurs dans l’exploitation de leurs œuvres peut subir quelques
entorses, destinées à faciliter leur utilisation par le consommateur qui les aurait achetées
légalement. Parmi ces dérogations aux droits d’auteur, le CPI prévoit notamment l’exception
de copie privée, « strictement réservée à l'usage privé du copiste et non destinée à une
utilisation collective »97, dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de
l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur98. La référence à
cet article est très vite devenue l’arme des internautes téléchargeant des œuvres numériques.
95
Art. L. 336-1 du CPI : « Lorsqu'un logiciel est principalement utilisé pour la mise à disposition illicite
d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit de propriété littéraire et artistique, le président du tribunal de grande
instance, statuant en référé, peut ordonner sous astreinte toutes mesures nécessaires à la protection de ce droit et
conformes à l'état de l'art.
Les mesures ainsi ordonnées ne peuvent avoir pour effet de dénaturer les caractéristiques essentielles ou la
destination initiale du logiciel. […] ».
96 Par principe, le code source d’un tel logiciel est accessible au public. Si une MTP devait être intégrée, soit le
code source de l’ensemble du logiciel est gardé secret et donc juridiquement ce n’est plus un logiciel libre, soit le
code source de la MTP est aussi rendu public et par conséquent son contournement sera facilité ce qui ne peut
que remettre en cause l’utilité de la MTP. De plus, une telle solution risque fort de dénaturer « les
caractéristiques essentielles » du logiciel libre.
97
Art. L. 122-5 al. 2, 2° CPI.
98
Ceci résulte de l’application du test en 3 étapes prévu par l’article L. 122-5° du CPI
75
Cependant, plusieurs obstacles surgissent pour l’application de cet instrument de défense par
les téléchargeurs.
L’un des obstacles les plus importants concerne le débat houleux quant à la question de
l’origine de la source pour copie privée. En effet, le périmètre de l’exception de copie privée
reste encore aujourd’hui très incertain, et ce malgré les dispositions de la loi DADVSI. Une
avancée jurisprudentielle semblait avoir eu lieu99, mais n’a malheureusement pas été
confirmée100. La jurisprudence n’a pas su, ou n’a pas souhaité, saisir l’opportunité qui lui était
faite pour trancher explicitement la question de savoir si l’origine illicite de la source fait ou
non obstacle par elle-même à l’exception pour copie privée. La Cour d’Appel de renvoie
d’Aix-en-Provence, dans l’affaire dite « Aurélien D. », prononce en effet la sanction pour
contrefaçon sur le terrain de la mise à disposition des fichiers numérique, et non en raison de
leur origine illicite alors même que l’exposé des motifs de cassation de la plus haute
juridiction le suggérait101.
Malgré les incertitudes qui résultent encore sur le champ d’application recouvert par la
copie privée, une tendance se dessine actuellement en faveur de la licéité nécessaire de la
source. Une partie de la doctrine et de la jurisprudence, prenant appui sur une interprétation
du test en trois étapes, considèrent ainsi que la source de la copie doit nécessairement être
d’origine licite. Les partisans de cette théorie suivent la ligne tracée par le Tribunal de grande
instance de Rennes ou encore la Cour d’appel de Versailles (16 mars 2007) récemment. En
effet, cette dernière est venue poser un sérieux bémol au téléchargement pour usage personnel
couvert par la copie privée en posant le principe que l’œuvre d’origine doit être licitement
acquise. Face au téléchargement d’œuvres grâce à un logiciel de partage, la Cour a ainsi
refusé d’admettre l’application de l’exception pour copie privée, au motif que les fichiers ont
été reproduits et diffusés à partir de sources illicites.
99
Voir Ministère Public, Fédération nationale des distributeurs de films, Syndicat de l’édition vidéo, Warner
Bros Inc. et a. c/ Aurélien D., C. cass., chbr crim, 30 mai 2006, Dalloz 2006, pp. 1684s .
100
Voir Ministère Public, Fédération nationale des distributeurs de films, Syndicat de l’édition vidéo, Warner
Bros Inc. et a. c/ Aurélien D., CA Aix-en-Provence, 5 septembre 2007.
101 La cour de cassation avait estimé que la cour d’appel de Montpellier n’avait pas légalement fondé sa
décision, faute de ne pas s’être expliquée « sur les circonstances dans lesquelles les œuvres avaient été mises à
disposition du prévenu » ni d’avoir répondu « aux conclusions des parties civiles qui faisaient valoir que
l'exception de copie privée prévue par l'article L. 122-5, 2°, du code de la propriété intellectuelle, en ce qu'elle
constitue une dérogation au monopole de l'auteur sur son œuvre, suppose, pour pouvoir être retenue, que sa
source soit licite et nécessairement exempte de toute atteinte aux prérogatives des titulaires de droits sur l'œuvre
concernée ».
76
Précédemment, le garde des Sceaux avait déjà pris le soin de préciser, lors de la
circulaire d'application de la loi du 1er août 2006102, qu'« en matière de téléchargement
d'œuvres proposées illégalement sur Internet, l'exception de copie privée n'a pas vocation à
être retenue ». Enfin, Cette tendance observée en faveur d’un accès licite de la source pour
légitimer la copie privée s’est également retrouvée dans la décision des neufs sages du 27
juillet 2006 sur la loi DADVSI. Il y est précisé que le bénéfice de cette exception peut être
subordonné à la licéité de l’accès à la source de la copie103, mais seulement dans la mesure où
la technique le permet. Après un pas en avant, cette précision vient ainsi instantanément
réduire la portée de l’exigence d’un accès licite à la source.
Quoi qu’il en soit, ces atteintes aux droits d’auteur sont nuisibles à l’industrie musicale,
tant pour son marché on line que pour celui off line.
B Les atteintes indirectes au marché physique
Le développement du piratage est très souvent dénoncé comme le facteur de
l’effondrement du marché physique de la musique, et plus particulièrement de la chute des
ventes de disque. En réalité, ce corolaire n’a pas été démontré de manière empirique (1.). En
revanche, il est vrai que l’absence d’une régulation juridique précise applicable aux nouveaux
modes de diffusion numérique des œuvres musicales contribue à leur développement, et à la
diminution de l’intérêt du consommateur pour les supports physiques (2.).
1) L’absence de corrélation vérifiée entre la chute des ventes de disque et le
piratage massif
La corrélation entre les téléchargements illégaux et la chute des ventes de disques en
magasins est régulièrement dénoncée par l’industrie musicale. De vives critiques sont
adressées aux réseaux peer-to-peer, considérés comme les responsables de la crise du disque.
Cette assimilation hâtive devrait être nuancée, pour faire l’objet d’une analyse empirique.
Ainsi, dans une enquête menée aux États-Unis en 2004 auprès de plus de 2 700 musiciens,
102
103
Circulaire du 3 janvier 2007.
Art. L. 331-9 al 2 du CPI.
77
auteurs et artistes-interprètes, 21% d’entre eux déclaraient que les échanges sur les réseaux
peer-to-peer avaient augmenté leurs ventes de CD, alors que seuls 5% estimaient le
contraire104. Aucune preuve directe ne permet de relier le piratage de la musique à la
diminution des ventes de CD. Il faut par ailleurs distinguer le comportement des pirates pour
qui le téléchargement constitue un substitut à l’achat du support physique, et ceux pour qui le
téléchargement est un moyen de découvrir de nouveaux artistes ou de nouvelles œuvres avant
de les acheter.
Le modèle numérique n’est peut-être, et surement pas, la seule cause de tous les maux
de l’industrie musicale. Une autre explication, plus rationnelle, serait tout simplement la fin
du cycle de vie du CD. Il a amorcé sa phase de déclin au début des années 2000, sans
qu’aucun support physique ne semble prêt à lui succéder. Le marché du DVD musical est en
effet encore anecdotique, ne représentant que 6,5% du marché français en volume. Le
véritable successeur du CD serait en réalité le fichier numérique. Or, ce dernier n’a pas été
introduit par l’industrie du disque au moment opportun, mais par le consommateur lui-même.
Le star-system s’en trouve bouleversé dans son fonctionnement, car l’internaute semble
a priori maître de sa consommation musicale, sans plus subir le matraquage promotionnel des
majors. Au-delà de cet aspect consumériste et sociologique de la musique, c’est également
son encadrement juridique et technique qui s’en trouve affecté. En effet, ce nouveau format
est synonyme de nouvelles contrefaçons et atteintes au droit d’auteur. Les grandes majors
n’ont donc pas agit en amont de la vague internet, mais réagit à ses conséquences car aucune
régulation juridique efficace n’est applicable au nouveau monde numérique.
2) L’absence d’une régulation juridique on line
L’industrie musicale n’en est pas à sa première crise. À chaque nouvelle technologie, de
la cassette audio au monde numérique, l’industrie musicale connaît une phase de récession
avant de rebondir et utiliser à son profit les nouveaux moyens qui lui sont offerts. Or, internet
est une source immense de redynamisation de la filière musicale. Les maisons de disques
n’ont pas encore appréhendé l’étendue de l’opportunité offerte par la toile. Il serait peut-être
intéressant que le droit encourage l’exploitation musicale en ligne.
104
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 63.
78
En effet, chaque nouveau support ou nouveau mode de diffusion musicale s’est
accompagné d’une régulation juridique destinée à favoriser la diversité culturelle et protéger
les droits d’auteur. Les politiques de quotas, les règles relatives à la concurrence ou encore la
redistribution des droits par les sociétés de gestion collective sont autant d’éléments de cette
régulation juridique. Malheureusement, une telle régulation n’est pas parfaitement adaptée au
monde de l’internet. Et pour cause, il est extrêmement difficile d’encadrer une activité ayant
pour origine l’interactivité d’internautes anonymes et opérant à l’échelon mondial.
La récente directive européenne « services médias audiovisuels », entrée en vigueur en
décembre 2007, essaye malgré tout de prendre en compte les dernières évolutions
technologiques et l’apparition des nouveaux modes de diffusion. Introduisant la distinction
entre les services linéaires et les services non linéaires, la directive tente d’imposer ainsi une
certaine régulation au monde de l’internet. Une plus grande souplesse est néanmoins accordée
aux services à la demande, lesquels ne connaissent par exemple qu’une incitation à la
production et à la diffusion d’un nombre minimum d’œuvres européennes. Malgré tout, la
directive SMA ne concerne, comme son nom l’indique, que les services de médias
audiovisuels et ne s’applique donc pas aux autres services de communications électroniques
tels que ceux dont le contenu audiovisuel est secondaire. Dans ces conditions, seules les
vidéos concerts pourraient par exemple être concernées par le champ de la directive, et non
les plateformes de téléchargement d’œuvres purement musicales.
Cette absence de régulation juridique complète et efficace à l’égard des sites de
téléchargement d’œuvres musicales est propice au développement d’actes illégaux et nuit
ainsi à la consommation légale des œuvres sur le marché physique de la musique. Elle conduit
également les acteurs de l’industrie musicale eux-mêmes à intervenir par des procédés
techniques et par les armes juridiques qui sont mises à leur disposition.
§2 Un piratage encadré par les réactions de l’industrie du disque
L’arrivée du numérique a bouleversé tous les usages mis en place par les majors de la
musique. Celles-ci ont alors cherché à sécuriser techniquement et juridiquement le marché de
la musique en ligne en verrouillant les œuvres présentes sur les plateformes de téléchargement
79
(A.). Cette approche à la fois préventive et répressive des majors a très vite montré ses limites,
n’étant pas adapté à la souplesse offerte par le numérique et demandée par les internautes (B.).
A La sécurisation technique et juridique du marché de la musique en ligne
L’espace de liberté offert sur internet s’est vu fortement restreint par les différentes
mesures prises par les majors. Ces dernières ont tout d’abord mis en place des mesures
techniques de protection visant à limiter l’utilisation des œuvres musicales (1.). Elles ont
ensuite poursuivi leur action de défense des ayant-droits en poursuivant juridiquement les
auteurs de contrefaçon (2.).
1) La mise en place de mesures techniques de protection
Le développement des plateformes légales de musique on line s’est fait en parallèle
avec celui des mesures techniques de protection (MTP), ou Digital Rights Management
(DRM). Issues de la loi DADVSI, ces mesures de protection se définissent comme « toute
technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement » est
destinée « à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d’un droit
d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur d’une œuvre […] 105». Pour garantir leur
effectivité, ces MTP sont juridiquement protégées en tant que telles afin de réprimer d’une
part, les atteintes qui seraient portées à l’intégrité des MTP et, d’autre part, la fourniture ou la
possession de moyens permettant de les contourner106. Grâce à cette protection, ces MTP
assurent aux titulaires de droits « la possibilité de contrôler l’accès et l’utilisation de leur
contenu via des mesures technologiques107 ». Dans l’univers musical, les maisons de disques
ont commencé dès 2001 à mettre en place ces MTP pour notamment limiter la durée d’usage,
le transfert sur un ordinateur ou un baladeur numérique, la lecture sur différents types
d’appareils… Plus qu’assurer la protection des droits d’auteur, ces mesures techniques
deviennent alors un outil de gestion des différents modes d’exploitation des services VoD
105
Art. L. 331-5 du CPI.
Chapitre V du CPI.
107
Cabrera Blàzquez javier, « Systèmes de gestion des droits numériques : dernières évolutions en Europe »,
Observations juridiques de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, janvier 2007.
106
80
pour les ayants-droits. En outre, le développement des MTP vise à empêcher la duplication
des CD et des fichiers numériques. Or, la loi DADVSI n’a pas fixé le nombre minimal de
copies qu’est tenu d’autoriser le système des MTP (ce nombre pouvant alors être égal à 0 ?),
suscitant ainsi un doute quant à la légitimité des taxes payées sur les supports vierges au titre
de la copie privée.
Face au mécontentement des internautes s’estimant lésé dans leur droit à la copie
privée, la directive européenne de 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit
d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, n’a pas hésité à indiquer que
« les règles relatives aux exceptions et limitations [au droit d’auteur] ne s’appliquent pas aux
œuvres ou autres objets protégés qui sont mis à la disposition du public à la demande selon
les dispositions contractuelles convenues entre les parties de manière que chacun puisse y
avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ». Cette position a été
reprise par le CPI dans son article L. 331-10. L’exercice de la copie privée n’est en effet pas
un droit mais une exception qu’il convient à ce titre d’entendre restrictivement108. En
revanche, le consommateur doit être en mesure de pouvoir profiter pleinement du visionnage
de son œuvre téléchargée légalement et ce, malgré l’instauration d’une mesure de protection.
Cela sous-entend une interopérabilité pleinement effective.
Ces mesures techniques de protection ne vont pas, eu égard précisément aux problèmes
d’interopérabilité qui en ressort, ralentir le phénomène du piratage. Les majors vont alors
recourir à la répression judiciaire pour tenter de dissuader les internautes de la consommation
illégale des œuvres musicales.
2) La répression judiciaire
Les maisons de disques ont très vite adopté une logique répressive à l’égard de
l’engouement des consommateurs pour le téléchargement illégal. Les éditeurs de logiciels ont
été la cible des recours engagés par les sociétés de défense des droits d’auteur. Ainsi, en 2001,
les réseaux pionniers MP3.com et Napster durent cesser leur activité suite à des plaintes de la
Recording Industry Association of America (RIAA) pour violation de la loi sur le copyright.
Napster a en effet été reconnu responsable car son serveur central (pour l’indexation des
108
Voir sur ce point l’affaire Mulholand drive, Cour de Cassation, Première chambre civile, 28 février 2006.
81
fichiers) servait d’intermédiaire et était placé sous son contrôle. Napster fut alors considéré
comme étant en mesure de pouvoir exercer un contrôle efficace sur la nature des fichiers
échangés. La génération suivante de logiciels peer-to-peer, entièrement décentralisée (Kazaa,
Gnutella…), a elle échappée à la responsabilité des contenus illicites circulant sur leurs
réseaux au motif qu’ils ne font que fournir les logiciels et n’ont pas les moyens d’exercer un
contrôle des utilisations de ce logiciel par les internautes109. Cette nouvelle architecture a
conduit l’industrie du disque à déplacer les poursuites vers les internautes eux-mêmes. Fin
2005, plus de 20 000 procès avaient été engagés dans dix-sept pays110, ce qui semble s’avérer
inefficace au regard de l’augmentation du nombre de téléchargeurs.
Les poursuites contre les éditeurs de logiciels ont donc continué en parallèle. La Cour
Suprême des États-Unis a ainsi estimé le 27 juin 2005 que les exploitants des logiciels peerto-peer du type Grokster (c’est-à-dire fonctionnant selon un système entièrement décentralisé)
étaient passibles de poursuites, pour avoir incité leurs usagers à échanger des fichiers protégés
par le copyright111. Il en ressort plusieurs incertitudes, notamment quant à la ligne séparant la
création et la promotion d’un produit avec l’incitation à la contrefaçon. Il est ici un risque que
les éditeurs ne s’aventurent plus à développer des produits touchant à la copie ou à la
distribution non contrôlée de certains contenus. Or, ces logiciels étaient susceptibles de
promouvoir la diffusion de fichiers protégés et apporter un nouveau modèle économique
viable et dynamique à l’industrie musicale, comme l’ont été dans leur temps les
magnétoscopes pour l’industrie du cinéma. Les majors ont ici aussi réussi à imposer leur
vision économique du marché culturel.
Pour autant, l’heure de la fin du peer-to-peer n’a pas encore sonné, les logiciels libres et
gratuits tels que BitTorrent ou eMule, sont encore là pour accueillir les téléchargements
illégaux. Les internautes recourent également aux réseaux privés d’universités ou
109
Kazaa n’a ainsi pas été reconnu coupable des contenus illicites circulant sur ses réseaux (Buma/Stemra v.
Kazaa, Cour d’appel d’Amsterdam, 28 mars 2002, confirmé par la Cour Suprême des Pays-Bas : jurisprudence
dite Betamax), en arguant un arrêt de la Cour Suprême américaine de 1984 (Sony Corp. Of America v. Universal
City Studio Inc, 464 U.S. 417, 1984) rejetant la responsabilité des fabricants de magnétoscopes pour violation
aux lois sur le copyright au motif que le fabricant n’a pas de relation continue avec l’utilisateur et ne peut donc
pas surveiller l’usage que celui-ci fait de son magnétoscope.
110
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 70.
111
La Cour Suprême américaine n’a pas retenu ici la jurisprudence Betamax de 1984, selon laquelle le fabricant
ou le distributeur d’un produit permettant tant des utilisations légales que contrefaisantes ne peut voir sa
responsabilité engagée de ce seul fait. Elle considère au contraire que tout fabricant ou distributeur d’un produit
ou logiciel incitant ses utilisateurs à violer le copyright sera considéré responsable en raison des contrefaçons
commises par ces derniers. La décision Betamax demeure néanmoins inchangée.
82
d’entreprises et, de plus en plus, au peer-to-mail, c’est-à-dire l’échange par courrier
électronique. Ces deux procédés sont beaucoup plus difficiles à contrôler. Les actions mises
en place par les acteurs du disque montrent donc très vite leurs limites ou faiblesses.
B Les limites au verrouillage des œuvres sur le marché de la musique en ligne
La sécurisation technique des œuvres musicales en ligne ne pouvait perdurer très
longtemps dans un contexte où règne la loi de la liberté. En effet, les mesures techniques de
protections ont vite montré des problèmes d’interopérabilités avec les différents supports de
lecture des œuvres musicales (1.), aussi bien que la récente commission Olivennes a préconisé
l’abandon de ces verrouillages technologiques (2.).
1) L’absence d’interopérabilité des œuvres en ligne
La protection des œuvres par le biais des MTP ne devrait pas avoir pour effet
d’empêcher le consommateur d’utiliser librement ces œuvres, dans le respect des droits
d’auteur. Cette précision, presque anodine, n’est en réalité pas si évidente dans la pratique. En
effet, il existe de nombreuses MTP sur le marché. Or c’est précisément cette pluralité d’outils
technologiques de protection qui pose la question de l’interopérabilité entre certains lecteurs
et certains systèmes de gestion numérique des droits. Ce phénomène d’incompatibilité
éventuelle entre les formats supportés par les lecteurs et les contenus équipés de MTP pose
nécessairement des problèmes du point de vue du droit de la consommation pour les
utilisateurs ainsi que du droit de la concurrence du côté des opérateurs. C’est pourtant sur le
terrain du droit d’auteur que le législateur est intervenu en 2006 (par la loi DADVSI) afin
d’indiquer très clairement que « Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet
d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur
[…] 112». C’est à l’Autorité de régulation des mesures techniques que revient le soin de veiller
au respect de cette disposition113 et, le cas échéant, de proposer une solution de conciliation114.
112
113
Art. L. 331-5 CPI, issu de sa rédaction de 2006.
Art. L. 331-6 du CPI.
83
En effet, de telles difficultés de décryptage ont par exemple pu être décelées avec la
firme Apple et sa technologie de DRM Fairplay, destinée à assurer la gestion numérique des
droits des morceaux vendus dans son magasin ITunes Music Store, et compris uniquement par
son propre baladeur, l’IPod. Le client qui achète des morceaux sur ITunes Music Store est
alors incapable de les lire sur un baladeur concurrent, et inversement, les plateformes
musicales concurrentes sont incapables de rendre leurs morceaux lisibles sur un IPod sans
avoir accès à la technologie FairPlay, pour laquelle Apple a toujours refusé d’accorder des
licences. Pour la firme de Steve Jobs, l’interopérabilité va en effet à l’encontre de la
concurrence entre les entreprises. En alliant le software et le hardware, Apple bénéficie ainsi
d’une position dominante sur le marché de la musique numérique.
C’est pour cette raison que VirginMega avait saisi le conseil de la concurrence en
France en juin 2004, en indiquant que « l’accès au DRM FairPlay est indispensable à
l’exercice de l’opérateur de musique […] et que le refus d’accès de la part d’un opérateur
dominant sur le marché connexe des baladeurs numériques sécurisés à disque dur constitue
un abus ». Le conseil de la concurrence a pourtant refusé de condamner Apple au motif que
« l’accès au DRM FairPlay n’est pas indispensable pour le développement des plateformes
légales de téléchargement de musique en ligne », et qu’il existe « une solution de
contournement simple, peu coûteuse et très courante, en cas d’incompatibilité des DRM : la
gravure sur CD ». Ce manque d’interopérabilité reste quand même un facteur important dans
la réticence des internautes à opter pour le téléchargement légal. Une alternative, tant à la
position dominante d’Apple qu’au mécontentement des internautes est alors l’abandon des
MTP.
2) L’abandon progressif des mesures techniques de protection
La commission Olivennes préconise dans son rapport rendu le 23 novembre 2007 « que
tant que ne sera pas mis en place un standard de mesure technique assurant l’interopérabilité
des fichiers musicaux, il faut permettre l’offre au détail de tous les fichiers musicaux en ligne
sans mesures techniques ». En réalité, les opérateurs de musique en ligne n’ont pas attendu les
dires de la commission Olivennes pour amorcer le processus d’abandon des MTP. En
automne 2006, la plateforme de téléchargement légal FnacMusic avait déjà testé la vente de
114
Art. L. 331-15 du CPI.
84
quelques titres en MP3, un format universel sans MTP. Si à l’origine une telle initiative visait
à s’affranchir du modèle imposé par Apple115, elle s’est révélée fructueuse et a encouragé au
développement des catalogues au format MP3. Après cette phase de test, l’année 2007 sera
celle de l’abandon progressif des MTP.
Dès le mois de janvier 2007, FnacMusic et VirginMega annonce la signature avec
plusieurs maisons de disques indépendantes pour livrer une partie de leur catalogue sans
verrouillage numérique116, tandis que les majors elles restent encore inflexibles. Cela ne va
pas durer très longtemps, car elles vont très vite s’apercevoir que les MTP n’ont pas fait leurs
preuves en matière de piratage, et ont en revanche contribué à freiner la croissance des ventes
de musique en ligne. EMI a été la première major à proposer sur ITunes (la plateforme
musicale d’Apple) l’ensemble de son catalogue sans MTP. En effet, le géant Apple lui-même
a appelé les majors du disque à délivrer leurs catalogues des contraintes techniques.
Surprenante décision pour celui qui refusait quelques temps plus tôt d’octroyer des licences
pour sa technologie FairPlay117.
En réalité, Steve Jobs pense toujours qu’ouvrir FairPlay ne serait pas avisé, bien qu’il
considère que l’industrie musicale a d’autres possibilités que les MTP118. La firme Apple
prend alors peut-être le risque de voir son monopole sur le marché de la musique en ligne
vaciller, en signant un partenariat avec la major EMI en avril 2007 pour diffuser les morceaux
sur l’ITunes Music Store sans système de protection119. Les titres sont néanmoins encore
disponibles avec MTP pour les utilisateurs qui le souhaitent, car un morceau vierge de toute
MTP est vendu à un coût plus élevé120. En contrepartie, Apple s’est engagé à revoir à la
hausse la qualité de ses fichiers, afin de réduire encore la différence avec l’enregistrement
original. Universal a lui aussi suivi le chemin en août 2007, en ouvrant une partie de son
catalogue sans protection, sur la plateforme Amazon. Les deux dernières majors,
WarnerMusic et Sony-BMG, finissent elles aussi par abandonner cette technique de
protection, respectivement en décembre 2007 et janvier 2008121. Les artistes eux-mêmes
115
Voir supra, p. 59-60.
Dumout (E.), « FnacMusic et VirginMega prennent leur distance avec les DRM », www.zdnet.fr, 16 janvier
2007.
117
Voir supra, p. 76.
118
Fried (I.) et Krazit (T.), « DRM : pourquoi Apple retourne sa veste », www.zdnet.fr, 7 février 2007.
119
Berry (P.), « EMI et Apple font sauter les verrous de la musique », www.20Minutes.fr, 2 avril 2007.
120
Un morceau sans DRM s’achète 1,29 euro au lieu des 0,99 euros habituels.
121
« Abandon total des DRM par les majors du disque », www.zdnet.fr, 13 janvier 2008.
116
85
proposent parfois le téléchargement direct et à prix libre de leurs albums, l’exemple le plus
connu étant celui du groupe Radiohead courant 2007.
Cette nouvelle liberté musicale semble bien remettre en cause la logique du star-system,
où les majors verrouillaient l’ensemble de la chaîne de valeur. Par leur attitude récente, les
majors montrent néanmoins une volonté de s’adapter à cette nouvelle tendance, même si les
indépendants sont les premiers à tirer leur épingle du jeu.
86
CHAPITRE 2 L’INTRUSION RÉUSSIE DES INDÉPENDANTS
DANS LE MONDE NUMÉRIQUE
Le monde numérique est trop souvent condamné pour ses méfaits apparents envers les
droits d’auteur. En réalité, les nouvelles technologies, et particulièrement les réseaux peer-topeer, peuvent être bénéfiques à l’industrie musicale. Malheureusement, la vague internet n’a
pas été perçue à son arrivée comme un facteur potentiel de redynamisation de la filière
musicale mais au contraire comme une nouvelle source de conflit et d’entrave pour les ayantdroits. Ceci est regrettable. En effet, la toile est, comme l’ont été ses prédécesseurs que sont la
radio ou la télévision, un nouveau moyen de promotion et de diffusion des œuvres musicales.
S’ils veulent bénéficier des effets positifs du piratage (Section 1.), il est donc nécessaire que
les majors se réorganisent et ne s’attachent plus strictement à la logique du star system
(Section 2.).
SECTION 1
L’EXPLOITATION DES EFFETS POSITIFS DES RÉSEAUX
PEER-TO-PEER
L’intégration délicate des majors au sein de l’internet est le résultat d’une trop grande
réticence à l’égard des réseaux peer-to-peer. Ceux-ci possèdent pourtant des vertus propres au
monde numérique. Cependant, ces vertus ne semblent pas a priori concerner tous les acteurs
de la filière musicale indistinctement. L’artiste lui-même apparaît comme le destinataire
privilégié de la toile (§2.). En effet, les majors ont du mal à pérenniser leur situation
oligopolistique tandis que les indépendants semblent au contraire profiter de la situation. Le
monde numérique aboutit ainsi à une large redistribution des rôles entre majors et
indépendants (§1.).
87
§1 La redistribution des rôles entre majors et indépendant
La dématérialisation des œuvres en ligne permet de se libérer des contraintes physiques
inhérentes au marché de la musique enregistrée dans le monde pré-numérique. La chaîne de
valeur de l’industrie musicale perd sa rigidité et certains maillons tel que la distribution auprès
des commerçants de détails disparaissent. Cet abaissement des barrières à l’entrée du marché
de la musique (A.) apparaît alors comme une immense opportunité pour les indépendants (B.).
A L’abaissement des frontières à l’entrée du marché de la musique en ligne
Dans le marché de la musique en ligne, il apparaît incontestable que la création d’une
œuvre musicale ne nécessite quasiment aucun coût de fabrication ou de distribution (1.), ce
qui contribue à la perte des valeur de majors. De plus, la diffusion en ligne de ces œuvres ne
semble plus guidée par la concentration des ventes sur quelques titres mais bénéficie au
contraire de l’effet dit de « longue traîne » (2.).
1) La réduction des coûts de fabrication et de distribution
Le numérique permet de réorganiser l’ensemble de la filière musicale par un
abaissement des frontières à l’entrée. L’apparition de logiciels de plus en plus perfectionnés
rend désormais possible de réaliser un master de qualité, sans passer par un studio
d’enregistrement. Les coûts de création de la musique s’en trouve automatiquement allégés. Il
en va de même, et c’est le plus important, des frais de fabrication et de distribution. Ces
derniers représentaient, nous l’avons vu, l’essentiel des investissements des maisons de
disques pour la production d’un artiste. Or, dans la musique en ligne, ces coûts disparaissent
presque entièrement. De plus, la distribution numérique offre l’opportunité d’une diffusion
mondiale de manière spontanée. L’artiste n’est plus obligé de passer par l’intermédiaire d’une
major pour espérer un rayonnement mondial de ses morceaux. Il en résulte une perte de valeur
des grandes maisons de disques, qui ne sont plus les seules à pouvoir offrir une exploitation
des œuvres à grande échelle.
88
Internet semble ainsi sonner le glas de la position oligopolistique des majors sur le
marché de la distribution. D’autant plus que la tentative des majors à appartenir à un groupe
multimédia possédant notamment des activités de distribution en ligne s’est révélée peu
concluante122. Indépendants et majors paraissent se retrouver sur un pied d’égalité dans le
monde numérique, les seconds ne contrôlant plus tous les réseaux de distribution et de
promotion. Ceci permettra-t-il un phénomène de déconcentration au profit d’une plus grande
liberté dans l’offre et la consommation musicale ? Rien n’est moins sûr. La toile est au
contraire une nouvelle occasion de convergence organisationnelle, entre les acteurs du web et
ceux du disque. Les majors ne souhaitent pas perdre leur caractère de multinationale
prépondérante, et cherchent donc à construire des alliances stratégiques pour contrôler le plus
possible la distribution en ligne. Malgré tout, internet reste un outil accessible à tous et permet
aux artistes émergents de se faire connaître et d’optimiser leurs chances de succès.
2) L’apparition d’une « longue traîne »
Face à un marché physique de la musique enregistrée, guidé par l’effet superstar (c’està-dire se concentrant sur les titres les plus vendeurs), le monde numérique apparaît comme
une alternative grâce à l’effet « longue traîne » (ou long-tail) qui peut en résulter. Cette
théorie introduite par Chris Anderson renvoi à l’idée selon laquelle l’importance des articles
les plus visibles sur le marché diminue au profit d’un accroissement du nombre d’articles
bénéficiant d’une visibilité moins grande et intéressant chacun un nombre plus restreint de
consommateurs. Le secteur de la musique en ligne y correspond parfaitement, internet
facilitant la mise à disposition des titres musicaux et ce, quel qu’en soit l’origine. En effet,
selon Chris Anderson, le facteur clé qui détermine si les ventes d’un commerce ont une
« longue traîne » est le coût de stockage et de distribution. Plus ces coûts sont faibles, plus il
devient rentable de vendre des produits peu demandés, tandis que lorsqu’il est onéreux de
stocker et de distribuer, seuls les produits les plus populaires sont vendus. Or, la diminution
drastique des coûts de production dans la vente par internet permet à des produits qui étaient
jusqu’alors insuffisamment rentable de rentrer sur le marché, et de venir concurrencer les
articles les plus demandés.
122
Voir supra, p. 61-62.
89
Le star-system qui concentrait ses ventes sur quelques titres perd donc ici de son
ampleur grâce à l’abaissement des frontières à l’entrée. Les titres qui sont l’objet d’une faible
demande, ou qui n’ont qu’un faible volume de vente, pourraient alors peut-être collectivement
représenter une part de marché égale voir supérieure à celle des hits. En réalité, ceci paraît
encore difficilement concevable dans la mesure où les titres proposés au téléchargement légal
sont essentiellement issus des catalogues des majors, c’est-à-dire les mêmes que ceux
proposés en magasins. Les majors ont en effet conclu des accords avec les opérateurs de
télécommunication et les plateformes musicales pour diffuser leurs morceaux. Bien sûr, les
titres des indépendants sont également en ligne via des plateformes de téléchargement légal,
et s’en sorte même relativement bien. Pour autant, on constate que les titres les plus
téléchargés font souvent partie du catalogue des majors123. En effet, le consommateur lambda
télécharge la majeure partie du temps ce qu’il entend à la radio, et sont donc encore sous
l’emprise des playlists des majors. Cet effet ricochet tend néanmoins à diminuer, notamment
par les nouveaux moyens de promotions que suscitent internet, offrant ainsi une place de plus
en plus importante aux indépendants.
B
Le renforcement de la présence des indépendants sur le marché de la
musique en ligne
Les réseaux peer-to-peer court-circuitent le modèle traditionnel de promotion
centralisée des œuvres au travers des médias de masse classiques. En effet, internet joue au
contraire sur l’interactivité des internautes et propose un modèle de promotion communautaire
ou décentralisée (1.). Les indépendants vont alors profiter de ce nouveau système pour
renforcer leur présence sur le secteur on line en se rapprochant au sein d’une structure
commune dénommée Merlin (2.).
123
Voir sur ce point, L’économie de la production musicale, SNEP, 2007.
90
1) La promotion décentralisée des œuvres en ligne
L’opportunité de se faire connaître via internet est notamment le fait du passage du
modèle traditionnel de promotion centralisée, fondé sur les médias, au modèle novateur de
promotion et de prescription décentralisées, c’est-à-dire d’internaute à internaute. La
réduction des coûts de production d’un disque est là encore loin d’être négligeable, la
promotion représentant en moyenne 25% du prix de gros hors taxes d’un disque124. Cette
logique communautaire, inhérente au monde numérique, bénéficie alors essentiellement aux
indépendants ou aux artistes peu connus du grand public. En effet, l’échange d’avis de
consommateurs par l’intermédiaire de blogs, de forums ou encore grâce au podcasting, est un
élément important dans la découverte de nouveaux talents. Le peer-to-peer est
particulièrement reconnu comme un puissant instrument de promotion par les artistes, et
profite d’ailleurs surtout aux artistes de notoriété moyenne.
Aujourd’hui, un site comme MySpace.com, revendiquant 40 millions d’inscrits et
racheté en 2005 par le groupe de médias Newscorp, voit plus de 200 000 artistes indépendants
poster leur musique en ligne ou communiquer les dates de leurs concerts. Un mode de relation
directe entre les artistes et le public est ainsi instauré. Internet démultiplie l’efficacité du
bouche à oreille, comme en témoigne par exemple la croissance fulgurante du groupe Artic
Monkeys, découvert par un label indépendant sur le site MySpace.com et dont les ventes de
leur premier album ont atteint les 360 000 exemplaires en Grande-Bretagne dès la première
semaine de sa sortie. Selon une logique dite de l’échantillonnage, le téléchargement gratuit
peut donc conduire certains internautes a finalement acheter l’œuvre originale pour bénéficier
d’un produit de meilleur qualité (meilleur son, pochette…). Cette idée signifie que si pour les
stars déjà connues du public, le téléchargement obéit probablement à une logique de
substitution, néfaste aux ventes de disques, il n’en va pas de même pour les artistes moins
connus, pour lesquels le téléchargement (même illégal) aurait un impact positif sur les ventes.
La musique en ligne tend, par cette logique, à éroder le star-system et les modèles de
promotion traditionnels. Ainsi, en 2005, le volume total d’albums vendus fléchissait de 1%,
mais la baisse atteignait les 21% pour le top 10125. Les indépendants profitent de cette
occasion pour se rassembler et tenter de former une « cinquième major ».
124
125
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 99.
Source : SNEP, 2006.
91
2) Le rapprochement des indépendants pour une « cinquième » major sur la
musique en ligne
La toile représente sans nul doute une réelle opportunité pour les indépendants et leurs
artistes émergents, qu’il convenait de ne pas laisser passer. Il est donc vite apparu nécessaire
pour ces derniers d’optimiser les avantages procurés par ce système de promotion
décentralisée. En effet, si les indépendants ont été les plus rapides à s’engouffrer dans la
brèche ouverte par la nouvelle vague internet, les majors n’ont pas tardé à suivre. Dès lors, les
sites de musiques tels que MySpace, You Tube ou Daily Motion ont été plus enclins à signer
des contrats avec les quatre majors, afin de bénéficier de leurs catalogues. Les indépendants
se sont de nouveau sentis délaissés, alors même que leurs labels produisent 80% des
nouveautés et environ 30% des ventes de musique dans le monde.
Les indépendants ont donc souhaité réagir pour ne pas aboutir dans une situation
identique à celle du marché physique de la musique. Pour défendre leurs intérêts économiques
sur le web, les labels indépendants ont alors mis en place en 2007 Merlin, une agence
internationale chargée de négocier la diffusion de leurs catalogues avec les nouveaux réseaux
d’exploitation de la musique numérique126. Merlin, qui est une association à but non lucratif
basée à Londres, rassemble des organisations telles que la World Independent Network
(WIN), l’Impala (association des maisons de production indépendantes en Europe), les
représentants des indépendants au Royaume-Uni (AIM), en France (UPFI), Canada (CIRPA),
Japon (ILCJ) ou encore Australie (AIR), ainsi que des membres de l’American Association of
Independent Music (A2IM).
Aujourd’hui, Merlin a notamment conclu un partenariat avec la société Snocap, créée
par le fondateur de Napster, pour faire apparaître les morceaux des labels indépendants sur sa
plateforme Mystore. Or, Snocap a également signé un accord avec MySpace pour être son
fournisseur de musique, ce qui ouvre de fait aux labels indépendants les portes du site
MySpace. Charles Caldas, le directeur de l’agence, affirme ainsi sa volonté de ne plus être le
« parent pauvre » des accords avec les sociétés internet. Il estime en effet que « l’espèce
d’apartheid du copyright appliqué actuellement à la valeur des droits des indépendants est
126
Dumout (E.), « Les labels indépendants négocient d’une même voix leurs droits sur internet », www.zdnet.fr,
23 janvier 2007.
92
inacceptable », et que « Merlin permettra aux labels indépendants dans le monde de
participer aux nouveaux modèles de licences et modèles économiques en étant compétitifs, et
donnera aux nouveaux services en ligne un accès plus direct à leur répertoire 127».
Par conséquent, la redistribution des rôles entre majors et indépendants au profit de ces
derniers, du fait de l’apparition des réseaux peer-to-peer, fait apparaître un nouveau modèle
économique de la filière musicale. Celui-ci est d’ailleurs particulièrement profitable aux
artistes eux-mêmes.
§2 La monopolisation des effets bénéfiques par les artistes
Les artistes sont les grands gagnants de l’évolution du marché de la musique en ligne. Si
les majors ont tiré la sonnette d’alarme au regard de la chute de ventes de disques, les artistes
eux récoltent les fruits de l’augmentation des marchés induits de la musique (A.). En effet,
internet est un nouveau souffle de croissance pour les produits dérivés de la musique
enregistrée, qui sont au mieux de leur forme. Or, l’analyse des modalités de rémunération des
artistes nous révèle que ces derniers tirent l’essentiel de leurs revenus de ces produits (B.).
A Les bénéfices de l’augmentation des marchés induits de la musique
La chute des ventes de disques n’a pas eu pour corollaire celle des ventes de billets de
concerts. Bien au contraire, le marché du spectacle vivant connaît une phase de croissance très
importante (1.). Il en est de même pour le marché des sonneries de téléphone portable, dont le
nombre de téléchargement ne cesse de croître (2.).
1) L’évolution du marché du spectacle vivant
127
Idem.
93
Si l’on parle très souvent d’une crise du disque, il serait en revanche une gageure de
parler d’une crise de la musique. Le spectacle vivant ne s’est en effet jamais aussi bien porté.
Les spectacles de variétés et de musiques actuelles, avec un chiffre d’affaires de 372 millions
d’euros en 2005, ont représentés près de 40 % du chiffre d'affaires de gros hors taxes de la
musique enregistrée128. On constate ainsi une forte croissance de la demande, faisant évoluer
les recettes des concerts de 89% entre 2003 et 2005 pour les artistes ne figurant pas parmi le
top 100 (contre une augmentation de 5% pour le top 100)129. Les artistes les moins vendeurs
en terme d’albums peuvent donc par ailleurs être les plus présents sur le devant de la scène.
Une redistribution des cartes entre le marché du live et celui de la musique enregistrée
semble donc se profiler. Toutefois, la notoriété acquise sur le marché de la musique
enregistrée, et notamment l’exposition médiatique, est valorisable par les artistes sur le
marché du spectacle vivant. Il ne s’agit donc pas d’opposer les deux secteurs, mais plutôt
d’envisager de nouvelles formes d’exploitation du marché dérivé que sont les concerts130. À
cet égard, les opérateurs de télécommunications ont su saisir cette opportunité. Club Internet
et Free relayent par exemple les services de la société I-Concert, qui propose un service de
diffusion de concerts à la demande131. 100 000 concerts sont ainsi diffusés en streaming tous
les mois en France, l’internaute pouvant également créer ses propres playlists vidéo avec des
titres extraits de différents concerts.
Les majors ont alors perçu la valeur qu’est en train de prendre la musique live. EMI
Music France a déjà signé un accord avec I-Concert, profitant ainsi d’une nouvelle source de
revenus. Les autres acteurs de la filière musicale, tels que les promoteurs de spectacle sont
eux aussi vivement intéressés par ce nouveau marché des vidéogrammes. Leur accord est en
effet nécessaire pour effectuer la captation vidéo de leurs concerts, et peuvent ainsi
légitimement espérer en tirer profit. De même, les droits voisins des artistes interprètes et des
producteurs sur ces vidéogrammes risquent de devenir un enjeu majeur de cette nouvelle
exploitation dérivée des concerts132.
128
Source : Centre national de la chanson, des variétés et du jazz.
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 98.
130
Astor (P.), « Spectacle vivant et musique enregistrée : une redistribution des cartes en perspective »,
www.zdnet.fr, 26 mars 2007.
131
Astor (P.), « I-Concert : Les français sont les plus grands consommateurs de concerts live en VOD »,
www.zdnet.fr, 5 mars 2007.
132
Voir art. L. 212-3 et L. 215-1 du CPI.
129
94
2) L’explosion du marché des sonneries de téléphones portables
Si le marché dérivé le plus naturel de la musique enregistrée est celui du spectacle
vivant, d’autres marchés tirent également profit du développement de la musique enregistrée,
et plus encore de la musique numérique. La diffusion de fichiers numériques engendre un flux
de recettes vers des services ou produits dérivés, tels que le baladeur numérique, l’accès
internet à haut débit ou encore la téléphonie mobile. Les contenus deviennent alors un axe de
développement stratégique pour ces acteurs initialement présents au stade de la distribution.
S’agissant des opérateurs de téléphonie mobile, la maîtrise des contenus est devenue un atout
concurrentiel important. Bouygues Télécom l’a compris et s’est associé avec Universal Music
pour créer Universal Mobile. De même, SFR a conclu un accord avec les quatre majors afin
de proposer un catalogue de plusieurs centaines de milliers de titres. En France, en 2004, le
marché des sonneries téléphoniques a représenté le double des singles133. Les sonneries étant
en général vendues de deux à deux fois et demie plus cher qu’un titre au téléchargement, ce
marché est particulièrement lucratif. Le développement des ventes sur mobiles offrent donc de
bonnes perspectives pour l’industrie du disque. D’autant plus que les opérateurs de téléphonie
mobile recherchent la rentabilité en intensifiant le nombre de titres téléchargés, ce qui semble
a priori convergent avec les intérêts des majors. Source importante de revenus, les sonneries
musicales deviennent alors « la nouvelle coqueluche de l’économie numérique134 ».
Pourtant, l’explosion du marché des sonneries musicales ne s’est pas fait sans difficultés
pour le droit d’auteur, qui a là encore dû s’adapter et réagir face à cette nouvelle évolution
technologique. Le téléchargement des sonneries musicales pour mobiles fait en effet appel à
de la musique protégée par le droit d’auteur, et reste donc soumis à la législation qui lui est
applicable. Il ne rentre pas dans le cadre de l’exception de copie privée, ce qui signifie que
l’œuvre musicale n’est téléchargeable qu’avec l’autorisation de l’auteur via la société de
gestion collective. En effet, le téléchargement d’une sonnerie est un acte de reproduction,
puisque l’extrait est fixé sur la mémoire du téléphone portable135, et donne parfois lieu à des
133
« Création du premier label français de sonneries pour portables », www.lexpansion.com, 5 avril 2005.
« Ce que nous promet le marché du divertissement mobile », www.cisac.org.
135
L’exception de courte citation d’œuvres divulguées visée par l’article L. 122-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle et de l’exception de parodie ne sont pas applicables non plus.
134
95
atteintes aux droits moraux et patrimoniaux136. Les services de téléchargement légal sur la
téléphonie mobile nécessitent donc des licences légales, couvrant les droits de reproduction
mécanique et d’exécution publique. L’exploitant de services de téléchargement musical sur
mobile s’acquitte en contrepartie d’une rémunération auprès des sociétés de gestion
collective, lesquelles en opèrent la redistribution auprès des personnes concernées.
Cette bonne forme des produits dérivés de la musique entraîne avec elle celle des
artistes qui en tirent l’essentiel de leurs revenus.
B Les modalités de rémunération de l’artiste
Les modalités de rémunération de l’industrie musicale diffèrent selon le marché sur
lequel elles s’opèrent, et privilégient tantôt les maisons de disques et tantôt les artistes euxmêmes. En effet, le système des royalties distribuées selon le nombre de titres vendus profite
quasi-exclusivement aux producteurs (1.) tandis que les revenus tirés des marchés induits de
la musique, et notamment de la scène, reviennent aux artistes (2.). C’est en cela que
l’augmentation des produits dérivés dans le monde numérique est profitable aux artistes.
1) La faiblesse des revenus tirés des royalties
Pour la plupart des artistes, les royalties perçus sur la vente de leurs disques ne
constituent pas une rémunération significative. En France, on estime qu’en deçà de 100 000
exemplaires vendus, un disque ne procurera à l’artiste aucune rétribution au-delà de l’avance
reçue137. Or, seuls 5 à 10% des disques édités chaque année en France franchissent ce seuil.
Les ventes de disques constituent essentiellement une source de revenus pour les maisons de
disques, et non pour leur artiste-interprète. Le pourcentage des ventes revenant à l’artiste ne se
situe généralement qu’entre 7% et 9% pour des artistes en développement, mais atteint les
136
À cet égard, l’affaire MC Solaar est assez significative. Les juges ont estimé que « l’exploitation sous forme
de sonnerie téléphonique d’un extrait de la mélodie de chacune des deux œuvres des demandeurs constitue une
atteinte caractérisée au droit moral » en raison de la mauvaise qualité des extraits.
137
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 12.
96
20% pour des artistes reconnus138. Mais il faut savoir que l’assiette sur laquelle sont calculées
ces royalties représente au plus 50% à 60% du prix public du phonogramme. En effet, cette
assiette est assise sur le prix de gros hors taxe, et se trouve également grevée de plusieurs
abattements qui allègent les sommes réellement touchées par les artistes. Ainsi, les
abattements dits Biem (Bureau international de l’édition musicale), qui prennent en compte le
coût des pochettes et des remises consenties, ramènent un taux de royalties « brut » de 8% du
prix de gros hors taxe à un taux « net » de 6,5%, soit environ 4% du prix public139. De plus, il
arrive fréquemment que les dépenses de publicité, ainsi que certaines dépenses de promotion
soient considérées comme partiellement récupérables par le producteur. Enfin, les avances
perçues par l’artiste-interprète sont déductibles des royalties qui lui sont dues.
Le mécanisme de calcul des royalties tend alors à favoriser les producteurs au détriment
des artistes. C’est la raison pour laquelle la chute des ventes de disques n’est que peu ressenti
au sein de la communauté artistique à proprement parlé. En revanche, le développement du
téléchargement musical sur internet, même illégal, représente un nouvel outil de promotion
pouvant encourager l’affluence aux concerts, principale source de revenus pour les artistes.
Les pertes de royalties dues au piratage peuvent donc facilement être compensées par des
gains en notoriété. Le seul risque encouru par les artistes du fait du téléchargement illégal
serait de ne pouvoir être signé par une maison de disques, précisément en raison de la baisse
des ventes. Face au piratage, les intérêts des maisons de disques et des artistes sont donc liés
de manière indirecte. La baisse des revenus des maisons de disques issue de la chute des
ventes de disques, se répercuterait négativement sur l’importance de leurs investissements, et
donc sur les dépenses de promotion ainsi que sur les signatures de nouveaux artistes.
2) L’importance des revenus tirés de la scène
À défaut des ventes de disques, l’essentiel des revenus des artistes provient de leur
carrière sur scène. En France, le spectacle vivant représente ainsi très souvent pour plus des
trois quarts de l’activité des musiciens interprètes. Cette prédominance des revenus tirés de la
scène, vaut aussi bien pour les artistes touchant très peu de royalties que ceux, mais bien
entendu dans une moindre mesure, dont les albums se vendent par millions. Ainsi, en 2002, le
138
139
Ce taux a culminé à 41% pour Mickaël Jackson à la fin des années 1980.
Source : Adami, 2006.
97
revenu moyen des 35 premiers artistes mondiaux relevait pour 73% des concerts, contre
seulement 10% des ventes de disques (le reste provenant essentiellement du marché des
produits dérivés). Ces ressources issues du spectacle vivant sont pour partie directes (c’est ce
qui concerne les cachets de spectacles et de répétition), mais aussi et surtout indirectes, la
réalisation d’un nombre suffisant de cachets dans l’année ouvrant droit au régime
d’intermittent du spectacle.
Depuis 1967, l’annexe 10 à la convention générale d’assurance chômage prévoit un
régime spécifique pour les artistes du spectacle vivant140. Les conditions d’accès à ce régime
ont été renforcées lors du protocole d’accord du 26 juin 2003 signé par les partenaires
sociaux, pour faire face à l’augmentation du déficit des annexes 8 et 10. Deux conditions
cumulatives doivent donc être remplies par les intermittents du spectacle pour bénéficier de ce
régime d’indemnisation du chômage. Ils doivent justifier d’une durée de travail égale à 507
heures sur une période de référence égale à 10 mois et demie. Cette indemnisation est limitée
à une période maximale de 243 jours. En réponse aux mécontentements liés à ce protocole de
2003, un « fonds spécifique provisoire » (désormais « fonds transitoire »), financé sur le
budget de l’Etat, permet depuis le 1er juillet 2004 de maintenir une allocation pour les artistes
du spectacle qui, ne justifiant pas du nombre minimum d’heures requises pour être affiliés à
l’annexe 10, ont néanmoins une durée d’activité de 507 heures au cours des 12 derniers
mois141.
La
deuxième
condition
d’accès
au
régime
d’intermittence
est
d’être
contractuellement lié, lors des périodes d’activité, par des « CDD d’usage »142.
Tout l’intérêt des artistes-interprètes est donc dans le développement du spectacle
vivant, plus que dans la vente massive d’albums. Les conditions financières de la première
activité leur sont en effet plus favorables. Or, l’engouement des consommateurs pour le
spectacle vivant a notamment été relancé par la vague internet. Les majors et le star-system
sont au contraire restés sur la touche, d’où la volonté des maisons de disques à réorienter leurs
investissements et réorganiser le fonctionnement de leurs infrastructures.
140
L’annexe 8 est relative quant à elle aux techniciens du spectacle.
Voir sur ce point « La gestion du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle », Cour des Comptes,
2006.
142
L’article L. 122-1-1 3° du code du travail autorise le recours aux contrats à durée déterminée dans les secteurs
d’activité définis par décret ou par voie d’accord ou de convention collective étendue dès lors qu’ « il est d’usage
constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité
exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ». L’article D. 121-2 du code du travail mentionne
20 secteurs d’activité concernés par ces dispositions, parmi lesquels on trouve notamment les spectacles et
l’édition phonographique.
141
98
SECTION 2 LA RÉORGANISATION DES MAJORS FACE AUX RÉSEAUX
PEER-TO-PEER
Les mutations profondes subies par l’industrie musicale depuis l’arrivée du numérique
commencent aujourd’hui à être maîtrisées, ou du moins exploitées. Les majors prennent
conscience de l’importance du phénomène peer-to-peer et de la nécessité de se réorganiser
autours des nouveaux acteurs du web, désormais actifs dans la filière musicale. Les majors se
positionnent donc sur de nouveaux secteurs d’activité et diversifient leurs modalités d’action
(§1.). Cette nouvelle structure organisationnelle de l’industrie musicale vient nous interroger
sur l’émergence d’un nouveau modèle économique qui viendrait supplanter celui du star
system (§2.).
§1 La présence des majors sur de nouveaux secteurs d’activité
Internet offre de nouvelles possibilités pour les internautes, pour les artistes, et
également pour les médias classiques. C’est ainsi que les radios traditionnelles se voient
aujourd’hui complétées par les webradios, lesquelles font l’objet de plus en plus de
convoitises de la part des majors (A.). Si les majors ont encore du mal à s’accaparer la
maîtrise de la diffusion des œuvres musicales sur les webradios, elles prennent en revanche
une place de plus en plus importante sur le marché du spectacle vivant. Elles renégocient en
effet les contrats actuels pour être présentes sur tous les secteurs annexes à celui de la
musique enregistrée, et bénéficier d’un espace d’action équivalent à 360° (B.).
A L’apparition des webradios convoitées par les majors
Les webradios sont susceptibles de toucher un public extrêmement large et constituent
pour cela un fort potentiel de redynamisation du secteur musical (1.). Leur régime juridique
est aujourd’hui encore incertain au regard de la question controversée de l’application ou non
du régime de la licence légale (2.). Les majors ne sont pas loin de ce débat car la solution
99
apportée pourra avoir des conséquences importantes sur le pouvoir d’influence de ces
dernières.
1) Le fort potentiel des webradios
Depuis l’apparition des premières « radios libres », le monde numérique offre
aujourd’hui un nouvel univers aux radios. Le phénomène webradio connaît une croissance
remarquable, au point d’être perçu aujourd’hui comme une concurrence aux radios
traditionnelles. Tous les internautes représentent une clientèle potentielle pour ces webradios,
qui peuvent alors prétendre aisément à une audience conséquente.
Lorsque l’on parle de webradios, il faut en réalité distinguer trois types de radios en
ligne. Tout d’abord, le simulcasting est une transmission intégrale et simultanée sur l’internet
de phonogrammes diffusés par un organisme de radiodiffusion hertzien. Ensuite, la radio à la
demande permet à l’internaute d’accéder aux compositions musicales de son choix à
n’importe quel moment de la journée et à n’importe quel endroit, pourvu qu’il soit relié à
l’internet. Elle appartient à la catégorie des services de communication au public en ligne. Il
ne s’agit pas d’un équivalent de la radiodiffusion hertzienne, mais plutôt d’une sorte de juke
box numérique. Cette diffusion relève du droit exclusif des auteurs et des titulaires de droits
voisins, il n’y a donc pas de problématique nouvelle concernant ce type de diffusion. Enfin, le
webcasting concerne les radios qui sont créées exclusivement pour internet, l’internet étant
leur seul média de diffusion. Pour cela, la webradio utilise la technique du streaming143.
L’apparition des webradios a tout d’abord été perçue comme une aubaine pour les
indépendants, les playlist semblant y être plus accessible. En effet, la croissance quantitative
des webradios, et notamment du webcasting, offrait aux indépendants une nouvelle porte dans
la programmation radiophonique. De plus, l’essor des webradios est apparu comme un
facteur de redynamisation pour les acteurs de la radio, grâce au plaisir retrouvé de profiter
d’une grande liberté d’entreprendre. Ce nouveau marché ne devait alors pas rester longtemps
loin des yeux des majors. Celles-ci sont donc bien entendu à l’encontre de l’application du
régime de licence légale.
143
Un stockage temporaire d’une partie du flux musical (de l’ordre de quelques secondes seulement) est réalisé
dans la mémoire cache de l’ordinateur, afin de permettre une lecture fluide du flux musical.
100
2) La question controversée de la licence légale pour les webradios
Juridiquement, la question centrale des webradios concerne l’application ou non de la
licence légale, prévue à l’article L. 214-1 du CPI : « Lorsqu’un phonogramme a été publié à
des fins de commerce, l’artiste-interprète et le producteur ne peuvent plus s’opposer : 1°
[…] ; 2° À sa radiodiffusion, non plus qu’à la distribution par câble simultanée et intégrale
de cette radiodiffusion ». La licence légale permet ainsi aux radios hertziennes de diffuser
tous les phonogrammes du commerce, en contrepartie d’une rémunération équitable basée sur
un pourcentage du chiffre d’affaires, et gérée par les sociétés de gestion collective
représentant les ayants-droit. Ce régime dérogatoire aux droits exclusifs des artistesinterprètes et des producteurs vaut-il également pour le numérique ?
Comme pour chaque nouvelle technologie, les producteurs de phonogrammes voient
dans les webradios un risque de piratage, au détriment des ventes de disques. À l’inverse, les
diffuseurs en ligne souhaitent une égalité de traitement entre les radios, qu’elles diffusent via
internet ou par voie hertzienne. Le débat est aujourd’hui loin d’être clos, malgré l’existence
d’un consensus tacite permettant aux radios autorisées en analogique de diffuser en simultané
le même programme sur la toile (il s’agit du simulcasting). Aucun consensus n’existe en
revanche en ce qui concerne le webcasting.
En attendant une solution définitive, la SACEM tente de négocier un régime
provisoire144. Elle autorise la diffusion publique des œuvres protégées des répertoires qu’elle
gère au moyen de contrats dits de « flux continu » passés avec les éditeurs de webradios. Dans
le même sens, la SCPP et la SPPF, visant ici les droits des producteurs (majors et
indépendants), ont également signé avec l’association France Webradios145 un accord cadre
pour définir les tarifs de diffusion musicale redevables dans le cadre d’une webradio. Les
barèmes ainsi fixés varient entre 120 euros et plus de 6000 euros hors taxe par an minimum
suivant la taille et l’audience de la webradio. Ces tarifs risquent d’entraîner la disparition de
beaucoup de petites structures indépendantes, qui se trouveront de nouveau évincées au profit
des plus grosses structures alimentées par les majors.
144
145
Astor (P.), « Droits de diffusion : les webradios au pied du mur », www.zdnet.fr, 5 octobre 2006.
France Webradios représente 14 des quelques 180 webradios françaises référencées.
101
En attendant de réussir à s’implanter sur le marché des webradios, les majors s’attaquent
au secteur du secteur du spectacle vivant via la renégociation des pratiques contractuelles.
B La renégociation des pratiques contractuelles
Face à la crise du disque et a contrario à la croissance de ses produits dérivés, les majors
tentent d’imposer à ses artistes des contrats dits à 360° leur permettant de profiter des revenus
issus de tous ces marchés induits de la musique (1.). L’une des conséquences de ces
renégociations contractuelles réside dans l’apparition d’une véritable industrie du spectacle
vivant (2.).
1) Les contrats à 360°
L’organisation contractuelle actuellement en vigueur ne permet pas à l’industrie du
disque de tirer profit du développement du spectacle vivant. En effet, les contrats standards
réservent aux labels la gestion et la quasi-totalité des bénéfices des ventes de disques ainsi que
le merchandising hors concerts (T-shirt, parfums…), mais ils laissent aux artistes la gestion et
les profits des concerts ainsi que ceux retirés des produits dérivés vendus à cette occasion. La
crise du disque, combinée au développement du spectacle vivant, a alors conduit les maisons
de disques à vouloir renégocier les contrats. Ainsi, depuis 2003, les majors ont commencé à
signer des contrats stipulant un partage de la totalité des revenus de la musique enregistrée,
des concerts, du sponsoring…, tant avec des stars de notoriété confirmée (EMI avec Robbie
Williams146 par exemple) qu’avec des nouveaux artistes.
Ces contrats, dits à 360°, retranscrivent la diversification des activités des maisons de
disques. Cette « nouvelle arme »147 des majors couvre désormais l’ensemble des activités de
l’artiste. Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France, déclarait à ce sujet que « Nous
sommes beaucoup plus actifs sur ces activités connexes que nous avions négligées lorsque le
CD suffisait à nous faire vivre. Nous ne sommes plus une maison de disques, mais une
146
147
Charnay (A.), « Robbie Williams : un contrat à 360° », www.01men.com, 26 novembre 2007.
Philippin (Y.), « Les majors changent de disque », Le journal du Dimanche, 15 juillet 2007.
102
maisons d’artistes »148. Les majors de disques ont changé les règles du jeu. Auparavant, elles
subventionnaient les concerts, considérés comme des investissements marketing. Désormais,
elles deviennent coproductrices, ce qui leur permet de toucher une partie des bénéfices (ou de
supporter les pertes). La renégociation des contrats par les majors marque donc leur volonté
de reconquérir le marché musical et réaffirmer leur position oligopolistique, quelque peu
ébranlée dans le nouveau monde numérique. Toutefois, la réduction de leurs budgets de
distribution et de promotion peut fragiliser la position des maisons de disques dans les
négociations. Celle des labels indépendants, réputés entretenir de meilleures relations avec les
artistes, semble de ce point de vue plus favorable. « Le sens habituel de l’asymétrie entre
majors et indépendants est ici inversé »149. Malgré tout, l’insertion des majors dans le marché
du spectacle vivant fait évoluer celui-ci vers un fonctionnement comparable au reste de
l’industrie musicale.
2) La nouvelle industrie du spectacle vivant
Les tourneurs, chargés de la programmation des artistes, doivent aujourd’hui faire face à
une nouvelle concurrence. En effet, les rachats de tourneurs français par les maisons de
disques se multiplient. Pendant que la major Warner rachète la société Jean-Claude Camus
Productions, qui produit notamment les concerts de Johnny Hallyday, Universal s’attaque à la
société Sanctuary Group (Elton John) et Sony BMG s’intéresse quant à elle à l’organisateur
de concerts Arachnée (Indochine, Jennifer…). Les labels indépendants eux aussi s’orientent
vers cette stratégie d’intégration verticale du marché dérivé des concerts. Ainsi, la maison de
disques indépendante Because Music (Charlotte Gainsbourg, les Rita Mitsouko) contrôle
également l’organisateur de concerts Corida ainsi que trois salles parisienne, dont la Cigale.
Cette voie vers la maîtrise du spectacle vivant par les maisons de disques avait été ouverte en
sens inverse par le géant américain Live Nation, très puissant promoteur de concerts, en
s’offrant Jackie Lombard Productions (Madonna, les Rolling Stones) et en élargissant donc le
cœur de son métier pour devenir également une maison de disques.
148
149
Idem.
Curien (N.) et Moreau (F.), L’industrie du disque, op. cit., p. 105.
103
On aboutit ainsi à une nouvelle vague de concentration qui ne concernait à l’origine que
le secteur de la musique enregistrée. Or, qui dit concentration, dit risque d’abus de position
dominante et un accès au marché de plus en plus difficile. Le spectacle vivant s’avance lui
aussi vers une forme d’industrie. En effet, l’effet jackpot des concerts fait s’envoler le prix des
billets de concerts, et le groupe de média Clear Channel en a été accusé en partie responsable
aux États-Unis. Propriétaire de 1200 stations de radios et détentrice d’intérêts, via sa filiale
Live Nation, dans 160 lieux de diffusion, la société abuserait de sa position dominante. En
effet, elle établirait une forme de main mise sur le marché en limitant la diffusion sur les
ondes de la maison-mère aux seuls artistes signés chez Live Nation. Les artistes refusant de
faire appel à ses services de promotion et d’organisation de tournées ne pourraient espérer
voir diffuser leurs morceaux à l’antenne, et a fortiori remplir les salles150.
En s’implantant sur de nouveaux secteurs d’activités, les majors cherchent donc à
s’adapter au monde numérique et engendrent ainsi les prémices d’un nouveau modèle
économique pour l’industrie musicale.
§2 L’émergence d’un nouveau modèle économique pour l’industrie
du disque
Les spécificités technologiques du monde numérique, et notamment son système de
promotion décentralisée, sont propices à l’émergence d’un nouveau modèle économique pour
l’industrie musicale. Celui-ci se baserait essentiellement sur l’indépendance des acteurs (A.),
grâce à la liberté offerte par l’internet. Pour perdurer en tant que multinationales dominantes
sur la toile, les majors devront donc s’adapter à ces spécificités technologiques (B.).
150
« Concerts trop chers : Clear Channel attaqué en class action », www.numerama.com, 25 octobre 2007.
104
A L’indépendance des acteurs dans le monde numérique
L’ère du numérique est venue limiter les effets néfastes de la concentration accrue au
sein du marché physique de la musique pour offrir la potentialité d’un modèle économique
viable de l’artiste indépendant (1.). De son côté, le consommateur prend lui aussi son
indépendance, ouvrant là aussi la voie vers un nouveau modèle économique de l’industrie
musicale (2.).
1) Un modèle économique viable de l’artiste indépendant ?
Il est patent que l’ère du numérique sonne une restructuration de l’industrie musicale
française et de ses majors. La position concurrentielle de ces dernières est en effet fragilisée
par le développement de la promotion décentralisée sur le web 2.0, lui faisant perdre le
contrôle de la distribution. Or, le pouvoir d’influence des majors résidait précisément dans la
garantie de promotion et de distribution qu’elles pouvaient offrir aux artistes. Désormais, les
majors se distinguent peu de leur périphérie dans la mise en valeur médiatique des artistes.
Certes, les médias classiques que sont la radio et la télévision restent le secteur privilégié des
grosses maisons de disques, mais l’outil internet peut dans certains cas faire atteindre à lui
seul le sommet à des artistes méconnus. De plus, l’émergence d’une promotion de type
communautaire concourt à abaisser le seuil-plancher de rentabilité d’un artiste. Dans ces
conditions, le modèle proposé par les producteurs indépendants redevient attractif. La logique
du star system s’effacerait donc au profit de la recherche des talents.
À terme, un modèle économique viable de l’artiste indépendant est structurellement
concevable. Il se baserait exclusivement sur le marché de la musique en ligne, bénéficiant
ainsi du système de promotion décentralisée et contournant les obstacles liés aux coûts fixes
considérables inhérents au marché physique. Les artistes émergents construiraient leur
notoriété sur la toile, tandis que les artistes confirmés n’auraient qu’à la transférer dans le
monde numérique. En mars 2004, la star britannique George Michael a ainsi annoncé qu’il ne
vendrait désormais plus de CD, mais que ses fans pourraient télécharger sa musique à partir
de son site web.
105
Cette réorganisation plausible de l’industrie musicale française pourrait alors faire
évoluer nos mythiques majors en un conglomérat de labels indépendants. Certains labels
actuels des majors pourraient retrouver une pleine autonomie dans leurs décisions artistiques
et stratégiques, à l’instar du label Tôt ou Tard, devenu indépendant en 2002 après avoir été
crée au sein de Warner Music. Au lieu des flux classiques de concentration du secteur
musical, on assisterait à un phénomène de déconcentration, bénéfique au marché de la
musique enregistrée. Dans un tel modèle, le consommateur lui-même deviendrait indépendant
de l’action des majors.
2) Un modèle économique viable du consommateur indépendant ?
Dans les débats relatifs à l’organisation de l’industrie musicale et les rapports existants
entre les majors et les indépendants, il semble qu’on oublie trop souvent le client. C’est
pourtant lui qui détermine in fine le succès ou non des œuvres musicales, ce qui paraît
d’autant plus vrai dans le monde numérique. En effet, l’abaissement des frontières à l’entrée
du marché musical peut tout aussi bien être bénéfique au consommateur lui-même. Il
bénéficie d’une plus grande liberté de choix et ne subi plus le matraquage promotionnel des
majors. Certes, le catalogue mis en avant reste sensiblement le même, mais les moyens d’y
accéder sont beaucoup plus simples. La rapidité des transactions est devenue un élément clé
dans les nouveaux modes de consommation.
En outre, l’internaute est parfois amené à décider lui-même du prix à payer pour le
produit souhaité. Le groupe Radiohead a en effet proposé ce procédé de vente atypique pour
son dernier album mis en ligne sur leur site internet le 10 octobre 2007. Les acheteurs avaient
donc la liberté de fixer eux-mêmes le prix auquel ils souhaitaient télécharger cet album,
aucune maison de disques n’interférant entre eux et le groupe. Le prix moyen aurait été de 4 à
6 euros, et on estime entre 1/4 et 1/3 le nombre d’internautes qui auraient choisis de ne rien
débourser151. Reste que le groupe aurait touché entre 4 et 8 millions d’euros pour 1,3 millions
d’albums vendus en 3 jours, alors que dans les circuits classiques il aurait dû vendre 2,5
millions d’albums pour gagner l’équivalent. De son côté, le consommateur ressort lui aussi
gagnant de ce procédé, qui lui permet alors de juger personnellement du coût devant revenir à
l’artiste.
151
Guillaud (H.), « Radiohead sans intermédiaire : le bilan », www.internetactu.net, 23 octobre 2007.
106
Ce court-circuit entre les producteurs, les artistes et les consommateurs représente bien
entendu un risque pour l’avenir de la création culturelle. Il est en effet dangereux de baser
l’économie d’une industrie culturelle sur le seul bon vouloir des consommateurs. Ceci
d’autant plus que l’on perçoit aujourd’hui dans l’esprit du consommateur une culture du « tout
gratuit » sur les réseaux de la toile relativement bien ancrée. De même, il semble difficile dans
une telle hypothèse pour les sociétés d’auteurs de gérer les modalités de rémunération de leurs
membres. Il serait alors peut-être plus judicieux pour l’instant que nos majors (et
indépendants) s’adaptent à la nouvelle donne numérique.
B L’adaptation des majors à la nouvelle donne
Les réseaux peer-to-peer n’ont pas fait disparaître les majors du champ de l’industrie
musicale. Celles-ci persistent au contraire, malgré ce nouveau monde, à imposer le star
system comme modèle économique (1.). Les majors s’intègrent également de plus en plus au
sein même du monde numérique, bien que leurs réticences à l’égard de ce dernier soient
toujours présentes (2.).
1) La pérennité du star system
Malgré une remise en cause évidente du star system ces dernières années, l’heure n’est
pas encore à sa disparition. Les artistes émergents font toujours face à de réelles difficultés
pour acquérir la visibilité médiatique nécessaire à leur carrière. Alors qu’en 2003 et 2004, la
part de ces derniers dans le top 100 des diffusions radiophoniques se situait à un tiers, elle est
descendue à 18% en 2005152. La visibilité des artistes méconnus ne semble donc pas
s’améliorer sur les canaux de prescription classique. Or, malgré la révolution du numérique,
les médias de masse recueillent encore une grande partie du public. L’aspect
intergénérationnel de la radio et de la télévision tend à jouer en leur faveur. De plus, le
comportement passif des consommateurs devant ces médias linéaires permet d’imprégner plus
facilement les esprits et d’inciter à l’achat d’un produit non prévu à l’origine. À l’inverse, les
152
Ibid, p. 19.
107
plateformes de téléchargement d’œuvres musicales requièrent un acte positif et volontaire de
la part de l’internaute, qui vient ici spontanément rechercher une œuvre. Dans cette logique,
internet ne recrute pas un nouveau public mais satisfait simplement une demande précise du
consommateur.
Il ne serait donc peut-être pas avantageux pour l’industrie musicale de substituer
purement et simplement le marché de la musique en ligne à celui de la musique enregistrée,
mais plutôt de s’en servir comme un moyen de redynamiser le secteur et d’en élargir l’accès
au plus grand nombre grâce à une offre plus riche. Les majors manifestent d’ailleurs de plus
en plus leur volonté de s’adapter à la nouvelle donne. Universal Music et Warner Music ont
ainsi créé des labels numériques, fondés sur des contrats de licence. Ils ciblent des artistes
débutants ou de notoriété moyenne, et se chargent uniquement d’assurer une présence sur les
plateformes numériques. Cette avancée effectuée par les majors ne doit masquer pour autant
leurs réticences encore présentes pour le monde de l’internet.
2) L’hostilité encore présente pour le numérique
Malgré les efforts fournis par les majors pour s’adapter à la donne numérique en
développant leurs catalogues sur internet, et cela même sans mesures techniques de
protection, la tendance dominante reste encore à ce jour les mouvements de réticence à
l’encontre de l’univers numérique. L’industrie musicale se sent encore trop menacée par le
piratage pour s’ouvrir entièrement à un mode de consommation numérique des œuvres
musicales. L’indépendance laissée aux internautes et aux artistes dans un tel cas de figure fait
craindre à l’industrie musicale une désorganisation totale des modalités de rémunération des
ayants-droit.
Le projet de loi contre le piratage, inspiré des conclusions de la mission Olivennes
remises fin novembre au gouvernement, devrait ainsi être présenté le 11 juin prochain au
conseil des ministres. Conformément aux recommandations formulées par Denis Olivennes,
ex PDG de la Fnac et chargé de mission par le gouvernement, le projet de loi préconise la
mise en place d'une Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur
l'Internet (Hadopi) et l'instauration d'un dispositif de riposte graduée qui viendrait se
substituer aux procédures pénales actuellement en vigueur en matière de téléchargement
108
illégal sur Internet. Cette autorité serait investie d'un pouvoir d'avertissement et de répression.
Dans un premier temps, elle enverrait aux internautes convaincus de téléchargement illégal un
ou plusieurs courriers d'avertissement, avant d'éventuellement prononcer une sanction allant
d'une interruption temporaire de l'abonnement à internet à la résiliation pure et simple de ce
dernier.
Cette persistance des pouvoirs publics français vers la répression intensive du piratage
fait écho à la crainte des ayants-droit face à ce phénomène de masse. Les majors pensent en
effet que le développement de l’offre de musique en ligne ne suffira pas à combler le manque
à gagner lié au piratage, et tel ne doit d’ailleurs pas être son rôle. Les plateformes de
téléchargement légal ne peuvent à elles seules venir concurrencer l’offre illégale sur internet.
Une lutte contre le piratage numérique doit bien être menée. Ce sont seulement les
mécanismes de cette lutte qui sont aujourd’hui remis en cause ainsi que l’absence de substitut
viable pouvant être proposé à la place de l’offre illégale. Les majors devront en effet renforcer
leurs efforts pour enrayer les échanges illégaux de fichiers, et repenser pour cela entièrement
leur stratégie commerciale et les modalités de fonctionnement du star system.
109
CONCLUSION
La phase de récession qui perdure maintenant depuis quasiment une décennie n’en finit
pas d’alimenter les campagnes lancées par les producteurs, voir les artistes, contre la
« menace » du numérique. Pourtant, l’industrie musicale ne se dirige pas vers une voie
destructrice mais se trouve au contraire dans une phase de transition. L’aboutissement de cette
phase la mènera vers une nouvelle période de croissance et de création. En attendant, le
numérique bouleverse l’organisation traditionnelle de l’industrie de la musique, tant du côté
de l’offre que du côté de la demande.
Aujourd’hui, autant les structures indépendantes que les majors, souffrent pour la
plupart de la chute des ventes de disques, alors que les bénéfices du numérique se font
toujours attendre. Il est vrai que les prémices d’un élargissement de la diversité musicale,
d’une déconcentration de l’offre au profit des labels indépendants, ou encore d’un
accroissement de la consommation totale suggéré par l’apparition d’offres illimités de
musique en ligne sont perceptibles. Pour autant, l’industrie musicale est encore à ce jour
gouvernée par un star system conduit par les majors. Les politiques de concentration, le
rétrécissement des fenêtres à l’entrée des canaux promotionnels, la faiblesse de la diversité
musicale, la place réduite accordée aux indépendants tant sur le marché physique que sur les
plateformes de téléchargement sont autant d’éléments encore d’actualité qui ralentissent la
phase de transition.
Il n’existe pourtant aucune raison pour que le piratage soit présenté comme une menace
et non comme une opportunité. Seulement, dans la perspective numérique, il n’est plus
efficace que la valeur créée par la musique soit capturée au niveau du support. En effet,
l’œuvre étant dématérialisée, il serait judicieux de percevoir sa valeur au niveau de l’accès à
un catalogue illimité, via le paiement d’un droit forfaitaire préférable aux tarifications à
l’unité. Contrairement aux craintes annoncées par les maisons de disques, la rémunération des
ayants-droits est également possible dans le monde numérique. Le mode de tarification de la
musique doit simplement évoluer et prendre également en considération les nouveaux
appareils de lecture, tels que le baladeur ou le téléphone mobile (c’est ce que l’on commence
à faire avec la taxation pour copie privée des nouveaux supports d’enregistrement).
110
Ainsi, toute l’architecture des relations entre les divers acteurs de la musique, qu’il
s’agisse des artistes, des labels, mais aussi désormais des FAI, des opérateurs de téléphonie
mobile, des fabricants de baladeurs numériques…doit être repensée. Pour cela, un effort de
coordination s’imposera certainement pour que tous les acteurs œuvrent dans le même sens.
L’industrie musicale n’a plus l’exclusivité de l’offre musicale et doit désormais construire son
marché on line en harmonie avec l’industrie du multimédia et du web. Cette cohérence entre
les acteurs, qui devra être accompagnée par les pouvoirs publics, permettra d’assurer le
financement d’une création musicale enrichie et diversifiée. Le star system risque ainsi, du
moins dans son mode de fonctionnement actuel, de perdre de son intérêt et de sa valeur d’ici
la fin de la période de transition de l’industrie musicale.
111
ANNEXES
Annexe 1 : Chiffres de l’industrie musicale en 2006
Annexe 2 : Parts de marché de la musique enregistrée en 2007
Annexe 3 : Industrie musicale et Radio
Annexe 4 : Industrie musicale et investissements publicitaires
112
ANNEXE 1
- Valeur du marché
Millions d’euros
2002
2006
Evolution en %
Evolution en M€
Ventes physiques
1302
819
-37%
-483
Ventes numériques
-
43
Total marché
1302
862
+43
-34%
-440
Source : SNEP
- Nombre d’albums commercialisés
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
0
2002
2003
2004
2005
2006
Source : SNEP
113
ANNEXE 2
- Parts de marché de la musique enregistrée au niveau mondial
2007
2007 vs 2006
Universal
31,4%
+2,5 pt
Sony-BMG
18,8%
-1,7 pt
Warner
13,5%
-0,2 pt
Emi
14,3%
-2,5 pt
Wagram
5,3%
+0,8 pt
16,7%
+1,1 pt
Total majors
78%
-1,9 pt
Total indépendants
22%
+1,9 pt
Autres
Source : Observatoire de la Musique
114
ANNEXE 3
Nouvelles entrées en playlist
Période
Titres
Part de marché
2006
2 303
3,7%
2005
2 527
4,2%
2004
2 360
3,9%
2003
2 373
3,9%
Source : SNEP
Part du top 40 (moyenne hebdomadaire)
2006
2005
2004
2003
Moyenne « jeune »
61%
61%
61%
60%
Moyenne « jeune adulte »
40%
39%
42%
41%
Moyenne « adulte »
21%
22%
22%
21%
Moyenne généraliste
39%
26%
27%
23%
Moyenne panel
45%
43%
44%
43%
Source : SNEP
115
ANNEXE 4
Les investissements publicitaires de l’édition phonographique en radio
140
120
100
80
60
40
20
0
2003
2004
2005
2006
Source : SNEP
Les investissements publicitaires de l’édition phonographique à la télévision
350
300
250
200
150
100
50
0
2003
2004
2005
2006
Source : SNEP
116
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V-
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www.legifrance.gouv.fr
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122
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements…………………………………………………………………………………4
Citations………………………………………………………………………………………..5
Abréviations................................................................................................................................6
Sommaire....................................................................................................................................7
Introduction…………………………………………………………………………………….1
TITRE I la domination du star system dans le monde du pré-numérique…………...16
Chapitre 1 L’industrie musicale dirigée par les majors du disque………………………..17
Section 1 l’hégémonie des majors du disque dans l’industrie musicale……………….17
§1 La structure actuelle du marché physique de la musique………………………….17
A Les différentes étapes de la fabrication du disque………………………………18
1)
La création artistique………………………………………………………...18
2)
L’industrialisation de l’œuvre musicale……………………………………...19
B La répartition des rôles entre indépendants et majors……………………………20
1)
La détection des talents par les indépendants………………………………..20
2)
Le suivi de la carrière de l’artiste par les majors…………………………….21
§2 La prépondérance des majors sur le marché physique de la musique……………..22
A L’économie du star system favorable aux majors……………………………….22
1)
Les coûts fixes de distribution et de promotion……………………………..23
2)
La concentration des ventes sur quelques titres……………………………..23
B Le droit d’auteur favorable aux majors…………………………………………..25
1)
Le contrat d’artiste…………………………………………………………...25
2)
Le contrat de licence…………………………………………………………26
Section 2 L’effet d’éviction des indépendants dans l’industrie musicale……………….27
123
§1 L’existence de barrières à la promotion et à la distribution du disque……………..28
A L’accès à la publicité télévisée…………………………………………………..28
1)
L’importance des investissements publicitaires……………………………..28
2)
Les conséquences de la suppression de la publicité sur le service public…...29
B L’accès à la distribution………………………………………………………….31
1)
La concentration de la distribution de détail………………………………...31
2)
Les politiques de remises dans la distribution de détail……………………..32
§2 La stratégie de préemption des canaux de prescription par les majors……………33
A L’accès à la programmation radiophonique……………………………………..33
1)
Le resserrement des play list………………………………………………...33
2)
Les accords au rendement…………………………………………………...34
B L’accès aux émissions musicales télévisées……………………………………...36
1)
Un accès filtré par l’apparition des producteurs-diffuseurs…………………36
2)
Un accès soumis au régime de la licence légale……………………………..37
Chapitre 2
L’industrie musicale tiraillée entre concentration et diversité………………..39
Section 1 L’industrie du disque en proie à de fortes concentrations……………………39
§1 Le renforcement de la situation oligopolistique des majors………………………..39
A Un phénomène de concentration horizontale…………………………………….40
1)
Le rachat des indépendants par les majors…………………………………..40
2)
Le rapprochement des majors entre elles……………………………………41
B Un phénomène d’intégration verticale……………………………………………42
1)
Le contrôle de la distribution………………………………………………...42
2)
Un contrôle parfois facilité par l’activité de la maison mère………………..43
§2 L’accroissement des risques d’abus de position dominante……………………….44
A Des politiques tarifaires imposées par les majors………………………………...45
1) L’impact de la fluctuation des pratiques tarifaires des majors sur les
indépendants……………………………………………………………………...45
124
2) L’impact éventuel d’une politique de prix fixe sur l’industrie
phonographique…………………………………………………………………..46
B Des politiques de fusion contrôlées par la Commission Européenne…………….47
1)
Des opérations de concentration autorisées………………………………….47
2)
Des opérations de concentration refusées……………………………………48
Section 2 L’industrie du disque en proie à des difficultés d’ordre culturelles…………49
§1 Une faiblesse culturelle en voie d’amélioration……………………………………49
A Un marché physique en route vers la diversité…………………………………...50
1) L'innovation musicale menacée par la concentration des producteurs...........49
2) L'action culturelle des sociétés de gestion collective.....................................50
B La promotion de la diversité culturelle par les pouvoirs publics…………………52
1)
La convention UNESCO…………………………………………………….52
2)
Le soutient des collectivités territoriales aux labels indépendants…………..53
§2 Une diversité culturelle soutenue par les pouvoirs publics………………………...55
A L’ambivalence de l’instauration des quotas……………………………………...55
1)
Les quotas de production et de diffusion……………………………………55
2)
Les quotas comme frein à la diversité……………………………………….56
B La timidité de l’intervention financière…………………………………………..57
1)
La mise en place d’un crédit d’impôt………………………………………..58
2)
L’attente d’une TVA à taux réduit…………………………………………..59
TITRE II La remise en cause du star system à l’ère du numérique……………………61
Chapitre 1 L’intégration malaisée des majors dans le monde numérique…………………62
Section 1 Un marché en ligne a priori favorable à l’innovation musicale……………...62
§1 Une diversité culturelle apparente………………………………………………….62
A La généralisation des nouvelles technologies dans les foyers…………………...63
1)
L’évolution des formats……………………………………………………...63
125
2)
L’augmentation du nombre de téléchargement……………………………...64
B La mise à disposition d’une offre abondante…………………………………….65
1)
L’apparition des réseaux peer to peer……………………………………….65
2)
La numérisation des catalogues……………………………………………..66
§2 Une diversité culturelle limitée…………………………………………………….67
A La position dominante de certaines firmes……………………………………….68
1)
La domination consacrée de la firme Apple…………………………………68
2)
Les fusions échouées des majors du disque avec les majors du multimédia...69
B La situation ambigüe de la diversité culturelle…………………………………...70
1)
Le contraste culturel entre l’origine des œuvres…………………………….71
2)
Le contraste culturel entre les genres musicaux……………………………..72
Section 2 Un marché en ligne touché par les effets négatifs du peer-to-peer…………..73
§1 Un piratage nuisible à l’industrie du disque……………………………………….73
A Les atteintes aux droits d’auteur…………………………………………………73
1)
Les contrefaçons par reproduction et par représentation…………………….74
2)
Les limites à l’exception pour copie privée………………………………….75
B Les atteintes indirectes au marché physique……………………………………...77
1) L’absence de corrélation vérifiée entre la chute des ventes de disque et le
piratage massif……………………………………………………………………77
2)
L’absence d’une régulation juridique on line………………………………..78
§2 Un piratage encadré par les réactions de l’industrie du disque…………………….79
A La sécurisation technique et juridique du marché de la musique en ligne………80
1)
La mise en place de mesures techniques de protection……………………...80
2)
La répression judiciaire……………………………………………………...81
B Les limites au verrouillage des œuvres sur le marché de la musique en ligne…...83
1)
L’absence d’interopérabilité des œuvres en ligne…………………………...83
2)
L’abandon progressif des mesures techniques de protection………………..84
126
Chapitre 2 L’intrusion réussie des indépendants dans le monde numérique………………87
Section 1 l’exploitation des effets positifs des réseaux peer-to-peer…………………...87
§1 La redistribution des rôles entre majors et indépendant…………………………..88
A L’abaissement des frontières à l’entrée du marché de la musique en ligne…….88
1)
La réduction des coûts de fabrication et de distribution…………………….88
2)
L’apparition d’une « longue traîne »………………………………………...89
B
Le renforcement de la présence des indépendants sur le marché de la musique
en ligne……………………………………………………………………………...89
1)
La promotion décentralisée des œuvres en ligne………………………….....91
2) Le rapprochement des indépendants pour une « cinquième » major sur la
musique en ligne………………………………………………………………….92
§2 La monopolisation des effets bénéfiques par les artistes…………………………..93
A Les bénéfices de l’augmentation des marchés induits de la musique……………93
1)
L’évolution du marché du spectacle vivant………………………………….93
2)
L’explosion du marché des sonneries de téléphones portables……………...95
B Les modalités de rémunération de l’artiste………………………………………96
1)
La faiblesse des revenus tirés des royalties………………………………….96
2)
L’importance des revenus tirés de la scène………………………………….97
Section 2 La réorganisation des majors face aux réseaux peer-to-peer………………...99
§1 La présence des majors sur de nouveaux secteurs d’activité………………………99
A L’apparition des webradios convoitées par les majors…………………………..99
1) Le fort potentiel des
webradios……………………………………………...100
2)
La question controversée de la licence légale pour les webradios…………101
B La renégociation des pratiques contractuelles…………………………………..102
1)
Les contrats à 360°…………………………………………………………102
2)
La nouvelle industrie du spectacle vivant………………………………….103
§2 L’émergence d’un nouveau modèle économique pour l’industrie du disque…….104
127
A L’indépendance des acteurs dans le monde numérique…………………………105
1)
Un modèle économique viable de l’artiste indépendant ?.............................105
2)
Un modèle économique viable du consommateur indépendant ?.................106
B L’adaptation des majors à la nouvelle donne……………………………………107
1)
La pérennité du star system..........................................................................106
2)
L'hostilité encore présente pour le numérique..............................................107
Conclusion…………………………………………………………………………………..109
Annexes……………………………………………………………………………………..111
Bibliographie………………………………………………………………………………..116
Table des matières…………………………………………………………………………..122
128