UTOPIA, une expérience d`économie sociale et solidaire

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UTOPIA, une expérience d`économie sociale et solidaire
Mémoire de recherche présenté par MELANIE DUVAL
Directeur de recherche : Olivier Philippe
Année 2009-2010
Une sociologie des bénéficiaires du DISPO,
le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse
Mémoire de 5ème année « Politiques et discriminations sociales » de l’IEP de Toulouse
2
Mémoire de recherche présenté par MELANIE DUVAL
Directeur de recherche : Olivier Philippe
Année 2009-2010
Une sociologie des bénéficiaires du DISPO,
le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse
Mémoire de 5ème année « Politiques et discriminations sociales » de l’IEP de Toulouse
3
Avertissement :
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de
recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure.
4
Sommaire
Avant propos et remerciements : ........................................................................................ 7
Introduction ................................................................................................................................ 8
A.
Ecole et égalité des chances......................................................................................... 8
1.
La méritocratie scolaire............................................................................................ 8
2.
La reproduction des inégalités sociales à l’école ................................................... 10
3.
L’égalité des chances dans l’enseignement supérieur ............................................ 12
Le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse ............................................. 15
B.
1.
Des premiers dispositifs à l’avènement d’un programme national ........................ 15
2.
Le DISPO ............................................................................................................... 17
3.
Les particularités du DISPO .................................................................................. 19
C.
La démarche du mémoire .......................................................................................... 21
1.
Intérêt du sujet........................................................................................................ 21
2.
Comment les entretiens ont-ils été réalisés? .......................................................... 23
3.
Problématique et annonce du plan ......................................................................... 26
L’évaluation du DISPO par les élèves .............................................................................. 29
I.
L’entrée dans le DISPO ............................................................................................. 29
A.
1.
La présentation par les professeurs ........................................................................ 29
2.
La réaction des parents........................................................................................... 31
3.
La réaction des amis............................................................................................... 33
B.
Le déroulement du programme.................................................................................. 36
1.
L’investissement ..................................................................................................... 36
2.
Une nouvelle manière de travailler ........................................................................ 38
3.
Les journées à Toulouse ......................................................................................... 40
L’évaluation des apports du DISPO........................................................................... 43
C.
II.
1.
Ce qui a plu aux élèves participants ....................................................................... 43
2.
L’impact sur l’ambition, la confiance en soi .......................................................... 46
Dans la famille et la société, les élèves trouvent leur place ............................................. 50
Le rôle de la famille dans les rapports à l’école ........................................................ 50
A.
B.
1.
Stratégies et projets scolaires ................................................................................. 51
2.
La mobilisation de modèles et contre-modèles familiaux ..................................... 56
Des élèves impliqués dans la société ......................................................................... 61
5
III.
1.
Exercer une activité professionnelle ...................................................................... 61
2.
Différentes formes d’engagement .......................................................................... 66
Des adolescents curieux et ouverts ................................................................................ 71
A.
Des pratiques culturelles personnelles éclectiques .................................................... 72
1.
L’exemple de la lecture entre légitimité et utilité................................................... 72
2.
Le plébiscite des écrans.......................................................................................... 77
Hors de la maison, un désir d’ouverture domine les pratiques culturelles ................ 84
B.
1.
Des activités culturelles contraignantes et enrichissantes ...................................... 84
2.
Une conception de l’extérieur tournée vers le futur ............................................... 88
Conclusion ................................................................................................................................ 95
Annexes .................................................................................................................................... 96
Bibliographie ........................................................................................................................ 96
Lexique ................................................................................................................................. 98
Convention de partenariat DISPO entre l’IEP et les lycées ............................................... 100
Des dispositifs égalité des chances pour l’accès à l’enseignement supérieur .................... 105
Résumé du mémoire ........................................................................................................... 107
6
Avant propos et remerciements :
Le choix du sujet de mémoire de fin d’étude de l’IEP de Toulouse est laissé à l’appréciation
des étudiants, j’ai donc choisi de traiter un thème qui s’insère parfaitement dans mon domaine
de spécialisation et mon projet professionnel. En effet, les problématiques liées à l’égalité des
chances dans l’accès à l’enseignement supérieur, très à la mode au sein des politiques qui
visent à promouvoir la diversité notamment dans les grandes écoles, ont été abordées dans un
des cours de la spécialité « Politiques et discriminations sociales » que j’ai suivie. Ayant
travaillé en parallèle dans le cadre d’un stage sur les mêmes questions mais auprès d’élèves en
échec scolaire et dans le cadre d’un partenariat avec des entreprises, je m’intéresse également
à ce domaine en tant que débouché professionnel. D’autre part, ce qui m’a poussé à faire ce
mémoire est la volonté de produire un travail de recherche appliquée que j’espère utile et de
qualité qui a le mérite de relayer la parole des élèves auprès des élaborateurs du programme
dans le but d’améliorer leur connaissance des bénéficiaires et de leurs besoins. Au-delà de la
matière brute et extrêmement riche des entretiens, j’ai souhaité commencer l’analyse plus
sous la forme d’une sociologie des bénéficiaires du DISPO que de celle de l’évaluation de
projet qui semble délicate et prématurée.
Je tiens à remercier avant toute chose pour leur patience et le temps qu’ils m’ont consacré
tous les professeurs référents et intervenants du DISPO, ainsi que l’ensemble des élèves
interrogés pour leur sympathie et leurs témoignages. D’autre part, merci à toute l’équipe du
DISPO, Olivier Philippe, Elise Cruzel, Paul Vinachès et Emilie Genoudet, dont l’aide dans ma
recherche a été très précieuse.
7
Introduction
Tout d’abord, et c’est surtout dans un souci de clarté, je souhaite replacer le dispositif égalité
des chances de l’IEP de Toulouse, nommé DISPO (Dynamique Innovation Sociale et
Politique), dans le contexte général de l’égalité des chances dans le cadre scolaire ainsi que
dans celui plus particulier des différents dispositifs d’accès à l’enseignement supérieur
développés par les grandes écoles (A). Je vais donc commencer par une rapide présentation de
la réflexion de la sociologie de l’éducation sur la méritocratie et les inégalités sociales à
l’école qui a amené à faire émerger le concept d’égalité des chances. Puis j’expliquerai le
principe du DISPO plus en détail (B), ainsi que l’objectif de ce mémoire en termes d’analyse
et la méthodologie utilisée pour réaliser les entretiens d’élèves qui constituent le terrain
d’étude sociologique à la base des réflexions qui vont suivre (C).
A.
Ecole et égalité des chances
L’école telle qu’elle est conçue en France est censée remplir deux objectifs qui peuvent
paraître contradictoires. Elle doit à la fois opérer une sélection des meilleurs afin de coller à
l’organisation hiérarchique de la société pour laquelle elle forme les individus et élever le
niveau de tous. Dans une société méritocratique organisée autour de l’école comme la nôtre, il
s’agit de donner à chacun la possibilité d’atteindre l’échelon le plus conforme à ses capacités.
L’école doit fournir des compétences efficaces et permettre une sélection équitable 1.
Pourtant elle semble reproduire les inégalités sociales de départ entre les individus et les
entériner sous couvert d’égalité d’accès à l’offre scolaire et de différences de mérite.
Conscient de ses contradictions, le système scolaire tente de s’en sortir, sans pour autant
remettre en question ses principes, grâce au nouvel impératif d’égalité des chances.
1.
La méritocratie scolaire
Le postulat qui est à la base du principe de la méritocratie est qu’à chaque génération,
les individus les plus talentueux et ce quelque soit leur origine sociale, peuvent accéder aux
meilleures places, par définition les plus reconnues socialement. Si l’on imagine que
l’héritage et les différences d’éducation sont abolis, le mérite produit alors des inégalités
justifiées. La méritocratie est donc naturellement le système qui paraît le plus juste et le plus
1
Jacky SIMON et Georges SOLAUX, « Ecole et égalité des chances », in Geneviève KOUBI et Gilles J.
GUGLIEMI, L’égalité des chances : analyses, évolutions et perspectives, La Découverte, Paris, 2000
8
efficace socialement : on peut circuler dans l’espace social, chacun peut prétendre à toutes les
positions sociales qui sont inégales entre elles. Ce principe ne remet en effet en question ni
l’inégalité des places, ni la hiérarchie qui caractérisent notre société. Pour autant on est face à
une illusion statistique car cela supposerait qu’il y ait dans tous les milieux autant d’élèves
capables et ayant l’ambition d’atteindre les niveaux les plus élevés et surtout cela supposerait
que l’école ne reproduise pas les inégalités sociales de départ entre les élèves. Deux choses
qui on le verra ne correspondent pas du tout à la réalité selon la sociologie de l’école.
François Dubet 2 montre que la croyance en la méritocratie repose sur une « fiction
nécessaire » : elle motive les élèves et alimente la croyance en une compétition juste, ce qui
est, selon le chercheur, plus confortable psychologiquement. Les enseignants insistent sur
l’importance et la récompense du travail, on commence à parler de différences d’aptitudes
entre les élèves car la somme de travail n’explique jamais tout : certains ont plus de
« facilités » que d’autres sans raison apparente. Pourtant et c’est là toute l’ambigüité, on a
besoin du mérite pour comprendre et accepter plus facilement les inégalités de position.
Comme l’explique Marie Duru-Bellat 3 , dans les sociétés libérales modernes, on préfère
généralement endosser la responsabilité de nos actions que de penser que c’est le fruit du
hasard ou du destin. Cependant l’adhésion au mérite a elle aussi un coût psychologique : il est
difficile pour les « perdants » du jeu méritocratique de reconnaître leur absence de mérite…
L’échec scolaire s’accompagne d’ailleurs souvent d’une dévalorisation de soi alors même que
le système scolaire n’évalue qu’une petite facette des compétences et des connaissances de
l’individu.
En effet, il faut bien comprendre que le mérite se définit dans une société donnée, à un
moment donné. Les compétences scolaires évaluent les individus à partir d’un idéal de culture
défini par l’école en fonction des attentes de la société et qui inclut des normes
comportementales et morales. Bien que les compétences scolaires ne soient pas les seules à
être ensuite valorisées dans la vie, dans les représentations, le diplôme qui les sanctionne joue
encore un rôle décisif dans l’emploi occupé, son rang dans la hiérarchie sociale et le salaire
qui y est assorti. Ce que l’on appelle la « tyrannie des diplômes » entraîne un surcroit de
compétition dans le milieu scolaire d’autant plus que les places se font relativement rares face
2
François DUBET, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, La République des idées, Seuil, 2010
Marie DURU-BELLAT, Le mérite contre la justice, « Nouveaux Débats », Presses de la Fondation nationale
des sciences politiques, 2009
3
9
à la montée du chômage et à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Alors même que
l’on constate que la corrélation entre le diplôme et la position sociale occupée tend à diminuer,
les individus ressentent la nécessité de toujours plus se différencier. Ces comportements sont
à la base du phénomène d’inflation scolaire auquel on assiste aujourd'hui et renforce
l’impression des familles que l’on ne peut s’en sortir que par l’école.
Sans rejeter le principe du mérite, Marie Duru-Bellat propose de combiner plusieurs principes
de justice : l’égalité, le mérite et l’autonomie. Il faudrait, selon elle, que l’école puisse remplir
sa fonction d’instruction de tous et que la même attention soit accordée à chacun car le fait
que certains travaillent plus que d’autres ne justifie de toute façon pas de laisser ces derniers
dans l’ignorance. Pourtant, et elle le rappelle en conclusion, tout dépend de comment on
définit le mérite…
2.
La reproduction des inégalités sociales à l’école
Le principe méritocratique n’a pas toujours régi l’école à la française, au début les
différenciations sociales et de niveaux de l’école de Jules Ferry étaient voulues et assumées :
l’école primaire qui s’adressait aux classes populaires faisait face aux petites classes des
lycées payantes qui permettaient aux élèves de milieux aisés de continuer ensuite. Mais
depuis la Seconde guerre mondiale, l’objectif affiché est d’élever le niveau général et le
système s’unifie. Avec l’homogénéité de l’offre scolaire qui apparaît comme la base de la
justice, le tronc commun doit durer le plus longtemps possible. Cependant la sélection des
meilleurs et l’élévation du niveau culturel entrent en tension 4 : on affirme l’égalité face aux
règles de sélection, c'est-à-dire l’égalité d’accès à l’école, mais pas du tout l’égalité de
résultats qui n’est d’ailleurs pas souhaitable puisque demeure ensuite l’inégalité des places
dans la société à laquelle l’école prépare.
Malgré l’affirmation de la méritocratie, de nombreuses études montrent que loin de les
niveler, l’école reproduit voire aggrave les inégalités sociales de départ. Dès la naissance les
enfants sont plongés dans différents contextes affectifs et d’apprentissage plus ou moins
stimulant. Ils arrivent à l’école différemment armés, imprégnés des valeurs de leurs parents
ainsi que de la façon dont ces derniers perçoivent l’école. L’école primaire n’arrivera pas à
combler ces écarts d’abord parce que les savoirs scolaires sont cumulatifs et ensuite parce que
4
Marie DURU-BELLAT, Le mérite contre la justice, « Nouveaux Débats », Presses de la Fondation nationale
des sciences politiques, 2009
10
même à niveau égal au départ, les enfants progressent inégalement selon leur classe sociale5.
Au collège, une part des inégalités se fabrique ensuite par des choix d’options, ou de langues
effectués souvent dans une logique de distinction très liée à l’origine sociale de la famille et
qui a pour effet de regrouper dans des classes les bons élèves venant de milieux plutôt
favorisés. En fin de classe de troisième, l’orientation s’opère en fonction du niveau scolaire
mais aussi souvent en fonction de la classe sociale et cela se remarque notamment à résultats
comparables. En effet, à niveau scolaire égal et très moyen, les parents des classes populaires
feront beaucoup moins que ceux de milieux favorisés des demandes d’études sélectives dans
lesquelles les risques d’échec sont plus importants, or ces demandes sont, dans la plupart des
cas, entérinées telles quelles par les conseils de classe. On assiste donc de manière générale à
une démocratisation ségrégative de l’enseignement secondaire car si 80% des fils de cadres
entrés en sixième obtiendront un bac général ou technologique, ce sera le cas de seulement
32% des fils d’ouvriers.
On peut aussi ajouter que l’école aggrave les inégalités sociales notamment par la
concentration ensemble des plus faibles que cela soit dans des quartiers de relégation ou
simplement à l’intérieur de certaines classes. Ils ont d’autre part face à eux des maîtres et des
professeurs moins optimistes et moins expérimentés, des parents moins ambitieux et moins de
ressources éducatives non scolaires à leur disposition6.
Ces inégalités de départ, marquées socialement et perpétuées par l’école tout au long de la
scolarité comme on vient de le voir, continuent à jouer à l’entrée dans les études supérieures.
Alors que les enfants de professeurs ou de cadres supérieurs ne représentent que 15% de la
population, ils représentent 30% des étudiants d’université, 50% de ceux des classes prépa et
60% de ceux des grandes écoles.
Les résultats de l’étude PISA7 qui compare les performances des élèves de 15 ans des pays de
l’OCDE et leur évolution dans le temps, confirment ce constat. Selon l’analyse qu’en font C.
Baudelot et R. Establet8, le niveau général monte, il y a trois fois moins de jeunes qui quittent
le système scolaire sans diplôme, cependant les écarts se creusent. Or PISA montre que le
5
Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème
édition, 2007
6
François DUBET, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, La République des idées, Seuil, 2010
7
Program for International Student Assessement dont on peut trouver les résultats sur :
http://www.oecd.org/document/24/0,3343,en_32252351_32235731_38378840_1_1_1_1,00.html
8
Christian BAUDELOT, Roger ESTABLET, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des
comparaisons internationales, La république des idées, Le Seuil, mars 2009
11
meilleur moyen de dégager des élites nombreuses est de porter l’essentiel des efforts sur
l’école de masse car le volume de l’élite scolaire est inversement proportionnel au volume de
l’échec scolaire. La massification conçue pour lutter contre le chômage a élevé le niveau et
réduit les inégalités cependant PISA révèle que la France est un des pays où les résultats
scolaires sont les plus liés à l’origine sociale et au capital culturel des parents.
3.
L’égalité des chances dans l’enseignement supérieur
L’égalité d’accès à l’école qui est une égalité en droits inscrite dans la loi ne garantit
donc pas forcément l’égalité réelle dans le cadre scolaire comme le montrent les réalités
sociales et économiques de la réussite que l’on vient d’exposer. L’appréhension de l’égalité
s’accompagne ici du constat des inégalités, il faut donc préparer des mécanismes de
correction. Le Conseil d’Etat souligne alors « l’exigence d’équité pour toute tendance visant à
rompre l’égalité des droits pour réaliser l’égalité des chances »9. Comme la loi, et le principe
d’égalité face à la loi, peinent à prendre en compte la diversité des situations individuelles, on
penche pour une forme supérieure d’égalité en introduisant un jugement moral du juste et de
l’injuste afin de compenser les inégalités. On reconnaît que certaines caractéristiques de
l’individu qui peuvent être économiques, inscrites dans le corps (sexe, phénotype,
handicap…etc.) ou instituées socialement les rendent plus vulnérables et nécessitent une
adaptation de la part des institutions face à leur cas spécifique.
Suivant ces principes, les dispositifs égalité des chances développés dans le cadre scolaire
reconnaissent qu’une part seulement des destinées des personnes correspond à leur mérite, à
leur responsabilité individuelle. Ils se présentent alors comme des correctifs destinés à
perpétuer la croyance en un principe méritocratique et légitimant la société des places.
Il existe deux ensembles de mesures pour promouvoir l’égalité des chances à l’école à
partir de la réforme Haby en 1975 qui en fait un objectif de l’éducation : les mesures
pédagogiques et les mesures de discrimination positive 10 . Les mesures pédagogiques sont
généralement des mesures de soutien ou d’aide individualisée qui au départ était réservées aux
seuls élèves en difficultés mais ont ensuite été généralisées à tous les élèves mais en groupes
restreints, fort du constat qu’isoler les élèves les plus mauvais ne leur permettait pas d’avancer.
Les mesures de discrimination positive se caractérisent elles par l’octroi d’un budget
9
Sur le principe d’égalité, rapport du Conseil d’Etat, 1996, Considérations générales, EDCE, n°48.
Jacky SIMON et Georges SOLAUX, « Ecole et égalité des chances », in Geneviève KOUBI et Gilles J.
GUGLIEMI, L’égalité des chances : analyses, évolutions et perspectives, La Découverte, Paris, 2000
10
12
supplémentaire et donnent lieu à des aides directes comme les bourses (collège, lycée et
enseignement supérieur) ou la création des Fonds sociaux dans les années 1990, ainsi qu’à des
aides indirectes notamment la gratuité des manuels scolaires ou les avantages octroyés aux
zones d’éducation prioritaire (ZEP) créées en 1981.
Depuis peu, le terme « égalité des chances » pourtant instauré comme principe
d’orientation générale par la loi sur l’avenir de l’école du 23 avril 2005, renvoie de plus en
plus spécifiquement aux dispositifs de démocratisation mis en place par les grandes écoles
pour diversifier leur recrutement et tenter d’attirer en leur sein les élèves les plus méritants des
classes populaires. Comme il est difficile d’agir sur les aléas de la vie et sur une réduction des
inégalités de manière générale, on introduit des correctifs au système sous la forme d’une
seconde chance. C’est ce que l’on comprend clairement dans l’entretien réalisé avec Paul
Vinachès, le coordinateur pédagogique du DISPO, il explique que l’idée est de
« poser des valeurs avec quelques profs et d’être confronté aux résultats, pas être dans
l’imaginaire, dans la sociologie ou dans l’action syndicale, mais être dans quelque
chose de concret »
L’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur est par ailleurs un objectif
affirmé par les pouvoirs publics qui s’exprime par exemple à travers la volonté d’atteindre le
quota des 30% de boursiers dans les grandes écoles.
On peut constater que ces dispositifs concernent surtout les formations dites
d’excellence et plutôt très sélectives11. Derrière Sciences Po Paris et la mise en place de ses
Conventions Education Prioritaire (CEP), la plupart des grandes écoles françaises ont lancé
leur propre programme égalité des chances plutôt dans un esprit qui se veut justement
différent de Sciences Po.
Si ces programmes se sont construits pour la plupart en opposition à celui de Sciences
Po Paris c’est parce que ce dernier a la particularité de signer des conventions avec des lycées
de ZEP dans toute la France depuis 2001 afin d’ouvrir l’accès aux meilleurs élèves de ces
lycées à une voie d’admission parallèle à Sciences Po, tout aussi sélective que le concours,
mais qui est basée sur d’autres critères de sélection supposés moins scolaires et qui leur est
réservée. Le principe même d’ouvrir un concours parallèle et réservé soulève un tollé chez les
autres grandes écoles, hostiles à toute sélection de faveur susceptible de faire baisser le
niveau. Le second modèle de dispositif égalité des chances qui se construit donc en réaction
11
Voir le tableau qui résume les particularités de certains dispositifs égalité des chances (en Annexe).
13
aux CEP a été celui de l’ESSEC lancé en 2003 et intitulé « Pourquoi pas moi ? » qui a ensuite
fait école auprès de multiples établissements d’enseignement supérieur grâce au soutien de la
Conférence des grandes écoles. Il s’agit de préconiser le tutorat des étudiants auprès de bons
et très bons élèves de zones défavorisées sur le territoire autour de l’école afin de les aider à
monter un projet professionnel grâce à l’acquisition d’un capital culturel et de codes sociaux.
Le dénominateur commun entre ces dispositifs égalité des chances d’accès aux études
supérieures réside surtout dans le discours. Il s’agit de lutter contre les inégalités, de favoriser
la mixité sociale dans la grande école concernée et de redonner confiance en soi à de bons
élèves de milieux défavorisés. Ceci doit notamment s’effectuer par le biais du tutorat étudiant
comme le préconisent les pouvoirs publics12.
Les dispositifs diffèrent ensuite sur plusieurs points. Tout d’abord sur le public touché : les
lycées sont sélectionnés sur critères sociaux, géographiques ou de catégorisation (ZEP,
Ambition réussite) et les élèves participants peuvent être bons, très bons ou simplement
volontaires. Le tutorat repris par tous s’applique lui aussi de manière diverse, les étudiants ne
se substituant pas systématiquement aux enseignants : il peut s’agir de cours de soutien,
d’aide à l’acquisition de codes sociaux, de coaching…etc. Les débouchés offerts par les
dispositifs sont eux aussi assez variés, certaines écoles cherchent avant tout à diversifier leur
recrutement tandis que d’autres pensent qu’il faut permettre aux élèves de construire un projet
personnel et professionnel. Les cadres dans lesquels sont développés ces dispositifs sont
également variables : ils peuvent s’inscrire dans une politique publique ou relever d’une
initiative semi-privée financée par des entreprises partenaires. Depuis l’instauration des
Cordées de la réussite et avec le soutien des collectivités locales, ce sont souvent les deux
modes de financement qui jouent. D’autre part, certains dispositifs offrent des aides
matérielles ou des aides au financement des concours et des frais de scolarité aux élèves
participants. Pas toujours mis en avant, les liens avec les entreprises sont pourtant au cœur de
certains dispositifs13 qui se caractérisent par des après-midi en entreprise, des rencontres, des
stages, cela peut même relever d’une volonté de promouvoir la diversité de l’entreprise.
12
En octobre 2006, Gilles de Robien, ministre de l’Éducation nationale, lançait l’opération « 100 000 étudiants
pour 100 000 élèves » ; les Cordées de la Réussite lancées en novembre 2008 par la ministre de l’Enseignement
Supérieur Valérie Pécresse et la secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville Fadela Amara, sont animées
par des jeunes.
13
Le Cercle Passeport Télécom lancé en 2005 est une association regroupant sept grandes entreprises télécoms et
accompagnant des élèves inscrits en classes préparatoires technologiques situées dans des ZUS pour leur
permettre de faire une école de commerce ou d’ingénieurs.
14
B.
Le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse
L’IEP de Toulouse a développé un premier programme égalité des chances dénommé IEPLycées cibles entre 2006 et 2009 avant de lancer de manière plus ambitieuse, le DISPO,
Dynamique Innovation Sociale et Politique, sur les années 2009-2012. Tout en s’inscrivant
dans le cadre des politiques publiques, l’IEP n’a de cesse d’affirmer sa particularité et de
vouloir alimenter la réflexion générale sur le principe d’égalité des chances et son application
très concrète.
1.
Des premiers dispositifs à l’avènement d’un programme national
Le programme IEP-Lycées cibles s’inscrit dans la ligne des propositions de la
circulaire du 22 août 2005 relative à l’égalité des chances du ministère de la Ville. C’est un
dispositif mis en place en partenariat avec six lycées 14 de l’Académie de Toulouse dont le but
est de favoriser le choix de faire des études supérieures longues, notamment dans des filières
sélectives, chez les élèves participants. Ceux-ci sont constitués en groupes d’élèves issus de
milieux populaires : en effet, on suppose que les conditions sociales dans lesquelles ils ont
grandi peuvent les rendre peu enclins à la poursuite d’études malgré leur niveau scolaire. Les
objectifs du programme sont résumés ainsi :
-
Transformer les représentations attachées aux études supérieures que ce soit celles des
élèves, des familles ou de la communauté éducative.
-
Révéler et accompagner les ambitions des élèves.
-
Contribuer à l’acquisition des méthodes de travail, de la culture et des codes sociaux
favorisant la poursuite d’études universitaires.
-
Evaluer et rendre compte annuellement de l’apport du programme.
Le dispositif se décline en actions présentes sur les 3 niveaux du lycée. En seconde, les élèves
participent à des ateliers d’expression écrite et orale notamment à travers des activités
extrascolaires, cela représente pour eux un travail sur la présentation de soi et l’ouverture
culturelle. Les premières, eux, participent à des ateliers orientés vers la communication qui
donnent lieu à un débat de fin d’année à Sciences Po tandis qu’en terminale, les élèves suivent
des cours de préparation aux études, une demi-journée d’information sur les filières
d’excellence et bénéficient enfin d’une journée d’immersion à l’IEP.
14
Les lycées des Arènes, Berthelot, Rive Gauche à Toulouse, le lycée Bourdelle à Montauban, le lycée Jean
Jaurès à Carmaux et le lycée de Mirepoix.
15
Les enseignants référents du programme de chacun des lycées cibles participent à un Groupe
de Recherche et Formation (GRF) soutenu par le Rectorat afin d’évaluer les actions du
dispositif pour pouvoir proposer des améliorations par la suite.
A l’issue de cette action, Sciences Po s’est vu décerner le label Cordées de la réussite
en 2009 dans le but de la pérenniser et a décidé d’élargir son action à d’autres lycées de
l’Académie dont le pourcentage d’élèves de milieux défavorisés était supérieur à la moyenne
départementale. Cependant sur cette période 2006-2009 avant donc la mise en place du
DISPO, l’IEP agissait également sur d’autres plans. On peut notamment citer le tutorat
effectué par des étudiants du diplôme auprès de lycéens qui venaient de collèges classés ZEP
et avaient contournés la carte scolaire pour rentrer dans des lycées de centre ville (comme les
lycées Fermat, Saint-Sernin et Ozenne) ou des actions en partenariat avec des collèges comme
celui de Bellefontaine. Ces autres aspects du dispositif égalité des chances de l’IEP ont par la
suite été abandonnés15 car c’est vraiment à partir de l’IEP-Lycées cibles que le DISPO a été
monté.
A partir de 2009, le dispositif égalité des chances désormais appelé DISPO s’inscrit
dans une dimension nationale conditionnée par le regroupement de 6 IEP de province16. Ces
derniers organisent un concours d’entrée en première année commun et les programmes
égalité des chances de chacun comportent certaines caractéristiques communes mises à
disposition des autres par les IEP les plus avancés sur le sujet. Le programme commun, appelé
IEPEI 17 , est donc à la fois reconnu Cordée de la réussite et l’objet d’une convention
directement signée avec le Ministre de l’Education Nationale.
Plusieurs éléments sont mis en commun au niveau des 6 IEP même si le dispositif en lui
même reste à l’appréciation de chacun. Le premier élément, mis en place dès 2008 par l’IEP
de Lille, est une plateforme électronique qui permet aux élèves de terminales de préparer le
concours commun grâce à des documents, des éléments de méthodes ainsi que des exemples
de copies corrigées en ligne. De même l’évaluation en ligne du dispositif qui permet le suivi
des élèves sur 3 ans dans les lycées et ensuite sur 5 ans post-bac est commune, celle-ci a été
mise en place par l’IEP de Toulouse dans le cadre du GRF. Il s’agit de renseigner chaque
année et pour chaque élève les caractéristiques socio-économiques de sa famille, son niveau
15
Notamment à cause de l’assouplissement de la carte scolaire, voir pour cela l’entretien d’Elise Cruzel réalisé
par Charlotte BOUYSSOU pour son mémoire consacré au dispositif égalité des chances de l’IEP en 2008.
16
Ce sont les IEP d’Aix, de Lille, de Lyon, de Rennes, de Strasbourg et de Toulouse
17
Programme d’Etudes Intégrées de l’IEP
16
scolaire, ses vœux d’orientation afin de pouvoir suivre son évolution. Le système
informatique, commun aux 6 IEP, permet la production de statistiques comparatives simples
mais de manière immédiate sur les différents critères évoqués. Il permet en effet de croiser les
données deux par deux.
Lors de la signature en janvier 2010, Luc Châtel18 a souligné que la Convention PEI devait
être encouragée pour son originalité. Il faisait référence au recours à une plateforme
électronique, au rayonnement du dispositif qui profite à la fois d’une implantation régionale et
d’un maillage quasi national, ainsi qu’à la mobilisation des professeurs de lycée.
2.
Le DISPO
Plus particulièrement à l’échelle de l’IEP de Toulouse, le DISPO s’inscrit ensuite dans
un contexte régional particulier. Les objectifs demeurent les mêmes que ceux du projet IEPLycées cibles sauf qu’ils concerneront pour les années 2009-2012 seize lycées de
l’Académie19 ce qui permet de mieux mailler le territoire de la Région la plus vaste de France
et qui se caractérise par une hypercentralisation autour de Toulouse. D’autre part les actions
proposées ont été modifiées et sont là aussi à la fois plus ambitieuses et mieux adaptées à un
fonctionnement avec de nombreux lycées.
En passant par les proviseurs, tous les lycées de l’Académie ont été contactés au sujet
du DISPO. Parmi ceux qui ont répondu à l’appel à projet, seuls ceux qui correspondaient au
niveau de leur composition sociologique aux critères posés par le Rectorat ont été retenus.
Même si pour des raisons pratiques, le nombre de lycées ne pourra pas s’étendre indéfiniment,
le DISPO a vocation à toucher de plus en plus de bénéficiaires. Un professeur référent est
désigné pour chaque lycée, il est chargé d’organiser les séances de travail avec les professeurs
intervenants, de sélectionner les élèves participants en seconde, ainsi que de monter un dossier
« Projet d’avenir » auprès de la Région afin de financer ses dépenses matérielles, comme la
venue des groupes à Toulouse pour le concours d’actualité ou le colloque. La sélection des
élèves est strictement définie par la convention signée entre les lycées et l’IEP cependant on le
verra, dans les faits, elle est beaucoup laissée à l’appréciation des professeurs référents.
Notamment le critère d’avoir des groupes d’élèves composés de 2/3 de boursiers et 1/3
18
Voir la vidéo de la signature de la Convention http://www.education.gouv.fr/cid50346/signature-d-uneconvention-cadre-entre-le-ministere-et-six-i.e.p.html, 100 000€ ont été affectés pour mener à bien ce projet
19
Ce sont les 6 lycées précédemment cités auxquels s’ajoutent Raymond Savignac à Villefranche de Rouergue,
Raymond Naves à Toulouse, Alain Fournier à Mirande, Jean Lurçat à Saint Céré, Léo Ferré à Gourdon, Victor
Hugo à Gaillac, Las Cases à Lavaur, Claude Nougaro à Monteils, Marie Curie et Théophile Gautier à Tarbes.
17
d’autres élèves20 n’est pas toujours respecté, alors même qu’il est l’assurance d’avoir affaire à
des élèves de milieu modeste (ou qui ont des difficultés financières) et de garantir une mixité
sociale dans les groupes. Lors des séances de travail, les groupes d’élèves sont à chaque fois
encadrés par des enseignants du lycée et parfois par des étudiants tuteurs qui viennent à deux
reprises dans l’année partager leur expérience avec les élèves et amener leur expertise sur leur
travail ou leur manière de travailler.
L’IEP n’a pas souhaité entretenir des rapports bilatéraux avec les lycées, mais bien travailler
en réseau, les réunions d’informations ou de formation à l’outil informatique (plateforme,
évaluation) se font avec l’ensemble des professeurs référents qui peuvent ainsi se rencontrer.
Le Groupe de Recherche et Formation monté dans le cadre de l’action IEP-Lycées cibles est
quant à lui encore actif pour une année et ne fonctionne qu’avec les professeurs référents des
six lycées de départ. Pour s’être posé comme une vraie force de proposition et avoir fait ses
preuves en termes de travail collectif et contributif, il est question de l’élargir aux professeurs
référents volontaires des autres lycées, ce qui se fera cependant probablement dans un autre
cadre qu’un GRF qui ne peut être renouvelé.
Pour ce qui est du programme proposé par niveau, les secondes participent à la fin de
l’année, à un concours d’actualité qui se tient dans un lieu symbolique du pouvoir, cette fois
dans l’amphithéâtre de l’hôtel de Région. Ils doivent présenter les productions effectuées (que
ce soit un journal papier, une page web ou une vidéo) sur le thème retenu, cette année celui de
« l’argent ». Les lycées sont ensuite classés par un jury sur la base de leurs productions et de
leurs présentations, chaque élève participant reçoit un prix allant de romans à des ordinateurs
portables ou un voyage linguistique. Sous la forme d’une première incitation matérielle à
participer, l’objectif est de confronter très tôt les élèves à la compétition et l’idée de
classement.
Les premières organisent un colloque autour d’un thème choisi par les professeurs référents
cette année « jeunesse et territoire », l’objectif est de les faire réfléchir sur et à partir de leur
territoire notamment en menant une enquête de terrain en allant à la rencontre d’acteurs
locaux. Ils réalisent une communication pendant une journée de présentation qui se déroule
dans un amphithéâtre de l’IEP. Cela valorise la parole des élèves et leur permet de travailler à
20
Dans la convention, les indications suivantes sont données pour aider à choisir le tiers restant : filles ; parent(s)
salarié(s) dans les PCS ouvrier, agriculteur, artisan ou employés ; parent(s) sans profession, au chômage ; lycéens
issus des collèges ZEP ou Ambition réussite ; résidant en Z.U.S ; famille monoparentale ; situation de handicap,
difficultés familiales particulières (décès, longue maladie,…). Voir la convention en Annexe.
18
la fois l’expression écrite et orale, ainsi que la synthèse des éléments recueillis.
Quant aux terminales, ils préparent le concours commun des 6 IEP grâce à la plateforme
électronique à laquelle ils ont libre accès et à des cours de culture générale, langues et histoire
proposés par des professeurs intervenants. Ces cours mettent l’accent sur la problématisation
plus que sur la simple acquisition de connaissances comme l’explique le professeur référent
du lycée Berthelot à Toulouse :
« Après ça leur apprend plus à problématiser je pense, au fond, ils voient des gens et
apprennent à poser des grandes questions avec des regards transversaux, alors qu’en
terminale on donne des bribes, y a pas cette volonté de proposer une lecture
problématisée du programme à l’avance, tandis que là, chaque prof essaye de
proposer une problématisation par séance ».
Cela s’accompagne aussi d’action d’immersion dans l’IEP comme par exemple assister à un
cours en rapport avec les thèmes de réflexion au programme du concours.
3.
Les particularités du DISPO
Par ailleurs on peut souligner la position originale du DISPO sur d’autres plans que
ceux déjà dégagés par le ministre de l’Education Nationale. Comme l’explique Paul Vinachès,
le coordinateur pédagogique du DISPO :
« L’égalité des chances, je trouve qu’il y a un côté un peu saupoudrage sur ce type de
mesure, même si nous on essaye de faire autre chose, c’est ça qui me convainc, c'està-dire qu’à partir du cadre qu’on a eu et des financements qu’on a eu notamment à
travers les Cordées de la réussite. C’est d’arriver à tracer une singularité dans notre
programme, pas faire du coaching, mais arriver à mettre les élèves en situation réelle
dans les événements etc. »
En effet, contrairement à la plupart des dispositifs égalité des chances et aussi
contrairement aux injonctions faites par les politiques publiques, le recrutement des lycées ne
se limite ni aux zones urbaines sensibles, ni à celles de l’éducation prioritaire, et pour cause, il
n’y en a quasiment pas dans l’Académie de Toulouse. L’idée du DISPO est de prendre
particulièrement en compte la problématique de la ruralité et de l’éloignement géographique
par rapport à Toulouse quand on sait qu’en pleine diagonale du vide, on pourrait encore
soulever le thème de « Toulouse et le désert midi-pyrénéen »21. En effet, l’espace à dominante
rurale représente les ¾ du territoire (et seulement un tiers de la population) tandis que la
région ne compte que trois grandes aires urbaines et en tout 11 aires urbaines de plus 20 000
habitants. L’étalement urbain autour de Toulouse et la relative absence de villes capables de
21
J-C. BOYER, L. CARROUE, J. GRAS, A. LE FUR et S. MONTAGNE-VILLETTE, La France des 26
régions, Collection U, Armand Colin, 2009, chapitre 15 « Midi-Pyrénées ».
19
contrebalancer son poids dans une Région qui plus est très vaste se font donc ressentir. Si
Toulouse redistribue certaines fonctions dans les villes de la première couronne, les espaces
régionaux périphériques, à l’exception de Tarbes, s’avèrent fragiles. Le recul agricole ou la
crise des industries traditionnelles renforcent les difficultés socio-économiques des habitants.
D’autre part, Toulouse concentre les trois quart des étudiants. L’éloignement à Toulouse joue
donc pour toutes ces raisons sur les ambitions des élèves en termes d’études supérieures et
d’orientation professionnelle comme l’indiquent ces propos du professeur référent du lycée
Léo Ferré de Gourdon :
« j’ai trouvé qu’ils avaient une grande inégalité des chances due à cette ruralité, cet
éloignement de tout, que les élèves s’autocensuraient des études supérieures, ils
avaient plus tendance à faire des études proches de leur lieu de vie, et il y avait une
méconnaissance des études supérieures en règle générale […] même les élèves
brillants, et j’avais vu ça en étant prof principale en terminale, je me disais, mais
pourquoi ils vont tous faire des BTS à Brive ? »
D’autre part, le choix a été fait au sein des lycées, de ne pas recruter uniquement des élèves
issus des classes populaires. Il y a une volonté très affirmée de mixité, afin de favoriser les
échanges et d’éviter la stigmatisation qui aurait pu voir le jour surtout dans les petits lycées de
300 ou 400 élèves. De plus, si le critère du niveau scolaire entre en ligne de compte, ce n’est
pas l’excellence qui est de mise. En effet, loin d’être réservé aux meilleurs, le DISPO
accueille les élèves qui ne sont pas « en difficulté » et qui semblent susceptibles de profiter de
cette ouverture. On peut voir aussi que par rapport aux effectifs de certains lycées, ce
programme concerne un nombre d’élèves assez conséquent et son impact peut alors se révéler
significatif dans certaines classes notamment en première et en terminale de la filière ES, on y
reviendra.
Enfin le fait que le programme se déroule sur 3 ans est une spécificité. Même si comme on l’a
vu avec la consolidation des inégalités sociales pendant le cursus scolaire, il semble intervenir
trop tard dans la scolarité, on peut cependant souligner qu’on n’est pas ici dans du
saupoudrage et du ponctuel. Les élèves sont amenés à se retrouver régulièrement dans l’année
au gré des séances de travail organisées et ce pendant toute leur scolarité au lycée.
Comme son prédécesseur IEP-Lycées cibles, il convient de rappeler que le DISPO ne se limite
pas à pousser les élèves vers l’orientation en classe prépa (CPGE) ou dans les grandes écoles
et encore moins à simplement les préparer au concours commun des IEP. Il s’agit bien de
valoriser les études supérieures en général, selon les goûts affirmés par chacun et tout en
veillant à ce que les élèves soient bien informés de toutes les possibilités qui s’offrent à eux
20
(que cela soit sur le plan des aides, de l’offre de formation, des compétences requises) et ne
s’autocensurent pas.
C.
La démarche du mémoire
L’idée de départ du mémoire a émergée au regard des modalités d’évaluation prévues
dans le DISPO, c'est-à-dire la nécessité, en plus du traitement statistique des données
recueillies par les enseignants à partir d’un questionnaire rempli par les élèves, d’interroger
plus précisément certains élèves participants. En effet s’en tenir à des données quantitatives,
même si elles sont assez précises, ne permet pas de comprendre les raisons qui peuvent
infléchir un parcours : on verra par exemple l’évolution des vœux d’orientation de manière
factuelle, mais on ne saura pas pourquoi ceux-ci ont évolué. De la même manière de
nombreuses caractéristiques socio-économiques peuvent être invoquées pour expliquer une
trajectoire de vie, cependant recueillir des informations qualitatives apporte un éclairage
nouveau, personnalisé. Enfin l’étude de la parole des élèves permet de recevoir directement
leurs impressions sur le DISPO et donc de mesurer pourquoi cela leur a plu ou pas.
Mon travail a alors consisté en la réalisation d’une série d’entretiens qualitatifs et
biographiques auprès d’élèves des 3 niveaux (seconde, première et terminale) et venant de
lycées partenaires très divers. Je pense qu’en ma qualité d’intermédiaire, ni élève, ni
professeur, j’étais non seulement bien placée pour les interroger sur la base d’entretien semidirectif, mais j’ai en plus bénéficié d’une confiance accrue de la part des élèves. Qui plus est
mon statut d’étudiante à l’IEP a aussi pu les intéresser, étant donné qu’il leur offrait la
possibilité de me poser des questions sur mon cursus de manière encore plus privilégiée
qu’avec les étudiants tuteurs. Parfois cela a cependant brouillé un peu les pistes étant donné
que certains ont commencé à me poser beaucoup de questions, renversant un peu les rôles
d’intervieweur et d’interviewé ! D’autre part il est important de souligner que ma position
d’étudiante de Sciences Po Toulouse a aussi pu constituer un inconvénient pas certains côtés,
puisque sachant que je faisais partie de l’école, quelques élèves ont pu avoir tendance à
édulcorer un peu leur discours sur le programme proposé.
1.
Intérêt du sujet
Comme on l’a souligné en introduction, la sociologie de l’éducation a beaucoup
travaillé sur les questions d’inégalités scolaires et la reproduction des inégalités sociales au fil
du parcours des élèves de classes populaires. Des auteures comme Marie Duru-Bellat et
21
Agnès Van Zanten reprennent les différentes études menées depuis les années 1970 dans leur
manuel de sociologie de l’école 22 , elles dressent des profils, caractérisent des inégalités,
soulignent l’importance du milieu familial et enfin se penchent elles aussi sur le point de vue
des élèves, leur rapport aux études, l’existence ou pas d’un projet scolaire et professionnel etc.
Il s’agit ici de présenter très rapidement les profils les plus marquants qui nous intéressent afin
de pouvoir étudier leur correspondance avec ceux que l’on retrouve parmi les élèves
interrogés du dispositif égalité des chances.
A partir de ces études se dégagent statistiquement des caractéristiques déterminantes
indépendamment des autres critères qui vont à l’encontre de certaines idées reçues. Par
exemple, à milieu social comparable, les enfants d’immigrés ont plus d’ambition lorsqu’ils
sont adolescents tandis qu’au collège être d’origine étrangère est un atout qui garantit
généralement de meilleurs résultats. Les élèves scolarisés dans des milieux ruraux ne sont pas
moins bons que les urbains à l’école primaire et au collège, pourtant, ils s’orientent moins que
les autres vers des bacs généraux ou technologiques. On y constate une forte concentration
d’élèves de milieux défavorisés et l’ambiance se caractérise par une grande inertie et peu de
participation à la vie locale. Enfin en l’absence de débat dans la famille ou avec les
enseignants sur les stratégies scolaires à suivre, l’accès à l’enseignement supérieur est
conditionné à l’offre locale.
Tout en prenant en compte les nuances qu’implique le niveau scolaire, on peut aussi dégager
des profils qui dépendent du milieu social dans lequel l’adolescent a grandi. Statistiquement,
les enfants de milieux défavorisés ont moins d’intérêt pour les études à partir du collège, ils
ont ensuite du mal à concilier leurs loisirs et leurs copains avec un travail régulier. Par
ailleurs, leur apprentissage dépend de la capacité des enseignants à les motiver. Une autosélection s’effectue à chaque palier d’orientation car ils ne veulent pas prendre le risque trop
couteux d’un échec. Les parents scolarisent généralement leurs enfants dans l’établissement le
plus proche, sauf quand ces derniers les poussent à choisir un autre lycée, qui aura souvent
dans ce cas-là les mêmes caractéristiques que celui de secteur. Les parents de milieux
populaires font néanmoins beaucoup d’efforts pour favoriser la réussite de leurs enfants mais
cela dépend de leur trajectoire sociale, professionnelle, de leur niveau d’instruction et de la
pratique de réseaux dans la famille. Quant aux enfants de milieux favorisés, ils appartiennent
22
Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème
édition, 2007
22
aux familles qui intègrent le plus l’école à leurs projets, ont accès aux informations les plus
pertinentes et sont les plus à même de les aider à faire leurs devoirs. Les bons élèves sont
conscients de l’utilité intrinsèque du savoir indépendamment des débouchés et pour eux la
relation avec les professeurs intervient peu, ils développent des stratégies de distinction par le
jeu des options et choisissent plus souvent que les autres élèves leur établissement. Au-delà de
leur niveau, ils ont la conviction qu’ils peuvent réussir.
Ayant affaire pour la plupart à des adolescents des milieux populaires qui participent
au DISPO, sont scolarisés dans des lycées ruraux ou urbains et sont parfois immigrés ou
enfant d’immigrés, j’ai regardé de près ces profils. Comme on aura l’occasion de le
développer, j’ai constaté que si de nombreux éléments sont confirmés par les entretiens, les
élèves du DISPO semblent avoir des particularités qui les différencient des « lycéens
lambdas » ou du moins ils évitent tout déterminisme liés aux différents critères qui permettent
de fonder les profils. C’est entre autre ce genre de constat qu’une enquête qualitative comme
celle-ci nous amène à expliquer. On recherche alors ce qui peut infléchir une trajectoire
personnelle sans s’en tenir uniquement aux critères socio-économiques classiques.
2.
Comment les entretiens ont-ils été réalisés?
Les entretiens réalisés l’ont été dans le but d’une part de connaître l’évaluation
qualitative que font les élèves participants des activités proposées par le DISPO, d’autre part,
pour mieux connaître les bénéficiaires du dispositif de manière générale. Le premier volet de
questions comprend alors l’évaluation du déroulement des séances du dispositif au cours de
l’année, l’utilité qu’ils pensent pouvoir en retirer, l’influence potentielle du programme sur
leurs résultats scolaires et leurs vœux d’orientation, ce qui est plutôt difficile à mesurer en soi.
On évalue également les améliorations qu’ils y apporteraient et s’ils conseilleraient à d’autres
de participer. Quant au second volet, il vise à démarrer une « sociologie des bénéficiaires »
souhaitée par le DISPO, qui invite à découvrir de manière qualitative l’environnement
scolaire et culturel des élèves ainsi que l’environnement socio-économique de leurs familles.
En effet, afin d’appréhender au mieux le parcours de vie des élèves, j’ai donné la priorité à
trois éléments qui sont le milieu scolaire, la famille et l’environnement culturel. Le rôle de la
famille dans le développement de l’adolescent a toujours été souligné et l’accent est souvent
mis sur les résultats scolaires, toutefois il convenait d’après moi d’étudier aussi
l’environnement culturel dans lequel évoluent les élèves. Il s’agit de définir les pratiques
23
culturelles au sens large non pas de la famille mais bien de l’élève interrogé : cela va des
loisirs à l’usage d’internet, de la lecture à ce qui est regardé à la télévision. On peut bien sûr
chercher à y déceler l’influence de la famille ou de l’école, mais cela permet en tout cas de
mieux connaître les goûts, les pratiques, ainsi que l’accès à toutes formes de culture ou
d’activités dont jouissent les élèves.
Pour réaliser ces entretiens je suis passée par l’ensemble des professeurs référents en
leur demandant s’ils étaient d’accord pour organiser un moment pendant lequel je pourrais
interroger un ou deux élèves en me rendant au lycée. La plupart des enseignants ont répondu
positivement à ma demande et se sont empressés d’organiser les entretiens alors même que
l’emploi du temps des lycées se resserre en fin d’année scolaire. Ce sont dans ces cas-là les
professeurs qui ont choisi les élèves qui allaient répondre aux entretiens tout en s’assurant
qu’ils étaient volontaires et qu’ils correspondaient aux niveaux que j’avais sollicité. En effet,
les 6 anciens « lycées cibles » fonctionnent sur les trois niveaux, j’ai donc privilégié pour ces
derniers des entretiens avec des élèves de terminale, tandis que les 10 nouveaux lycées du
dispositif ont eu le choix soit de commencer en 2009-2010 avec seulement des secondes, soit
de commencer directement sur deux niveaux c'est-à-dire aussi avec les premières. Parfois, le
contact s’est noué lors des deux journées passées à Toulouse, pendant le concours d’actualité
et le colloque des premières, les élèves qui ont été désignés pour répondre aux entretiens à ce
moment-là se sont plutôt portés volontaires eux-mêmes et en ma présence, ils n’ont pas été
choisis par les professeurs. Dans la plupart des cas, je me suis rendue durant le mois de juin
2010 sur place dans les lycées pour effectuer les entretiens, ce qui m’a permis d’appréhender
directement certains éléments extérieurs comme la taille de l’établissement, son état, la ville
dans laquelle il est situé et son éloignement à Toulouse. J’ai réalisé ainsi 27 entretiens
d’élèves auprès de 17 filles et 10 garçons dont 2 étudiants, 5 élèves de terminale, 5 de
première, et enfin 15 de seconde.
Pour élaborer la grille d’entretien, j’ai pris le parti de poser le moins de questions
possibles en optant pour une forme « semi-directive », tout en cherchant à recueillir un certain
nombre d’informations prédéfinies et dans la mesure du possible, les mêmes pour tous. Les
questions ne sont ensuite par nécessairement posées dans l’ordre, si l’élève commence à
aborder un point spontanément, je n’hésite pas à rebondir dessus directement quitte à
chambouler l’organisation du questionnaire. Les informations recherchées (indiquées cidessous entre parenthèses) peuvent faire l’objet de questions intermédiaires si l’élève n’y
24
répond pas spontanément. C'était par exemple systématiquement le cas lorsque l’on abordait
le sujet de l’environnement culturel : généralement, les élèves ne voyaient pas où je voulais en
venir et j’avais besoin de poser les questions de manière beaucoup plus détaillée. Avant de
démarrer l’entretien, je leur ai tous expliqué la même chose tout en me présentant : je suis une
étudiante de 5ème année à l’IEP qui réalise un travail sur le dispositif égalité des chances
auquel ils participent et qui reposera essentiellement sur les témoignages des élèves que je
viens recueillir.
La grille d’entretien utilisée, mais qui reste indicative donc, est la suivante :
-
On va commencer par se présenter. (je cherche à savoir l’âge, le lieu de résidence, le
lycée, la classe, la filière…etc.)
-
Depuis quand tu participes au dispositif ? Comment tu y es rentré ? (je cherche à
savoir qui l’a présenté/proposé, depuis quand, où il en a entendu parler)
-
En quoi ça consistait, qu’est-ce que tu faisais ? Qui l’organisait ? (je cherche à
connaître les objectifs, les activités, les professeurs référents et intervenants)
-
Est-ce que ça t’a plu ? Est-ce que ça t’a demandé beaucoup de temps ? Est-ce que ça
t’a servi ? (je veux connaître les attentes, l’évaluation/satisfaction, les améliorations
possibles, si cela serait conseillé aux autres, l’investissement)
-
Comment ont réagi tes amis ? ta famille ? (je me demande si c’est de l’ordre de l’aide,
la méfiance, des moqueries, de l’admiration, j’en profite pour connaître la structure et
l’organisation de la famille, qui sont les amis, s’ils sont du lycée ou en dehors)
-
Comment tu vois l’école, est-ce que tu t’y sens bien ? (quel est le rapport à l’école, les
résultats scolaires, l’influence du dispositif dessus, leur évolution)
-
Est-ce que tu sais déjà ce que tu veux faire plus tard ? (désir d’orientation, l’influence
dispositif, la volonté de faire études supérieures ou pas, depuis quand)
-
Qu’est-ce que tu fais quand tu n’es pas au lycée ? (je cherche à découvrir
l’environnement culturel, les loisirs, les activités réalisées pendant les vacances : job
d’été, retour dans la famille)
J’ai également posé des questions à 8 professeurs référents ou intervenants du DISPO
afin de recueillir leur point de vue sur le principe du DISPO, le déroulement des séances de
travail, la manière de sélectionner les élèves et de les convaincre quand des difficultés étaient
rencontrées. Je leur demande s’ils ont rencontré des difficultés eux-mêmes notamment pour
convaincre des collègues de s’impliquer dans le dispositif et aussi quels bénéfices personnels
25
et pour le lycée, ils ont pu tirer de leur participation. C’est à la fois à titre informatif et dans le
but de confronter aussi leur parole à celle des élèves. Les entretiens réalisés auprès des
enseignants sont de durée variable car ils ont été dépendants, pour la plupart, du temps passé
préalablement avec les élèves interrogés, ce qui était difficile voire impossible à prévoir. En
effet, les entretiens avec les élèves durent entre 25 minutes et une heure et demie, cela dépend
vraiment de la personnalité des élèves plus ou moins disposés à se confier, du contexte pas
toujours propice de l’entretien et surtout de la qualité du contact établi avec moi. On peut tout
de même signaler que les entretiens les plus longs sont souvent ceux d’élèves les plus âgés.
L’ensemble des entretiens réalisés a été enregistré sur support numérique puis
retranscrit chacun étant précédé d’informations relatives au contexte de l’entretien : où et
comment il s’est déroulé, comment a été désigné l’élève interrogé et quelle était son attitude
générale. Je tiens à souligner que j’ai essayé de coller au plus près du langage des élèves, il
faut donc s’imaginer un « parler jeune » lorsqu’on lit les extraits. Comme ils représentent un
volume de pages assez important et afin de préserver un tant soit peu l’anonymat des élèves,
les entretiens ne figureront pas en annexe de ce mémoire. Ils sont cependant mis à la
disposition des professeurs et des participants du DISPO sur CD-Rom. L’analyse est
cependant émaillée d’extraits d’entretien que je considère significatifs tout au long du
mémoire. Ils permettent à la fois de restituer le discours des élèves sans le modifier et
d’éclairer mes propos sur quasiment chaque thème abordé.
3.
Problématique et annonce du plan
Dans une démarche d’évaluation, il est sans conteste difficile de mesurer les effets et
les bénéfices du DISPO car il est délicat de les isoler. En effet, les élèves qui se sont épanouis
dans ce genre de travail et qui ont pu y trouver une ouverture sur quelque chose de nouveau
avaient sûrement déjà en eux la curiosité nécessaire. Je pars dans cette étude des témoignages
des élèves, ce qui ne veut pas dire que ce sont des vérités. Ils ont parfois tendance à minimiser
les éventuels apports du programme égalité des chances, en m’expliquant que cela ne sert à
rien, ce qui se révèle inexact quand on creuse un peu à l’aide de question plus précises.
D’autres au contraire semblent gonfler l’importance qu’a revêtu le DISPO dans leur parcours,
que ce soit dû au cadre de l’entretien ou en toute bonne foi : leurs réussites sont avant tout de
leur fait même si le dispositif peut les avoir aidés, soutenus ou leur avoir soufflé l’idée de
faire des études longues. Consciente de ces difficultés et de cette limite de la matière des
entretiens, il me semble malgré tout très intéressant d’étudier la parole des élèves sur le
26
DISPO, sur leurs pratiques et sur eux-mêmes en regard avec un certain nombre de
caractéristiques retenues. Tout en prenant en compte des critères que j’estime déterminants, et
qui sont effectivement des critères socio-économiques clivant pour la plupart, j’ai formulé un
certain nombre d’hypothèses à partir d’éléments qui m’avaient interpelée pendant les
entretiens. Selon moi, ces éléments sont à même d’influencer ensuite la perception du monde,
les compétences ou l’orientation future de ces élèves et méritent donc d’être étudiés.
Les critères socio-économiques suivants sont ceux que j’ai pris particulièrement en compte,
ils n’apparaîtront pas forcément énoncés tels quels dans l’analyse mais ils m’ont permis dans
un premier temps de mieux cerner les élèves interrogés : âge et classe, être une fille ou un
garçon, être fils ou fille d’immigrés, vivre avec une mère seule ou dans une famille
recomposée, avoir des difficultés familiales (décès, maladie, violence…), avoir des frères et
sœurs, d’un côté avoir des parents agriculteurs, ouvriers ou employés (PCS -) et de l’autre des
parents professions intermédiaires et libérales ou cadres (PCS +), ou bien avoir un des deux
parents sans profession ou au chômage, le niveau de diplôme des parents, être ou pas boursier
du secondaire, grandir en milieu à dominante rurale ou urbaine, avoir de bons résultats
scolaires ou des résultats en baisse. Comme on peut le voir il s’agit d’avoir une idée assez
précise du contexte familial, économique et scolaire dans lequel évoluent les élèves. Par
exemple, la profession des parents mise en balance avec leur niveau de diplôme ainsi qu’avec
le fait que les élèves soient ou pas boursiers du secondaire permet d’avoir une idée assez
claire à la fois de l’existence de difficultés financières, et du rapport éventuel qu’entretiennent
les parents aux études par rapport à des possibilités d’emploi. Ces informations n’émergent
pas toujours dans les entretiens, bien qu’elles aient souvent été abordées spontanément par les
élèves. En somme, si la plupart de ces données ont malgré tout été recueillies lors des
entretiens sans faire l’objet de questions précises et systématiques, elles ont également été
complétées par les questionnaires figurant sur la base informatique d’évaluation du DISPO
remplie par les professeurs sur chaque élève 23.
Ces critères sociologiques m’ont servi à poser un cadre, j’ai ensuite étudié le profil de
chaque élève à partir d’un certain nombre de thèmes qui étaient non seulement préalablement
mis en avant par des questions, mais aussi me semblaient intuitivement important à aborder
après avoir réalisé l’ensemble des entretiens. Je cherche à montrer à travers l’analyse
23
Ce sont les données qualitatives mises en commun en ligne dont se sert l’IEP pour l’évaluation : nationalité,
lieu de résidence, profession et diplôme des parents, notes, vœux d’orientation, indice de satisfaction…etc.
27
empirique des entretiens que ces élèves ne sont pas tout à fait des adolescents de 15-19 ans
typiques : malgré l’existence de critères socio-économiques qui leur sont peu favorables
statistiquement pour s’inscrire dans des logiques de réussite, ils arrivent à tirer leur épingle du
jeu et à s’adapter à leur environnement. Ils réalisent un arbitrage entre les contraintes diverses
avec lesquelles ils doivent composer et l’ouverture et la curiosité dont ils font preuve pour la
plupart dans différents pans de leurs vies, que ce soit dans leur engagement dans le
programme ou dans leurs pratiques et loisirs personnels.
En parallèle avec le déroulement que j’avais prévu pour les entretiens parce que c'était selon
moi la manière la plus sûre de gagner la confiance des interviewés, je suis partie, afin de
structurer mon analyse, de considérations générales pour arriver petit à petit au particulier.
Après avoir analysé leur implication dans le DISPO et leur opinion sous forme d’évaluation
sur le programme et le travail en groupe (I), on aura l’occasion de voir que les élèves se font
une place originale à la fois dans leur famille en élaborant eux-mêmes un projet scolaire en
mobilisant des modèles de leur entourage et dans la société dans son ensemble en travaillant
ou par le biais d’un engagement spécifique (II), enfin il conviendra de montrer que, tout en
plébiscitant la culture de masse adolescente, les élèves interrogés font preuve d’éclectisme, de
curiosité, et d’implication dans leurs pratiques culturelles (III).
28
I. L’évaluation du DISPO par les élèves
Une partie conséquente des entretiens est destinée à l’évaluation du DISPO, en effet c’est un
aspect de leur vie dans l’établissement qui est facile à décrire et peut aisément être abordée en
premier. Elle me permet à la fois de recueillir leur témoignage pour les besoins d’évaluation
de la part de l’IEP et de créer un climat de confiance entre intervieweur et interviewé qui
m’amène ensuite à poser des questions plus personnelles sur la famille et sur les pratiques
culturelles des élèves. Même si la véracité des propos peut parfois être remise en cause par le
sentiment d’être jugé par rapport à l’appréciation d’une situation qui demeure scolaire, les
témoignages des élèves ainsi que ceux des professeurs participants apportent un éclairage
personnalisé sur le dispositif qui me semble nécessaire. J’ai souhaité les interroger sur trois
aspects suivant : leur entrée dans le dispositif et comment elle a été vécue par leur entourage
(A), l’originalité du déroulement des séances de travail ainsi que leur apport direct (B) et
enfin mais c’est un aspect plus anticipatif, les éventuels effets du DISPO sur les projets et
l’ambition des élèves participants (C).
A.
L’entrée dans le DISPO
Dès l’entrée dans le dispositif, les élèves sont confrontés à une sélection par les professeurs
qui leur décrivent le programme tandis que leurs parents et leur entourage en général ont des
réactions contrastées. Sans être vraiment consciente de l’importance que revêt l’entrée dans le
DISPO, je les ai donc amenés à décrire d’abord leur point de vue là-dessus. En réalité, ce
premier contact avec le programme va beaucoup influencer la suite de leurs impressions : les
élèves se font une idée de ce qui les attend qui peut être déçue ou erronée. De plus il est
important de voir pourquoi ils ont eu envie de participer à ce projet.
1.
La présentation par les professeurs
Les participants au dispositif sont avant tout sélectionnés par les professeurs référents,
en général avec l’aide des professeurs principaux des différentes classes sur des critères
indiqués dans la convention DISPO signée par les lycées et l’IEP.
Certains professeurs accentuent le côté sélectif afin d’inciter les élèves peu sûrs d’eux
à venir dans le dispositif. Ils mettent alors en avant, le fait que le DISPO est une opportunité
qui n’est proposée qu’à quelques uns et que justement eux ont été choisis. Bien sûr, suite à
une réunion de présentation parfois en présence d’étudiants de l’IEP, il leur est laissé le choix
29
de venir ou non, car toute participation est basée sur le volontariat, étant donné qu’elle
représente un investissement important sur l’année voire sur 3 ans.
La manière dont les professeurs présentent le dispositif va beaucoup influencer celle dont les
élèves l’abordent et les critères qu’ils vont mobiliser ensuite pour l’évaluer. Certains
professeurs cherchent à expliquer le principe de l’égalité des chances et l’existence du DISPO
par rapport à ce principe et à la volonté de l’IEP. D’autres valorisent leurs propres critères de
sélection qui varient beaucoup d’un lycée à l’autre24. En effet pour certains lycées ruraux, cela
fonctionne au volontariat pur, les élèves ne sont pas du tout sélectionnés, ils n’invoquent donc
pas du tout cet aspect pour expliquer leur motivation : c’est vraiment le projet qui les a attirés
comme par exemple la perspective du travail en groupe ou bien le thème avancé. D’autres
élèves non boursiers sont conscients de l’objectif affiché d’avoir des groupes composés de
deux tiers d’élèves boursiers au moins et se sentent moins légitimes, moins à leur place
quoique bien intégrés dans le groupe. Ils manifestent en tout cas la nécessité de rester à la
hauteur pour ne pas perdre leurs places au sein du programme alors qu’on comprend que les
élèves boursiers ont été sélectionnés d’abord et ne souffrent pas de la concurrence comme le
montre Sylvain élève de première à Mirande :
« Je trouve que c’est une opportunité pour les jeunes et qu’il faut saisir cette chance et
qu’il faut pas lâcher en milieu d’année parce qu’il y a pas beaucoup de personnes qui
sont prises, et c’est une opportunité. […] Déjà, euh, il faut avoir un bon niveau
scolaire pour travailler et moi je vois là je sais pas trop ce que je fais parce que les
notes elles chutent un peu dans certaines matières et elles montent dans d’autres mais
il faut que je me ressaisisse… J’essaye de montrer au prof que j’ai envie de continuer
ce dispositif et aussi parce que moi je ne suis pas boursier et il faut que les 2/3 soient
boursiers et donc il y a à peu près 5 places pour ceux qui sont pas boursiers et il y en
avait plein qui voulaient y rentrer. ».
Certains professeurs insistent sur la nécessité d’avoir de bons résultats, le recrutement
concerne des élèves méritants des classes populaires. Le but n’étant pas de rajouter du travail
aux élèves en difficultés, l’injonction d’avoir la moyenne s’est parfois traduite en une barre
d’admission à 13. Il ne s’agit plus alors de repérer un potentiel parmi des élèves de milieux
modestes mais de permettre l’acquisition de compétences qui ne sont pas exclusivement
scolaires à des élèves certes de milieu modeste dans l’ensemble mais d’excellent niveau.
On peut remarquer cependant que quelque soit le mode de sélection retenu par le
professeur référent par rapport aux indications de la convention avec l’IEP, il y a toujours des
24
Pas forcément voulu par l’esprit du programme, c’est peut-être un principe de réalité qui pousse les
enseignants à s’adapter à leur environnement et à ses contraintes. Ce peut aussi être le résultat d’une première
année de fonctionnement qui se caractérise par le tâtonnement des acteurs.
30
exceptions à la règle fixée et on assiste à l’introduction d’une part d’arbitraire dans la
formation finale du groupe. Les élèves, lorsqu’ils sont contents d’avoir été sélectionnés, ont
connaissance en partie de ces choix mais ne comprennent pas souvent très bien de quoi il
s’agit : ils sentent que les groupes ne sont ni exclusivement composés de très bons élèves, ou
d’élèves de milieux populaires, mais ne saisissent pas ce qui a gouverné le choix des
professeurs comme l’exprime très bien Marie, élève de première à Tarbes :
« On savait pas concrètement ce qu’on allait faire, travailler sur un projet et tout ça.
Parce qu’en fait, ils ont accentué sur le mérite et tout ça, le fait de nous prouver que
les écoles réputées d’excellence, c'était pas forcément pour une élite et tout ça. Et du
coup on avait du mal à voir aussi surtout pourquoi on avait été choisis en fait. Moi j’ai
compris que c'était des élèves de niveau moyen plutôt convenable et qui venaient de
toutes les origines sociales, donc je sais pas comment. Fin 25 niveau moyen, bon niveau
quand même. Et apparemment des origines différentes, de milieu modeste, je crois. »
Certains élèves ont en revanché été arrêtés dans un premier temps par le principe même de la
sélection qui en a pourtant motivé d’autres, comme le montre cet extrait de l’entretien de
Fatima, élève de première année à l’IEP peu attirée par l’idée de « discrimination positive »,
qu’il a fallu convaincre pour qu’elle rentre dans le dispositif :
« Ben déjà en fait ça me plaisait pas l’idée de sélectionner juste certains par rapport
aux notes. Et puis par exemple il me parlait aussi pour dire « ça dépend des quartiers,
ça dépend où t’habites et tout », donc euh une fois il m’a dit ça, donc… fin ça m’a pas
trop plu, après sur le fond, le sujet, les cours et tout ça, fin c’est intéressant, donc là je
me suis dit qu’il y avait pas de problème, ça valait le coup quand même ! »
Ces élèves ont soit finalement été emballés par le projet ou par l’envie de faire Sciences Po,
soit convaincus par des adultes, notamment leurs parents qui percevaient différemment la
proposition du lycée.
2.
La réaction des parents
Dans les entretiens réalisés auprès des élèves, je me suis rendue compte que peu de
parents savaient exactement ce qu’était le DISPO et ce que la personne interrogée y faisait.
On peut d’ailleurs constater que s’ils n’ont pas été convoqués en réunion ou appelés
directement par le lycée, la plupart des parents ne comprennent pas très bien en quoi consiste
le dispositif. Cela peut être dû au fait que c’est la première année qu’il est mis en place dans la
plupart des lycées. Il était donc compliqué pour les professeurs et a fortiori les élèves
d’expliquer de quelle teneur allait être le travail demandé. Cela peut aussi résulter d’un effet
25
Dans un souci de retranscription fidèle, j’ai souhaité garder ce « fin » comme une abréviation d’« enfin », mais
qui est plus à comprendre comme un tic de langage qui revient sans cesse, comparable à « euh » par exemple.
31
de déformation du message entre ce qui est mentionné dans les réunions avec l’IEP, ce qu’en
disent les professeurs aux élèves et enfin ce qui arrive jusqu’aux parents.
En tout cas, d’après ce qui ressort des entretiens, les parents n’ont poussé leurs enfants
à faire le dispositif que lorsqu’ils avaient été informés et incités directement par les
professeurs référents, que ce soit de manière systématique comme au lycée Victor Hugo de
Gaillac ou ponctuelle, comme cela s’est passé à Mirande. Le professeur référent du lycée
Victor Hugo montre bien ici l’intérêt d’impliquer les parents pour la bonne marche du
dispositif :
« Il y avait des réticences de la part d’au moins 3 élèves qui sont restés je pense sous
la pression des parents, donc ça on recommencera, je pense qu’il faut inviter les
parents dès le début, parce qu’après, on a su que notamment Carole elle était très
réticente au départ parce que ça lui flinguait ses loisirs. Et sa mère lui a dit « le seul
risque que tu prends à refuser, c’est de le regretter ». Et maintenant c’est elle qui est
en train de me dire qu’il faut l’imposer, les obliger à venir et tout ! »
Parmi les lycées interrogés, Gaillac est le seul à avoir intégré de manière systématique les
parents au dispositif, je n’ai donc pas de point de comparaison, cependant d’après d’un côté
cette expérience concluante et de l’autre les connaissances floues des familles de la teneur du
programme, on peut supposer que c’est une bonne idée.
Au niveau des relations internes à la famille, on peut constater qu’il n’y a pas de
science exacte, certains enfants racontent beaucoup, tandis que d’autres ne font que
mentionner le dispositif et ne raconteront jamais comment se déroulent les séances de travail.
Cela dit, la majorité des parents ont eu une réaction positive face au désir de leurs enfants de
participer au projet DISPO. Cette réaction positive s’exprime par un soutien lointain et plutôt
passif des parents surtout ceux des classes populaires. Pour la plupart, ils ont apprécié le fait
que leurs enfants s’engagent dans un projet parce qu’ils l’avaient choisi et semblaient motivés
comme le montre la réponse d’Irène, élève de seconde à Toulouse :
« Ah, ils étaient contents pour moi ! Parce que euh, je sais pas comment l’expliquer,
ils étaient contents parce que je participais à un truc comme ça, parce que c'était moi
qui avait choisi et pas eux qui m’avait demandé de le faire. »
Cela arrive aussi chez des familles un peu inquiètes que leurs enfants ne s’investissent pas
plus sur le plan scolaire. D’autres parents valorisent l’image de Sciences Po, de la grande
école qui se démocratise et pensent donc que c’est une chance à saisir. Enfin certains sont
contents de voir leurs enfants momentanément sortis d’une classe peu studieuse et agitée qui
empêche les bons élèves de s’épanouir par exemple parce qu’ils sont l’objet de moqueries ou
parce que les professeurs ne sont pas à même de bien assurer leurs cours. Selon eux, ce genre
32
de programme ne peut être que bénéfique et ils argumentent en sa faveur auprès de leur
progéniture en disant que s’ils avaient eu cette opportunité, eux n’auraient pas hésité. Le
témoignage d’Emilie, élève de terminale à Carmaux, montre que le soutien des parents est
plutôt passif, preuve peut-être qu’ils ne comprennent pas très bien la décision de leur enfant
de s’investir mais souhaitent néanmoins émettre un jugement positif.
« Ah ben, ils ont dit « ah ben oui, vas-y, c’est toujours du plus » fin ça peut être que
bénéfique quoi, et euh… »
Dans quelques cas, la décision a été prise voire imposée aux parents par des enfants fiers
d’avoir été sélectionnés pour participer au DISPO et qui disent pouvoir en assumer toutes les
conséquences notamment sur la somme de travail et les diverses contraintes matérielles. Ce
sont plutôt des exceptions, des élèves qui savent ce qu’ils veulent et sont déterminés tandis
que leurs parents qui occupent des emplois très peu qualifiés et rémunérés leur font
confiance sur ce plan-là.
La question du rôle des parents a d’autre part été soulevée au niveau de l’organisation
du DISPO à l’IEP. En effet, Paul Vinachès m’a fait savoir qu’il regrettait cette absence
d’implication des parents car elle pouvait être nuisible à la réussite de certains. Dans le but de
rectifier cette méconnaissance ou ce désintérêt, il s’agirait d’organiser une rencontre en début
d’année avec tous les parents pour leur expliquer ce que vont faire leurs enfants dans le cadre
du DISPO. Cela se formaliserait par des actes d’engagement signés par les élèves de manière
aussi à officialiser leur entrée dans le programme. En effet, les parents sont nécessaires au bon
déroulement du programme, on sait qu’ils participent de manière très variable à formuler des
stratégies d’études avec leurs enfants. D’autre part dans la mesure où souvent les séances se
déroulent le mercredi après-midi26, il n’y a plus de ramassage scolaire pour ramener les élèves,
ce qui implique que les parents doivent venir les chercher et donc comprendre pourquoi cela
vaut la peine que les élèves y participent afin de pouvoir s’investir.
3.
La réaction des amis
La plupart des élèves interrogés ont un ou plusieurs amis qui participent aussi au
dispositif, cela peut les avoir incité à y entrer d’ailleurs, comme certains me l’indiquent lors
26
Le choix de l’horaire des séances de travail du DISPO est laissé à l’appréciation du professeur référent qui doit
jongler avec les contraintes de l’établissement, de ses collègues intervenants et enfin des élèves qui constituent le
groupe qui souvent viennent de classes différentes et sont peu disponibles ensemble dans la semaine. Certains
lycées font plutôt le choix de réunions entre midi et une heure une fois par semaine, assorties de séances de
travail extraordinaires plus longues.
33
des entretiens. Cet état de fait peut dans certains cas contribuer à rendre les séances de travail
plus agréables mais dans d’autres cela peut aussi nuire à la cohésion générale du groupe car
des sous-groupes par interconnaissance se forment automatiquement. Il convient alors
d’observer si les professeurs abondent dans ce sens et les laissent travailler par exemple sur
des sujets différents de manière quasiment autonome ou s’ils mettent l’accent sur le groupe
dans son ensemble et que dans le cadre du concours d’actualité, chacun commente chaque
article même ceux qu’il n’a pas écrit. On pourrait d’ailleurs penser que cela dépend de la taille
des groupes concernés, mais cela ne semble pas être le cas, comme le montre le groupe très
soudé de Caussade pourtant un des plus nombreux car il est composé de 15 élèves de seconde.
D’autre part il est aussi possible que même en travaillant sur le même sujet et en groupe de
taille réduite, les tâches se répartissent de manière à séparer les élèves en sous-groupes d’amis
qui se connaissaient déjà comme le montre le témoignage d’Arthur, élève de seconde à
Tarbes :
« Oui oui, l’ambiance elle est bonne, les 3 garçons, on est amis, on est dans la même
classe et après, les 4 filles, elles sont sympas. On s’entend tous bien, on a travaillé
ensemble quoi. […] On s’est plutôt répartis les tâches parce que les interviews y a que
Quentin et moi qui les avons fait, mon ami avec qui je m’entends bien. Et l’autre
garçon pouvait pas parce qu’il habite à côté de Toulouse et les interviews on les a fait
pendant les vacances de Pâques je crois. Et après les filles venaient pour ce qui était
méthode pour aujourd'hui et sinon, elles ont aussi rédigé le travail qu’on avait fait
nous et elles ont tapé à l’ordinateur. »
On se demande ici si tous les membres du groupe ont été aussi satisfaits de la répartition des
tâches qui la plupart de temps s’effectue quand même par affinités non seulement
personnelles mais aussi par rapport à la nature du travail demandé.
J’ai ensuite remarqué que pour ceux qui ont des amis en dehors du DISPO voire en
dehors du lycée, il n’est ni commun ni forcément évident d’évoquer le programme avec eux.
La majorité des amis ou copains ne comprennent pas pourquoi leur camarade s’engage à venir
travailler le mercredi après-midi en plus de tout le reste du travail scolaire et au détriment
d’éventuels moments de partage avec eux. Certains n’en parlent pas beaucoup, il est donc
difficile pour les amis de comprendre le projet et ce qui s’y passe. D’autres entendent des
réflexions qui se situent entre les moqueries et la jalousie mais ne s’expriment pas non plus de
manière méchante. La plupart des amis sont interpelés par l’image de grande école et de
prestige de Sciences Po, et taxent leurs camarades d’ « élites de la classe » ou se demandent
s’ils vont y arriver tant cela leur paraît loin de leur quotidien et de ce qu’ils connaissent d’eux.
A partir de là, les attitudes diffèrent, il y en a pour encourager, d’autres pour décourager. On
34
peut aussi voir l’inverse c'est-à-dire des élèves qui finalement s’intéressent au DISPO grâce
aux témoignages de participants et vont peut-être aller jusqu’à s’inscrire pour l’année
prochaine. Enfin des élèves interrogés m’ont indiqué que leurs amis n’avaient pas eu de
réactions particulières parce qu’ils étaient habitués à ce qu’ils se mettent encore dans des
« trucs farfelus ». Ils désignent ainsi le fait qu’ils occupent déjà des fonctions représentatives
au sein du lycée ou sont des membres actifs d’associations et qu’il est difficile d’étonner
encore leurs copains par l’engagement dans un projet. C’est ainsi qu’Alice, élève de première
STG à Tarbes, répond à la question « comment ont réagi tes amis quand tu leur as dit que tu
participais au DISPO ? » :
« Ben euh, déjà ils ont pas trop compris ce que c'était et ils ont pas épilogué, ils m’ont
pas trop demandé, je leur dit « demain je pars à Toulouse on va présenter notre projet
et tout » « ah ouais t’as de la chance, tu vas pas en cours ». Non mais voilà, fin j’ai
pas trop épilogué sur le sujet, je leur ai dit que j’étais dans un dispositif qu’on était
tutorés par des élèves de l’IEP et qu’on avait un projet à rendre, voilà. Et c’est pas
qu’ils s’en foutent mais… Je suis toujours dans des trucs farfelus, fin je sais pas
comment je me suis retrouvée là, maintenant je suis vice présidente du foyer socioéducatif de mon lycée alors que 3 mois avant je savais même pas que ça existait…
Donc ils posent plus tant de questions ! »
On peut imaginer qu’Alice ne fait pas non plus grand étalage de ses autres engagements 27
auprès de ses amis, soit qu’ils ne s’y intéressent pas, soit parce qu’elle même veut séparer les
différentes sphères dans lesquelles elle évolue.
La jalousie quant à elle s’exprime toujours par rapport à la sélection, des élèves
indiquent qu’il est injuste que seuls quelques uns soient au courant et aient été choisis pour
ces activités et ce même si les élèves en question n’auraient pas été intéressés par le projet.
Elle ressort d’autre part aussi face aux sorties que peuvent faire les différents groupes du
DISPO. En effet, certains professeurs référents tiennent à ce que l’ouverture se donne aussi en
dehors du lycée et renoue avec l’esprit de l’ancien « IEP-lycées cibles » en proposant des
sorties culturelles, notamment au théâtre ou au musée, ou en permettant aux élèves de
participer à des voyages organisés au sein du lycée par exemple un voyage en Italie pour les
latinistes pour une somme modique. Ces privilèges peuvent rendre jaloux des camarades qui
n’étant pas du tout attirés par Sciences Po ou n’ayant pas suivi les options nécessaires
(langues vivantes originales, latin ou grec) n’ont parfois jamais pu faire de voyage avec le
lycée, ce qui arrive dans certains lycées ruraux qui n’ont pas assez de budget pour faire partir
27
Sur l’implication des élèves dans le lycée ou dans la cité sous ses différentes formes, voir le chapitre 2 de ce
mémoire.
35
tous les élèves. C’est aussi l’effet que peuvent avoir les premiers prix du concours d’actualité
car les i-pods, ordinateurs portables et autres voyages linguistiques en Angleterre peuvent
susciter l’envie ou amener certaines mauvaises langues à dénigrer la qualité du travail fourni
par rapport à l’importance de la récompense.
Il est à noter que ces réactions sont dans l’ensemble beaucoup moins vives dans les
lycées qui sont depuis plus longtemps dans le dispositif et dans lesquels j’ai interrogé les
élèves de terminales. En effet, à ce niveau-là l’objectif du DISPO devient immédiatement plus
clair : il s’agit de préparer le concours de l’IEP. D’autre part, les amis ont eu le temps de
s’habituer et surtout de mieux comprendre ce qu’on y faisait tout au long des trois années. Il
semble donc qu’il faille un temps d’adaptation que ce soit au niveau des professeurs et de
leurs manière de présenter le programme ou bien au niveau des parents dont le soutien peut
être relatif, et enfin bien sûr dans le lycée dans son ensemble par rapport aux autres élèves.
B.
Le déroulement du programme
Dans les entretiens, j’ai ensuite demandé aux élèves comment se déroulaient les séances de
travail, si leur participation avait exigé beaucoup de temps, s’il y avait une bonne ambiance
dans le groupe, s’ils avaient aimé les journées à Toulouse…etc. L’investissement des élèves
dans le programme est relatif, certains y ont accordé beaucoup de temps et d’importance
tandis que d’autre y vont plus en dilettante. Cela influence nécessairement ce qu’ils pourront
retirer de leur participation. D’autre part, je souhaitais mettre l’accent sur un aspect qui a été
soulevé à la fois par les professeurs et les élèves : l’émergence d’une nouvelle forme de
travailler qui implique aussi un nouveau type de relations.
1.
L’investissement
La réaction des proches qu’on vient de voir est aussi conditionnée par l’investissement
dont a fait preuve ou pas l’élève participant. En effet, les élèves interrogés ont fait preuve
d’un engagement très disparate par rapport aux séances de travail proposées. On sent que
certains ont mis un point d’honneur à ne louper aucune séance et à s’investir le plus possible
dans un projet qui par conséquent leur tient à cœur tandis que d’autres n’ont quasiment pas
fourni de travail personnel, se sont peu investis et ont loupé beaucoup de séances ou venaient
essentiellement pour s’amuser avec les copains.
En effet, les séances du DISPO ne sont pas considérées au même titre que des cours et
l’on peut dire que cela constitue à la fois un défaut et un avantage. Une certaine souplesse
36
règne, elle permet aux élèves de manquer des séances de travail s’ils ont un empêchement,
cependant certains deviennent absentéistes et l’investissement au sein du groupe varie
beaucoup d’un élève à l’autre, ce qui est certes caractéristique des travaux de groupe mais
peut poser des problèmes de cohésion. Il faudrait alors que les élèves s’engagent plus
clairement à aller le plus possible aux séances du DISPO sous peine de ne pas pouvoir en
profiter pleinement. Il est malgré tout difficile de demander aux élèves d’être présents comme
pour des cours alors que les séances de DISPO se déroulent le mercredi après-midi en dehors
de l’emploi du temps standard et même des heures d’ouverture du lycée ! Comme on l’a vu,
l’absence de transport scolaire à ce moment-là se transforme en une contrainte importante
pour les élèves de milieux ruraux qui sont domiciliés à trois quart d’heure du lycée. Pour
certains qui ne sont d’ailleurs pas souvent des élèves boursiers, le mercredi après-midi est le
moment des activités extrascolaires tandis que dans un lycée de centre ville, c’est à cet horaire
qu’a lieu le cours de LV3 arabe. D’autre part, pour les élèves internes, le mercredi après-midi
est le moment où ils peuvent profiter de la ville et sortir du lycée dans lequel ils restent toute
la semaine, ils n’ont donc pas forcément envie de faire des séances de travail même si cellesci consistent à aller en dehors du lycée faire des interviews d’acteurs locaux. Enfin certains
élèves plus âgés qui habitent tout seuls ou avec un grand frère m’ont fait remarquer que c'était
le seul moment dans la semaine où il pouvait faire les courses, le ménage etc. tandis que l’on
peut imaginer que certains ainés ont leurs petits frères et sœurs à garder.
En dehors de la présence aux séances, l’investissement des élèves dans le DISPO peut se
mesurer par le travail fourni entre les séances si celui-ci est demandé par les professeurs, ce
qui n’est pas toujours le cas et dépend bien sûr de la fréquence des séances. Car si dans
quelques lycées, les réunions sont hebdomadaires et courtes, dans d’autres c’est plutôt deux
fois par mois mais pendant deux ou trois heures. Certains privilégient le travail collectif
effectué dans le CDI du lycée sur les documents et les ordinateurs à disposition tandis que
d’autres attendent un travail de recherche ou de rédaction individuel entre les séances qui doit
être présenté et discuté lors des réunions afin de compenser leur nombre réduit et d’avancer
plus rapidement.
Il est parfois difficile de mesurer à travers le témoignage des élèves leur
investissement dans le projet. En effet certains me disaient avoir apprécié le programme et
s’être intéressés au sujet mais en discutant ensuite avec les professeurs, je me suis rendue
compte qu’ils étaient très agités pendant les séances et avaient causé beaucoup de problèmes
37
au groupe dans son ensemble. Pourtant il est indispensable dans la démarche d’en mesurer les
effets, de savoir à quel point l’élève s’est investi. Cependant si l’on s’en tient uniquement au
témoignage des professeurs, ceux-ci auront peut-être une vision déformée parce qu’ils ont
l’élève en question en cours ou parce qu’ils ont l’habitude de les évaluer de manière scolaire.
Et si l’on s’en tient aux dires des intéressés, il se peut qu’ils enjolivent un peu leur rôle lors de
l’entretien. Il n’y a que si les deux jugements concordent, que l’on peut être sûr que l’élève
s’est beaucoup investi et pourra, on l’espère, retirer beaucoup de choses de sa participation au
DISPO. C’est ainsi que Pierre, élève de seconde à Lavaur, décrit son rôle dans le DISPO lors
de la projection de la vidéo produite pour le concours d’actualité aux parents :
« Oui je leur ai dit que j’étais chargé des interviews, même si M. Normand le faisait
bien comprendre explicitement avec Mme Jattiot, car en fait il disait, comme j’étais
celui qui venait à toutes les réunions, il disait « certains se sont trouvé une voie
notamment dans l’interview ou la prise audio » »
Parfois, les élèves n’ont pas l’impression d’avoir beaucoup travaillé car ils l’ont fait
avec plaisir et que c'était une manière nouvelle d’apprendre et de produire des connaissances.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne se sont pas investis, mais qu’ils ont apprécié un des
avantages du dispositif qui est de montrer que tout travail n’est pas ennuyeux ou scolaire.
2.
Une nouvelle manière de travailler
Le DISPO représente pour tous les participants que ce soit les élèves, les professeurs
ou les organisateurs au niveau de l’IEP une nouvelle manière de travailler. Tout d’abord, ce
n’est pas un travail typiquement scolaire même s’il met en œuvre des qualités valorisées par
l’école et qu’il se rapproche de ce qui est demandé dans les études supérieures. Ce n’est pas
un travail personnel, individuel qui sera sanctionné par une note. Il s’agit d’amener un groupe
de personnes à réaliser un projet qu’elles ont imaginé et jusqu’au bout. Ce qui compte n’est
d’ailleurs pas tant le résultat que l’ensemble des compétences supposées être acquises et qui
permettent de le concrétiser. Cela sous entend de l’organisation, dans le temps et pour la
répartition des tâches, il faut aussi découvrir la méthodologie de la recherche, et apprendre à
rédiger, à s’exprimer en public et enfin à recevoir les critiques des autres afin de s’en servir
pour améliorer son travail…etc.
Ce type de travail implique pour commencer que s’instaure une relation différente
entre professeurs intervenants et élèves participants. Cette relation nouvelle se caractérise par
le nivellement de la hiérarchie, le professeur travaille de concert avec les élèves et découvre le
projet en même temps qu’eux. Il n’a pas une idée à l’avance de ce qu’il veut faire, ni où il
38
veut amener les élèves comme lorsqu’il donne un cours. La tenue du projet suppose que se
tiennent des discussions entre les professeurs et les élèves, que ce soit sous forme de
négociation pour créer le journal ou la communication du colloque ou bien sous forme de
discussions argumentées qui font avancer la problématisation des sujets étudiés pour le
concours ou le baccalauréat en terminale. Pour certains cet aspect est extrêmement positif et a
en partie été la raison de leur venue dans le programme. C’est ainsi que l’exprime Vincent,
élève de première année de l’IEP, quand il raconte sa perception du DISPO :
« …les profs s’investissaient vraiment, on n’était même plus dans une relation profs et
élèves en fait du coup, c'était vraiment intéressant et euh, fin moi je tape pas sur
Carmaux ni rien, mais on n’avait pas souvent l’occasion de ça, de se retrouver pour
discuter de choses, fin des fois on n’apprenait pas forcément des choses, mais on
discutait de choses qu’on faisait pas en cours et pas en dehors non plus, donc c'était
nouveau. Fin de rentrer dans une salle de classe avec un prof et jamais sortir un
crayon pour écrire, parce qu’on fait que parler c'était nouveau ! »
Pour d’autres, cela donnait l’impression de ne pas travailler, de ne pas être encadrés, comme
le montre le témoignage de Mathieu, élève de première à Mirande :
« …enfin on se connaissait tous en fait j’avais l’impression comme si un peu on faisait
partie d’un club, ben les clubs qu’il y a dans les lycées donc entre midi et deux on se
retrouve pour préparer nos exposés ou nos voyages fin voilà quoi. »
Cela n’implique pas qu’il n’a pas apprécié sa participation au programme mais bien que cela
ne relève pas d’un travail scolaire, notamment peut-être parce que cet élève fait partie du
groupe de première qui est parti terminer ses recherches pour le colloque en Allemagne dans
un esprit de comparaison de point de vue avec la France.
Enfin pour la plupart, c’est la prise de conscience que pour travailler ou du moins pour
progresser, il faut apprendre, mais pas forcément de manière scolaire ou rébarbative. Il y a
différentes manières d’apprendre qui peuvent être valorisées y compris sur le plan scolaire,
c'est-à-dire se dérouler dans le lycée, avec des professeurs à contre-emploi et couronné d’une
certaine reconnaissance à la fin. Pour certains cela s’est d’ailleurs traduit par une réaction très
scolaire face au DISPO, mais ce sont généralement des élèves surinvestis dans le travail
scolaire et qui veulent et ont de très bons résultats.
Il faut souligner également qu’autant les professeurs que les élèves parlent des séances du
DISPO comme d’une bouffée d’air, car les élèves présents sont volontaires, ils veulent
travailler. Comme on l’a dit, la relation avec eux est différente et de meilleure qualité : ils
apprennent à se connaître dans un autre cadre moins normé que la relation hiérarchique profélève caractérisée par la détention du savoir et le pouvoir d’évaluer. Les enseignants
39
soulignent à ce propos que c’est également très enrichissant pour eux de découvrir de
nouveaux sujets et supports de travail. Ils ne viennent pas avec une idée du résultat auquel ils
veulent arriver, c’est vraiment un travail de collaboration qui s’effectue avec les élèves. Cela
est d’autant plus renforcé pour les élèves qui sont dans des classes difficiles et ont à essuyer
sans cesse des moqueries lorsqu’ils prennent la parole pour répondre ou poser une question.
Ils apprécient les moments de calme et de discussion propres au DISPO lors desquels
personne ne tente ni de les mettre en avant, ni de les écarter d’un débat impossible à avoir
dans une classe. Comme le montre le témoignage d’Alice, élève de première STG à Tarbes,
cela a ensuite des effets bénéfiques sur la confiance en soi :
« parce que j’aime pas du tout la mentalité de ma classe et dès que je veux me mettre
en avant, enfin si je connais toutes les réponses pendant une heure et que je veux lever
la main, ben je passe pour la fayotte, on est critiqué, c’est la mauvaise ambiance, c’est
tendu pour toute la journée. Alors que là hier on a tout mis en place pour que tout soit
parfait et euh j’ai balancé mes idées comme ça, et euh M. Dispot […] me disait
« ouais c’est bien tu dis ça demain ». Et je me suis sentie trop en confiance parce que
les gens autour de moi m’ont pas regardée mal, m’ont pas critiquée, m’ont pas dit
« ouais elle s’affiche, elle se met trop en avant », il m’a dit « demain tu me plantes
pas ! » ça fait super plaisir à entendre et sachant que les autres, ya pas de jalousie
apparente, je suis pas plus élevée qu’eux, et juste cette manière de mise en confiance
oui. »
Les séances de travail ont été sous-tendues par la perspective de la présentation des travaux
par chacun des groupes devant l’ensemble des lycées lors des 2 journées qui se sont déroulées
à Toulouse (ou dans le cas des terminales par le bac puis le concours commun).
3.
Les journées à Toulouse
Les journées du concours d’actualité des secondes, le 19 mai 2010, et du colloque des
premières, le 26 mai 2010 ont été réussies mais la différence entre les deux était frappante.
Cet aspect du DISPO auquel j’ai pu assister a suscité de multiples réactions plutôt très
positives chez les élèves qui ont répondu aux entretiens réalisés en juin. Il convient cependant
de souligner que tous les entretiens n’ont pas été réalisés après les journées.
En effet, le concours d’actualité s’est déroulé en grande pompe dans l’amphithéâtre de
l’hôtel de Région, il a été suivi d’une visite de Toulouse, d’une soirée organisée dans un bar
fréquenté par les étudiants et enfin le lendemain d’une journée au Festiv’. Il s’agit d’un
moment assez festif réunissant 5000 lycéens de Midi-Pyrénées qui est organisé par la Région
pour présenter et valoriser tous les « projets d’avenir » qu’elle a financé durant l’année
40
scolaire 28 . On peut déplorer que lors du concours, les élèves n’aient pas présenté leur
production dans leurs interventions du concours d’actualité, le public n’a donc pas pu
apprécier le travail réalisé. Tous les groupes ont plus ou moins dit la même chose, étant donné
qu’ils expliquaient les difficultés rencontrées et comment ils les avaient surmontées. D’autre
part, on peut déplorer que plusieurs groupes aient choisi le même sujet : déceler les liens entre
les ONG et l’argent dans le cadre de la catastrophe d’Haïti. Les professeurs concernés par ces
groupes-là ont trouvé qu’il était dommage pour les élèves d’avoir travaillé toute l’année sur
un sujet et de voir qu’il était traité par 4 lycées. Il faudrait éventuellement à l’avenir que les
professeurs responsables des secondes se concertent pour que cela ne se reproduise plus étant
donné que les sujets choisis sont pas mal conditionné par l’actualité et que les groupes
choisissent leur thème de travail tous au même moment, le risque est grand de traiter le même.
Le concours d’actualité s’est caractérisé par une ambiance de compétition, renforcée par le
fait que les prix décernés après la longue délibération du jury étaient très contrastés, puisque
comme on l’a vu cela va de romans à un voyage linguistique en Angleterre. Cependant il
convient de souligner que tout le monde est reparti avec quelque chose. La compétition a
suscité des réactions diverses, certains professeurs ont trouvé ça très bien, d’autres l’ont
trouvée un peu exacerbée et ne s’attendaient pas à cela comme l’explique Valérie Jattiot,
professeur du lycée Las Cases :
« Ce qui m’a surprise c’est que la présentation était évaluée sur la forme, les critères
d’évaluation c'était la forme et ce qui me gênait un peu c’est que d’abord le public
n’avait pas connaissance des productions, il se trouve que les films ont été projetés
mais c'était pur hasard, et donc pour nous public c’est très difficile de nous intéresser
et du coup, dans les présentations, c'était stéréotypé : les difficultés rencontrées qui se
sont transformées en avantage etc. ça faisait un peu rengaine. Par exemple y avait des
sujets intéressants sur lesquels on n’avait pas les conclusions des élèves. Après autre
chose qui me gêne un peu, c’est l’idée de compétition, mais je sais pas, c’est peut-être
moi, je m’attendais plutôt à des prix, des mentions, un peu « meilleur scénario ».
Après c'était tempéré par le fait qu’il y avait énormément d’ex-æquo... »
On peut aussi noter que si chez les professeurs les réactions face à la situation de compétition
sont indépendantes du fait d’avoir gagné ou pas, ce n’est pas le cas chez les élèves : ceux qui
ont gagné un prix de valeur étaient ravis tandis que les autres étaient un peu déçus de ne pas
avoir fait mieux, même s’ils ont dans l’ensemble adoré ces deux journées qui sortaient de
28
Les projets d’avenir ont été financés à hauteur de 900 millions d’euros par la Région sur les 4 axes proposés
qui sont « Agenda 21, les bonnes pratiques pour le XXIè siècle », « ouverture sur le monde », « culture » et enfin
« dynamisation de la vie à l’internat », voir pour plus de détails et 2 témoignages d’élèves du DISPO, l’article de
la Dépêche daté du 20 mai 2010 : http://www.ladepeche.fr/article/2010/05/20/839268-Festiv-5-000-jeunes-auZenith-pour-rever-la-region.html
41
l’ordinaire. Pour la plupart, les élèves étaient fiers d’avoir réussi à prendre la parole dans ce
lieu impressionnant et devant tant de monde tandis qu’ils ont vraiment apprécié la soirée et
bien sûr le Festiv’, cela a même donné l’idée à certains de monter un projet d’avenir musical à
la rentrée.
Lors du colloque des premières qui s’est déroulé à l’IEP dans l’amphithéâtre principal,
le but était que les élèves présentent justement le travail réalisé, ce qui était beaucoup plus
enrichissant pour les spectateurs. Ils sont intervenus sur un même thème général « jeunesse et
territoire » chacun leur tour, tandis qu’un professeur de géographie à l’université, Gilles Puel,
a repris en fin de matinée des éléments-clés de leurs interventions afin de lancer le débat. On
peut voir que les élèves auraient aimé débattre plus entre eux de sujets qui leur tenaient à cœur
sur leurs territoires et que finalement, dans un schéma assez classique, ce sont principalement
les adultes qui se sont exprimés. La journée s’est très bien déroulée aussi sauf que les élèves
ne se sont pas du tout mélangés : contrairement aux secondes qui ont pu bénéficier d’une
soirée dans un bar, les premières n’ont pas vraiment eu l’occasion d’échanger et ont mangé
leur repas de midi au restaurant universitaire regroupés par lycées. Marie, élève de première à
Tarbes, explique qu’elle aurait aimé qu’il y ait plutôt des tables rondes l’après-midi pour
permettre la discussion car c’est trop intimidant pour les élèves de prendre la parole en amphi.
C’est aussi ce que dit le professeur référent du lycée de Gourdon :
« Après c’est pareil j’ai trouvé le concours d’actualité vraiment bien, mais le colloque
vraiment moyen. Parce que les débats étaient pas suffisamment structurés, je crois que
mes élèves ont été très déçus parce que justement les thèmes choisis cette année et les
débats ouverts auraient permis aux élèves de s’exprimer sur cette inégalité des
chances, sur nous, nos élèves de la campagne, la ruralité etc. »
Le colloque s’est terminé par une intervention du sociologue Stéphane Beaud sur l’égalité des
chances, qui a insisté notamment sur la nécessité de mettre en place ce genre de dispositif
dans les universités qui accueillent la majorité des étudiants issus des classes populaires
aujourd'hui.
Dans l’ensemble, les journées à Toulouse ont été très réussies et surtout appréciées,
elles sont venues récompenser une première année de fonctionnement du DISPO et le travail
d’abord réalisé par les élèves sans trop savoir à quoi cela allait aboutir. D’autre part les
productions et les présentations seront sûrement plus adaptées l’année prochaine sachant que
les professeurs encadrant pourront mieux conseiller et guider leurs groupes de travail. La
42
réussite de certains au concours ou au colloque peut d’autre part aider à motiver des collègues
à s’investir dans un projet qui commence à faire ses preuves.
C.
L’évaluation des apports du DISPO
De manière générale, l’évaluation est plutôt positive parmi les participants du DISPO.
Ce qui est intéressant c’est que malgré le fait que les élèves ne décèlent effectivement pas
toujours les apports du DISPO pour eux ou dans leur scolarité, ils sentent de manière diffuse
qu’il en existe. C’est ce qu’ils expriment quand ils répondent à mes questions que « c’est
toujours du plus » ou que « ça ne peut être que bénéfique ». D’autre part le DISPO peut leur
avoir plu sans qu’ils voient ce qu’ils ont pu en tirer c’est bien dans ce sens que deux questions
différentes ont été posées lors des entretiens : « est-ce que ça t’a plu ? » et « est-ce que tu
penses que ça t’a servi ? ».
Cette dernière partie de l’évaluation du DISPO, après celles de l’entrée dans le dispositif et du
déroulement des séances de travail, implique de revenir sur l’objectif principal du programme
d’égalité des chances : susciter l’ambition de faire des études supérieures chez des élèves de
milieux populaires en renforçant leur confiance en soi et certaines compétences comme la
prise de parole, la rédaction etc. Il est important de rappeler que ma démarche vise à
transmettre ce que pensent les élèves et les professeurs de leur propre expérience, cela n’a
aucune prétention d’exactitude. En effet, comme on l’a évoqué en introduction, le premier
biais est celui de l’entretien, sachant très bien que je travaille sur le DISPO, il est sans
conteste difficile pour certains de me dire qu’ils n’ont pas aimé ou n’en ont pas vu l’intérêt.
Ensuite certains vont attribuer à leur participation au DISPO, des décisions ou évolutions de
leur comportement sans que le dispositif en soit nécessairement l’unique déclencheur.
1.
Ce qui a plu aux élèves participants
Dans l’ensemble, les élèves ont apprécié le programme DISPO pour des raisons
souvent très différentes, qui tiennent à la personnalité et aux envies de chacun ainsi qu’à la
manière d’aborder ce type de travail comme on l’a dit plus haut. Il est important de noter que
même les élèves qui ne se sont pas spécialement épanouis dans ce travail souhaitent continuer
l’expérience l’année prochaine. Ils expliquent cette décision soit par le fait qu’ils sont
intéressés par la préparation du concours commun des IEP soit parce qu’ils ne voient pas non
plus l’intérêt d’arrêter.
43
Comme on l’a vu, les journées à Toulouse ont été plébiscitées, il en est de même pour
le tutorat étudiant. La rencontre avec les étudiants de l’IEP a en effet soulevé l’enthousiasme.
Les tuteurs ont pu répondre à toutes sortes de questions que se posaient les élèves sur les
études supérieures en général et l’école Sciences Po en particulier. Ils ont pu prodiguer des
conseils sur le concours d’actualité, le colloque ou le concours de l’IEP à deux reprises quand
ils sont venus dans les lycées pendant les séances de travail. Ils ont en cela bénéficié de leur
statut particulier de tuteurs, ni élève, ni professeur. Vincent, élève de première année de l’IEP
qui avait suivi le dispositif à Carmaux et est passé comme il dit « de l’autre côté de la
réussite », l’explique assez bien :
« On n’est pas des profs, quand on va là-bas… Ben les terminales [nous prennent] pas
du tout [pour des profs], parce qu’ils nous connaissaient, et les premières, ils étaient
un peu intimidés, certains ont commencé à nous vouvoyer et on a dit « mais non ! » et
donc, ça s’est très vite fait après, parce que mettons, avec les premières, ils nous
considèrent pas comme des profs, mais on est en-dessous de profs, mais au-dessus de
camarade, donc on est entre les 2 et c’est assez bien parce qu’ils nous, ils sont… c’est
pas une question de respect, mais ils sont attentifs comme si on était des profs, mais ils
sont libres comme si on était comme eux, fin, comme si c'était nos camarades quoi. »
Le rôle du tuteur est d’incarner l’institution, et par là de la démystifier, ils montrent par leur
présence qu’il ne s’agit pas d’étudiants qui ne font que travailler toute la journée, ou qui sont
en costard cravate. Ils peuvent raconter la vie étudiante, rassurer sur la difficulté des cours,
préciser les thèmes abordés. Le cas de Vincent est encore plus parlant et particulier parce qu’il
a suivi le dispositif, il était dans le même lycée avec les mêmes professeurs et montre par sa
seule réussite et en devenant tuteur que c’est possible. Il est vraiment là pour leur donner
l’envie de travailler de manière différente, comme lorsqu’il explique qu’il a révisé l’épreuve
d’anglais en regardant des séries en VO et en streaming sur internet ou qu’il a commencé à
lire par quelques articles de l’Equipe parce qu’il s’intéressait aux résultats sportifs et
qu’ensuite l’habitude est venue.
Outre le tutorat étudiant, ce qui a plu aussi était de visiter une ou plusieurs grandes écoles,
tout le monde est allé à Sciences Po et certains sont allés à Supaéro et dans des universités.
C’est ce qu’exprime Paul, élève de terminale à Toulouse, qui par ailleurs a décroché du
dispositif assez rapidement :
« Mais en soi, c’est vrai que c’est bien ce dispositif pour permettre à ceux qui sont
issus des classes populaires, fin moi je sais pas si je suis issu des classes populaires,
fin disons pour ceux qui ont des difficultés financières, sociales, fin dans leur vie, leur
permettre d’atteindre plus ou moins même la porte de Sciences Po, c’est vrai que c’est
pas mal, même si les gens qui sont au dispositif, je pense pas que ce soit réellement
des gens qui souffrent de, disons que vraiment les gens de classes populaires, ou qui
vivent en banlieue, y en a pas qui était dans le dispositif. »
44
D’autre part et pour se rapprocher des séances de travail habituelles, le fait
d’apprendre des choses est revenu souvent dans ce qui a plu aux élèves interrogés. On peut
constater que beaucoup d’élèves identifient le DISPO au sujet qui a été abordé dans l’année.
Ils ne voient plus vraiment cela comme un programme égalité des chances qui s’étale sur trois
ans, mais comme un travail sur un sujet qui mène à une production et donc constitue un
apport de connaissances sur ce sujet, grâce aux recherches effectuées. Cela joue surtout au
niveau des secondes et des premières tandis qu’en terminale les élèves soulignent le fait que
les cours de préparation au concours peuvent les aider pour le bac. La plupart des élèves qui
se positionnent par rapport à un sujet parlent peu des compétences acquises pour réaliser ce
travail et pensent que leurs connaissances sont plus utiles sur le plan personnel que scolaire,
sauf ceux qui pensent les remobiliser dans des cours de sciences économiques et sociales. Ils
ne se posent pas toujours la question de l’utilité de ce savoir, cependant il leur est ensuite plus
difficile que les autres de répondre à la deuxième question sur les apports du DISPO : « en
quoi cela leur a-t-il servi ? ».
Certains élèves qui sont semble-t-il plus scolaires ou du moins mieux adaptés à la norme
scolaire que les autres, voient eux les compétences acquises et les décrivent comme ce qui
leur a plu : découvrir une autre manière de rédiger pour le journal, prendre la parole à l’oral
devant beaucoup de gens pour le colloque, réaliser des interviews d’acteurs locaux, rechercher
des sources fiables, apprendre à synthétiser un travail en groupe, la méthodologie de l’épreuve
sur les questions contemporaines… etc. Ils savent qu’ils pourront remobiliser ces
compétences dans d’autres situations même si pour la plupart l’opportunité de ces autres
situations reste très floue : les TPE, le bac ou les études supérieures ont été mentionnés
comme des horizons lointains. Rares sont ceux qui ont décelé un impact sur leurs études ou
sur leurs résultats scolaires du moment.
Enfin si les sorties et les voyages réalisés dans certains lycées seulement et selon les
opportunités qui se présentaient ou les envies et compétences des professeurs ont été
appréciés et vécus comme des bonus car ils ne faisaient pas partie du programme au départ,
les élèves ont vraiment du mal à voir le lien qui existe entre le DISPO, ses séances de travail
et ces sorties. Aller au théâtre, au musée, faire une sortie de spéléologie qui symbolise le
dépassement de soi, continuer ses recherches pour le colloque en Allemagne pendant une
semaine sont à titre d’exemple quelques unes des activités proposées. Elles permettent à la
fois de souder le groupe, de voir les professeurs sous un autre angle et de diversifier les
45
expériences culturelles des élèves. Ceux-ci pensent qu’ils ont de la chance de pouvoir le faire,
d’autant plus qu’ils se sont rendus compte lors des journées à Toulouse que ce n’était pas le
cas de tous les lycées, mais ne voient pas le lien avec Sciences Po.
A l’inverse, quand le dispositif n’a pas plu aux élèves, on remarque soit, qu’ils ne se
sont pas beaucoup investis, soit qu’ils ont trouvé que ce n’était rien d’extraordinaire : ils ont
pris les séances de travail comme un club entre midi et deux, pendant lequel des élèves
préparaient un grand exposé. Ils ne voient pas donc pas d’apport spécifique au DISPO en
dehors des autres cours ou autres clubs et activités avec les copains. Généralement ils avaient
aussi déjà l’habitude de travailler avec les gens du DISPO. On peut noter que pour les
terminales ce qui déplaît est la compétition qui peut s’instaurer entre les membres du groupe
qui cherchent à se mettre en avant en posant des questions intelligentes aux professeurs.
Cependant cela joue surtout pour des groupes qui n’étaient pas constitués préalablement en
seconde et en première et l’on peut penser que ce ne sera plus le cas dans les prochaines
années si la plupart des élèves suivent vraiment le dispositif en trois ans.
2.
L’impact sur l’ambition, la confiance en soi
Les principaux apports qu’espère donner le DISPO aux élèves se situent au niveau de
l’ambition et de la confiance en soi, il est malgré tout difficile de mesurer efficacement
l’impact de la participation au dispositif sur ces deux qualités surtout dans un laps de temps si
réduit : une année et aucun recul pour la plupart des élèves interrogés. On peut en revanche
regarder l’évolution de leurs vœux d’orientation, de leur comportement en classe et bien sûr
écouter le retour qu’ils peuvent en faire tout en sachant que cela peut être déformé par rapport
à la réalité.
« je crois que surtout ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un déficit de confiance en
soi, chez nous et aussi, fin moi j’ai remarqué ça, mais je sais pas si c’est une réflexion
qui est partagé, j’ai remarqué que quand on est de milieu modeste, être ambitieux,
c’est presque pas moral, fin y a une espèce de pudeur, une espèce de gêne à dire qu’on
a de l’ambition quand on est de milieu modeste »
En partant de ce constat fait par Samuel, élève de terminale à Carmaux, le DISPO aimerait par
l’attention des professeurs, l’apport de compétences et de connaissances, ainsi que par les
rencontres et informations recueillies, pouvoir changer les choses. Il s’agit d’une ouverture
valorisée par les élèves qui n’avaient pas l’occasion de profiter de ce type d’activité ou
rencontre par eux-mêmes. Au contraire, certains élèves très engagés dans la cité, ou qui ont
fait par le biais familial des rencontres professionnelles intéressantes ou des stages qui
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requéraient des compétences proches de celles développées par le dispositif se disent moins
influencés par leur participation. L’important est d’abord d’informer, de faire connaître
Sciences Po ou d’autres possibilités d’études supérieures comme les universités aux élèves.
On peut voir que parfois, l’effet escompté qui est de donner l’envie de se lancer dans des
études longues n’est pas au rendez-vous, mais peut-être n’est-ce pas non plus un échec du
DISPO. C’est ce que nous montre d’après moi le témoignage d’Emilie également élève de
terminale à Carmaux :
« d’un côté ça m’a aidé à me rendre compte que la fac finalement c'était peut-être pas
fait pour moi, parce qu’il faut être autonome et moi je sais que si on me pousse pas
derrière, je serai tentée de faire autre chose, donc voilà, ça m’a aussi permis de me
dire ça… Fin je sais pas, fin moi je me vois pas à la fac. Autant en seconde et première
fin voilà, j’étais sérieuse, et en terminale c'était plus dur, fin peut-être que c'était un
lassement, le lycée ça va un peu… »
Finalement décidée à passer les concours afin de rentrer dans une école d’infirmière, Emilie
réalisera ainsi une forme d’ascension sociale peut-être plus en conformité avec les valeurs
qu’elle souhaite développer dans sa vie y compris professionnelle. En tout cas pour elle le
DISPO était une expérience positive qu’elle a suivi jusqu’en fin de terminale et depuis la
seconde alors même qu’elle ne voulait pas passer le concours de l’IEP.
L’intérêt de ce programme pour Vincent, le tuteur étudiant passé par le DISPO, est
d’éviter tout risque de déterminisme social et géographique, il ne s’agit donc pas d’inciter des
gens qui ne seraient pas intéressés par des études ambitieuses, mais bien de leur montrer que
c’est possible comme l’indique son témoignage :
« pour Carmaux, c’est pas évident, quand on rentre en seconde de se dire qu’on va
aller à la fac, donc on essaye de leur dire que ben voilà, Toulouse c’est pas non plus si
loin que ça, c’est pas parce qu’ils habitent dans une ancienne cité ouvrière, qu’ils sont
obligés de devenir ouvriers. Fin j’ai rien contre les ouvriers, moi je voulais faire ça,
mais c’est pas parce qu’ils sont là qu’ils sont obligés de faire ça ! Leur père est
routier, mais ils sont pas obligés d’être routier, mais c’est pas du tout péjoratif, fin
c’est juste comme ça. C'était un peu […] leur dire que c’est possible, ça les intéresse
tant mieux, ça les intéresse pas tant pis, mais au moins leur dire, voilà « n’ayez pas
peur d’avoir un peu d’ambition mais quand même travaillez pour y arriver » ! »
On n’évalue pas les effets du dispositif au nombre de trajectoires infléchies, mais son rôle est
bel et bien de montrer par différents biais que c’est possible de le faire. Evidemment comme
le rappelle à juste titre l’étudiant tuteur, cela ne se fait pas sans travail, sans se confronter à la
compétition et éventuellement sans être déraciné si l’on est très attaché à sa campagne, à son
milieu social et à ses amis d’enfance.
On peut voir que pour Vincent comme pour Samuel, le manque d’ambition est très lié à un
47
déficit de confiance en soi dû à plusieurs facteurs (ruralité, éloignement, profession et
diplômes des parents…) et pas nécessairement lié aux résultats scolaires ou aux possibilités
économiques. Ils ont en partie raison bien qu’il convient ici de rappeler que ce sont tous les
deux d’excellents élèves ce qui n’est pas le cas de tous les élèves du programme. En revanche
dans le cas de Paul, qui lui aussi a de très bons bulletins de notes, Sciences Po reste
inaccessible, on peut souligner que c’est probablement cela qui l’a empêché de bien suivre le
programme. Pour lui, en tout cas c’est son discours, on peut difficilement passer au-delà d’un
certain déterminisme social. Ce dernier se caractérise d’un côté par une pression familiale
chez ceux qui sont d’origine aisée et de l’autre par l’absence de soutien patent et la sensation
d’être déplacé qui dominent chez les classes populaires.
« Les élèves qui vont au dispositif Sciences Po, ils sont peut-être défavorisés sur le
plan économique, mais après, s’ils vont pas à Sciences Po, je pense qu’il y a beaucoup
de chance pour qu’ils fassent des études assez élevées. […] Ils ont une bonne image
[de Sciences Po], je connais 3 ou 4 filles qui vont le tenter Sciences Po, elles ont le
profil d’élèves studieuses, depuis le collège elles enchaînent les bonnes notes, elles
s’accrochent beaucoup à ça mais aussi, parce qu’il y en a beaucoup qui ont une
pression familiale, y en a une par exemple dont la mère est médecin, et je sais plus.
C’est vraiment, « si je fais pas Sciences Po, ça colle pas du tout avec ce qu’ont fait
mes parents ». »
Sa tentative d’adhérer au dispositif tient notamment au fait qu’il a été poussé par le professeur
référent qui exprimait ainsi sa confiance en ses capacités comme il le dit lui-même :
« J’y allais pas souvent, d’ailleurs, ça le décevait à Malrieu, on va dire qu’il croit en
moi et d’ailleurs, si j’y suis allé quelques fois, une partie de mon avis, c’est pour ça,
bon après ça c’est un peu personnel, mais vu que ma mère, elle est pas au courant,
parce qu’elle a arrêté les cours rapidement, elle sait pas comment ça se passe le
cursus scolaire, les études supérieures, si j’entrais à Sciences Po ça lui ferait la même
chose que si je lui disais que je faisais un BTS. Après mon père, si lui il connaissait,
mais je le vois pas souvent. Donc disons que la seule personne qui me motivait avec
Sciences Po, c'était mon prof d’éco. Donc en plus ça me faisait plaisir de voir
quelqu'un qui avait confiance en moi etc. »
Malgré tout, le gain de confiance en soi a été évoqué par plusieurs élèves que ce soit
dans les entretiens avec moi ou dans les bilans effectués par les professeurs à la fin de l’année.
En effet plusieurs enseignants ont remarqué que l’attitude des élèves participants a évolué au
sein de la classe notamment dans la prise de parole pour des élèves d’habitude très discrets.
D’autre part dans les entretiens, le fait d’avoir l’attention des autres élèves du groupe et des
professeurs de manière simple et déconnectée du rapport scolaire classique rassure et permet
le débat. Cet intérêt, au-delà des activités proposées, qui comme on l’a vu n’est pas forcément
répercuté par la famille, est important dans la détermination des vœux d’orientation. Sous sa
forme IEP-lycées cibles, des trajectoires ont déjà été modifiées comme le montre l’exemple
48
de Vincent qui voulait être compagnon du devoir et est actuellement étudiant à l’IEP et
comme l’expliquent les professeurs membres du GRF.
C’est en abordant ainsi les éventuels apports du dispositif que l’on se rend vraiment
compte de l’importance de mieux en connaître les bénéficiaires. Effectivement, la confiance
en soi et les ambitions par exemple sont fortement conditionnées par des caractéristiques
personnelles qui tiennent à la famille d’abord et ensuite aux occupations qu’ont les
adolescents par eux-mêmes en dehors du cadre du lycée et bien sûr de celui du DISPO.
Ces goûts, activités et qualités que nous allons nous attacher à décrire dans les deux chapitres
suivants se caractérisent par des aspects qui me semblent assez conformes aux adolescents de
cet âge-là et à d’autres qui me paraissent plus inattendus voire dans certains cas exceptionnels.
Sans m’attacher uniquement à ces derniers, je cherche à mieux cerner les élèves interrogés en
dehors de leur participation au programme tout en sachant qu’elle peut en partie être
expliquée par ces éclairages.
49
II. Dans la famille et la société, les élèves trouvent leur place
Dans l’ensemble, le rapport à l’école des élèves participants au DISPO est plutôt très
positif. En effet, ils soulignent pour la plupart qu’ils aiment l’école, c’était une des questions
posées, qu’ils aiment apprendre, même si cela dépend bien sûr des professeurs et des matières
enseignées. S’ils sont quelques uns à remarquer que le travail n’est pas toujours récompensé
par de bonnes notes, la majorité a plutôt de bons résultats puisque c’était un des critères de
sélection du DISPO, et pratique une forme d’instrumentalisme par la sélection des matières
dans lesquelles ils s’investissent en fonction de leurs goûts et de leur projet scolaire.
Cependant comme on l’a vu en introduction, le rapport à l’école est conditionné par
l’ensemble des caractéristiques de l’environnement dans lequel l’élève évolue. Sans s’en tenir
ici à l’environnement scolaire, c'est-à-dire aux professeurs, à l’établissement et aux options
suivies, il s’agit d’étudier comment l’élève s’inscrit dans un environnement familial
conditionné par des caractéristiques socio-économiques et culturelles. Si les théoriciens
débattent encore de l’influence réelle de la famille et du milieu culturel dans lequel l’enfant
est baigné sur sa trajectoire scolaire, on peut voir dans les entretiens que pour les élèves
interrogés cela est bien réel. Ils mobilisent par exemple des modèles ou contre-modèles
familiaux pour justifier leurs choix et leurs aspirations (A). Les adolescents interrogés
s’inscrivent également dans la société dans son ensemble en dehors des contraintes scolaires,
ce qui ne veut pas dire que cela n’influence pas après leur rapport à l’école d’ailleurs. Ils
développent des moyens de se rendre utiles à travers des engagements associatifs ou
travaillent pour gagner l’argent qu’ils voudraient dépenser pour eux-mêmes notamment dans
le cadre de leurs pratiques culturelles comme on le verra plus tard (B). Une partie des
interviewés semble trouver sa place facilement et de manière plutôt précoce dans la cité ainsi
que dans la famille, grâce à des moyens d’agir ou de réagir propres à chacun.
A.
Le rôle de la famille dans les rapports à l’école
On peut remarquer à travers les témoignages des élèves qui d’ailleurs n’ont pas
précisément été interrogés là-dessus donc ne l’ont pas forcément abordé de manière directe
dans l’entretien, que la famille joue un rôle primordial et contrasté selon les professions et le
niveau d’étude des parents et des frères et sœurs plus âgés. L’adolescent en tant qu’élève
notamment doit trouver sa place dans les rapports sa famille à l’école.
50
Les familles des classes populaires que l’on évoquera ici, seront définies à partir des
informations dont je dispose c'est-à-dire de leur profession et catégorie socioprofessionnelle
(PCS) : agriculteurs, ouvriers ou employés ainsi que chômage ou sans profession, et d’un
indicateur de leur niveau de revenu : enfant boursier du secondaire ou pas. On considérera
aussi, s’il est connu, le niveau de diplôme des parents. En effet, il convient d’articuler ces trois
facteurs, car deux parents agriculteurs sortis d’école d’ingénieur et dont la ferme tourne bien
pourront faire rentrer leur fille dans le DISPO mais celle-ci ne sera pas boursière, ce qui
montre qu’il n’est pas question de difficultés financières dans cette famille.
On peut voir que la plupart des familles de classes populaires n’aident pas leurs enfants à faire
leurs devoirs et à se déterminer dans leur orientation. Cependant cette variable semble très
dépendante de la situation de la mère, en effet, si celle-ci a un niveau d’études élevé, ce qui ne
l’empêche pas par exemple d’être au chômage ou sans profession, elle aura alors le temps et
les capacités d’aider son enfant sur le plan scolaire et de se renseigner pour son futur. Le rôle
de la mère, déterminant dans l’éducation des enfants en général, est encore accentué dans les
familles monoparentales ou recomposées. Si l’aide n’est pas toujours possible ou garantie, on
constate que ces familles s’intéressent malgré tout beaucoup à la scolarité de leurs enfants. Ils
essayent de faire au mieux pour les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes et parfois à
avoir une profession en accord avec leurs goûts et leur niveau scolaire.
1.
Stratégies et projets scolaires
Selon la sociologie de l’éducation, pour garantir la réussite des élèves, il faut qu’un
projet scolaire soit intégré au projet familial29, ce sont alors les familles des classes moyennes
ou supérieures qui sont les mieux armées pour réaliser cette symbiose, cependant les pratiques
éducatives s’avèrent influencer plus les carrières scolaires que l’origine sociale de la famille 30.
a) Stratégies scolaires et négociation familiale
Le plus souvent le rapport à la scolarité de leurs enfants se vit dans les familles populaires
sous le mode de la confiance. En effet, selon eux, leurs enfants sont plus qualifiés et plus à
même de se gérer par rapport aux exigences scolaires, c'est-à-dire pour faire leurs devoirs et
même décider de leur orientation ou au moins de leurs options. Cela s’exprime dans certains
cas de manière très clair. Les bons élèves qui ont du caractère et un minimum d’ambition
29
Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème
édition, 2007, chap. 8 « Les pratiques éducatives des familles » p. 155
30
C. MONTANDON, « Les relations des parents avec l’école », Lien social et politique-RIAC, n°35, 1996
51
imposent carrément leurs choix aux parents comme le montre le témoignage de Pierre, élève
de seconde à Lavaur et fils d’ouvrier, qui explique ici la réaction de ses parents à son projet de
participer au DISPO :
« Ils étaient d’accord avec moi, ils me laissent en fait lorsque je prends une décision,
ils savent que ce sera à moi de gérer l’entière responsabilité, par exemple, si j’ai des
contraintes, ce sera à moi de les résoudre. Ben par exemple si je devais être pris d’un
surplus de travail ça aurait été à moi à résoudre ce surplus, à trouver les solutions
adéquates.
MD : ils vous font confiance en fait. Ils vous soutiennent dans ce projet ou pas
spécialement ?
Non, non, ça a été je faisais le projet, ce sont mes affaires et donc j’ai… comme par
exemple lorsqu’il fallait trouver des idées, c'était à moi de les trouver, je n’allais
jamais leur demander des conseils, comme pour moi c'était le projet que je faisais
avec la classe, je ne voyais pas spécialement le but d’insérer mes parents dans ce
projet. »
La famille et l’école sont pour lui des sphères bien séparées. Pierre revendique une autonomie
et fait preuve de débrouillardise, en même temps il raconte ce qu’il fait à ses parents et était
fier ensuite de leur montrer le produit final du DISPO.
Au contraire, on constate qu’il y a plus de négociations dans les familles favorisées entre
l’adolescent et l’adulte sur le sujet de l’école, sauf que c’est quand même souvent l’adulte qui
a le dernier mot : cela peut avoir lieu à propos du choix de la filière du baccalauréat, de
l’établissement ou des études supérieures visées. J’ai été confrontée au cas de parents cadres
qui voulait que leur fils fasse la filière S afin de pouvoir reprendre l’entreprise familiale. Dans
les familles défavorisées, les parents se contentent de donner des conseils ou de désapprouver
des décisions prises par les enfants en fonction de leurs aspirations mais ce ne sont pas eux
qui prennent la décision. Dans le témoignage de Lisa, élève de seconde au lycée de Lavaur on
peut voir les contradictions de certains impératifs. Sa mère est cadre, mais ne doit pas gagner
beaucoup d’argent étant donné que Lisa est boursière. On voit dans cet extrait qu’elle a
interféré dans le choix de l’établissement mais c’est bien sa fille qui a pris la décision :
« Ben en fait au début je voulais aller à mon lycée de secteur, puis là où tout le monde
va, c’est grand ça a l’air bien, donc je voulais aller là avec une option scientifique,
mais ma mère elle voulait pas. Parce que « non c’est trop grand, c’est n’importe quoi,
tout le monde fait ce qu’il veut, je veux pas que t’aille là ». Donc du coup, je savais
pas mais du tout, où aller, mais 2 mois avant la fin de l’année ! Et puis moi j’aime
bien l’art, vu que ma mère elle est prof de musique, elle fait de la peinture, fin je suis
un peu baignée dans l’art donc ça m’intéresse assez, puis j’ai une amie qui allait, fin
elle fait partie du projet, et elle voulait aller à Lavaur, et moi jamais je m’étais dit
d’aller à Lavaur, et elle m’a dit qu’il y avait une option cinéma. Donc je me suis un
peu renseignée, j’ai vu un peu sur internet, donc je suis allée à Lavaur et puis j’ai vu
« interne » en plus, donc j’y suis allée ! »
52
Lisa, à partir de la contrainte de ne pas aller dans l’établissement de secteur posé par sa mère,
par ailleurs peu investie dans les études de sa fille qui jouit d’une grande liberté, contourne la
carte scolaire en prenant une option cinéma audiovisuel. Cette option lui plait, mais ne
correspond pas à son projet initial, qu’elle gardera, d’aller dans une filière scientifique. Par
cette décision, elle devient interne ce qui lui permet apparemment de s’épanouir à la fois en
dehors de la famille dans la semaine et en son sein le week-end.
Beaucoup d’élèves participants du DISPO font preuve d’une certaine forme de
stratégie scolaire qui s’opère notamment à travers la distinction permise par le choix des
options et de l’établissement. Comme le montre la sociologie de l’éducation, lorsqu’une
décision de ce type est prise dans les familles des classes populaires, il ne s’agit pas en
général d’un gain d’avantages et cela résulte de décisions prises par les enfants 31. Pourtant on
peut constater que des décisions en faveur d’options distinctives ont été prises par des élèves
de milieux défavorisés comme le montre le témoignage de Jiuliana. Elle se retrouve en
seconde dans une classe agitée, dans laquelle il n’y a pas une bonne ambiance de travail, et
pour elle c’est la première fois car grâce à son option bi-langue, elle avait été dans des classes
calmes et studieuses pendant tout le collège :
« Ouais, je suis dans une section bi-langue allemand, donc depuis la sixième je fais
allemand. Donc ça veut dire que dès la sixième on fait deux langues en fait. Ce qui fait
que j’ai toujours eu de bonnes classes. Vu que c’est l’allemand, j’ai suivi tous ces bons
élèves jusqu’au collège, jusqu’en troisième.
MD : Et là tu fais plus bi-langue ?
Si je continue, mais les première langue et deuxième langue sont mélangés. »
C'est son instituteur de CM2 qui l’avait lancée sur la piste de cette option, et c’est elle-même
qui a choisi la langue allemande car cela existait aussi en espagnol. En se rajoutant des heures
dès la sixième et en choisissant une langue qui devient rare et plutôt réputée pour être prisée
par les fils de cadres ou d’enseignants, elle s’assure, par un mécanisme de distinction, une
place dans des classes privilégiées.
Dans l’ensemble les élèves participants au DISPO ont choisi des options spécifiques
(différentes ou en plus des sciences économiques et sociales, SES) mais qui n’ont pas toutes
les mêmes effets. Le latin est assez peu répandu mais constitue statistiquement un avantage
pour les élèves qui le continuent au lycée, tandis que si les options artistiques ne sont pas
forcément bien vues dans un projet de valorisation par rapport à d’autres élèves puisqu’elles
31
Voir R. BALLION, La bonne école : évaluation et choix du collège et du lycée, Paris, Hatier, 1991
53
mènent a priori à un bac littéraire, elles utilisent la même manière de travailler que le DISPO
et permettent aux élèves soit de s’ouvrir sur des disciplines culturelles soit de mettre en avant
sur le plan scolaire des compétences développées pendant leurs loisirs. Enfin la LV3 est
souvent la manière la plus directe de choisir un établissement notamment un lycée de centre
ville mieux doté en option. La LV3 arabe par exemple se trouve à Tarbes et à Toulouse. Pour
corroborer les résultats de plusieurs études sociologiques, lorsque les élèves interrogés de
milieux populaires changent d’établissement, c’est pour aller dans des établissements
similaires, mais qui pour eux représentent le changement ou la possibilité de suivre une option.
Ce n’est pas le cas des enfants de milieux plus favorisés ou des fils de professeurs comme le
montre l’exemple de Marie qui passe d’un petit lycée de la campagne au lycée de centre ville
de Tarbes grâce à une option LV3 italien tandis que Slimane fils d’ouvrier qui vient au même
lycée pour suivre la LV3 arabe aurait été sinon également scolarisé dans un lycée de centre
ville à la composition comparable.
b) Peu de véritables projets scolaires chez les classes populaires
Pourtant ces stratégies scolaires ne s’inscrivent pas toutes dans un projet scolaire. En
effet, si la plupart des élèves montrent qu’ils sont motivés par la perspective du bac et par les
objectifs progressifs qui émaillent leur parcours scolaire, ils n’ont pas pour autant prévu ce
qu’ils allaient faire comme études ou comme métier dans un avenir plus lointain. Comme le
montre l’exemple de Carole, élève de seconde au lycée de Gaillac, qui est première de sa
classe avec 17 de moyenne et veut toujours faire mieux, dans une forme de compétition avec
elle-même pas du tout encadrée par les parents et qui n’a pas pour but d’aller forcément en
classe prépa ou dans une grande école :
« MD : pourquoi c’est aussi important d’avoir de bonnes notes ?
Je sais pas, euh, c’est une satisfaction personnelle avant et puis je trouve ça dommage
de pas essayer de donner le meilleur, tant qu’on peut.
MD : donc c’est pas forcément en pensant à plus tard.
Non, c’est parce que voilà.
MD : et pour la chimie t’as pensé à des études ?
Non j’ai pas encore pensé ! Ben les profs ils disent toujours qu’il faut aller en prépa,
que c’est mieux, que c’est plus encadré, mais comme j’ai eu un peu des échos de
l’ambiance là-bas, ça me fait un peu peur, mais bon, je passe mon bac et après je
verrai, je vais essayer de pas trop me compliquer la vie encore… Je sais que là-bas on
n’a pas forcément les mêmes résultats qu’ici, c’est… Et pour moi ça me casse, j’ai
peur de pas supporter en fait. »
Les élèves sont peu nombreux à mobiliser l’utilité des savoirs enseignés au lycée dans leurs
54
motivations pour faire des études supérieures ou un métier. Comme ce sont pour la plupart de
bons élèves, ils sont capables de valoriser en soi le fait d’apprendre, le savoir. On le verra
également dans d’autres pans de leur vie, mais ces élèves sont soit surinvestis sur le plan
scolaire comme le montre l’exemple extrême de Carole, soit font preuve d’une curiosité
d’esprit et développent des pratiques propres afin de mieux apprendre. Pour les quelques
élèves en difficulté, tous des garçons de seconde, qui est la dernière année sans examen, ce
qui ressort est le sentiment d’ennui pendant les cours et justement le manque d’objectifs clairs.
Ces deux types d’élèves qui s’opposent dans leur rapport à l’école développent cependant le
même style de stratégie proche de l’instrumentalisme : ils font le choix de matières payantes
selon eux, en adéquation avec leur projet scolaire, par exemple le choix de la filière. Ils font
alors mieux leurs devoirs dans ces matières-là, s’assoient plus souvent au premier rang et
réduisent leurs bavardages afin d’être en meilleurs termes avec ces professeurs-là. On peut
éventuellement avancer ici un autre aspect qui explique le nombre d’élève de la filière ES ou
voulant la suivre dans le DISPO. En effet, beaucoup de professeurs référents sont des
professeurs d’SES, ce qui s’est fait d’une part par l’intérêt accru de ces enseignants pour
Sciences Po, proche de leur matière, et d’autre part par réseau de connaissance, étant donné
que le coordinateur pédagogique du DISPO a été le formateur IUFM de nombreux
participants au programme. Les élèves peuvent eux avoir eu envie de s’investir dans le
programme pour les professeurs responsabilité parfois avec une envie de bien faire dans des
travaux qui mobilisent des connaissances requises en SES.
Encore une fois, dans l’optique d’un projet scolaire post-bac, les inégalités sociales se
font sentir, les enfants de cadres ou de professeurs sont beaucoup mieux informés sur
l’orientation et les possibilités qui leurs sont offertes tandis que les élèves des milieux
populaires accordent plus d’importance aux conseils des enseignants ou des conseillers
d’orientation qui ont plus tendance à être impersonnels et à moins être en adéquation avec
leurs aspirations et leurs valeurs. Ceci dit, les familles populaires mobilisent elles aussi les
ressources à leur disposition afin de garantir la réussite de leurs enfants, mais parfois cet effort
est rendu infructueux par des comportements contradictoires. On peut prendre ici l’exemple
de la mère d’Alizée, élève de terminale à Mirepoix, qui encourage sa fille à passer le concours
d’entrée à l’IEP si elle travaille bien, mais à la fois rate les inscriptions en dépassant la date
limite et lui explique que ce n’est pas un drame si elle n’a pas son bac… :
« Ma mère m’a toujours encouragée si je travaillais pas je risquerais pas d’y arriver.
Je me dis que de toute façon j’y arriverai pas, mais je veux essayer, ça m’apprend
55
quoi, surtout le concours de l’IEP, je me dis que si je passe le concours de l’IEP, les
autres concours me paraîtront plus facile. Ma mère elle m’a encouragée, elle m’a dit,
« si tu rentres là-dedans, c’est vraiment ce qui t’irais le mieux, tu pourrais aller
n’importe où, c’est vraiment… »
[…puis plus tard dans l’entretien :] elle me dit, « moi je m’en fous que t’aies pas le
bac, de toute façon en plus je resterai toute seule l’année prochaine », tout ça tout ça,
mais elle me dit « de toute façon c’est ta vie moi je t’oblige pas à rester, je veux que tu
partes d’ici, je sais que Mirepoix t’en as marre ». Ben ouais, j’y suis depuis la 6ème ! »
Les familles de milieu modeste qui font tout pour que leurs enfants réussissent ont en général
des traits particuliers qui peuvent s’expliquer par une trajectoire sociale et professionnelle
originale : certains parents peuvent avoir été contraints d’arrêter leurs études avant l’heure, ou
certaines familles développent un réseau de connaissances mobilisable par les enfants qu’il
soit associatif, religieux ou professionnel32. Ces éléments vont être pour moi assez difficiles à
évaluer étant donné que je n’ai pas réalisé d’entretiens auprès des parents d’élèves, cependant
il en reste ce que les enfants disent et qui semble basé sur un calcul coût-bénéfice qui met en
balance la teneur et la longueur des études avec les trajectoires professionnelles des parents.
2.
La mobilisation de modèles et contre-modèles familiaux
Les élèves interrogés ont tendance à beaucoup mobiliser des modèles familiaux qu’ils
soient positifs ou négatifs en montrant qu’ils influencent par leur exemple leurs choix ou du
moins leurs façons de voir les choses. On sent alors que le projet scolaire est en partie
déterminé par un calcul du type coût-bénéfice33. Emerge alors la notion de rentabilité des
études qui se mesure par rapport aux exemples que les enfants ont sous les yeux, que ce soit
les parents ou des frères et sœurs aînés, à travers la combinaison de deux facteurs : niveau de
diplôme et emploi occupé. Par ailleurs, la valeur accordée au diplôme dépend du milieu social
dans lequel on se place puisque l’enjeu est d’au moins reproduire les positions parentales et
l’on constate que l’existence d’une logique d’intégration sociale qui favorise l’entre-soi
interfère également dans le choix des études34. On remarque cependant que ce calcul coûtbénéfice n’est pas le seul déterminant qui pousse les adolescents à se projeter ou pas dans des
études supérieures, ils mobilisent également des valeurs, des goûts et des préférences qui
prennent souvent racine dans leur expérience familiale.
Certains adolescents ont des exemples extrêmes dans leur famille : pour eux on peut être au
32
Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème
édition, 2007, chap. 8 « Les pratiques éducatives des familles » p. 155
33
Voir Lexique (en Annexe)
34
M. DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation PUF, 2002
56
chômage depuis longtemps tout en possédant un bac +5 comme leur mère et on peut être
cadre sans avoir réussi son bac comme leur père. Leur perception des études en est modifiée
comme l’exprime Arthur quand je lui demande ce qu’il veut faire plus tard :
« Je pensais fin, si vraiment l’école ça allait pas, je pensais trouver quelque chose à
faire et créer une entreprise comme mon père a fait. […] Après je me base toujours
sur l’exemple de ma mère même si j’y crois quand même, et de mon père en fait, c'està-dire que ma mère elle a bac +6 et elle est au chômage depuis 6 ans et elle a jamais
fait un boulot en lien, elle a fait libraire et animatrice pour les enfants, alors que mon
père il a pas le bac, il était en bac pro et il a même pas eu son bac pro, et il a été
engagé après pendant un stage, il a continué comme ça, et maintenant voilà, il a une
famille qu’il fait vivre et il fait vivre encore même ma mère et nous. »
Son analyse n’est pas uniquement liée à l’exemple de ses parents bien sûr, il est en ce moment
confronté à une forte baisse de ses résultats scolaires malgré des efforts apparemment peu
rentables dans les matières qui lui plaisent. Son discours est donc adéquat et vise à relativiser
son échec du moment, ceci dit je pense que pour lui l’horizon professionnel n’est de fait pas
vraiment corrélé aux études réalisées. Cela n’est toutefois pas le cas de tout le monde,
l’exemple inverse est également avancé par des adolescents qui voient leurs parents travailler
dans la même entreprise depuis toujours sans jamais être augmentés, c’est le cas d’Eloïse qui
a pris soin d’élaborer précisément son projet d’études supérieures dans le but d’échapper à
cette réalité du monde du travail :
« Moi ça me dérange pas de faire encore 5 années d’études après, et puis maintenant
de toute manière pour avoir un bon emploi tout ça, il faut faire des études, donc autant
s’en donner les moyens tout ça, c’est pas, fin quand je vois ma mère qui a pas
vraiment de diplômes et qui a travaillé toute sa vie dans la même entreprise sans avoir
de primes, sans avoir d’augmentation… je me dis voilà, moi j’ai pas vraiment envie
d’être comme ça toute ma vie, de gagner un salaire qui soit… fin voilà, je regarde pas
non plus le salaire, mais je veux pas toute ma vie ne pas pouvoir évoluer en fait, de
toujours avoir le même emploi du début à la fin sans pouvoir évoluer. Après voilà
j’aurais plus de connaissances, plus d’études, puis après voilà, si je veux faire de la
pratique… »
Eloïse n’a certes pas rencontré de difficultés scolaires, cela lui permet de se projeter plus
aisément dans des études supérieures en général, qu’elles soient longues ou courtes.
La nature des études envisagées dépendent aussi des contextes familiaux et
éventuellement d’autres rencontres effectuées. Comme on l’a dit, les élèves intègrent dans
leurs choix la notion d’entre-soi. A être trop ambitieux, ils savent qu’ils risquent de subir une
forme de déplacement social 35 en plus du déplacement géographique, nécessaire pour la
35
Voir l’article de P. PASQUALI « Les déplacés de l’ouverture sociale » in Les classes populaires dans
l’enseignement supérieur : Politiques, stratégies et inégalités, ACTES de la recherche, n°183, juin 2010
57
plupart des élèves qui veulent entamer des études prestigieuses qui requièrent un
déménagement à Toulouse ou dans une autre grande ville. Ce sentiment de ne pas avoir sa
place dans ce genre de formations est déjà présent chez beaucoup d’élèves de milieu populaire
même s’ils sont bons élèves et ont des exemples de réussite autour d’eux. On peut voir que
Samuel, élève de terminale à Carmaux parle de sa rencontre avec un élève de Fermat et
souligne le sentiment de légitimité dont fait preuve ce dernier, la certitude qu’il a d’être à sa
place à Sciences Po, concours qu’il prépare pour 5000€, tandis que comme on l’a vu, Samuel
pense que c’est presque immoral d’avoir de l’ambition en milieu modeste. Sa camarade du
DISPO, Emilie peut amener un début d’explication à ce sentiment, en effet pour elle choisir
son avenir revient aussi à être en adéquation avec ses valeurs, elle exprime ainsi sa préférence
pour le métier d’infirmière comme on l’avait déjà abordé dans le chapitre I :
« Parce que voilà, je trouve que ça apporte beaucoup de rapport avec les gens, j’aime
le sentiment d’être utile aussi, et c’est assez diversifié aussi, on peut travailler dans
plusieurs domaines, ya le libéral, les hôpitaux, fin voilà et… Et puis c’est un peu un
tout, et après bon, tout ce qui est commerce et finance, ça me plait pas, tout ce qui est
argent ça me plait pas donc euh, et ça m’attire pas tout ce qui touche à l’argent, donc
euh infirmière ça me va bien. […]
MD : et ça fait longtemps que tu veux être infirmière ?
Depuis l’année dernière en fait, ben je savais pas trop, à un moment je voulais faire
prof d’histoire géo puis un moment le commerce et puis au bout d’un moment, le
commerce ça m’a un peu dégouttée et maintenant infirmière.
MD : qu’est-ce qui t’as dégouttée du commerce ?
Ben en fait en éco, quand on fait, voilà les stratégies d’entreprise et tout ça, je trouve
ça pas très… fin avec l’emploi, tout ce qui se passe dans la société, les licenciements,
fin voilà, ça me dégoutte plus qu’autre chose… Le commerce c’est pas pour moi ! »
Ce n’est pas l’ambition qui n’est pas morale pour elle, ce sont les métiers auxquels celle-ci
peut mener. Il s’agit de savoir ce que l’on veut pour sa vie, le but ultime de tous n’est pas
forcément de gagner beaucoup d’argent et d’avoir un statut de cadre. Comme le montre Marie
Duru-Bellat
36
, pour expliquer les choix d’études, on peut mobiliser deux registres
d’explication : celui de Bourdieu et Passeron37 basé sur la théorie de la reproduction38 et celui
de Boudon39, la théorie d’un calcul coût-bénéfice qui prendrait en compte une anticipation
précise de l’avenir en fonction des capacités et des caractéristiques sociales de chacun. En
effet, l’arbitrage entre le coût en termes financier ou de temps auquel s’ajoute celui du risque
36
Voir M. DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation PUF, 2002, chap. 9, p. 190
P. BOURDIEU et J-C PASSERON, La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement,
Paris, Editions de Minuit, 1970
38
Voir Lexique (en Annexe)
39
R. BOUDON, La logique du social, Paris, Hachette, 1979
37
58
d’échec, et les avantages que les élèves peuvent retirer des études, peut intervenir dans le
choix entre études longues et études courtes tandis que les préférences et les valeurs
supposées issues de la tradition familiale dans un mécanisme de reproduction peuvent
intervenir dans le choix de la spécialité. L’inverse peut être vrai aussi : certaines formations
sont réservées à quelques uns comme le dit Samuel à propos de son ami de Fermat :
« il doute pas, parce qu’il a un sentiment de légitimité à mon avis, il pense que s’il
réussit c’est légitime, parce que pour moi c’est un héritier quoi »
tandis qu’après les avoir exclues, les élèves peuvent effectuer un choix rationnel entre les
filières qui restent.
Que ce soit dans l’un ou l’autre des registres de choix, l’origine sociale n’est pas le
seul facteur qui joue, la sensation d’éloignement par rapport à certaines positions sera d’autant
plus forte que l’on est scolarisé dans un milieu très rural ou qui a une forte identité régionale,
comme le montre le discours d’Eloïse, élève de terminale à Mirepoix :
« Ben après, comme dit notre prof d’éco, « l’Ariège, vous y tenez » on est vraiment
fin… on est des bons ariègeois quoi, on tient à notre département, mais c’est un peu
ancré dans notre culture, on peut pas quitter l’Ariège, c’est je sais pas… c’est assez
bizarre, c’est comme ça. Après on n’a jamais habité ailleurs alors on peut pas non
plus juger, la prof d’éco, elle nous dit tout le temps, « ah la la ces ariègeois, vous
quitterez jamais votre pays » notre pays en plus, c’est pas notre pays, mais presque !
MD : ceci dit toi, entre Cannes, Montpellier et Toulouse, tu as déjà prévu de bouger !
Ben oui, mais ceci dit au début, j’appréhendais… franchement je me disais, fin c’est
sûr j’avais pas envie de rester en Ariège même, à Toulouse ça va, c’est une heure et
demi d’ici, maxi, c’est pas loin, je peux revenir voir ma famille tout ça. Je sais pas
comment exprimer… c’est comme mes frères, c’est difficile de les quitter pour moi.
Mais à des moments faut faire des choix, si on reste ici, y a pas vraiment d’avenir, je
vais pas travailler dans la supérette du coin toute ma vie. »
Ce besoin d’en partir pour réussir est mis en balance avec la famille à laquelle on est très
attaché et que l’on doit momentanément quitter. L’arbitrage réalisé à un moment donné n’est
pas forcément définitif comme le montre le témoignage de Vincent, en première année à l’IEP,
qui fait donc des études longues et sélectives à Toulouse, travaille l’été pour pouvoir se payer
l’année de mobilité à l’étranger, mais a pour projet de revenir faire sa vie à Carmaux. L’espace
géographique est également à considérer de près, notamment à travers l’offre locale souvent
prisée car peu risquée et ne demandant pas de couper les liens avec son milieu d’origine si
rapidement.
La moitié des élèves interrogés ont des frères et sœurs aînés qui peuvent aussi alors
jouer un rôle de modèle à suivre ou à fuir d’autant plus que leur expérience des études ou de
59
l’entrée sur le marché du travail est beaucoup plus récente et qu’elle peut être plus proche et
plus crédible pour les adolescents que celle de leurs parents. La fonction souvent mise en
avant d’aide au devoir n’a ici pas lieu d’être. En effet, au niveau du lycée, les élèves ne sont
pas forcément scolarisés dans les mêmes filières que leurs aînés et en plus, surtout dans les
milieux ruraux, les frères et sœurs ont dû partir s’ils ont fait des études et ne rentrent souvent
que le week-end. On constate que s’ils font des études, cela apporte en général aux
interviewés une meilleure connaissance de l’offre d’études supérieures à disposition, ainsi que
la possibilité d’accéder plus souvent à l’une des villes aux alentours du domicile ce qui n’est
pas forcément le cas autrement. L’université a pu également être visitée à travers les frères et
sœurs, et certains y décèle déjà le défaut qui selon eux réside dans le besoin de faire preuve
d’autonomie pour pouvoir s’en sortir. Quant aux résultats, certains ont sous leurs yeux des
exemples de réussite, c’est surtout le cas des études courtes type BTS, DUT ou enfin concours
d’infirmière, quelques uns sont même déjà indépendants. Dans le cas de Khadîdja, élève de
seconde à Monteils, sa grande sœur constitue un véritable modèle, à la fois de réussite scolaire,
d’indépendance (elle doit combiner plusieurs petits boulots pour payer son appartement à
Toulouse) et de liberté par rapport au carcan familial, elle veut travailler dans la haute couture
et c’est sa sœur qui la renseigne sur les études à suivre :
« J’aimerais bien faire styliste. Mais le problème c’est que ça n’a aucun rapport avec
ES. Et enfin, je sais pas trop. Ma sœur elle fait déjà ça en plus. […] elle fait
communication, donc là normalement elle va avoir son DUT, c’est sa deuxième année
et donc après elle va être dans une école à Toulouse spécialisée dans la mode. Je sais
pas comment ça s’appelle. »
D’autres voient leurs aînés passer d’une filière universitaire à l’autre, changeant de projet
régulièrement mais incapables de concrétiser leur avenir. Enfin il y a quelques exemples de
frères ainés n’ayant pas fait d’études après le bac et qui enchaînent des périodes de chômage
et de petits boulots, ce qui renforce en général le discours sur la nécessité de faire des études
post-bac afin de mieux correspondre aux attentes du marché du travail comme le montre
l’entretien d’Eloïse :
« J’ai un frère de presque 30 ans, euh… qui travaille. Il a plusieurs emplois, il alterne,
il change d’emploi presque tous les 2 ans donc bon… (rire). Bon là il est au chômage
et après il va retrouver un emploi comme d’habitude. Donc lui il a fait une terminale
économique et sociale aussi, et il a arrêté juste après le bac, donc c’est pour ça qu’il a
pas vraiment de diplôme. […] le bac, c’est… ça amène pratiquement à rien, avec fin…
l’inflation des diplômes et tout, avec le bac maintenant pour travailler c’est pas facile,
après y a les bacs pro et tout ça à la limite »
A travers la mobilisation de ces modèles et bien sûr le développement de stratégies scolaires
60
spécifiques, les adolescents interrogés trouvent leur place dans la famille notamment en tant
qu’élève. Celle-ci influence beaucoup leurs choix et leurs aspirations ce qui est comme on l’a
vu le résultat à la fois d’un calcul des bénéfices à tirer et d’une transmission de valeurs. Même
s’ils sont beaucoup définis par leur statut d’élèves, les adolescents doivent se construire, en
sus de la famille et de l’école, un rôle dans la société qui prend ici des formes diverses.
B.
Des élèves impliqués dans la société
J’ai été surprise de constater que certains élèves sont particulièrement ouverts voire
engagés dans différentes sphères de la société en dehors de la famille. Ce n’est pas
particulièrement une caractéristique propre de l’âge des interviewés, encore moins si ceux-ci
ont grandi dans un milieu populaire et/ou rural. On peut donc souligner cet aspect de leur
personnalité comme une particularité propre à environ la moitié des participants du DISPO
qui ont répondu à un entretien. Il s’agit alors de montrer de quelle manière ils deviennent
partie prenante de la société et en quoi cela les rend potentiellement plus aptes à s’intéresser
au DISPO et à profiter de cette opportunité qui leur est offerte de s’engager encore d’une
autre manière dans un projet.
Par une implication dans la société, j’entends considérer à la fois des activités rémunérées qui
peuvent éventuellement s’inscrire dans un projet professionnel et des activités bénévoles de
tout type qui rendent les élèves actifs et volontaires. J’y inclus aussi l’engagement au sein du
lycée, notamment à travers l’occupation de fonctions représentatives.
1.
Exercer une activité professionnelle
Malgré la présence de beaucoup d’élèves de classe de seconde dans l’échantillon des
interviewés, 12 des adolescents interrogés ont exercé ou exercent une activité professionnelle
rémunérée l’été pour se faire un peu d’argent. Il convient de préciser qu’aucun des lycéens ne
m’a déclaré travailler au cours de l’année scolaire. De plus, les besoins financiers à couvrir
semblent relever plus de la prise d’autonomie des élèves que de grandes difficultés matérielles
dans les familles 40 . Il est important de souligner qu’à la question « Qu’est-ce que tu fais
pendant les vacances ? » très peu d’élèves m’ont répondu qu’ils travaillaient et qu’en plus
lorsque j’insistais en disant « Est-ce que tu travailles l’été ? » la plupart des élèves ont
d’abord réagi en pensant que je parlais de travail scolaire et de devoirs de vacances, avant de
40
Voir Exclusion et pauvreté en milieu scolaire, les rapports de l’Inspection Générale de l’Education Nationale
(IGEN), Hachette, 1997
61
me raconter leurs « petits boulots ». C’est sûrement ma position d’étudiante qui les interroge
sur le DISPO qui a eu cet effet, cependant cela montre au moins qu’ils distinguent bien leur
métier d’élève et leurs jobs d’été.
Ces activités et la manière dont elles sont exercées sont très variables en fonction de la classe
sociale des parents, de l’âge, du sexe, et de l’objet des dépenses. En effet, comme cela a pu
être constaté dans le cas des emplois étudiants, on remarque une forte différenciation sociale
par rapport aux jobs d’été. Les fils et filles de cadres ne travaillent pas pour la plupart ou alors
de manière très ponctuelle, comme par exemple vendre les fruits et légumes sur le marché le
samedi matin ou effectuer un baby-sitting par mois chez des voisins. Ils partent d’ailleurs plus
souvent en vacances, ce qui leur laisse moins de temps pour travailler même si cela ne
représente pas pour autant l’ensemble des deux mois d’été. Les enfants de milieux populaires
sont plus nombreux à travailler et non seulement plus souvent (de deux jours par semaine au
temps plein) mais aussi parfois plus longtemps (un mois tous les étés). Ils effectuent pour
certains des activités manuelles en milieu rural, aide à la ferme, cantonnier ou des activités
physiques en milieu urbain comme employé libre service. D’autres sont dans la restauration
ou le tourisme : si c’est en ville ils font le service ou des kebabs tandis qu’à la campagne,
c’est plutôt le ménage dans des gites ou la caisse du complexe touristique Cap Découverte.
Cependant l’activité rémunérée qui a le plus été réalisée par les élèves interrogés consiste à
castrer le maïs. En effet, c’est l’un des emplois les plus faciles à trouver et qui ne nécessite pas
de s’y prendre à l’avance. Accessible aisément en milieu rural, c’est surtout un secteur qui
accepte d’embaucher des adolescents de moins de 16 ans. C’est ainsi que les deux élèves de
terminale de Mirepoix que j’ai interrogées m’ont dit « faire les maïs » depuis leur 14 ans.
Cette activité qui, répétée, permet de gagner de l’argent afin de subvenir aux besoins courants
de l’année pour certains, constitue pour d’autres, plutôt de milieux plus favorisés, l’occasion
de se payer exceptionnellement un bien spécialement cher comme un appareil photo de
marque ou une moto, qui ne pourrait pas faire l’objet d’un cadeau des parents. Certains
expliquent quand même qu’ils ont castré le maïs une fois seulement, pour être avec les
copains, pour rigoler car même si c’est difficile et très physique, si on y va avec des
connaissances, il y a toujours une bonne ambiance.
On peut voir que toutes les activités professionnelles rémunérées citées jusqu’ici
avaient plutôt pour but de gagner de l’argent, que ce soit chez les classes populaires ou dans
62
les milieux plus aisés. Ces activités peuvent alors être qualifiées de « provisoires » 41. Elles
sont déconnectées des aspirations des élèves et sont pratiquées de manière détachée même si
c’est tous les étés. Cette première approche du monde du travail n’est pas vécue comme une
aide pour un projet professionnel futur, même si elle permet évidemment d’acquérir certains
codes du travail, de connaître la nécessité de se tenir à des horaires, à des objectifs
préalablement fixés. Parfois difficiles physiquement et souvent peu payés, ces jobs d’été
peuvent aussi jouer un rôle dans la volonté de faire autre chose de sa vie et donc d’investir de
manière plus volontaire le domaine des études. Cependant comme on le voit dans le rappel
que c’est aussi un moyen d’être avec les copains ou bien, pour Vincent, de renouer avec des
travaux manuels qu’il n’a plus l’occasion de faire en tant qu’étudiant à Toulouse, travailler
l’été est une manière d’aider les parents tout en restant proche de un milieu d’origine dans
lequel ils se sentent malgré tout à l’aise. Le témoignage de Vincent montre cependant que
cette expérience-là ne suffit pas à remplir un CV. Il faudrait également pour lui mobiliser une
manière d’anticiper sur les études qu’il fait afin de faciliter ensuite son orientation :
« Euh alors cet été, euh, bon le mois de juin je suis en stage, je fais un stage à la
Dépêche, parce que sinon, à part ça, j’ai pas vraiment d’expérience… Je veux dire, je
travaille tout ça, mais travailler à la ferme c’est pas… et le mois de juillet en fait, le
matin je serai cantonnier, donc euh, le cantonnier il fait plein de choses, il est au
ramassage des déchets, ça commence à 4h et ça finit à midi et après de 1h30 à 7h je
suis serveur, donc en fait j’ai 2 travails.
MD : ben dis donc, ça va être un peu fatigant ce mois-ci !
C’est juillet août mais je travaille pas les week-ends, et puis c’est pas pour la vie, on
voit le bout du tunnel, je ferai pas ça pendant 30 ans… »
Certains trouvent le moyen d’exercer une activité dite d’anticipation, c'est-à-dire qu’ils
trouvent un emploi rémunérateur cohérent avec leurs aspirations ou la filière dans laquelle ils
sont ou veulent aller. Cela peut se faire dans un sens et dans l’autre : certains cherchent un
emploi qui aide ou sert dans les études ou le projet d’avenir, d’autre découvrent grâce à un
emploi exercé un domaine de métier qui les intéresse. C’est le cas par exemple d’Alice qui se
frotte d’abord à la vente par un petit boulot et veut désormais en faire son métier en passant si
possible par une école de commerce :
« Fin j’ai un petit boulot que je fais le plus souvent l’été, mais aussi toute l’année, je
vends des produits de beauté à domicile et ça me plait énormément de d’avoir le
contact avec le client et tout ça, du coup voilà.
41
Voir la typologie du travail étudiant entre provisoire, anticipation et éternisation : V. PINTO, « L’emploi
étudiant et les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur » in Les classes populaires dans l’enseignement
supérieur : Politiques, stratégies et inégalités, ACTES de la recherche en sciences sociales, n°183, juin 2010
63
MD : et ça marche bien ?
Ben en fait ça fait un an que j’y travaille, un peu plus d’un an, et une fois que… déjà
je suis une employée à part entière, malgré que tu travailles pas à plein temps et euh
c’est le boulot de rêve, je me fais mes horaires en fait, je décide quand je travaille et
ma paye c’est 20% de mon chiffre d’affaire. Euh donc les clientes je me les trouve, faut
aller au contact des gens et je peux démissionner sans préavis, au bout de 9 mois je
sors de leurs fichiers et je trouve ça génial quoi. […] J’ai bossé dans ça cet été et
quand j’ai découvert qu’il y avait une prépa spéciale pour les bacs technologiques qui
ouvrait les portes de l’école de commerce alors là j’ai dit « bingo ! c’est là que je
vais ! ». Surtout que le principe de l’école de commerce ça me plait vachement. »
Samuel, lui, s’est vu proposer suite à des rencontres de faire de temps en temps la couverture
du Tarn libre, journal local, à Carmaux comme il a par exemple eu l’occasion de le faire dans
le cadre de la campagne pour les élections régionales. Il a notamment apprécié le contact avec
les gens et l’ouverture d’esprit que cela lui apportait. Dans un registre différent, on peut
également mobiliser l’exemple de Slimane qui avait le projet de devenir éducateur sportif
avant de reculer devant la longueur des études et les avertissements assortis à l’orientation en
Staps. Très investi dans son club de basket, il est à la fois entraîneur la semaine (activité
bénévole) et arbitre le week-end pendant les matches du championnat départemental (activité
rémunérée). Cependant au-delà de cette expérience qui fait quasiment partie de ses loisirs,
lorsqu’il veut gagner de l’argent, il travaille 3 semaines l’été dans le kebab tenu par un ami de
son père, ou bien quand il retourne en Tunisie, il y vend des vêtements de marques achetés à
bas prix et en quantité en France, ce qui se révèle apparemment très lucratif.
En comparant l’emploi occupé l’été et le rapport entretenu avec les études, on peut
déceler différents modes d’articulation. Un emploi « provisoire », comme le montre le
témoignage de Vincent, est vécu sur le mode de la dissociation, ce n’est pas ce qu’on fera
dans les trente prochaines années. A contrario, un emploi d’anticipation sera pris comme un
ajustement, une première expérience. Comme tous les élèves n’ont pas la possibilité
d’anticiper à travers un emploi rémunéré les connaissances et les expériences dont ils pourront
avoir besoin plus tard, ils investissent aussi le système des stages professionnels. Certains ont
ainsi été marqués par leur stage de troisième d’une semaine qu’ils n’ont d’ailleurs pas
forcément pu réaliser dans la structure visée, tandis que d’autres inscrivent déjà leur stage
dans un projet professionnel ferme et ambitieux comme Irène qui a fait son stage dans un
cabinet d’avocat à Toulouse alors qu’elle résidait à l’époque encore en Ariège. Pour Pierre, le
rôle du stage est pour l’instant déterminant dans ses aspirations, ce qui ne veut pas dire que
64
cela n’évoluera pas. Après m’avoir expliqué qu’il veut travailler dans la police scientifique, il
m’explique pourquoi :
« Oui c’est vrai, j’ai fait un stage dans la police, et c'était assez euh… j’ai trouvé
vraiment que c'était un très bon stage, et qu’en plus, il y avait beaucoup plus de
travail que ça en avait l’air, car moi au début je croyais qu’ils faisaient les
interventions, s’occupent des problèmes mais quand je vois tout ce qu’il faut faire par
derrière, les dossiers, les récapitulatifs, les compte rendus, les rapports, c'était…
MD : c'était votre stage de 3ème ? Qu’est-ce qui vous avait poussé à le faire dans la
police ?
En fait ça a été plutôt par défaut que j’ai du le faire, car euh, au début, je voulais faire
un stage avec un magicien, mais il y en avait aucun qui était disponible, je voulais le
faire ensuite avec la gendarmerie, mais je m’y suis pris un peu trop tard, donc je suis
allé dans la police de Graulhet, ils m’ont accepté et je me suis aperçu que c'était
vraiment bien comme stage. »
Je n’ai pas insisté ensuite sur le projet du magicien, et par certains côté l’idée que l’on peut se
faire de la police scientifique peut être un moyen de rapprocher ces deux métiers si opposés,
cependant on voit bien ici l’importance du concret, de l’expérience, voir vraiment comment ça
se passe permet alors de se projeter.
C’est encore autre chose qui me semble motiver les deux étudiants de l’IEP interrogés qui
sont des anciens élèves du DISPO. Entrés à l’IEP, ils se comportent comme s’ils avaient
encore quelque chose à prouver, ou qu’ils devaient vraiment faire le maximum pour être à la
hauteur. Tous les deux se sont trouvé un stage cet été, à la fin de leur première année, dans
l’optique de « gonfler le CV » afin de trouver plus facilement un stage par la suite pour
l’année de mobilité ! Ce manque de confiance en soi est propre aux étudiants de milieux
modestes qui ont par ailleurs aussi prévu d’exercer une activité rémunérée. On peut voir que
les stages en questions ne correspondent pas pour autant à des projets professionnels très
définis mais plus à des opportunités que les étudiants ont suscitées comme l’explique Fatima :
« Et après je fais un stage en communication, en juin. C’est dans une association, tu
connais happy people et tout ça ? C’est ceux qui organisent Cafés du monde, ben en
fait, c’est un regroupement d’associations et c’est pour faire des sites événementiels,
oui parce que je me suis dit qu’il fallait commencer (rire) à remplir son CV.
MD : ah bon déjà ?
En fait on m’a inquiétée en me disant que j’ai jamais rien fait et que pour la mobilité,
j’aurai rien et alors j’ai commencé à avoir peur et j’ai cherché. En fait c'était un
bénévole avec moi au cinéma d’Amérique Latine et il parlait des stages et je lui ai dit
ah mais je suis intéressée et du coup, j’ai eu un entretien ! »
Même si ce n’est le cas que de la moitié des élèves participants au DISPO interrogés, on
remarque qu’ils sont nombreux à travailler pour gagner un peu d’argent et quelques uns à déjà
mobiliser leur activité dans un projet plus global. Ils sont peu nombreux à travailler
65
systématiquement tous les étés.
Parmi ceux qui ne gagnent pas encore eux-mêmes d’argent, beaucoup trouvent que c’est trop
tôt pour en parler et sont étonnés par ma question en m’expliquant qu’ils ont le temps de
songer à cela. Certains avancent également la barrière de l’âge qui rend plus difficile de
trouver un travail sans connaître des gens, on a pourtant vu que cela n’avait pas arrêté tous les
adolescents. En tout cas exercer une activité professionnelle n’est pas le seul moyen, loin s’en
faut, qu’ont trouvé les interviewés pour s’impliquer dans la société.
2.
Différentes formes d’engagement
En effet, dans une logique proche de celle du cumul, ces élèves qui exercent déjà une
activité professionnelle, rémunérée ou pas, sont aussi engagés dans d’autres champs de la
société où l’on n’attend pas toujours les jeunes. Que ce soit à travers le lycée, dans des
associations, ou par le biais de certaines pratiques culturelles très poussées, les élèves
s’impliquent dans la société et en deviennent partie prenante. Ils prennent des responsabilités,
apprécient le fait d’agir et de ne pas se constituer uniquement en spectateur, même si c’est de
manière critique. Sauf exception, cette logique du cumul joue plutôt par rapport au fait
d’exercer aussi une ou plusieurs activités professionnelles, les élèves interrogés choisissent
ensuite une forme d’engagement plutôt qu’une autre. Il semble intéressant de se demander si
c’est parce que ces élèves s’investissent plus en général que les élèves lambda, qu’ils se sont
plus facilement intéressés au DISPO et y ont participé, ou bien si un certain biais a joué dans
le choix des élèves à interroger. On peut par exemple supposer que si un élève a l’habitude de
représenter les autres, il sera plus probablement choisi par le professeur pour exercer cette
même fonction auprès de moi. Cependant comme on va le voir, les formes d’engagement ici
présentées sont très diverses et il est peu probable que les professeurs en aie toujours
connaissance. D’autre part, comme cela a été dit, le DISPO représente pour certains le projet
dans lequel ils se sont investis cette année.
Certains s’investissent dans le lycée dans le cadre de fonctions représentatives ou dans
des activités ou concours proposés par le lycée. Si les clubs du lycée n’ont que peu été cités et
ne semblent pas très prisés par les élèves interrogés, j’ai pu constater que certains élèves ne
viennent pas au lycée passivement. Soit parce qu’ils l’ont souhaité, ou que ça leur est tombé
dessus, leur participation à la vie du lycée leur tient à cœur. Samuel, élève de terminale à
Carmaux, est ainsi vice-président du Conseil académique de vie lycéenne tandis qu’Alice,
élève de première à Tarbes, a été élue vice-présidente du foyer socio-éducatif de son lycée
66
dans lequel elle était venue proposer son projet de faire un book. Ce sont à mon avis deux
exemples très différents. Si Samuel est un habitué de l’engagement qui s’investit afin de
mieux connaître le système pour être à même de changer les choses, la fonction représentative
est tombée sur Alice, déjà déléguée de classe, sans qu’elle l’ait sollicitée. Je crois que pour
elle la démarche de s’investir est à la fois naturelle et peu réfléchie, elle prend les choses
comme elles viennent puisqu’elles viennent à elle, comme dans le cas du DISPO. Ensuite loin
d’être passive, elle prend son rôle à cœur et en tire le maximum.
« MD : et c’est quoi être vice-présidente du foyer socio-éducatif ?
Honnêtement ya pas de différence entre être un membre et être un… Fin c’est, donc la
première réunion de l’année, on avait un projet à présenter avec ma classe, dans le
cadre du cours de management, on avait euh j’avais lancé l’idée qu’on pourrait faire
un book du lycée, […] le foyer finançait le book et nous on le revendait moins cher,
mais ce que les profs veulent nous inculquer, c’est la notion de gagner de l’argent, de
mener un projet, de le vendre et d’en récolter les fruits, et on voulait faire une sortie
bowling ou une après-midi à la mer avec la classe. Et donc vers le début de l’année,
mon prof de maths me dit bon ben écoute, viens au foyer, moi je suis trésorier et vient
proposer ton projet, donc c'était la première réunion de l’année et tous les ans ils
réélisent les membres et on était 2 à présenter ce projet euh les 2 délégués de classe,
et dans le bureau du foyer il faut absolument des élèves et mon prof il a dit oui ben
Mathilde elle va faire la vice-présidente, donc moi « bon ben oui, mais qu’est-ce que
c’est ? » et on m’a dit mais non, faut rien faire, et le second délégué a fini trésorier
adjoint. Donc on assiste aux réunions, on voit les projets on les vote, on serait pas là
ça serait pareil, mais c’est une manière de s’inscrire, fin voilà, c’est une association,
c’est sympa. »
L’investissement dans le lycée peut passer par d’autres biais : certains professeurs et lycées
proposent d’autres activités telles que la préparation et la participation à des concours
d’éloquence ou devenir jury de concours pour choisir le meilleur roman parmi ceux proposés.
Zoé, élève de seconde à Villefranche de Rouergue est par exemple très volontaire et présente
pour ce type d’activités. On peut cependant souligner que ce sont des engagements différents
des fonctions représentatives étant donné qu’ils sont plus proches du travail scolaire et par
conséquent plus valorisés par les enseignants qui y voient souvent une preuve de plus des
qualités scolaires et de la curiosité de l’élève. Plus tard, arrivés dans l’enseignement supérieur,
cette soif d’agir peut se reporter sur les associations universitaires comme c’est le cas de
Fatima en première année à l’IEP qui a apparemment donné beaucoup de son temps à So-Acte
et Sciences Po Madagascar. On peut d’ailleurs préciser qu’elle ne s’en tient pas là et multiplie
les bénévolats dans des festivals culturels tels que cinéma d’Amérique Latine ou les concerts
des Airs Solidaires. L’investissement dont font preuve certains élèves est d’après moi une
véritable preuve d’ouverture, que cela ait lieu dans le lycée, c'est-à-dire dans l’univers des
67
élèves, ou en dehors.
Quand il a lieu en dehors du cadre scolaire, l’engagement prend en effet des formes
très diverses : entre associations de quartier, comité des fêtes, premiers pas dans un parti
politique, compétition sportive soutenue ou participation à la formation de pompier
volontaire ! Lorsqu’une activité de loisir devient très prenante ou amène l’élève en dehors de
chez lui à faire des rencontres, comme par exemple la pratique d’un sport en compétition ou
avoir un groupe de musique qui fait des concerts, j’ai souhaité l’intégrer à la notion
d’engagement. Le cas des compétitions sportives semble être un peu limite. En effet, il
représente un engagement important de la part de l’élève interrogé, comme le montrent Anna,
la cavalière et Anne la joueuse de golf, mais l’on peut discuter de son impact sur la société.
Cependant dans certains cas, le sport en question occupe toute la place dans une forme de
dépassement de soi frôlant la passion. De même la pratique de la musique en soi n’est pas un
engagement sauf que l’on devient acteur dans la cité lorsque le groupe de musique répète dans
une salle de concert reconnue et tourne régulièrement. L’activité de loisir pratiquée ainsi de
manière intensive est en tout cas un des principaux accès à de nouvelles rencontres propres
aux adolescents, c'est-à-dire en dehors des cadres familiaux et scolaires. Même s’il est
évidemment un cas particulier et d’ailleurs le seul des élèves interrogés à militer dans un parti
politique, Arthur a commencé à participer aux meetings et débats du parti grâce aux
rencontres effectuées dans le cadre des répétitions de son groupe de musique dans une
importante salle de concert à Tarbes. Alors qu’il s’intéressait déjà de très près à l’actualité, en
lisant notamment beaucoup de journaux au CDI, et participait occasionnellement à des
manifestations de lycéens, il est devenu militant pendant les dernières élections régionales.
C’est un élève qui a à la fois de grandes difficultés scolaires et des problèmes dans sa famille.
Passionné de musique, il n’en reste pas moins attentif au monde autour de lui avec une
puissante envie de le changer :
« La politique quand même ça prend de la place. Depuis 2 ans, je m’y intéresse et
depuis 1 an j’ai un peu milité, mais c’était pas grand, c’était les manifs, enfin c’est
pas grand-chose, mais ces temps-ci je m’intéresse plus à un parti, et pendant les
élections régionales j’étais à leurs côtés, et euh, et pour une fois j’ai envie de rentrer à
la fédération de ce parti. […] Alors avant au sein du lycée on avait fait une
coordination, donc on faisait des réunions où on exposait donc nos problèmes
pourquoi on voulait ça etc. les plans quoi, après pour le Front de gauche j’ai fait des
débats, mais j’ai pas encore fait des réunions. Après je parle beaucoup avec les gens
qui représentent le parti à Tarbes. Plutôt grâce à l’Agespe, parce que le directeur de
l’Agespe est aussi au Front de gauche. Donc il nous fait un peu nous y intéresser donc
on s’y intéresse, moi du coup, on rencontre des gens, on va a des meetings. […] Oui,
68
ben c’est comme une famille, fin euh, bon Tarbes ya pas beaucoup de monde »
S’il est le seul militant parmi les interrogés, alors que plusieurs s’intéressent à la politique et à
l’actualité, ce n’est pas le seul à mentionner l’ambiance familiale que créé un important
investissement, comme une des raisons qui le motivent.
En effet, c’est ce que pense Mathieu qui suit la formation42 pour devenir pompier volontaire
depuis 4 ans à raison de 8h d’entrainement tous les samedis. Il n’a apparemment pas envisagé
cela comme un futur métier dans une logique qui se rapprocherait de celle de l’anticipation,
mais apprécie l’ambiance, les activités sportives proposées. Il est effectivement depuis 4 ans
avec les mêmes personnes suivant la même formation qui aboutit à l’obtention d’un brevet. Il
exerce par ailleurs d’autres loisirs, surtout la musique et le basket, et travaille dans une maison
de retraite l’été pour se faire de l’argent. Il n’a donc pas l’air d’avoir beaucoup de moments
d’oisiveté comme c’est souvent le cas d’adolescents de cet âge-là et pour quelqu’un de jeune
qui habite en milieu rural, il est particulièrement actif la plupart du temps en dehors de la
maison familiale.
« J’ai un groupe donc le dimanche par exemple on répète, ensuite, je suis jeune
sapeur pompier, c'est-à-dire que je fais une formation destinée aux jeunes depuis 4 ans
pour être sapeur pompier, donc le samedi matin, j’ai cours de sport, d’ailleurs, je
passe le brevet ben là à la fin de cette année. […] c’est un diplôme qui fait que
pendant 5 ans je peux intégrer n’importe quelle caserne, euh dans n’importe quelle
ville, donc il y a de la place, sans avoir à passer quoique ce soit comme formation[…]
MD : et qu’est-ce qui t’attire dans cette activité ?
Ben je sais pas, j’ai toujours aimé ça, je sais pas pourquoi.
MD : parce que c’est beaucoup d’investissement !
Ben oui c’est à 8h tous les samedis, mais je sais pas, j’aime bien et puis je sais pas, on
est 18 depuis 4 ans, donc il y a un climat de… pas de famille, mais presque quoi !
Donc ça donne envie de rester. »
D’autres élèves, également dans des milieux ruraux, s’investissent dans des associations.
Contrairement à ce qui est généralement montré par différentes études43, ce sont ici dans les
villes de campagne, voire pour certains dans la campagne que les jeunes s’engagent dans des
associations. Dans leurs discours ressort justement la volonté de faire vivre des petits villages
vieillissants à travers notamment la création d’un comité des fêtes afin de perpétuer la
42
La formation pour devenir pompier volontaire se déroule sur 250 heures et comprend une formation au
secourisme, à la lutte contre les incendies, et des éléments divers tel que la sécurité des biens et des personnes,
l’organisation des secours, les devoirs du sapeur pompier. C’est un engagement pour 5 ans tacitement reconduit,
la première année est probatoire, elle permet de vérifier que l’individu correspond aux critères requis.
43
Voir Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème
édition, 2007, chap. 4, p.79.
69
tradition des fêtes de village avec une soirée disco pour les jeunes et une soirée musette pour
les plus âgés, tandis que d’autres s’impliquent dans les associations de quartiers. L’importance
du territoire d’action est ici clairement soulignée, il faut dynamiser et s’approprier l’endroit où
l’on vit avant de décréter que rien n’est fait pour les jeunes. C'était aussi l’objet de certaines
des communications du colloque des premières sur le thème « jeunesse et territoire » : les
jeunes se plaignent mais ne font rien pour faire avancer les choses. D’ailleurs, d’autres formes
d’engagements ne sont pas non plus formalisées par une association ou une rémunération
monétaire, mais s’inscrivent également dans un quartier et dans des relations d’aide comme
c’est le cas de la situation de « professeur indépendant » de Pierre qui parce qu’il a des
facilités sur le plan scolaire, donne des cours particuliers aux enfants des voisins qui viennent
le lui réclamer.
Les motivations de l’engagement si elles ne sont pas clairement exprimées dans tous
les entretiens semblent diverses, cela va du constat pragmatique d’un besoin comme dans le
cadre d’un comité des fêtes ou du Téléthon, à l’envie peut-être encore floue de faire changer
les choses ou d’apporter sa petite pierre à la société, chacun à sa manière. Il convient de
rappeler que cet investissement qu’il soit sur le plan professionnel, financier, ou dans le cadre
scolaire n’est pas le fait de tous les élèves, cela ne concerne que la moitié de ceux qui ont été
interrogés et comme on l’a vu une logique de cumul semble jouer car ce sont souvent les
mêmes élèves qui exercent une activité rémunérée et s’investissent également bénévolement à
côté. On l’a vu ce comportement qui se caractérise par la combinaison de l’implication et de
la curiosité s’exprime également dans certaines pratiques culturelles des élèves. Afin de
mieux connaître ces derniers et pour arriver à l’aspect le plus personnel qui a été évoqué en
entretien, il convient alors d’analyser leurs pratiques culturelles au sens large.
70
III. Des adolescents curieux et ouverts
D’après les différentes études sur les pratiques culturelles des français d’Olivier Donnat 44
pour le ministère de la Culture, on constate une certaine homogénéité des pratiques culturelles
des adolescents de toutes origines. Il y a un effet générationnel de certains loisirs qui ne sont
prisés que par les adolescents, comme le rap par exemple, tandis que l’on peut désigner des
lieux, des objets et des pratiques propres à une classe d’âge. Il faut souligner que la réduction
des inégalités devant la culture 45 est permise par la similitude des conditions de vie des
adolescents46 qui sont pour la plupart scolarisés, et ont donc pas mal de temps libre. Leur
mode de vie se caractérise ensuite par une importante socialisation et le fait qu’ils ont peu
d’argent, même si la plupart de leurs ressources est consacrée à la culture au sens large. Dans
leur rapport à la culture on note un rejet généralisé des pratiques plus classiques qui sont la
chasse gardée des classes dominantes et se caractérisent par leur rareté et leur difficulté
d’accès, et par un attrait pour les pratiques dites modernes, notamment articulées autour des
deux écrans : télévision et ordinateur. Pierre Bruno explique que la culture adolescente se vit
plutôt sous le signe de la frustration étant donné que certaines pratiques sont plus aimées que
pratiquées comme par exemple les sorties culturelles ou entre amis car les jeunes se heurtent à
des difficultés d’accès géographiques, financières et sociales, comme on le voit très bien dans
le cas des élèves interrogés du DISPO. D’après Olivier Donnat, on constate de manière
générale, une baisse d’intérêt des jeunes pour la radio et la télévision, ils lisent moins de
quotidiens et de livres et fréquentent moins les établissements culturels tels que les cinémas,
les bibliothèques, les musées et les concerts classiques en revanche on note une augmentation
du goût pour les films et la musique anglo-saxonne. Par rapport aux jeunes des années 80, les
15-24 ans d’aujourd'hui sont plus nombreux à écouter tous les jours de la musique, et ils
s’emparent des nouvelles technologies comme les jeux vidéo ou internet pour lequel il
convient de bien montrer les diversités d’usage. Il est également important de voir que le
temps passé devant les écrans est le même quelque soit l’origine sociale sauf que, même si
cela est moins marqué chez les plus jeunes, la répartition du temps entre la télévision et
l’ordinateur est marquée socialement, les classes populaires regardant plus la télé.
44
O. DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique, Enquête 2008, La Découverte,
Ministère de la culture et de la communication, 2009
45
Voir Lexique (en Annexe)
46
P. BRUNO, Existe-t-il une culture adolescente ?, in Press, Paris, 2000
71
J’ai fait ici le choix de présenter d’abord les pratiques culturelles dites personnelles des
adolescents, celles-ci sont plutôt pratiquées dans le cadre de la maison familiale et se vivent
sous le signe de l’éclectisme. Les adolescents s’intéressent à une grande diversité de supports
et à des styles très différents (A). Il convient ensuite d’analyser les pratiques culturelles qui se
déroulent en partie à l’extérieur de la maison, et impliquent d’autres sociabilités que celle de
la famille et de l’école. Les adolescents interrogés font toujours preuve de curiosité et
d’ouverture mais n’ont pas toujours les moyens d’aller au bout de leurs envies (B).
A.
Des pratiques culturelles personnelles éclectiques
Les élèves interrogés ne semblent pour la plupart pas spécialement tournés vers la
maison, sauf exception notoire, mais bien ouverts vers l’extérieur. Cependant, beaucoup
d’adolescents passent beaucoup de temps, de manière plus ou moins contrainte dans la maison
familiale. Ils occupent alors ce temps à faire leurs devoirs, à lire ou écouter de la musique et
bien sûr devant les écrans qui leur permettent notamment d’entretenir des liens avec les amis
(SMS, e-mail, messagerie instantanée, production de contenu sur internet…etc.). Leur
pratiques sont très variées et se partagent entre des activités considérées par eux-mêmes
comme légitimes, par exemple valorisées par l’école, et d’autres désignées comme populaires,
que ce soit une question de registre ou de nombre d’aficionados.
1.
L’exemple de la lecture entre légitimité et utilité
La curiosité des élèves s’exprime à la fois dans le cadre scolaire et dans des pratiques
culturelles exercées à la maison dans le cadre des loisirs. Cependant ils font bien la différence
entre la culture légitime proposée par le lycée et la culture plus populaire plébiscitée lors de
leurs pratiques personnelles. Ces deux mondes qui semblent à première vue bien distincts
trouvent tout de même de nombreux points de rencontre comme lorsqu’un professeur prête un
roman à un élève ou qu’un film américain sensibilise sur un sujet d’histoire contemporaine.
a) Légitimité de certaines pratiques par rapport à d’autres dans le discours
L’objectif de l’école en France, contrairement à d’autres pays d’ailleurs, est de créer
au-delà des différences culturelles, des références communes au risque de sacrifier le sujet au
citoyen que l’on entend former. Elle définit des hiérarchies entre les différentes pratiques
culturelles et se propose de les inculquer à un public captif, puisqu’on est obligé d’aller à
l’école au moins jusqu’à seize ans, en développant des évaluations assorties de sanctions des
72
produits culturels47. Les pratiques légitimes, parce que rares et désirables, que l’école tente
d’imposer, s’opposent aux industries culturelles qui produisent une culture populaire de masse
et bénéficient d’une autre forme de légitimité, celle du nombre. Il convient de souligner que
certains produits culturels peuvent passer d’un pôle de légitimité à l’autre comme le montrent
les exemples du jazz ou de la photographie. Cependant comme l’explique Bernard Lahire,
l’examen des profils culturels des individus révèle qu’ils alternent en permanence entre
registres savants et divertissants. Il montre l’existence de variations intra-individuelles dans
les pratiques culturelles qui génèrent des dissonances entre l’appartenance à un groupe social
et les pratiques d’un individu48. On peut voir dans le cas des élèves interrogés que ce n’est pas
seulement à travers l’école qu’ils développent des pratiques dites légitimes mais que cela peut
leur venir d’un membre de leur famille ou de préférences de goût difficiles à expliquer. Chez
d’autres élèves, le rejet des pratiques proposées par l’école est très net et se caractérise
souvent chez les garçons par l’absence de lecture par exemple.
Les activités culturelles que certains élèves pratiquent, ne sont jamais définies par eux en
termes de pratique légitime, reconnue ou illégitime. Qu’elles soient considérées comme un
loisir, une passion, une activité qu’ils veulent valoriser ou une manière de passer le temps, ce
n’est jamais exprimé par rapport à une quelconque valeur posée par la société. Cependant, ce
n’est plus le cas des pratiques culturelles personnelles développées dans le cadre de la maison
comme utiliser l’ordinateur, écouter de la musique, lire ou regarder un film ou la télévision.
Souvent par rapport aux attentes de l’école en général et peut-être même du DISPO, ils
mesurent le degré de légitimité de leur occupation sans que cela n’ait d’impact sur leurs goûts
et leurs préférences. Pour la plupart, ils ont des pratiques éclectiques qui comprennent des
éléments de culture de masse et d’autres de culture dite dominante. En tout cas ils font bien la
différence entre les deux, surtout lorsqu’ils s’adressent à moi j’imagine, comme le montre le
témoignage d’Alizée, élève de terminale au lycée de Mirepoix :
« J’ai lu un manga y a pas longtemps, mais c’est pas trop compté dans les vrais livres.
MD : c’est quand même un livre, non ?
Oui c’est un livre, mais c’est un livre de divertissement ! C’est pas un livre qui
t’apprend à,… comment écrire, comme arriver à un petit peu t’apprendre… Y a une
différence entre des séries télé et une histoire du genre American History X ou genre
qui peut-être choquent mais après font réfléchir sur une certaine morale. Ou Fight
club aussi, je sais pas si vous l’avez vu aussi.
47
48
B. LAHIRE « Culture » in S. MESURE et P. SAVIDAN, Le dictionnaire des sciences humaines, PUF, 2006
B. LAHIRE, La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, Paris, 2004
73
MD : mais tu n’aimes pas les séries ?
Si si j’adore les séries, quand même ! Ne penser à rien, me mettre devant la télé, faire
le légume toute la journée, j’adore ça, mais après… J’ai ma morale qui me dit oui
mais t’as le bac dans 15 jours ! »
La critique qu’ils font eux-mêmes à leurs pratiques considérées comme illégitimes
repose sur le registre de l’utilité. Cela ne va pas leur servir dans leurs études ou à l’avenir dans
un cadre professionnel car ce sont des activités qui soit disant ne font pas réfléchir. Il faut que
l’art apporte quelque chose, permette d’apprendre de nouvelles informations. Ce point de vue
s’il est partagé par certains, ne joue pas pour ceux qui ont eu l’occasion de prendre un peu de
recul et de remarquer que tout peut leur servir par la suite s’ils trouvent le moyen de le
mobiliser, comme par exemple regarder les séries en VO pour travailler l’anglais. L’exemple
de Paul est parlant, on peut voir qu’il dit avoir fait son éducation à travers des films
américains engagés et la musique rap. Pour lui c’est important que l’art permette d’apprendre
des choses aux gens qui justement ne lisent pas. Le fait d’apprendre et la logique d’utilité ne
s’appliquent donc pas uniquement à des pratiques considérées comme légitimes bien au
contraire comme le montre son témoignage :
« Après les films d’aventure j’aime bien, pour me divertir et tout ça, mais ça
m’apporte pas quelque chose, j’aime beaucoup l’art et me dire que ça apporte
quelque chose, faire passer un message et vocation à faire prendre conscience de
choses importantes de la vie à des gens qui ne vont pas lire des livres etc. Au niveau
de la musique, c’est pour ça, j’écoute énormément de rap […] quand on n’a pas
d’autorité parentale sur sa tête souvent la musique, même les films c’est une
échappatoire et un moyen de s’éduquer, moi j’ai déjà dit à mes parents que
l’éducation en partie s’est beaucoup fait sur ça. »
Paul s’est construit si ce n’est contre, du moins sans ses parents et il a cheminé lui même à
partir de pratiques culturelles propres à sa génération comme le rap, pour se forger des
convictions et commencer à s’intéresser à l’histoire au sens large. D’autres enfin ne sont pas
du tout sur un registre d’utilité ni de légitimité mais bien sur des loisirs qu’ils ressentent
comme nécessairement distincts des devoirs, et donc aussi de la culture scolaire.
b) L’exemple de la lecture
Afin d’illustrer cette dichotomie entre pratique intéressante et inintéressante du point
de vue de l’élève lui-même, j’ai choisi l’exemple assez parlant de la lecture, il y a des
« vrais » livres et d’autres « lectures », ce qu’on lit pour le lycée et le reste…etc.
La plupart des élèves du DISPO m’ont déclaré lire les lectures imposées par les cours de
français au lycée, ce qui je pense, ne doit pas être le cas de l’ensemble des élèves. Certains le
font avec plaisir d’autres moins, mais à part quelques élèves en difficulté scolaire ou qui ne
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lisent pas du tout, ils se plient à l’exercice. Ceux qui y prennent goût continuent à lire des
classiques dans le cadre de lectures personnelles, ce sont quand même surtout des élèves de la
filière littéraire ou qui souhaitent s’orienter en L. On voit par là que dans les cas des élèves du
DISPO, l’orientation en L n’a rien d’une sanction même si elle est parfois conditionnée par un
faible niveau en mathématiques. Pour quelques uns, les livres du lycée sont pourtant leurs
seules lectures même s’ils les apprécient. Il ne faut donc pas non plus négliger l’importance
du lycée par rapport à la pratique de la lecture 49 . Certains élèves, enfin, conscients du
handicap que peut constituer leur absence totale de pratique de la lecture, développent des
techniques personnelles afin d’y venir de manière progressive et avec plaisir. Comme on l’a
déjà évoqué, ils commencent par exemple par la lecture de journaux sportifs ou locaux, et à
l’aide de courts articles, l’habitude se prend rapidement et amène petit à petit à d’autres
lectures plus variées comme le montre cet extrait de l’entretien de Vincent qui se pose en
exemple dans le cadre du tutorat pour DISPO :
« Moi je trouvais que c'était très important de lire les journaux, et je leur ai dit,
commencez à lire les journaux, et même c’est pas grave si vous lisez des journaux que
vous considérez comme pas forcément…, fin si vous vous intéressez au sport, c’est pas
grave si vous commencez à lire l’Equipe. Moi j’ai commencé comme ça, je lisais rien
du tout, et comme je m’intéresse au sport, j’ai commencé à lire l’équipe. Et le fait de
lire le journal, une fois au kiosque ils ont plus l’Equipe et on prend un autre journal et
c’est pas si mal de là en là, et puis plus on lit, plus on en veut… »
Les livres que les élèves lisent en dehors de ceux imposés en cours de français sont de styles
très variés et proviennent d’origine diverses. En effet, certains parents, plutôt des enseignants
ou des cadres en possèdent en nombre et peuvent non seulement les prêter à leurs enfants
mais aussi en profiter pour les conseiller dans leurs lectures. D’autres enfants se les font prêter
ou offrir par des amis ou des membres de la famille qui ont les mêmes goûts de lecture. Enfin
quelques uns les empruntent au CDI ou à la bibliothèque.
Des effets de mode notoires s’appliquent à tous les élèves du DISPO à travers des
lectures que l’on pourrait qualifier de conformes à la culture de masse, ce qui n’implique pas
de jugement sur leur qualité mais bien sur leur succès qui ne semble dépendre ni du sexe, ni
de l’origine sociale. On retrouve donc beaucoup Harry Potter50, Da Vinci Code ou Twilight
parmi les livres les plus lus par les interviewés puisqu’ils sont lus à la fois par les grands
lecteurs et par ceux qui ne lisent quasiment pas. Ensuite presque tous les genres ont été cités
49
On peut voir sur ce point que les études sur les loisirs et les pratiques culturelles n’incluent jamais les lectures
qui sont effectuées dans un cadre scolaire ou professionnel, je n’ai pas souhaité séparer ainsi les pratiques.
50
O. Donnat (op. cit.) souligne que 46% des 15-19 ans ont lu au moins un tome d’Harry Potter.
75
par les adolescents interrogés même si l’on constate des préférences assez genrées : les
romans policiers, les fictions historiques ou la fantasy étant plutôt lus par des garçons tandis
que les filles préfèrent les romans de la vie quotidienne, les témoignages historiques et les
livres romantiques ou psychologiques. On peut voir à ce propos l’exemple de Pierre qui lit
désormais des livres pour lui et en les appréciant, grâce notamment aux cours de français, à
des professeurs qui lui prêtent des livres et à des amis qui lui en offrent de temps en temps :
« MD : et vous aimez lire ?
Oui c’est une activité que je pratique de temps en temps, en plus durant le collège, on
nous obligeait à lire plusieurs livres, au bout d’un moment j’y ai pris goût. En plus un
de mes amis m’avait offert un livre de 300 et quelques pages, et quand j’ai commencé
à le lire…, puis je continue encore à suivre les aventures.
MD : et vous lisez quel genre de livre ?
Des fois des livres d’aventure, ou des livres policiers, j’aime bien aussi ceux qui
racontent, comme par exemple Samarcande qui est historique, mais où on a du mal à
se dire, « Est-ce que c’est réel ? Ou est-ce que c’est que de la fiction ? ». »
On peut mettre ce témoignage en regard avec celui de Carole qui justement se pose plutôt en
porte à faux par rapport au lycée et ses conseils de lecture. Contrairement à Pierre, elle lit
beaucoup et si la question de la légitimité affleure dans son discours, elle n’émet pas de regret
à ne pas lire de « super littérature » imposée et décrit ses styles préférés sans jugement de
valeur relative, voici sa réponse à la question « tu lis quoi ? » :
« Pas des trucs de lycée, pas des trucs super littérature, non des trucs normaux quoi.
Style romans, de la fiction quoi. […] Moi j’aime bien le style, fin je sais pas trop
comment ça s’appelle mais style magie, comme Narnia. Soit je lis des trucs de gens
qui raconte leurs vies, mais c’est fictif, mais des vies normales quoi. Mais j’aime pas
les vrais, fin j’aime pas les autobiographies parce qu’il y a pas d’action ! (rire). »
Les genres prisés, comme on le voit ici, sont souvent difficilement exprimés et on me répond
même parfois « tous » à la question « tu aimes quel style de livres ? », alors que ce n’est pas
du tout le cas après que j’ai donné quelques exemples. Les jeunes semblent alors pour certains
plus à même de citer quelques titres de livres plutôt que d’énumérer des styles qui ne se
rapportent pas à grand-chose pour eux. Mais comme on le voit dans ces deux exemples la
place et le statut de la fiction est discuté, selon les différentes études sur la lecture, la fiction
est toujours aimée et mise en avant par les filles.
Que ce soit mis en valeur par rapport à la filière économique et sociale du lycée ou
bien vécu comme un intérêt personnel et jamais vraiment comme une activité de lecture à
proprement parler, j’ai trouvé que pas mal d’élèves lisaient la presse ou du moins
s’intéressaient à l’actualité. La presse, si elle est lue au CDI, correspond plus à des journaux
76
nationaux de tous les bords et styles (sérieux, humoristiques, magazines) tandis que si elle se
trouve chez les parents, cela correspond plus au quotidien local, sauf exception pour les élèves
qui sont abonnés à quelque chose. Pour ce qui est de l’actualité, les élèves regardent aussi pas
mal le journal télévisé (JT) avec leurs parents, ce sont donc souvent ces derniers qui
choisissent la chaîne. Ils ont parfois signalé qu’ils aimaient bien comparer les différents JT
entre eux pour reconnaître le parti pris des chaînes, mesurer le poids du medium dans
l’information. Enfin quelques uns indiquent qu’ils vont lire l’actualité en ligne : ce n’est alors
pas toujours sur les sites internet des grands quotidiens. Dans une logique plus passive, cette
démarche est parfois conditionnée par les liens sur des nouvelles qui apparaissent sur la page
d’accueil, que ce soit Orange ou MSN Messenger. Si ici encore les pratiques dites populaires,
comme lire le journal local ou s’informer à travers les nouvelles qui apparaissent autour d’une
boîte mail, semblent être les plus prisées, elles ne sont pas l’unique pratique. Les élèves sont
effectivement quelques uns à commencer à lire les titres des grands quotidiens voire à les lire
au moins une fois par semaine au CDI, ce sont plutôt des garçons d’ailleurs, tandis que
certaines filles commencent à visiter les pages internet de la presse nationale. Cependant la
légitimité de la presse et de la lecture d’article de journaux est mise en balance avec la
littérature : il n’est pas comparable de s’informer et de lire un « vrai » livre, par exemple
conseillé par le lycée, comme le montre le témoignage de Khadîdja :
« Non non, c’est une bonne question, j’aime pas lire, j’aime pas trop écrire.
MD : tu ne lis pas des journaux ?
Fin si les journaux ça me plait, mais genre la littérature classique, fin voilà… J’aime
tout ce qui est psychologique, économique, information et politique. Voilà, c’est pas
très littéraire. C’est pas Rousseau. »
On retrouve ici le poids des humanités propre au système scolaire français, mais aussi peutêtre une méconnaissance des nouveaux enjeux scolaires étant donné que beaucoup d’élèves
s’orientent ou sont dans les filières ES qui les incitent pourtant à lire la presse pour travailler
le bac. Cela dit quelque soit le jugement porté sur la pratique en question lors d’entretiens
comme ceux que j’ai menés, c’est avec plaisir que les élèves lisent ce qu’ils aiment ou
viennent pas à pas à la lecture, et ils ont tout le temps de relativiser les notions de légitimité et
d’utilité à l’aune de ce qui les attend une fois sortis du secondaire.
2.
Le plébiscite des écrans
D’une manière générale, les élèves interrogés, comme tous les jeunes d’ailleurs selon
l’enquête nationale d’Olivier Donnat, plébiscitent les écrans, que ce soit pour voir des films,
77
des séries, écouter de la musique ou communiquer entre eux : le téléphone portable, internet,
la télévision et la console de jeux relèvent d’un multi-équipement très prisé par les
adolescents. Selon ce même auteur, les pratiques à l’ère numérique se divisent en deux grands
pôles autour de la télévision et autour de l’ordinateur. Chez les élèves du DISPO elles sont le
reflet de leur éclectisme. En effet, ils regardent tout type de programmes ou de DVD à la
télévision tandis qu’internet, le média à tout faire, leur permet d’assouvir en partie leur
curiosité voire de produire eux-mêmes du contenu pour informer, faire des rencontres,
s’ouvrir également sur un monde partiellement virtuel.
a) Entre télévision et ordinateur
Nombreux sont les élèves qui d’une manière générale utilisent les deux écrans,
télévision et ordinateur pour des usages qui se recoupent, comme lorsqu’ils regardent des
séries, des films ou des clips musicaux, et qui diffèrent, car l’ordinateur permet par internet
l’accès à une nouvelle forme de communication tandis que la télévision est regardée pour les
journaux télévisés ou des émissions spécifiques. Les jeux vidéo sont utilisés soit sur
l’ordinateur, ce qui semble peu fréquent à cet âge-là parmi les adolescents interrogés, soit sur
une console portable ou branchée à la télévision. Ils n’ont pas fait l’objet d’une question
précisé du type « Est-ce que tu joues aux jeux vidéo ? », cependant certains élèves, surtout des
garçons m’ont annoncé y jouer. Cela semble rester une consommation modérée bien qu’ayant
fait l’objet parfois de règles fermes de restriction d’accès venues des parents : ces derniers
veulent privilégier les devoirs en semaine et vont parfois jusqu’à confisquer la PlayStation
pendant les périodes scolaires. Enfin quasiment tous les élèves semblent posséder un
téléphone portable mais je n’ai pas cherché à mieux en connaître l’usage, bien que j’ai
compris que pour certains il remplace internet grâce à des communications interpersonnelles
par SMS. Cela renforce chez ces individus un désintérêt pour ce média notamment quand
c’est nouveau dans la famille ou qu’il n’y a qu’un ordinateur dans la maison pris d’assaut par
les frères et sœurs comme le montre cet extrait de l’entretien de Slimane :
« Ouais, y a pas longtemps que j’ai eu Internet, y a genre 2-3 mois. Alors euh ouais,
j’y vais, mais mon frère, il y est presque tout le temps, même si je lui dis j’y vais 5
minutes, après il y reste 2h et du coup j’y vais pas… Ouais mais moi de toute façon, je
m’en fous un peu de l’ordinateur, moi si j’y vais, c’est 10 minutes pour regarder mes
commentaires sur Facebook, et c’est tout. […] j’écoute de la musique aussi. Lui il a
pas de portable c’est pour ça, moi je peux envoyer des SMS, si je veux parler avec les
copains, mais lui il peut pas alors… je le laisse faire pour l’instant. »
Avant de parler plus précisément de l’usage des écrans, il convient de préciser que les
78
adolescents qui sont en internat n’ont pas accès ou alors très peu à la télévision, et quoiqu’il
arrive ils la partagent avec d’autres personnes et le choix du programme n’est pas le leur. Le
fait d’avoir passé ne serait-ce qu’une petite période en internat a marqué les pratiques de
certains élèves qui ont par exemple arrêté de s’intéresser à la télévision. Il va sans dire que les
ordinateurs sont également interdits dans l’internat, les élèves n’ont donc qu’un accès très
restreint à internet dans le CDI, ils disposent de peu de temps et d’un panel de sites
consultables limité. Lorsqu’ils sont évoqués par des élèves vivant à l’internat, les écrans sont
donc plutôt ceux du week-end, à l’exception du téléphone portable qui parfois peut même
aller sur internet.
Dans le cadre de la télévision et surtout s’il n’y a qu’un poste ou qu’elle est regardée
pendant les périodes de socialisation familiale marquée comme pendant les repas, le
programme est souvent choisi par les parents. En effet, les adolescents commencent par
regarder le journal télévisé ou l’émission, la série choisis par les parents. La question n’a pas
été posée clairement mais on sait que dans plus de la moitié des familles populaires, il y a
plusieurs postes de télévision dans un logement. Je tiens également à souligner que la plupart
des jeunes m’ont d’abord déclaré ne pas regarder la télévision avant que je découvre que si, en
posant plus particulièrement des questions du type « est-ce que tu regardes des séries ? ». On
peut avancer plusieurs explications à cela, d’abord ils peuvent regarder les séries sur internet,
et ne plus les associer à la télévision, alors que selon moi, le média sur lequel les séries sont
regardées n’en change pas la nature télévisuelle. D’autre part, cela peut être une réaction qui
s’apparente à l’attitude souvent dépréciatrice qui accompagne la télévision chez les
adolescents de plus de 15 ans51. Cette attitude ne traduit pas le fait que les élèves regardent
moins la télévision, ils la regardent en moyenne plus de deux heures par jour, ni même qu’ils
l’apprécient moins, mais bien qu’il faut montrer ses distances avec la télé que ce soit avec les
pairs ou face à l’enquêtrice.
En tout cas, on constate la banalisation de ce média, longtemps considéré comme passif et
aliénant. La diversité des usages et du degré d’attention achève de séparer les pratiques. Passé
les émissions incontournables de chaque famille, certains élèves semblent avoir complète
latitude dans le choix de ce qu’ils veulent regarder. Si quelques uns m’affirment « zapper » et
regarder le plus souvent au hasard, selon ce sur quoi ils tombent, la plupart ont leurs
habitudes : des séries et des émissions sont vues toutes les semaines. Enfin certains, plutôt des
51
Voir D. PASQUIER, Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Editions Autrement, Paris, 2005
79
fils et filles d’enseignants regardent uniquement des programmes choisis préalablement et
plus ou moins à visée éducative, comme des documentaires ou des fictions historiques par
exemple. La pratique du zapping, critiquée par ceux qui privilégient le fait de n’avoir qu’une
pratique à la fois, permet malgré tout de survoler l’ensemble des programmes, de picorer un
peu de chaque. Cela peut aussi être un alibi, de l’aveu même des interviewés, pour « faire le
légume devant la télé ». C’est en tout cas une pratique qui est de manière générale associée au
divertissement et à la détente, voire faite pour se vider la tête et n’est pour cela pas valorisée
par les élèves. C’est ce que nous montre Eloïse qui ne sait pas vraiment dire ce qu’elle a
regardé, cela ne semble pas être une activité à part entière, car de fait elle est souvent
accompagnée d’autre chose, selon le contexte dans lequel elle est pratiquée :
« Sinon euh, ouais, je regarde la télé, oui quand même ! Oui je regarde des émissions
un peu débiles des fois, je sais pas quoi, voilà je zappe, je regarde un peu tout, je peux
regarder n’importe quoi, je regarde des films »
La manière dont on regarde la télévision est donc aussi importante dans l’analyse des
habitudes, cela peut aller de l’écoute attentive à l’écoute intermittente et au zapping qui relève
plus du passe-temps.
On peut aussi avancer que ces pratiques s’accordent avec le trop plein de temps de
loisir dont disposent les adolescents par rapport au reste de la population française, même si
ce n’est pas forcément le cas des élèves qui, comme on l’a vu, s’impliquent sous différentes
formes dans la société ou, comme on le verra, pratiquent à haute dose une activité culturelle
ou sportive. Le fait de regarder pas mal la télévision ne correspond pas, chez les jeunes
interrogés, à l’appartenance à une classe sociale en particulier, comme le montrent d’ailleurs
les grandes enquêtes sur les pratiques. C’est plutôt ce que l’on regarde, ou annonce regarder,
qui change, bien que les séries semblent très largement plébiscitées par tous. Le type des
séries regardées qui sont très souvent américaines, dépend essentiellement du sexe, les filles
se sentant plus attirées par Gossip Girl ou Desperate Housewives tandis que les garçons
aiment Prison Break. D’autres séries rassemblent, comme Dr House, Lost ou des séries
policières...etc. De plus je n’ai pas pu mesurer vraiment le temps passé devant la télé, pas
inclus dans la question, qui, selon O. Donnat, dépend du milieu social dans lequel on évolue.
D’autre part, le fait d’utiliser plus souvent l’ordinateur ou internet, va de pair avec le fait de
regarder moins la télévision, mais ce n’est pas une règle générale, certains élèves additionnant
les deux pratiques. On peut quand même voir dans leur discours qu’ils effectuent un choix
dans l’affectation de leur temps de loisir. Quoiqu’il en soit, on ne constate pas de corrélation
80
entre le temps passé devant les écrans et le nombre de sorties ou la fréquence des activités
culturelles d’extérieur pratiquées. On serait plutôt ici, dans la logique du cumul des pratiques
qui n’altère pas la balance entre activité à l’intérieur ou en dehors de la maison.
Si en temps normal, on ne considère pas spécialement la télévision comme une ouverture
alors même que le fait de tous regarder un même programme permet éventuellement de s’y
reconnaître et de le partager avec les autres, l’usage de l’ordinateur, essentiellement tourné
vers internet, représente lui l’ouverture par excellence. En effet, c’est à l’adolescent de choisir
les contenus qui l’intéressent, il peut communiquer directement avec ses amis ou des
inconnus, avoir accès à toute sorte d’informations ou bien produire lui-même une page,
devenant alors acteur et producteur.
b) L’importance d’internet, média à tout faire
L’usage poussé d’internet et notamment à travers le téléchargement, permet de
relativiser l’importance de l’offre culturelle à disposition des élèves dans le cadre de la famille,
symbolisée par exemple par le nombre de livres ou de CDs possédés par les parents. En effet,
un ordinateur connecté à internet permet un élargissement considérable des possibilités de
consommation, de stockage et d’échange de contenus culturels. Cependant l’outil internet,
média à tout faire, se caractérise par la diversité des usages que l’on en fait. Selon Olivier
Donnat 52 , l’internet de base consiste à utiliser les e-mails et rechercher des informations
pratiques ou documentaires. Ensuite internet peut être une machine à gagner du temps s’il
permet d’effectuer des achats de la vie quotidienne ou de consulter les médias, ce qui est
plutôt le fait d’individus diplômés et vivant en milieu urbain.
Les jeunes sont ceux qui développent le plus les capacités d’internet en utilisant également la
communication interpersonnelle par le biais de messageries instantanées, ce qui est le fait de
73% des 15-24 ans, tandis que 38% vont sur des chats et des forums et 67% s’en servent pour
télécharger des films et de la musique. Cet usage d’internet correspond aux besoins de
sociabilité des adolescents soulignés plus haut, qui inclut notamment une importante
dimension identitaire qui passe par la présentation de soi et éventuellement l’autoproduction
de contenus sur internet comme le montre le plébiscite de Facebook ou des blogs. Les garçons
ont par ailleurs une plus grande diversité d’usage que les filles car ils téléchargent plus
souvent et pratiquent parfois les jeux en réseau, ce qui ne ressort cependant pas dans le cas
52
O. DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique, Enquête 2008, La Découverte,
Ministère de la culture et de la communication, 2009, chapitre 2.
81
des interviewés du DISPO.
L’usage de Facebook et de MSN Messenger est généralisée parmi les élèves du
DISPO interrogés. Si le second permet de communiquer par le biais d’une messagerie
instantanée dont l’usage varie entre longues conversations entre amis ou personnes qui se
connaissent à peine et passage d’information proche du SMS, le premier implique une
présentation de soi symbolisée par le partage d’un maximum de données sur ce qu’on est et ce
qu’on aime et mis en valeur par le nombre d’amis que l’on a sur son profil. Tous les élèves
utilisent au moins un de ces deux outils y compris ceux qui ont un usage très distant d’internet,
en revanche, ils n’ont pas tous la même appréciation sur leurs pratiques. Certains prennent
leur distance tout en continuant à alimenter leur profil en disant que ce n’est pas une activité
très intéressante, que cela prend du temps voire que cela peut attirer des problèmes entre
connaissances parfois. D’autres apprécient cette manière de communiquer, de garder contact
et d’être informés en temps réel, ils n’en voient pas encore les défauts. On peut voir le
témoignage contrasté d’Arthur, élève de seconde, qui est un multiutilisateur d’internet :
« Oui ben sur internet je discute avec mes amis, même si des fois, je me dis que
j’aimerais bien sortir de Facebook et d’MSN parce que ça m’a, fin des fois ça m’a
entraîné des ennuis 2 ou 3 fois dans l’année, genre entre les lycées, embrouilles
personnelles […] fin mon but premier à la base, je suis sur un forum aussi, je suis
depuis que j’ai 9 ans dessus, c’est un forum de foot à la base, mais on parle de tout
sauf de foot, on parle d’actualité, de politique et c’est vachement du 2ème degré, donc
c’est dur de s’en détacher, quand j’étais à New York, j’étais plus sur le forum que dans
la rue ! Oui même si je sortais quand même. Et pour des recherches si ya besoin et
puis bon la radio, je la fais par internet là aussi, et puis je regarde des séries par
internet. »
Cela nous montre que les chats sont aussi prisés par les jeunes même s’ils sont beaucoup
moins nombreux à les avoir cités, en général, ceux qui m’en ont parlé ont recréé ainsi un
réseau de sociabilité à travers internet. Ils élargissent les discussions qui ne tournent plus
qu’autour de la raison d’être du forum, par exemple le football ou les chevaux mais touchent à
tous les sujets intéressants du moment. Par ces différents biais, internet semble être le plus
puissant moyen de communication entre les jeunes, à la fois parce qu’il est moins
contraignant puisqu’on peut choisir les moments, les pages, les moyens que l’on veut utiliser
pour communiquer et aussi, même si cela paraît contradictoire, parce qu’il implique que tous
le monde soit sur internet et partage les mêmes sites. On peut y voir une forme de tyrannie de
la majorité qui pousse à être sur Facebook ou MSN qu’on aime ou pas ces messageries pour
pouvoir rester connecté au groupe des pairs.
82
Les pratiques développées sur internet tels que les e-mails, les SMS et les messages
instantanés échangés sont représentatifs du lien de plus en plus fort que les adolescents
développent avec l’écrit. Plus seulement le fait de certaines jeunes filles qui rédigent des
journaux intimes, l’activité poussée de l’écriture est aussi permise par l’avènement des blogs.
Parfois uniquement dans la présentation de soi ou au contraire plutôt thématiques, les blogs ne
sont pourtant que le fait de quelques uns parmi les élèves interrogés. L’exemple le plus
parlant est celui de Paul, élève de terminale, qui depuis qu’il a 13 ans rédige un skyblog sur un
artiste de rap français. Sa page internet a attiré un tel nombre de visiteurs qu’il a, grâce à cela,
eu l’occasion de rencontrer l’artiste et de filmer plusieurs interviews exclusives qu’il a ensuite
pu poster sur son blog et attirer encore plus d’internautes. Premier contact avec l’écriture et
avec une forme du métier de journaliste, Paul est fier du succès rencontré mais surtout d’avoir
contribué à faire connaître un artiste dont il explique fermement qu’il a plus contribué à son
éducation que ses parents, dans le sens où il a aiguisé sa curiosité sur certaines pages de
l’histoire. Si Paul caresse l’idée d’être journaliste spécialisé dans le rap, il va démarrer des
études d’histoire, sa passion, impulsée selon lui par ses pratiques culturelles.
« Disons que quand j’ai eu 13 ans, j’ai commencé à faire un skyblog musique sur les
groupes de rap que j’aimais bien, bon ça a pris beaucoup d’ampleur, je m’étais
spécifié notamment sur cet artiste-là qui à l’époque ne vendait pas beaucoup, du coup,
il a vu que mon blog prenait de l’importance donc il m’a contacté, j’ai fais des
interviews pour eux, sur internet c’est moi qui m’occupe de leurs promotions, j’ai créé
un forum internet, le skyblog en période d’album il a plus de 50 000 visites par mois,
donc franchement ça a été un gros truc. Les concerts donc je fais des interviews qui
sont vues vachement de fois donc j’ai beaucoup de relais disons que ça me… moi qui
voulait être journaliste, à un moment, je voulais me spécialiser dans le rap, mais c’est
un peu difficile de se spécialiser dans le rap aujourd'hui, du coup, ça me fait un point
d’accroche et ces gens-là qui sont musulmans convertis pour la plupart, […] C’est
vraiment eux et ils parlent beaucoup d’histoire dans leurs chansons. »
On peut renforcer ce constat par le fait que les lycéens sont très nombreux à télécharger
notamment des contenus musicaux53 ou des films et des séries. Ils peuvent aussi utiliser le
concept du streaming qui se développe plus souvent dans un contexte légal : les séries sont
assez courtes pour rentrer dans le temps de visionnage autorisé, et sur certains sites on peut
également voir les films, il existe aussi des sites internet connus d’écoute de musique en
streaming comme Deezer ou des radios en ligne où les auditeurs choisissent eux-mêmes les
morceaux écoutés. Ces différents systèmes fonctionnent en général sous le mode du peer to
peer c'est-à-dire de l’échange de fichiers entre les utilisateurs. Les adolescents disposent
53
Six lycéens sur dix ont téléchargé de la musique au moins une fois dans les 12 derniers mois.
83
souvent de peu d’argent de poche et même s’ils achètent parfois des CD ou des DVD, ils ont
l’occasion de diversifier leurs pratiques culturelles en téléchargeant des produits beaucoup
plus nombreux. Cette pratique permet aussi de réduire les distances spatiales et temporelles
qui privent certains élèves de l’accès en temps voulu à la culture y compris populaire.
B.
Hors de la maison, un désir d’ouverture domine les pratiques culturelles
Si les adolescents sont parfois contraints de passer beaucoup de temps à la maison, la plupart
préfèrent être en dehors du logement familial, c’est ce phénomène qui implique que certaines
activités sont plus aimées que pratiquées. Que ce soit à travers leurs sorties ou des activités
culturelles et sportives qu’ils exercent, les élèves interrogés font preuve d’une importante
sociabilité, et parfois d’une grande implication. Ils font aussi preuve d’un désir d’ouverture
illustré par leurs envies de voyager, d’aller voir ailleurs pour rencontrer de nouvelles
personnes et être confrontés à d’autres expériences.
1.
Des activités culturelles contraignantes et enrichissantes
Les activités culturelles pratiquées par les élèves interrogés se répartissent
essentiellement entre la musique et le sport, que ce soit dans le cadre scolaire ou en dehors,
même s’il y a aussi d’autres activités artistiques pratiquées. Ce sont des activités exigeantes
qui on le verra impliquent que l’individu s’impose des règles de travail à lui même s’il veut
progresser. Elles peuvent également être qualifiées d’enrichissantes par leurs apports
artistiques ou bien grâce aux réseaux de sociabilité qu’elles permettent de développer. Le
sport, s’il n’est pas toujours considéré comme tel, fait pourtant preuve d’une ambiance
culturelle particulière et permet notamment quand il est pratiqué en compétition ou en équipe
d’acquérir des réflexes qui peuvent servir dans d’autres cadres.
Certaines activités culturelles sont pratiquées au lycée par le biais surtout des options
ou des clubs artistiques. Si certains élèves cherchent à valoriser un de leur loisir sur le plan
scolaire, comme c’est beaucoup le cas de ceux qui suivent l’option musique, d’autres
découvrent à travers une option ou un club une pratique culturelle qu’ils aiment. Par exemple,
les seuls élèves qui m’ont dit avoir suivi des cours de théâtre, c'était dans le cadre du collège
ou du lycée. Ils avaient beaucoup apprécié mais s’étaient arrêtés quand ils ne pouvaient plus
suivre le club. On relève ici l’effet de l’opportunité : dans le cadre du lycée, une pratique
culturelle ne nécessite ni un investissement financier ni des contraintes de transport. Il n’est
pas ensuite forcément évident non plus de faire la démarche de chercher un cours de théâtre
84
en dehors. Par ailleurs, les élèves qui suivent l’option cinéma audiovisuel ont à la fois de la
pratique et de la théorie, ils apprennent non seulement à filmer des séquences mais aussi à
regarder des classiques qui sont répertoriés dans une liste de films à voir. L’option les amène
également au cinéma après les cours, tandis que le CDI peut en profiter, comme c’est le cas
du lycée de Lavaur, pour proposer alors l’accès à une vidéothèque à l’ensemble des élèves du
lycée. Le suivi de l’option, qui relève plus d’une opportunité dans le cas de Lisa, influence en
partie ses goûts : sommée de voir un certain nombre de classiques, elle aime malgré tout
encore des films qu’elle qualifie de « débiles ». Le lycée participe alors à l’éclectisme qui
domine désormais son rapport au cinéma :
« J’aime pas trop les films d’action, après, euh, je dois répondre un truc bien là parce
que quand même en audio !! (rire) […] Euh, alors les films que j’aime bien… j’aime
bien tout ce qui est fantastique, par exemple Alice au pays des merveilles, j’ai bien
aimé, j’aime bien les films comme ça, ça sort un peu de… tu vas un peu ailleurs. Puis
Tim Burton j’aime beaucoup. Euh je sais pas, ben en fait cette année, j’ai vu beaucoup
de films en fait, donc je devrais savoir ! Déjà avec l’option et puis y a un système de
vidéothèque au lycée, y a 2000 films un truc dans le genre donc chaque semaine on
peut en emprunter quand on veut quoi. Bon nous les audios on avait une liste de
classiques à voir, donc on pouvait pas prendre genre Shrek, ça c'était pas dans la
liste ! (rire) donc on a du voir quelques classiques, et sinon des films que j’aime bien,
j’aime les trucs un peu débiles, genre américains un peu »
Enfin l’option musique, souvent suivie par des gens qui jouent déjà d’un ou plusieurs
instruments de musique, permet d’acquérir une culture musicale à travers les œuvres étudiées
et implique un travail d’analyse des compositions et de leurs interprétations. Les œuvres au
programme, qui vont de Léo Ferré à Mozart, sont les mêmes pour tous et font l’objet d’une
évaluation au bac dans le cadre de la filière littéraire. Si la musique au lycée ne consiste pas
en des concerts de rock, on peut voir qu’elle est assez variée et qu’elle propose aux élèves
d’acquérir des connaissances plutôt nouvelles, qui bien qu’elle la complète s’éloigne quand
même de la pratique des élèves. Dans l’ensemble l’option est à la fois le moyen de valoriser
scolairement un loisir très exigeant et aussi d’élargir sa conception de la musique grâce à la
découverte d’œuvres musicales qui ne relèvent pas uniquement de la musique classique.
La musique est plébiscitée par les jeunes en général, en effet, 74% des 15-19 ans
déclarent écouter de la musique tous les jours ou presque et ils sont plus nombreux à écouter
de la musique en rentrant chez eux le soir qu’à allumer la télévision. De plus, ils sont 69% à
écouter de la musique sans rien faire d’autre. D’ailleurs on peut voir que si l’on assiste à une
certaine « musicalisation » de la vie quotidienne, étant donné que la musique est écoutée dans
les transports et devant l’ordinateur, ce qui peut être compris comme une forme de
85
banalisation de cette activité, on découvre aussi de nouvelles formes de mélomanie qui se
cristallisent autour des musiques dites populaires qui sont les préférées des jeunes. J’ai
cependant été étonnée par le nombre d’élèves du DISPO qui font de la musique, en effet, cette
pratique est réputée pour être particulièrement chère et plutôt réservée à des classes sociales
favorisées, ce qui ne semble pas être le cas des élèves interrogés. En effet, O. Donnat montre
que parmi les français, les cadres supérieurs sont deux fois plus nombreux à pratiquer la
musique que les ouvriers : 30% contre 13%. La pratique ne dépend toutefois pas du lieu
d’habitation : les urbains ne font pas plus de musique que ceux qui vivent dans un milieu à
dominante rurale. Les adolescents sont quoiqu’il arrive ceux qui sont les plus nombreux à
faire de la musique : 30% des 15-19 ans pratiquent un instrument et 20% sont membres d’un
groupe de musique54. Parmi les élèves interrogés, on peut remarquer que la pratique n’est pas
dilettante et rares sont ceux qui viennent de démarrer l’instrument. Leur pratique est de plus
très diversifiée. De la batterie au piano en passant par la guitare et la flûte traversière, ils sont
plusieurs à jouer de différents instruments à la fois et à avoir, voire à diriger, un groupe de
musique qui répète le week-end et même se produit en petits concerts. Si certains restent dans
une pratique plutôt solitaire tout en prenant des cours en dehors de la maison, d’autres
multiplient les situations collectives comme l’accompagnement, les orchestres, les groupes
voire les stages de musique plus caractéristiques d’une pratique poussée. Eloïse, élève de
terminale au lycée de Mirepoix qui fait de la flûte depuis 10 ans suit, elle, des stages de
musique et d’harmonie tous les étés. Comme le montre son témoignage sa pratique de la
musique est extrêmement diversifiée, elle a touché à beaucoup d’instruments, fait de
l’orchestre, a été membre d’un groupe de musique…etc. :
« La flûte c’est venu comme ça, quand j’étais petite, j’avais une copine qui jouait de la
flûte, alors je me suis dit « ah moi aussi je veux faire de la musique ! ». Après voilà,
dans la famille on est assez musicien, voilà, mon cousin, il joue de l’orgue, il est prof
de musique depuis cette année, il vient d’avoir son CAPES et il est prof de musique en
collège, il touche à tous les instruments, fin lui, il est vraiment fort. Et voilà, quand
j’étais petite j’ai dit la flûte parce que ma copine elle en faisait, c’est venu comme ça.
Toutes les petites filles elles faisaient de la flûte, donc moi je voulais faire de la flûte,
c'était comme ça. Après ça m’a plu et j’ai pas eu de période, fin souvent y a une
période au collège ou début lycée, où tu dis « non, je veux arrêter la musique ». Moi
non, ça allait très bien, je faisais des stages chaque année, et benjamin, cadet, junior,
j’étais à l’harmonie départementale de l’Ariège, donc moi ça m’a plu, j’aimais bien
aussi parce que la musique c’est pas seulement faire de la musique, c’est aussi une
ambiance particulière, ça créé des liens, on fait la fête, y a aussi des bandas, je sais
54
Voir O. DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique. Enquête 2008, La Découverte,
Ministère de la culture et de la communication, 2009
86
pas si… voilà les bandas, on joue ensemble on s’amuse et je trouve ça bien de savoir
jouer d’un instrument, je trouve que ça apporte bien, ça détend quand je joue, je suis
bien, ça va bien. Y a 2 ans, je me suis dit « bon, je vais faire un peu de trompette »,
mais j’ai arrêté là cette année parce que ça me prenait trop de temps et là je me suis
un peu découragée j’avoue, parce que je me suis dit « j’y arrive pas trop… » Quand tu
sais jouer de la flute depuis 10 ans et que tu joues des partitions comme ça, et que la
trompette t’es obligée de bien souffler pour sortir ce son, d’encore chercher tes notes
ça me va pas… du coup j’ai un peu arrêté, j’ai un peu touché à la guitare, j’ai une
batterie à la maison, j’ai fait de la batterie pendant 2 ans. J’étais dans un groupe.
Ce qu’elle explique ici, montre bien que pour elle c’est une ouverture sur un monde très varié
grâce aux styles de musique, aux différentes possibilités de pratique, et au nombre
d’instruments qui l’intéressent. C’est aussi un réseau de sociabilité qui permet de faire des
rencontres dans une ambiance festive que l’on peut recréer à l’envie. On peut ajouter que dans
son cas, cela s’inscrit dans un ensemble de pratiques artistiques encore plus large étant donné
que, très attirée par l’art en général, elle fait aussi beaucoup de photographie, ce qui lui a été
inspiré par son grand-père, et veut apprendre à dessiner. Elle pense d’ailleurs éventuellement à
s’orienter vers des formations artistiques ou audiovisuelles après le bac. A contre courant de la
représentation sociale classique que l’on se fait de la pratique poussée d’un instrument, Eloïse
est fille d’un ouvrier arrêté depuis longtemps pour longue maladie et d’une caissière. En
parallèle des stages de musique, elle travaille tous les étés pour se payer du bon matériel
photographique. L’art semble pourtant être dans son cas une histoire de famille inattendue. A
travers des relations assez lointaines ou en se plaçant dans une logique d’héritage par rapport
à un grand-père qui faisait de la photo, on peut voir que dans une vie, des micro-événements
peuvent donner envie de s’intéresser vraiment, voire de se lancer sérieusement dans une
pratique, surtout lorsqu’on a le temps, l’énergie et qu’on est encore jeune.
La pratique régulière de la musique, comme celle d’un sport si cela est fait de manière
poussée, requiert une importante discipline que l’on s’impose à soi-même. Pour progresser
dans un groupe, un orchestre ou une équipe, il faut d’abord travailler tout seul et y passer le
temps qu’il faut. Cette éthique du travail, matinée dans le cadre sportif de celle de la
compétition, forge les adolescents. L’investissement que l’on peut constater dans la musique
fait écho à celui des élèves qui pratiquent un sport en compétition. Le seul élève interrogé
vraiment sportif de haut niveau, fait lui même le parallèle entre l’esprit de compétition dans le
sport et la configuration mentale dans laquelle il a passé le concours de l’IEP, ainsi qu’entre le
sérieux et la discipline que lui demandent ses entraînements et la manière dont il s’oblige à
assister à tous les cours et à faire les exercices en temps et en heure.
87
Les sports pratiqués en compétition par les élèves vont de l’équitation à l’aviron en passant
par le golf et le basket. Encore une fois ce sont des pratiques variées qui dépendent parfois
d’un contexte précis comme un lieu propice à une certaine activité ou des amis qui donnent
envie de le faire. Cela prend en général tous leurs week-ends et éventuellement tout leur
argent de poche. Pour une élève, Anna, la pratique du cheval sous toutes ses formes a l’aspect
d’une véritable passion qui prend toute la place et ne permet aucune autre activité de loisir.
« Depuis toute petite, j’ai des chevaux à la maison, et je monte vraiment on va dire
depuis 8 ans ou 10 ans. […]
MD : et qu’est-ce que tu fais quand tu n’es pas au lycée ?
Du cheval ! (rire) Ouais, je travaille mes chevaux, et je sors des chevaux en
endurance, pas les miens, mais je fais des compétitions d’endurance, donc euh faut
entraîner le cheval. […] Ça peut commencer à 25km jusqu’à 130km et on a une
vitesse imposée, donc faut arriver à gérer la vitesse, le rythme cardiaque du cheval, y
en a qui pensent que c’est rien mais y a des contrôles vétérinaires aussi. »
Cela conditionne même ses aspirations pour l’avenir et tous les individus rencontrés en dehors
du lycée le sont par le biais des reprises, des compétitions d’endurance ou de forums internet
spécialisés dans les chevaux. Par ailleurs dans le cadre de l’entretien, elle ne s’anime que
lorsqu’elle parle d’équitation car sinon elle fait preuve d’une grande timidité.
Certains élèves enfin pratiquent du sport plus pour l’esprit d’équipe et la sociabilité que l’on
retrouve dans tout sport collectif, la compétition n’est alors pas du tout mise en avant même si
les temps de matches sont appréciés et les entraînements suivis avec assiduité. Le sport
permet alors de faire des rencontres qui ne se recoupent pas forcément avec la sociabilité
développée dans le cadre du lycée. Au contraire, quelques uns font de la course à pied ou du
vélo, activité pratiquée plutôt en solitaire ou en famille, et qui peuvent être plus pratiqués de
manière à prendre l’air ou promener un chien que pour le sport en lui-même. D’autres enfin
multiplient les différents sports (football, rugby, basket, tennis…etc.) ou se focalisent sur une
pratique de manière poussée, qui peut aller jusqu’à se proposer pour arbitrer ou entraîner les
plus petits. Le sport semble autant pratiqué par les garçons que les filles, y compris en
compétition, cependant certaines filles n’en pratiquent pas du tout.
2.
Une conception de l’extérieur tournée vers le futur
Le désir d’ouverture des élèves interrogés s’exprime déjà clairement dans le cadre de
leurs pratiques culturelles ou de leurs différents engagements ou petits boulots qui font d’eux
comme on l’a vu des individus acteur de la société. Cependant pour évaluer la nature et la
fréquence de leurs occupations en dehors de la sphère personnelle et familiale, il convient
88
d’analyser leurs sorties qu’elles soient entre amis ou culturelles, et de voir si la possibilité de
voyager leur a été offerte ou pas, que ce soit avec la famille, entre amis ou dans un cadre
scolaire. On verra que les sorties comme les projets de voyages sont vécus soit sur le mode
d’une envie qui se réalisera peut-être dans le futur soit sur celui de la frustration qu’implique
l’attente.
a) Des sorties rares mais appréciées
S’ils se retrouvent assez souvent entre amis pour discuter ou ne rien faire de spécial,
les adolescents que j’ai interrogés sortent globalement assez peu. Les sorties entre amis ont
par ailleurs souvent été peu développées dans l’entretien, peut-être parce que les élèves
considéraient que cela ne devait pas vraiment m’intéresser. En tout cas elles semblent faire
partie de l’étroit réseau de sociabilité formé par des adolescents de la même classe, ou qui
étaient ensemble au collège et enfin par des amis d’enfance habitant souvent le quartier. En ce
sens, on constate que les élèves interrogés ont pas mal déménagé, ils n’habitent pas toujours
au même endroit que pendant leur enfance. En effet, en milieu rural, ils se retrouvent parfois
bloqués chez eux car ils ne disposent pas tous d’un moyen de transport tel que le scooter ou la
petite moto qui de toute façon, ne permettraient pas non plus d’effectuer de longues distances.
Certains n’ont pas vraiment encore la permission de sortie, ce qui est surtout le cas de
certaines filles de seconde. D’autre part, les bars et les boîtes de nuit, pas toujours accessibles,
ne leurs sont pas non plus spécialement réservés : ils ne se retrouvent pas dans la clientèle
plus âgée et préfèrent s’inviter chez les uns et les autres que de les fréquenter. Les occasions
de faire la fête sont donc plutôt les anniversaires ou les fêtes de village qui rencontrent encore
un certain succès auprès des jeunes de milieu rural qui commencent à y aller sans leurs
parents, entre copains, voire à les organiser comme on l’a vu précédemment. En milieu urbain,
dans des villes comme Tarbes et Toulouse, les bars et les cafés rencontrent plus de succès :
plus adaptés à un public jeune, ils attirent même pendant les temps scolaires. En effet, dans les
lycées de centre ville, l’urbanité fait partie d’un mode de vie lycéen complètement distinct qui
permet de rester après les cours, d’aller se promener quand on a un trou d’emploi du temps,
voire d’aller au cinéma.
Les sorties cinéma sont les sorties culturelles qui reviennent le plus dans les
témoignages des élèves, cependant elles ne paraissent pas tant aimées que cela. Même si l’on
peut voir dans l’enquête d’O. Donnat que 94% des lycéens sont allés au cinéma au moins une
fois dans les 12 derniers mois, la fréquentation des cinés dépend énormément du contexte
89
géographique dans lequel grandissent les élèves. D’abord dans certaines petites villes, le
cinéma n’est pas toujours ouvert, celui de Carmaux a par exemple été fermé pendant trois ans,
ou bien il ne passe que des films dont la sortie commence à dater, comme à Caussade ou à
Gourdon. Certains cinémas souffrent alors sérieusement de la concurrence des DVD, perçus
comme proposant des films plus intéressants, ou du téléchargement qui est immédiat et à la
demande. Pour certains, le cinéma implique donc la venue dans une ville plus grande que
celle dans laquelle se trouve le lycée qui est parfois plus éloignée encore de leur domicile.
Pour d’autres c’est une activité considérée comme chère, ce qui semble être le cas à Tarbes,
tandis qu’au contraire, à Toulouse, les prix imbattables des Gaumont et UGC pour les moins
de 26 ans, offrent de grandes possibilités d’accès aux jeunes. D’autre part, la nature des films
passés dépend aussi du contexte, on peut voir qu’en ville ce n’est pas la quantité de l’offre
mais bien sa diversité qui fait une réelle différence : à Toulouse avec les cinémas d’art et essai
qui côtoient les multiplexes. Les films vus au cinéma par les adolescents sont plutôt regardés
avec les copains et sont souvent des films d’actions ou des comédies à succès, plutôt
américains. O. Donnat souligne d’ailleurs ce goût des moins de 30 ans pour les produits
culturels et notamment les musiques et les films anglo-saxons. On peut voir que cela est vrai
aussi pour certains élèves, souvent fils de cadre ou d’enseignant, qui préfèrent le cinéma
d’auteur aux blockbusters, ils citent alors les américains Woody Allen, Tim Burton ou Jim
Jarmusch parmi leurs réalisateurs favoris. On retrouve ici la séparation au niveau des goûts
que décrit O. Donnat entre un « pôle divertissement » constitué de films comiques et d’actions,
et un « pôle cultivé » composé de films d’auteurs ou de science fiction. On peut ajouter
également que voir du cinéma en salle va de pair avec regarder des DVD chez soi, toujours
dans la logique du cumul, or les jeunes sont d’importants consommateurs de films que ce soit
en streaming, téléchargés ou en DVD.
Les élèves des classes populaires sont enfin très peu nombreux à avoir eu accès à
d’autres types d’équipements culturels. Certains sont allés au musée, au théâtre ou à l’opéra
avec le lycée, dans le cadre de sorties avec un cours précis, ou avec le DISPO, mais rares sont
ceux qui y vont avec leurs familles, sauf les fils et filles de cadres ou d’enseignants et
d’ailleurs plutôt qui ceux vivent en milieu urbain ou qui partent en voyages. Parfois cet accès
privilégié à la haute culture proposé par certains lycées est même une des raisons qui a poussé
ces élèves à faire le DISPO. Comme le montre le témoignage de Carole, élève de Gaillac, qui
ne voulait pas participer au début, elle s’est laissée convaincre par sa mère qui la voit fournir
90
un travail très poussé sur le plan scolaire mais faire preuve de peu d’ouverture au niveau
culturel et surtout elle s’inquiète que sa fille ne sorte quasiment pas :
« MD : et pourquoi elle t’a poussée ta mère ?
Ben parce qu’elle disait que c'était bien, que si je le faisais pas j’allais le regretter,
que c'était un enrichissement aussi. Puis euh, comme j’ai pas beaucoup de culture elle
s’est dit que comme dans le projet y avait des sorties au musée et tout ça, ça pouvait
que m’aider en fait pour plus tard !
MD : c’est quoi ne pas avoir beaucoup de culture ?
Je sais pas, pas connaître grand-chose quoi, style les pièces de théâtre et tout ça, c’est
pas mon truc (rire). »
Deux ou trois élèves m’ont ensuite indiqué être allé à des concerts à Toulouse ou au musée à
Albi pour voir une exposition avec les copains, mais c'était vraiment des pratiques considérées
comme exceptionnelles, qui les ont beaucoup marquées. Cela consistait même parfois à l’une
des rares venues « à la ville » de l’interviewé. Le rapport des ruraux à la ville, que ce soit
Montauban, Albi, Tarbes ou Toulouse, est cependant très variable et tient beaucoup à la
posture de la famille. Certains élèves ont des parents qui travaillent régulièrement en ville, par
exemple pour faire les marchés le samedi matin, ceux-ci peuvent donc les accompagner
régulièrement et faire du shopping, se promener dans le centre ville. Si comme on l’a vu
d’autres vont de temps en temps rendre visite à leurs frères et sœurs qui étudient en ville,
certains n’y vont quasiment jamais et ne connaissent pas du tout cet univers.
b) Une relative ouverture sur le monde
Il convient de souligner que la plupart des élèves interrogés issus des classes
populaires sont déjà partis en vacances, même si c'était très peu et loin d’être systématique.
Pour certains cela se limite à aller voir des membres de leurs familles, grands-parents, oncles
et tantes, en France, dans des coins par forcément très touristiques ni très attirants pour des
adolescents. D’autres ont pu voyager avec leurs parents, que ce soit dans le cadre
professionnel, pour les besoins du travail des parents comme Jiuliana qui a ainsi pu aller en
Bulgarie et en Espagne :
« MD : Et est-ce que tu pars en vacances des fois ?
Ouiiiii je pars en Espagne bientôt ! Ces vacances-ci je pars à la mer et puis je suis
allée en Bulgarie. Oui on voyage ! Je suis allée en Bulgarie en voiture… Donc on s’est
arrêtés dans chaque coin.
MD : Et tu connaissais des gens là-bas ?
Non (rire) On y est allé pour le travail de mes parents. Mes parents devaient y aller
pour le travail et ils se sont dit, bon ben tant qu’a y être autant amener les enfants. Et
là on part en Espagne pour le travail de mes parents aussi.
91
MD : Mais c’est pas mal comme travail ça !
Ouais ouais, on attend qu’ils nous amènent en Allemagne et à Londres ! »
Cela peut aussi être pour des motifs personnels, par exemple la seule fois où Pierre est parti en
vacances, c'était pour une cure thermale dont son petit frère avait besoin pour guérir de son
eczéma. Enfin cela peut être sous la forme d’un voyage dans le pays de naissance des parents
comme en Algérie, au Maroc, en Tunisie ou en Turquie. Cela se concrétise soit comme une
visite touristique initiatique, avec un tour des villes importantes où habitent des membres de la
famille éloignée, soit comme un « retour au bled » tous les ans pendant un mois mais ce n’est
le cas que de Slimane. Quelques parents des classes populaires amènent aussi leurs enfants à
la mer l’été ou à la montagne l’hiver, ce qui n’est pas toujours du goût des adolescents qui
préfèreraient commencer à partir en vacances avec leurs copains. Ils sont d’ailleurs quelques
uns à organiser des week-ends camping ou des sorties avec leurs amis. Certains adolescents
des classes moyennes ont eu l’occasion de déjà beaucoup voyager parfois avec un membre de
la famille qui connaît des plans pas chers ou profitant de réseau d’interconnaissance comme
c’est le cas de Marie ou d’Arthur. Ils ont parfois effectué des voyages en dehors d’Europe
comme par exemple aux Etats-Unis.
Deux adolescents ont aussi vécu loin de la France métropolitaine dans leur enfance, que ce
soit pour des raisons professionnelles, quand les parents sont partis travailler au Brésil ou en
Nouvelle Calédonie pour un ou deux ans, ou avant l’immigration dans le cas de Fatima qui a
vécu en Algérie jusqu’à ses dix ans.
Les élèves du DISPO sont surtout plutôt nombreux à avoir eu l’occasion de voyager en France
ou en Europe de l’Ouest dans le cadre de classe verte ou de voyages scolaires, comme le
montre Mathieu dans son témoignage. Il fait référence au voyage en Allemagne organisé par
le groupe du DISPO pour compléter leurs recherches :
« On était en famille d’accueil, d’ailleurs pour moi c'était la première fois que je
partais en famille d’accueil parce que à Miélan dans le petit collège, y a pas beaucoup
de fond.
MD : et vous ne faites pas des classes vertes ?
Ah si à Mirande si, mais les sports juste, ceux qui font la section sport, ils partent au
ski. Mais moi j’ai eu de la chance, parce que je suis parti en Italie, avec la classe d’art
plastique, cette année avec le DISPO, je suis parti en Allemagne, mais je suis aussi
parti en Espagne parce que je fais option européenne. Mais euh, beaucoup d’autres
élèves de ma classe qui font pas ça, ne sont pas partis. Donc j’ai eu de la chance. »
On voit dans cet extrait que dans certains collèges ou lycées ruraux, si les élèves qui
participent aujourd'hui au DISPO sont peut-être plus partis que les autres c’est probablement
92
parce qu’ils ont suivis plus d’options, notamment des options rentables en termes de voyages
parce qu’elles s’y prêtent et sont suivies en petits groupes comme les langues vivantes
renforcées ou les langues anciennes.
Au-delà du fait d’avoir voyagé ou pas, les interviewés font souvent part de leur désir
de bouger. Cela s’exprime notamment par l’envie de connaître de nouvelles personnes, de
découvrir de nouvelles choses. Bouger n’est pas toujours synonyme de voyager, cela peut
vouloir dire s’installer dans une autre ville pour étudier, ce qui est surtout le cas d’élèves de
milieux ruraux, ou la volonté d’aller travailler à l’étranger, plutôt des fils de cadres. Ce projet,
qui est presque un besoin pour certains, montre que plusieurs adolescents se sentent à l’étroit
dans leur petit univers. Ils estiment par là qu’il y a peut-être mieux ailleurs et qu’on gagne au
moins à connaître ce qu’il y a autour. Certains connaissent cet ailleurs et savent déjà que c’est
mieux, comme Slimane qui ne comprend pas pourquoi ses parents, « qui avaient une situation
là-bas », ont quitté la Tunisie pour la France et il souhaiterait s’y installer. Dans le cadre de
voyages plus ponctuels, ils sont quelques uns à rêver du continent américain que ce soit les
Etats-Unis ou l’Amérique Latine, ce sont en effet les cultures exotiques et prisées par les
jeunes les plus proches de nous et à la fois lointaines géographiquement. A ce titre et surtout
chez des élèves de terminales, la perspective d’une année de mobilité comme celle que
propose Sciences Po est bien accueillie. On peut voir en revanche que le désir de voyager
n’est pas toujours lié à la volonté de partir de chez soi comme l’explique Vincent, étudiant en
première année à l’IEP :
« Oui je voudrais partir, enfin, parce que moi je voudrais trouver un travail, fin je
voudrais rester ici à Carmaux, parce que je sais pas, c’est chez moi et puis voilà, et
quand je pars, j’ai l’impression… Fin je sais pas, c’est pas du chauvinisme ni rien
mais c’est chez moi, je sais que dans mon TD y en a plein qui veulent partir travailler
ailleurs, moi ça me fait pas rêver. Après la mobilité comme ça dure qu’un an, je
voudrais partir super loin. Avoir une année blanche, fin faire ce qu’on veut pendant un
an, on l’a pas 10 fois. Je crois que ça serait vraiment dommage de pas en profiter à
fond, c’est aussi pour ça que je travaille, pour avoir un petit capital, que je sois pas
forcément bridé pour des raisons financières. »
Cet attachement à la terre sur laquelle on a grandi, et à la famille qui parfois habite dans la
même région depuis plusieurs générations se retrouve chez plusieurs élèves interrogés. Il ne
bride cependant ni les projets d’étude dans d’autres villes de France, ni les envies de voyage,
mais c’est un enracinement identitaire et familial qui restera fort et pourrait éventuellement
permettre un retour dans le but de commencer sa vie professionnelle.
93
On peut voir que les pratiques culturelles au sens large des adolescents interrogés sont
vécues sous le signe de l’éclectisme qui caractérise tous les individus si l’on en croit B. Lahire,
et surtout avec l’aide de tous les médias et supports à leur disposition. S’ils plébiscitent la
culture de masse et les arts qui relèvent d’une culture adolescente, les élèves interrogés se
positionnent moins dans une opposition aux générations précédentes qu’on pourrait s’y
attendre. Ils savent grâce à leur curiosité s’ouvrir vers de nouveaux horizons et font leur
marché culturel dans tous les registres.
94
Conclusion
Dans une démarche d’évaluation d’un programme d’égalité des chances, on ne peut se
contenter de données quantitatives brutes telles que les résultats au baccalauréat, au concours
commun ou le nombre d’entrées en classe prépa des élèves qui l’ont suivi. Comme le prévoit
le mécanisme informatique d’évaluation des 6 IEP, il est important d’observer l’évolution
dans le temps. Pourtant cela n’est pas non plus suffisant pour comprendre ce qui profite aux
élèves, pourquoi, et avant tout qui sont-ils vraiment. En recueillant des données qualitatives
auprès des acteurs principaux du programme : les élèves et leurs enseignants, on s’approche
de ces raisons. Toutefois, il est après coup difficile de ne pas s’attacher aux parcours
individuels et d’essayer de les réinsérer dans une réflexion plus vaste, par exemple en tâchant
de les regrouper dans des profils sociologiques. C’est pour ne pas avoir à trop m’éloigner des
différentes histoires personnelles, pour pouvoir m’inspirer d’elles directement, que j’ai choisi
de présenter ce mémoire thématiquement.
Sans point de comparaison autre que mes contacts personnels ou professionnels et mes
lectures scientifiques, j’ai voulu montrer que ces adolescents ne correspondent pas exactement
au profil de la majorité de ceux qui doivent faire face aux mêmes contraintes et
environnement socio-économiques, même si l’on ne considère que ceux qui ont de bons
résultats scolaires. Ils arrivent en effet à contourner ces difficultés dans un ou plusieurs
aspects de leur vie sociale que l’on a segmentée en trois sphères qui interagissent voire se
recoupent : la famille, l’école, la société. Cet état de fait qui ressort des entretiens fait de ces
adolescents des individus qui semblent plus impliqués, plus curieux et donc grâce à la
combinaison de ces deux facteurs, plus ouverts que la moyenne. Ce n’est pas seulement le
programme égalité des chances qui permet cela car le fait même que ces élèves s’y intéressent
fait déjà partie de cette ouverture et ne résulte que rarement d’un projet scolaire ou de
pressions familiales. Sans pouvoir juger réellement de son efficacité, il est intéressant de voir
ce que les élèves déclarent avoir retiré de leur participation au DISPO car cela en dit long sur
eux-mêmes et sur leur conscience des enjeux de l’enseignement supérieur, de l’avenir
professionnel. Certains font alors preuve de beaucoup de lucidité dans l’analyse de leur propre
parcours. Une chose est sûre : même s’ils n’en sont pas forcément conscients, leur
particularité les rend sans doute plus à même de profiter pleinement des opportunités et des
avantages offerts par un programme égalité des chances tel que DISPO.
95
Annexes
Bibliographie
Ouvrages et réflexion scientifiques :
-
Christian BAUDELOT, Roger ESTABLET, L’élitisme républicain. L’école française à
l’épreuve des comparaisons internationales, La République des idées, Seuil, 2009
-
François DUBET, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, La
République des idées, Seuil, Paris, février 2010
-
Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand
Colin, collection U, 3ème édition, 2007
-
Marie DURU-BELLAT, Le mérite contre la justice, « Nouveaux Débats », Presses de
la Fondation nationale des sciences politiques, 2009.
-
Marie DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation,
PUF, 2002
-
Geneviève KOUBI et Gilles J. GUGLIEMI, L’égalité des chances : analyses,
évolutions et perspectives, Recherches, La Découverte, Paris, 2000
-
Bernard LAHIRE, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de
soi, La Découverte, Paris, 2004
-
Dominique PASQUIER, Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Editions
Autrement, Paris, 2005
Etudes officielles :
-
Exclusion et pauvreté en milieu scolaire, les rapports de l’Inspection Générale de
l’Education Nationale (IGEN), Hachette, 1997
-
Olivier DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique. Enquête
2008, La Découverte, Ministère de la culture et de la communication, 2009
Articles et revues scientifiques :
-
Les classes populaires dans l’enseignement supérieur : Politiques, stratégies et
inégalités, ACTES de la recherche en sciences sociales, n°183, juin 2010
-
Xavier de GLOWCZEWSKI, Focus « Les dispositifs de démocratisation de l’accès au
supérieur, état des lieux », in (dir.) B. TOULEMONDE, Le système éducatif en
96
France, La documentation Française, Paris, novembre 200955
Dictionnaire utilisé :
-
Sylvie MESURE et Patrick SAVIDAN, Le dictionnaire des sciences humaines, PUF,
Paris, 2006
Articles de presse et pages internet :
- Sur la signature de la convention entre les six IEP et le ministre de l’Education
nationale, Luc Châtel, voir la vidéo : http://www.education.gouv.fr/cid50346/signature-d-uneconvention-cadre-entre-le-ministere-et-six-i.e.p.html et l’article de la Dépêche du Midi du 20
janvier 2010 : http://www.ladepeche.fr/article/2010/01/20/758921-100-000-pour-acceder-auxsix-Sciences-Po-de-province.html
- Autres articles de la Dépêche du Midi, sur le DISPO, le 21 janvier 2010 :
http://www.ladepeche.fr/article/2010/01/21/759748-L-Institut-d-etudes-politiques-signe-pourl-ouverture-sociale.html et sur le Festiv’, le 20 mai 2010 :
http://www.ladepeche.fr/article/2010/05/20/839268-Festiv-5-000-jeunes-au-Zenith-pourrever-la-region.html
- Des photographies des moments-clés du DISPO : concours d’actualité, colloque des
premières, sont sur Picasa http://picasaweb.google.com/115883200968512638139
55
Disponible en ligne sur http://www.mediapart.fr/files/grandes-ecoles.pdf
97
Lexique
Calcul coût-bénéfice (R. Boudon56) : Les choix entre les filières reposent sur une anticipation
rationnelle de l’avenir par les familles. Elle comprend la prise en compte du risque et du coût
qu’elle compare aux avantages qui seront retirés du fait de faire des études. Ce choix rationnel
se fait donc à partir des caractéristiques sociales et scolaires des élèves ainsi qu’en fonction de
leurs aspirations et de leurs projets d’avenir.
Culture : Tout ensemble plus ou moins organisé de savoirs, de codes, de valeurs ou de
représentations associés à des domaines réguliers de pratiques. C’est la dimension symbolique
de toute pratique sociale des plus ordinaires aux plus savantes 57. Dans un autre usage du mot,
plus restrictif, on attribue l’adjectif « culturel » à une partie seulement des pratiques sociales,
le reste étant « sous-culture » voire « nature ». Ce que l’on appelle « culture » dépend alors
des rapports de force entre les institutions (l’école, les médias) et les agents sociaux
(enseignants, journalistes, critiques) qui imposent leur vérité. Tout ne se vaut pas dans le
monde social, cependant les hiérarchies évoluent avec le temps (légitimation du jazz et de la
photographie). L’objectif de l’école en France est de créer au-delà des différences culturelles
des références communes au risque de sacrifier le sujet au citoyen, cependant les enseignants
les plus jeunes semblent plus à même d’accepter la diversité des origines culturelles des
élèves58. On peut parler de culture légitime dominante si l’on observe une croyance en la
supériorité de certains biens ou activité culturels sur d’autres. L’école dispose d’un public
captif pour imposer la légitimité de certaines pratiques culturelles, elle développe pour cela un
système d’évaluation-sanction des produits. Il faut un degré de désirabilité collective pour
légitimer certaines pratiques : on ne parle pas d’inégalités sociales d’accès au travail ménager
car celui-ci malgré sa distribution différentielle selon le sexe et la classe sociale n’est pas
considéré comme noble et primordial. On assiste à une concurrence entre deux ordres de
légitimité culturelle différents, car il n’y a pas de reconnaissance unanime d’une légitimité par
toute la population. On oppose haute culture et culture populaire ou industrie culturelle. On
peut dominer par le nombre et la popularité (chansons, séries télévisées, littérature grand
public) ou par la rareté et la noblesse (œuvres musicales, théâtrales, picturales…etc.). Le
56
R. BOUDON, La logique du social, Paris, Hachette, 1979
B. LAHIRE « Culture » in S. MESURE et P. SAVIDAN, Le dictionnaire des sciences humaines, puf, 2006
58
P. RAYOU, A. VAN ZANTEN, Enquêtes sur les nouveaux enseignants : changeront-ils l’école ?, Paris,
Bayard, 2004
57
98
premier traverse souvent les classes, le second est réservé à ceux qui soit par la famille ou
l’école ont constitué des goûts rares et demandant des connaissances préalables. Les circuits
de diffusion de ces produits culturels sont parfois les mêmes (médias, cinémas) parfois
distincts (école, musées, théâtres). Il faut en revanche souligner que l’examen des profils
culturels d’individus59 révèle qu’ils alternent entre le savant et le divertissant, il y a donc une
limite à raisonner uniquement en termes de classes sociales.
Egalité des chances : avoir tous les mêmes probabilités d’accès aux différents niveaux de
l’enseignement et en particulier aux niveaux les plus élevés, c’est donc l’absence de liens
systématiques entre ce qu’on atteint et ses propres appartenances catégorielles sociales ou
sexuées. Mais l’égalité des chances ne se définit pas par l’identité des niveaux atteints car cela
dépend de la motivation, des aspirations et des capacités de chacun 60 . Le but n’est pas
d’aboutir à une égalité de conditions plus tard, dans une vie adulte, puisqu’il s’agit d’entrer
dans une société inégale, mais bien d’offrir la garantie d’une compétition juste. Les inégalités
ne peuvent plus être fondées sur des privilèges mais sur des qualités personnelles, cela
coïncide avec l’apparition de la notion d’aptitude.
Projet scolaire : ce terme n’est pas à comprendre seulement dans un sens utilitariste, il
englobe aussi les aspirations des enfants et l’histoire familiale, le rapport des parents à leur
propre expérience scolaire, tout ce qui peut influencer les comportements de la famille vis-àvis de la scolarité de leurs enfants61. Le projet scolaire et la manière de l’inclure au projet
familial dépend des ressources culturelles et financières ce qui implique que toutes les
familles ne sont pas forcément capables d’en développer un.
Théorie de la reproduction (P. Bourdieu et J-C. Passeron62) : Les familles modèlent l’enfant
de manière variée, à travers la transmission de valeurs, d’une vision du monde, de savoirs et
de savoir-faire qui se cristallisent notamment autour du langage. Elles ont chacune un style
éducatif propre. C’est l’institution scolaire qui fait ensuite de ces différences des inégalités de
réussite : on parle alors d’inégale distance des élèves par rapport au but valorisé par le
système éducatif selon le milieu social dans lequel ils évoluent. Les classes dominantes sont
en effet celles qui ont la capacité de définir à leur image la culture scolaire requise.
59
B. LAHIRE, La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, Paris, 2004
M. DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation PUF, 2002
61
Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème
édition, 2007
62
P. BOURDIEU et J-C PASSERON, La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement,
Paris, Editions de Minuit, 1970
60
99
Convention de partenariat DISPO entre l’IEP et les lycées
Entre : Le lycée ___________________________________________________________représenté
par M., Mme1, ___________________________________, proviseur(e).
Ci après désigné par « le lycée »
Et l'Institut d'Etudes politiques de Toulouse, représenté par Madame Laure Ortiz, directrice
Ci après désigné « l'IEP »
II a été convenu ce qui suit :
EXPOSE DES MOTIFS
A la suite de l’appel d’offre pour l’égalité des chances dans l’accès aux formations
d’excellence de 2006, l'IEP de Toulouse s’est engagé dans la mise en place d'un dispositif afin de
détecter, révéler et accompagner les ambitions d’élèves issus de milieux défavorisés, de promouvoir
leur réussite en les accompagnant, vers des choix d'excellence de l'enseignement supérieur. Fort de
cette expérience l’IEP de Toulouse entend poursuivre ces actions et élargir le public visé à travers le
programme DISPO (Dynamique Innovation Sociale et Politique) pour la période 2009 – 2012. Ce
programme est mis en œuvre dans les lycées de la région Midi-Pyrénées dès l’année 2009 -2010.
Ce programme est mis en œuvre dans plusieurs lycées de l’académie de Toulouse, il s’adresse
prioritairement à des élèves présentant un fort potentiel et issus de milieux défavorisés.
Les expériences acquises par les divers acteurs en la matière ont été intégrées à la réflexion,
dans un état d'esprit réaliste et une volonté de produire un projet collectif et commun qui prenne en
compte la diversité des acteurs (petits et grands établissements, lycées métropolitains et lycées en
périphérie régionale) afin de ne pas rajouter d'autres formes d'inégalités que celles liées à la situation
propre des élèves concernés.
C'est dans cette direction que le dispositif proposé vise à favoriser des dynamiques à
différentes échelles : individuelles, d'établissements et territoriales. De manière synthétique le
dispositif entend remplir les trois objectifs suivants:
1– Transformer les représentations attachées aux études supérieures que ce soit celles des
élèves, des familles ou de la communauté éducative;
2 – Détecter, révéler et accompagner les ambitions des élèves;
3 – Contribuer à l'acquisition des méthodes de travail, de la culture et des codes sociaux
favorisant la poursuite d'études universitaires.
Une évaluation du programme sera réalisée chaque année.
Pendant la durée de la convention (2009-2012) l’objectif du programme DISPO est
d’accompagner dans le lycée ______________________________________, de façon
individualisée, un groupe d’environ 30 élèves par an (10 en seconde, 10 en première, 10 en
terminale)
PRESENTATION GENERALE
Article 1 : Principe de coopération
La présente convention définit les principes de la coopération entre le lycée et l'IEP pour
l'accueil de lycéens du lycée _________________________________ dans le cadre des actions
1
Rayer la mention inutile
100
définies par le dispositif. Elle précise les modalités de mise en œuvre des actions dans le lycée.
Chaque année, un avenant confirmera l'engagement du lycée et de l'IEP dans la prise en charge
d'une nouvelle promotion.
Article 2 : Responsabilité du lycée
Le lycée s'engage à tout mettre en œuvre pour satisfaire la bonne réalisation du programme
DISPO.
Il est souhaitable que le programme soit présenté au conseil d’administration préalablement à
son inscription au projet d’établissement.
Article 3: Statut des élèves
Les lycéens demeurent durant leur formation, sous statut scolaire. Ils restent sous l'autorité et
la responsabilité de l’enseignant du lycée et du chef d'établissement.
Ils sont soumis aux règles générales en vigueur dans l'organisme d'accueil, notamment en
matière de sécurité, d'horaires et de discipline.
Article 4 : Communication
Toute communication liée au programme DISPO sera effectuée en concertation mutuelle des
deux parties.
ORGANISATION
Article 5 : Le professeur référent
Le lycée s'engage à désigner un professeur référent, choisi au sein de l'équipe pédagogique qui
assurera la coordination pédagogique des actions DISPO (Concours d’actualité, Colloque des lycéens ;
Journée d’immersion, plate-forme PEI) au sein du lycée, tout au long de la période sauf cas de force
majeure.
En cas d’un constat de défaillance du professeur référent dans l’une de ces missions, le lycée
s’engage à procéder à son remplacement dans les meilleurs délais.
Le lycée s'engage à faciliter l'action de coordination du professeur référent au sein du lycée
(plage horaire pour les ateliers, pour les réunions pédagogiques…) aussi bien que lors de ces
déplacements pour des réunions extérieures.
Article 6 : Pilotage du programme DISPO
L'IEP désigne un responsable général du programme, de sa réalisation et de son évaluation.
Un coordonnateur pédagogique des établissements est nommé sur proposition du Recteur. Il
veille et coordonne la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des actions du programme DISPO dans
chacun des établissements concernés en liaison avec l’IEP. En cas de défaillance du coordonnateur
pédagogique des établissements, à l’IEP propose son remplacement dans les meilleurs délais.
L’IEP désigne un coordonnateur chargé de la logistique du programme. En liaison avec le
coordonnateur pédagogique des établissements, il assure la mise en œuvre à l’IEP des actions prévues
dans le cadre du programme DISPO. Il organise et évalue notamment le tutorat étudiant.
Article 7 : Comité de pilotage DISPO
Le proviseur ainsi que le professeur référent sont membres du comité de pilotage.
Celui-ci se réunit au moins une fois par an afin de faire le bilan des actions menées et de déterminer le
programme des actions futures.
L’IEP s’engage à communiquer un bilan annuel du programme aux établissements partenaires.
101
FRAIS AFFERENTS AU PROGRAMME DISPO
Article 8 : Frais incombant à l’IEP
La rémunération de l’enseignant référent en charge de la coordination du programme dans le
lycée sera prise en charge par l’IEP.
Les frais afférents à la réalisation des actions du programme DISPO (Concours
d’actualité, Colloque des lycéens, Journée d’immersion, plate-forme PEI) seront pris en
charge par l’IEP en fonction du budget prévisionnel.
Article 9 : Frais incombant aux établissements
La rémunération des enseignants qui assurent la réalisation des ateliers du programme DISPO
au sein du lycée sera prise en charge par le lycée dans le cadre de la dotation horaire de l’établissement
notamment celle rattachée au projet d’établissement.
Les frais afférents au transport des élèves et des enseignants dans le cadre des actions
annuelles du programme DISPO (Concours d’actualité, Colloque des lycéens, Journée d’immersion,
sorties culturelles, réunion de coordination) seront pris en charge par les établissements dans le cadre
notamment des Projets d’avenir ou de toute autre modalité de financement.
Les frais afférents aux repas des étudiants tuteurs lors de leur venue dans l’établissement
seront pris en charge par le lycée.
Le lycée comme les familles ne supporteront, en aucun cas, la moindre charge financière
supplémentaire.
SUIVI ET EVALUATION
Article 10 : Suivi des élèves
Les lycéens ont une obligation d’assiduité aux ateliers du programme.
Les parents des élèves bénéficiaires sont informés de la participation de leurs enfants au
programme DISPO.
Le chef d'établissement et le responsable de programme de l'IEP se tiendront mutuellement
informés des difficultés qui pourraient naître de l'application de la présente convention et prendront
d'un commun accord et en liaison avec l'équipe pédagogique, les dispositions propres à les résoudre,
notamment en cas de manquement à la discipline.
Article 11 : Evaluation du programme
L’évaluation est menée à partir d’un questionnaire soumis aux élèves concernés par le
programme afin d’identifier son impact sur leurs choix d’orientation et de réaliser une
sociologie des bénéficiaires.
L’ensemble des questionnaires est saisi par le professeur référent sur une base de donnée
informatisée.
Cette base garantie l’anonymat des données sauf autorisation expresse des élèves ou des
parents pour les mineurs. Les noms et coordonnées des élèves ayant donné leur autorisation seront
conservés afin d’effectuer un suivi post bac (jusqu’à Bac + 5).
Les données confidentielles recueillies, ne seront utilisables qu’aux fins de l’évaluation scientifique du
dispositif.
Article 12 : Durée et résiliation
102
La convention est d'une durée minimale de 3 ans. A l’issue de cette période, elle pourra être
prorogée d’un commun accord par voie d’avenant pour une nouvelle période après évaluation faite par
les deux parties des acquis et résultats de la période écoulée.
En cas de non respect par l’une des deux parties des articles, la présente convention pourra être
dénoncée par l’une des parties avec préavis de 2 mois
Fait à ___________________________________, le_____________________
Le Directeur de Sciences Po Toulouse,
Le proviseur du lycée _____________________,
ANNEXES
1 - Actions et périodicité
Le programme DISPO s’organise autour de trois ateliers principaux
En seconde : un concours sur un thème d’actualité, un travail sur le projet d’orientation ;
En première : un colloque portant sur les territoires, une sensibilisation au milieu
professionnel (stages en entreprises, administrations…)
- En terminale : une sensibilisation aux parcours d’excellence, une journée d’immersion à
Sciences Po Toulouse, la préparation aux études supérieures (plate-forme PEI).
D’autres actions de type culturel notamment peuvent venir enrichir le programme.
-
Les ateliers se déroulent durant l’année scolaire entre les mois d’octobre et juin sur des plages horaires
spécifiques à raison de 24 heures minimum à chaque niveau de classe.
2 – Missions du professeur référent
Le professeur référent a pour mission :
1- de coordonner l’équipe enseignante engagée dans la mise en œuvre des ateliers DISPO ;
2- de diffuser l’information relative au recrutement d’élèves de milieux défavorisés (cf. art. 9)
aux professeurs principaux ;
3- de superviser le recrutement des élèves ciblés en veillant particulièrement à ce que
l’objectif de 2/3 d’élèves issus de milieux défavorisés soit respecté pour chaque groupe de
niveau de classe (2nde, 1ère , Terminale) ;
4- de collecter les informations nécessaires à la base de donnée de suivi et d’évaluation
(questionnaires) et de remplir la base ;
5- de contribuer avec le concours du chef d’établissement à l’organisation opérationnelle des
actions DISPO (déplacement, rédaction des projets d’avenir, insertion dans le projet
d’établissement,…)
6- de participer aux réunions pédagogiques relatives au programme DISPO ;
7- d’accueillir ou de prévoir des modalités d’accueil des étudiants tuteurs ;
8- de fournir les informations d’ordre pratique sollicitées le cas échéant par le coordonnateur
pédagogique des établissements ou par le coordonnateur de l’IEP.
103
3 – Critères de recrutement des élèves dans le programme
L’ensemble des élèves concernés doivent présenter un « fort potentiel » et être pour les 2/3 d’entre eux
issus de milieux défavorisés.
3-1 Les élèves présentant un « fort potentiel »
L’ensemble des élèves retenus dans le programme doit présenter un « fort potentiel ».
L’appréciation de celui-ci relève des équipes pédagogiques et prend en compte :
- Le niveau scolaire tel qu’il s’apprécie dans les notations (moyenne générale supérieure à 11/20)
- L’absence d’ambition, en termes d’orientation, d’élèves sans difficultés scolaires.
- Des élèves présentant des qualités ou des compétences non intégrées dans l’évaluation scolaire
mais de nature à être transformées dans le cadre du programme en ambition vers des études
supérieures longues.
3-2 Les lycéens de milieux défavorisés
Le public concerné par les actions du programme DISPO doit être composé pour les 2/3 d’élèves
boursiers.
Pour le tiers restant, il convient de privilégier les élèves dont la situation économique, sociale,
familiale ou encore géographique est susceptible de générer des phénomènes d’autocensure et
des situations qui produisent des inégalités de traitement. ( Filles, Parent(s) salarié(s) dans les
PCS : ouvrier, agriculteur, artisan ou employés, Parent(s) sans profession, au chômage, Lycéens issus
des collèges ZEP ou Ambition réussite, Résidant en Z.U.S, Famille monoparentale, Situation de
handicap, Difficultés familiales particulières (décès, longue maladie,…)
104
Des dispositifs égalité des chances pour l’accès à l’enseignement supérieur
Quelques dispositifs
égalité des chances
leurs objectifs
l'originalité
Modalités de
Lutter contre les
recrutement
Conventions
obstacles auxquels
diversifiées
Education
font face ces élèves mais tout aussi
Prioritaire (2001),
Sciences Po Paris.
(manque de moyens sélectives.
Partenariat avec des
financiers,
Opération sur
lycées ZEP, sélection d'information
tout
par les enseignants
spécialisée, biais
l'établissement.
d'élèves admissibles à social et phénomène Echanges dans
une voie d'entrée
d'autocensure).
les 2 sens.
parallèle au concours Demande des
Evaluation
classique.
entreprises.
statistique
précise.
Pourquoi pas moi ?
Pas de voie
(2003) à l'ESSEC.
Agir contre les
Tutorat des étudiants
réservée, pas de
inégalités,
auprès de bons et très
soutien
développer un
bons élèves de zones
scolaire,
territoire. Diversifier
défavorisées autour de
débouchés
le recrutement de
l’école pour les aider
larges, s’inscrit
l’ESSEC, élargir les
à monter un projet
sur un
horizons de ses
personnel et
territoire, met
étudiants + joue sur
professionnel grâce à
en relation avec
la Conférence des
l’acquisition d’un
les
grandes écoles.
capital culturel et de
entreprises…
codes sociaux.
Favorise la
Combattre les
diversité dans
Le Cercle Passeport inégalités sociales et les entreprises.
territoriales en
Dans chaque
Télécom (2005)
Association
favorisant l'accès
région trinômes
regroupant 7 grandes aux écoles
réunissant des
entreprises télécoms
d'ingénieurs
jeunes reconnus
et accompagnant des télécoms de jeunes pour leur mérite
élèves inscrits en
issus des quartiers
(bac, BTS), des
classes préparatoires
sensibles, avec, en
écoles
technologiques situées perspective, des
d’ingénieurs
en ZUS pour leur
carrières de haut
télécoms et des
permettre de faire une niveau dans les
grandes
école de commerce ou métiers des
entreprises
d’ingénieurs.
technologies de la
télécoms; aide
communication.
au financement
des concours.
les incertitudes
aller plus loin
Pas
d’évaluation et
dérives : des
fils de cadres
supérieurs vont
dans les lycées
de ZEP pour
rentrer à
Sciences Po.
Augmenter les
capacités d'accueil
de Sciences Po pour
favoriser l'égalité
des chances.
Coordonner
connaissances
scolaires et
compétences.
Quels effets ?
(effets surtout
sur les
tuteurs !)
Comment jouer
sur la mise en
réseau ?
Plus de jeunes
doivent être touchés,
aller vers une
nationalisation du
dispositif (politique
publique).
Améliorer
l’information sur
l’orientation et le
financement des
études.
Synchroniser
l’action :
coordination
nationale et
implication
régionale de
l’ensemble des
acteurs +
cadrage précis
du programme
mais capacité
d’adaptation à
la diversité des
réalités
rencontrées.
Elargir ce dispositif
à d’autres secteurs.
105
Quelques dispositifs
égalité des chances
les incertitudes
aller plus loin
Pas de limites
géographiques
mais élèves
nécessairement
boursiers.
Passerelle vers les
études
supérieures, sorte
d’échelon
manquant ?
Impulser
candidatures en
CPGE (aides sur
3 ans)
Ne pas rester
une vitrine,
faire école
(vers d’autres
CPES dans
d’autres grands
lycées).
Des
propositions
plus directes de
partenariat ont
été lancées vers
200 lycées.
Diffuser
dispositifs
d’accompagnem
ent aux autres
classes prépa
d’H4
Les cordées de la
réussite (2008)
Politique publique :
partenariat entre un
ou plusieurs
établissement
d’enseignement
supérieur et des
lycées ou collèges
qui veulent
promouvoir l’égalité
des chances et la
réussite (notamment
filières
d’excellence).
Construire des
réseaux de
solidarité à partir
d’action telles que
le tutorat,
accompagnement
scolaire et
culturel. Les
cordées sont
animées par des
jeunes. Objectifs
= changer le
regard,
transmettre des
codes, permettre
l’ascension
sociale
Politique publique
donc maillage qui
se veut national ;
coordination avec
d’autres
dispositifs comme
la Dynamique
Espoir Banlieue ;
attention
particulière sur 60
lycées ;
partenariat avec
des entreprises
pour des stages ;
axé sur les CPGE
(prépas).
Axé sur
l’excellence
mais ouvert à
tous type
d’établissemen
t ; cadre vague
donc libre ;
peu de moyens
accordés →
2 000 000€
(pour l’instant
125 cordées
labellisées) :
financement en
fonction du
projet.
Elargir au
maximum le
dispositif, mais
quels moyens ?
En 2012, 50%
d’une classe
d’âge diplômée
de
l’enseignement
supérieur.
Objectif de 30%
de boursiers en
CPGE, intégrer
les 119 lycées
des 215
quartiers
prioritaires dans
une cordée.
Programme
d’Etudes Intégrées
de l’IEP de Lille
(2008) Permet aux
élèves méritants de
condition modeste
de préparer le
concours commun
d’entrée aux IEP via
une plateforme en
ligne (iepei.com) et
une semaine de
cours intensifs à
l’IEP (pour les
élèves de terminale).
Préparer au mieux
des élèves
méritants, de
conditions
modestes, à
passer le concours
commun des IEP
et préparer ces
élèves aux études
supérieures.
Site Internet,
forum, devoirs
par
correspondance,
concours blanc,
semaine de
formation
intensive.
Manque de
financement de
la part de
l’Education
nationale =
problème pour
pérenniser le
dispositif.
Plateforme de
formation
mutualisée avec
les IEP de
Toulouse, Aix,
Lyon, Rennes et
Strasbourg
depuis 2009.
Classes
Préparatoires aux
Etudes Supérieures
(lycée Henri IV)
2006 Préparer
l’entrée en classe
préparatoire aux
grandes écoles
d’élèves méritants de
conditions modestes.
leurs objectifs
Renforcer les
acquis du
secondaire, la
culture générale
(philosophie et
langues pour tout
le monde) et les
méthodes.
Logement en cité
U, aides
financières.
Tutorat étudiant,
parrainage
d’entreprises et
sorties culturelles.
l'originalité
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Résumé du mémoire
Les dispositifs égalité des chances développés dans le cadre scolaire reconnaissent
qu’une part seulement des destinées des personnes correspond à leur mérite et à leur
responsabilité individuelle car l’école semble reproduire les inégalités sociales de départ entre
les individus. Ils se posent alors en correctifs qui du même coup perpétuent la croyance en un
principe méritocratique et légitiment l’organisation hiérarchique de la société. A partir d’une
position originale, le dispositif égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur de
l’IEP de Toulouse (DISPO) cherche à donner confiance en soi et à susciter des ambitions
d’études chez des lycéens de milieux modestes de l’Académie. En réalisant des entretiens
biographiques avec de nombreux acteurs du programme, j’ai ébauché une sociologie des
bénéficiaires du DISPO. Sans me poser en juge du dispositif, j’ai souhaité également analyser
leur ressenti sur le déroulement de l’année et ce qu’ils pensaient en retirer.
Mobilisant trois univers en interaction, la famille, le lycée et la société, les adolescents
interrogés m’ont fait part de leur rapport à l’école, de leurs aspirations et activités
professionnelles ou bénévoles ainsi que de leurs multiples pratiques culturelles. Si de manière
générale, ils restent conformes aux profils sociologiques type, ils arrivent d’après moi à
contourner certaines contraintes familiales, économiques ou géographiques auxquelles ils sont
confrontés. Ils font alors preuve de beaucoup de curiosité et d’implication dans ce qu’ils
aiment ou ce en quoi ils croient. Cela fait d’eux des adolescents plus ouverts que la moyenne
et les rend plus aptes non seulement à participer au programme égalité des chances mais
surtout à en profiter pleinement.
Mots clefs : égalité des chances – démocratisation – Institut d’Etudes Politiques – sociologie
de l’éducation – évaluation – pratiques culturelles lycéennes
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