UTOPIA, une expérience d`économie sociale et solidaire
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UTOPIA, une expérience d`économie sociale et solidaire
Mémoire de recherche présenté par MELANIE DUVAL Directeur de recherche : Olivier Philippe Année 2009-2010 Une sociologie des bénéficiaires du DISPO, le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse Mémoire de 5ème année « Politiques et discriminations sociales » de l’IEP de Toulouse 2 Mémoire de recherche présenté par MELANIE DUVAL Directeur de recherche : Olivier Philippe Année 2009-2010 Une sociologie des bénéficiaires du DISPO, le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse Mémoire de 5ème année « Politiques et discriminations sociales » de l’IEP de Toulouse 3 Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure. 4 Sommaire Avant propos et remerciements : ........................................................................................ 7 Introduction ................................................................................................................................ 8 A. Ecole et égalité des chances......................................................................................... 8 1. La méritocratie scolaire............................................................................................ 8 2. La reproduction des inégalités sociales à l’école ................................................... 10 3. L’égalité des chances dans l’enseignement supérieur ............................................ 12 Le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse ............................................. 15 B. 1. Des premiers dispositifs à l’avènement d’un programme national ........................ 15 2. Le DISPO ............................................................................................................... 17 3. Les particularités du DISPO .................................................................................. 19 C. La démarche du mémoire .......................................................................................... 21 1. Intérêt du sujet........................................................................................................ 21 2. Comment les entretiens ont-ils été réalisés? .......................................................... 23 3. Problématique et annonce du plan ......................................................................... 26 L’évaluation du DISPO par les élèves .............................................................................. 29 I. L’entrée dans le DISPO ............................................................................................. 29 A. 1. La présentation par les professeurs ........................................................................ 29 2. La réaction des parents........................................................................................... 31 3. La réaction des amis............................................................................................... 33 B. Le déroulement du programme.................................................................................. 36 1. L’investissement ..................................................................................................... 36 2. Une nouvelle manière de travailler ........................................................................ 38 3. Les journées à Toulouse ......................................................................................... 40 L’évaluation des apports du DISPO........................................................................... 43 C. II. 1. Ce qui a plu aux élèves participants ....................................................................... 43 2. L’impact sur l’ambition, la confiance en soi .......................................................... 46 Dans la famille et la société, les élèves trouvent leur place ............................................. 50 Le rôle de la famille dans les rapports à l’école ........................................................ 50 A. B. 1. Stratégies et projets scolaires ................................................................................. 51 2. La mobilisation de modèles et contre-modèles familiaux ..................................... 56 Des élèves impliqués dans la société ......................................................................... 61 5 III. 1. Exercer une activité professionnelle ...................................................................... 61 2. Différentes formes d’engagement .......................................................................... 66 Des adolescents curieux et ouverts ................................................................................ 71 A. Des pratiques culturelles personnelles éclectiques .................................................... 72 1. L’exemple de la lecture entre légitimité et utilité................................................... 72 2. Le plébiscite des écrans.......................................................................................... 77 Hors de la maison, un désir d’ouverture domine les pratiques culturelles ................ 84 B. 1. Des activités culturelles contraignantes et enrichissantes ...................................... 84 2. Une conception de l’extérieur tournée vers le futur ............................................... 88 Conclusion ................................................................................................................................ 95 Annexes .................................................................................................................................... 96 Bibliographie ........................................................................................................................ 96 Lexique ................................................................................................................................. 98 Convention de partenariat DISPO entre l’IEP et les lycées ............................................... 100 Des dispositifs égalité des chances pour l’accès à l’enseignement supérieur .................... 105 Résumé du mémoire ........................................................................................................... 107 6 Avant propos et remerciements : Le choix du sujet de mémoire de fin d’étude de l’IEP de Toulouse est laissé à l’appréciation des étudiants, j’ai donc choisi de traiter un thème qui s’insère parfaitement dans mon domaine de spécialisation et mon projet professionnel. En effet, les problématiques liées à l’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur, très à la mode au sein des politiques qui visent à promouvoir la diversité notamment dans les grandes écoles, ont été abordées dans un des cours de la spécialité « Politiques et discriminations sociales » que j’ai suivie. Ayant travaillé en parallèle dans le cadre d’un stage sur les mêmes questions mais auprès d’élèves en échec scolaire et dans le cadre d’un partenariat avec des entreprises, je m’intéresse également à ce domaine en tant que débouché professionnel. D’autre part, ce qui m’a poussé à faire ce mémoire est la volonté de produire un travail de recherche appliquée que j’espère utile et de qualité qui a le mérite de relayer la parole des élèves auprès des élaborateurs du programme dans le but d’améliorer leur connaissance des bénéficiaires et de leurs besoins. Au-delà de la matière brute et extrêmement riche des entretiens, j’ai souhaité commencer l’analyse plus sous la forme d’une sociologie des bénéficiaires du DISPO que de celle de l’évaluation de projet qui semble délicate et prématurée. Je tiens à remercier avant toute chose pour leur patience et le temps qu’ils m’ont consacré tous les professeurs référents et intervenants du DISPO, ainsi que l’ensemble des élèves interrogés pour leur sympathie et leurs témoignages. D’autre part, merci à toute l’équipe du DISPO, Olivier Philippe, Elise Cruzel, Paul Vinachès et Emilie Genoudet, dont l’aide dans ma recherche a été très précieuse. 7 Introduction Tout d’abord, et c’est surtout dans un souci de clarté, je souhaite replacer le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse, nommé DISPO (Dynamique Innovation Sociale et Politique), dans le contexte général de l’égalité des chances dans le cadre scolaire ainsi que dans celui plus particulier des différents dispositifs d’accès à l’enseignement supérieur développés par les grandes écoles (A). Je vais donc commencer par une rapide présentation de la réflexion de la sociologie de l’éducation sur la méritocratie et les inégalités sociales à l’école qui a amené à faire émerger le concept d’égalité des chances. Puis j’expliquerai le principe du DISPO plus en détail (B), ainsi que l’objectif de ce mémoire en termes d’analyse et la méthodologie utilisée pour réaliser les entretiens d’élèves qui constituent le terrain d’étude sociologique à la base des réflexions qui vont suivre (C). A. Ecole et égalité des chances L’école telle qu’elle est conçue en France est censée remplir deux objectifs qui peuvent paraître contradictoires. Elle doit à la fois opérer une sélection des meilleurs afin de coller à l’organisation hiérarchique de la société pour laquelle elle forme les individus et élever le niveau de tous. Dans une société méritocratique organisée autour de l’école comme la nôtre, il s’agit de donner à chacun la possibilité d’atteindre l’échelon le plus conforme à ses capacités. L’école doit fournir des compétences efficaces et permettre une sélection équitable 1. Pourtant elle semble reproduire les inégalités sociales de départ entre les individus et les entériner sous couvert d’égalité d’accès à l’offre scolaire et de différences de mérite. Conscient de ses contradictions, le système scolaire tente de s’en sortir, sans pour autant remettre en question ses principes, grâce au nouvel impératif d’égalité des chances. 1. La méritocratie scolaire Le postulat qui est à la base du principe de la méritocratie est qu’à chaque génération, les individus les plus talentueux et ce quelque soit leur origine sociale, peuvent accéder aux meilleures places, par définition les plus reconnues socialement. Si l’on imagine que l’héritage et les différences d’éducation sont abolis, le mérite produit alors des inégalités justifiées. La méritocratie est donc naturellement le système qui paraît le plus juste et le plus 1 Jacky SIMON et Georges SOLAUX, « Ecole et égalité des chances », in Geneviève KOUBI et Gilles J. GUGLIEMI, L’égalité des chances : analyses, évolutions et perspectives, La Découverte, Paris, 2000 8 efficace socialement : on peut circuler dans l’espace social, chacun peut prétendre à toutes les positions sociales qui sont inégales entre elles. Ce principe ne remet en effet en question ni l’inégalité des places, ni la hiérarchie qui caractérisent notre société. Pour autant on est face à une illusion statistique car cela supposerait qu’il y ait dans tous les milieux autant d’élèves capables et ayant l’ambition d’atteindre les niveaux les plus élevés et surtout cela supposerait que l’école ne reproduise pas les inégalités sociales de départ entre les élèves. Deux choses qui on le verra ne correspondent pas du tout à la réalité selon la sociologie de l’école. François Dubet 2 montre que la croyance en la méritocratie repose sur une « fiction nécessaire » : elle motive les élèves et alimente la croyance en une compétition juste, ce qui est, selon le chercheur, plus confortable psychologiquement. Les enseignants insistent sur l’importance et la récompense du travail, on commence à parler de différences d’aptitudes entre les élèves car la somme de travail n’explique jamais tout : certains ont plus de « facilités » que d’autres sans raison apparente. Pourtant et c’est là toute l’ambigüité, on a besoin du mérite pour comprendre et accepter plus facilement les inégalités de position. Comme l’explique Marie Duru-Bellat 3 , dans les sociétés libérales modernes, on préfère généralement endosser la responsabilité de nos actions que de penser que c’est le fruit du hasard ou du destin. Cependant l’adhésion au mérite a elle aussi un coût psychologique : il est difficile pour les « perdants » du jeu méritocratique de reconnaître leur absence de mérite… L’échec scolaire s’accompagne d’ailleurs souvent d’une dévalorisation de soi alors même que le système scolaire n’évalue qu’une petite facette des compétences et des connaissances de l’individu. En effet, il faut bien comprendre que le mérite se définit dans une société donnée, à un moment donné. Les compétences scolaires évaluent les individus à partir d’un idéal de culture défini par l’école en fonction des attentes de la société et qui inclut des normes comportementales et morales. Bien que les compétences scolaires ne soient pas les seules à être ensuite valorisées dans la vie, dans les représentations, le diplôme qui les sanctionne joue encore un rôle décisif dans l’emploi occupé, son rang dans la hiérarchie sociale et le salaire qui y est assorti. Ce que l’on appelle la « tyrannie des diplômes » entraîne un surcroit de compétition dans le milieu scolaire d’autant plus que les places se font relativement rares face 2 François DUBET, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, La République des idées, Seuil, 2010 Marie DURU-BELLAT, Le mérite contre la justice, « Nouveaux Débats », Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2009 3 9 à la montée du chômage et à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Alors même que l’on constate que la corrélation entre le diplôme et la position sociale occupée tend à diminuer, les individus ressentent la nécessité de toujours plus se différencier. Ces comportements sont à la base du phénomène d’inflation scolaire auquel on assiste aujourd'hui et renforce l’impression des familles que l’on ne peut s’en sortir que par l’école. Sans rejeter le principe du mérite, Marie Duru-Bellat propose de combiner plusieurs principes de justice : l’égalité, le mérite et l’autonomie. Il faudrait, selon elle, que l’école puisse remplir sa fonction d’instruction de tous et que la même attention soit accordée à chacun car le fait que certains travaillent plus que d’autres ne justifie de toute façon pas de laisser ces derniers dans l’ignorance. Pourtant, et elle le rappelle en conclusion, tout dépend de comment on définit le mérite… 2. La reproduction des inégalités sociales à l’école Le principe méritocratique n’a pas toujours régi l’école à la française, au début les différenciations sociales et de niveaux de l’école de Jules Ferry étaient voulues et assumées : l’école primaire qui s’adressait aux classes populaires faisait face aux petites classes des lycées payantes qui permettaient aux élèves de milieux aisés de continuer ensuite. Mais depuis la Seconde guerre mondiale, l’objectif affiché est d’élever le niveau général et le système s’unifie. Avec l’homogénéité de l’offre scolaire qui apparaît comme la base de la justice, le tronc commun doit durer le plus longtemps possible. Cependant la sélection des meilleurs et l’élévation du niveau culturel entrent en tension 4 : on affirme l’égalité face aux règles de sélection, c'est-à-dire l’égalité d’accès à l’école, mais pas du tout l’égalité de résultats qui n’est d’ailleurs pas souhaitable puisque demeure ensuite l’inégalité des places dans la société à laquelle l’école prépare. Malgré l’affirmation de la méritocratie, de nombreuses études montrent que loin de les niveler, l’école reproduit voire aggrave les inégalités sociales de départ. Dès la naissance les enfants sont plongés dans différents contextes affectifs et d’apprentissage plus ou moins stimulant. Ils arrivent à l’école différemment armés, imprégnés des valeurs de leurs parents ainsi que de la façon dont ces derniers perçoivent l’école. L’école primaire n’arrivera pas à combler ces écarts d’abord parce que les savoirs scolaires sont cumulatifs et ensuite parce que 4 Marie DURU-BELLAT, Le mérite contre la justice, « Nouveaux Débats », Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2009 10 même à niveau égal au départ, les enfants progressent inégalement selon leur classe sociale5. Au collège, une part des inégalités se fabrique ensuite par des choix d’options, ou de langues effectués souvent dans une logique de distinction très liée à l’origine sociale de la famille et qui a pour effet de regrouper dans des classes les bons élèves venant de milieux plutôt favorisés. En fin de classe de troisième, l’orientation s’opère en fonction du niveau scolaire mais aussi souvent en fonction de la classe sociale et cela se remarque notamment à résultats comparables. En effet, à niveau scolaire égal et très moyen, les parents des classes populaires feront beaucoup moins que ceux de milieux favorisés des demandes d’études sélectives dans lesquelles les risques d’échec sont plus importants, or ces demandes sont, dans la plupart des cas, entérinées telles quelles par les conseils de classe. On assiste donc de manière générale à une démocratisation ségrégative de l’enseignement secondaire car si 80% des fils de cadres entrés en sixième obtiendront un bac général ou technologique, ce sera le cas de seulement 32% des fils d’ouvriers. On peut aussi ajouter que l’école aggrave les inégalités sociales notamment par la concentration ensemble des plus faibles que cela soit dans des quartiers de relégation ou simplement à l’intérieur de certaines classes. Ils ont d’autre part face à eux des maîtres et des professeurs moins optimistes et moins expérimentés, des parents moins ambitieux et moins de ressources éducatives non scolaires à leur disposition6. Ces inégalités de départ, marquées socialement et perpétuées par l’école tout au long de la scolarité comme on vient de le voir, continuent à jouer à l’entrée dans les études supérieures. Alors que les enfants de professeurs ou de cadres supérieurs ne représentent que 15% de la population, ils représentent 30% des étudiants d’université, 50% de ceux des classes prépa et 60% de ceux des grandes écoles. Les résultats de l’étude PISA7 qui compare les performances des élèves de 15 ans des pays de l’OCDE et leur évolution dans le temps, confirment ce constat. Selon l’analyse qu’en font C. Baudelot et R. Establet8, le niveau général monte, il y a trois fois moins de jeunes qui quittent le système scolaire sans diplôme, cependant les écarts se creusent. Or PISA montre que le 5 Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème édition, 2007 6 François DUBET, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, La République des idées, Seuil, 2010 7 Program for International Student Assessement dont on peut trouver les résultats sur : http://www.oecd.org/document/24/0,3343,en_32252351_32235731_38378840_1_1_1_1,00.html 8 Christian BAUDELOT, Roger ESTABLET, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, La république des idées, Le Seuil, mars 2009 11 meilleur moyen de dégager des élites nombreuses est de porter l’essentiel des efforts sur l’école de masse car le volume de l’élite scolaire est inversement proportionnel au volume de l’échec scolaire. La massification conçue pour lutter contre le chômage a élevé le niveau et réduit les inégalités cependant PISA révèle que la France est un des pays où les résultats scolaires sont les plus liés à l’origine sociale et au capital culturel des parents. 3. L’égalité des chances dans l’enseignement supérieur L’égalité d’accès à l’école qui est une égalité en droits inscrite dans la loi ne garantit donc pas forcément l’égalité réelle dans le cadre scolaire comme le montrent les réalités sociales et économiques de la réussite que l’on vient d’exposer. L’appréhension de l’égalité s’accompagne ici du constat des inégalités, il faut donc préparer des mécanismes de correction. Le Conseil d’Etat souligne alors « l’exigence d’équité pour toute tendance visant à rompre l’égalité des droits pour réaliser l’égalité des chances »9. Comme la loi, et le principe d’égalité face à la loi, peinent à prendre en compte la diversité des situations individuelles, on penche pour une forme supérieure d’égalité en introduisant un jugement moral du juste et de l’injuste afin de compenser les inégalités. On reconnaît que certaines caractéristiques de l’individu qui peuvent être économiques, inscrites dans le corps (sexe, phénotype, handicap…etc.) ou instituées socialement les rendent plus vulnérables et nécessitent une adaptation de la part des institutions face à leur cas spécifique. Suivant ces principes, les dispositifs égalité des chances développés dans le cadre scolaire reconnaissent qu’une part seulement des destinées des personnes correspond à leur mérite, à leur responsabilité individuelle. Ils se présentent alors comme des correctifs destinés à perpétuer la croyance en un principe méritocratique et légitimant la société des places. Il existe deux ensembles de mesures pour promouvoir l’égalité des chances à l’école à partir de la réforme Haby en 1975 qui en fait un objectif de l’éducation : les mesures pédagogiques et les mesures de discrimination positive 10 . Les mesures pédagogiques sont généralement des mesures de soutien ou d’aide individualisée qui au départ était réservées aux seuls élèves en difficultés mais ont ensuite été généralisées à tous les élèves mais en groupes restreints, fort du constat qu’isoler les élèves les plus mauvais ne leur permettait pas d’avancer. Les mesures de discrimination positive se caractérisent elles par l’octroi d’un budget 9 Sur le principe d’égalité, rapport du Conseil d’Etat, 1996, Considérations générales, EDCE, n°48. Jacky SIMON et Georges SOLAUX, « Ecole et égalité des chances », in Geneviève KOUBI et Gilles J. GUGLIEMI, L’égalité des chances : analyses, évolutions et perspectives, La Découverte, Paris, 2000 10 12 supplémentaire et donnent lieu à des aides directes comme les bourses (collège, lycée et enseignement supérieur) ou la création des Fonds sociaux dans les années 1990, ainsi qu’à des aides indirectes notamment la gratuité des manuels scolaires ou les avantages octroyés aux zones d’éducation prioritaire (ZEP) créées en 1981. Depuis peu, le terme « égalité des chances » pourtant instauré comme principe d’orientation générale par la loi sur l’avenir de l’école du 23 avril 2005, renvoie de plus en plus spécifiquement aux dispositifs de démocratisation mis en place par les grandes écoles pour diversifier leur recrutement et tenter d’attirer en leur sein les élèves les plus méritants des classes populaires. Comme il est difficile d’agir sur les aléas de la vie et sur une réduction des inégalités de manière générale, on introduit des correctifs au système sous la forme d’une seconde chance. C’est ce que l’on comprend clairement dans l’entretien réalisé avec Paul Vinachès, le coordinateur pédagogique du DISPO, il explique que l’idée est de « poser des valeurs avec quelques profs et d’être confronté aux résultats, pas être dans l’imaginaire, dans la sociologie ou dans l’action syndicale, mais être dans quelque chose de concret » L’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur est par ailleurs un objectif affirmé par les pouvoirs publics qui s’exprime par exemple à travers la volonté d’atteindre le quota des 30% de boursiers dans les grandes écoles. On peut constater que ces dispositifs concernent surtout les formations dites d’excellence et plutôt très sélectives11. Derrière Sciences Po Paris et la mise en place de ses Conventions Education Prioritaire (CEP), la plupart des grandes écoles françaises ont lancé leur propre programme égalité des chances plutôt dans un esprit qui se veut justement différent de Sciences Po. Si ces programmes se sont construits pour la plupart en opposition à celui de Sciences Po Paris c’est parce que ce dernier a la particularité de signer des conventions avec des lycées de ZEP dans toute la France depuis 2001 afin d’ouvrir l’accès aux meilleurs élèves de ces lycées à une voie d’admission parallèle à Sciences Po, tout aussi sélective que le concours, mais qui est basée sur d’autres critères de sélection supposés moins scolaires et qui leur est réservée. Le principe même d’ouvrir un concours parallèle et réservé soulève un tollé chez les autres grandes écoles, hostiles à toute sélection de faveur susceptible de faire baisser le niveau. Le second modèle de dispositif égalité des chances qui se construit donc en réaction 11 Voir le tableau qui résume les particularités de certains dispositifs égalité des chances (en Annexe). 13 aux CEP a été celui de l’ESSEC lancé en 2003 et intitulé « Pourquoi pas moi ? » qui a ensuite fait école auprès de multiples établissements d’enseignement supérieur grâce au soutien de la Conférence des grandes écoles. Il s’agit de préconiser le tutorat des étudiants auprès de bons et très bons élèves de zones défavorisées sur le territoire autour de l’école afin de les aider à monter un projet professionnel grâce à l’acquisition d’un capital culturel et de codes sociaux. Le dénominateur commun entre ces dispositifs égalité des chances d’accès aux études supérieures réside surtout dans le discours. Il s’agit de lutter contre les inégalités, de favoriser la mixité sociale dans la grande école concernée et de redonner confiance en soi à de bons élèves de milieux défavorisés. Ceci doit notamment s’effectuer par le biais du tutorat étudiant comme le préconisent les pouvoirs publics12. Les dispositifs diffèrent ensuite sur plusieurs points. Tout d’abord sur le public touché : les lycées sont sélectionnés sur critères sociaux, géographiques ou de catégorisation (ZEP, Ambition réussite) et les élèves participants peuvent être bons, très bons ou simplement volontaires. Le tutorat repris par tous s’applique lui aussi de manière diverse, les étudiants ne se substituant pas systématiquement aux enseignants : il peut s’agir de cours de soutien, d’aide à l’acquisition de codes sociaux, de coaching…etc. Les débouchés offerts par les dispositifs sont eux aussi assez variés, certaines écoles cherchent avant tout à diversifier leur recrutement tandis que d’autres pensent qu’il faut permettre aux élèves de construire un projet personnel et professionnel. Les cadres dans lesquels sont développés ces dispositifs sont également variables : ils peuvent s’inscrire dans une politique publique ou relever d’une initiative semi-privée financée par des entreprises partenaires. Depuis l’instauration des Cordées de la réussite et avec le soutien des collectivités locales, ce sont souvent les deux modes de financement qui jouent. D’autre part, certains dispositifs offrent des aides matérielles ou des aides au financement des concours et des frais de scolarité aux élèves participants. Pas toujours mis en avant, les liens avec les entreprises sont pourtant au cœur de certains dispositifs13 qui se caractérisent par des après-midi en entreprise, des rencontres, des stages, cela peut même relever d’une volonté de promouvoir la diversité de l’entreprise. 12 En octobre 2006, Gilles de Robien, ministre de l’Éducation nationale, lançait l’opération « 100 000 étudiants pour 100 000 élèves » ; les Cordées de la Réussite lancées en novembre 2008 par la ministre de l’Enseignement Supérieur Valérie Pécresse et la secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville Fadela Amara, sont animées par des jeunes. 13 Le Cercle Passeport Télécom lancé en 2005 est une association regroupant sept grandes entreprises télécoms et accompagnant des élèves inscrits en classes préparatoires technologiques situées dans des ZUS pour leur permettre de faire une école de commerce ou d’ingénieurs. 14 B. Le dispositif égalité des chances de l’IEP de Toulouse L’IEP de Toulouse a développé un premier programme égalité des chances dénommé IEPLycées cibles entre 2006 et 2009 avant de lancer de manière plus ambitieuse, le DISPO, Dynamique Innovation Sociale et Politique, sur les années 2009-2012. Tout en s’inscrivant dans le cadre des politiques publiques, l’IEP n’a de cesse d’affirmer sa particularité et de vouloir alimenter la réflexion générale sur le principe d’égalité des chances et son application très concrète. 1. Des premiers dispositifs à l’avènement d’un programme national Le programme IEP-Lycées cibles s’inscrit dans la ligne des propositions de la circulaire du 22 août 2005 relative à l’égalité des chances du ministère de la Ville. C’est un dispositif mis en place en partenariat avec six lycées 14 de l’Académie de Toulouse dont le but est de favoriser le choix de faire des études supérieures longues, notamment dans des filières sélectives, chez les élèves participants. Ceux-ci sont constitués en groupes d’élèves issus de milieux populaires : en effet, on suppose que les conditions sociales dans lesquelles ils ont grandi peuvent les rendre peu enclins à la poursuite d’études malgré leur niveau scolaire. Les objectifs du programme sont résumés ainsi : - Transformer les représentations attachées aux études supérieures que ce soit celles des élèves, des familles ou de la communauté éducative. - Révéler et accompagner les ambitions des élèves. - Contribuer à l’acquisition des méthodes de travail, de la culture et des codes sociaux favorisant la poursuite d’études universitaires. - Evaluer et rendre compte annuellement de l’apport du programme. Le dispositif se décline en actions présentes sur les 3 niveaux du lycée. En seconde, les élèves participent à des ateliers d’expression écrite et orale notamment à travers des activités extrascolaires, cela représente pour eux un travail sur la présentation de soi et l’ouverture culturelle. Les premières, eux, participent à des ateliers orientés vers la communication qui donnent lieu à un débat de fin d’année à Sciences Po tandis qu’en terminale, les élèves suivent des cours de préparation aux études, une demi-journée d’information sur les filières d’excellence et bénéficient enfin d’une journée d’immersion à l’IEP. 14 Les lycées des Arènes, Berthelot, Rive Gauche à Toulouse, le lycée Bourdelle à Montauban, le lycée Jean Jaurès à Carmaux et le lycée de Mirepoix. 15 Les enseignants référents du programme de chacun des lycées cibles participent à un Groupe de Recherche et Formation (GRF) soutenu par le Rectorat afin d’évaluer les actions du dispositif pour pouvoir proposer des améliorations par la suite. A l’issue de cette action, Sciences Po s’est vu décerner le label Cordées de la réussite en 2009 dans le but de la pérenniser et a décidé d’élargir son action à d’autres lycées de l’Académie dont le pourcentage d’élèves de milieux défavorisés était supérieur à la moyenne départementale. Cependant sur cette période 2006-2009 avant donc la mise en place du DISPO, l’IEP agissait également sur d’autres plans. On peut notamment citer le tutorat effectué par des étudiants du diplôme auprès de lycéens qui venaient de collèges classés ZEP et avaient contournés la carte scolaire pour rentrer dans des lycées de centre ville (comme les lycées Fermat, Saint-Sernin et Ozenne) ou des actions en partenariat avec des collèges comme celui de Bellefontaine. Ces autres aspects du dispositif égalité des chances de l’IEP ont par la suite été abandonnés15 car c’est vraiment à partir de l’IEP-Lycées cibles que le DISPO a été monté. A partir de 2009, le dispositif égalité des chances désormais appelé DISPO s’inscrit dans une dimension nationale conditionnée par le regroupement de 6 IEP de province16. Ces derniers organisent un concours d’entrée en première année commun et les programmes égalité des chances de chacun comportent certaines caractéristiques communes mises à disposition des autres par les IEP les plus avancés sur le sujet. Le programme commun, appelé IEPEI 17 , est donc à la fois reconnu Cordée de la réussite et l’objet d’une convention directement signée avec le Ministre de l’Education Nationale. Plusieurs éléments sont mis en commun au niveau des 6 IEP même si le dispositif en lui même reste à l’appréciation de chacun. Le premier élément, mis en place dès 2008 par l’IEP de Lille, est une plateforme électronique qui permet aux élèves de terminales de préparer le concours commun grâce à des documents, des éléments de méthodes ainsi que des exemples de copies corrigées en ligne. De même l’évaluation en ligne du dispositif qui permet le suivi des élèves sur 3 ans dans les lycées et ensuite sur 5 ans post-bac est commune, celle-ci a été mise en place par l’IEP de Toulouse dans le cadre du GRF. Il s’agit de renseigner chaque année et pour chaque élève les caractéristiques socio-économiques de sa famille, son niveau 15 Notamment à cause de l’assouplissement de la carte scolaire, voir pour cela l’entretien d’Elise Cruzel réalisé par Charlotte BOUYSSOU pour son mémoire consacré au dispositif égalité des chances de l’IEP en 2008. 16 Ce sont les IEP d’Aix, de Lille, de Lyon, de Rennes, de Strasbourg et de Toulouse 17 Programme d’Etudes Intégrées de l’IEP 16 scolaire, ses vœux d’orientation afin de pouvoir suivre son évolution. Le système informatique, commun aux 6 IEP, permet la production de statistiques comparatives simples mais de manière immédiate sur les différents critères évoqués. Il permet en effet de croiser les données deux par deux. Lors de la signature en janvier 2010, Luc Châtel18 a souligné que la Convention PEI devait être encouragée pour son originalité. Il faisait référence au recours à une plateforme électronique, au rayonnement du dispositif qui profite à la fois d’une implantation régionale et d’un maillage quasi national, ainsi qu’à la mobilisation des professeurs de lycée. 2. Le DISPO Plus particulièrement à l’échelle de l’IEP de Toulouse, le DISPO s’inscrit ensuite dans un contexte régional particulier. Les objectifs demeurent les mêmes que ceux du projet IEPLycées cibles sauf qu’ils concerneront pour les années 2009-2012 seize lycées de l’Académie19 ce qui permet de mieux mailler le territoire de la Région la plus vaste de France et qui se caractérise par une hypercentralisation autour de Toulouse. D’autre part les actions proposées ont été modifiées et sont là aussi à la fois plus ambitieuses et mieux adaptées à un fonctionnement avec de nombreux lycées. En passant par les proviseurs, tous les lycées de l’Académie ont été contactés au sujet du DISPO. Parmi ceux qui ont répondu à l’appel à projet, seuls ceux qui correspondaient au niveau de leur composition sociologique aux critères posés par le Rectorat ont été retenus. Même si pour des raisons pratiques, le nombre de lycées ne pourra pas s’étendre indéfiniment, le DISPO a vocation à toucher de plus en plus de bénéficiaires. Un professeur référent est désigné pour chaque lycée, il est chargé d’organiser les séances de travail avec les professeurs intervenants, de sélectionner les élèves participants en seconde, ainsi que de monter un dossier « Projet d’avenir » auprès de la Région afin de financer ses dépenses matérielles, comme la venue des groupes à Toulouse pour le concours d’actualité ou le colloque. La sélection des élèves est strictement définie par la convention signée entre les lycées et l’IEP cependant on le verra, dans les faits, elle est beaucoup laissée à l’appréciation des professeurs référents. Notamment le critère d’avoir des groupes d’élèves composés de 2/3 de boursiers et 1/3 18 Voir la vidéo de la signature de la Convention http://www.education.gouv.fr/cid50346/signature-d-uneconvention-cadre-entre-le-ministere-et-six-i.e.p.html, 100 000€ ont été affectés pour mener à bien ce projet 19 Ce sont les 6 lycées précédemment cités auxquels s’ajoutent Raymond Savignac à Villefranche de Rouergue, Raymond Naves à Toulouse, Alain Fournier à Mirande, Jean Lurçat à Saint Céré, Léo Ferré à Gourdon, Victor Hugo à Gaillac, Las Cases à Lavaur, Claude Nougaro à Monteils, Marie Curie et Théophile Gautier à Tarbes. 17 d’autres élèves20 n’est pas toujours respecté, alors même qu’il est l’assurance d’avoir affaire à des élèves de milieu modeste (ou qui ont des difficultés financières) et de garantir une mixité sociale dans les groupes. Lors des séances de travail, les groupes d’élèves sont à chaque fois encadrés par des enseignants du lycée et parfois par des étudiants tuteurs qui viennent à deux reprises dans l’année partager leur expérience avec les élèves et amener leur expertise sur leur travail ou leur manière de travailler. L’IEP n’a pas souhaité entretenir des rapports bilatéraux avec les lycées, mais bien travailler en réseau, les réunions d’informations ou de formation à l’outil informatique (plateforme, évaluation) se font avec l’ensemble des professeurs référents qui peuvent ainsi se rencontrer. Le Groupe de Recherche et Formation monté dans le cadre de l’action IEP-Lycées cibles est quant à lui encore actif pour une année et ne fonctionne qu’avec les professeurs référents des six lycées de départ. Pour s’être posé comme une vraie force de proposition et avoir fait ses preuves en termes de travail collectif et contributif, il est question de l’élargir aux professeurs référents volontaires des autres lycées, ce qui se fera cependant probablement dans un autre cadre qu’un GRF qui ne peut être renouvelé. Pour ce qui est du programme proposé par niveau, les secondes participent à la fin de l’année, à un concours d’actualité qui se tient dans un lieu symbolique du pouvoir, cette fois dans l’amphithéâtre de l’hôtel de Région. Ils doivent présenter les productions effectuées (que ce soit un journal papier, une page web ou une vidéo) sur le thème retenu, cette année celui de « l’argent ». Les lycées sont ensuite classés par un jury sur la base de leurs productions et de leurs présentations, chaque élève participant reçoit un prix allant de romans à des ordinateurs portables ou un voyage linguistique. Sous la forme d’une première incitation matérielle à participer, l’objectif est de confronter très tôt les élèves à la compétition et l’idée de classement. Les premières organisent un colloque autour d’un thème choisi par les professeurs référents cette année « jeunesse et territoire », l’objectif est de les faire réfléchir sur et à partir de leur territoire notamment en menant une enquête de terrain en allant à la rencontre d’acteurs locaux. Ils réalisent une communication pendant une journée de présentation qui se déroule dans un amphithéâtre de l’IEP. Cela valorise la parole des élèves et leur permet de travailler à 20 Dans la convention, les indications suivantes sont données pour aider à choisir le tiers restant : filles ; parent(s) salarié(s) dans les PCS ouvrier, agriculteur, artisan ou employés ; parent(s) sans profession, au chômage ; lycéens issus des collèges ZEP ou Ambition réussite ; résidant en Z.U.S ; famille monoparentale ; situation de handicap, difficultés familiales particulières (décès, longue maladie,…). Voir la convention en Annexe. 18 la fois l’expression écrite et orale, ainsi que la synthèse des éléments recueillis. Quant aux terminales, ils préparent le concours commun des 6 IEP grâce à la plateforme électronique à laquelle ils ont libre accès et à des cours de culture générale, langues et histoire proposés par des professeurs intervenants. Ces cours mettent l’accent sur la problématisation plus que sur la simple acquisition de connaissances comme l’explique le professeur référent du lycée Berthelot à Toulouse : « Après ça leur apprend plus à problématiser je pense, au fond, ils voient des gens et apprennent à poser des grandes questions avec des regards transversaux, alors qu’en terminale on donne des bribes, y a pas cette volonté de proposer une lecture problématisée du programme à l’avance, tandis que là, chaque prof essaye de proposer une problématisation par séance ». Cela s’accompagne aussi d’action d’immersion dans l’IEP comme par exemple assister à un cours en rapport avec les thèmes de réflexion au programme du concours. 3. Les particularités du DISPO Par ailleurs on peut souligner la position originale du DISPO sur d’autres plans que ceux déjà dégagés par le ministre de l’Education Nationale. Comme l’explique Paul Vinachès, le coordinateur pédagogique du DISPO : « L’égalité des chances, je trouve qu’il y a un côté un peu saupoudrage sur ce type de mesure, même si nous on essaye de faire autre chose, c’est ça qui me convainc, c'està-dire qu’à partir du cadre qu’on a eu et des financements qu’on a eu notamment à travers les Cordées de la réussite. C’est d’arriver à tracer une singularité dans notre programme, pas faire du coaching, mais arriver à mettre les élèves en situation réelle dans les événements etc. » En effet, contrairement à la plupart des dispositifs égalité des chances et aussi contrairement aux injonctions faites par les politiques publiques, le recrutement des lycées ne se limite ni aux zones urbaines sensibles, ni à celles de l’éducation prioritaire, et pour cause, il n’y en a quasiment pas dans l’Académie de Toulouse. L’idée du DISPO est de prendre particulièrement en compte la problématique de la ruralité et de l’éloignement géographique par rapport à Toulouse quand on sait qu’en pleine diagonale du vide, on pourrait encore soulever le thème de « Toulouse et le désert midi-pyrénéen »21. En effet, l’espace à dominante rurale représente les ¾ du territoire (et seulement un tiers de la population) tandis que la région ne compte que trois grandes aires urbaines et en tout 11 aires urbaines de plus 20 000 habitants. L’étalement urbain autour de Toulouse et la relative absence de villes capables de 21 J-C. BOYER, L. CARROUE, J. GRAS, A. LE FUR et S. MONTAGNE-VILLETTE, La France des 26 régions, Collection U, Armand Colin, 2009, chapitre 15 « Midi-Pyrénées ». 19 contrebalancer son poids dans une Région qui plus est très vaste se font donc ressentir. Si Toulouse redistribue certaines fonctions dans les villes de la première couronne, les espaces régionaux périphériques, à l’exception de Tarbes, s’avèrent fragiles. Le recul agricole ou la crise des industries traditionnelles renforcent les difficultés socio-économiques des habitants. D’autre part, Toulouse concentre les trois quart des étudiants. L’éloignement à Toulouse joue donc pour toutes ces raisons sur les ambitions des élèves en termes d’études supérieures et d’orientation professionnelle comme l’indiquent ces propos du professeur référent du lycée Léo Ferré de Gourdon : « j’ai trouvé qu’ils avaient une grande inégalité des chances due à cette ruralité, cet éloignement de tout, que les élèves s’autocensuraient des études supérieures, ils avaient plus tendance à faire des études proches de leur lieu de vie, et il y avait une méconnaissance des études supérieures en règle générale […] même les élèves brillants, et j’avais vu ça en étant prof principale en terminale, je me disais, mais pourquoi ils vont tous faire des BTS à Brive ? » D’autre part, le choix a été fait au sein des lycées, de ne pas recruter uniquement des élèves issus des classes populaires. Il y a une volonté très affirmée de mixité, afin de favoriser les échanges et d’éviter la stigmatisation qui aurait pu voir le jour surtout dans les petits lycées de 300 ou 400 élèves. De plus, si le critère du niveau scolaire entre en ligne de compte, ce n’est pas l’excellence qui est de mise. En effet, loin d’être réservé aux meilleurs, le DISPO accueille les élèves qui ne sont pas « en difficulté » et qui semblent susceptibles de profiter de cette ouverture. On peut voir aussi que par rapport aux effectifs de certains lycées, ce programme concerne un nombre d’élèves assez conséquent et son impact peut alors se révéler significatif dans certaines classes notamment en première et en terminale de la filière ES, on y reviendra. Enfin le fait que le programme se déroule sur 3 ans est une spécificité. Même si comme on l’a vu avec la consolidation des inégalités sociales pendant le cursus scolaire, il semble intervenir trop tard dans la scolarité, on peut cependant souligner qu’on n’est pas ici dans du saupoudrage et du ponctuel. Les élèves sont amenés à se retrouver régulièrement dans l’année au gré des séances de travail organisées et ce pendant toute leur scolarité au lycée. Comme son prédécesseur IEP-Lycées cibles, il convient de rappeler que le DISPO ne se limite pas à pousser les élèves vers l’orientation en classe prépa (CPGE) ou dans les grandes écoles et encore moins à simplement les préparer au concours commun des IEP. Il s’agit bien de valoriser les études supérieures en général, selon les goûts affirmés par chacun et tout en veillant à ce que les élèves soient bien informés de toutes les possibilités qui s’offrent à eux 20 (que cela soit sur le plan des aides, de l’offre de formation, des compétences requises) et ne s’autocensurent pas. C. La démarche du mémoire L’idée de départ du mémoire a émergée au regard des modalités d’évaluation prévues dans le DISPO, c'est-à-dire la nécessité, en plus du traitement statistique des données recueillies par les enseignants à partir d’un questionnaire rempli par les élèves, d’interroger plus précisément certains élèves participants. En effet s’en tenir à des données quantitatives, même si elles sont assez précises, ne permet pas de comprendre les raisons qui peuvent infléchir un parcours : on verra par exemple l’évolution des vœux d’orientation de manière factuelle, mais on ne saura pas pourquoi ceux-ci ont évolué. De la même manière de nombreuses caractéristiques socio-économiques peuvent être invoquées pour expliquer une trajectoire de vie, cependant recueillir des informations qualitatives apporte un éclairage nouveau, personnalisé. Enfin l’étude de la parole des élèves permet de recevoir directement leurs impressions sur le DISPO et donc de mesurer pourquoi cela leur a plu ou pas. Mon travail a alors consisté en la réalisation d’une série d’entretiens qualitatifs et biographiques auprès d’élèves des 3 niveaux (seconde, première et terminale) et venant de lycées partenaires très divers. Je pense qu’en ma qualité d’intermédiaire, ni élève, ni professeur, j’étais non seulement bien placée pour les interroger sur la base d’entretien semidirectif, mais j’ai en plus bénéficié d’une confiance accrue de la part des élèves. Qui plus est mon statut d’étudiante à l’IEP a aussi pu les intéresser, étant donné qu’il leur offrait la possibilité de me poser des questions sur mon cursus de manière encore plus privilégiée qu’avec les étudiants tuteurs. Parfois cela a cependant brouillé un peu les pistes étant donné que certains ont commencé à me poser beaucoup de questions, renversant un peu les rôles d’intervieweur et d’interviewé ! D’autre part il est important de souligner que ma position d’étudiante de Sciences Po Toulouse a aussi pu constituer un inconvénient pas certains côtés, puisque sachant que je faisais partie de l’école, quelques élèves ont pu avoir tendance à édulcorer un peu leur discours sur le programme proposé. 1. Intérêt du sujet Comme on l’a souligné en introduction, la sociologie de l’éducation a beaucoup travaillé sur les questions d’inégalités scolaires et la reproduction des inégalités sociales au fil du parcours des élèves de classes populaires. Des auteures comme Marie Duru-Bellat et 21 Agnès Van Zanten reprennent les différentes études menées depuis les années 1970 dans leur manuel de sociologie de l’école 22 , elles dressent des profils, caractérisent des inégalités, soulignent l’importance du milieu familial et enfin se penchent elles aussi sur le point de vue des élèves, leur rapport aux études, l’existence ou pas d’un projet scolaire et professionnel etc. Il s’agit ici de présenter très rapidement les profils les plus marquants qui nous intéressent afin de pouvoir étudier leur correspondance avec ceux que l’on retrouve parmi les élèves interrogés du dispositif égalité des chances. A partir de ces études se dégagent statistiquement des caractéristiques déterminantes indépendamment des autres critères qui vont à l’encontre de certaines idées reçues. Par exemple, à milieu social comparable, les enfants d’immigrés ont plus d’ambition lorsqu’ils sont adolescents tandis qu’au collège être d’origine étrangère est un atout qui garantit généralement de meilleurs résultats. Les élèves scolarisés dans des milieux ruraux ne sont pas moins bons que les urbains à l’école primaire et au collège, pourtant, ils s’orientent moins que les autres vers des bacs généraux ou technologiques. On y constate une forte concentration d’élèves de milieux défavorisés et l’ambiance se caractérise par une grande inertie et peu de participation à la vie locale. Enfin en l’absence de débat dans la famille ou avec les enseignants sur les stratégies scolaires à suivre, l’accès à l’enseignement supérieur est conditionné à l’offre locale. Tout en prenant en compte les nuances qu’implique le niveau scolaire, on peut aussi dégager des profils qui dépendent du milieu social dans lequel l’adolescent a grandi. Statistiquement, les enfants de milieux défavorisés ont moins d’intérêt pour les études à partir du collège, ils ont ensuite du mal à concilier leurs loisirs et leurs copains avec un travail régulier. Par ailleurs, leur apprentissage dépend de la capacité des enseignants à les motiver. Une autosélection s’effectue à chaque palier d’orientation car ils ne veulent pas prendre le risque trop couteux d’un échec. Les parents scolarisent généralement leurs enfants dans l’établissement le plus proche, sauf quand ces derniers les poussent à choisir un autre lycée, qui aura souvent dans ce cas-là les mêmes caractéristiques que celui de secteur. Les parents de milieux populaires font néanmoins beaucoup d’efforts pour favoriser la réussite de leurs enfants mais cela dépend de leur trajectoire sociale, professionnelle, de leur niveau d’instruction et de la pratique de réseaux dans la famille. Quant aux enfants de milieux favorisés, ils appartiennent 22 Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème édition, 2007 22 aux familles qui intègrent le plus l’école à leurs projets, ont accès aux informations les plus pertinentes et sont les plus à même de les aider à faire leurs devoirs. Les bons élèves sont conscients de l’utilité intrinsèque du savoir indépendamment des débouchés et pour eux la relation avec les professeurs intervient peu, ils développent des stratégies de distinction par le jeu des options et choisissent plus souvent que les autres élèves leur établissement. Au-delà de leur niveau, ils ont la conviction qu’ils peuvent réussir. Ayant affaire pour la plupart à des adolescents des milieux populaires qui participent au DISPO, sont scolarisés dans des lycées ruraux ou urbains et sont parfois immigrés ou enfant d’immigrés, j’ai regardé de près ces profils. Comme on aura l’occasion de le développer, j’ai constaté que si de nombreux éléments sont confirmés par les entretiens, les élèves du DISPO semblent avoir des particularités qui les différencient des « lycéens lambdas » ou du moins ils évitent tout déterminisme liés aux différents critères qui permettent de fonder les profils. C’est entre autre ce genre de constat qu’une enquête qualitative comme celle-ci nous amène à expliquer. On recherche alors ce qui peut infléchir une trajectoire personnelle sans s’en tenir uniquement aux critères socio-économiques classiques. 2. Comment les entretiens ont-ils été réalisés? Les entretiens réalisés l’ont été dans le but d’une part de connaître l’évaluation qualitative que font les élèves participants des activités proposées par le DISPO, d’autre part, pour mieux connaître les bénéficiaires du dispositif de manière générale. Le premier volet de questions comprend alors l’évaluation du déroulement des séances du dispositif au cours de l’année, l’utilité qu’ils pensent pouvoir en retirer, l’influence potentielle du programme sur leurs résultats scolaires et leurs vœux d’orientation, ce qui est plutôt difficile à mesurer en soi. On évalue également les améliorations qu’ils y apporteraient et s’ils conseilleraient à d’autres de participer. Quant au second volet, il vise à démarrer une « sociologie des bénéficiaires » souhaitée par le DISPO, qui invite à découvrir de manière qualitative l’environnement scolaire et culturel des élèves ainsi que l’environnement socio-économique de leurs familles. En effet, afin d’appréhender au mieux le parcours de vie des élèves, j’ai donné la priorité à trois éléments qui sont le milieu scolaire, la famille et l’environnement culturel. Le rôle de la famille dans le développement de l’adolescent a toujours été souligné et l’accent est souvent mis sur les résultats scolaires, toutefois il convenait d’après moi d’étudier aussi l’environnement culturel dans lequel évoluent les élèves. Il s’agit de définir les pratiques 23 culturelles au sens large non pas de la famille mais bien de l’élève interrogé : cela va des loisirs à l’usage d’internet, de la lecture à ce qui est regardé à la télévision. On peut bien sûr chercher à y déceler l’influence de la famille ou de l’école, mais cela permet en tout cas de mieux connaître les goûts, les pratiques, ainsi que l’accès à toutes formes de culture ou d’activités dont jouissent les élèves. Pour réaliser ces entretiens je suis passée par l’ensemble des professeurs référents en leur demandant s’ils étaient d’accord pour organiser un moment pendant lequel je pourrais interroger un ou deux élèves en me rendant au lycée. La plupart des enseignants ont répondu positivement à ma demande et se sont empressés d’organiser les entretiens alors même que l’emploi du temps des lycées se resserre en fin d’année scolaire. Ce sont dans ces cas-là les professeurs qui ont choisi les élèves qui allaient répondre aux entretiens tout en s’assurant qu’ils étaient volontaires et qu’ils correspondaient aux niveaux que j’avais sollicité. En effet, les 6 anciens « lycées cibles » fonctionnent sur les trois niveaux, j’ai donc privilégié pour ces derniers des entretiens avec des élèves de terminale, tandis que les 10 nouveaux lycées du dispositif ont eu le choix soit de commencer en 2009-2010 avec seulement des secondes, soit de commencer directement sur deux niveaux c'est-à-dire aussi avec les premières. Parfois, le contact s’est noué lors des deux journées passées à Toulouse, pendant le concours d’actualité et le colloque des premières, les élèves qui ont été désignés pour répondre aux entretiens à ce moment-là se sont plutôt portés volontaires eux-mêmes et en ma présence, ils n’ont pas été choisis par les professeurs. Dans la plupart des cas, je me suis rendue durant le mois de juin 2010 sur place dans les lycées pour effectuer les entretiens, ce qui m’a permis d’appréhender directement certains éléments extérieurs comme la taille de l’établissement, son état, la ville dans laquelle il est situé et son éloignement à Toulouse. J’ai réalisé ainsi 27 entretiens d’élèves auprès de 17 filles et 10 garçons dont 2 étudiants, 5 élèves de terminale, 5 de première, et enfin 15 de seconde. Pour élaborer la grille d’entretien, j’ai pris le parti de poser le moins de questions possibles en optant pour une forme « semi-directive », tout en cherchant à recueillir un certain nombre d’informations prédéfinies et dans la mesure du possible, les mêmes pour tous. Les questions ne sont ensuite par nécessairement posées dans l’ordre, si l’élève commence à aborder un point spontanément, je n’hésite pas à rebondir dessus directement quitte à chambouler l’organisation du questionnaire. Les informations recherchées (indiquées cidessous entre parenthèses) peuvent faire l’objet de questions intermédiaires si l’élève n’y 24 répond pas spontanément. C'était par exemple systématiquement le cas lorsque l’on abordait le sujet de l’environnement culturel : généralement, les élèves ne voyaient pas où je voulais en venir et j’avais besoin de poser les questions de manière beaucoup plus détaillée. Avant de démarrer l’entretien, je leur ai tous expliqué la même chose tout en me présentant : je suis une étudiante de 5ème année à l’IEP qui réalise un travail sur le dispositif égalité des chances auquel ils participent et qui reposera essentiellement sur les témoignages des élèves que je viens recueillir. La grille d’entretien utilisée, mais qui reste indicative donc, est la suivante : - On va commencer par se présenter. (je cherche à savoir l’âge, le lieu de résidence, le lycée, la classe, la filière…etc.) - Depuis quand tu participes au dispositif ? Comment tu y es rentré ? (je cherche à savoir qui l’a présenté/proposé, depuis quand, où il en a entendu parler) - En quoi ça consistait, qu’est-ce que tu faisais ? Qui l’organisait ? (je cherche à connaître les objectifs, les activités, les professeurs référents et intervenants) - Est-ce que ça t’a plu ? Est-ce que ça t’a demandé beaucoup de temps ? Est-ce que ça t’a servi ? (je veux connaître les attentes, l’évaluation/satisfaction, les améliorations possibles, si cela serait conseillé aux autres, l’investissement) - Comment ont réagi tes amis ? ta famille ? (je me demande si c’est de l’ordre de l’aide, la méfiance, des moqueries, de l’admiration, j’en profite pour connaître la structure et l’organisation de la famille, qui sont les amis, s’ils sont du lycée ou en dehors) - Comment tu vois l’école, est-ce que tu t’y sens bien ? (quel est le rapport à l’école, les résultats scolaires, l’influence du dispositif dessus, leur évolution) - Est-ce que tu sais déjà ce que tu veux faire plus tard ? (désir d’orientation, l’influence dispositif, la volonté de faire études supérieures ou pas, depuis quand) - Qu’est-ce que tu fais quand tu n’es pas au lycée ? (je cherche à découvrir l’environnement culturel, les loisirs, les activités réalisées pendant les vacances : job d’été, retour dans la famille) J’ai également posé des questions à 8 professeurs référents ou intervenants du DISPO afin de recueillir leur point de vue sur le principe du DISPO, le déroulement des séances de travail, la manière de sélectionner les élèves et de les convaincre quand des difficultés étaient rencontrées. Je leur demande s’ils ont rencontré des difficultés eux-mêmes notamment pour convaincre des collègues de s’impliquer dans le dispositif et aussi quels bénéfices personnels 25 et pour le lycée, ils ont pu tirer de leur participation. C’est à la fois à titre informatif et dans le but de confronter aussi leur parole à celle des élèves. Les entretiens réalisés auprès des enseignants sont de durée variable car ils ont été dépendants, pour la plupart, du temps passé préalablement avec les élèves interrogés, ce qui était difficile voire impossible à prévoir. En effet, les entretiens avec les élèves durent entre 25 minutes et une heure et demie, cela dépend vraiment de la personnalité des élèves plus ou moins disposés à se confier, du contexte pas toujours propice de l’entretien et surtout de la qualité du contact établi avec moi. On peut tout de même signaler que les entretiens les plus longs sont souvent ceux d’élèves les plus âgés. L’ensemble des entretiens réalisés a été enregistré sur support numérique puis retranscrit chacun étant précédé d’informations relatives au contexte de l’entretien : où et comment il s’est déroulé, comment a été désigné l’élève interrogé et quelle était son attitude générale. Je tiens à souligner que j’ai essayé de coller au plus près du langage des élèves, il faut donc s’imaginer un « parler jeune » lorsqu’on lit les extraits. Comme ils représentent un volume de pages assez important et afin de préserver un tant soit peu l’anonymat des élèves, les entretiens ne figureront pas en annexe de ce mémoire. Ils sont cependant mis à la disposition des professeurs et des participants du DISPO sur CD-Rom. L’analyse est cependant émaillée d’extraits d’entretien que je considère significatifs tout au long du mémoire. Ils permettent à la fois de restituer le discours des élèves sans le modifier et d’éclairer mes propos sur quasiment chaque thème abordé. 3. Problématique et annonce du plan Dans une démarche d’évaluation, il est sans conteste difficile de mesurer les effets et les bénéfices du DISPO car il est délicat de les isoler. En effet, les élèves qui se sont épanouis dans ce genre de travail et qui ont pu y trouver une ouverture sur quelque chose de nouveau avaient sûrement déjà en eux la curiosité nécessaire. Je pars dans cette étude des témoignages des élèves, ce qui ne veut pas dire que ce sont des vérités. Ils ont parfois tendance à minimiser les éventuels apports du programme égalité des chances, en m’expliquant que cela ne sert à rien, ce qui se révèle inexact quand on creuse un peu à l’aide de question plus précises. D’autres au contraire semblent gonfler l’importance qu’a revêtu le DISPO dans leur parcours, que ce soit dû au cadre de l’entretien ou en toute bonne foi : leurs réussites sont avant tout de leur fait même si le dispositif peut les avoir aidés, soutenus ou leur avoir soufflé l’idée de faire des études longues. Consciente de ces difficultés et de cette limite de la matière des entretiens, il me semble malgré tout très intéressant d’étudier la parole des élèves sur le 26 DISPO, sur leurs pratiques et sur eux-mêmes en regard avec un certain nombre de caractéristiques retenues. Tout en prenant en compte des critères que j’estime déterminants, et qui sont effectivement des critères socio-économiques clivant pour la plupart, j’ai formulé un certain nombre d’hypothèses à partir d’éléments qui m’avaient interpelée pendant les entretiens. Selon moi, ces éléments sont à même d’influencer ensuite la perception du monde, les compétences ou l’orientation future de ces élèves et méritent donc d’être étudiés. Les critères socio-économiques suivants sont ceux que j’ai pris particulièrement en compte, ils n’apparaîtront pas forcément énoncés tels quels dans l’analyse mais ils m’ont permis dans un premier temps de mieux cerner les élèves interrogés : âge et classe, être une fille ou un garçon, être fils ou fille d’immigrés, vivre avec une mère seule ou dans une famille recomposée, avoir des difficultés familiales (décès, maladie, violence…), avoir des frères et sœurs, d’un côté avoir des parents agriculteurs, ouvriers ou employés (PCS -) et de l’autre des parents professions intermédiaires et libérales ou cadres (PCS +), ou bien avoir un des deux parents sans profession ou au chômage, le niveau de diplôme des parents, être ou pas boursier du secondaire, grandir en milieu à dominante rurale ou urbaine, avoir de bons résultats scolaires ou des résultats en baisse. Comme on peut le voir il s’agit d’avoir une idée assez précise du contexte familial, économique et scolaire dans lequel évoluent les élèves. Par exemple, la profession des parents mise en balance avec leur niveau de diplôme ainsi qu’avec le fait que les élèves soient ou pas boursiers du secondaire permet d’avoir une idée assez claire à la fois de l’existence de difficultés financières, et du rapport éventuel qu’entretiennent les parents aux études par rapport à des possibilités d’emploi. Ces informations n’émergent pas toujours dans les entretiens, bien qu’elles aient souvent été abordées spontanément par les élèves. En somme, si la plupart de ces données ont malgré tout été recueillies lors des entretiens sans faire l’objet de questions précises et systématiques, elles ont également été complétées par les questionnaires figurant sur la base informatique d’évaluation du DISPO remplie par les professeurs sur chaque élève 23. Ces critères sociologiques m’ont servi à poser un cadre, j’ai ensuite étudié le profil de chaque élève à partir d’un certain nombre de thèmes qui étaient non seulement préalablement mis en avant par des questions, mais aussi me semblaient intuitivement important à aborder après avoir réalisé l’ensemble des entretiens. Je cherche à montrer à travers l’analyse 23 Ce sont les données qualitatives mises en commun en ligne dont se sert l’IEP pour l’évaluation : nationalité, lieu de résidence, profession et diplôme des parents, notes, vœux d’orientation, indice de satisfaction…etc. 27 empirique des entretiens que ces élèves ne sont pas tout à fait des adolescents de 15-19 ans typiques : malgré l’existence de critères socio-économiques qui leur sont peu favorables statistiquement pour s’inscrire dans des logiques de réussite, ils arrivent à tirer leur épingle du jeu et à s’adapter à leur environnement. Ils réalisent un arbitrage entre les contraintes diverses avec lesquelles ils doivent composer et l’ouverture et la curiosité dont ils font preuve pour la plupart dans différents pans de leurs vies, que ce soit dans leur engagement dans le programme ou dans leurs pratiques et loisirs personnels. En parallèle avec le déroulement que j’avais prévu pour les entretiens parce que c'était selon moi la manière la plus sûre de gagner la confiance des interviewés, je suis partie, afin de structurer mon analyse, de considérations générales pour arriver petit à petit au particulier. Après avoir analysé leur implication dans le DISPO et leur opinion sous forme d’évaluation sur le programme et le travail en groupe (I), on aura l’occasion de voir que les élèves se font une place originale à la fois dans leur famille en élaborant eux-mêmes un projet scolaire en mobilisant des modèles de leur entourage et dans la société dans son ensemble en travaillant ou par le biais d’un engagement spécifique (II), enfin il conviendra de montrer que, tout en plébiscitant la culture de masse adolescente, les élèves interrogés font preuve d’éclectisme, de curiosité, et d’implication dans leurs pratiques culturelles (III). 28 I. L’évaluation du DISPO par les élèves Une partie conséquente des entretiens est destinée à l’évaluation du DISPO, en effet c’est un aspect de leur vie dans l’établissement qui est facile à décrire et peut aisément être abordée en premier. Elle me permet à la fois de recueillir leur témoignage pour les besoins d’évaluation de la part de l’IEP et de créer un climat de confiance entre intervieweur et interviewé qui m’amène ensuite à poser des questions plus personnelles sur la famille et sur les pratiques culturelles des élèves. Même si la véracité des propos peut parfois être remise en cause par le sentiment d’être jugé par rapport à l’appréciation d’une situation qui demeure scolaire, les témoignages des élèves ainsi que ceux des professeurs participants apportent un éclairage personnalisé sur le dispositif qui me semble nécessaire. J’ai souhaité les interroger sur trois aspects suivant : leur entrée dans le dispositif et comment elle a été vécue par leur entourage (A), l’originalité du déroulement des séances de travail ainsi que leur apport direct (B) et enfin mais c’est un aspect plus anticipatif, les éventuels effets du DISPO sur les projets et l’ambition des élèves participants (C). A. L’entrée dans le DISPO Dès l’entrée dans le dispositif, les élèves sont confrontés à une sélection par les professeurs qui leur décrivent le programme tandis que leurs parents et leur entourage en général ont des réactions contrastées. Sans être vraiment consciente de l’importance que revêt l’entrée dans le DISPO, je les ai donc amenés à décrire d’abord leur point de vue là-dessus. En réalité, ce premier contact avec le programme va beaucoup influencer la suite de leurs impressions : les élèves se font une idée de ce qui les attend qui peut être déçue ou erronée. De plus il est important de voir pourquoi ils ont eu envie de participer à ce projet. 1. La présentation par les professeurs Les participants au dispositif sont avant tout sélectionnés par les professeurs référents, en général avec l’aide des professeurs principaux des différentes classes sur des critères indiqués dans la convention DISPO signée par les lycées et l’IEP. Certains professeurs accentuent le côté sélectif afin d’inciter les élèves peu sûrs d’eux à venir dans le dispositif. Ils mettent alors en avant, le fait que le DISPO est une opportunité qui n’est proposée qu’à quelques uns et que justement eux ont été choisis. Bien sûr, suite à une réunion de présentation parfois en présence d’étudiants de l’IEP, il leur est laissé le choix 29 de venir ou non, car toute participation est basée sur le volontariat, étant donné qu’elle représente un investissement important sur l’année voire sur 3 ans. La manière dont les professeurs présentent le dispositif va beaucoup influencer celle dont les élèves l’abordent et les critères qu’ils vont mobiliser ensuite pour l’évaluer. Certains professeurs cherchent à expliquer le principe de l’égalité des chances et l’existence du DISPO par rapport à ce principe et à la volonté de l’IEP. D’autres valorisent leurs propres critères de sélection qui varient beaucoup d’un lycée à l’autre24. En effet pour certains lycées ruraux, cela fonctionne au volontariat pur, les élèves ne sont pas du tout sélectionnés, ils n’invoquent donc pas du tout cet aspect pour expliquer leur motivation : c’est vraiment le projet qui les a attirés comme par exemple la perspective du travail en groupe ou bien le thème avancé. D’autres élèves non boursiers sont conscients de l’objectif affiché d’avoir des groupes composés de deux tiers d’élèves boursiers au moins et se sentent moins légitimes, moins à leur place quoique bien intégrés dans le groupe. Ils manifestent en tout cas la nécessité de rester à la hauteur pour ne pas perdre leurs places au sein du programme alors qu’on comprend que les élèves boursiers ont été sélectionnés d’abord et ne souffrent pas de la concurrence comme le montre Sylvain élève de première à Mirande : « Je trouve que c’est une opportunité pour les jeunes et qu’il faut saisir cette chance et qu’il faut pas lâcher en milieu d’année parce qu’il y a pas beaucoup de personnes qui sont prises, et c’est une opportunité. […] Déjà, euh, il faut avoir un bon niveau scolaire pour travailler et moi je vois là je sais pas trop ce que je fais parce que les notes elles chutent un peu dans certaines matières et elles montent dans d’autres mais il faut que je me ressaisisse… J’essaye de montrer au prof que j’ai envie de continuer ce dispositif et aussi parce que moi je ne suis pas boursier et il faut que les 2/3 soient boursiers et donc il y a à peu près 5 places pour ceux qui sont pas boursiers et il y en avait plein qui voulaient y rentrer. ». Certains professeurs insistent sur la nécessité d’avoir de bons résultats, le recrutement concerne des élèves méritants des classes populaires. Le but n’étant pas de rajouter du travail aux élèves en difficultés, l’injonction d’avoir la moyenne s’est parfois traduite en une barre d’admission à 13. Il ne s’agit plus alors de repérer un potentiel parmi des élèves de milieux modestes mais de permettre l’acquisition de compétences qui ne sont pas exclusivement scolaires à des élèves certes de milieu modeste dans l’ensemble mais d’excellent niveau. On peut remarquer cependant que quelque soit le mode de sélection retenu par le professeur référent par rapport aux indications de la convention avec l’IEP, il y a toujours des 24 Pas forcément voulu par l’esprit du programme, c’est peut-être un principe de réalité qui pousse les enseignants à s’adapter à leur environnement et à ses contraintes. Ce peut aussi être le résultat d’une première année de fonctionnement qui se caractérise par le tâtonnement des acteurs. 30 exceptions à la règle fixée et on assiste à l’introduction d’une part d’arbitraire dans la formation finale du groupe. Les élèves, lorsqu’ils sont contents d’avoir été sélectionnés, ont connaissance en partie de ces choix mais ne comprennent pas souvent très bien de quoi il s’agit : ils sentent que les groupes ne sont ni exclusivement composés de très bons élèves, ou d’élèves de milieux populaires, mais ne saisissent pas ce qui a gouverné le choix des professeurs comme l’exprime très bien Marie, élève de première à Tarbes : « On savait pas concrètement ce qu’on allait faire, travailler sur un projet et tout ça. Parce qu’en fait, ils ont accentué sur le mérite et tout ça, le fait de nous prouver que les écoles réputées d’excellence, c'était pas forcément pour une élite et tout ça. Et du coup on avait du mal à voir aussi surtout pourquoi on avait été choisis en fait. Moi j’ai compris que c'était des élèves de niveau moyen plutôt convenable et qui venaient de toutes les origines sociales, donc je sais pas comment. Fin 25 niveau moyen, bon niveau quand même. Et apparemment des origines différentes, de milieu modeste, je crois. » Certains élèves ont en revanché été arrêtés dans un premier temps par le principe même de la sélection qui en a pourtant motivé d’autres, comme le montre cet extrait de l’entretien de Fatima, élève de première année à l’IEP peu attirée par l’idée de « discrimination positive », qu’il a fallu convaincre pour qu’elle rentre dans le dispositif : « Ben déjà en fait ça me plaisait pas l’idée de sélectionner juste certains par rapport aux notes. Et puis par exemple il me parlait aussi pour dire « ça dépend des quartiers, ça dépend où t’habites et tout », donc euh une fois il m’a dit ça, donc… fin ça m’a pas trop plu, après sur le fond, le sujet, les cours et tout ça, fin c’est intéressant, donc là je me suis dit qu’il y avait pas de problème, ça valait le coup quand même ! » Ces élèves ont soit finalement été emballés par le projet ou par l’envie de faire Sciences Po, soit convaincus par des adultes, notamment leurs parents qui percevaient différemment la proposition du lycée. 2. La réaction des parents Dans les entretiens réalisés auprès des élèves, je me suis rendue compte que peu de parents savaient exactement ce qu’était le DISPO et ce que la personne interrogée y faisait. On peut d’ailleurs constater que s’ils n’ont pas été convoqués en réunion ou appelés directement par le lycée, la plupart des parents ne comprennent pas très bien en quoi consiste le dispositif. Cela peut être dû au fait que c’est la première année qu’il est mis en place dans la plupart des lycées. Il était donc compliqué pour les professeurs et a fortiori les élèves d’expliquer de quelle teneur allait être le travail demandé. Cela peut aussi résulter d’un effet 25 Dans un souci de retranscription fidèle, j’ai souhaité garder ce « fin » comme une abréviation d’« enfin », mais qui est plus à comprendre comme un tic de langage qui revient sans cesse, comparable à « euh » par exemple. 31 de déformation du message entre ce qui est mentionné dans les réunions avec l’IEP, ce qu’en disent les professeurs aux élèves et enfin ce qui arrive jusqu’aux parents. En tout cas, d’après ce qui ressort des entretiens, les parents n’ont poussé leurs enfants à faire le dispositif que lorsqu’ils avaient été informés et incités directement par les professeurs référents, que ce soit de manière systématique comme au lycée Victor Hugo de Gaillac ou ponctuelle, comme cela s’est passé à Mirande. Le professeur référent du lycée Victor Hugo montre bien ici l’intérêt d’impliquer les parents pour la bonne marche du dispositif : « Il y avait des réticences de la part d’au moins 3 élèves qui sont restés je pense sous la pression des parents, donc ça on recommencera, je pense qu’il faut inviter les parents dès le début, parce qu’après, on a su que notamment Carole elle était très réticente au départ parce que ça lui flinguait ses loisirs. Et sa mère lui a dit « le seul risque que tu prends à refuser, c’est de le regretter ». Et maintenant c’est elle qui est en train de me dire qu’il faut l’imposer, les obliger à venir et tout ! » Parmi les lycées interrogés, Gaillac est le seul à avoir intégré de manière systématique les parents au dispositif, je n’ai donc pas de point de comparaison, cependant d’après d’un côté cette expérience concluante et de l’autre les connaissances floues des familles de la teneur du programme, on peut supposer que c’est une bonne idée. Au niveau des relations internes à la famille, on peut constater qu’il n’y a pas de science exacte, certains enfants racontent beaucoup, tandis que d’autres ne font que mentionner le dispositif et ne raconteront jamais comment se déroulent les séances de travail. Cela dit, la majorité des parents ont eu une réaction positive face au désir de leurs enfants de participer au projet DISPO. Cette réaction positive s’exprime par un soutien lointain et plutôt passif des parents surtout ceux des classes populaires. Pour la plupart, ils ont apprécié le fait que leurs enfants s’engagent dans un projet parce qu’ils l’avaient choisi et semblaient motivés comme le montre la réponse d’Irène, élève de seconde à Toulouse : « Ah, ils étaient contents pour moi ! Parce que euh, je sais pas comment l’expliquer, ils étaient contents parce que je participais à un truc comme ça, parce que c'était moi qui avait choisi et pas eux qui m’avait demandé de le faire. » Cela arrive aussi chez des familles un peu inquiètes que leurs enfants ne s’investissent pas plus sur le plan scolaire. D’autres parents valorisent l’image de Sciences Po, de la grande école qui se démocratise et pensent donc que c’est une chance à saisir. Enfin certains sont contents de voir leurs enfants momentanément sortis d’une classe peu studieuse et agitée qui empêche les bons élèves de s’épanouir par exemple parce qu’ils sont l’objet de moqueries ou parce que les professeurs ne sont pas à même de bien assurer leurs cours. Selon eux, ce genre 32 de programme ne peut être que bénéfique et ils argumentent en sa faveur auprès de leur progéniture en disant que s’ils avaient eu cette opportunité, eux n’auraient pas hésité. Le témoignage d’Emilie, élève de terminale à Carmaux, montre que le soutien des parents est plutôt passif, preuve peut-être qu’ils ne comprennent pas très bien la décision de leur enfant de s’investir mais souhaitent néanmoins émettre un jugement positif. « Ah ben, ils ont dit « ah ben oui, vas-y, c’est toujours du plus » fin ça peut être que bénéfique quoi, et euh… » Dans quelques cas, la décision a été prise voire imposée aux parents par des enfants fiers d’avoir été sélectionnés pour participer au DISPO et qui disent pouvoir en assumer toutes les conséquences notamment sur la somme de travail et les diverses contraintes matérielles. Ce sont plutôt des exceptions, des élèves qui savent ce qu’ils veulent et sont déterminés tandis que leurs parents qui occupent des emplois très peu qualifiés et rémunérés leur font confiance sur ce plan-là. La question du rôle des parents a d’autre part été soulevée au niveau de l’organisation du DISPO à l’IEP. En effet, Paul Vinachès m’a fait savoir qu’il regrettait cette absence d’implication des parents car elle pouvait être nuisible à la réussite de certains. Dans le but de rectifier cette méconnaissance ou ce désintérêt, il s’agirait d’organiser une rencontre en début d’année avec tous les parents pour leur expliquer ce que vont faire leurs enfants dans le cadre du DISPO. Cela se formaliserait par des actes d’engagement signés par les élèves de manière aussi à officialiser leur entrée dans le programme. En effet, les parents sont nécessaires au bon déroulement du programme, on sait qu’ils participent de manière très variable à formuler des stratégies d’études avec leurs enfants. D’autre part dans la mesure où souvent les séances se déroulent le mercredi après-midi26, il n’y a plus de ramassage scolaire pour ramener les élèves, ce qui implique que les parents doivent venir les chercher et donc comprendre pourquoi cela vaut la peine que les élèves y participent afin de pouvoir s’investir. 3. La réaction des amis La plupart des élèves interrogés ont un ou plusieurs amis qui participent aussi au dispositif, cela peut les avoir incité à y entrer d’ailleurs, comme certains me l’indiquent lors 26 Le choix de l’horaire des séances de travail du DISPO est laissé à l’appréciation du professeur référent qui doit jongler avec les contraintes de l’établissement, de ses collègues intervenants et enfin des élèves qui constituent le groupe qui souvent viennent de classes différentes et sont peu disponibles ensemble dans la semaine. Certains lycées font plutôt le choix de réunions entre midi et une heure une fois par semaine, assorties de séances de travail extraordinaires plus longues. 33 des entretiens. Cet état de fait peut dans certains cas contribuer à rendre les séances de travail plus agréables mais dans d’autres cela peut aussi nuire à la cohésion générale du groupe car des sous-groupes par interconnaissance se forment automatiquement. Il convient alors d’observer si les professeurs abondent dans ce sens et les laissent travailler par exemple sur des sujets différents de manière quasiment autonome ou s’ils mettent l’accent sur le groupe dans son ensemble et que dans le cadre du concours d’actualité, chacun commente chaque article même ceux qu’il n’a pas écrit. On pourrait d’ailleurs penser que cela dépend de la taille des groupes concernés, mais cela ne semble pas être le cas, comme le montre le groupe très soudé de Caussade pourtant un des plus nombreux car il est composé de 15 élèves de seconde. D’autre part il est aussi possible que même en travaillant sur le même sujet et en groupe de taille réduite, les tâches se répartissent de manière à séparer les élèves en sous-groupes d’amis qui se connaissaient déjà comme le montre le témoignage d’Arthur, élève de seconde à Tarbes : « Oui oui, l’ambiance elle est bonne, les 3 garçons, on est amis, on est dans la même classe et après, les 4 filles, elles sont sympas. On s’entend tous bien, on a travaillé ensemble quoi. […] On s’est plutôt répartis les tâches parce que les interviews y a que Quentin et moi qui les avons fait, mon ami avec qui je m’entends bien. Et l’autre garçon pouvait pas parce qu’il habite à côté de Toulouse et les interviews on les a fait pendant les vacances de Pâques je crois. Et après les filles venaient pour ce qui était méthode pour aujourd'hui et sinon, elles ont aussi rédigé le travail qu’on avait fait nous et elles ont tapé à l’ordinateur. » On se demande ici si tous les membres du groupe ont été aussi satisfaits de la répartition des tâches qui la plupart de temps s’effectue quand même par affinités non seulement personnelles mais aussi par rapport à la nature du travail demandé. J’ai ensuite remarqué que pour ceux qui ont des amis en dehors du DISPO voire en dehors du lycée, il n’est ni commun ni forcément évident d’évoquer le programme avec eux. La majorité des amis ou copains ne comprennent pas pourquoi leur camarade s’engage à venir travailler le mercredi après-midi en plus de tout le reste du travail scolaire et au détriment d’éventuels moments de partage avec eux. Certains n’en parlent pas beaucoup, il est donc difficile pour les amis de comprendre le projet et ce qui s’y passe. D’autres entendent des réflexions qui se situent entre les moqueries et la jalousie mais ne s’expriment pas non plus de manière méchante. La plupart des amis sont interpelés par l’image de grande école et de prestige de Sciences Po, et taxent leurs camarades d’ « élites de la classe » ou se demandent s’ils vont y arriver tant cela leur paraît loin de leur quotidien et de ce qu’ils connaissent d’eux. A partir de là, les attitudes diffèrent, il y en a pour encourager, d’autres pour décourager. On 34 peut aussi voir l’inverse c'est-à-dire des élèves qui finalement s’intéressent au DISPO grâce aux témoignages de participants et vont peut-être aller jusqu’à s’inscrire pour l’année prochaine. Enfin des élèves interrogés m’ont indiqué que leurs amis n’avaient pas eu de réactions particulières parce qu’ils étaient habitués à ce qu’ils se mettent encore dans des « trucs farfelus ». Ils désignent ainsi le fait qu’ils occupent déjà des fonctions représentatives au sein du lycée ou sont des membres actifs d’associations et qu’il est difficile d’étonner encore leurs copains par l’engagement dans un projet. C’est ainsi qu’Alice, élève de première STG à Tarbes, répond à la question « comment ont réagi tes amis quand tu leur as dit que tu participais au DISPO ? » : « Ben euh, déjà ils ont pas trop compris ce que c'était et ils ont pas épilogué, ils m’ont pas trop demandé, je leur dit « demain je pars à Toulouse on va présenter notre projet et tout » « ah ouais t’as de la chance, tu vas pas en cours ». Non mais voilà, fin j’ai pas trop épilogué sur le sujet, je leur ai dit que j’étais dans un dispositif qu’on était tutorés par des élèves de l’IEP et qu’on avait un projet à rendre, voilà. Et c’est pas qu’ils s’en foutent mais… Je suis toujours dans des trucs farfelus, fin je sais pas comment je me suis retrouvée là, maintenant je suis vice présidente du foyer socioéducatif de mon lycée alors que 3 mois avant je savais même pas que ça existait… Donc ils posent plus tant de questions ! » On peut imaginer qu’Alice ne fait pas non plus grand étalage de ses autres engagements 27 auprès de ses amis, soit qu’ils ne s’y intéressent pas, soit parce qu’elle même veut séparer les différentes sphères dans lesquelles elle évolue. La jalousie quant à elle s’exprime toujours par rapport à la sélection, des élèves indiquent qu’il est injuste que seuls quelques uns soient au courant et aient été choisis pour ces activités et ce même si les élèves en question n’auraient pas été intéressés par le projet. Elle ressort d’autre part aussi face aux sorties que peuvent faire les différents groupes du DISPO. En effet, certains professeurs référents tiennent à ce que l’ouverture se donne aussi en dehors du lycée et renoue avec l’esprit de l’ancien « IEP-lycées cibles » en proposant des sorties culturelles, notamment au théâtre ou au musée, ou en permettant aux élèves de participer à des voyages organisés au sein du lycée par exemple un voyage en Italie pour les latinistes pour une somme modique. Ces privilèges peuvent rendre jaloux des camarades qui n’étant pas du tout attirés par Sciences Po ou n’ayant pas suivi les options nécessaires (langues vivantes originales, latin ou grec) n’ont parfois jamais pu faire de voyage avec le lycée, ce qui arrive dans certains lycées ruraux qui n’ont pas assez de budget pour faire partir 27 Sur l’implication des élèves dans le lycée ou dans la cité sous ses différentes formes, voir le chapitre 2 de ce mémoire. 35 tous les élèves. C’est aussi l’effet que peuvent avoir les premiers prix du concours d’actualité car les i-pods, ordinateurs portables et autres voyages linguistiques en Angleterre peuvent susciter l’envie ou amener certaines mauvaises langues à dénigrer la qualité du travail fourni par rapport à l’importance de la récompense. Il est à noter que ces réactions sont dans l’ensemble beaucoup moins vives dans les lycées qui sont depuis plus longtemps dans le dispositif et dans lesquels j’ai interrogé les élèves de terminales. En effet, à ce niveau-là l’objectif du DISPO devient immédiatement plus clair : il s’agit de préparer le concours de l’IEP. D’autre part, les amis ont eu le temps de s’habituer et surtout de mieux comprendre ce qu’on y faisait tout au long des trois années. Il semble donc qu’il faille un temps d’adaptation que ce soit au niveau des professeurs et de leurs manière de présenter le programme ou bien au niveau des parents dont le soutien peut être relatif, et enfin bien sûr dans le lycée dans son ensemble par rapport aux autres élèves. B. Le déroulement du programme Dans les entretiens, j’ai ensuite demandé aux élèves comment se déroulaient les séances de travail, si leur participation avait exigé beaucoup de temps, s’il y avait une bonne ambiance dans le groupe, s’ils avaient aimé les journées à Toulouse…etc. L’investissement des élèves dans le programme est relatif, certains y ont accordé beaucoup de temps et d’importance tandis que d’autre y vont plus en dilettante. Cela influence nécessairement ce qu’ils pourront retirer de leur participation. D’autre part, je souhaitais mettre l’accent sur un aspect qui a été soulevé à la fois par les professeurs et les élèves : l’émergence d’une nouvelle forme de travailler qui implique aussi un nouveau type de relations. 1. L’investissement La réaction des proches qu’on vient de voir est aussi conditionnée par l’investissement dont a fait preuve ou pas l’élève participant. En effet, les élèves interrogés ont fait preuve d’un engagement très disparate par rapport aux séances de travail proposées. On sent que certains ont mis un point d’honneur à ne louper aucune séance et à s’investir le plus possible dans un projet qui par conséquent leur tient à cœur tandis que d’autres n’ont quasiment pas fourni de travail personnel, se sont peu investis et ont loupé beaucoup de séances ou venaient essentiellement pour s’amuser avec les copains. En effet, les séances du DISPO ne sont pas considérées au même titre que des cours et l’on peut dire que cela constitue à la fois un défaut et un avantage. Une certaine souplesse 36 règne, elle permet aux élèves de manquer des séances de travail s’ils ont un empêchement, cependant certains deviennent absentéistes et l’investissement au sein du groupe varie beaucoup d’un élève à l’autre, ce qui est certes caractéristique des travaux de groupe mais peut poser des problèmes de cohésion. Il faudrait alors que les élèves s’engagent plus clairement à aller le plus possible aux séances du DISPO sous peine de ne pas pouvoir en profiter pleinement. Il est malgré tout difficile de demander aux élèves d’être présents comme pour des cours alors que les séances de DISPO se déroulent le mercredi après-midi en dehors de l’emploi du temps standard et même des heures d’ouverture du lycée ! Comme on l’a vu, l’absence de transport scolaire à ce moment-là se transforme en une contrainte importante pour les élèves de milieux ruraux qui sont domiciliés à trois quart d’heure du lycée. Pour certains qui ne sont d’ailleurs pas souvent des élèves boursiers, le mercredi après-midi est le moment des activités extrascolaires tandis que dans un lycée de centre ville, c’est à cet horaire qu’a lieu le cours de LV3 arabe. D’autre part, pour les élèves internes, le mercredi après-midi est le moment où ils peuvent profiter de la ville et sortir du lycée dans lequel ils restent toute la semaine, ils n’ont donc pas forcément envie de faire des séances de travail même si cellesci consistent à aller en dehors du lycée faire des interviews d’acteurs locaux. Enfin certains élèves plus âgés qui habitent tout seuls ou avec un grand frère m’ont fait remarquer que c'était le seul moment dans la semaine où il pouvait faire les courses, le ménage etc. tandis que l’on peut imaginer que certains ainés ont leurs petits frères et sœurs à garder. En dehors de la présence aux séances, l’investissement des élèves dans le DISPO peut se mesurer par le travail fourni entre les séances si celui-ci est demandé par les professeurs, ce qui n’est pas toujours le cas et dépend bien sûr de la fréquence des séances. Car si dans quelques lycées, les réunions sont hebdomadaires et courtes, dans d’autres c’est plutôt deux fois par mois mais pendant deux ou trois heures. Certains privilégient le travail collectif effectué dans le CDI du lycée sur les documents et les ordinateurs à disposition tandis que d’autres attendent un travail de recherche ou de rédaction individuel entre les séances qui doit être présenté et discuté lors des réunions afin de compenser leur nombre réduit et d’avancer plus rapidement. Il est parfois difficile de mesurer à travers le témoignage des élèves leur investissement dans le projet. En effet certains me disaient avoir apprécié le programme et s’être intéressés au sujet mais en discutant ensuite avec les professeurs, je me suis rendue compte qu’ils étaient très agités pendant les séances et avaient causé beaucoup de problèmes 37 au groupe dans son ensemble. Pourtant il est indispensable dans la démarche d’en mesurer les effets, de savoir à quel point l’élève s’est investi. Cependant si l’on s’en tient uniquement au témoignage des professeurs, ceux-ci auront peut-être une vision déformée parce qu’ils ont l’élève en question en cours ou parce qu’ils ont l’habitude de les évaluer de manière scolaire. Et si l’on s’en tient aux dires des intéressés, il se peut qu’ils enjolivent un peu leur rôle lors de l’entretien. Il n’y a que si les deux jugements concordent, que l’on peut être sûr que l’élève s’est beaucoup investi et pourra, on l’espère, retirer beaucoup de choses de sa participation au DISPO. C’est ainsi que Pierre, élève de seconde à Lavaur, décrit son rôle dans le DISPO lors de la projection de la vidéo produite pour le concours d’actualité aux parents : « Oui je leur ai dit que j’étais chargé des interviews, même si M. Normand le faisait bien comprendre explicitement avec Mme Jattiot, car en fait il disait, comme j’étais celui qui venait à toutes les réunions, il disait « certains se sont trouvé une voie notamment dans l’interview ou la prise audio » » Parfois, les élèves n’ont pas l’impression d’avoir beaucoup travaillé car ils l’ont fait avec plaisir et que c'était une manière nouvelle d’apprendre et de produire des connaissances. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne se sont pas investis, mais qu’ils ont apprécié un des avantages du dispositif qui est de montrer que tout travail n’est pas ennuyeux ou scolaire. 2. Une nouvelle manière de travailler Le DISPO représente pour tous les participants que ce soit les élèves, les professeurs ou les organisateurs au niveau de l’IEP une nouvelle manière de travailler. Tout d’abord, ce n’est pas un travail typiquement scolaire même s’il met en œuvre des qualités valorisées par l’école et qu’il se rapproche de ce qui est demandé dans les études supérieures. Ce n’est pas un travail personnel, individuel qui sera sanctionné par une note. Il s’agit d’amener un groupe de personnes à réaliser un projet qu’elles ont imaginé et jusqu’au bout. Ce qui compte n’est d’ailleurs pas tant le résultat que l’ensemble des compétences supposées être acquises et qui permettent de le concrétiser. Cela sous entend de l’organisation, dans le temps et pour la répartition des tâches, il faut aussi découvrir la méthodologie de la recherche, et apprendre à rédiger, à s’exprimer en public et enfin à recevoir les critiques des autres afin de s’en servir pour améliorer son travail…etc. Ce type de travail implique pour commencer que s’instaure une relation différente entre professeurs intervenants et élèves participants. Cette relation nouvelle se caractérise par le nivellement de la hiérarchie, le professeur travaille de concert avec les élèves et découvre le projet en même temps qu’eux. Il n’a pas une idée à l’avance de ce qu’il veut faire, ni où il 38 veut amener les élèves comme lorsqu’il donne un cours. La tenue du projet suppose que se tiennent des discussions entre les professeurs et les élèves, que ce soit sous forme de négociation pour créer le journal ou la communication du colloque ou bien sous forme de discussions argumentées qui font avancer la problématisation des sujets étudiés pour le concours ou le baccalauréat en terminale. Pour certains cet aspect est extrêmement positif et a en partie été la raison de leur venue dans le programme. C’est ainsi que l’exprime Vincent, élève de première année de l’IEP, quand il raconte sa perception du DISPO : « …les profs s’investissaient vraiment, on n’était même plus dans une relation profs et élèves en fait du coup, c'était vraiment intéressant et euh, fin moi je tape pas sur Carmaux ni rien, mais on n’avait pas souvent l’occasion de ça, de se retrouver pour discuter de choses, fin des fois on n’apprenait pas forcément des choses, mais on discutait de choses qu’on faisait pas en cours et pas en dehors non plus, donc c'était nouveau. Fin de rentrer dans une salle de classe avec un prof et jamais sortir un crayon pour écrire, parce qu’on fait que parler c'était nouveau ! » Pour d’autres, cela donnait l’impression de ne pas travailler, de ne pas être encadrés, comme le montre le témoignage de Mathieu, élève de première à Mirande : « …enfin on se connaissait tous en fait j’avais l’impression comme si un peu on faisait partie d’un club, ben les clubs qu’il y a dans les lycées donc entre midi et deux on se retrouve pour préparer nos exposés ou nos voyages fin voilà quoi. » Cela n’implique pas qu’il n’a pas apprécié sa participation au programme mais bien que cela ne relève pas d’un travail scolaire, notamment peut-être parce que cet élève fait partie du groupe de première qui est parti terminer ses recherches pour le colloque en Allemagne dans un esprit de comparaison de point de vue avec la France. Enfin pour la plupart, c’est la prise de conscience que pour travailler ou du moins pour progresser, il faut apprendre, mais pas forcément de manière scolaire ou rébarbative. Il y a différentes manières d’apprendre qui peuvent être valorisées y compris sur le plan scolaire, c'est-à-dire se dérouler dans le lycée, avec des professeurs à contre-emploi et couronné d’une certaine reconnaissance à la fin. Pour certains cela s’est d’ailleurs traduit par une réaction très scolaire face au DISPO, mais ce sont généralement des élèves surinvestis dans le travail scolaire et qui veulent et ont de très bons résultats. Il faut souligner également qu’autant les professeurs que les élèves parlent des séances du DISPO comme d’une bouffée d’air, car les élèves présents sont volontaires, ils veulent travailler. Comme on l’a dit, la relation avec eux est différente et de meilleure qualité : ils apprennent à se connaître dans un autre cadre moins normé que la relation hiérarchique profélève caractérisée par la détention du savoir et le pouvoir d’évaluer. Les enseignants 39 soulignent à ce propos que c’est également très enrichissant pour eux de découvrir de nouveaux sujets et supports de travail. Ils ne viennent pas avec une idée du résultat auquel ils veulent arriver, c’est vraiment un travail de collaboration qui s’effectue avec les élèves. Cela est d’autant plus renforcé pour les élèves qui sont dans des classes difficiles et ont à essuyer sans cesse des moqueries lorsqu’ils prennent la parole pour répondre ou poser une question. Ils apprécient les moments de calme et de discussion propres au DISPO lors desquels personne ne tente ni de les mettre en avant, ni de les écarter d’un débat impossible à avoir dans une classe. Comme le montre le témoignage d’Alice, élève de première STG à Tarbes, cela a ensuite des effets bénéfiques sur la confiance en soi : « parce que j’aime pas du tout la mentalité de ma classe et dès que je veux me mettre en avant, enfin si je connais toutes les réponses pendant une heure et que je veux lever la main, ben je passe pour la fayotte, on est critiqué, c’est la mauvaise ambiance, c’est tendu pour toute la journée. Alors que là hier on a tout mis en place pour que tout soit parfait et euh j’ai balancé mes idées comme ça, et euh M. Dispot […] me disait « ouais c’est bien tu dis ça demain ». Et je me suis sentie trop en confiance parce que les gens autour de moi m’ont pas regardée mal, m’ont pas critiquée, m’ont pas dit « ouais elle s’affiche, elle se met trop en avant », il m’a dit « demain tu me plantes pas ! » ça fait super plaisir à entendre et sachant que les autres, ya pas de jalousie apparente, je suis pas plus élevée qu’eux, et juste cette manière de mise en confiance oui. » Les séances de travail ont été sous-tendues par la perspective de la présentation des travaux par chacun des groupes devant l’ensemble des lycées lors des 2 journées qui se sont déroulées à Toulouse (ou dans le cas des terminales par le bac puis le concours commun). 3. Les journées à Toulouse Les journées du concours d’actualité des secondes, le 19 mai 2010, et du colloque des premières, le 26 mai 2010 ont été réussies mais la différence entre les deux était frappante. Cet aspect du DISPO auquel j’ai pu assister a suscité de multiples réactions plutôt très positives chez les élèves qui ont répondu aux entretiens réalisés en juin. Il convient cependant de souligner que tous les entretiens n’ont pas été réalisés après les journées. En effet, le concours d’actualité s’est déroulé en grande pompe dans l’amphithéâtre de l’hôtel de Région, il a été suivi d’une visite de Toulouse, d’une soirée organisée dans un bar fréquenté par les étudiants et enfin le lendemain d’une journée au Festiv’. Il s’agit d’un moment assez festif réunissant 5000 lycéens de Midi-Pyrénées qui est organisé par la Région pour présenter et valoriser tous les « projets d’avenir » qu’elle a financé durant l’année 40 scolaire 28 . On peut déplorer que lors du concours, les élèves n’aient pas présenté leur production dans leurs interventions du concours d’actualité, le public n’a donc pas pu apprécier le travail réalisé. Tous les groupes ont plus ou moins dit la même chose, étant donné qu’ils expliquaient les difficultés rencontrées et comment ils les avaient surmontées. D’autre part, on peut déplorer que plusieurs groupes aient choisi le même sujet : déceler les liens entre les ONG et l’argent dans le cadre de la catastrophe d’Haïti. Les professeurs concernés par ces groupes-là ont trouvé qu’il était dommage pour les élèves d’avoir travaillé toute l’année sur un sujet et de voir qu’il était traité par 4 lycées. Il faudrait éventuellement à l’avenir que les professeurs responsables des secondes se concertent pour que cela ne se reproduise plus étant donné que les sujets choisis sont pas mal conditionné par l’actualité et que les groupes choisissent leur thème de travail tous au même moment, le risque est grand de traiter le même. Le concours d’actualité s’est caractérisé par une ambiance de compétition, renforcée par le fait que les prix décernés après la longue délibération du jury étaient très contrastés, puisque comme on l’a vu cela va de romans à un voyage linguistique en Angleterre. Cependant il convient de souligner que tout le monde est reparti avec quelque chose. La compétition a suscité des réactions diverses, certains professeurs ont trouvé ça très bien, d’autres l’ont trouvée un peu exacerbée et ne s’attendaient pas à cela comme l’explique Valérie Jattiot, professeur du lycée Las Cases : « Ce qui m’a surprise c’est que la présentation était évaluée sur la forme, les critères d’évaluation c'était la forme et ce qui me gênait un peu c’est que d’abord le public n’avait pas connaissance des productions, il se trouve que les films ont été projetés mais c'était pur hasard, et donc pour nous public c’est très difficile de nous intéresser et du coup, dans les présentations, c'était stéréotypé : les difficultés rencontrées qui se sont transformées en avantage etc. ça faisait un peu rengaine. Par exemple y avait des sujets intéressants sur lesquels on n’avait pas les conclusions des élèves. Après autre chose qui me gêne un peu, c’est l’idée de compétition, mais je sais pas, c’est peut-être moi, je m’attendais plutôt à des prix, des mentions, un peu « meilleur scénario ». Après c'était tempéré par le fait qu’il y avait énormément d’ex-æquo... » On peut aussi noter que si chez les professeurs les réactions face à la situation de compétition sont indépendantes du fait d’avoir gagné ou pas, ce n’est pas le cas chez les élèves : ceux qui ont gagné un prix de valeur étaient ravis tandis que les autres étaient un peu déçus de ne pas avoir fait mieux, même s’ils ont dans l’ensemble adoré ces deux journées qui sortaient de 28 Les projets d’avenir ont été financés à hauteur de 900 millions d’euros par la Région sur les 4 axes proposés qui sont « Agenda 21, les bonnes pratiques pour le XXIè siècle », « ouverture sur le monde », « culture » et enfin « dynamisation de la vie à l’internat », voir pour plus de détails et 2 témoignages d’élèves du DISPO, l’article de la Dépêche daté du 20 mai 2010 : http://www.ladepeche.fr/article/2010/05/20/839268-Festiv-5-000-jeunes-auZenith-pour-rever-la-region.html 41 l’ordinaire. Pour la plupart, les élèves étaient fiers d’avoir réussi à prendre la parole dans ce lieu impressionnant et devant tant de monde tandis qu’ils ont vraiment apprécié la soirée et bien sûr le Festiv’, cela a même donné l’idée à certains de monter un projet d’avenir musical à la rentrée. Lors du colloque des premières qui s’est déroulé à l’IEP dans l’amphithéâtre principal, le but était que les élèves présentent justement le travail réalisé, ce qui était beaucoup plus enrichissant pour les spectateurs. Ils sont intervenus sur un même thème général « jeunesse et territoire » chacun leur tour, tandis qu’un professeur de géographie à l’université, Gilles Puel, a repris en fin de matinée des éléments-clés de leurs interventions afin de lancer le débat. On peut voir que les élèves auraient aimé débattre plus entre eux de sujets qui leur tenaient à cœur sur leurs territoires et que finalement, dans un schéma assez classique, ce sont principalement les adultes qui se sont exprimés. La journée s’est très bien déroulée aussi sauf que les élèves ne se sont pas du tout mélangés : contrairement aux secondes qui ont pu bénéficier d’une soirée dans un bar, les premières n’ont pas vraiment eu l’occasion d’échanger et ont mangé leur repas de midi au restaurant universitaire regroupés par lycées. Marie, élève de première à Tarbes, explique qu’elle aurait aimé qu’il y ait plutôt des tables rondes l’après-midi pour permettre la discussion car c’est trop intimidant pour les élèves de prendre la parole en amphi. C’est aussi ce que dit le professeur référent du lycée de Gourdon : « Après c’est pareil j’ai trouvé le concours d’actualité vraiment bien, mais le colloque vraiment moyen. Parce que les débats étaient pas suffisamment structurés, je crois que mes élèves ont été très déçus parce que justement les thèmes choisis cette année et les débats ouverts auraient permis aux élèves de s’exprimer sur cette inégalité des chances, sur nous, nos élèves de la campagne, la ruralité etc. » Le colloque s’est terminé par une intervention du sociologue Stéphane Beaud sur l’égalité des chances, qui a insisté notamment sur la nécessité de mettre en place ce genre de dispositif dans les universités qui accueillent la majorité des étudiants issus des classes populaires aujourd'hui. Dans l’ensemble, les journées à Toulouse ont été très réussies et surtout appréciées, elles sont venues récompenser une première année de fonctionnement du DISPO et le travail d’abord réalisé par les élèves sans trop savoir à quoi cela allait aboutir. D’autre part les productions et les présentations seront sûrement plus adaptées l’année prochaine sachant que les professeurs encadrant pourront mieux conseiller et guider leurs groupes de travail. La 42 réussite de certains au concours ou au colloque peut d’autre part aider à motiver des collègues à s’investir dans un projet qui commence à faire ses preuves. C. L’évaluation des apports du DISPO De manière générale, l’évaluation est plutôt positive parmi les participants du DISPO. Ce qui est intéressant c’est que malgré le fait que les élèves ne décèlent effectivement pas toujours les apports du DISPO pour eux ou dans leur scolarité, ils sentent de manière diffuse qu’il en existe. C’est ce qu’ils expriment quand ils répondent à mes questions que « c’est toujours du plus » ou que « ça ne peut être que bénéfique ». D’autre part le DISPO peut leur avoir plu sans qu’ils voient ce qu’ils ont pu en tirer c’est bien dans ce sens que deux questions différentes ont été posées lors des entretiens : « est-ce que ça t’a plu ? » et « est-ce que tu penses que ça t’a servi ? ». Cette dernière partie de l’évaluation du DISPO, après celles de l’entrée dans le dispositif et du déroulement des séances de travail, implique de revenir sur l’objectif principal du programme d’égalité des chances : susciter l’ambition de faire des études supérieures chez des élèves de milieux populaires en renforçant leur confiance en soi et certaines compétences comme la prise de parole, la rédaction etc. Il est important de rappeler que ma démarche vise à transmettre ce que pensent les élèves et les professeurs de leur propre expérience, cela n’a aucune prétention d’exactitude. En effet, comme on l’a évoqué en introduction, le premier biais est celui de l’entretien, sachant très bien que je travaille sur le DISPO, il est sans conteste difficile pour certains de me dire qu’ils n’ont pas aimé ou n’en ont pas vu l’intérêt. Ensuite certains vont attribuer à leur participation au DISPO, des décisions ou évolutions de leur comportement sans que le dispositif en soit nécessairement l’unique déclencheur. 1. Ce qui a plu aux élèves participants Dans l’ensemble, les élèves ont apprécié le programme DISPO pour des raisons souvent très différentes, qui tiennent à la personnalité et aux envies de chacun ainsi qu’à la manière d’aborder ce type de travail comme on l’a dit plus haut. Il est important de noter que même les élèves qui ne se sont pas spécialement épanouis dans ce travail souhaitent continuer l’expérience l’année prochaine. Ils expliquent cette décision soit par le fait qu’ils sont intéressés par la préparation du concours commun des IEP soit parce qu’ils ne voient pas non plus l’intérêt d’arrêter. 43 Comme on l’a vu, les journées à Toulouse ont été plébiscitées, il en est de même pour le tutorat étudiant. La rencontre avec les étudiants de l’IEP a en effet soulevé l’enthousiasme. Les tuteurs ont pu répondre à toutes sortes de questions que se posaient les élèves sur les études supérieures en général et l’école Sciences Po en particulier. Ils ont pu prodiguer des conseils sur le concours d’actualité, le colloque ou le concours de l’IEP à deux reprises quand ils sont venus dans les lycées pendant les séances de travail. Ils ont en cela bénéficié de leur statut particulier de tuteurs, ni élève, ni professeur. Vincent, élève de première année de l’IEP qui avait suivi le dispositif à Carmaux et est passé comme il dit « de l’autre côté de la réussite », l’explique assez bien : « On n’est pas des profs, quand on va là-bas… Ben les terminales [nous prennent] pas du tout [pour des profs], parce qu’ils nous connaissaient, et les premières, ils étaient un peu intimidés, certains ont commencé à nous vouvoyer et on a dit « mais non ! » et donc, ça s’est très vite fait après, parce que mettons, avec les premières, ils nous considèrent pas comme des profs, mais on est en-dessous de profs, mais au-dessus de camarade, donc on est entre les 2 et c’est assez bien parce qu’ils nous, ils sont… c’est pas une question de respect, mais ils sont attentifs comme si on était des profs, mais ils sont libres comme si on était comme eux, fin, comme si c'était nos camarades quoi. » Le rôle du tuteur est d’incarner l’institution, et par là de la démystifier, ils montrent par leur présence qu’il ne s’agit pas d’étudiants qui ne font que travailler toute la journée, ou qui sont en costard cravate. Ils peuvent raconter la vie étudiante, rassurer sur la difficulté des cours, préciser les thèmes abordés. Le cas de Vincent est encore plus parlant et particulier parce qu’il a suivi le dispositif, il était dans le même lycée avec les mêmes professeurs et montre par sa seule réussite et en devenant tuteur que c’est possible. Il est vraiment là pour leur donner l’envie de travailler de manière différente, comme lorsqu’il explique qu’il a révisé l’épreuve d’anglais en regardant des séries en VO et en streaming sur internet ou qu’il a commencé à lire par quelques articles de l’Equipe parce qu’il s’intéressait aux résultats sportifs et qu’ensuite l’habitude est venue. Outre le tutorat étudiant, ce qui a plu aussi était de visiter une ou plusieurs grandes écoles, tout le monde est allé à Sciences Po et certains sont allés à Supaéro et dans des universités. C’est ce qu’exprime Paul, élève de terminale à Toulouse, qui par ailleurs a décroché du dispositif assez rapidement : « Mais en soi, c’est vrai que c’est bien ce dispositif pour permettre à ceux qui sont issus des classes populaires, fin moi je sais pas si je suis issu des classes populaires, fin disons pour ceux qui ont des difficultés financières, sociales, fin dans leur vie, leur permettre d’atteindre plus ou moins même la porte de Sciences Po, c’est vrai que c’est pas mal, même si les gens qui sont au dispositif, je pense pas que ce soit réellement des gens qui souffrent de, disons que vraiment les gens de classes populaires, ou qui vivent en banlieue, y en a pas qui était dans le dispositif. » 44 D’autre part et pour se rapprocher des séances de travail habituelles, le fait d’apprendre des choses est revenu souvent dans ce qui a plu aux élèves interrogés. On peut constater que beaucoup d’élèves identifient le DISPO au sujet qui a été abordé dans l’année. Ils ne voient plus vraiment cela comme un programme égalité des chances qui s’étale sur trois ans, mais comme un travail sur un sujet qui mène à une production et donc constitue un apport de connaissances sur ce sujet, grâce aux recherches effectuées. Cela joue surtout au niveau des secondes et des premières tandis qu’en terminale les élèves soulignent le fait que les cours de préparation au concours peuvent les aider pour le bac. La plupart des élèves qui se positionnent par rapport à un sujet parlent peu des compétences acquises pour réaliser ce travail et pensent que leurs connaissances sont plus utiles sur le plan personnel que scolaire, sauf ceux qui pensent les remobiliser dans des cours de sciences économiques et sociales. Ils ne se posent pas toujours la question de l’utilité de ce savoir, cependant il leur est ensuite plus difficile que les autres de répondre à la deuxième question sur les apports du DISPO : « en quoi cela leur a-t-il servi ? ». Certains élèves qui sont semble-t-il plus scolaires ou du moins mieux adaptés à la norme scolaire que les autres, voient eux les compétences acquises et les décrivent comme ce qui leur a plu : découvrir une autre manière de rédiger pour le journal, prendre la parole à l’oral devant beaucoup de gens pour le colloque, réaliser des interviews d’acteurs locaux, rechercher des sources fiables, apprendre à synthétiser un travail en groupe, la méthodologie de l’épreuve sur les questions contemporaines… etc. Ils savent qu’ils pourront remobiliser ces compétences dans d’autres situations même si pour la plupart l’opportunité de ces autres situations reste très floue : les TPE, le bac ou les études supérieures ont été mentionnés comme des horizons lointains. Rares sont ceux qui ont décelé un impact sur leurs études ou sur leurs résultats scolaires du moment. Enfin si les sorties et les voyages réalisés dans certains lycées seulement et selon les opportunités qui se présentaient ou les envies et compétences des professeurs ont été appréciés et vécus comme des bonus car ils ne faisaient pas partie du programme au départ, les élèves ont vraiment du mal à voir le lien qui existe entre le DISPO, ses séances de travail et ces sorties. Aller au théâtre, au musée, faire une sortie de spéléologie qui symbolise le dépassement de soi, continuer ses recherches pour le colloque en Allemagne pendant une semaine sont à titre d’exemple quelques unes des activités proposées. Elles permettent à la fois de souder le groupe, de voir les professeurs sous un autre angle et de diversifier les 45 expériences culturelles des élèves. Ceux-ci pensent qu’ils ont de la chance de pouvoir le faire, d’autant plus qu’ils se sont rendus compte lors des journées à Toulouse que ce n’était pas le cas de tous les lycées, mais ne voient pas le lien avec Sciences Po. A l’inverse, quand le dispositif n’a pas plu aux élèves, on remarque soit, qu’ils ne se sont pas beaucoup investis, soit qu’ils ont trouvé que ce n’était rien d’extraordinaire : ils ont pris les séances de travail comme un club entre midi et deux, pendant lequel des élèves préparaient un grand exposé. Ils ne voient pas donc pas d’apport spécifique au DISPO en dehors des autres cours ou autres clubs et activités avec les copains. Généralement ils avaient aussi déjà l’habitude de travailler avec les gens du DISPO. On peut noter que pour les terminales ce qui déplaît est la compétition qui peut s’instaurer entre les membres du groupe qui cherchent à se mettre en avant en posant des questions intelligentes aux professeurs. Cependant cela joue surtout pour des groupes qui n’étaient pas constitués préalablement en seconde et en première et l’on peut penser que ce ne sera plus le cas dans les prochaines années si la plupart des élèves suivent vraiment le dispositif en trois ans. 2. L’impact sur l’ambition, la confiance en soi Les principaux apports qu’espère donner le DISPO aux élèves se situent au niveau de l’ambition et de la confiance en soi, il est malgré tout difficile de mesurer efficacement l’impact de la participation au dispositif sur ces deux qualités surtout dans un laps de temps si réduit : une année et aucun recul pour la plupart des élèves interrogés. On peut en revanche regarder l’évolution de leurs vœux d’orientation, de leur comportement en classe et bien sûr écouter le retour qu’ils peuvent en faire tout en sachant que cela peut être déformé par rapport à la réalité. « je crois que surtout ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un déficit de confiance en soi, chez nous et aussi, fin moi j’ai remarqué ça, mais je sais pas si c’est une réflexion qui est partagé, j’ai remarqué que quand on est de milieu modeste, être ambitieux, c’est presque pas moral, fin y a une espèce de pudeur, une espèce de gêne à dire qu’on a de l’ambition quand on est de milieu modeste » En partant de ce constat fait par Samuel, élève de terminale à Carmaux, le DISPO aimerait par l’attention des professeurs, l’apport de compétences et de connaissances, ainsi que par les rencontres et informations recueillies, pouvoir changer les choses. Il s’agit d’une ouverture valorisée par les élèves qui n’avaient pas l’occasion de profiter de ce type d’activité ou rencontre par eux-mêmes. Au contraire, certains élèves très engagés dans la cité, ou qui ont fait par le biais familial des rencontres professionnelles intéressantes ou des stages qui 46 requéraient des compétences proches de celles développées par le dispositif se disent moins influencés par leur participation. L’important est d’abord d’informer, de faire connaître Sciences Po ou d’autres possibilités d’études supérieures comme les universités aux élèves. On peut voir que parfois, l’effet escompté qui est de donner l’envie de se lancer dans des études longues n’est pas au rendez-vous, mais peut-être n’est-ce pas non plus un échec du DISPO. C’est ce que nous montre d’après moi le témoignage d’Emilie également élève de terminale à Carmaux : « d’un côté ça m’a aidé à me rendre compte que la fac finalement c'était peut-être pas fait pour moi, parce qu’il faut être autonome et moi je sais que si on me pousse pas derrière, je serai tentée de faire autre chose, donc voilà, ça m’a aussi permis de me dire ça… Fin je sais pas, fin moi je me vois pas à la fac. Autant en seconde et première fin voilà, j’étais sérieuse, et en terminale c'était plus dur, fin peut-être que c'était un lassement, le lycée ça va un peu… » Finalement décidée à passer les concours afin de rentrer dans une école d’infirmière, Emilie réalisera ainsi une forme d’ascension sociale peut-être plus en conformité avec les valeurs qu’elle souhaite développer dans sa vie y compris professionnelle. En tout cas pour elle le DISPO était une expérience positive qu’elle a suivi jusqu’en fin de terminale et depuis la seconde alors même qu’elle ne voulait pas passer le concours de l’IEP. L’intérêt de ce programme pour Vincent, le tuteur étudiant passé par le DISPO, est d’éviter tout risque de déterminisme social et géographique, il ne s’agit donc pas d’inciter des gens qui ne seraient pas intéressés par des études ambitieuses, mais bien de leur montrer que c’est possible comme l’indique son témoignage : « pour Carmaux, c’est pas évident, quand on rentre en seconde de se dire qu’on va aller à la fac, donc on essaye de leur dire que ben voilà, Toulouse c’est pas non plus si loin que ça, c’est pas parce qu’ils habitent dans une ancienne cité ouvrière, qu’ils sont obligés de devenir ouvriers. Fin j’ai rien contre les ouvriers, moi je voulais faire ça, mais c’est pas parce qu’ils sont là qu’ils sont obligés de faire ça ! Leur père est routier, mais ils sont pas obligés d’être routier, mais c’est pas du tout péjoratif, fin c’est juste comme ça. C'était un peu […] leur dire que c’est possible, ça les intéresse tant mieux, ça les intéresse pas tant pis, mais au moins leur dire, voilà « n’ayez pas peur d’avoir un peu d’ambition mais quand même travaillez pour y arriver » ! » On n’évalue pas les effets du dispositif au nombre de trajectoires infléchies, mais son rôle est bel et bien de montrer par différents biais que c’est possible de le faire. Evidemment comme le rappelle à juste titre l’étudiant tuteur, cela ne se fait pas sans travail, sans se confronter à la compétition et éventuellement sans être déraciné si l’on est très attaché à sa campagne, à son milieu social et à ses amis d’enfance. On peut voir que pour Vincent comme pour Samuel, le manque d’ambition est très lié à un 47 déficit de confiance en soi dû à plusieurs facteurs (ruralité, éloignement, profession et diplômes des parents…) et pas nécessairement lié aux résultats scolaires ou aux possibilités économiques. Ils ont en partie raison bien qu’il convient ici de rappeler que ce sont tous les deux d’excellents élèves ce qui n’est pas le cas de tous les élèves du programme. En revanche dans le cas de Paul, qui lui aussi a de très bons bulletins de notes, Sciences Po reste inaccessible, on peut souligner que c’est probablement cela qui l’a empêché de bien suivre le programme. Pour lui, en tout cas c’est son discours, on peut difficilement passer au-delà d’un certain déterminisme social. Ce dernier se caractérise d’un côté par une pression familiale chez ceux qui sont d’origine aisée et de l’autre par l’absence de soutien patent et la sensation d’être déplacé qui dominent chez les classes populaires. « Les élèves qui vont au dispositif Sciences Po, ils sont peut-être défavorisés sur le plan économique, mais après, s’ils vont pas à Sciences Po, je pense qu’il y a beaucoup de chance pour qu’ils fassent des études assez élevées. […] Ils ont une bonne image [de Sciences Po], je connais 3 ou 4 filles qui vont le tenter Sciences Po, elles ont le profil d’élèves studieuses, depuis le collège elles enchaînent les bonnes notes, elles s’accrochent beaucoup à ça mais aussi, parce qu’il y en a beaucoup qui ont une pression familiale, y en a une par exemple dont la mère est médecin, et je sais plus. C’est vraiment, « si je fais pas Sciences Po, ça colle pas du tout avec ce qu’ont fait mes parents ». » Sa tentative d’adhérer au dispositif tient notamment au fait qu’il a été poussé par le professeur référent qui exprimait ainsi sa confiance en ses capacités comme il le dit lui-même : « J’y allais pas souvent, d’ailleurs, ça le décevait à Malrieu, on va dire qu’il croit en moi et d’ailleurs, si j’y suis allé quelques fois, une partie de mon avis, c’est pour ça, bon après ça c’est un peu personnel, mais vu que ma mère, elle est pas au courant, parce qu’elle a arrêté les cours rapidement, elle sait pas comment ça se passe le cursus scolaire, les études supérieures, si j’entrais à Sciences Po ça lui ferait la même chose que si je lui disais que je faisais un BTS. Après mon père, si lui il connaissait, mais je le vois pas souvent. Donc disons que la seule personne qui me motivait avec Sciences Po, c'était mon prof d’éco. Donc en plus ça me faisait plaisir de voir quelqu'un qui avait confiance en moi etc. » Malgré tout, le gain de confiance en soi a été évoqué par plusieurs élèves que ce soit dans les entretiens avec moi ou dans les bilans effectués par les professeurs à la fin de l’année. En effet plusieurs enseignants ont remarqué que l’attitude des élèves participants a évolué au sein de la classe notamment dans la prise de parole pour des élèves d’habitude très discrets. D’autre part dans les entretiens, le fait d’avoir l’attention des autres élèves du groupe et des professeurs de manière simple et déconnectée du rapport scolaire classique rassure et permet le débat. Cet intérêt, au-delà des activités proposées, qui comme on l’a vu n’est pas forcément répercuté par la famille, est important dans la détermination des vœux d’orientation. Sous sa forme IEP-lycées cibles, des trajectoires ont déjà été modifiées comme le montre l’exemple 48 de Vincent qui voulait être compagnon du devoir et est actuellement étudiant à l’IEP et comme l’expliquent les professeurs membres du GRF. C’est en abordant ainsi les éventuels apports du dispositif que l’on se rend vraiment compte de l’importance de mieux en connaître les bénéficiaires. Effectivement, la confiance en soi et les ambitions par exemple sont fortement conditionnées par des caractéristiques personnelles qui tiennent à la famille d’abord et ensuite aux occupations qu’ont les adolescents par eux-mêmes en dehors du cadre du lycée et bien sûr de celui du DISPO. Ces goûts, activités et qualités que nous allons nous attacher à décrire dans les deux chapitres suivants se caractérisent par des aspects qui me semblent assez conformes aux adolescents de cet âge-là et à d’autres qui me paraissent plus inattendus voire dans certains cas exceptionnels. Sans m’attacher uniquement à ces derniers, je cherche à mieux cerner les élèves interrogés en dehors de leur participation au programme tout en sachant qu’elle peut en partie être expliquée par ces éclairages. 49 II. Dans la famille et la société, les élèves trouvent leur place Dans l’ensemble, le rapport à l’école des élèves participants au DISPO est plutôt très positif. En effet, ils soulignent pour la plupart qu’ils aiment l’école, c’était une des questions posées, qu’ils aiment apprendre, même si cela dépend bien sûr des professeurs et des matières enseignées. S’ils sont quelques uns à remarquer que le travail n’est pas toujours récompensé par de bonnes notes, la majorité a plutôt de bons résultats puisque c’était un des critères de sélection du DISPO, et pratique une forme d’instrumentalisme par la sélection des matières dans lesquelles ils s’investissent en fonction de leurs goûts et de leur projet scolaire. Cependant comme on l’a vu en introduction, le rapport à l’école est conditionné par l’ensemble des caractéristiques de l’environnement dans lequel l’élève évolue. Sans s’en tenir ici à l’environnement scolaire, c'est-à-dire aux professeurs, à l’établissement et aux options suivies, il s’agit d’étudier comment l’élève s’inscrit dans un environnement familial conditionné par des caractéristiques socio-économiques et culturelles. Si les théoriciens débattent encore de l’influence réelle de la famille et du milieu culturel dans lequel l’enfant est baigné sur sa trajectoire scolaire, on peut voir dans les entretiens que pour les élèves interrogés cela est bien réel. Ils mobilisent par exemple des modèles ou contre-modèles familiaux pour justifier leurs choix et leurs aspirations (A). Les adolescents interrogés s’inscrivent également dans la société dans son ensemble en dehors des contraintes scolaires, ce qui ne veut pas dire que cela n’influence pas après leur rapport à l’école d’ailleurs. Ils développent des moyens de se rendre utiles à travers des engagements associatifs ou travaillent pour gagner l’argent qu’ils voudraient dépenser pour eux-mêmes notamment dans le cadre de leurs pratiques culturelles comme on le verra plus tard (B). Une partie des interviewés semble trouver sa place facilement et de manière plutôt précoce dans la cité ainsi que dans la famille, grâce à des moyens d’agir ou de réagir propres à chacun. A. Le rôle de la famille dans les rapports à l’école On peut remarquer à travers les témoignages des élèves qui d’ailleurs n’ont pas précisément été interrogés là-dessus donc ne l’ont pas forcément abordé de manière directe dans l’entretien, que la famille joue un rôle primordial et contrasté selon les professions et le niveau d’étude des parents et des frères et sœurs plus âgés. L’adolescent en tant qu’élève notamment doit trouver sa place dans les rapports sa famille à l’école. 50 Les familles des classes populaires que l’on évoquera ici, seront définies à partir des informations dont je dispose c'est-à-dire de leur profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS) : agriculteurs, ouvriers ou employés ainsi que chômage ou sans profession, et d’un indicateur de leur niveau de revenu : enfant boursier du secondaire ou pas. On considérera aussi, s’il est connu, le niveau de diplôme des parents. En effet, il convient d’articuler ces trois facteurs, car deux parents agriculteurs sortis d’école d’ingénieur et dont la ferme tourne bien pourront faire rentrer leur fille dans le DISPO mais celle-ci ne sera pas boursière, ce qui montre qu’il n’est pas question de difficultés financières dans cette famille. On peut voir que la plupart des familles de classes populaires n’aident pas leurs enfants à faire leurs devoirs et à se déterminer dans leur orientation. Cependant cette variable semble très dépendante de la situation de la mère, en effet, si celle-ci a un niveau d’études élevé, ce qui ne l’empêche pas par exemple d’être au chômage ou sans profession, elle aura alors le temps et les capacités d’aider son enfant sur le plan scolaire et de se renseigner pour son futur. Le rôle de la mère, déterminant dans l’éducation des enfants en général, est encore accentué dans les familles monoparentales ou recomposées. Si l’aide n’est pas toujours possible ou garantie, on constate que ces familles s’intéressent malgré tout beaucoup à la scolarité de leurs enfants. Ils essayent de faire au mieux pour les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes et parfois à avoir une profession en accord avec leurs goûts et leur niveau scolaire. 1. Stratégies et projets scolaires Selon la sociologie de l’éducation, pour garantir la réussite des élèves, il faut qu’un projet scolaire soit intégré au projet familial29, ce sont alors les familles des classes moyennes ou supérieures qui sont les mieux armées pour réaliser cette symbiose, cependant les pratiques éducatives s’avèrent influencer plus les carrières scolaires que l’origine sociale de la famille 30. a) Stratégies scolaires et négociation familiale Le plus souvent le rapport à la scolarité de leurs enfants se vit dans les familles populaires sous le mode de la confiance. En effet, selon eux, leurs enfants sont plus qualifiés et plus à même de se gérer par rapport aux exigences scolaires, c'est-à-dire pour faire leurs devoirs et même décider de leur orientation ou au moins de leurs options. Cela s’exprime dans certains cas de manière très clair. Les bons élèves qui ont du caractère et un minimum d’ambition 29 Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème édition, 2007, chap. 8 « Les pratiques éducatives des familles » p. 155 30 C. MONTANDON, « Les relations des parents avec l’école », Lien social et politique-RIAC, n°35, 1996 51 imposent carrément leurs choix aux parents comme le montre le témoignage de Pierre, élève de seconde à Lavaur et fils d’ouvrier, qui explique ici la réaction de ses parents à son projet de participer au DISPO : « Ils étaient d’accord avec moi, ils me laissent en fait lorsque je prends une décision, ils savent que ce sera à moi de gérer l’entière responsabilité, par exemple, si j’ai des contraintes, ce sera à moi de les résoudre. Ben par exemple si je devais être pris d’un surplus de travail ça aurait été à moi à résoudre ce surplus, à trouver les solutions adéquates. MD : ils vous font confiance en fait. Ils vous soutiennent dans ce projet ou pas spécialement ? Non, non, ça a été je faisais le projet, ce sont mes affaires et donc j’ai… comme par exemple lorsqu’il fallait trouver des idées, c'était à moi de les trouver, je n’allais jamais leur demander des conseils, comme pour moi c'était le projet que je faisais avec la classe, je ne voyais pas spécialement le but d’insérer mes parents dans ce projet. » La famille et l’école sont pour lui des sphères bien séparées. Pierre revendique une autonomie et fait preuve de débrouillardise, en même temps il raconte ce qu’il fait à ses parents et était fier ensuite de leur montrer le produit final du DISPO. Au contraire, on constate qu’il y a plus de négociations dans les familles favorisées entre l’adolescent et l’adulte sur le sujet de l’école, sauf que c’est quand même souvent l’adulte qui a le dernier mot : cela peut avoir lieu à propos du choix de la filière du baccalauréat, de l’établissement ou des études supérieures visées. J’ai été confrontée au cas de parents cadres qui voulait que leur fils fasse la filière S afin de pouvoir reprendre l’entreprise familiale. Dans les familles défavorisées, les parents se contentent de donner des conseils ou de désapprouver des décisions prises par les enfants en fonction de leurs aspirations mais ce ne sont pas eux qui prennent la décision. Dans le témoignage de Lisa, élève de seconde au lycée de Lavaur on peut voir les contradictions de certains impératifs. Sa mère est cadre, mais ne doit pas gagner beaucoup d’argent étant donné que Lisa est boursière. On voit dans cet extrait qu’elle a interféré dans le choix de l’établissement mais c’est bien sa fille qui a pris la décision : « Ben en fait au début je voulais aller à mon lycée de secteur, puis là où tout le monde va, c’est grand ça a l’air bien, donc je voulais aller là avec une option scientifique, mais ma mère elle voulait pas. Parce que « non c’est trop grand, c’est n’importe quoi, tout le monde fait ce qu’il veut, je veux pas que t’aille là ». Donc du coup, je savais pas mais du tout, où aller, mais 2 mois avant la fin de l’année ! Et puis moi j’aime bien l’art, vu que ma mère elle est prof de musique, elle fait de la peinture, fin je suis un peu baignée dans l’art donc ça m’intéresse assez, puis j’ai une amie qui allait, fin elle fait partie du projet, et elle voulait aller à Lavaur, et moi jamais je m’étais dit d’aller à Lavaur, et elle m’a dit qu’il y avait une option cinéma. Donc je me suis un peu renseignée, j’ai vu un peu sur internet, donc je suis allée à Lavaur et puis j’ai vu « interne » en plus, donc j’y suis allée ! » 52 Lisa, à partir de la contrainte de ne pas aller dans l’établissement de secteur posé par sa mère, par ailleurs peu investie dans les études de sa fille qui jouit d’une grande liberté, contourne la carte scolaire en prenant une option cinéma audiovisuel. Cette option lui plait, mais ne correspond pas à son projet initial, qu’elle gardera, d’aller dans une filière scientifique. Par cette décision, elle devient interne ce qui lui permet apparemment de s’épanouir à la fois en dehors de la famille dans la semaine et en son sein le week-end. Beaucoup d’élèves participants du DISPO font preuve d’une certaine forme de stratégie scolaire qui s’opère notamment à travers la distinction permise par le choix des options et de l’établissement. Comme le montre la sociologie de l’éducation, lorsqu’une décision de ce type est prise dans les familles des classes populaires, il ne s’agit pas en général d’un gain d’avantages et cela résulte de décisions prises par les enfants 31. Pourtant on peut constater que des décisions en faveur d’options distinctives ont été prises par des élèves de milieux défavorisés comme le montre le témoignage de Jiuliana. Elle se retrouve en seconde dans une classe agitée, dans laquelle il n’y a pas une bonne ambiance de travail, et pour elle c’est la première fois car grâce à son option bi-langue, elle avait été dans des classes calmes et studieuses pendant tout le collège : « Ouais, je suis dans une section bi-langue allemand, donc depuis la sixième je fais allemand. Donc ça veut dire que dès la sixième on fait deux langues en fait. Ce qui fait que j’ai toujours eu de bonnes classes. Vu que c’est l’allemand, j’ai suivi tous ces bons élèves jusqu’au collège, jusqu’en troisième. MD : Et là tu fais plus bi-langue ? Si je continue, mais les première langue et deuxième langue sont mélangés. » C'est son instituteur de CM2 qui l’avait lancée sur la piste de cette option, et c’est elle-même qui a choisi la langue allemande car cela existait aussi en espagnol. En se rajoutant des heures dès la sixième et en choisissant une langue qui devient rare et plutôt réputée pour être prisée par les fils de cadres ou d’enseignants, elle s’assure, par un mécanisme de distinction, une place dans des classes privilégiées. Dans l’ensemble les élèves participants au DISPO ont choisi des options spécifiques (différentes ou en plus des sciences économiques et sociales, SES) mais qui n’ont pas toutes les mêmes effets. Le latin est assez peu répandu mais constitue statistiquement un avantage pour les élèves qui le continuent au lycée, tandis que si les options artistiques ne sont pas forcément bien vues dans un projet de valorisation par rapport à d’autres élèves puisqu’elles 31 Voir R. BALLION, La bonne école : évaluation et choix du collège et du lycée, Paris, Hatier, 1991 53 mènent a priori à un bac littéraire, elles utilisent la même manière de travailler que le DISPO et permettent aux élèves soit de s’ouvrir sur des disciplines culturelles soit de mettre en avant sur le plan scolaire des compétences développées pendant leurs loisirs. Enfin la LV3 est souvent la manière la plus directe de choisir un établissement notamment un lycée de centre ville mieux doté en option. La LV3 arabe par exemple se trouve à Tarbes et à Toulouse. Pour corroborer les résultats de plusieurs études sociologiques, lorsque les élèves interrogés de milieux populaires changent d’établissement, c’est pour aller dans des établissements similaires, mais qui pour eux représentent le changement ou la possibilité de suivre une option. Ce n’est pas le cas des enfants de milieux plus favorisés ou des fils de professeurs comme le montre l’exemple de Marie qui passe d’un petit lycée de la campagne au lycée de centre ville de Tarbes grâce à une option LV3 italien tandis que Slimane fils d’ouvrier qui vient au même lycée pour suivre la LV3 arabe aurait été sinon également scolarisé dans un lycée de centre ville à la composition comparable. b) Peu de véritables projets scolaires chez les classes populaires Pourtant ces stratégies scolaires ne s’inscrivent pas toutes dans un projet scolaire. En effet, si la plupart des élèves montrent qu’ils sont motivés par la perspective du bac et par les objectifs progressifs qui émaillent leur parcours scolaire, ils n’ont pas pour autant prévu ce qu’ils allaient faire comme études ou comme métier dans un avenir plus lointain. Comme le montre l’exemple de Carole, élève de seconde au lycée de Gaillac, qui est première de sa classe avec 17 de moyenne et veut toujours faire mieux, dans une forme de compétition avec elle-même pas du tout encadrée par les parents et qui n’a pas pour but d’aller forcément en classe prépa ou dans une grande école : « MD : pourquoi c’est aussi important d’avoir de bonnes notes ? Je sais pas, euh, c’est une satisfaction personnelle avant et puis je trouve ça dommage de pas essayer de donner le meilleur, tant qu’on peut. MD : donc c’est pas forcément en pensant à plus tard. Non, c’est parce que voilà. MD : et pour la chimie t’as pensé à des études ? Non j’ai pas encore pensé ! Ben les profs ils disent toujours qu’il faut aller en prépa, que c’est mieux, que c’est plus encadré, mais comme j’ai eu un peu des échos de l’ambiance là-bas, ça me fait un peu peur, mais bon, je passe mon bac et après je verrai, je vais essayer de pas trop me compliquer la vie encore… Je sais que là-bas on n’a pas forcément les mêmes résultats qu’ici, c’est… Et pour moi ça me casse, j’ai peur de pas supporter en fait. » Les élèves sont peu nombreux à mobiliser l’utilité des savoirs enseignés au lycée dans leurs 54 motivations pour faire des études supérieures ou un métier. Comme ce sont pour la plupart de bons élèves, ils sont capables de valoriser en soi le fait d’apprendre, le savoir. On le verra également dans d’autres pans de leur vie, mais ces élèves sont soit surinvestis sur le plan scolaire comme le montre l’exemple extrême de Carole, soit font preuve d’une curiosité d’esprit et développent des pratiques propres afin de mieux apprendre. Pour les quelques élèves en difficulté, tous des garçons de seconde, qui est la dernière année sans examen, ce qui ressort est le sentiment d’ennui pendant les cours et justement le manque d’objectifs clairs. Ces deux types d’élèves qui s’opposent dans leur rapport à l’école développent cependant le même style de stratégie proche de l’instrumentalisme : ils font le choix de matières payantes selon eux, en adéquation avec leur projet scolaire, par exemple le choix de la filière. Ils font alors mieux leurs devoirs dans ces matières-là, s’assoient plus souvent au premier rang et réduisent leurs bavardages afin d’être en meilleurs termes avec ces professeurs-là. On peut éventuellement avancer ici un autre aspect qui explique le nombre d’élève de la filière ES ou voulant la suivre dans le DISPO. En effet, beaucoup de professeurs référents sont des professeurs d’SES, ce qui s’est fait d’une part par l’intérêt accru de ces enseignants pour Sciences Po, proche de leur matière, et d’autre part par réseau de connaissance, étant donné que le coordinateur pédagogique du DISPO a été le formateur IUFM de nombreux participants au programme. Les élèves peuvent eux avoir eu envie de s’investir dans le programme pour les professeurs responsabilité parfois avec une envie de bien faire dans des travaux qui mobilisent des connaissances requises en SES. Encore une fois, dans l’optique d’un projet scolaire post-bac, les inégalités sociales se font sentir, les enfants de cadres ou de professeurs sont beaucoup mieux informés sur l’orientation et les possibilités qui leurs sont offertes tandis que les élèves des milieux populaires accordent plus d’importance aux conseils des enseignants ou des conseillers d’orientation qui ont plus tendance à être impersonnels et à moins être en adéquation avec leurs aspirations et leurs valeurs. Ceci dit, les familles populaires mobilisent elles aussi les ressources à leur disposition afin de garantir la réussite de leurs enfants, mais parfois cet effort est rendu infructueux par des comportements contradictoires. On peut prendre ici l’exemple de la mère d’Alizée, élève de terminale à Mirepoix, qui encourage sa fille à passer le concours d’entrée à l’IEP si elle travaille bien, mais à la fois rate les inscriptions en dépassant la date limite et lui explique que ce n’est pas un drame si elle n’a pas son bac… : « Ma mère m’a toujours encouragée si je travaillais pas je risquerais pas d’y arriver. Je me dis que de toute façon j’y arriverai pas, mais je veux essayer, ça m’apprend 55 quoi, surtout le concours de l’IEP, je me dis que si je passe le concours de l’IEP, les autres concours me paraîtront plus facile. Ma mère elle m’a encouragée, elle m’a dit, « si tu rentres là-dedans, c’est vraiment ce qui t’irais le mieux, tu pourrais aller n’importe où, c’est vraiment… » […puis plus tard dans l’entretien :] elle me dit, « moi je m’en fous que t’aies pas le bac, de toute façon en plus je resterai toute seule l’année prochaine », tout ça tout ça, mais elle me dit « de toute façon c’est ta vie moi je t’oblige pas à rester, je veux que tu partes d’ici, je sais que Mirepoix t’en as marre ». Ben ouais, j’y suis depuis la 6ème ! » Les familles de milieu modeste qui font tout pour que leurs enfants réussissent ont en général des traits particuliers qui peuvent s’expliquer par une trajectoire sociale et professionnelle originale : certains parents peuvent avoir été contraints d’arrêter leurs études avant l’heure, ou certaines familles développent un réseau de connaissances mobilisable par les enfants qu’il soit associatif, religieux ou professionnel32. Ces éléments vont être pour moi assez difficiles à évaluer étant donné que je n’ai pas réalisé d’entretiens auprès des parents d’élèves, cependant il en reste ce que les enfants disent et qui semble basé sur un calcul coût-bénéfice qui met en balance la teneur et la longueur des études avec les trajectoires professionnelles des parents. 2. La mobilisation de modèles et contre-modèles familiaux Les élèves interrogés ont tendance à beaucoup mobiliser des modèles familiaux qu’ils soient positifs ou négatifs en montrant qu’ils influencent par leur exemple leurs choix ou du moins leurs façons de voir les choses. On sent alors que le projet scolaire est en partie déterminé par un calcul du type coût-bénéfice33. Emerge alors la notion de rentabilité des études qui se mesure par rapport aux exemples que les enfants ont sous les yeux, que ce soit les parents ou des frères et sœurs aînés, à travers la combinaison de deux facteurs : niveau de diplôme et emploi occupé. Par ailleurs, la valeur accordée au diplôme dépend du milieu social dans lequel on se place puisque l’enjeu est d’au moins reproduire les positions parentales et l’on constate que l’existence d’une logique d’intégration sociale qui favorise l’entre-soi interfère également dans le choix des études34. On remarque cependant que ce calcul coûtbénéfice n’est pas le seul déterminant qui pousse les adolescents à se projeter ou pas dans des études supérieures, ils mobilisent également des valeurs, des goûts et des préférences qui prennent souvent racine dans leur expérience familiale. Certains adolescents ont des exemples extrêmes dans leur famille : pour eux on peut être au 32 Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème édition, 2007, chap. 8 « Les pratiques éducatives des familles » p. 155 33 Voir Lexique (en Annexe) 34 M. DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation PUF, 2002 56 chômage depuis longtemps tout en possédant un bac +5 comme leur mère et on peut être cadre sans avoir réussi son bac comme leur père. Leur perception des études en est modifiée comme l’exprime Arthur quand je lui demande ce qu’il veut faire plus tard : « Je pensais fin, si vraiment l’école ça allait pas, je pensais trouver quelque chose à faire et créer une entreprise comme mon père a fait. […] Après je me base toujours sur l’exemple de ma mère même si j’y crois quand même, et de mon père en fait, c'està-dire que ma mère elle a bac +6 et elle est au chômage depuis 6 ans et elle a jamais fait un boulot en lien, elle a fait libraire et animatrice pour les enfants, alors que mon père il a pas le bac, il était en bac pro et il a même pas eu son bac pro, et il a été engagé après pendant un stage, il a continué comme ça, et maintenant voilà, il a une famille qu’il fait vivre et il fait vivre encore même ma mère et nous. » Son analyse n’est pas uniquement liée à l’exemple de ses parents bien sûr, il est en ce moment confronté à une forte baisse de ses résultats scolaires malgré des efforts apparemment peu rentables dans les matières qui lui plaisent. Son discours est donc adéquat et vise à relativiser son échec du moment, ceci dit je pense que pour lui l’horizon professionnel n’est de fait pas vraiment corrélé aux études réalisées. Cela n’est toutefois pas le cas de tout le monde, l’exemple inverse est également avancé par des adolescents qui voient leurs parents travailler dans la même entreprise depuis toujours sans jamais être augmentés, c’est le cas d’Eloïse qui a pris soin d’élaborer précisément son projet d’études supérieures dans le but d’échapper à cette réalité du monde du travail : « Moi ça me dérange pas de faire encore 5 années d’études après, et puis maintenant de toute manière pour avoir un bon emploi tout ça, il faut faire des études, donc autant s’en donner les moyens tout ça, c’est pas, fin quand je vois ma mère qui a pas vraiment de diplômes et qui a travaillé toute sa vie dans la même entreprise sans avoir de primes, sans avoir d’augmentation… je me dis voilà, moi j’ai pas vraiment envie d’être comme ça toute ma vie, de gagner un salaire qui soit… fin voilà, je regarde pas non plus le salaire, mais je veux pas toute ma vie ne pas pouvoir évoluer en fait, de toujours avoir le même emploi du début à la fin sans pouvoir évoluer. Après voilà j’aurais plus de connaissances, plus d’études, puis après voilà, si je veux faire de la pratique… » Eloïse n’a certes pas rencontré de difficultés scolaires, cela lui permet de se projeter plus aisément dans des études supérieures en général, qu’elles soient longues ou courtes. La nature des études envisagées dépendent aussi des contextes familiaux et éventuellement d’autres rencontres effectuées. Comme on l’a dit, les élèves intègrent dans leurs choix la notion d’entre-soi. A être trop ambitieux, ils savent qu’ils risquent de subir une forme de déplacement social 35 en plus du déplacement géographique, nécessaire pour la 35 Voir l’article de P. PASQUALI « Les déplacés de l’ouverture sociale » in Les classes populaires dans l’enseignement supérieur : Politiques, stratégies et inégalités, ACTES de la recherche, n°183, juin 2010 57 plupart des élèves qui veulent entamer des études prestigieuses qui requièrent un déménagement à Toulouse ou dans une autre grande ville. Ce sentiment de ne pas avoir sa place dans ce genre de formations est déjà présent chez beaucoup d’élèves de milieu populaire même s’ils sont bons élèves et ont des exemples de réussite autour d’eux. On peut voir que Samuel, élève de terminale à Carmaux parle de sa rencontre avec un élève de Fermat et souligne le sentiment de légitimité dont fait preuve ce dernier, la certitude qu’il a d’être à sa place à Sciences Po, concours qu’il prépare pour 5000€, tandis que comme on l’a vu, Samuel pense que c’est presque immoral d’avoir de l’ambition en milieu modeste. Sa camarade du DISPO, Emilie peut amener un début d’explication à ce sentiment, en effet pour elle choisir son avenir revient aussi à être en adéquation avec ses valeurs, elle exprime ainsi sa préférence pour le métier d’infirmière comme on l’avait déjà abordé dans le chapitre I : « Parce que voilà, je trouve que ça apporte beaucoup de rapport avec les gens, j’aime le sentiment d’être utile aussi, et c’est assez diversifié aussi, on peut travailler dans plusieurs domaines, ya le libéral, les hôpitaux, fin voilà et… Et puis c’est un peu un tout, et après bon, tout ce qui est commerce et finance, ça me plait pas, tout ce qui est argent ça me plait pas donc euh, et ça m’attire pas tout ce qui touche à l’argent, donc euh infirmière ça me va bien. […] MD : et ça fait longtemps que tu veux être infirmière ? Depuis l’année dernière en fait, ben je savais pas trop, à un moment je voulais faire prof d’histoire géo puis un moment le commerce et puis au bout d’un moment, le commerce ça m’a un peu dégouttée et maintenant infirmière. MD : qu’est-ce qui t’as dégouttée du commerce ? Ben en fait en éco, quand on fait, voilà les stratégies d’entreprise et tout ça, je trouve ça pas très… fin avec l’emploi, tout ce qui se passe dans la société, les licenciements, fin voilà, ça me dégoutte plus qu’autre chose… Le commerce c’est pas pour moi ! » Ce n’est pas l’ambition qui n’est pas morale pour elle, ce sont les métiers auxquels celle-ci peut mener. Il s’agit de savoir ce que l’on veut pour sa vie, le but ultime de tous n’est pas forcément de gagner beaucoup d’argent et d’avoir un statut de cadre. Comme le montre Marie Duru-Bellat 36 , pour expliquer les choix d’études, on peut mobiliser deux registres d’explication : celui de Bourdieu et Passeron37 basé sur la théorie de la reproduction38 et celui de Boudon39, la théorie d’un calcul coût-bénéfice qui prendrait en compte une anticipation précise de l’avenir en fonction des capacités et des caractéristiques sociales de chacun. En effet, l’arbitrage entre le coût en termes financier ou de temps auquel s’ajoute celui du risque 36 Voir M. DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation PUF, 2002, chap. 9, p. 190 P. BOURDIEU et J-C PASSERON, La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Editions de Minuit, 1970 38 Voir Lexique (en Annexe) 39 R. BOUDON, La logique du social, Paris, Hachette, 1979 37 58 d’échec, et les avantages que les élèves peuvent retirer des études, peut intervenir dans le choix entre études longues et études courtes tandis que les préférences et les valeurs supposées issues de la tradition familiale dans un mécanisme de reproduction peuvent intervenir dans le choix de la spécialité. L’inverse peut être vrai aussi : certaines formations sont réservées à quelques uns comme le dit Samuel à propos de son ami de Fermat : « il doute pas, parce qu’il a un sentiment de légitimité à mon avis, il pense que s’il réussit c’est légitime, parce que pour moi c’est un héritier quoi » tandis qu’après les avoir exclues, les élèves peuvent effectuer un choix rationnel entre les filières qui restent. Que ce soit dans l’un ou l’autre des registres de choix, l’origine sociale n’est pas le seul facteur qui joue, la sensation d’éloignement par rapport à certaines positions sera d’autant plus forte que l’on est scolarisé dans un milieu très rural ou qui a une forte identité régionale, comme le montre le discours d’Eloïse, élève de terminale à Mirepoix : « Ben après, comme dit notre prof d’éco, « l’Ariège, vous y tenez » on est vraiment fin… on est des bons ariègeois quoi, on tient à notre département, mais c’est un peu ancré dans notre culture, on peut pas quitter l’Ariège, c’est je sais pas… c’est assez bizarre, c’est comme ça. Après on n’a jamais habité ailleurs alors on peut pas non plus juger, la prof d’éco, elle nous dit tout le temps, « ah la la ces ariègeois, vous quitterez jamais votre pays » notre pays en plus, c’est pas notre pays, mais presque ! MD : ceci dit toi, entre Cannes, Montpellier et Toulouse, tu as déjà prévu de bouger ! Ben oui, mais ceci dit au début, j’appréhendais… franchement je me disais, fin c’est sûr j’avais pas envie de rester en Ariège même, à Toulouse ça va, c’est une heure et demi d’ici, maxi, c’est pas loin, je peux revenir voir ma famille tout ça. Je sais pas comment exprimer… c’est comme mes frères, c’est difficile de les quitter pour moi. Mais à des moments faut faire des choix, si on reste ici, y a pas vraiment d’avenir, je vais pas travailler dans la supérette du coin toute ma vie. » Ce besoin d’en partir pour réussir est mis en balance avec la famille à laquelle on est très attaché et que l’on doit momentanément quitter. L’arbitrage réalisé à un moment donné n’est pas forcément définitif comme le montre le témoignage de Vincent, en première année à l’IEP, qui fait donc des études longues et sélectives à Toulouse, travaille l’été pour pouvoir se payer l’année de mobilité à l’étranger, mais a pour projet de revenir faire sa vie à Carmaux. L’espace géographique est également à considérer de près, notamment à travers l’offre locale souvent prisée car peu risquée et ne demandant pas de couper les liens avec son milieu d’origine si rapidement. La moitié des élèves interrogés ont des frères et sœurs aînés qui peuvent aussi alors jouer un rôle de modèle à suivre ou à fuir d’autant plus que leur expérience des études ou de 59 l’entrée sur le marché du travail est beaucoup plus récente et qu’elle peut être plus proche et plus crédible pour les adolescents que celle de leurs parents. La fonction souvent mise en avant d’aide au devoir n’a ici pas lieu d’être. En effet, au niveau du lycée, les élèves ne sont pas forcément scolarisés dans les mêmes filières que leurs aînés et en plus, surtout dans les milieux ruraux, les frères et sœurs ont dû partir s’ils ont fait des études et ne rentrent souvent que le week-end. On constate que s’ils font des études, cela apporte en général aux interviewés une meilleure connaissance de l’offre d’études supérieures à disposition, ainsi que la possibilité d’accéder plus souvent à l’une des villes aux alentours du domicile ce qui n’est pas forcément le cas autrement. L’université a pu également être visitée à travers les frères et sœurs, et certains y décèle déjà le défaut qui selon eux réside dans le besoin de faire preuve d’autonomie pour pouvoir s’en sortir. Quant aux résultats, certains ont sous leurs yeux des exemples de réussite, c’est surtout le cas des études courtes type BTS, DUT ou enfin concours d’infirmière, quelques uns sont même déjà indépendants. Dans le cas de Khadîdja, élève de seconde à Monteils, sa grande sœur constitue un véritable modèle, à la fois de réussite scolaire, d’indépendance (elle doit combiner plusieurs petits boulots pour payer son appartement à Toulouse) et de liberté par rapport au carcan familial, elle veut travailler dans la haute couture et c’est sa sœur qui la renseigne sur les études à suivre : « J’aimerais bien faire styliste. Mais le problème c’est que ça n’a aucun rapport avec ES. Et enfin, je sais pas trop. Ma sœur elle fait déjà ça en plus. […] elle fait communication, donc là normalement elle va avoir son DUT, c’est sa deuxième année et donc après elle va être dans une école à Toulouse spécialisée dans la mode. Je sais pas comment ça s’appelle. » D’autres voient leurs aînés passer d’une filière universitaire à l’autre, changeant de projet régulièrement mais incapables de concrétiser leur avenir. Enfin il y a quelques exemples de frères ainés n’ayant pas fait d’études après le bac et qui enchaînent des périodes de chômage et de petits boulots, ce qui renforce en général le discours sur la nécessité de faire des études post-bac afin de mieux correspondre aux attentes du marché du travail comme le montre l’entretien d’Eloïse : « J’ai un frère de presque 30 ans, euh… qui travaille. Il a plusieurs emplois, il alterne, il change d’emploi presque tous les 2 ans donc bon… (rire). Bon là il est au chômage et après il va retrouver un emploi comme d’habitude. Donc lui il a fait une terminale économique et sociale aussi, et il a arrêté juste après le bac, donc c’est pour ça qu’il a pas vraiment de diplôme. […] le bac, c’est… ça amène pratiquement à rien, avec fin… l’inflation des diplômes et tout, avec le bac maintenant pour travailler c’est pas facile, après y a les bacs pro et tout ça à la limite » A travers la mobilisation de ces modèles et bien sûr le développement de stratégies scolaires 60 spécifiques, les adolescents interrogés trouvent leur place dans la famille notamment en tant qu’élève. Celle-ci influence beaucoup leurs choix et leurs aspirations ce qui est comme on l’a vu le résultat à la fois d’un calcul des bénéfices à tirer et d’une transmission de valeurs. Même s’ils sont beaucoup définis par leur statut d’élèves, les adolescents doivent se construire, en sus de la famille et de l’école, un rôle dans la société qui prend ici des formes diverses. B. Des élèves impliqués dans la société J’ai été surprise de constater que certains élèves sont particulièrement ouverts voire engagés dans différentes sphères de la société en dehors de la famille. Ce n’est pas particulièrement une caractéristique propre de l’âge des interviewés, encore moins si ceux-ci ont grandi dans un milieu populaire et/ou rural. On peut donc souligner cet aspect de leur personnalité comme une particularité propre à environ la moitié des participants du DISPO qui ont répondu à un entretien. Il s’agit alors de montrer de quelle manière ils deviennent partie prenante de la société et en quoi cela les rend potentiellement plus aptes à s’intéresser au DISPO et à profiter de cette opportunité qui leur est offerte de s’engager encore d’une autre manière dans un projet. Par une implication dans la société, j’entends considérer à la fois des activités rémunérées qui peuvent éventuellement s’inscrire dans un projet professionnel et des activités bénévoles de tout type qui rendent les élèves actifs et volontaires. J’y inclus aussi l’engagement au sein du lycée, notamment à travers l’occupation de fonctions représentatives. 1. Exercer une activité professionnelle Malgré la présence de beaucoup d’élèves de classe de seconde dans l’échantillon des interviewés, 12 des adolescents interrogés ont exercé ou exercent une activité professionnelle rémunérée l’été pour se faire un peu d’argent. Il convient de préciser qu’aucun des lycéens ne m’a déclaré travailler au cours de l’année scolaire. De plus, les besoins financiers à couvrir semblent relever plus de la prise d’autonomie des élèves que de grandes difficultés matérielles dans les familles 40 . Il est important de souligner qu’à la question « Qu’est-ce que tu fais pendant les vacances ? » très peu d’élèves m’ont répondu qu’ils travaillaient et qu’en plus lorsque j’insistais en disant « Est-ce que tu travailles l’été ? » la plupart des élèves ont d’abord réagi en pensant que je parlais de travail scolaire et de devoirs de vacances, avant de 40 Voir Exclusion et pauvreté en milieu scolaire, les rapports de l’Inspection Générale de l’Education Nationale (IGEN), Hachette, 1997 61 me raconter leurs « petits boulots ». C’est sûrement ma position d’étudiante qui les interroge sur le DISPO qui a eu cet effet, cependant cela montre au moins qu’ils distinguent bien leur métier d’élève et leurs jobs d’été. Ces activités et la manière dont elles sont exercées sont très variables en fonction de la classe sociale des parents, de l’âge, du sexe, et de l’objet des dépenses. En effet, comme cela a pu être constaté dans le cas des emplois étudiants, on remarque une forte différenciation sociale par rapport aux jobs d’été. Les fils et filles de cadres ne travaillent pas pour la plupart ou alors de manière très ponctuelle, comme par exemple vendre les fruits et légumes sur le marché le samedi matin ou effectuer un baby-sitting par mois chez des voisins. Ils partent d’ailleurs plus souvent en vacances, ce qui leur laisse moins de temps pour travailler même si cela ne représente pas pour autant l’ensemble des deux mois d’été. Les enfants de milieux populaires sont plus nombreux à travailler et non seulement plus souvent (de deux jours par semaine au temps plein) mais aussi parfois plus longtemps (un mois tous les étés). Ils effectuent pour certains des activités manuelles en milieu rural, aide à la ferme, cantonnier ou des activités physiques en milieu urbain comme employé libre service. D’autres sont dans la restauration ou le tourisme : si c’est en ville ils font le service ou des kebabs tandis qu’à la campagne, c’est plutôt le ménage dans des gites ou la caisse du complexe touristique Cap Découverte. Cependant l’activité rémunérée qui a le plus été réalisée par les élèves interrogés consiste à castrer le maïs. En effet, c’est l’un des emplois les plus faciles à trouver et qui ne nécessite pas de s’y prendre à l’avance. Accessible aisément en milieu rural, c’est surtout un secteur qui accepte d’embaucher des adolescents de moins de 16 ans. C’est ainsi que les deux élèves de terminale de Mirepoix que j’ai interrogées m’ont dit « faire les maïs » depuis leur 14 ans. Cette activité qui, répétée, permet de gagner de l’argent afin de subvenir aux besoins courants de l’année pour certains, constitue pour d’autres, plutôt de milieux plus favorisés, l’occasion de se payer exceptionnellement un bien spécialement cher comme un appareil photo de marque ou une moto, qui ne pourrait pas faire l’objet d’un cadeau des parents. Certains expliquent quand même qu’ils ont castré le maïs une fois seulement, pour être avec les copains, pour rigoler car même si c’est difficile et très physique, si on y va avec des connaissances, il y a toujours une bonne ambiance. On peut voir que toutes les activités professionnelles rémunérées citées jusqu’ici avaient plutôt pour but de gagner de l’argent, que ce soit chez les classes populaires ou dans 62 les milieux plus aisés. Ces activités peuvent alors être qualifiées de « provisoires » 41. Elles sont déconnectées des aspirations des élèves et sont pratiquées de manière détachée même si c’est tous les étés. Cette première approche du monde du travail n’est pas vécue comme une aide pour un projet professionnel futur, même si elle permet évidemment d’acquérir certains codes du travail, de connaître la nécessité de se tenir à des horaires, à des objectifs préalablement fixés. Parfois difficiles physiquement et souvent peu payés, ces jobs d’été peuvent aussi jouer un rôle dans la volonté de faire autre chose de sa vie et donc d’investir de manière plus volontaire le domaine des études. Cependant comme on le voit dans le rappel que c’est aussi un moyen d’être avec les copains ou bien, pour Vincent, de renouer avec des travaux manuels qu’il n’a plus l’occasion de faire en tant qu’étudiant à Toulouse, travailler l’été est une manière d’aider les parents tout en restant proche de un milieu d’origine dans lequel ils se sentent malgré tout à l’aise. Le témoignage de Vincent montre cependant que cette expérience-là ne suffit pas à remplir un CV. Il faudrait également pour lui mobiliser une manière d’anticiper sur les études qu’il fait afin de faciliter ensuite son orientation : « Euh alors cet été, euh, bon le mois de juin je suis en stage, je fais un stage à la Dépêche, parce que sinon, à part ça, j’ai pas vraiment d’expérience… Je veux dire, je travaille tout ça, mais travailler à la ferme c’est pas… et le mois de juillet en fait, le matin je serai cantonnier, donc euh, le cantonnier il fait plein de choses, il est au ramassage des déchets, ça commence à 4h et ça finit à midi et après de 1h30 à 7h je suis serveur, donc en fait j’ai 2 travails. MD : ben dis donc, ça va être un peu fatigant ce mois-ci ! C’est juillet août mais je travaille pas les week-ends, et puis c’est pas pour la vie, on voit le bout du tunnel, je ferai pas ça pendant 30 ans… » Certains trouvent le moyen d’exercer une activité dite d’anticipation, c'est-à-dire qu’ils trouvent un emploi rémunérateur cohérent avec leurs aspirations ou la filière dans laquelle ils sont ou veulent aller. Cela peut se faire dans un sens et dans l’autre : certains cherchent un emploi qui aide ou sert dans les études ou le projet d’avenir, d’autre découvrent grâce à un emploi exercé un domaine de métier qui les intéresse. C’est le cas par exemple d’Alice qui se frotte d’abord à la vente par un petit boulot et veut désormais en faire son métier en passant si possible par une école de commerce : « Fin j’ai un petit boulot que je fais le plus souvent l’été, mais aussi toute l’année, je vends des produits de beauté à domicile et ça me plait énormément de d’avoir le contact avec le client et tout ça, du coup voilà. 41 Voir la typologie du travail étudiant entre provisoire, anticipation et éternisation : V. PINTO, « L’emploi étudiant et les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur » in Les classes populaires dans l’enseignement supérieur : Politiques, stratégies et inégalités, ACTES de la recherche en sciences sociales, n°183, juin 2010 63 MD : et ça marche bien ? Ben en fait ça fait un an que j’y travaille, un peu plus d’un an, et une fois que… déjà je suis une employée à part entière, malgré que tu travailles pas à plein temps et euh c’est le boulot de rêve, je me fais mes horaires en fait, je décide quand je travaille et ma paye c’est 20% de mon chiffre d’affaire. Euh donc les clientes je me les trouve, faut aller au contact des gens et je peux démissionner sans préavis, au bout de 9 mois je sors de leurs fichiers et je trouve ça génial quoi. […] J’ai bossé dans ça cet été et quand j’ai découvert qu’il y avait une prépa spéciale pour les bacs technologiques qui ouvrait les portes de l’école de commerce alors là j’ai dit « bingo ! c’est là que je vais ! ». Surtout que le principe de l’école de commerce ça me plait vachement. » Samuel, lui, s’est vu proposer suite à des rencontres de faire de temps en temps la couverture du Tarn libre, journal local, à Carmaux comme il a par exemple eu l’occasion de le faire dans le cadre de la campagne pour les élections régionales. Il a notamment apprécié le contact avec les gens et l’ouverture d’esprit que cela lui apportait. Dans un registre différent, on peut également mobiliser l’exemple de Slimane qui avait le projet de devenir éducateur sportif avant de reculer devant la longueur des études et les avertissements assortis à l’orientation en Staps. Très investi dans son club de basket, il est à la fois entraîneur la semaine (activité bénévole) et arbitre le week-end pendant les matches du championnat départemental (activité rémunérée). Cependant au-delà de cette expérience qui fait quasiment partie de ses loisirs, lorsqu’il veut gagner de l’argent, il travaille 3 semaines l’été dans le kebab tenu par un ami de son père, ou bien quand il retourne en Tunisie, il y vend des vêtements de marques achetés à bas prix et en quantité en France, ce qui se révèle apparemment très lucratif. En comparant l’emploi occupé l’été et le rapport entretenu avec les études, on peut déceler différents modes d’articulation. Un emploi « provisoire », comme le montre le témoignage de Vincent, est vécu sur le mode de la dissociation, ce n’est pas ce qu’on fera dans les trente prochaines années. A contrario, un emploi d’anticipation sera pris comme un ajustement, une première expérience. Comme tous les élèves n’ont pas la possibilité d’anticiper à travers un emploi rémunéré les connaissances et les expériences dont ils pourront avoir besoin plus tard, ils investissent aussi le système des stages professionnels. Certains ont ainsi été marqués par leur stage de troisième d’une semaine qu’ils n’ont d’ailleurs pas forcément pu réaliser dans la structure visée, tandis que d’autres inscrivent déjà leur stage dans un projet professionnel ferme et ambitieux comme Irène qui a fait son stage dans un cabinet d’avocat à Toulouse alors qu’elle résidait à l’époque encore en Ariège. Pour Pierre, le rôle du stage est pour l’instant déterminant dans ses aspirations, ce qui ne veut pas dire que 64 cela n’évoluera pas. Après m’avoir expliqué qu’il veut travailler dans la police scientifique, il m’explique pourquoi : « Oui c’est vrai, j’ai fait un stage dans la police, et c'était assez euh… j’ai trouvé vraiment que c'était un très bon stage, et qu’en plus, il y avait beaucoup plus de travail que ça en avait l’air, car moi au début je croyais qu’ils faisaient les interventions, s’occupent des problèmes mais quand je vois tout ce qu’il faut faire par derrière, les dossiers, les récapitulatifs, les compte rendus, les rapports, c'était… MD : c'était votre stage de 3ème ? Qu’est-ce qui vous avait poussé à le faire dans la police ? En fait ça a été plutôt par défaut que j’ai du le faire, car euh, au début, je voulais faire un stage avec un magicien, mais il y en avait aucun qui était disponible, je voulais le faire ensuite avec la gendarmerie, mais je m’y suis pris un peu trop tard, donc je suis allé dans la police de Graulhet, ils m’ont accepté et je me suis aperçu que c'était vraiment bien comme stage. » Je n’ai pas insisté ensuite sur le projet du magicien, et par certains côté l’idée que l’on peut se faire de la police scientifique peut être un moyen de rapprocher ces deux métiers si opposés, cependant on voit bien ici l’importance du concret, de l’expérience, voir vraiment comment ça se passe permet alors de se projeter. C’est encore autre chose qui me semble motiver les deux étudiants de l’IEP interrogés qui sont des anciens élèves du DISPO. Entrés à l’IEP, ils se comportent comme s’ils avaient encore quelque chose à prouver, ou qu’ils devaient vraiment faire le maximum pour être à la hauteur. Tous les deux se sont trouvé un stage cet été, à la fin de leur première année, dans l’optique de « gonfler le CV » afin de trouver plus facilement un stage par la suite pour l’année de mobilité ! Ce manque de confiance en soi est propre aux étudiants de milieux modestes qui ont par ailleurs aussi prévu d’exercer une activité rémunérée. On peut voir que les stages en questions ne correspondent pas pour autant à des projets professionnels très définis mais plus à des opportunités que les étudiants ont suscitées comme l’explique Fatima : « Et après je fais un stage en communication, en juin. C’est dans une association, tu connais happy people et tout ça ? C’est ceux qui organisent Cafés du monde, ben en fait, c’est un regroupement d’associations et c’est pour faire des sites événementiels, oui parce que je me suis dit qu’il fallait commencer (rire) à remplir son CV. MD : ah bon déjà ? En fait on m’a inquiétée en me disant que j’ai jamais rien fait et que pour la mobilité, j’aurai rien et alors j’ai commencé à avoir peur et j’ai cherché. En fait c'était un bénévole avec moi au cinéma d’Amérique Latine et il parlait des stages et je lui ai dit ah mais je suis intéressée et du coup, j’ai eu un entretien ! » Même si ce n’est le cas que de la moitié des élèves participants au DISPO interrogés, on remarque qu’ils sont nombreux à travailler pour gagner un peu d’argent et quelques uns à déjà mobiliser leur activité dans un projet plus global. Ils sont peu nombreux à travailler 65 systématiquement tous les étés. Parmi ceux qui ne gagnent pas encore eux-mêmes d’argent, beaucoup trouvent que c’est trop tôt pour en parler et sont étonnés par ma question en m’expliquant qu’ils ont le temps de songer à cela. Certains avancent également la barrière de l’âge qui rend plus difficile de trouver un travail sans connaître des gens, on a pourtant vu que cela n’avait pas arrêté tous les adolescents. En tout cas exercer une activité professionnelle n’est pas le seul moyen, loin s’en faut, qu’ont trouvé les interviewés pour s’impliquer dans la société. 2. Différentes formes d’engagement En effet, dans une logique proche de celle du cumul, ces élèves qui exercent déjà une activité professionnelle, rémunérée ou pas, sont aussi engagés dans d’autres champs de la société où l’on n’attend pas toujours les jeunes. Que ce soit à travers le lycée, dans des associations, ou par le biais de certaines pratiques culturelles très poussées, les élèves s’impliquent dans la société et en deviennent partie prenante. Ils prennent des responsabilités, apprécient le fait d’agir et de ne pas se constituer uniquement en spectateur, même si c’est de manière critique. Sauf exception, cette logique du cumul joue plutôt par rapport au fait d’exercer aussi une ou plusieurs activités professionnelles, les élèves interrogés choisissent ensuite une forme d’engagement plutôt qu’une autre. Il semble intéressant de se demander si c’est parce que ces élèves s’investissent plus en général que les élèves lambda, qu’ils se sont plus facilement intéressés au DISPO et y ont participé, ou bien si un certain biais a joué dans le choix des élèves à interroger. On peut par exemple supposer que si un élève a l’habitude de représenter les autres, il sera plus probablement choisi par le professeur pour exercer cette même fonction auprès de moi. Cependant comme on va le voir, les formes d’engagement ici présentées sont très diverses et il est peu probable que les professeurs en aie toujours connaissance. D’autre part, comme cela a été dit, le DISPO représente pour certains le projet dans lequel ils se sont investis cette année. Certains s’investissent dans le lycée dans le cadre de fonctions représentatives ou dans des activités ou concours proposés par le lycée. Si les clubs du lycée n’ont que peu été cités et ne semblent pas très prisés par les élèves interrogés, j’ai pu constater que certains élèves ne viennent pas au lycée passivement. Soit parce qu’ils l’ont souhaité, ou que ça leur est tombé dessus, leur participation à la vie du lycée leur tient à cœur. Samuel, élève de terminale à Carmaux, est ainsi vice-président du Conseil académique de vie lycéenne tandis qu’Alice, élève de première à Tarbes, a été élue vice-présidente du foyer socio-éducatif de son lycée 66 dans lequel elle était venue proposer son projet de faire un book. Ce sont à mon avis deux exemples très différents. Si Samuel est un habitué de l’engagement qui s’investit afin de mieux connaître le système pour être à même de changer les choses, la fonction représentative est tombée sur Alice, déjà déléguée de classe, sans qu’elle l’ait sollicitée. Je crois que pour elle la démarche de s’investir est à la fois naturelle et peu réfléchie, elle prend les choses comme elles viennent puisqu’elles viennent à elle, comme dans le cas du DISPO. Ensuite loin d’être passive, elle prend son rôle à cœur et en tire le maximum. « MD : et c’est quoi être vice-présidente du foyer socio-éducatif ? Honnêtement ya pas de différence entre être un membre et être un… Fin c’est, donc la première réunion de l’année, on avait un projet à présenter avec ma classe, dans le cadre du cours de management, on avait euh j’avais lancé l’idée qu’on pourrait faire un book du lycée, […] le foyer finançait le book et nous on le revendait moins cher, mais ce que les profs veulent nous inculquer, c’est la notion de gagner de l’argent, de mener un projet, de le vendre et d’en récolter les fruits, et on voulait faire une sortie bowling ou une après-midi à la mer avec la classe. Et donc vers le début de l’année, mon prof de maths me dit bon ben écoute, viens au foyer, moi je suis trésorier et vient proposer ton projet, donc c'était la première réunion de l’année et tous les ans ils réélisent les membres et on était 2 à présenter ce projet euh les 2 délégués de classe, et dans le bureau du foyer il faut absolument des élèves et mon prof il a dit oui ben Mathilde elle va faire la vice-présidente, donc moi « bon ben oui, mais qu’est-ce que c’est ? » et on m’a dit mais non, faut rien faire, et le second délégué a fini trésorier adjoint. Donc on assiste aux réunions, on voit les projets on les vote, on serait pas là ça serait pareil, mais c’est une manière de s’inscrire, fin voilà, c’est une association, c’est sympa. » L’investissement dans le lycée peut passer par d’autres biais : certains professeurs et lycées proposent d’autres activités telles que la préparation et la participation à des concours d’éloquence ou devenir jury de concours pour choisir le meilleur roman parmi ceux proposés. Zoé, élève de seconde à Villefranche de Rouergue est par exemple très volontaire et présente pour ce type d’activités. On peut cependant souligner que ce sont des engagements différents des fonctions représentatives étant donné qu’ils sont plus proches du travail scolaire et par conséquent plus valorisés par les enseignants qui y voient souvent une preuve de plus des qualités scolaires et de la curiosité de l’élève. Plus tard, arrivés dans l’enseignement supérieur, cette soif d’agir peut se reporter sur les associations universitaires comme c’est le cas de Fatima en première année à l’IEP qui a apparemment donné beaucoup de son temps à So-Acte et Sciences Po Madagascar. On peut d’ailleurs préciser qu’elle ne s’en tient pas là et multiplie les bénévolats dans des festivals culturels tels que cinéma d’Amérique Latine ou les concerts des Airs Solidaires. L’investissement dont font preuve certains élèves est d’après moi une véritable preuve d’ouverture, que cela ait lieu dans le lycée, c'est-à-dire dans l’univers des 67 élèves, ou en dehors. Quand il a lieu en dehors du cadre scolaire, l’engagement prend en effet des formes très diverses : entre associations de quartier, comité des fêtes, premiers pas dans un parti politique, compétition sportive soutenue ou participation à la formation de pompier volontaire ! Lorsqu’une activité de loisir devient très prenante ou amène l’élève en dehors de chez lui à faire des rencontres, comme par exemple la pratique d’un sport en compétition ou avoir un groupe de musique qui fait des concerts, j’ai souhaité l’intégrer à la notion d’engagement. Le cas des compétitions sportives semble être un peu limite. En effet, il représente un engagement important de la part de l’élève interrogé, comme le montrent Anna, la cavalière et Anne la joueuse de golf, mais l’on peut discuter de son impact sur la société. Cependant dans certains cas, le sport en question occupe toute la place dans une forme de dépassement de soi frôlant la passion. De même la pratique de la musique en soi n’est pas un engagement sauf que l’on devient acteur dans la cité lorsque le groupe de musique répète dans une salle de concert reconnue et tourne régulièrement. L’activité de loisir pratiquée ainsi de manière intensive est en tout cas un des principaux accès à de nouvelles rencontres propres aux adolescents, c'est-à-dire en dehors des cadres familiaux et scolaires. Même s’il est évidemment un cas particulier et d’ailleurs le seul des élèves interrogés à militer dans un parti politique, Arthur a commencé à participer aux meetings et débats du parti grâce aux rencontres effectuées dans le cadre des répétitions de son groupe de musique dans une importante salle de concert à Tarbes. Alors qu’il s’intéressait déjà de très près à l’actualité, en lisant notamment beaucoup de journaux au CDI, et participait occasionnellement à des manifestations de lycéens, il est devenu militant pendant les dernières élections régionales. C’est un élève qui a à la fois de grandes difficultés scolaires et des problèmes dans sa famille. Passionné de musique, il n’en reste pas moins attentif au monde autour de lui avec une puissante envie de le changer : « La politique quand même ça prend de la place. Depuis 2 ans, je m’y intéresse et depuis 1 an j’ai un peu milité, mais c’était pas grand, c’était les manifs, enfin c’est pas grand-chose, mais ces temps-ci je m’intéresse plus à un parti, et pendant les élections régionales j’étais à leurs côtés, et euh, et pour une fois j’ai envie de rentrer à la fédération de ce parti. […] Alors avant au sein du lycée on avait fait une coordination, donc on faisait des réunions où on exposait donc nos problèmes pourquoi on voulait ça etc. les plans quoi, après pour le Front de gauche j’ai fait des débats, mais j’ai pas encore fait des réunions. Après je parle beaucoup avec les gens qui représentent le parti à Tarbes. Plutôt grâce à l’Agespe, parce que le directeur de l’Agespe est aussi au Front de gauche. Donc il nous fait un peu nous y intéresser donc on s’y intéresse, moi du coup, on rencontre des gens, on va a des meetings. […] Oui, 68 ben c’est comme une famille, fin euh, bon Tarbes ya pas beaucoup de monde » S’il est le seul militant parmi les interrogés, alors que plusieurs s’intéressent à la politique et à l’actualité, ce n’est pas le seul à mentionner l’ambiance familiale que créé un important investissement, comme une des raisons qui le motivent. En effet, c’est ce que pense Mathieu qui suit la formation42 pour devenir pompier volontaire depuis 4 ans à raison de 8h d’entrainement tous les samedis. Il n’a apparemment pas envisagé cela comme un futur métier dans une logique qui se rapprocherait de celle de l’anticipation, mais apprécie l’ambiance, les activités sportives proposées. Il est effectivement depuis 4 ans avec les mêmes personnes suivant la même formation qui aboutit à l’obtention d’un brevet. Il exerce par ailleurs d’autres loisirs, surtout la musique et le basket, et travaille dans une maison de retraite l’été pour se faire de l’argent. Il n’a donc pas l’air d’avoir beaucoup de moments d’oisiveté comme c’est souvent le cas d’adolescents de cet âge-là et pour quelqu’un de jeune qui habite en milieu rural, il est particulièrement actif la plupart du temps en dehors de la maison familiale. « J’ai un groupe donc le dimanche par exemple on répète, ensuite, je suis jeune sapeur pompier, c'est-à-dire que je fais une formation destinée aux jeunes depuis 4 ans pour être sapeur pompier, donc le samedi matin, j’ai cours de sport, d’ailleurs, je passe le brevet ben là à la fin de cette année. […] c’est un diplôme qui fait que pendant 5 ans je peux intégrer n’importe quelle caserne, euh dans n’importe quelle ville, donc il y a de la place, sans avoir à passer quoique ce soit comme formation[…] MD : et qu’est-ce qui t’attire dans cette activité ? Ben je sais pas, j’ai toujours aimé ça, je sais pas pourquoi. MD : parce que c’est beaucoup d’investissement ! Ben oui c’est à 8h tous les samedis, mais je sais pas, j’aime bien et puis je sais pas, on est 18 depuis 4 ans, donc il y a un climat de… pas de famille, mais presque quoi ! Donc ça donne envie de rester. » D’autres élèves, également dans des milieux ruraux, s’investissent dans des associations. Contrairement à ce qui est généralement montré par différentes études43, ce sont ici dans les villes de campagne, voire pour certains dans la campagne que les jeunes s’engagent dans des associations. Dans leurs discours ressort justement la volonté de faire vivre des petits villages vieillissants à travers notamment la création d’un comité des fêtes afin de perpétuer la 42 La formation pour devenir pompier volontaire se déroule sur 250 heures et comprend une formation au secourisme, à la lutte contre les incendies, et des éléments divers tel que la sécurité des biens et des personnes, l’organisation des secours, les devoirs du sapeur pompier. C’est un engagement pour 5 ans tacitement reconduit, la première année est probatoire, elle permet de vérifier que l’individu correspond aux critères requis. 43 Voir Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème édition, 2007, chap. 4, p.79. 69 tradition des fêtes de village avec une soirée disco pour les jeunes et une soirée musette pour les plus âgés, tandis que d’autres s’impliquent dans les associations de quartiers. L’importance du territoire d’action est ici clairement soulignée, il faut dynamiser et s’approprier l’endroit où l’on vit avant de décréter que rien n’est fait pour les jeunes. C'était aussi l’objet de certaines des communications du colloque des premières sur le thème « jeunesse et territoire » : les jeunes se plaignent mais ne font rien pour faire avancer les choses. D’ailleurs, d’autres formes d’engagements ne sont pas non plus formalisées par une association ou une rémunération monétaire, mais s’inscrivent également dans un quartier et dans des relations d’aide comme c’est le cas de la situation de « professeur indépendant » de Pierre qui parce qu’il a des facilités sur le plan scolaire, donne des cours particuliers aux enfants des voisins qui viennent le lui réclamer. Les motivations de l’engagement si elles ne sont pas clairement exprimées dans tous les entretiens semblent diverses, cela va du constat pragmatique d’un besoin comme dans le cadre d’un comité des fêtes ou du Téléthon, à l’envie peut-être encore floue de faire changer les choses ou d’apporter sa petite pierre à la société, chacun à sa manière. Il convient de rappeler que cet investissement qu’il soit sur le plan professionnel, financier, ou dans le cadre scolaire n’est pas le fait de tous les élèves, cela ne concerne que la moitié de ceux qui ont été interrogés et comme on l’a vu une logique de cumul semble jouer car ce sont souvent les mêmes élèves qui exercent une activité rémunérée et s’investissent également bénévolement à côté. On l’a vu ce comportement qui se caractérise par la combinaison de l’implication et de la curiosité s’exprime également dans certaines pratiques culturelles des élèves. Afin de mieux connaître ces derniers et pour arriver à l’aspect le plus personnel qui a été évoqué en entretien, il convient alors d’analyser leurs pratiques culturelles au sens large. 70 III. Des adolescents curieux et ouverts D’après les différentes études sur les pratiques culturelles des français d’Olivier Donnat 44 pour le ministère de la Culture, on constate une certaine homogénéité des pratiques culturelles des adolescents de toutes origines. Il y a un effet générationnel de certains loisirs qui ne sont prisés que par les adolescents, comme le rap par exemple, tandis que l’on peut désigner des lieux, des objets et des pratiques propres à une classe d’âge. Il faut souligner que la réduction des inégalités devant la culture 45 est permise par la similitude des conditions de vie des adolescents46 qui sont pour la plupart scolarisés, et ont donc pas mal de temps libre. Leur mode de vie se caractérise ensuite par une importante socialisation et le fait qu’ils ont peu d’argent, même si la plupart de leurs ressources est consacrée à la culture au sens large. Dans leur rapport à la culture on note un rejet généralisé des pratiques plus classiques qui sont la chasse gardée des classes dominantes et se caractérisent par leur rareté et leur difficulté d’accès, et par un attrait pour les pratiques dites modernes, notamment articulées autour des deux écrans : télévision et ordinateur. Pierre Bruno explique que la culture adolescente se vit plutôt sous le signe de la frustration étant donné que certaines pratiques sont plus aimées que pratiquées comme par exemple les sorties culturelles ou entre amis car les jeunes se heurtent à des difficultés d’accès géographiques, financières et sociales, comme on le voit très bien dans le cas des élèves interrogés du DISPO. D’après Olivier Donnat, on constate de manière générale, une baisse d’intérêt des jeunes pour la radio et la télévision, ils lisent moins de quotidiens et de livres et fréquentent moins les établissements culturels tels que les cinémas, les bibliothèques, les musées et les concerts classiques en revanche on note une augmentation du goût pour les films et la musique anglo-saxonne. Par rapport aux jeunes des années 80, les 15-24 ans d’aujourd'hui sont plus nombreux à écouter tous les jours de la musique, et ils s’emparent des nouvelles technologies comme les jeux vidéo ou internet pour lequel il convient de bien montrer les diversités d’usage. Il est également important de voir que le temps passé devant les écrans est le même quelque soit l’origine sociale sauf que, même si cela est moins marqué chez les plus jeunes, la répartition du temps entre la télévision et l’ordinateur est marquée socialement, les classes populaires regardant plus la télé. 44 O. DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique, Enquête 2008, La Découverte, Ministère de la culture et de la communication, 2009 45 Voir Lexique (en Annexe) 46 P. BRUNO, Existe-t-il une culture adolescente ?, in Press, Paris, 2000 71 J’ai fait ici le choix de présenter d’abord les pratiques culturelles dites personnelles des adolescents, celles-ci sont plutôt pratiquées dans le cadre de la maison familiale et se vivent sous le signe de l’éclectisme. Les adolescents s’intéressent à une grande diversité de supports et à des styles très différents (A). Il convient ensuite d’analyser les pratiques culturelles qui se déroulent en partie à l’extérieur de la maison, et impliquent d’autres sociabilités que celle de la famille et de l’école. Les adolescents interrogés font toujours preuve de curiosité et d’ouverture mais n’ont pas toujours les moyens d’aller au bout de leurs envies (B). A. Des pratiques culturelles personnelles éclectiques Les élèves interrogés ne semblent pour la plupart pas spécialement tournés vers la maison, sauf exception notoire, mais bien ouverts vers l’extérieur. Cependant, beaucoup d’adolescents passent beaucoup de temps, de manière plus ou moins contrainte dans la maison familiale. Ils occupent alors ce temps à faire leurs devoirs, à lire ou écouter de la musique et bien sûr devant les écrans qui leur permettent notamment d’entretenir des liens avec les amis (SMS, e-mail, messagerie instantanée, production de contenu sur internet…etc.). Leur pratiques sont très variées et se partagent entre des activités considérées par eux-mêmes comme légitimes, par exemple valorisées par l’école, et d’autres désignées comme populaires, que ce soit une question de registre ou de nombre d’aficionados. 1. L’exemple de la lecture entre légitimité et utilité La curiosité des élèves s’exprime à la fois dans le cadre scolaire et dans des pratiques culturelles exercées à la maison dans le cadre des loisirs. Cependant ils font bien la différence entre la culture légitime proposée par le lycée et la culture plus populaire plébiscitée lors de leurs pratiques personnelles. Ces deux mondes qui semblent à première vue bien distincts trouvent tout de même de nombreux points de rencontre comme lorsqu’un professeur prête un roman à un élève ou qu’un film américain sensibilise sur un sujet d’histoire contemporaine. a) Légitimité de certaines pratiques par rapport à d’autres dans le discours L’objectif de l’école en France, contrairement à d’autres pays d’ailleurs, est de créer au-delà des différences culturelles, des références communes au risque de sacrifier le sujet au citoyen que l’on entend former. Elle définit des hiérarchies entre les différentes pratiques culturelles et se propose de les inculquer à un public captif, puisqu’on est obligé d’aller à l’école au moins jusqu’à seize ans, en développant des évaluations assorties de sanctions des 72 produits culturels47. Les pratiques légitimes, parce que rares et désirables, que l’école tente d’imposer, s’opposent aux industries culturelles qui produisent une culture populaire de masse et bénéficient d’une autre forme de légitimité, celle du nombre. Il convient de souligner que certains produits culturels peuvent passer d’un pôle de légitimité à l’autre comme le montrent les exemples du jazz ou de la photographie. Cependant comme l’explique Bernard Lahire, l’examen des profils culturels des individus révèle qu’ils alternent en permanence entre registres savants et divertissants. Il montre l’existence de variations intra-individuelles dans les pratiques culturelles qui génèrent des dissonances entre l’appartenance à un groupe social et les pratiques d’un individu48. On peut voir dans le cas des élèves interrogés que ce n’est pas seulement à travers l’école qu’ils développent des pratiques dites légitimes mais que cela peut leur venir d’un membre de leur famille ou de préférences de goût difficiles à expliquer. Chez d’autres élèves, le rejet des pratiques proposées par l’école est très net et se caractérise souvent chez les garçons par l’absence de lecture par exemple. Les activités culturelles que certains élèves pratiquent, ne sont jamais définies par eux en termes de pratique légitime, reconnue ou illégitime. Qu’elles soient considérées comme un loisir, une passion, une activité qu’ils veulent valoriser ou une manière de passer le temps, ce n’est jamais exprimé par rapport à une quelconque valeur posée par la société. Cependant, ce n’est plus le cas des pratiques culturelles personnelles développées dans le cadre de la maison comme utiliser l’ordinateur, écouter de la musique, lire ou regarder un film ou la télévision. Souvent par rapport aux attentes de l’école en général et peut-être même du DISPO, ils mesurent le degré de légitimité de leur occupation sans que cela n’ait d’impact sur leurs goûts et leurs préférences. Pour la plupart, ils ont des pratiques éclectiques qui comprennent des éléments de culture de masse et d’autres de culture dite dominante. En tout cas ils font bien la différence entre les deux, surtout lorsqu’ils s’adressent à moi j’imagine, comme le montre le témoignage d’Alizée, élève de terminale au lycée de Mirepoix : « J’ai lu un manga y a pas longtemps, mais c’est pas trop compté dans les vrais livres. MD : c’est quand même un livre, non ? Oui c’est un livre, mais c’est un livre de divertissement ! C’est pas un livre qui t’apprend à,… comment écrire, comme arriver à un petit peu t’apprendre… Y a une différence entre des séries télé et une histoire du genre American History X ou genre qui peut-être choquent mais après font réfléchir sur une certaine morale. Ou Fight club aussi, je sais pas si vous l’avez vu aussi. 47 48 B. LAHIRE « Culture » in S. MESURE et P. SAVIDAN, Le dictionnaire des sciences humaines, PUF, 2006 B. LAHIRE, La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, Paris, 2004 73 MD : mais tu n’aimes pas les séries ? Si si j’adore les séries, quand même ! Ne penser à rien, me mettre devant la télé, faire le légume toute la journée, j’adore ça, mais après… J’ai ma morale qui me dit oui mais t’as le bac dans 15 jours ! » La critique qu’ils font eux-mêmes à leurs pratiques considérées comme illégitimes repose sur le registre de l’utilité. Cela ne va pas leur servir dans leurs études ou à l’avenir dans un cadre professionnel car ce sont des activités qui soit disant ne font pas réfléchir. Il faut que l’art apporte quelque chose, permette d’apprendre de nouvelles informations. Ce point de vue s’il est partagé par certains, ne joue pas pour ceux qui ont eu l’occasion de prendre un peu de recul et de remarquer que tout peut leur servir par la suite s’ils trouvent le moyen de le mobiliser, comme par exemple regarder les séries en VO pour travailler l’anglais. L’exemple de Paul est parlant, on peut voir qu’il dit avoir fait son éducation à travers des films américains engagés et la musique rap. Pour lui c’est important que l’art permette d’apprendre des choses aux gens qui justement ne lisent pas. Le fait d’apprendre et la logique d’utilité ne s’appliquent donc pas uniquement à des pratiques considérées comme légitimes bien au contraire comme le montre son témoignage : « Après les films d’aventure j’aime bien, pour me divertir et tout ça, mais ça m’apporte pas quelque chose, j’aime beaucoup l’art et me dire que ça apporte quelque chose, faire passer un message et vocation à faire prendre conscience de choses importantes de la vie à des gens qui ne vont pas lire des livres etc. Au niveau de la musique, c’est pour ça, j’écoute énormément de rap […] quand on n’a pas d’autorité parentale sur sa tête souvent la musique, même les films c’est une échappatoire et un moyen de s’éduquer, moi j’ai déjà dit à mes parents que l’éducation en partie s’est beaucoup fait sur ça. » Paul s’est construit si ce n’est contre, du moins sans ses parents et il a cheminé lui même à partir de pratiques culturelles propres à sa génération comme le rap, pour se forger des convictions et commencer à s’intéresser à l’histoire au sens large. D’autres enfin ne sont pas du tout sur un registre d’utilité ni de légitimité mais bien sur des loisirs qu’ils ressentent comme nécessairement distincts des devoirs, et donc aussi de la culture scolaire. b) L’exemple de la lecture Afin d’illustrer cette dichotomie entre pratique intéressante et inintéressante du point de vue de l’élève lui-même, j’ai choisi l’exemple assez parlant de la lecture, il y a des « vrais » livres et d’autres « lectures », ce qu’on lit pour le lycée et le reste…etc. La plupart des élèves du DISPO m’ont déclaré lire les lectures imposées par les cours de français au lycée, ce qui je pense, ne doit pas être le cas de l’ensemble des élèves. Certains le font avec plaisir d’autres moins, mais à part quelques élèves en difficulté scolaire ou qui ne 74 lisent pas du tout, ils se plient à l’exercice. Ceux qui y prennent goût continuent à lire des classiques dans le cadre de lectures personnelles, ce sont quand même surtout des élèves de la filière littéraire ou qui souhaitent s’orienter en L. On voit par là que dans les cas des élèves du DISPO, l’orientation en L n’a rien d’une sanction même si elle est parfois conditionnée par un faible niveau en mathématiques. Pour quelques uns, les livres du lycée sont pourtant leurs seules lectures même s’ils les apprécient. Il ne faut donc pas non plus négliger l’importance du lycée par rapport à la pratique de la lecture 49 . Certains élèves, enfin, conscients du handicap que peut constituer leur absence totale de pratique de la lecture, développent des techniques personnelles afin d’y venir de manière progressive et avec plaisir. Comme on l’a déjà évoqué, ils commencent par exemple par la lecture de journaux sportifs ou locaux, et à l’aide de courts articles, l’habitude se prend rapidement et amène petit à petit à d’autres lectures plus variées comme le montre cet extrait de l’entretien de Vincent qui se pose en exemple dans le cadre du tutorat pour DISPO : « Moi je trouvais que c'était très important de lire les journaux, et je leur ai dit, commencez à lire les journaux, et même c’est pas grave si vous lisez des journaux que vous considérez comme pas forcément…, fin si vous vous intéressez au sport, c’est pas grave si vous commencez à lire l’Equipe. Moi j’ai commencé comme ça, je lisais rien du tout, et comme je m’intéresse au sport, j’ai commencé à lire l’équipe. Et le fait de lire le journal, une fois au kiosque ils ont plus l’Equipe et on prend un autre journal et c’est pas si mal de là en là, et puis plus on lit, plus on en veut… » Les livres que les élèves lisent en dehors de ceux imposés en cours de français sont de styles très variés et proviennent d’origine diverses. En effet, certains parents, plutôt des enseignants ou des cadres en possèdent en nombre et peuvent non seulement les prêter à leurs enfants mais aussi en profiter pour les conseiller dans leurs lectures. D’autres enfants se les font prêter ou offrir par des amis ou des membres de la famille qui ont les mêmes goûts de lecture. Enfin quelques uns les empruntent au CDI ou à la bibliothèque. Des effets de mode notoires s’appliquent à tous les élèves du DISPO à travers des lectures que l’on pourrait qualifier de conformes à la culture de masse, ce qui n’implique pas de jugement sur leur qualité mais bien sur leur succès qui ne semble dépendre ni du sexe, ni de l’origine sociale. On retrouve donc beaucoup Harry Potter50, Da Vinci Code ou Twilight parmi les livres les plus lus par les interviewés puisqu’ils sont lus à la fois par les grands lecteurs et par ceux qui ne lisent quasiment pas. Ensuite presque tous les genres ont été cités 49 On peut voir sur ce point que les études sur les loisirs et les pratiques culturelles n’incluent jamais les lectures qui sont effectuées dans un cadre scolaire ou professionnel, je n’ai pas souhaité séparer ainsi les pratiques. 50 O. Donnat (op. cit.) souligne que 46% des 15-19 ans ont lu au moins un tome d’Harry Potter. 75 par les adolescents interrogés même si l’on constate des préférences assez genrées : les romans policiers, les fictions historiques ou la fantasy étant plutôt lus par des garçons tandis que les filles préfèrent les romans de la vie quotidienne, les témoignages historiques et les livres romantiques ou psychologiques. On peut voir à ce propos l’exemple de Pierre qui lit désormais des livres pour lui et en les appréciant, grâce notamment aux cours de français, à des professeurs qui lui prêtent des livres et à des amis qui lui en offrent de temps en temps : « MD : et vous aimez lire ? Oui c’est une activité que je pratique de temps en temps, en plus durant le collège, on nous obligeait à lire plusieurs livres, au bout d’un moment j’y ai pris goût. En plus un de mes amis m’avait offert un livre de 300 et quelques pages, et quand j’ai commencé à le lire…, puis je continue encore à suivre les aventures. MD : et vous lisez quel genre de livre ? Des fois des livres d’aventure, ou des livres policiers, j’aime bien aussi ceux qui racontent, comme par exemple Samarcande qui est historique, mais où on a du mal à se dire, « Est-ce que c’est réel ? Ou est-ce que c’est que de la fiction ? ». » On peut mettre ce témoignage en regard avec celui de Carole qui justement se pose plutôt en porte à faux par rapport au lycée et ses conseils de lecture. Contrairement à Pierre, elle lit beaucoup et si la question de la légitimité affleure dans son discours, elle n’émet pas de regret à ne pas lire de « super littérature » imposée et décrit ses styles préférés sans jugement de valeur relative, voici sa réponse à la question « tu lis quoi ? » : « Pas des trucs de lycée, pas des trucs super littérature, non des trucs normaux quoi. Style romans, de la fiction quoi. […] Moi j’aime bien le style, fin je sais pas trop comment ça s’appelle mais style magie, comme Narnia. Soit je lis des trucs de gens qui raconte leurs vies, mais c’est fictif, mais des vies normales quoi. Mais j’aime pas les vrais, fin j’aime pas les autobiographies parce qu’il y a pas d’action ! (rire). » Les genres prisés, comme on le voit ici, sont souvent difficilement exprimés et on me répond même parfois « tous » à la question « tu aimes quel style de livres ? », alors que ce n’est pas du tout le cas après que j’ai donné quelques exemples. Les jeunes semblent alors pour certains plus à même de citer quelques titres de livres plutôt que d’énumérer des styles qui ne se rapportent pas à grand-chose pour eux. Mais comme on le voit dans ces deux exemples la place et le statut de la fiction est discuté, selon les différentes études sur la lecture, la fiction est toujours aimée et mise en avant par les filles. Que ce soit mis en valeur par rapport à la filière économique et sociale du lycée ou bien vécu comme un intérêt personnel et jamais vraiment comme une activité de lecture à proprement parler, j’ai trouvé que pas mal d’élèves lisaient la presse ou du moins s’intéressaient à l’actualité. La presse, si elle est lue au CDI, correspond plus à des journaux 76 nationaux de tous les bords et styles (sérieux, humoristiques, magazines) tandis que si elle se trouve chez les parents, cela correspond plus au quotidien local, sauf exception pour les élèves qui sont abonnés à quelque chose. Pour ce qui est de l’actualité, les élèves regardent aussi pas mal le journal télévisé (JT) avec leurs parents, ce sont donc souvent ces derniers qui choisissent la chaîne. Ils ont parfois signalé qu’ils aimaient bien comparer les différents JT entre eux pour reconnaître le parti pris des chaînes, mesurer le poids du medium dans l’information. Enfin quelques uns indiquent qu’ils vont lire l’actualité en ligne : ce n’est alors pas toujours sur les sites internet des grands quotidiens. Dans une logique plus passive, cette démarche est parfois conditionnée par les liens sur des nouvelles qui apparaissent sur la page d’accueil, que ce soit Orange ou MSN Messenger. Si ici encore les pratiques dites populaires, comme lire le journal local ou s’informer à travers les nouvelles qui apparaissent autour d’une boîte mail, semblent être les plus prisées, elles ne sont pas l’unique pratique. Les élèves sont effectivement quelques uns à commencer à lire les titres des grands quotidiens voire à les lire au moins une fois par semaine au CDI, ce sont plutôt des garçons d’ailleurs, tandis que certaines filles commencent à visiter les pages internet de la presse nationale. Cependant la légitimité de la presse et de la lecture d’article de journaux est mise en balance avec la littérature : il n’est pas comparable de s’informer et de lire un « vrai » livre, par exemple conseillé par le lycée, comme le montre le témoignage de Khadîdja : « Non non, c’est une bonne question, j’aime pas lire, j’aime pas trop écrire. MD : tu ne lis pas des journaux ? Fin si les journaux ça me plait, mais genre la littérature classique, fin voilà… J’aime tout ce qui est psychologique, économique, information et politique. Voilà, c’est pas très littéraire. C’est pas Rousseau. » On retrouve ici le poids des humanités propre au système scolaire français, mais aussi peutêtre une méconnaissance des nouveaux enjeux scolaires étant donné que beaucoup d’élèves s’orientent ou sont dans les filières ES qui les incitent pourtant à lire la presse pour travailler le bac. Cela dit quelque soit le jugement porté sur la pratique en question lors d’entretiens comme ceux que j’ai menés, c’est avec plaisir que les élèves lisent ce qu’ils aiment ou viennent pas à pas à la lecture, et ils ont tout le temps de relativiser les notions de légitimité et d’utilité à l’aune de ce qui les attend une fois sortis du secondaire. 2. Le plébiscite des écrans D’une manière générale, les élèves interrogés, comme tous les jeunes d’ailleurs selon l’enquête nationale d’Olivier Donnat, plébiscitent les écrans, que ce soit pour voir des films, 77 des séries, écouter de la musique ou communiquer entre eux : le téléphone portable, internet, la télévision et la console de jeux relèvent d’un multi-équipement très prisé par les adolescents. Selon ce même auteur, les pratiques à l’ère numérique se divisent en deux grands pôles autour de la télévision et autour de l’ordinateur. Chez les élèves du DISPO elles sont le reflet de leur éclectisme. En effet, ils regardent tout type de programmes ou de DVD à la télévision tandis qu’internet, le média à tout faire, leur permet d’assouvir en partie leur curiosité voire de produire eux-mêmes du contenu pour informer, faire des rencontres, s’ouvrir également sur un monde partiellement virtuel. a) Entre télévision et ordinateur Nombreux sont les élèves qui d’une manière générale utilisent les deux écrans, télévision et ordinateur pour des usages qui se recoupent, comme lorsqu’ils regardent des séries, des films ou des clips musicaux, et qui diffèrent, car l’ordinateur permet par internet l’accès à une nouvelle forme de communication tandis que la télévision est regardée pour les journaux télévisés ou des émissions spécifiques. Les jeux vidéo sont utilisés soit sur l’ordinateur, ce qui semble peu fréquent à cet âge-là parmi les adolescents interrogés, soit sur une console portable ou branchée à la télévision. Ils n’ont pas fait l’objet d’une question précisé du type « Est-ce que tu joues aux jeux vidéo ? », cependant certains élèves, surtout des garçons m’ont annoncé y jouer. Cela semble rester une consommation modérée bien qu’ayant fait l’objet parfois de règles fermes de restriction d’accès venues des parents : ces derniers veulent privilégier les devoirs en semaine et vont parfois jusqu’à confisquer la PlayStation pendant les périodes scolaires. Enfin quasiment tous les élèves semblent posséder un téléphone portable mais je n’ai pas cherché à mieux en connaître l’usage, bien que j’ai compris que pour certains il remplace internet grâce à des communications interpersonnelles par SMS. Cela renforce chez ces individus un désintérêt pour ce média notamment quand c’est nouveau dans la famille ou qu’il n’y a qu’un ordinateur dans la maison pris d’assaut par les frères et sœurs comme le montre cet extrait de l’entretien de Slimane : « Ouais, y a pas longtemps que j’ai eu Internet, y a genre 2-3 mois. Alors euh ouais, j’y vais, mais mon frère, il y est presque tout le temps, même si je lui dis j’y vais 5 minutes, après il y reste 2h et du coup j’y vais pas… Ouais mais moi de toute façon, je m’en fous un peu de l’ordinateur, moi si j’y vais, c’est 10 minutes pour regarder mes commentaires sur Facebook, et c’est tout. […] j’écoute de la musique aussi. Lui il a pas de portable c’est pour ça, moi je peux envoyer des SMS, si je veux parler avec les copains, mais lui il peut pas alors… je le laisse faire pour l’instant. » Avant de parler plus précisément de l’usage des écrans, il convient de préciser que les 78 adolescents qui sont en internat n’ont pas accès ou alors très peu à la télévision, et quoiqu’il arrive ils la partagent avec d’autres personnes et le choix du programme n’est pas le leur. Le fait d’avoir passé ne serait-ce qu’une petite période en internat a marqué les pratiques de certains élèves qui ont par exemple arrêté de s’intéresser à la télévision. Il va sans dire que les ordinateurs sont également interdits dans l’internat, les élèves n’ont donc qu’un accès très restreint à internet dans le CDI, ils disposent de peu de temps et d’un panel de sites consultables limité. Lorsqu’ils sont évoqués par des élèves vivant à l’internat, les écrans sont donc plutôt ceux du week-end, à l’exception du téléphone portable qui parfois peut même aller sur internet. Dans le cadre de la télévision et surtout s’il n’y a qu’un poste ou qu’elle est regardée pendant les périodes de socialisation familiale marquée comme pendant les repas, le programme est souvent choisi par les parents. En effet, les adolescents commencent par regarder le journal télévisé ou l’émission, la série choisis par les parents. La question n’a pas été posée clairement mais on sait que dans plus de la moitié des familles populaires, il y a plusieurs postes de télévision dans un logement. Je tiens également à souligner que la plupart des jeunes m’ont d’abord déclaré ne pas regarder la télévision avant que je découvre que si, en posant plus particulièrement des questions du type « est-ce que tu regardes des séries ? ». On peut avancer plusieurs explications à cela, d’abord ils peuvent regarder les séries sur internet, et ne plus les associer à la télévision, alors que selon moi, le média sur lequel les séries sont regardées n’en change pas la nature télévisuelle. D’autre part, cela peut être une réaction qui s’apparente à l’attitude souvent dépréciatrice qui accompagne la télévision chez les adolescents de plus de 15 ans51. Cette attitude ne traduit pas le fait que les élèves regardent moins la télévision, ils la regardent en moyenne plus de deux heures par jour, ni même qu’ils l’apprécient moins, mais bien qu’il faut montrer ses distances avec la télé que ce soit avec les pairs ou face à l’enquêtrice. En tout cas, on constate la banalisation de ce média, longtemps considéré comme passif et aliénant. La diversité des usages et du degré d’attention achève de séparer les pratiques. Passé les émissions incontournables de chaque famille, certains élèves semblent avoir complète latitude dans le choix de ce qu’ils veulent regarder. Si quelques uns m’affirment « zapper » et regarder le plus souvent au hasard, selon ce sur quoi ils tombent, la plupart ont leurs habitudes : des séries et des émissions sont vues toutes les semaines. Enfin certains, plutôt des 51 Voir D. PASQUIER, Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Editions Autrement, Paris, 2005 79 fils et filles d’enseignants regardent uniquement des programmes choisis préalablement et plus ou moins à visée éducative, comme des documentaires ou des fictions historiques par exemple. La pratique du zapping, critiquée par ceux qui privilégient le fait de n’avoir qu’une pratique à la fois, permet malgré tout de survoler l’ensemble des programmes, de picorer un peu de chaque. Cela peut aussi être un alibi, de l’aveu même des interviewés, pour « faire le légume devant la télé ». C’est en tout cas une pratique qui est de manière générale associée au divertissement et à la détente, voire faite pour se vider la tête et n’est pour cela pas valorisée par les élèves. C’est ce que nous montre Eloïse qui ne sait pas vraiment dire ce qu’elle a regardé, cela ne semble pas être une activité à part entière, car de fait elle est souvent accompagnée d’autre chose, selon le contexte dans lequel elle est pratiquée : « Sinon euh, ouais, je regarde la télé, oui quand même ! Oui je regarde des émissions un peu débiles des fois, je sais pas quoi, voilà je zappe, je regarde un peu tout, je peux regarder n’importe quoi, je regarde des films » La manière dont on regarde la télévision est donc aussi importante dans l’analyse des habitudes, cela peut aller de l’écoute attentive à l’écoute intermittente et au zapping qui relève plus du passe-temps. On peut aussi avancer que ces pratiques s’accordent avec le trop plein de temps de loisir dont disposent les adolescents par rapport au reste de la population française, même si ce n’est pas forcément le cas des élèves qui, comme on l’a vu, s’impliquent sous différentes formes dans la société ou, comme on le verra, pratiquent à haute dose une activité culturelle ou sportive. Le fait de regarder pas mal la télévision ne correspond pas, chez les jeunes interrogés, à l’appartenance à une classe sociale en particulier, comme le montrent d’ailleurs les grandes enquêtes sur les pratiques. C’est plutôt ce que l’on regarde, ou annonce regarder, qui change, bien que les séries semblent très largement plébiscitées par tous. Le type des séries regardées qui sont très souvent américaines, dépend essentiellement du sexe, les filles se sentant plus attirées par Gossip Girl ou Desperate Housewives tandis que les garçons aiment Prison Break. D’autres séries rassemblent, comme Dr House, Lost ou des séries policières...etc. De plus je n’ai pas pu mesurer vraiment le temps passé devant la télé, pas inclus dans la question, qui, selon O. Donnat, dépend du milieu social dans lequel on évolue. D’autre part, le fait d’utiliser plus souvent l’ordinateur ou internet, va de pair avec le fait de regarder moins la télévision, mais ce n’est pas une règle générale, certains élèves additionnant les deux pratiques. On peut quand même voir dans leur discours qu’ils effectuent un choix dans l’affectation de leur temps de loisir. Quoiqu’il en soit, on ne constate pas de corrélation 80 entre le temps passé devant les écrans et le nombre de sorties ou la fréquence des activités culturelles d’extérieur pratiquées. On serait plutôt ici, dans la logique du cumul des pratiques qui n’altère pas la balance entre activité à l’intérieur ou en dehors de la maison. Si en temps normal, on ne considère pas spécialement la télévision comme une ouverture alors même que le fait de tous regarder un même programme permet éventuellement de s’y reconnaître et de le partager avec les autres, l’usage de l’ordinateur, essentiellement tourné vers internet, représente lui l’ouverture par excellence. En effet, c’est à l’adolescent de choisir les contenus qui l’intéressent, il peut communiquer directement avec ses amis ou des inconnus, avoir accès à toute sorte d’informations ou bien produire lui-même une page, devenant alors acteur et producteur. b) L’importance d’internet, média à tout faire L’usage poussé d’internet et notamment à travers le téléchargement, permet de relativiser l’importance de l’offre culturelle à disposition des élèves dans le cadre de la famille, symbolisée par exemple par le nombre de livres ou de CDs possédés par les parents. En effet, un ordinateur connecté à internet permet un élargissement considérable des possibilités de consommation, de stockage et d’échange de contenus culturels. Cependant l’outil internet, média à tout faire, se caractérise par la diversité des usages que l’on en fait. Selon Olivier Donnat 52 , l’internet de base consiste à utiliser les e-mails et rechercher des informations pratiques ou documentaires. Ensuite internet peut être une machine à gagner du temps s’il permet d’effectuer des achats de la vie quotidienne ou de consulter les médias, ce qui est plutôt le fait d’individus diplômés et vivant en milieu urbain. Les jeunes sont ceux qui développent le plus les capacités d’internet en utilisant également la communication interpersonnelle par le biais de messageries instantanées, ce qui est le fait de 73% des 15-24 ans, tandis que 38% vont sur des chats et des forums et 67% s’en servent pour télécharger des films et de la musique. Cet usage d’internet correspond aux besoins de sociabilité des adolescents soulignés plus haut, qui inclut notamment une importante dimension identitaire qui passe par la présentation de soi et éventuellement l’autoproduction de contenus sur internet comme le montre le plébiscite de Facebook ou des blogs. Les garçons ont par ailleurs une plus grande diversité d’usage que les filles car ils téléchargent plus souvent et pratiquent parfois les jeux en réseau, ce qui ne ressort cependant pas dans le cas 52 O. DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique, Enquête 2008, La Découverte, Ministère de la culture et de la communication, 2009, chapitre 2. 81 des interviewés du DISPO. L’usage de Facebook et de MSN Messenger est généralisée parmi les élèves du DISPO interrogés. Si le second permet de communiquer par le biais d’une messagerie instantanée dont l’usage varie entre longues conversations entre amis ou personnes qui se connaissent à peine et passage d’information proche du SMS, le premier implique une présentation de soi symbolisée par le partage d’un maximum de données sur ce qu’on est et ce qu’on aime et mis en valeur par le nombre d’amis que l’on a sur son profil. Tous les élèves utilisent au moins un de ces deux outils y compris ceux qui ont un usage très distant d’internet, en revanche, ils n’ont pas tous la même appréciation sur leurs pratiques. Certains prennent leur distance tout en continuant à alimenter leur profil en disant que ce n’est pas une activité très intéressante, que cela prend du temps voire que cela peut attirer des problèmes entre connaissances parfois. D’autres apprécient cette manière de communiquer, de garder contact et d’être informés en temps réel, ils n’en voient pas encore les défauts. On peut voir le témoignage contrasté d’Arthur, élève de seconde, qui est un multiutilisateur d’internet : « Oui ben sur internet je discute avec mes amis, même si des fois, je me dis que j’aimerais bien sortir de Facebook et d’MSN parce que ça m’a, fin des fois ça m’a entraîné des ennuis 2 ou 3 fois dans l’année, genre entre les lycées, embrouilles personnelles […] fin mon but premier à la base, je suis sur un forum aussi, je suis depuis que j’ai 9 ans dessus, c’est un forum de foot à la base, mais on parle de tout sauf de foot, on parle d’actualité, de politique et c’est vachement du 2ème degré, donc c’est dur de s’en détacher, quand j’étais à New York, j’étais plus sur le forum que dans la rue ! Oui même si je sortais quand même. Et pour des recherches si ya besoin et puis bon la radio, je la fais par internet là aussi, et puis je regarde des séries par internet. » Cela nous montre que les chats sont aussi prisés par les jeunes même s’ils sont beaucoup moins nombreux à les avoir cités, en général, ceux qui m’en ont parlé ont recréé ainsi un réseau de sociabilité à travers internet. Ils élargissent les discussions qui ne tournent plus qu’autour de la raison d’être du forum, par exemple le football ou les chevaux mais touchent à tous les sujets intéressants du moment. Par ces différents biais, internet semble être le plus puissant moyen de communication entre les jeunes, à la fois parce qu’il est moins contraignant puisqu’on peut choisir les moments, les pages, les moyens que l’on veut utiliser pour communiquer et aussi, même si cela paraît contradictoire, parce qu’il implique que tous le monde soit sur internet et partage les mêmes sites. On peut y voir une forme de tyrannie de la majorité qui pousse à être sur Facebook ou MSN qu’on aime ou pas ces messageries pour pouvoir rester connecté au groupe des pairs. 82 Les pratiques développées sur internet tels que les e-mails, les SMS et les messages instantanés échangés sont représentatifs du lien de plus en plus fort que les adolescents développent avec l’écrit. Plus seulement le fait de certaines jeunes filles qui rédigent des journaux intimes, l’activité poussée de l’écriture est aussi permise par l’avènement des blogs. Parfois uniquement dans la présentation de soi ou au contraire plutôt thématiques, les blogs ne sont pourtant que le fait de quelques uns parmi les élèves interrogés. L’exemple le plus parlant est celui de Paul, élève de terminale, qui depuis qu’il a 13 ans rédige un skyblog sur un artiste de rap français. Sa page internet a attiré un tel nombre de visiteurs qu’il a, grâce à cela, eu l’occasion de rencontrer l’artiste et de filmer plusieurs interviews exclusives qu’il a ensuite pu poster sur son blog et attirer encore plus d’internautes. Premier contact avec l’écriture et avec une forme du métier de journaliste, Paul est fier du succès rencontré mais surtout d’avoir contribué à faire connaître un artiste dont il explique fermement qu’il a plus contribué à son éducation que ses parents, dans le sens où il a aiguisé sa curiosité sur certaines pages de l’histoire. Si Paul caresse l’idée d’être journaliste spécialisé dans le rap, il va démarrer des études d’histoire, sa passion, impulsée selon lui par ses pratiques culturelles. « Disons que quand j’ai eu 13 ans, j’ai commencé à faire un skyblog musique sur les groupes de rap que j’aimais bien, bon ça a pris beaucoup d’ampleur, je m’étais spécifié notamment sur cet artiste-là qui à l’époque ne vendait pas beaucoup, du coup, il a vu que mon blog prenait de l’importance donc il m’a contacté, j’ai fais des interviews pour eux, sur internet c’est moi qui m’occupe de leurs promotions, j’ai créé un forum internet, le skyblog en période d’album il a plus de 50 000 visites par mois, donc franchement ça a été un gros truc. Les concerts donc je fais des interviews qui sont vues vachement de fois donc j’ai beaucoup de relais disons que ça me… moi qui voulait être journaliste, à un moment, je voulais me spécialiser dans le rap, mais c’est un peu difficile de se spécialiser dans le rap aujourd'hui, du coup, ça me fait un point d’accroche et ces gens-là qui sont musulmans convertis pour la plupart, […] C’est vraiment eux et ils parlent beaucoup d’histoire dans leurs chansons. » On peut renforcer ce constat par le fait que les lycéens sont très nombreux à télécharger notamment des contenus musicaux53 ou des films et des séries. Ils peuvent aussi utiliser le concept du streaming qui se développe plus souvent dans un contexte légal : les séries sont assez courtes pour rentrer dans le temps de visionnage autorisé, et sur certains sites on peut également voir les films, il existe aussi des sites internet connus d’écoute de musique en streaming comme Deezer ou des radios en ligne où les auditeurs choisissent eux-mêmes les morceaux écoutés. Ces différents systèmes fonctionnent en général sous le mode du peer to peer c'est-à-dire de l’échange de fichiers entre les utilisateurs. Les adolescents disposent 53 Six lycéens sur dix ont téléchargé de la musique au moins une fois dans les 12 derniers mois. 83 souvent de peu d’argent de poche et même s’ils achètent parfois des CD ou des DVD, ils ont l’occasion de diversifier leurs pratiques culturelles en téléchargeant des produits beaucoup plus nombreux. Cette pratique permet aussi de réduire les distances spatiales et temporelles qui privent certains élèves de l’accès en temps voulu à la culture y compris populaire. B. Hors de la maison, un désir d’ouverture domine les pratiques culturelles Si les adolescents sont parfois contraints de passer beaucoup de temps à la maison, la plupart préfèrent être en dehors du logement familial, c’est ce phénomène qui implique que certaines activités sont plus aimées que pratiquées. Que ce soit à travers leurs sorties ou des activités culturelles et sportives qu’ils exercent, les élèves interrogés font preuve d’une importante sociabilité, et parfois d’une grande implication. Ils font aussi preuve d’un désir d’ouverture illustré par leurs envies de voyager, d’aller voir ailleurs pour rencontrer de nouvelles personnes et être confrontés à d’autres expériences. 1. Des activités culturelles contraignantes et enrichissantes Les activités culturelles pratiquées par les élèves interrogés se répartissent essentiellement entre la musique et le sport, que ce soit dans le cadre scolaire ou en dehors, même s’il y a aussi d’autres activités artistiques pratiquées. Ce sont des activités exigeantes qui on le verra impliquent que l’individu s’impose des règles de travail à lui même s’il veut progresser. Elles peuvent également être qualifiées d’enrichissantes par leurs apports artistiques ou bien grâce aux réseaux de sociabilité qu’elles permettent de développer. Le sport, s’il n’est pas toujours considéré comme tel, fait pourtant preuve d’une ambiance culturelle particulière et permet notamment quand il est pratiqué en compétition ou en équipe d’acquérir des réflexes qui peuvent servir dans d’autres cadres. Certaines activités culturelles sont pratiquées au lycée par le biais surtout des options ou des clubs artistiques. Si certains élèves cherchent à valoriser un de leur loisir sur le plan scolaire, comme c’est beaucoup le cas de ceux qui suivent l’option musique, d’autres découvrent à travers une option ou un club une pratique culturelle qu’ils aiment. Par exemple, les seuls élèves qui m’ont dit avoir suivi des cours de théâtre, c'était dans le cadre du collège ou du lycée. Ils avaient beaucoup apprécié mais s’étaient arrêtés quand ils ne pouvaient plus suivre le club. On relève ici l’effet de l’opportunité : dans le cadre du lycée, une pratique culturelle ne nécessite ni un investissement financier ni des contraintes de transport. Il n’est pas ensuite forcément évident non plus de faire la démarche de chercher un cours de théâtre 84 en dehors. Par ailleurs, les élèves qui suivent l’option cinéma audiovisuel ont à la fois de la pratique et de la théorie, ils apprennent non seulement à filmer des séquences mais aussi à regarder des classiques qui sont répertoriés dans une liste de films à voir. L’option les amène également au cinéma après les cours, tandis que le CDI peut en profiter, comme c’est le cas du lycée de Lavaur, pour proposer alors l’accès à une vidéothèque à l’ensemble des élèves du lycée. Le suivi de l’option, qui relève plus d’une opportunité dans le cas de Lisa, influence en partie ses goûts : sommée de voir un certain nombre de classiques, elle aime malgré tout encore des films qu’elle qualifie de « débiles ». Le lycée participe alors à l’éclectisme qui domine désormais son rapport au cinéma : « J’aime pas trop les films d’action, après, euh, je dois répondre un truc bien là parce que quand même en audio !! (rire) […] Euh, alors les films que j’aime bien… j’aime bien tout ce qui est fantastique, par exemple Alice au pays des merveilles, j’ai bien aimé, j’aime bien les films comme ça, ça sort un peu de… tu vas un peu ailleurs. Puis Tim Burton j’aime beaucoup. Euh je sais pas, ben en fait cette année, j’ai vu beaucoup de films en fait, donc je devrais savoir ! Déjà avec l’option et puis y a un système de vidéothèque au lycée, y a 2000 films un truc dans le genre donc chaque semaine on peut en emprunter quand on veut quoi. Bon nous les audios on avait une liste de classiques à voir, donc on pouvait pas prendre genre Shrek, ça c'était pas dans la liste ! (rire) donc on a du voir quelques classiques, et sinon des films que j’aime bien, j’aime les trucs un peu débiles, genre américains un peu » Enfin l’option musique, souvent suivie par des gens qui jouent déjà d’un ou plusieurs instruments de musique, permet d’acquérir une culture musicale à travers les œuvres étudiées et implique un travail d’analyse des compositions et de leurs interprétations. Les œuvres au programme, qui vont de Léo Ferré à Mozart, sont les mêmes pour tous et font l’objet d’une évaluation au bac dans le cadre de la filière littéraire. Si la musique au lycée ne consiste pas en des concerts de rock, on peut voir qu’elle est assez variée et qu’elle propose aux élèves d’acquérir des connaissances plutôt nouvelles, qui bien qu’elle la complète s’éloigne quand même de la pratique des élèves. Dans l’ensemble l’option est à la fois le moyen de valoriser scolairement un loisir très exigeant et aussi d’élargir sa conception de la musique grâce à la découverte d’œuvres musicales qui ne relèvent pas uniquement de la musique classique. La musique est plébiscitée par les jeunes en général, en effet, 74% des 15-19 ans déclarent écouter de la musique tous les jours ou presque et ils sont plus nombreux à écouter de la musique en rentrant chez eux le soir qu’à allumer la télévision. De plus, ils sont 69% à écouter de la musique sans rien faire d’autre. D’ailleurs on peut voir que si l’on assiste à une certaine « musicalisation » de la vie quotidienne, étant donné que la musique est écoutée dans les transports et devant l’ordinateur, ce qui peut être compris comme une forme de 85 banalisation de cette activité, on découvre aussi de nouvelles formes de mélomanie qui se cristallisent autour des musiques dites populaires qui sont les préférées des jeunes. J’ai cependant été étonnée par le nombre d’élèves du DISPO qui font de la musique, en effet, cette pratique est réputée pour être particulièrement chère et plutôt réservée à des classes sociales favorisées, ce qui ne semble pas être le cas des élèves interrogés. En effet, O. Donnat montre que parmi les français, les cadres supérieurs sont deux fois plus nombreux à pratiquer la musique que les ouvriers : 30% contre 13%. La pratique ne dépend toutefois pas du lieu d’habitation : les urbains ne font pas plus de musique que ceux qui vivent dans un milieu à dominante rurale. Les adolescents sont quoiqu’il arrive ceux qui sont les plus nombreux à faire de la musique : 30% des 15-19 ans pratiquent un instrument et 20% sont membres d’un groupe de musique54. Parmi les élèves interrogés, on peut remarquer que la pratique n’est pas dilettante et rares sont ceux qui viennent de démarrer l’instrument. Leur pratique est de plus très diversifiée. De la batterie au piano en passant par la guitare et la flûte traversière, ils sont plusieurs à jouer de différents instruments à la fois et à avoir, voire à diriger, un groupe de musique qui répète le week-end et même se produit en petits concerts. Si certains restent dans une pratique plutôt solitaire tout en prenant des cours en dehors de la maison, d’autres multiplient les situations collectives comme l’accompagnement, les orchestres, les groupes voire les stages de musique plus caractéristiques d’une pratique poussée. Eloïse, élève de terminale au lycée de Mirepoix qui fait de la flûte depuis 10 ans suit, elle, des stages de musique et d’harmonie tous les étés. Comme le montre son témoignage sa pratique de la musique est extrêmement diversifiée, elle a touché à beaucoup d’instruments, fait de l’orchestre, a été membre d’un groupe de musique…etc. : « La flûte c’est venu comme ça, quand j’étais petite, j’avais une copine qui jouait de la flûte, alors je me suis dit « ah moi aussi je veux faire de la musique ! ». Après voilà, dans la famille on est assez musicien, voilà, mon cousin, il joue de l’orgue, il est prof de musique depuis cette année, il vient d’avoir son CAPES et il est prof de musique en collège, il touche à tous les instruments, fin lui, il est vraiment fort. Et voilà, quand j’étais petite j’ai dit la flûte parce que ma copine elle en faisait, c’est venu comme ça. Toutes les petites filles elles faisaient de la flûte, donc moi je voulais faire de la flûte, c'était comme ça. Après ça m’a plu et j’ai pas eu de période, fin souvent y a une période au collège ou début lycée, où tu dis « non, je veux arrêter la musique ». Moi non, ça allait très bien, je faisais des stages chaque année, et benjamin, cadet, junior, j’étais à l’harmonie départementale de l’Ariège, donc moi ça m’a plu, j’aimais bien aussi parce que la musique c’est pas seulement faire de la musique, c’est aussi une ambiance particulière, ça créé des liens, on fait la fête, y a aussi des bandas, je sais 54 Voir O. DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique. Enquête 2008, La Découverte, Ministère de la culture et de la communication, 2009 86 pas si… voilà les bandas, on joue ensemble on s’amuse et je trouve ça bien de savoir jouer d’un instrument, je trouve que ça apporte bien, ça détend quand je joue, je suis bien, ça va bien. Y a 2 ans, je me suis dit « bon, je vais faire un peu de trompette », mais j’ai arrêté là cette année parce que ça me prenait trop de temps et là je me suis un peu découragée j’avoue, parce que je me suis dit « j’y arrive pas trop… » Quand tu sais jouer de la flute depuis 10 ans et que tu joues des partitions comme ça, et que la trompette t’es obligée de bien souffler pour sortir ce son, d’encore chercher tes notes ça me va pas… du coup j’ai un peu arrêté, j’ai un peu touché à la guitare, j’ai une batterie à la maison, j’ai fait de la batterie pendant 2 ans. J’étais dans un groupe. Ce qu’elle explique ici, montre bien que pour elle c’est une ouverture sur un monde très varié grâce aux styles de musique, aux différentes possibilités de pratique, et au nombre d’instruments qui l’intéressent. C’est aussi un réseau de sociabilité qui permet de faire des rencontres dans une ambiance festive que l’on peut recréer à l’envie. On peut ajouter que dans son cas, cela s’inscrit dans un ensemble de pratiques artistiques encore plus large étant donné que, très attirée par l’art en général, elle fait aussi beaucoup de photographie, ce qui lui a été inspiré par son grand-père, et veut apprendre à dessiner. Elle pense d’ailleurs éventuellement à s’orienter vers des formations artistiques ou audiovisuelles après le bac. A contre courant de la représentation sociale classique que l’on se fait de la pratique poussée d’un instrument, Eloïse est fille d’un ouvrier arrêté depuis longtemps pour longue maladie et d’une caissière. En parallèle des stages de musique, elle travaille tous les étés pour se payer du bon matériel photographique. L’art semble pourtant être dans son cas une histoire de famille inattendue. A travers des relations assez lointaines ou en se plaçant dans une logique d’héritage par rapport à un grand-père qui faisait de la photo, on peut voir que dans une vie, des micro-événements peuvent donner envie de s’intéresser vraiment, voire de se lancer sérieusement dans une pratique, surtout lorsqu’on a le temps, l’énergie et qu’on est encore jeune. La pratique régulière de la musique, comme celle d’un sport si cela est fait de manière poussée, requiert une importante discipline que l’on s’impose à soi-même. Pour progresser dans un groupe, un orchestre ou une équipe, il faut d’abord travailler tout seul et y passer le temps qu’il faut. Cette éthique du travail, matinée dans le cadre sportif de celle de la compétition, forge les adolescents. L’investissement que l’on peut constater dans la musique fait écho à celui des élèves qui pratiquent un sport en compétition. Le seul élève interrogé vraiment sportif de haut niveau, fait lui même le parallèle entre l’esprit de compétition dans le sport et la configuration mentale dans laquelle il a passé le concours de l’IEP, ainsi qu’entre le sérieux et la discipline que lui demandent ses entraînements et la manière dont il s’oblige à assister à tous les cours et à faire les exercices en temps et en heure. 87 Les sports pratiqués en compétition par les élèves vont de l’équitation à l’aviron en passant par le golf et le basket. Encore une fois ce sont des pratiques variées qui dépendent parfois d’un contexte précis comme un lieu propice à une certaine activité ou des amis qui donnent envie de le faire. Cela prend en général tous leurs week-ends et éventuellement tout leur argent de poche. Pour une élève, Anna, la pratique du cheval sous toutes ses formes a l’aspect d’une véritable passion qui prend toute la place et ne permet aucune autre activité de loisir. « Depuis toute petite, j’ai des chevaux à la maison, et je monte vraiment on va dire depuis 8 ans ou 10 ans. […] MD : et qu’est-ce que tu fais quand tu n’es pas au lycée ? Du cheval ! (rire) Ouais, je travaille mes chevaux, et je sors des chevaux en endurance, pas les miens, mais je fais des compétitions d’endurance, donc euh faut entraîner le cheval. […] Ça peut commencer à 25km jusqu’à 130km et on a une vitesse imposée, donc faut arriver à gérer la vitesse, le rythme cardiaque du cheval, y en a qui pensent que c’est rien mais y a des contrôles vétérinaires aussi. » Cela conditionne même ses aspirations pour l’avenir et tous les individus rencontrés en dehors du lycée le sont par le biais des reprises, des compétitions d’endurance ou de forums internet spécialisés dans les chevaux. Par ailleurs dans le cadre de l’entretien, elle ne s’anime que lorsqu’elle parle d’équitation car sinon elle fait preuve d’une grande timidité. Certains élèves enfin pratiquent du sport plus pour l’esprit d’équipe et la sociabilité que l’on retrouve dans tout sport collectif, la compétition n’est alors pas du tout mise en avant même si les temps de matches sont appréciés et les entraînements suivis avec assiduité. Le sport permet alors de faire des rencontres qui ne se recoupent pas forcément avec la sociabilité développée dans le cadre du lycée. Au contraire, quelques uns font de la course à pied ou du vélo, activité pratiquée plutôt en solitaire ou en famille, et qui peuvent être plus pratiqués de manière à prendre l’air ou promener un chien que pour le sport en lui-même. D’autres enfin multiplient les différents sports (football, rugby, basket, tennis…etc.) ou se focalisent sur une pratique de manière poussée, qui peut aller jusqu’à se proposer pour arbitrer ou entraîner les plus petits. Le sport semble autant pratiqué par les garçons que les filles, y compris en compétition, cependant certaines filles n’en pratiquent pas du tout. 2. Une conception de l’extérieur tournée vers le futur Le désir d’ouverture des élèves interrogés s’exprime déjà clairement dans le cadre de leurs pratiques culturelles ou de leurs différents engagements ou petits boulots qui font d’eux comme on l’a vu des individus acteur de la société. Cependant pour évaluer la nature et la fréquence de leurs occupations en dehors de la sphère personnelle et familiale, il convient 88 d’analyser leurs sorties qu’elles soient entre amis ou culturelles, et de voir si la possibilité de voyager leur a été offerte ou pas, que ce soit avec la famille, entre amis ou dans un cadre scolaire. On verra que les sorties comme les projets de voyages sont vécus soit sur le mode d’une envie qui se réalisera peut-être dans le futur soit sur celui de la frustration qu’implique l’attente. a) Des sorties rares mais appréciées S’ils se retrouvent assez souvent entre amis pour discuter ou ne rien faire de spécial, les adolescents que j’ai interrogés sortent globalement assez peu. Les sorties entre amis ont par ailleurs souvent été peu développées dans l’entretien, peut-être parce que les élèves considéraient que cela ne devait pas vraiment m’intéresser. En tout cas elles semblent faire partie de l’étroit réseau de sociabilité formé par des adolescents de la même classe, ou qui étaient ensemble au collège et enfin par des amis d’enfance habitant souvent le quartier. En ce sens, on constate que les élèves interrogés ont pas mal déménagé, ils n’habitent pas toujours au même endroit que pendant leur enfance. En effet, en milieu rural, ils se retrouvent parfois bloqués chez eux car ils ne disposent pas tous d’un moyen de transport tel que le scooter ou la petite moto qui de toute façon, ne permettraient pas non plus d’effectuer de longues distances. Certains n’ont pas vraiment encore la permission de sortie, ce qui est surtout le cas de certaines filles de seconde. D’autre part, les bars et les boîtes de nuit, pas toujours accessibles, ne leurs sont pas non plus spécialement réservés : ils ne se retrouvent pas dans la clientèle plus âgée et préfèrent s’inviter chez les uns et les autres que de les fréquenter. Les occasions de faire la fête sont donc plutôt les anniversaires ou les fêtes de village qui rencontrent encore un certain succès auprès des jeunes de milieu rural qui commencent à y aller sans leurs parents, entre copains, voire à les organiser comme on l’a vu précédemment. En milieu urbain, dans des villes comme Tarbes et Toulouse, les bars et les cafés rencontrent plus de succès : plus adaptés à un public jeune, ils attirent même pendant les temps scolaires. En effet, dans les lycées de centre ville, l’urbanité fait partie d’un mode de vie lycéen complètement distinct qui permet de rester après les cours, d’aller se promener quand on a un trou d’emploi du temps, voire d’aller au cinéma. Les sorties cinéma sont les sorties culturelles qui reviennent le plus dans les témoignages des élèves, cependant elles ne paraissent pas tant aimées que cela. Même si l’on peut voir dans l’enquête d’O. Donnat que 94% des lycéens sont allés au cinéma au moins une fois dans les 12 derniers mois, la fréquentation des cinés dépend énormément du contexte 89 géographique dans lequel grandissent les élèves. D’abord dans certaines petites villes, le cinéma n’est pas toujours ouvert, celui de Carmaux a par exemple été fermé pendant trois ans, ou bien il ne passe que des films dont la sortie commence à dater, comme à Caussade ou à Gourdon. Certains cinémas souffrent alors sérieusement de la concurrence des DVD, perçus comme proposant des films plus intéressants, ou du téléchargement qui est immédiat et à la demande. Pour certains, le cinéma implique donc la venue dans une ville plus grande que celle dans laquelle se trouve le lycée qui est parfois plus éloignée encore de leur domicile. Pour d’autres c’est une activité considérée comme chère, ce qui semble être le cas à Tarbes, tandis qu’au contraire, à Toulouse, les prix imbattables des Gaumont et UGC pour les moins de 26 ans, offrent de grandes possibilités d’accès aux jeunes. D’autre part, la nature des films passés dépend aussi du contexte, on peut voir qu’en ville ce n’est pas la quantité de l’offre mais bien sa diversité qui fait une réelle différence : à Toulouse avec les cinémas d’art et essai qui côtoient les multiplexes. Les films vus au cinéma par les adolescents sont plutôt regardés avec les copains et sont souvent des films d’actions ou des comédies à succès, plutôt américains. O. Donnat souligne d’ailleurs ce goût des moins de 30 ans pour les produits culturels et notamment les musiques et les films anglo-saxons. On peut voir que cela est vrai aussi pour certains élèves, souvent fils de cadre ou d’enseignant, qui préfèrent le cinéma d’auteur aux blockbusters, ils citent alors les américains Woody Allen, Tim Burton ou Jim Jarmusch parmi leurs réalisateurs favoris. On retrouve ici la séparation au niveau des goûts que décrit O. Donnat entre un « pôle divertissement » constitué de films comiques et d’actions, et un « pôle cultivé » composé de films d’auteurs ou de science fiction. On peut ajouter également que voir du cinéma en salle va de pair avec regarder des DVD chez soi, toujours dans la logique du cumul, or les jeunes sont d’importants consommateurs de films que ce soit en streaming, téléchargés ou en DVD. Les élèves des classes populaires sont enfin très peu nombreux à avoir eu accès à d’autres types d’équipements culturels. Certains sont allés au musée, au théâtre ou à l’opéra avec le lycée, dans le cadre de sorties avec un cours précis, ou avec le DISPO, mais rares sont ceux qui y vont avec leurs familles, sauf les fils et filles de cadres ou d’enseignants et d’ailleurs plutôt qui ceux vivent en milieu urbain ou qui partent en voyages. Parfois cet accès privilégié à la haute culture proposé par certains lycées est même une des raisons qui a poussé ces élèves à faire le DISPO. Comme le montre le témoignage de Carole, élève de Gaillac, qui ne voulait pas participer au début, elle s’est laissée convaincre par sa mère qui la voit fournir 90 un travail très poussé sur le plan scolaire mais faire preuve de peu d’ouverture au niveau culturel et surtout elle s’inquiète que sa fille ne sorte quasiment pas : « MD : et pourquoi elle t’a poussée ta mère ? Ben parce qu’elle disait que c'était bien, que si je le faisais pas j’allais le regretter, que c'était un enrichissement aussi. Puis euh, comme j’ai pas beaucoup de culture elle s’est dit que comme dans le projet y avait des sorties au musée et tout ça, ça pouvait que m’aider en fait pour plus tard ! MD : c’est quoi ne pas avoir beaucoup de culture ? Je sais pas, pas connaître grand-chose quoi, style les pièces de théâtre et tout ça, c’est pas mon truc (rire). » Deux ou trois élèves m’ont ensuite indiqué être allé à des concerts à Toulouse ou au musée à Albi pour voir une exposition avec les copains, mais c'était vraiment des pratiques considérées comme exceptionnelles, qui les ont beaucoup marquées. Cela consistait même parfois à l’une des rares venues « à la ville » de l’interviewé. Le rapport des ruraux à la ville, que ce soit Montauban, Albi, Tarbes ou Toulouse, est cependant très variable et tient beaucoup à la posture de la famille. Certains élèves ont des parents qui travaillent régulièrement en ville, par exemple pour faire les marchés le samedi matin, ceux-ci peuvent donc les accompagner régulièrement et faire du shopping, se promener dans le centre ville. Si comme on l’a vu d’autres vont de temps en temps rendre visite à leurs frères et sœurs qui étudient en ville, certains n’y vont quasiment jamais et ne connaissent pas du tout cet univers. b) Une relative ouverture sur le monde Il convient de souligner que la plupart des élèves interrogés issus des classes populaires sont déjà partis en vacances, même si c'était très peu et loin d’être systématique. Pour certains cela se limite à aller voir des membres de leurs familles, grands-parents, oncles et tantes, en France, dans des coins par forcément très touristiques ni très attirants pour des adolescents. D’autres ont pu voyager avec leurs parents, que ce soit dans le cadre professionnel, pour les besoins du travail des parents comme Jiuliana qui a ainsi pu aller en Bulgarie et en Espagne : « MD : Et est-ce que tu pars en vacances des fois ? Ouiiiii je pars en Espagne bientôt ! Ces vacances-ci je pars à la mer et puis je suis allée en Bulgarie. Oui on voyage ! Je suis allée en Bulgarie en voiture… Donc on s’est arrêtés dans chaque coin. MD : Et tu connaissais des gens là-bas ? Non (rire) On y est allé pour le travail de mes parents. Mes parents devaient y aller pour le travail et ils se sont dit, bon ben tant qu’a y être autant amener les enfants. Et là on part en Espagne pour le travail de mes parents aussi. 91 MD : Mais c’est pas mal comme travail ça ! Ouais ouais, on attend qu’ils nous amènent en Allemagne et à Londres ! » Cela peut aussi être pour des motifs personnels, par exemple la seule fois où Pierre est parti en vacances, c'était pour une cure thermale dont son petit frère avait besoin pour guérir de son eczéma. Enfin cela peut être sous la forme d’un voyage dans le pays de naissance des parents comme en Algérie, au Maroc, en Tunisie ou en Turquie. Cela se concrétise soit comme une visite touristique initiatique, avec un tour des villes importantes où habitent des membres de la famille éloignée, soit comme un « retour au bled » tous les ans pendant un mois mais ce n’est le cas que de Slimane. Quelques parents des classes populaires amènent aussi leurs enfants à la mer l’été ou à la montagne l’hiver, ce qui n’est pas toujours du goût des adolescents qui préfèreraient commencer à partir en vacances avec leurs copains. Ils sont d’ailleurs quelques uns à organiser des week-ends camping ou des sorties avec leurs amis. Certains adolescents des classes moyennes ont eu l’occasion de déjà beaucoup voyager parfois avec un membre de la famille qui connaît des plans pas chers ou profitant de réseau d’interconnaissance comme c’est le cas de Marie ou d’Arthur. Ils ont parfois effectué des voyages en dehors d’Europe comme par exemple aux Etats-Unis. Deux adolescents ont aussi vécu loin de la France métropolitaine dans leur enfance, que ce soit pour des raisons professionnelles, quand les parents sont partis travailler au Brésil ou en Nouvelle Calédonie pour un ou deux ans, ou avant l’immigration dans le cas de Fatima qui a vécu en Algérie jusqu’à ses dix ans. Les élèves du DISPO sont surtout plutôt nombreux à avoir eu l’occasion de voyager en France ou en Europe de l’Ouest dans le cadre de classe verte ou de voyages scolaires, comme le montre Mathieu dans son témoignage. Il fait référence au voyage en Allemagne organisé par le groupe du DISPO pour compléter leurs recherches : « On était en famille d’accueil, d’ailleurs pour moi c'était la première fois que je partais en famille d’accueil parce que à Miélan dans le petit collège, y a pas beaucoup de fond. MD : et vous ne faites pas des classes vertes ? Ah si à Mirande si, mais les sports juste, ceux qui font la section sport, ils partent au ski. Mais moi j’ai eu de la chance, parce que je suis parti en Italie, avec la classe d’art plastique, cette année avec le DISPO, je suis parti en Allemagne, mais je suis aussi parti en Espagne parce que je fais option européenne. Mais euh, beaucoup d’autres élèves de ma classe qui font pas ça, ne sont pas partis. Donc j’ai eu de la chance. » On voit dans cet extrait que dans certains collèges ou lycées ruraux, si les élèves qui participent aujourd'hui au DISPO sont peut-être plus partis que les autres c’est probablement 92 parce qu’ils ont suivis plus d’options, notamment des options rentables en termes de voyages parce qu’elles s’y prêtent et sont suivies en petits groupes comme les langues vivantes renforcées ou les langues anciennes. Au-delà du fait d’avoir voyagé ou pas, les interviewés font souvent part de leur désir de bouger. Cela s’exprime notamment par l’envie de connaître de nouvelles personnes, de découvrir de nouvelles choses. Bouger n’est pas toujours synonyme de voyager, cela peut vouloir dire s’installer dans une autre ville pour étudier, ce qui est surtout le cas d’élèves de milieux ruraux, ou la volonté d’aller travailler à l’étranger, plutôt des fils de cadres. Ce projet, qui est presque un besoin pour certains, montre que plusieurs adolescents se sentent à l’étroit dans leur petit univers. Ils estiment par là qu’il y a peut-être mieux ailleurs et qu’on gagne au moins à connaître ce qu’il y a autour. Certains connaissent cet ailleurs et savent déjà que c’est mieux, comme Slimane qui ne comprend pas pourquoi ses parents, « qui avaient une situation là-bas », ont quitté la Tunisie pour la France et il souhaiterait s’y installer. Dans le cadre de voyages plus ponctuels, ils sont quelques uns à rêver du continent américain que ce soit les Etats-Unis ou l’Amérique Latine, ce sont en effet les cultures exotiques et prisées par les jeunes les plus proches de nous et à la fois lointaines géographiquement. A ce titre et surtout chez des élèves de terminales, la perspective d’une année de mobilité comme celle que propose Sciences Po est bien accueillie. On peut voir en revanche que le désir de voyager n’est pas toujours lié à la volonté de partir de chez soi comme l’explique Vincent, étudiant en première année à l’IEP : « Oui je voudrais partir, enfin, parce que moi je voudrais trouver un travail, fin je voudrais rester ici à Carmaux, parce que je sais pas, c’est chez moi et puis voilà, et quand je pars, j’ai l’impression… Fin je sais pas, c’est pas du chauvinisme ni rien mais c’est chez moi, je sais que dans mon TD y en a plein qui veulent partir travailler ailleurs, moi ça me fait pas rêver. Après la mobilité comme ça dure qu’un an, je voudrais partir super loin. Avoir une année blanche, fin faire ce qu’on veut pendant un an, on l’a pas 10 fois. Je crois que ça serait vraiment dommage de pas en profiter à fond, c’est aussi pour ça que je travaille, pour avoir un petit capital, que je sois pas forcément bridé pour des raisons financières. » Cet attachement à la terre sur laquelle on a grandi, et à la famille qui parfois habite dans la même région depuis plusieurs générations se retrouve chez plusieurs élèves interrogés. Il ne bride cependant ni les projets d’étude dans d’autres villes de France, ni les envies de voyage, mais c’est un enracinement identitaire et familial qui restera fort et pourrait éventuellement permettre un retour dans le but de commencer sa vie professionnelle. 93 On peut voir que les pratiques culturelles au sens large des adolescents interrogés sont vécues sous le signe de l’éclectisme qui caractérise tous les individus si l’on en croit B. Lahire, et surtout avec l’aide de tous les médias et supports à leur disposition. S’ils plébiscitent la culture de masse et les arts qui relèvent d’une culture adolescente, les élèves interrogés se positionnent moins dans une opposition aux générations précédentes qu’on pourrait s’y attendre. Ils savent grâce à leur curiosité s’ouvrir vers de nouveaux horizons et font leur marché culturel dans tous les registres. 94 Conclusion Dans une démarche d’évaluation d’un programme d’égalité des chances, on ne peut se contenter de données quantitatives brutes telles que les résultats au baccalauréat, au concours commun ou le nombre d’entrées en classe prépa des élèves qui l’ont suivi. Comme le prévoit le mécanisme informatique d’évaluation des 6 IEP, il est important d’observer l’évolution dans le temps. Pourtant cela n’est pas non plus suffisant pour comprendre ce qui profite aux élèves, pourquoi, et avant tout qui sont-ils vraiment. En recueillant des données qualitatives auprès des acteurs principaux du programme : les élèves et leurs enseignants, on s’approche de ces raisons. Toutefois, il est après coup difficile de ne pas s’attacher aux parcours individuels et d’essayer de les réinsérer dans une réflexion plus vaste, par exemple en tâchant de les regrouper dans des profils sociologiques. C’est pour ne pas avoir à trop m’éloigner des différentes histoires personnelles, pour pouvoir m’inspirer d’elles directement, que j’ai choisi de présenter ce mémoire thématiquement. Sans point de comparaison autre que mes contacts personnels ou professionnels et mes lectures scientifiques, j’ai voulu montrer que ces adolescents ne correspondent pas exactement au profil de la majorité de ceux qui doivent faire face aux mêmes contraintes et environnement socio-économiques, même si l’on ne considère que ceux qui ont de bons résultats scolaires. Ils arrivent en effet à contourner ces difficultés dans un ou plusieurs aspects de leur vie sociale que l’on a segmentée en trois sphères qui interagissent voire se recoupent : la famille, l’école, la société. Cet état de fait qui ressort des entretiens fait de ces adolescents des individus qui semblent plus impliqués, plus curieux et donc grâce à la combinaison de ces deux facteurs, plus ouverts que la moyenne. Ce n’est pas seulement le programme égalité des chances qui permet cela car le fait même que ces élèves s’y intéressent fait déjà partie de cette ouverture et ne résulte que rarement d’un projet scolaire ou de pressions familiales. Sans pouvoir juger réellement de son efficacité, il est intéressant de voir ce que les élèves déclarent avoir retiré de leur participation au DISPO car cela en dit long sur eux-mêmes et sur leur conscience des enjeux de l’enseignement supérieur, de l’avenir professionnel. Certains font alors preuve de beaucoup de lucidité dans l’analyse de leur propre parcours. Une chose est sûre : même s’ils n’en sont pas forcément conscients, leur particularité les rend sans doute plus à même de profiter pleinement des opportunités et des avantages offerts par un programme égalité des chances tel que DISPO. 95 Annexes Bibliographie Ouvrages et réflexion scientifiques : - Christian BAUDELOT, Roger ESTABLET, L’élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, La République des idées, Seuil, 2009 - François DUBET, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, La République des idées, Seuil, Paris, février 2010 - Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème édition, 2007 - Marie DURU-BELLAT, Le mérite contre la justice, « Nouveaux Débats », Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2009. - Marie DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation, PUF, 2002 - Geneviève KOUBI et Gilles J. GUGLIEMI, L’égalité des chances : analyses, évolutions et perspectives, Recherches, La Découverte, Paris, 2000 - Bernard LAHIRE, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, Paris, 2004 - Dominique PASQUIER, Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Editions Autrement, Paris, 2005 Etudes officielles : - Exclusion et pauvreté en milieu scolaire, les rapports de l’Inspection Générale de l’Education Nationale (IGEN), Hachette, 1997 - Olivier DONNAT, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique. Enquête 2008, La Découverte, Ministère de la culture et de la communication, 2009 Articles et revues scientifiques : - Les classes populaires dans l’enseignement supérieur : Politiques, stratégies et inégalités, ACTES de la recherche en sciences sociales, n°183, juin 2010 - Xavier de GLOWCZEWSKI, Focus « Les dispositifs de démocratisation de l’accès au supérieur, état des lieux », in (dir.) B. TOULEMONDE, Le système éducatif en 96 France, La documentation Française, Paris, novembre 200955 Dictionnaire utilisé : - Sylvie MESURE et Patrick SAVIDAN, Le dictionnaire des sciences humaines, PUF, Paris, 2006 Articles de presse et pages internet : - Sur la signature de la convention entre les six IEP et le ministre de l’Education nationale, Luc Châtel, voir la vidéo : http://www.education.gouv.fr/cid50346/signature-d-uneconvention-cadre-entre-le-ministere-et-six-i.e.p.html et l’article de la Dépêche du Midi du 20 janvier 2010 : http://www.ladepeche.fr/article/2010/01/20/758921-100-000-pour-acceder-auxsix-Sciences-Po-de-province.html - Autres articles de la Dépêche du Midi, sur le DISPO, le 21 janvier 2010 : http://www.ladepeche.fr/article/2010/01/21/759748-L-Institut-d-etudes-politiques-signe-pourl-ouverture-sociale.html et sur le Festiv’, le 20 mai 2010 : http://www.ladepeche.fr/article/2010/05/20/839268-Festiv-5-000-jeunes-au-Zenith-pourrever-la-region.html - Des photographies des moments-clés du DISPO : concours d’actualité, colloque des premières, sont sur Picasa http://picasaweb.google.com/115883200968512638139 55 Disponible en ligne sur http://www.mediapart.fr/files/grandes-ecoles.pdf 97 Lexique Calcul coût-bénéfice (R. Boudon56) : Les choix entre les filières reposent sur une anticipation rationnelle de l’avenir par les familles. Elle comprend la prise en compte du risque et du coût qu’elle compare aux avantages qui seront retirés du fait de faire des études. Ce choix rationnel se fait donc à partir des caractéristiques sociales et scolaires des élèves ainsi qu’en fonction de leurs aspirations et de leurs projets d’avenir. Culture : Tout ensemble plus ou moins organisé de savoirs, de codes, de valeurs ou de représentations associés à des domaines réguliers de pratiques. C’est la dimension symbolique de toute pratique sociale des plus ordinaires aux plus savantes 57. Dans un autre usage du mot, plus restrictif, on attribue l’adjectif « culturel » à une partie seulement des pratiques sociales, le reste étant « sous-culture » voire « nature ». Ce que l’on appelle « culture » dépend alors des rapports de force entre les institutions (l’école, les médias) et les agents sociaux (enseignants, journalistes, critiques) qui imposent leur vérité. Tout ne se vaut pas dans le monde social, cependant les hiérarchies évoluent avec le temps (légitimation du jazz et de la photographie). L’objectif de l’école en France est de créer au-delà des différences culturelles des références communes au risque de sacrifier le sujet au citoyen, cependant les enseignants les plus jeunes semblent plus à même d’accepter la diversité des origines culturelles des élèves58. On peut parler de culture légitime dominante si l’on observe une croyance en la supériorité de certains biens ou activité culturels sur d’autres. L’école dispose d’un public captif pour imposer la légitimité de certaines pratiques culturelles, elle développe pour cela un système d’évaluation-sanction des produits. Il faut un degré de désirabilité collective pour légitimer certaines pratiques : on ne parle pas d’inégalités sociales d’accès au travail ménager car celui-ci malgré sa distribution différentielle selon le sexe et la classe sociale n’est pas considéré comme noble et primordial. On assiste à une concurrence entre deux ordres de légitimité culturelle différents, car il n’y a pas de reconnaissance unanime d’une légitimité par toute la population. On oppose haute culture et culture populaire ou industrie culturelle. On peut dominer par le nombre et la popularité (chansons, séries télévisées, littérature grand public) ou par la rareté et la noblesse (œuvres musicales, théâtrales, picturales…etc.). Le 56 R. BOUDON, La logique du social, Paris, Hachette, 1979 B. LAHIRE « Culture » in S. MESURE et P. SAVIDAN, Le dictionnaire des sciences humaines, puf, 2006 58 P. RAYOU, A. VAN ZANTEN, Enquêtes sur les nouveaux enseignants : changeront-ils l’école ?, Paris, Bayard, 2004 57 98 premier traverse souvent les classes, le second est réservé à ceux qui soit par la famille ou l’école ont constitué des goûts rares et demandant des connaissances préalables. Les circuits de diffusion de ces produits culturels sont parfois les mêmes (médias, cinémas) parfois distincts (école, musées, théâtres). Il faut en revanche souligner que l’examen des profils culturels d’individus59 révèle qu’ils alternent entre le savant et le divertissant, il y a donc une limite à raisonner uniquement en termes de classes sociales. Egalité des chances : avoir tous les mêmes probabilités d’accès aux différents niveaux de l’enseignement et en particulier aux niveaux les plus élevés, c’est donc l’absence de liens systématiques entre ce qu’on atteint et ses propres appartenances catégorielles sociales ou sexuées. Mais l’égalité des chances ne se définit pas par l’identité des niveaux atteints car cela dépend de la motivation, des aspirations et des capacités de chacun 60 . Le but n’est pas d’aboutir à une égalité de conditions plus tard, dans une vie adulte, puisqu’il s’agit d’entrer dans une société inégale, mais bien d’offrir la garantie d’une compétition juste. Les inégalités ne peuvent plus être fondées sur des privilèges mais sur des qualités personnelles, cela coïncide avec l’apparition de la notion d’aptitude. Projet scolaire : ce terme n’est pas à comprendre seulement dans un sens utilitariste, il englobe aussi les aspirations des enfants et l’histoire familiale, le rapport des parents à leur propre expérience scolaire, tout ce qui peut influencer les comportements de la famille vis-àvis de la scolarité de leurs enfants61. Le projet scolaire et la manière de l’inclure au projet familial dépend des ressources culturelles et financières ce qui implique que toutes les familles ne sont pas forcément capables d’en développer un. Théorie de la reproduction (P. Bourdieu et J-C. Passeron62) : Les familles modèlent l’enfant de manière variée, à travers la transmission de valeurs, d’une vision du monde, de savoirs et de savoir-faire qui se cristallisent notamment autour du langage. Elles ont chacune un style éducatif propre. C’est l’institution scolaire qui fait ensuite de ces différences des inégalités de réussite : on parle alors d’inégale distance des élèves par rapport au but valorisé par le système éducatif selon le milieu social dans lequel ils évoluent. Les classes dominantes sont en effet celles qui ont la capacité de définir à leur image la culture scolaire requise. 59 B. LAHIRE, La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, Paris, 2004 M. DURU-BELLAT, Les inégalités sociales à l’école, Education et formation PUF, 2002 61 Marie DURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, Sociologie de l’école, Armand Colin, collection U, 3ème édition, 2007 62 P. BOURDIEU et J-C PASSERON, La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Editions de Minuit, 1970 60 99 Convention de partenariat DISPO entre l’IEP et les lycées Entre : Le lycée ___________________________________________________________représenté par M., Mme1, ___________________________________, proviseur(e). Ci après désigné par « le lycée » Et l'Institut d'Etudes politiques de Toulouse, représenté par Madame Laure Ortiz, directrice Ci après désigné « l'IEP » II a été convenu ce qui suit : EXPOSE DES MOTIFS A la suite de l’appel d’offre pour l’égalité des chances dans l’accès aux formations d’excellence de 2006, l'IEP de Toulouse s’est engagé dans la mise en place d'un dispositif afin de détecter, révéler et accompagner les ambitions d’élèves issus de milieux défavorisés, de promouvoir leur réussite en les accompagnant, vers des choix d'excellence de l'enseignement supérieur. Fort de cette expérience l’IEP de Toulouse entend poursuivre ces actions et élargir le public visé à travers le programme DISPO (Dynamique Innovation Sociale et Politique) pour la période 2009 – 2012. Ce programme est mis en œuvre dans les lycées de la région Midi-Pyrénées dès l’année 2009 -2010. Ce programme est mis en œuvre dans plusieurs lycées de l’académie de Toulouse, il s’adresse prioritairement à des élèves présentant un fort potentiel et issus de milieux défavorisés. Les expériences acquises par les divers acteurs en la matière ont été intégrées à la réflexion, dans un état d'esprit réaliste et une volonté de produire un projet collectif et commun qui prenne en compte la diversité des acteurs (petits et grands établissements, lycées métropolitains et lycées en périphérie régionale) afin de ne pas rajouter d'autres formes d'inégalités que celles liées à la situation propre des élèves concernés. C'est dans cette direction que le dispositif proposé vise à favoriser des dynamiques à différentes échelles : individuelles, d'établissements et territoriales. De manière synthétique le dispositif entend remplir les trois objectifs suivants: 1– Transformer les représentations attachées aux études supérieures que ce soit celles des élèves, des familles ou de la communauté éducative; 2 – Détecter, révéler et accompagner les ambitions des élèves; 3 – Contribuer à l'acquisition des méthodes de travail, de la culture et des codes sociaux favorisant la poursuite d'études universitaires. Une évaluation du programme sera réalisée chaque année. Pendant la durée de la convention (2009-2012) l’objectif du programme DISPO est d’accompagner dans le lycée ______________________________________, de façon individualisée, un groupe d’environ 30 élèves par an (10 en seconde, 10 en première, 10 en terminale) PRESENTATION GENERALE Article 1 : Principe de coopération La présente convention définit les principes de la coopération entre le lycée et l'IEP pour l'accueil de lycéens du lycée _________________________________ dans le cadre des actions 1 Rayer la mention inutile 100 définies par le dispositif. Elle précise les modalités de mise en œuvre des actions dans le lycée. Chaque année, un avenant confirmera l'engagement du lycée et de l'IEP dans la prise en charge d'une nouvelle promotion. Article 2 : Responsabilité du lycée Le lycée s'engage à tout mettre en œuvre pour satisfaire la bonne réalisation du programme DISPO. Il est souhaitable que le programme soit présenté au conseil d’administration préalablement à son inscription au projet d’établissement. Article 3: Statut des élèves Les lycéens demeurent durant leur formation, sous statut scolaire. Ils restent sous l'autorité et la responsabilité de l’enseignant du lycée et du chef d'établissement. Ils sont soumis aux règles générales en vigueur dans l'organisme d'accueil, notamment en matière de sécurité, d'horaires et de discipline. Article 4 : Communication Toute communication liée au programme DISPO sera effectuée en concertation mutuelle des deux parties. ORGANISATION Article 5 : Le professeur référent Le lycée s'engage à désigner un professeur référent, choisi au sein de l'équipe pédagogique qui assurera la coordination pédagogique des actions DISPO (Concours d’actualité, Colloque des lycéens ; Journée d’immersion, plate-forme PEI) au sein du lycée, tout au long de la période sauf cas de force majeure. En cas d’un constat de défaillance du professeur référent dans l’une de ces missions, le lycée s’engage à procéder à son remplacement dans les meilleurs délais. Le lycée s'engage à faciliter l'action de coordination du professeur référent au sein du lycée (plage horaire pour les ateliers, pour les réunions pédagogiques…) aussi bien que lors de ces déplacements pour des réunions extérieures. Article 6 : Pilotage du programme DISPO L'IEP désigne un responsable général du programme, de sa réalisation et de son évaluation. Un coordonnateur pédagogique des établissements est nommé sur proposition du Recteur. Il veille et coordonne la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des actions du programme DISPO dans chacun des établissements concernés en liaison avec l’IEP. En cas de défaillance du coordonnateur pédagogique des établissements, à l’IEP propose son remplacement dans les meilleurs délais. L’IEP désigne un coordonnateur chargé de la logistique du programme. En liaison avec le coordonnateur pédagogique des établissements, il assure la mise en œuvre à l’IEP des actions prévues dans le cadre du programme DISPO. Il organise et évalue notamment le tutorat étudiant. Article 7 : Comité de pilotage DISPO Le proviseur ainsi que le professeur référent sont membres du comité de pilotage. Celui-ci se réunit au moins une fois par an afin de faire le bilan des actions menées et de déterminer le programme des actions futures. L’IEP s’engage à communiquer un bilan annuel du programme aux établissements partenaires. 101 FRAIS AFFERENTS AU PROGRAMME DISPO Article 8 : Frais incombant à l’IEP La rémunération de l’enseignant référent en charge de la coordination du programme dans le lycée sera prise en charge par l’IEP. Les frais afférents à la réalisation des actions du programme DISPO (Concours d’actualité, Colloque des lycéens, Journée d’immersion, plate-forme PEI) seront pris en charge par l’IEP en fonction du budget prévisionnel. Article 9 : Frais incombant aux établissements La rémunération des enseignants qui assurent la réalisation des ateliers du programme DISPO au sein du lycée sera prise en charge par le lycée dans le cadre de la dotation horaire de l’établissement notamment celle rattachée au projet d’établissement. Les frais afférents au transport des élèves et des enseignants dans le cadre des actions annuelles du programme DISPO (Concours d’actualité, Colloque des lycéens, Journée d’immersion, sorties culturelles, réunion de coordination) seront pris en charge par les établissements dans le cadre notamment des Projets d’avenir ou de toute autre modalité de financement. Les frais afférents aux repas des étudiants tuteurs lors de leur venue dans l’établissement seront pris en charge par le lycée. Le lycée comme les familles ne supporteront, en aucun cas, la moindre charge financière supplémentaire. SUIVI ET EVALUATION Article 10 : Suivi des élèves Les lycéens ont une obligation d’assiduité aux ateliers du programme. Les parents des élèves bénéficiaires sont informés de la participation de leurs enfants au programme DISPO. Le chef d'établissement et le responsable de programme de l'IEP se tiendront mutuellement informés des difficultés qui pourraient naître de l'application de la présente convention et prendront d'un commun accord et en liaison avec l'équipe pédagogique, les dispositions propres à les résoudre, notamment en cas de manquement à la discipline. Article 11 : Evaluation du programme L’évaluation est menée à partir d’un questionnaire soumis aux élèves concernés par le programme afin d’identifier son impact sur leurs choix d’orientation et de réaliser une sociologie des bénéficiaires. L’ensemble des questionnaires est saisi par le professeur référent sur une base de donnée informatisée. Cette base garantie l’anonymat des données sauf autorisation expresse des élèves ou des parents pour les mineurs. Les noms et coordonnées des élèves ayant donné leur autorisation seront conservés afin d’effectuer un suivi post bac (jusqu’à Bac + 5). Les données confidentielles recueillies, ne seront utilisables qu’aux fins de l’évaluation scientifique du dispositif. Article 12 : Durée et résiliation 102 La convention est d'une durée minimale de 3 ans. A l’issue de cette période, elle pourra être prorogée d’un commun accord par voie d’avenant pour une nouvelle période après évaluation faite par les deux parties des acquis et résultats de la période écoulée. En cas de non respect par l’une des deux parties des articles, la présente convention pourra être dénoncée par l’une des parties avec préavis de 2 mois Fait à ___________________________________, le_____________________ Le Directeur de Sciences Po Toulouse, Le proviseur du lycée _____________________, ANNEXES 1 - Actions et périodicité Le programme DISPO s’organise autour de trois ateliers principaux En seconde : un concours sur un thème d’actualité, un travail sur le projet d’orientation ; En première : un colloque portant sur les territoires, une sensibilisation au milieu professionnel (stages en entreprises, administrations…) - En terminale : une sensibilisation aux parcours d’excellence, une journée d’immersion à Sciences Po Toulouse, la préparation aux études supérieures (plate-forme PEI). D’autres actions de type culturel notamment peuvent venir enrichir le programme. - Les ateliers se déroulent durant l’année scolaire entre les mois d’octobre et juin sur des plages horaires spécifiques à raison de 24 heures minimum à chaque niveau de classe. 2 – Missions du professeur référent Le professeur référent a pour mission : 1- de coordonner l’équipe enseignante engagée dans la mise en œuvre des ateliers DISPO ; 2- de diffuser l’information relative au recrutement d’élèves de milieux défavorisés (cf. art. 9) aux professeurs principaux ; 3- de superviser le recrutement des élèves ciblés en veillant particulièrement à ce que l’objectif de 2/3 d’élèves issus de milieux défavorisés soit respecté pour chaque groupe de niveau de classe (2nde, 1ère , Terminale) ; 4- de collecter les informations nécessaires à la base de donnée de suivi et d’évaluation (questionnaires) et de remplir la base ; 5- de contribuer avec le concours du chef d’établissement à l’organisation opérationnelle des actions DISPO (déplacement, rédaction des projets d’avenir, insertion dans le projet d’établissement,…) 6- de participer aux réunions pédagogiques relatives au programme DISPO ; 7- d’accueillir ou de prévoir des modalités d’accueil des étudiants tuteurs ; 8- de fournir les informations d’ordre pratique sollicitées le cas échéant par le coordonnateur pédagogique des établissements ou par le coordonnateur de l’IEP. 103 3 – Critères de recrutement des élèves dans le programme L’ensemble des élèves concernés doivent présenter un « fort potentiel » et être pour les 2/3 d’entre eux issus de milieux défavorisés. 3-1 Les élèves présentant un « fort potentiel » L’ensemble des élèves retenus dans le programme doit présenter un « fort potentiel ». L’appréciation de celui-ci relève des équipes pédagogiques et prend en compte : - Le niveau scolaire tel qu’il s’apprécie dans les notations (moyenne générale supérieure à 11/20) - L’absence d’ambition, en termes d’orientation, d’élèves sans difficultés scolaires. - Des élèves présentant des qualités ou des compétences non intégrées dans l’évaluation scolaire mais de nature à être transformées dans le cadre du programme en ambition vers des études supérieures longues. 3-2 Les lycéens de milieux défavorisés Le public concerné par les actions du programme DISPO doit être composé pour les 2/3 d’élèves boursiers. Pour le tiers restant, il convient de privilégier les élèves dont la situation économique, sociale, familiale ou encore géographique est susceptible de générer des phénomènes d’autocensure et des situations qui produisent des inégalités de traitement. ( Filles, Parent(s) salarié(s) dans les PCS : ouvrier, agriculteur, artisan ou employés, Parent(s) sans profession, au chômage, Lycéens issus des collèges ZEP ou Ambition réussite, Résidant en Z.U.S, Famille monoparentale, Situation de handicap, Difficultés familiales particulières (décès, longue maladie,…) 104 Des dispositifs égalité des chances pour l’accès à l’enseignement supérieur Quelques dispositifs égalité des chances leurs objectifs l'originalité Modalités de Lutter contre les recrutement Conventions obstacles auxquels diversifiées Education font face ces élèves mais tout aussi Prioritaire (2001), Sciences Po Paris. (manque de moyens sélectives. Partenariat avec des financiers, Opération sur lycées ZEP, sélection d'information tout par les enseignants spécialisée, biais l'établissement. d'élèves admissibles à social et phénomène Echanges dans une voie d'entrée d'autocensure). les 2 sens. parallèle au concours Demande des Evaluation classique. entreprises. statistique précise. Pourquoi pas moi ? Pas de voie (2003) à l'ESSEC. Agir contre les Tutorat des étudiants réservée, pas de inégalités, auprès de bons et très soutien développer un bons élèves de zones scolaire, territoire. Diversifier défavorisées autour de débouchés le recrutement de l’école pour les aider larges, s’inscrit l’ESSEC, élargir les à monter un projet sur un horizons de ses personnel et territoire, met étudiants + joue sur professionnel grâce à en relation avec la Conférence des l’acquisition d’un les grandes écoles. capital culturel et de entreprises… codes sociaux. Favorise la Combattre les diversité dans Le Cercle Passeport inégalités sociales et les entreprises. territoriales en Dans chaque Télécom (2005) Association favorisant l'accès région trinômes regroupant 7 grandes aux écoles réunissant des entreprises télécoms d'ingénieurs jeunes reconnus et accompagnant des télécoms de jeunes pour leur mérite élèves inscrits en issus des quartiers (bac, BTS), des classes préparatoires sensibles, avec, en écoles technologiques situées perspective, des d’ingénieurs en ZUS pour leur carrières de haut télécoms et des permettre de faire une niveau dans les grandes école de commerce ou métiers des entreprises d’ingénieurs. technologies de la télécoms; aide communication. au financement des concours. les incertitudes aller plus loin Pas d’évaluation et dérives : des fils de cadres supérieurs vont dans les lycées de ZEP pour rentrer à Sciences Po. Augmenter les capacités d'accueil de Sciences Po pour favoriser l'égalité des chances. Coordonner connaissances scolaires et compétences. Quels effets ? (effets surtout sur les tuteurs !) Comment jouer sur la mise en réseau ? Plus de jeunes doivent être touchés, aller vers une nationalisation du dispositif (politique publique). Améliorer l’information sur l’orientation et le financement des études. Synchroniser l’action : coordination nationale et implication régionale de l’ensemble des acteurs + cadrage précis du programme mais capacité d’adaptation à la diversité des réalités rencontrées. Elargir ce dispositif à d’autres secteurs. 105 Quelques dispositifs égalité des chances les incertitudes aller plus loin Pas de limites géographiques mais élèves nécessairement boursiers. Passerelle vers les études supérieures, sorte d’échelon manquant ? Impulser candidatures en CPGE (aides sur 3 ans) Ne pas rester une vitrine, faire école (vers d’autres CPES dans d’autres grands lycées). Des propositions plus directes de partenariat ont été lancées vers 200 lycées. Diffuser dispositifs d’accompagnem ent aux autres classes prépa d’H4 Les cordées de la réussite (2008) Politique publique : partenariat entre un ou plusieurs établissement d’enseignement supérieur et des lycées ou collèges qui veulent promouvoir l’égalité des chances et la réussite (notamment filières d’excellence). Construire des réseaux de solidarité à partir d’action telles que le tutorat, accompagnement scolaire et culturel. Les cordées sont animées par des jeunes. Objectifs = changer le regard, transmettre des codes, permettre l’ascension sociale Politique publique donc maillage qui se veut national ; coordination avec d’autres dispositifs comme la Dynamique Espoir Banlieue ; attention particulière sur 60 lycées ; partenariat avec des entreprises pour des stages ; axé sur les CPGE (prépas). Axé sur l’excellence mais ouvert à tous type d’établissemen t ; cadre vague donc libre ; peu de moyens accordés → 2 000 000€ (pour l’instant 125 cordées labellisées) : financement en fonction du projet. Elargir au maximum le dispositif, mais quels moyens ? En 2012, 50% d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur. Objectif de 30% de boursiers en CPGE, intégrer les 119 lycées des 215 quartiers prioritaires dans une cordée. Programme d’Etudes Intégrées de l’IEP de Lille (2008) Permet aux élèves méritants de condition modeste de préparer le concours commun d’entrée aux IEP via une plateforme en ligne (iepei.com) et une semaine de cours intensifs à l’IEP (pour les élèves de terminale). Préparer au mieux des élèves méritants, de conditions modestes, à passer le concours commun des IEP et préparer ces élèves aux études supérieures. Site Internet, forum, devoirs par correspondance, concours blanc, semaine de formation intensive. Manque de financement de la part de l’Education nationale = problème pour pérenniser le dispositif. Plateforme de formation mutualisée avec les IEP de Toulouse, Aix, Lyon, Rennes et Strasbourg depuis 2009. Classes Préparatoires aux Etudes Supérieures (lycée Henri IV) 2006 Préparer l’entrée en classe préparatoire aux grandes écoles d’élèves méritants de conditions modestes. leurs objectifs Renforcer les acquis du secondaire, la culture générale (philosophie et langues pour tout le monde) et les méthodes. Logement en cité U, aides financières. Tutorat étudiant, parrainage d’entreprises et sorties culturelles. l'originalité 106 Résumé du mémoire Les dispositifs égalité des chances développés dans le cadre scolaire reconnaissent qu’une part seulement des destinées des personnes correspond à leur mérite et à leur responsabilité individuelle car l’école semble reproduire les inégalités sociales de départ entre les individus. Ils se posent alors en correctifs qui du même coup perpétuent la croyance en un principe méritocratique et légitiment l’organisation hiérarchique de la société. A partir d’une position originale, le dispositif égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur de l’IEP de Toulouse (DISPO) cherche à donner confiance en soi et à susciter des ambitions d’études chez des lycéens de milieux modestes de l’Académie. En réalisant des entretiens biographiques avec de nombreux acteurs du programme, j’ai ébauché une sociologie des bénéficiaires du DISPO. Sans me poser en juge du dispositif, j’ai souhaité également analyser leur ressenti sur le déroulement de l’année et ce qu’ils pensaient en retirer. Mobilisant trois univers en interaction, la famille, le lycée et la société, les adolescents interrogés m’ont fait part de leur rapport à l’école, de leurs aspirations et activités professionnelles ou bénévoles ainsi que de leurs multiples pratiques culturelles. Si de manière générale, ils restent conformes aux profils sociologiques type, ils arrivent d’après moi à contourner certaines contraintes familiales, économiques ou géographiques auxquelles ils sont confrontés. Ils font alors preuve de beaucoup de curiosité et d’implication dans ce qu’ils aiment ou ce en quoi ils croient. Cela fait d’eux des adolescents plus ouverts que la moyenne et les rend plus aptes non seulement à participer au programme égalité des chances mais surtout à en profiter pleinement. Mots clefs : égalité des chances – démocratisation – Institut d’Etudes Politiques – sociologie de l’éducation – évaluation – pratiques culturelles lycéennes 107