Indochine - Pas de repos pour l`aventurier

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Indochine - Pas de repos pour l`aventurier
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aux origines d’indo
Aux origines d’Indo
Trônant aujourd’hui au sommet du rock français, Indochine est
un groupe qui revient de loin, mais qui vient de plus loin en­
core. Et pas juste par son nom. Ainsi trois des membres du
groupe fondateur ont des origines étrangères. Le grand­père de
Dimitri est venu de Russie, et l’ascendance paternelle des frères
Sirkis est 100% moldave. Ce qui tranche avec l’origine vos­
gienne de leur mère. Nicola et Stéphane sont ainsi au croise­
ment de deux lignées très différentes. D’un côté, une
bourgeoisie très vieille France où l’on vouvoie ses parents. De
l’autre, des exilés fuyant l’antisémitisme et que l’exil fera défi­
nitivement déchoir de leur vie bourgeoise. Le père des jumeaux
Jean Sirkis est en effet arrivé de Moldavie avec ses parents en
1933, à l’âge de 6 ans. Ceux­ci, de confession juive, ont vu leur
situation se dégrader lentement depuis 1917 et après quelques
années passées à travailler en Palestine dans ce qui deviendra
après­guerre un kibboutz, le grand­père Sirkis a décidé de par­
tir s’installer en France, empruntant à ses parents le prix du bil­
let. Il quitte donc Chisinau, capitale de la Moldavie russe,
envahie depuis 1917 par la Roumanie qui revendique ce terri­
toire et atterit à Toulouse avec les siens. La chute est brutale
pour le couple Sirkis qui menait en Moldavie une vie bourgeoise
et est contraint en France de s’embaucher comme manœuvres
dans une imprimerie. Il ne réussira jamais à retrouver le standing
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qui était le sien, vivant longtemps dans une chambre de 12 m2
avec un simple lavabo et un vague coin­cuisine. Les grands­pa­
rents des jumeaux le troqueront plus tard pour un logement à
peine moins exigu où ils vivront jusqu’à leur mort. A 12 ans,
Jean Sirkis perdra son petit frère encore bébé d’une mauvaise
chute. Puis ce sera la guerre qui verra la Milice piller les maigres
affaires de ses parents, prévenus de la rafle à venir à la dernière
minute.
Plus tard, le père des jumeaux, devra se battre pour étudier car
en tant que juif, il n’a pas le droit d’entrer à l’Ecole de chimie
de Toulouse avant la Libération. Ensuite, c’est l’armée qui lui
mettra la main dessus. Et le fait qu’il ait été résistant durant la
guerre ne changera rien à l’affaire. Il travaillera donc le jour pour
aider ses parents et étudiera le soir avant d’obtenir son diplôme.
Cultivé, il rencontre sa future femme Michèle Henry, l’aînée de
cinq enfants sur son lieu de travail : à Saclay dans l’Essonne où
il est devenu ingénieur chimiste.
Michèle dont le père est lieutenant­colonel ne vient pas du
même monde que son mari à qui il arrivait jusque­là parfois,
comme un certain Jacques Chirac de vendre l’Humanité sur les
marchés. Mais sa famille voit finalement d’un bon œil ce ma­
riage avec ce jeune chimiste de 31 ans promis à une belle car­
rière. Et puis nous sommes en 1956, époque où pour une
femme, se marier à 27 ans paraît déjà tard ! D’ailleurs à l’église,
ce sera une bénédiction plus qu’un mariage comme c’est encore
souvent le cas quand les deux époux sont de religion différente.
Et bizarrement, le non­dit associé aidant, au fait que Jean Sir­
kis ne soit pas croyant, fait que les enfants Sirkis n’entendront
durant leur enfance, jamais parler des origines juives de leurs
grands­parents paternels. C’est leur mère qui finalement abor­
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dera la question avec eux, du bout des lèvres alors que les trois
frères sont déjà majeurs. Ceci à la grande surprise de Nicola tout
d’abord incrédule. C’est que le catholicisme de la branche ma­
ternelle avait d’emblée pris le dessus : tout ce petit monde ayant
été baptisé à l’église avant de faire sa communion.
Double naissance et petite enfance à Igny
Quand on annonce à Michèle Sirkis qu’elle attend des jumeaux,
la fratrie Sirkis se compose déjà d’un petit Christophe né en
avril 1957 et envoyé chez ses grands­parents maternels à l’occa­
sion de la venue au monde des jumeaux. C’est Nicola qui naî­
tra le premier, et si les deux frères sont de faux jumeaux, ils ont
quand même une ressemblance assez flagrante ! Après que leur
maman leur a donné naissance à l’hôpital d’Antony le 22 juin
1959, les deux bambins Sirkis passeront leurs deux premières
années à Igny, paisible bourgade de l’Essonne, accolée à Massy­
Palaiseau. Pour l’heure, voilà la famille Sirkis installée dans une
petite maison donnant sur le cimetière ! Du moins le cadre des
premiers tours de poussette des jumeaux est­il verdoyant, aux
confins de la vallée de la Bièvre et du plateau de Saclay. Et au
moment où Nicola et Stéphane percent leurs premières dents
dans cette ville ô combien endormie, Igny gagne finalement son
passeport pour la gloire en servant en partie de cadre à la bande
dessinée S.O.S Météores, une des meilleures aventures de Blake &
Mortimer signée du grand Edgar P. Jacobs.
La ville s’y retrouve immortalisée sous la neige lors d’une pour­
suite en voiture entre Blake, chef du contre­espionnage anglais
(le fameux M.I 5) et de vilains gangsters américains lancés à ses
trousses sous les ordres du méchant légendaire de la série :
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le fourbe Olrik. Après une course poursuite rue Gabriel­Péri,
Blake finit par abandonner sa Buick au passage à niveau d’Igny,
un peu à l’écart de la ville (qui ne compte alors pas plus de 5000
habitants) et à se hisser sur la dernière voiture du train de ban­
lieue qui mène à Paris. C’est alors ce qu’on appelle la ligne de
Sceaux ­devenue depuis une des branches de l’actuelle ligne du
RER C. Stéphane Sirkis qui appréciait la BD a sûrement lu cet
album, même s’il ne devait plus guère avoir de souvenirs d’Igny
qu’il a quittée à deux ans. Et Indochine qui entre Bob Morane,
le comte de Monte Cristo ou J.D Salinger a toujours su rendre
hommage à ses héros d’enfance, réels ou de papier auraient aussi
bien pu chanter les louanges de Blake & Mortimer. Mais Bob
Morane du fait de sa popularité en Belgique trône définitive­
ment au premier rang de leurs souvenirs d’enfant, c’est donc lui
qui inspirera l’Aventurier. Peut­être son côté plus sexy que les
deux quadragénaires anglais jouera­il aussi !
En tous cas, aujourd’hui, Igny abrite depuis 1998 son festival
annuel de bande dessinée, chaque mois de décembre mais rien
n’y rappelle la trace du passage des landaus de la fratrie Sirkis.
Il est vrai qu’elle fut brève puisqu’à deux ans à peine, toute la fa­
mille prend la route de Bruxelles où le père a trouvé un nou­
veau poste d’ingénieur, plus passionnant. Et Igny retombe dans
sa torpeur bourgeoise. Il faudra attendre la hardeuse Tabatha
Cash qui y habitera durant son adolescence pour pimenter un
peu sa réputation. Alors que Diam’s passera elle par le collège
privé St Nicola que les Sirkis auraient aussi pu fréquenter s’ils y
étaient restés.
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