Mémoire Le patient souffrant de la maladie d`Alzheimer peut
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Mémoire Le patient souffrant de la maladie d`Alzheimer peut
Mémoire Le patient souffrant de la maladie d’Alzheimer peut-il être inclus, en tant que patient-témoin, dans la chaîne de soin ? Etude exploratoire par le biais d’une recherche-action Promoteur : Professeur Philippe Meire Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en Sciences psychologiques par Isabelle Henkens Louvain -la-Neuve, Août 2015 DVD Vidéo témoignages Je vous invite à regarder cette vidéo-témoignages après avoir lu l’introduction. Remerciements A ma très chère grand-mère, que j’ai si souvent sollicitée dans les cieux, pour qu’elle me montre le chemin, m’envoie de l’énergie, me protège des maux les plus divers en cas de gros stress. Sa douce chaleur continue de me bercer. A mes chers parents, toujours à mes côtés pour m’encourager et me soutenir – voire me nourrir !!!- et dont le solide bon sens me ramène toujours les pieds sur terre. A 84 et 81 ans, ils sont tous les deux dans une maison de retraite…une demi-journée par semaine, comme bénévole. Leur belle vitalité, leur humour et leur générosité m’aident à apprivoiser sereinement l’idée de vieillir. A Elsa, Mouloud, Paul et Annick, les patients-témoins avec lesquels j’ai eu le privilège de faire un petit bout de chemin. Ils m’ont donné leur confiance et ont participé à ce projet avec une sincérité qui m’a infiniment touchée. Ce n’est pas seulement des témoignages qu’ils m’ont donnés, mais des leçons de vie. Je ne les oublierai jamais. A Inge Cantegreil, Docteur en psychologie, qui a été mon Maître de stage à l’hôpital Broca. C’est parce qu’elle m’a impliquée dans tous les aspects de son travail que j’ai été ‘exposée’ au concept de patient-expert. C’est grâce à nos échanges à bâtons rompus que l’idée de ce mémoire a jailli. Elle m’a efficacement épaulée tout au long de ce projet, tant dans la réalisation de la phase clinique que dans la réflexion. Ses connaissances nourries par ses recherches, son expérience, son sens de l’éthique et son empathie ne cessent de m’impressionner. Elle représentera toujours pour moi un exemple de professionnalisme et d’humanisme. Son amitié m’honore. Au Professeur Philippe Meire, qui a accepté de superviser la rédaction de ce mémoire qui a été, d’un bout à l’autre, peu orthodoxe. Je le remercie très sincèrement pour ses conseils – qui ont eu une importance capitale dans l’appréhension de la problématique et la rédaction dans un style académique -, sa flexibilité, sa patience …que j’ai poussée un peu à bout. J’espère que ce mémoire reflètera, au moins un peu, la richesse de nos discussions. A Manon, Raphaëlle et Maud, qui m’ont efficacement « vitaminées » aux cours des longues heures qu’ont nécessitées la transcription des verbatim. Table des matières 1. Vidéo-témoignages 2. Introduction page 1 3. Revue bibliographique page 4 4. Objet : page 14 1. Méthodologie page 14 A. Le protocole initial page 14 B. Journal de recherche page 16 2. Résultats page 34 5. Analyse du discours des patients-témoins page 42 6. Discussion page 64 7. Conclusion page 77 8. Références bibliographiques page 80 Annexes Introduction C’est en mangeant un sandwich dans le joli cloître de l’hôpital Cochin que l’idée est venue ! Je terminais mon stage au service de ‘consultations-mémoire’ de l’hôpital Broca1. Inge Cantegreil, (neuropsychologue), mon Maître de stage, m’avait gentiment proposé de l’accompagner à un séminaire consacré au concept de ‘patients-experts’, qui se donnait à l’hôpital Cochin (précurseur dans ce domaine). Tout au long de la journée, des patients-experts, atteints de diabète, de polyarthrites, d’obésité sont venus témoigner. Et c’est donc à la pause déjeuner qu’Inge et moi en sommes arrivées à faire ce raisonnement : le concept de patient-expert est une nouvelle approche qui s’applique aux maladies chroniques. Si on considère la maladie d’Alzheimer comme une maladie chronique, cette approche pourrait-elle être applicable aux patients qui en souffrent ? Le premier obstacle était flagrant : impossible de former des patients : les caractéristiques de la maladie sont précisément des difficultés d’apprentissage ….Très rapidement, il est donc apparu que le terme ‘patient-témoin’ serait plus adapté que ‘patient-expert’. Ce concept semblait néanmoins intéressant : On sait que la représentation de la maladie d’Alzheimer est souvent assimilée au stade le plus sévère de celle-ci. (voir revue bibliographique infra) Qui peut mieux faire évoluer la représentation de la maladie d’Alzheimer que des patients qui incarnent la maladie au stade débutant ? Qui peut suggérer efficacement des stratégies de coping sinon les personnes qui les mettent en place au quotidien ? Qui peut mieux contrer la stigmatisation des malades atteints de la maladie d’Alzheimer que les patients qui témoignent avec dignité ? C’est fort de ces arguments que nous avons osé poser cette question de recherche : est-ce que, d’une manière ou d’une autre, le patient souffrant de la maladie d’Alzheimer, pourrait être inclus, en tant que ‘patient-témoin’, dans la chaîne de soins ? 1 L’hôpital Broca est un hôpital gériatrique Universitaire qui se situe dans le 13ème arrondissement de Paris. Il héberge 420 lits et la consultation mémoire est la plus importante d’Europe (4000 consultations/an). 1 Explorer cette question me tenait à cœur, si bien que j’ai changé en dernière minute de sujet de mémoire pour pouvoir l’explorer. Le Professeur Meire, s’est laissé convaincre de bien vouloir superviser mon travail et a été mon allié pour convaincre avec diplomatie l’administration de la faculté et le Professeur qui devait superviser mon premier projet de mémoire, d’accepter ce changement….je crains que ce n’ait été que le début des maux de tête que j’ai dû lui causer ! Pour répondre à cette question de recherche, j’ai filmé le témoignage de quatre patients souffrant de la maladie au stade débutant. (En effet, l’idée d’organiser des ‘face-à-face’ entre patients-témoins et patients nouvellement diagnostiqués ne m’est pas apparue comme adaptée : il me semblait y avoir un risque que la détresse d’un patient nouvellement diagnostiqué ne puisse avoir un impact négatif sur l’état psychique du patient-témoin.) La démarche était prévue en deux étapes comme suit : 1 : sous l’angle d’une expérience partagée : La parole de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer peut-elle être utilisée pour aider des personnes nouvellement diagnostiquées avec ce type de maladie ? A cette fin, il m’a semblé qu’il fallait d’abord évaluer l’acceptabilité de la démarche par les patients-témoins en leur montrant la vidéo réalisée sur base de leurs témoignages. 2 : sous l’angle de l’impact : Si la démarche était acceptable, il s’agirait d’évaluer si la transmission de vécu expérientiel pouvait avoir un impact positif sur l’état de santé et la qualité de vie du patient ‘apprenant’. Dans les faits, cette étude exploratoire s’est arrêtée après la phase d’acceptabilité. Les raisons majeures qui ont motivé la suspension de cette étude à ce stade sont liées aux questions qui ont mobilisé les chercheurs au cours des deux dernières décennies à savoir : L’annonce du diagnostic : qu’est-ce qui est dit au patient ? qu’est-ce qu’il entend ? Qu’est-ce qu’il en retient ? Comment le patient traite-il l’information sur son état ? 2 : la question du moment singulier à saisir : quand la vidéo témoignage pourrait-elle être proposée au patient ? quels seraient les facteurs pertinents pour définir le moment où le patient nouvellement diagnostiqué pourrait bénéficier de l’expérience de ses pairs ? Cette question nous amène logiquement à la dernière question, fondamentale : Etant donné la singularité de chaque individu, de la manière éminemment personnelle dont chaque patient vit sa pathologie et l’évolution très hétérogène de l’expression de la maladie d’Alzheimer ou associée, le témoignage de certains peut-il être pertinent pour d’autres ? Ces questions m’ont amenée à prêter une attention particulière au discours que tiennent des auteurs comme Nathalie Rigaux (1992, 1998, 2012), Peter Whitehouse (2008) et Anne-Claude Juillerat Van der Linden et Martial Van der Linden (2014). Voici comment je résumerais le débat auquel nous invitent ces auteurs : les troubles cognitifs et fonctionnels chez le sujet âgé, doivent-ils être considérés comme une maladie aux expressions multiples, qui doit dès lors être ‘traitée’ ? ou, doivent-ils être abordés comme un processus qui peut faire partie du vieillissement, et qui doit être accompagné ? Ce questionnement remet radicalement en cause toute l’approche actuelle de la maladie d’Alzheimer et notamment la question-clé du diagnostic : si il n’y a pas maladie, il n’y a pas de diagnostic à poser. La conclusion de cette étude exploratoire est double : la vidéo témoignage est plébiscitée par les patients-témoins comme outil pour mieux se faire comprendre du personnel médical (médecins spécialistes, généralistes, infirmières et aides-soignants). certains patients-témoins pourraient, sous certaines conditions, être susceptibles d’être intégrés dans la chaine d’accompagnement de sujets âgés qui en feraient la demande. De nouvelles études exploratoires pourraient examiner l’impact de cette insertion, portant tant sur les sujets-témoins2 (surtout en terme d’estime de soi) que sur les sujets commençant à être affectés par des troubles cognitifs. 2 Si il n’y a pas de maladie, il n’y a pas de patient. 3 2. Revue bibliographique En mai 2014, lorsque j’ai mené une première recherche bibliographique en introduisant le terme « Alzheimer » dans la banque de données de PSYCHINFO, il y avait 32000 travaux de recherche qui étaient répertoriés. En juin 2015, il y en a plus de 51000 ! Dans cette revue bibliographique, je vais me focaliser sur les concepts-clés de mon mémoire : Pour rappel : la maladie d’Alzheimer l’annonce du diagnostic au patient : cette question, on le verra par la suite, a été un facteur majeur des limites de ma recherche exploratoire L’éducation thérapeutique et le concept de patient-expert la façon dont la parole de patients souffrant de la maladie d’Alzheimer a été utilisée jusqu’à présent La maladie d’Alzheimer Le vieillissement est un processus multifactoriel qui est observable sur le plan biologique, psychologique et social. La frontière entre le vieillissement cognitif normal et pathologique est l’objet de multiples controverses. En effet, les expressions du vieillissement cognitif sont très hétérogènes, tant au niveau inter que intra individuel. (Géry-Nargeot & Raffard, 2013) Parallèlement, de nombreuses recherches ont permis de démontrer que les symptômes de la maladie d’Alzheimer sont eux aussi très hétérogènes et que l’évolution de ces symptômes est également très variable. (Arfeux-Vaucher & Ploton 2012 ) À l’heure actuelle, la confirmation du diagnostic ne peut être apportée que post mortem, par l’autopsie du cerveau, car les critères de la maladie sont anatomopathologiques. Du 4 vivant du malade, on ne peut en toute rigueur poser qu’un diagnostic de maladie d’Alzheimer « possible » ou « probable ». (Pasquier, Lebert & Delacourte 1999) Il est dès lors très difficile de définir la frontière entre vieillissement cognitif ‘normal’ et maladie d’Alzheimer, tant sur le plan de la manifestation des symptômes que sur le plan neuropathologique. Il est intéressant de constater que, dans le DSM IV, la maladie d’Alzheimer était considérée comme une catégorie dans le chapitre ‘démences’. Sous la pression, notamment de patients et de leurs proches, qui souffraient de la stigmatisation qui allait de pair avec le mot ‘démence’, ce chapitre s’appelle désormais ‘troubles neuro-cognitifs ‘. Ce changement de vocable ne semble pas permettre de différencier de manière plus claire le vieillissement normal de la maladie d’Alzheimer ou des maladies associées (Ballenger 2010) Malgré ce flou, des diagnostics de MA sont réalisés partout dans le monde occidental. Ceux-ci reposent sur un examen clinique qui comprend généralement un entretien avec le patient (et éventuellement un membre de son entourage), une anamnèse et un bilan neuropsychologique. Celui-ci objectivera les troubles mnésiques (encodage, stockage, récupération), la désorientation temporelle et spatiale, les troubles de la mémoire épisodique (rappel de mots, impact de l’indiçage) et une altération des fonctions exécutives. Le neuropsychologue s’intéresse aussi à l’apparition (insidieuse ou brutale) des troubles, leur évolution (linéaire ou fluctuante) et leur retentissement sur la vie quotidienne. Un examen complémentaire d’imagerie cérébrale peut compléter les données (essentiellement afin d’écarter d’autres pathologies) (Fernandez & Sagne 2013). La question centrale reste : où déterminer la frontière entre vieillissement normal et pathologique. Cette question est d’autant plus cruciale que d’une part la maladie d’Alzheimer est toujours très stigmatisante pour le patient diagnostiqué MA (Carbonelle, Casini & Klein, 2009) et que d’autre part, au niveau sociétal, des moyens considérables sont engagés pour la prévenir et la guérir. (Gzil, 2013) En effet, sur base de l’examen clinique mentionné ci-dessus, on estime actuellement que la maladie d’Alzheimer concerne 185.000 Belges soit une prévalence de 9,3 % de la population de 5 plus de 65 ans et un quart de la population de plus de 85 ans. On estime que ce nombre devrait passer à 389.000 en 2050 (Ligue Alzheimer Belgique, 2015). En France, (France Alzheimer 2015). l’estimation est d’environ 800.000 personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer (soit 1,5% de la population). Au niveau mondial, l’OMS estime que 35,6 millions de personnes sont atteintes de démence. Ce nombre devrait tripler d’ici 2050. (Organisation Mondiale de la Santé 2012) A titre d’exemple, une des sources les plus alarmistes à ce sujet est sans doute la vidéo en ligne (2015 Alzheimer’s facts and figures) réalisée par l’association Alzheimer Américaine (sur le fond et surtout sur la forme !) Au vu des arguments exposés ci-dessus, on peut donc légitimement se poser des questions sur la ‘pathologisation’ (excessive ?) des manifestations de vieillissement. Où placer les curseurs ? Martial Van der Linden répond « qu’il n’est pas possible de définir de façon précise la limite entre le normal et l’anormal. (2014, p.43) L’annonce du diagnostic Je vais aborder cette question car elle est centrale, dans l’étude exploratoire que j’ai menée et que je décrirai ci-après (voir infra). La revue bibliographique que j’ai menée sur ce sujet laisse perplexe : je me suis intéressée aux données qui émanent de la recherche, aux recommandations des Hautes Autorités de santé et aux données qui émanent de la pratique clinique. En ce qui concerne la pratique clinique. En France, une étude (Cantegreil-Kallen, Turbelin, Olyay, Blachon & Moulin, 2005) portant sur 616 médecins généralistes, rapporte que 28% des médecins généralistes annoncent le diagnostic au patient MA. Un quart utilisait le mot explicite ‘maladie d’Alzheimer’ lors de cette annonce. Lors de la consultation durant laquelle le diagnostic était annoncé, 25% abordent la nature de la maladie. Les médecins se disent plus disposés à annoncer le diagnostic à l’aidant. Les données sont assez similaires en Belgique : 30 à 40 pourcents de médecins annoncent eux-mêmes le diagnostic. Les données sont contradictoires, quant à savoir si le fait d’être généraliste ou spécialiste influence ce pourcentage. Selon Salmon et al (2009), il n’y a pas de différence. Selon une étude européenne, (Gely-Nargeot, Derouesne, & Selmes, 2003), les psychiatres seraient plus enclins à révéler le diagnostic aux patients. 6 Cette même étude rapporte également que le diagnostic est plus volontiers donné dans les pays Anglo-saxons que dans les pays latins. Comme leurs collègues Français, les médecins Belges confirment aussi qu’ils sont plus enclins à annoncer le diagnostic MA à l’aidant qu’au malade lui-même. (Raymaekers & Rondia, 2009). Un étude française (Trichet-Llory, Mahieux, 2005) rapporte que, dans le cadre des consultations mémoire, le diagnostic est annoncé aux patients dans environ 70 % des cas. Au niveau international, on estime qu’environ 50% des patients qui souffriraient de la maladie d’Alzheimer ont obtenu un diagnostic en ce sens (Bamford, Lamont, Eccles, Robinsons, May & Bond, 2004). Ces chiffres sont comparables aux estimations réalisées en France : parmi les 850.000 personnes considérées comme malades de la maladie d’Alzheimer, on estime que la moitié n’a pas reçu de diagnostic (Gzil, 2013)). Une étude rapporte que les médecins se sentent mal à l’aise pour annoncer le diagnostic surtout parce qu’ils ne se sentent pas bien formés pour faire le diagnostic étiologique, pour l’annoncer et pour ensuite prendre le patient sur le plan médico-social. En conséquence, ils se sentent dans l’embarras en face du patient et ressentent le besoin de le protéger (Cantegreil et al., 2005). Les médecins rapportent aussi un grand sentiment d’impuissance car ils ont des difficultés à évaluer ce que le patient veut savoir et avouent avoir eux-mêmes du mal à accepter le diagnostic de démence (Salmon et al., 2009). Le manque de temps est également un facteur qui est rapporté. Or, l’annonce d’un diagnostic de maladie d’Alzheimer, requiert plus de temps qu’une consultation standard (Raeymaekers et al., 2009). Malgré le flou qui existe entre vieillissement naturel et maladie d’Alzheimer (voir plus haut), le diagnostic précoce est une revendication forte des associations Alzheimer. (Alzheimer Europe, 2014 ; Alzheimer’s Disease International, 2015, ;Bamford et al.2004). Celles-ci encouragent directement ou indirectement les personnes qui consultent leur site à faire le diagnostic précoce. Un exemple de ce type de communication est « The importance of early diagnosis » (Alzheimer’s Disease International, 2015). Il est à noter que cette organisation est une ONG qui est financée par de nombreux laboratoires pharmaceutiques. Le témoignage d’une patiente de Porto 7 Rico semble bien illustrer le paradoxe du diagnostic précoce (Cuidateduidador, 2015)3. En résumé, cette patiente explique que grâce à un diagnostic précoce, elle a pu être prise en charge (psycho éducation, groupe de parole, exercice physique, nutrition, médicament) si bien que 10 ans plus tard, son état est stable. Ce témoignage laisse perplexe à plusieurs égards : d’une part, si la patiente est restée stable pendant 10 ans, il peut sembler légitime de remettre en cause le diagnostic. Par ailleurs, la prise en charge décrite me semble si exemplaire que je me demande si le témoignage est véridique. Une méta-analyse de données empiriques portant sur l’annonce du diagnostic réalisée en 2004 (Bamford, 2004) rapporte qu’il existe une très grande variété de croyances et attitudes par rapport à l’annonce du diagnostic4. Ainsi, il est rapporté que, environ 50% des médecins sont en faveur de l’annonce du diagnostic, de 17 à 100% aux proches et de 32 à 96 % aux malades. En 2003, Turnbull (2003) fait état d’une double norme : 92% des proches d’un patient voudraient connaître le diagnostic si eux-mêmes étaient concernés. Néanmoins, ils ne sont plus que 17 à 68% à être favorables à l’annonce du diagnostic à leur proche malade. La disparité semble être liée au niveau socio-culturel et à des aspects géographiques. Les réactions du patient semblent dépendantes des conditions de l’annonce. (Marzanski, 2000) Il est tout d’abord important que le patient n’apprenne pas sa maladie de façon fortuite (par exemple en s’informant sur le médicament qui lui est prescrit). Il semble y avoir unanimité sur le fait que c’est le médecin qui établit le diagnostic qui doit l’annoncer. (Salmon et al, 2009). Quant à l’impact de l’annonce du diagnostic sur le patient, voici les données émanant de la recherche : une étude rapporte que l’utilisation du mot « Alzheimer » cause plus de réactions émotionnelles négatives que le mot « démence » ou trouble cognitif léger ». (Carpenter, Xiong & Porensky, 2008)5 Le niveau de détérioration et la qualité de l’entourage affectif semblent jouer un rôle clé (Lin, Liao, Wang & Liu 2005). L étude Il ne m’a pas été permis d’établir quelle organisation a mis ce site en ligne Cette méta-analyse est à considérer comme un indicateur car elle n’est pas exempte de biais méthodologiques. 5 On verra plus loin que cette étude n’est pas prise en compte par les Hautes études de santé qui recommandent spécifiquement aux médecins d’utiliser les mots ‘maladie d’Alzheimer. 3 4 8 menée pour OPDAL par Gely-Nargeot et al (2003) rapporte que les réactions des patients sont par ordre décroissant : anxiété (45%), résignation (28%) soulagement (17%), rejet (16%) et déni (12%). On pourrait arguer que ces résultats corroborent le fait qu’il peut exister une raison valable de ne pas divulguer le diagnostic à environ un quart des patients (en cas de déni et de rejet), à savoir la crainte de générer une perturbation émotionnelle très importante, voire de créer un risque suicidaire (Blanchard, Novella, Quignard, Morrone, Debart, Courtaigne & Dramé, 2009). Les patients semblent utiliser un système de coping qui oscille entre acceptation (mise en place de stratégies pour faire face aux symptômes) et déni (qui s’exprime par la minimisation, rappel de compétences et de réussites) (MacQuarrie, 2005). Une étonnante étude récente, réalisée pour l’association Alzheimer Europe, établit que le niveau de dépression des patients varie très peu et que le niveau d’anxiété tend à baisser, après l’annonce du diagnostic (Alzheimer Europe and Harvard School of Public Health, 2014) Bere Miesen, (2002) rapporte quant à lui des données basées sur sa pratique clinique. Selon lui, il y a quatre facteurs qui déterminent la réaction d’un patient à l’annonce du diagnostic : sa personnalité, son parcours de vie, ses connaissances de la maladie et son modèle d’attachement. Voici comment les Hautes Autorités de Santé (2009) résument les bonnes pratiques du diagnostic : l’annonce du diagnostic doit faire l’objet d’une consultation longue et dédiée le médecin doit être explicite (le terme maladie d’Alzheimer doit être prononcé) le patient doit être informé du diagnostic en premier au cours de l’annonce, le médecin doit mettre en avant les capacités préservées du patient o proposer une stratégie thérapeutique o évoquer des aides possibles o informer de l’existence d’associations de malades o parler de la recherche dans ce domaine o parler de l’évolution clinique qui peut être lente le patient doit pouvoir être revu rapidement après l’annonce du diagnostic avec ses proches. 9 Certaines de ces recommandations semblent être en contradiction avec le résultat des recherches. En effet : l’étude de Carpenter (2008) semble démontrer que le mot ‘démence’ cause moins de réactions émotionnelles négatives. Pour Dérouesné (2005), l’annonce du diagnostic doit être progressive, réitérée, parfois limitée, mais toujours claire et cohérente. Afin de pouvoir adapter au mieux le discours au patient, Hoerni (2004) recommande d’écouter le patient avant de partager la mauvaise nouvelle. …La recherche rapporte que, quels que soient les mots choisis par le médecin, il arrive fréquemment que le malade atteint de troubles cognitifs ne comprenne pas clairement ce qui lui est dit (Acton, Mayhew, Hopkins, & Yauk, 1999). …Aussi le médecin doit-il tenir compte du fait que le patient perçoit souvent autre chose que ce qu’il lui a expliqué »… Tous les éléments repris ci-dessus reflètent bien les difficultés auxquelles les médecins font face pour ciseler l’annonce du diagnostic quand ils sont face-à-face avec un patient. L’éducation thérapeutique et le concept de patient-expert L’éducation thérapeutique est définie comme « l’aide apportée aux patients, à leurs familles et/ou leur entourage pour comprendre la maladie et les traitements, collaborer aux soins, prendre en charge leur état de santé et conserver et/ou améliorer la qualité de vie. » « L’éducation thérapeutique diffère de l’éducation pour la santé dans la mesure où l’apprentissage du patient intéresse la maladie, le corps, la chronicité, la mort et engage des réaménagements psychologiques et identitaires….L’éducateur se trouve ainsi confronté au pari des compétences du patient en situation. Celles-ci sont liées aux apprentissages développés par le patient tout au long de sa vie à son rapport à la temporalité (depuis l’annonce du diagnostic jusqu’à l’appropriation du problème de santé) et à la confrontation avec l’évolution de sa maladie (Balcou-Debussche, Bury, Eymard & Foucaud ,2010). L’éducation thérapeutique est généralement dispensée par le personnel soignant (infirmière, diététicien, kinésithérapeute, médecin,….), formé à cet effet par le biais de formation universitaire spécifique. L’éducation thérapeutique s’inscrit depuis quelques années dans une approche constructiviste, « en se centrant sur la capacité du patient à agir sur son environnement….Les savoirs d’expérience du patient occupent une place 10 centrale dans l’activité d’éducation thérapeutique qui inclut un travail sur le développement de la connaissance de soi du patient. » (Balcou et al 2010) Basée sur le constat que nul ne connaît mieux sa maladie que le patient qui en souffre, les formations à l’éducation thérapeutique se sont récemment ouvertes aux patients. C’est ainsi que le concept de patient–expert a vu le jour. Le patient-expert est « une personne atteinte d’une maladie chronique, qui, au fil du temps ou par le biais d’une formation spécifique, a développé une connaissance solide de sa propre maladie, jusqu’à en tirer une expertise. Celle-ci n’est pas scientifique…Il s’agit d’une expertise tirée du vécu de la maladie, des symptômes du quotidien aux relations avec les proches, et développée aux côtés de l’équipe soignante qui lui transmet les clés pour gagner progressivement en autonomie dans la gestion de sa maladie. Le patient-expert devient ainsi acteur de sa propre prise en charge, et peut également s’avérer une ressource précieuse pour ses pairs… jusqu’à jouer un rôle dans certaines décisions de santé publique ! » (Voix des patients, 2015) Le concept de patient-expert a été développé pour les maladies chroniques telles que le diabète, mais aussi l’obésité, la lombalgie, la polyarthrite rhumatoïde, l’hypertension artérielle, le VIH et l’asthme. Sur le plan des maladies mentales, des plans d’éducation thérapeutiques ont été développés, notamment pour les patients souffrant de troubles bipolaires, et la transmission de savoir se fait essentiellement du personnel soignant au malade. En ce qui concerne la maladie d’Alzheimer, un programme d’éducation thérapeutique a été mis en place pour former les aidants des malades (Bourdillon, Gagnayre, Grimaldi, Simon & Taynnard 2013). La parole des patients Bère Miesen a lancé en Hollande dès 1997 des ‘Alzheimer Café’ qui se déploient petit à petit dans de nombreux pays (Blom 2011), notamment en Belgique (Alzheimer Belgique 2015) et en France (où ils sont parfois appelés ‘Cafés Mémoire’ (France Alzheimer 2015), et également au Royaume Uni, en Grèce, en Italie, en Finlande, au Danemark, au 11 Canada et aux USA (où il n’y a pas de discussion entre participants mais simplement une activité récréative) et à Aruba et Curaçao. La particularité du concept français des cafés de la mémoire est que ni les animateurs, ni les participants ne savent qui est patient et qui est aidant. Chacun vient pour participer librement et échanger sur des sujets suggérés par les participants. (Cantegreil, Chausson, de Rotrou, Moulin, Batouche, Wenisch, Richard, Garrigue, Thévenet, & Rigaud 2006) Les ‘Alzheimer Cafés’ – tels que pratiqués en Europe -, ont pour but de rompre l’isolement social et de libérer la parole des patients et des aidants en leur permettant de surmonter le tabou de la maladie et d’échanger, dans une ambiance conviviale. Le nombre croissant de participants à ces « cafés » laisse présager de leur utilité mais à ce stade, il n’existe pas d’étude scientifique rapportant leur effet (Cantegreil et al 2006) (un ouvrage de Bére Miesen rapportant les résultats des Alzheimer cafés était annoncé pour janvier 2015 mais n’a pas encore été publié). Force est de reconnaître que, pendant longtemps, la parole semble être peu souvent donnée aux patients, qui ont reçu un diagnostic de la maladie d’Alzheimer ou de démences apparentées. Cela semble évoluer rapidement au cours des cinq dernières années. Lorsque la parole a été donnée aux patients, cela a été pendant longtemps essentiellement dans le but de se faire mieux comprendre par les aidants, le personnel soignant, la communauté au sens large… et aussi – parfois – des instances politiques. En voici quelques exemples : au Royaume Uni, un site web a récemment été créé : http ://www.patientvoices.org.uk. Il réalise de courtes vidéos (environ 3 minutes) en donnant la parole à des patients souffrant de maladies mentales (ci-inclus Alzheimer), mais aussi aux aidants et au personnel soignant. Ce site a été créé pour que le National Health Service (NHS) prenne en compte le point de vue des malades et pour promouvoir les formations en e-learning auprès de son personnel soignant. Aux Pays Bas, un groupe a été constitué, rassemblant uniquement des malades souffrant de démences, dont la maladie d’Alzheimer, « de kerngroep dementie » (Alzheimer Nederland 2015). Ce groupe – essentiellement formé de patients mais également de proches – a pour but de faire entendre la voix des patients aux proches, au personnel soignant et aux politiques. Ce ‘kerngroep’ a par exemple défini une sorte de ‘mode 12 d’emploi’ basé sur 10 sujets, qui définit ce que le patient souffrant de démence ressent et comment agir en conséquence.. Ce document est simple à comprendre et pragmatique. Par exemple : ‘continuez de me parler : conduisez-vous avez moi de manière normale. Demandez-moi si j’ai compris. Tenez compte de moi, laissez-moi mes valeurs. Ne parlez pas au- dessus de ma tête : j’entends toujours bien. Ne me posez pas de questions sur hier ; je ne m’en souviendrai pas. Posez-moi une question à la fois, sinon il y a vite trop de choses dans ma tête.’ Pendant longtemps, lorsque des personnes atteintes de la MA apparaissaient sur des sites en ligne, ce n’était pas véritablement des patients mais des acteurs. Un exemple est la vidéo « you are not alone » où semblent apparaître une actrice, pour délivrer le message clé, et une patiente MA. (Alzheimer Association 2015) Récemment, il semble que la parole a été donnée à des patients véritables pour partager leur vécu avec d’autres, patients, aidants ou grand public,. Ainsi, en octobre 2014, la Croix Rouge française a réalisé une vidéo intitulée ‘Et n’oublie pas ma liberté…’(Croix Rouge française, 2014) qui donne la parole aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de maladies apparentées, à leurs aidants et aux professionnels et bénévoles de la Croix Rouge qui leur viennent en aide. Avec cette vidéo a été publiée une enquête qualitative intitulée « Regards croisés » qui reprend les verbatim de malades d’Alzheimer et de leurs proches. « L’objectif de ces démarches est de permettre à tous les acteurs de l’association de progresser dans le sens de son projet associatif, en nourrissant la réflexion sur les pratiques professionnelles à partir des perspectives croisées. » (Croix Rouge française, 2014) L’association Alzheimer Ecossaise a récemment mis en ligne sur son site des témoignages de patients sur le thème « Living well with dementia » (Alzheimer Scotland, 2015) Cette initiative est la plus proche de la démarche que j’ai initiée dans ce mémoire. Le but poursuivi par cette association, me semble-t-il, est de faire évoluer la représentation de la maladie dans le grand public, de mettre des visages dignes et avenants sur la maladie d’Alzheimer, plutôt que les visages vides et absents qui sont encore associés à la MA le plus souvent dans l’inconscient collectif. Les témoins expliquent également, comme le titre le laisse entendre, qu’on peut vivre heureux après le diagnostic. 13 Le témoignage de Blandine Prévost, une jeune femme de 38 ans, qui a eu un diagnostic d’une maladie apparentée à la démence il y a 3 ans, décrit de manière poignante le vécu du patient et le changement de regard que porte sur lui l’entourage. Il vise à changer le regard social porté sur ce type de maladie et à donner un ‘mode d’emploi’ à l’entourage et le personnel soignant. En effet, ce témoignage décrit très bien la façon dont le regard des proches et du corps médical, change après que le diagnostic ait été posé. Ceux –ci interprètent les dires ou comportements du patient via le prisme de la représentation qu’ils ont de la maladie (Espace éthique Alzheimer, 2012). Ce témoignage n’est pas spécifiquement destiné aux autres malades (jeunes ou moins jeunes) mais à l’ensemble des personnes concernées par la démence et maladies associées : patients, aidants, associations, corps médical et pouvoir politique. Tous ces témoignages contribuent aussi à faire évoluer la représentation de la maladie (mais la route est encore longue) et par conséquent, à contrer la stigmatisation dont souffrent les patients MA. Ils n’ont, selon mes recherches, jamais été réalisés dans le seul but d’aider les patients nouvellement diagnostiqués à mieux accepter la maladie et à s’inscrire dans la prise en charge du patient. 3. Objet 3.1 Méthodologie Dans les pages qui suivent, je vais expliquer quel était le protocole initialement prévu (partie A), et par le biais de mon journal de recherche, pourquoi et comment il a été adapté (partie B). 3.1.A. Le protocole initial L’objectif de l’étude était de former 10 patients atteints de la maladie d’Alzheimer au stade débutant et connaissant leur diagnostic, à partager leur savoir expérientiel avec des malades qui viennent de recevoir le diagnostic. A cette fin, les malades « témoins » devraient bénéficier de 4 sessions de groupes de parole, et d’un entretien individuel, Leur témoignage serait ensuite enregistré par vidéo. 14 Nous pensions que, sur les 10 patients témoins recrutés en amont, nous aurions probablement la moitié qui ne pourraient pas assister aux différentes sessions de préparation de manière régulière, de sorte que nous estimions que nous aurions finalement 5 patients témoins ‘formés à’ témoigner. La compilation de ces 5 témoignages filmés (vidéos) serait projetée aux patients-témoins, pour valider l’acceptabilité de la démarche. Si cette étape était validée, la vidéo-témoignage serait proposée à 10 malades nouvellement diagnostiqués. (NB :le témoignage vidéo a été préféré à une rencontre ‘face-à-face’ pour éliminer le risque que la détresse du malade nouvellement diagnostiqué ne puisse être transférée au patient-témoin.) Pour évaluer l’impact de l’intervention, leur état anxio-dépressif serait mesuré avant et après le visionnage, et comparé à l’état anxio-dépressif de 10 patients-contrôle. Le déroulement devait donc être le suivant : 1ère étape : Recrutement de 10 patients-témoins : entre le 25/11/2014et le 10/1/2015 Critères d’inclusion : diagnostic Alzheimer stade débutant (selon DSM V). MMS au dessus ou égal à 22 Critères d’exclusion : Episode dépressif majeur (selon le DSM V) Procédure d’inclusion : - Proposer l’étude au patient (médecins et neuropsychologues lors d’une consultation ou d’un bilan). Si acceptation : déposer la fiche patient dans le casier de Inge Cantegreil - Contacter le patient par téléphone (Isabelle Henkens) - Entretien d’inclusion pendant lequel le patient signe le consentement éclairé (Isabelle Henkens) - « Formation » du patient-témoin par quatre sessions de groupe de parole et un entretien individuel (Isabelle Henkens) 2nde étape : Recrutement de 20 patients : entre le 5/1/2015 et fin février 2015 Total 20 patients : 10 sujets expérimentaux + 10 contrôles Critère d’inclusion : diagnostic MA au cours des 3 derniers mois + annonce du diagnostic 15 Critère d’exclusion : patient suivi en psychothérapie, patients ayant un aidant bénéficiant de l’éducation thérapeutique Procédure d’inclusion : idem qu’étape 1 3ème étape : Etude d’acceptabilité Interview qualitative, semi-structurée, avec chacun des patients-témoins après visionnage de la vidéo reprenant leurs témoignages. Résumé de l’étape acceptabilité : - La population patient-témoins : patients diagnostiqués avec la maladie d’Alzheimer à la consultation mémoire de l’hôpital Broca - Le type d’étude : il s’agit d’une étude, « avant-après », sans groupe témoin. - Le critère d’évaluation : l’acceptation de la maladie par le patient-témoin. - L’instrument d’évaluation : entretien individuel avec le patient-témoin après le visionnage de la vidéo reprenant les témoignages 4ème étape : Evaluation d’impact - Population expérimentale : patients ayant reçu un diagnostic MA endéans les 3 mois à la Consultation Mémoire de Broca. - Evaluation : entretiens avant et après intervention (=visionnage de la vidéo des témoignages) ainsi que la passation de tests mesurant leur état anxio-dépressif : échelle d’évaluation analogique (EVA) ; anxiété : STAI, et dépression : échelle de Beck - Intervention =visionnage de la vidéo des témoignages - Evaluation deux semaines après intervention : échelle d’évaluation analogique (EVA) ; anxiété : STAI, et dépression : échelle de Beck. - Comparaison avec résultats des tests mesurant l’état anxio-dépressif des patients-contrôle 16 3.1.B. Journal de recherche :d’un protocole simple à une ’opérationnalisation …beaucoup moins simple Pour que l’analyse des résultats soit la plus pertinente possible, j’ai choisi de garder une trace de toutes mes démarches en tenant un journal de recherche. Octobre 2014 : Je rédige un projet de protocole, je le discute avec Inge Cantegreil, qui a été mon Maître de stage. Je le présente au Professeur Meire, qui le valide. Il m’encourage à le soumettre le plus rapidement possible au Comité d’éthique car par expérience, il sait que le processus d’approbation peut être long… Une seule semaine a suffi pour obtenir le feu vert : ceci me paraît de très bon augure. Il me met en garde sur l’ambition de mon projet : il lui semble que le nombre de patients à recruter est très important pour un mémoire de Master. La suite lui donnera ô combien raison ! Comme indiqué plus haut, l’hôpital Broca est la plus grande consultation mémoire d’Europe. J’y ai effectué mon stage, au printemps 2014 et j’avais donc pu nouer des liens amicaux avec quelques membres de la –grande équipe (13 gériatres, 13 neuropsychologues et 4 infirmières). J‘étais donc confiante et optimiste quand j’ai pris mon ordinateur sous le bras pour aller présenter ma démarche (j’ai préparé une belle présentation powerpoint et j’ai imprimé en 50 exemplaires les brochures de recrutement de patients – annexe 1) lors de la réunion d’équipe de l’hôpital de jour et leur demander leur aide pour recruter les patients. 24 novembre 2014 : En fait, seules 8 personnes (sur une trentaine) vinrent à cette réunion….le mot plus exact serait sans doute ‘passèrent’ à cette réunion car plusieurs arrivèrent en retard ou partirent plus tôt. Quand l’un des gériatres qui était là, dit à son collègue qui l’appelait que ‘ce n’était pas la peine de venir’, ma belle confiance en ma démarche, qui me semblait si intéressante, en prit un coup !….Je pris conscience que je n’étais qu’une petite étudiante de Master, qui essayait de se faire entendre parmi les très nombreuses 17 sollicitations que recevaient tous les membres d’équipe. Je me rendis compte que ma petite étude était en compétition avec au moins 20 études cliniques à grande échelle, initiées par des laboratoires ou les gériatres ou les neuropsychologues eux-mêmes. …. Il allait falloir être futée ! Je fis un rapide calcul : Broca recevait en moyenne 365 patients par mois en consultations mémoire (le mois d’août est fermé). J’avais le soutien de Inge Cantegreil (qui partageait mon intérêt pour cette étude), du Docteur Seux, l’une des gériatres qui est un ‘pilier’ à Broca et du Professeur Anne-Sophie Rigaud, qui dirige le pôle hospitalier. Cela ne pouvait pas être si compliqué de recruter 10 patients ! C’est ainsi que je retrouvai mon optimisme mais, comme la suite le prouvera, il allait être mis à rude épreuve. Pour donner plus de poids à ma démarche, je me permis de demander au Professeur Rigaud d’envoyer un mail pour demander à son équipe de m’aider à recruter les patients, ce qu’elle fit le 25 novembre. 1er décembre : je passe à Broca : aucun patient recruté. 5 décembre : toujours aucun patient recruté. Le retard s’accumule par rapport à mon planning. De plus, je vais bientôt avoir mes examens…Cela commence à sérieusement m’inquiéter. Comment vais-je bien pouvoir faire ? J’en parle à Inge Cantegreil pour essayer de comprendre où sont les freins/les blocages éventuels. Elle me confirme que ma démarche est peu audible dans le flux d’informations et de sollicitations reçus par l’équipe. Comme je croise le Professeur Rigaud dans le couloir, je me résous à lui demander à nouveau son soutien. Elle accepte à nouveau et envoie encore un mail de rappel le 8 décembre. Résultat : ….NADA ! Noël arrive et ma démarche est au point mort. Il va falloir changer mon fusil d’épaule. Fin Janvier 2015 : Nouvelle tactique : Je vais à plusieurs reprises à Broca en début de matinée et je consulte tous les dossiers des patients qui vont être vus pendant la journée. Pour ceux qui semblent correspondre aux critères d’inclusion, j’essaie de voir le gériatre ou le neuropsychologue qui va les recevoir ou je mets un mot dans le dossier demandant de 18 proposer l’étude au patient. En échangeant avec les personnes qui sont en charge de l’administration des recherches cliniques, j’identifie un fichier où sont répertoriés une centaine de patients qui seraient susceptibles de répondre aux critères d’inclusion de mon étude. Je regarde les dossiers un à un. Le logiciel reprenant les dossiers des patients n’étant pas connecté avec le logiciel de prise de rendez-vous ( ?!), et le personnel soignant (les neuropsychiatres et gériatres et infirmières) n’y ayant pas accès, je me connecte en fin de journée, après les consultations, via les codes d’accès des réceptionnistes, au logiciel de prise de rendez-vous, pour voir si les patients que j’ai ‘pré-sélectionnés’ dans le fichier, vont venir sous peu en consultation à Broca. C’est ainsi que je repère les dossiers de deux patients. Pour les autres personnes du fichier qui n’ont pas de rendez-vous programmés avant longtemps, je prends contact par téléphone et envoie ensuite un courrier que je fais approuver par Inge Cantegreil. J’insère dans ma lettre des photos et présentation d’Inge Cantegreil et moi, pour que cela soit plus vivant et plus sécurisant (pour pouvoir nous reconnaître). Je l’envoie à une dizaine de patients. (Annexe 2). Comme je croise le Professeur Rigaud et que je lui parle du travail de fourmi qu’est le mien, elle me propose de faire un nouveau mail de rappel (le 8 février). Hourra : un nouveau patient émerge. Inge Cantegreil anime un café Alzheimer. Elle y rencontre Elsa. Celle-ci ne correspond pas strictement aux critères d’inclusion (MMS inférieur à 22) mais elle participe à de nombreuses initiatives culturelles et sociales dédiées aux patients souffrant de la maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée : je l’inclus dans ma présélection. 1er mars J’ai finalement 7 dossiers. Il est plus que temps de passer au stade suivant : prendre rendez-vous pour aller rencontrer les patients et leur présenter ma démarche de vive voix et en face-à-face. Je prends donc mon téléphone avec enthousiasme pour appeler le premier patienttémoin de ma liste. Mon étude lui a été proposée lors d’un rendez-vous à Broca et elle a 19 accepté d’y participer. Je ne m’attends donc à aucune difficulté….je déchante rapidement. Lorsque je décris le projet à la patiente, elle me répond qu’elle n’a pas du tout envie d’être filmée. Je conviens avec elle que je lui envoie le descriptif du projet par courrier et que je la rappelle dans quelques jours…et je m’en veux. Mon enthousiasme a pris le pas sur la prudence. Je me demande si il ne vaut pas mieux que je présente le projet en mettant l’accent sur le témoignage et en minimisant l’aspect ‘enregistrement filmé’. Je m’interroge : où commence la manipulation ? Je me dis que l’objet de ma démarche est noble et que l’utilisation du témoignage est déontologiquement contrôlée. L’enregistrement filmé me semble ne pouvoir directement ou indirectement faire de mal à personne, il ne sera pas diffusé à grande échelle…mais quelles que soient mes réponses à mes interrogations, j’ai perdu un des 7 patients-témoins ‘pré-recrutés’ avec tellement d’effort et je ne vais probablement pas pouvoir la récupérer. Seconde déconvenue : le numéro de téléphone de la patiente suivante est incorrect (c’était supposé être le numéro de portable de son fils). Je fais des recherches sur les pages blanches, regarde à nouveau son dossier : pas de numéro. Elle n’a pas de téléphone à l’adresse indiquée. Après de multiples recherches, je réalise qu’elle est partie vivre dans le sud, chez sa fille pour quelques mois. Là, je demande à ma grand-mère dans les cieux d’aller dire bonjour à Sainte Rita, chargée des causes désespérées. J’ai eu confirmation que ma grand-mère est bien au paradis- j’en étais sûre !- et que je peux continuer à lui faire confiance : il semble bien qu’elle ait convaincu Sainte Rita d’intercéder ! Je finis par avoir 4 patients qui acceptent de participer à mon étude. Alléluia ! 15 mars J’ai enfin des rendez-vous avec 4 patients- témoins. Il semble d’emblée plus simple que j’aille les rencontrer chez eux (pour une question de confort, de logistique et de finances : les frais de transport ne leur auraient pas été remboursés). Je prends contact avec l’aidant et j’envoie un courrier pour confirmer ma visite. Mon stage m’a rendu sensible à la vulnérabilité des malades : il me semble important que patient et aidant 20 aient les coordonnées de la personne qui vient chez eux et comprennent le but de sa visite. Trois nouvelles questions se posent : le consentement éclairé, la caméra et la préparation au témoignage. Ma première visite au patient a pour but d’expliquer à nouveau ma démarche au patient et à son aidant et de leur demander leur consentement éclairé. Je me mets donc en quête de modèle de consentement éclairé. J’obtiens un modèle de consentement utilisé à Broca : il n’est pas adapté car il concerne une étude clinique où il y a une intervention physique (ponction lombaire). Il va donc falloir que j’en prépare un moi-même. Je suis juriste de formation (mais c’est un très vieux souvenir) : cela devrait - au moins un peu - m’aider. Le fait que je vais filmer le patient a une implication particulière qui concerne le droit à l’image, c’est une matière complexe….Finalement, je décide d’opter pour la simplicité. Je prépare un document clair et concis, que je fais valider par Inge Cantegreil : celui-ci reprend le descriptif de la recherche, le document de consentement destiné au patient, et à l’aidant. (annexe 3) En ce qui concerne la caméra, je me rapproche de Gérontec, le centre de recherche attaché à l’hôpital Broca. Etant donné que les recherches qui y sont menées sont focalisées sur l’acceptabilité de nouvelles solutions technologiques par les personnes âgées, j’ai bon espoir d’y trouver une caméra. Après plusieurs coups de fil, je rencontre un très gentil chercheur qui me montre une caméra…très ancienne et m’explique que c’est un casse-tête de transférer les fichiers sur un ordinateur. Moi qui n’ai pas le goût de la technologie, je pressens la galère dont on sort énervé et épuisé. J’opte pour l’achat d’un nouveau smartphone avec une plus grande capacité de mémoire. Comme vous le lirez bientôt, cette idée a vite rencontré sa limite. Enfin, le protocole initial prévoyait de réunir les patients-témoins à 4 reprises, pour échanger sur leur vécu expérientiel et les préparer à témoigner devant la caméra. Cette étape semble à présent difficile à mettre en place dans le temps imparti. En commun accord avec le Professeur Meire et Inge Cantegreil, nous décidons de faire une seule rencontre avec chaque patient-témoin individuellement, avant de passer directement à l’enregistrement du témoignage 21 2 avril : Première rencontre avec Elsa, patient-témoin Numéro 1. Elsa est d’origine scandinave. Elle est artiste : elle peint et elle joue du piano. O, son mari et elle appartiennent clairement à un milieu socio-culturel privilégié. A l’annonce de la maladie d’Elsa, O, son mari, ‘a pris sa maladie comme un projet’. Il a suivi des formations pour les aidants et participe activement à 3 cafés des aidants dont il me décrit les différents mérites en détails. Ensemble, ils participent à de nombreuses initiatives socio-culturelles organisées pour les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer et leurs aidants, notamment du théâtre. Constamment stimulée, encouragée, par O., Elsa peint toujours et joue toujours au piano. C’est lors d’un café des aidants qu’Inge Cantegreil avait recruté Elsa en proposant l’étude à son mari. Ayant lu son dossier, et après notre première rencontre, mes attentes quant à la qualité de son témoignage étaient très mesurées. J’estimais que les passages ‘exploitables’ comme témoignage transmissible à d’autres patients seraient sans doute rares. En effet, Elsa était très apathique et avait le regard ‘absent’. J’ai donc abordé ce premier entretien filmé comme une manière de me tester, moi.. Je suis partie munie de mon nouveau smartphone, d’une lampe pour améliorer l’image, d’une liste de 11 questions. J’étais un peu stressée car je m’inquiétais de la qualité des images et du son de l’enregistrement video. Voici les questions que j’avais préparées : 1. Est-ce que vous avez des problèmes de mémoire ? 2. Quand/Comment le remarquez-vous ? 3. Qu’est-ce qui est pénible quand on a des problèmes de mémoire ? 4. Qu’est-ce qui est le plus difficile ? 5. Qu’est-ce qui vous aide ? 6. Qu’est-ce qui vous fait peur ? 7. Comment avez-vous vécu l’annonce du diagnostic ? 8. Comment cela se passe-t-il avec l’entourage, depuis que vous avez des problèmes de mémoire ? 9. Est-ce que vous avez parfois de la peine ? 22 10. Qu’est-ce qui vous donne le plus de joies ? 11. Que voudriez-vous dire à d’autres personnes qui commencent à avoir des problèmes de mémoire ? 12. Comment envisagez-vous l’avenir ? Parmi ces questions, le mot “Alzheimer” ne figure pas. Ce n’est pas par hasard. Je me pose énormément de questions à ce propos : est-ce que je parle de problèmes de mémoire ou de maladie d’Alzheimer ? J’ai bien vérifié, en parlant aux gériatres qui les suivent, que les quatre patients-témoins ont reçu le diagnostic, donc a priori, le mot ‘ Alzheimer’ a été prononcé pour chacun d’entre eux. (à l’hôpital Broca, la procédure d’annonce du diagnostic prévoit que le mot « Alzheimer » est explicitement prononcé) J’ai du mal à faire la part des choses : il y a d’une part ma peur de prononcer ce terrible mot devant un patient qui est affecté par cette maladie, en craignant de le faire souffrir ; d’autre part la posture du psychologue que j’aspire à devenir, est précisément de mettre des mots sur ce qu’on a du mal à exprimer, pour pouvoir se le représenter et le gérer. Comme je l’expliquerai plus loin, ce tiraillement ne m’a pas quittée, tout au long de ce travail. Les rencontres avec les patients n’ont fait que l’alimenter. Je pars enregistrer le premier témoignage en me disant que je vais faire au mieux pour me mettre dans la posture d’un psychologue et me fier à mon instinct. Première surprise quand je suis revenue voir Elsa pour la filmer : elle m’a reconnue. Elle ne connaissait plus mon nom, mais elle savait qu’elle m’avait déjà vue. O. lui avait certainement rappelé notre rendez-vous car (et ce fut la seconde surprise) quand je suis arrivée, j’ai vu une Elsa transformée : ses yeux pétillaient, elle était ‘pomponnée’, joyeuse et parlait très spontanément. Elle avait beaucoup de charme ! J’ai pris un café pour bavarder et lui rappeler le motif de ma visite. L’enchainement avec l’entretien filmé (qui demandait peu de mise en scène et c’était très bien comme ça car sa capacité de concentration est limitée) a été très fluide. La qualité de l’entretien que j’ai pu capter a été la troisième surprise. Je me suis rendu compte des limites techniques de l’enregistrement sur téléphone : au bout de 12 minutes , la mémoire de mon téléphone était pleine. ..mais j’ai pu juste capter tout ce qui avait été dit. Sans être angélique, le témoignage d’Elsa était empreint de joie de vivre (même 23 si je pouvais me rendre compte, au vu de ma première visite, que cela ne correspond pas à la réalité de tous les jours). Je n’ai pas suivi à la lettre le questionnaire que j’avais prévu, je me suis laissée guider par elle. Je suppose que j’ai été un peu lâche car je ne lui ai pas posé la question sur la façon dont elle regardait l’avenir : sa baisse de concentration en fin d’entretien a été la parfaite excuse (je me dis que je dois absolument oser la question la prochaine fois). Elsa a montré un excellent sens de la répartie pendant l’entretien. Elle ne manquait pas de me retourner les questions que je lui posais et de me faire des commentaires. Par exemple, quand elle a évoqué un tableau du Christ qu’elle avait peint et qui était accroché au mur devant nous, je lui ai demandé si elle avait la foi et si cela l’aidait. Elle m’a répondu positivement et m’a fait sourire en me demandant si moi aussi j’avais la foi (voir verbatim d’Elsa, en annexe). Quand je lui ai demandé plus tard si elle voulait dire quelque chose aux personnes qui qui allaient regarder son témoignage et qui souffraient de problèmes de mémoire, elle a répondu ‘je lui donne ton nom et ton numéro de téléphone’.J’ai pris cette réponse comme un joli compliment (même si j’avais bien conscience que le cercle des personnes auxquelles elle aurait donné la même réponse était sans doute très large) et le meilleur encouragement que pouvait recevoir la psychologue en herbe que je suis ! L’entretien a été filmé en la présence de O., le mari d’Elsa. Je sentais sur nous son regard, un peu (voire très) frustré : il me semblait que la joie d’Elsa, ses réponses insouciantes, sous lesquelles apparaissaient parfois toute sa vulnérabilité, étaient vécues par lui comme une non reconnaissance de son dévouement total au quotidien. Elsa pétillait devant moi et la caméra alors que lui, c’est l’apathie à laquelle il faisait face la grande majorité du temps. Comme, en partant, je remerciais Elsa et je la complimentais sur la qualité de son témoignage et sa vivacité, O. me répondit ‘mais c’est normal, vous êtes venue juste pour elle et elle a eu toute votre attention.’ Je me dis qu’il y avait peut-être matière à creuser (une étude à faire ?) sur l’impact sur l’estime de soi que peut entrainer le fait de témoigner (est-ce juste le fait de témoigner ou le fait d’être filmé ?). 7 avril : rencontre avec le second patient-témoin : Mouloud 24 J’avais laissé un message à Mouloud pour prendre contact et lui présenter l’étude. En deux heures, j’ai reçu trois messages de sa part : il est enthousiasmé par mon projet (…cela fait du bien !!!) et serait très heureux d’y participer. Au rendez-vous que je lui donne à l’hôpital Broca, apparaît un homme élégant, séducteur, plein de panache ! Il m’apparaît d’emblée comme très intelligent et très profond à la fois. Il a un parcours international. Il a beaucoup d’aisance dans son élocution, si bien que je n’identifie son problème de mémoire qu’en toute fin d’entretien quand il me pose plusieurs fois la même question. Un élément intéressant dans son parcours est qu’il a créé et géré une maison de retraite. C’est là qu’il a été confronté pour la première fois à la maladie d’Alzheimer (de nombreux patients souffraient de cette maladie ou une maladie apparentée). Le MMS de Mouloud est à 28. Il me dit spontanément qu’il a la maladie d’Alzheimer. Son récit comprend des aspects pratiques très malins (à sa ceinture pendent trois chaines attachées respectivement à ses papiers, son portefeuille et son portable – pour ne pas les perdre m’explique-t-il. Il me dit aussi que ses papiers sont des photocopies et que les originaux sont dans son coffre, pour ne pas les perdre encore une fois, comme cela est arrivé). Déjà, il m’explique qu’à l’annonce de sa maladie, il a fait son testament et fait des procurations sur ses comptes bancaires. Il a ensuite écrit le récit de sa vie (en 3 tomes : les années d’insouciance, la vie d’adulte et la vie professionnelle. Il a ajouté un 4ème tome sur la religion et ensuite un 5ème sur les rites religieux). Il y a cependant deux considérations qui me frappent : 1. Comme Elsa, Mouloud fait partie d’un monde socio-culturel très privilégié. Sachant que mon 3ème témoin est une religieuse, je me dis que mes témoins peuvent certes dire des choses intéressantes mais ils ne sont pas précisément « monsieur et madame tout le monde ». Est-ce que les personnes qui vont voir les témoignages vont pouvoir s’identifier à eux ? 2. L’autre considération est d’ordre technique : je ne vais pas pouvoir faire l’économie de l’achat d’une caméra avec une capacité de mémoire largement supérieure à mon téléphone car le témoignage de Mouloud, je le pressens, va être long. C’est ainsi qu’à 25 50 ans, j’ai acheté ma première caméra et que j’ai étudié le mode d’emploi comme si ma vie en dépendait !!! 14 avril : Recrutement d’Annick et de Paul J’ai recruté deux patients-témoins aujourd’hui. Annick, religieuse, qui était jusqu’il y a quelques mois, responsable d’une congrégation de 35 sœurs à Paris. Elle a 76 ans et des résultats au MMS de 25/30. Elle me reçoit à la maison-mère de son ordre. Elle a un beau visage qui irradie la bonté. Je sens qu’elle n’a pas l’habitude d’exprimer ses émotions et je me demande comment je vais obtenir un témoignage qui soit aussi personnel que possible. Mon troisième sujet s’appelle Paul. Il a été expert-comptable (j’apprendrai plus tard qu’il a eu 14 professions au cours de sa vie, dont son métier favori : menuisier). J’ai fait là aussi une entorse aux critères d’inclusion : il a 92 ans (j’avais fixé la limite d’âge à 90 ans pour des raisons logistiques, quand j’imaginais encore réunir les participants à Broca. Il me semblait qu’au-delà de 90 ans, les déplacements seraient plus difficiles. Son MMS est à 22/30. Lui et sa femme sont très attendrissants : ils sont très menus, ‘tirés à 4 épingles’ et me reçoivent dans un appartement immaculé. Je m’assieds pour leur expliquer ma démarche. Deux choses me frappent : L’épouse termine toutes les phrases de son mari. Elle a elle-même des problèmes de santé et m’apparaît assez déprimée. Quand j’explique à Paul que je vais filmer son témoignage, elle dit ‘est-ce que tu en seras encore capable ? Je réponds que j’ai étudié le dossier de Paul et que cet élément plus la conversation que je viens de mener avec lui me laissent penser qu’il est tout à fait capable de le faire. Le patient semble avoir une attitude très ambivalente vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer. Quand je l’ai appelé, il m’a dit qu’il pourrait d’autant mieux témoigner que sa sœur, de deux ans son ainée, a la maladie d’Alzheimer, « mais bien plus grave que moi ». Quand je le rencontre, je lui parle donc de problèmes de mémoire. Là, quand, il me reparle de sa sœur qui a la maladie d’Alzheimer 26 ‘mais ça c’est encore autre chose’. On le verra, cette ambivalence va se manifester tout au long de nos discussions. 15 avril : Ca alors ! Un nouveau problème inattendu apparaît : clôturer l’étude. On m’envoie les fiches de 3 nouveaux patients-témoins recrutés à Broca. Or, maintenant, je voudrais commencer à recruter des patients qui vont visionner l’entretien, plus des patients qui vont témoigner. Dans un monde idéal, la seule chose que je voudrais faire en ce qui concerne les patients-témoins, c’est obtenir une mixité sociale. Tous mes patients-témoins sont des personnes émergeant d’un milieu socio-culturel assez homogène. Finalement, je ne peux pas tergiverser, je vais avancer avec les 4 patients recrutés. Si les résultats sont probants, il faudra de toute façon faire une étude à grande échelle pour valider les résultats. Je remercie donc les pourvoyeurs de fiches de patients-témoins supplémentaires en leur expliquant que je dois avancer mais qu’on garde les patients identifiés ‘sous le coude’ pour une prochaine étude éventuelle. Demain, je vais faire l’entretien de Mouloud. Je m’attends à un récit fleuve. Il faut que je me prépare à gérer l’entretien sinon je vais être débordée par lui (le médecin qui le suit m’a précisé que Mouloud était ravi de notre premier entretien et qu’il était sur les « starting blocks » pour l’interview filmée : il a des tas de choses à me dire). Le 15 avril : interview de Mouloud Je me rends à mon rendez-vous avec Mouloud : il n’est pas là. Il a oublié le rendezvous. Il me rappelle pour s’excuser avec profusion : je me rends compte que les problèmes de mémoire occasionnent de multiples blessures à l’estime de soi. Je retourne voir Mouloud l’après-midi : il me guette dans le hall d’entrée ‘pour faire amende honorable’. Il m’amène dans ce qui m’apparaît comme une garçonnière qu’il s’est aménagé au-dessus de son appartement et j’avoue avoir été mal à l’aise pendant quelques secondes dans ce studio, devant ce grand lit. J’ai, je le crois, automatiquement adopté un ton et une posture un peu distante pour donner le ton juste à cet entretien. Une fois que l’entretien est lancé, j’ai vécu un moment de profonde émotion et à certains moments, les larmes me sont montées aux yeux. La dignité de cet homme, sa sincérité, sa profondeur face à une maladie qui n’a pas de secret pour lui (il a géré une maison de 27 retraite, et a lu tout ce qu’il pouvait sur cette maladie, une fois que le diagnostic a été posé) m’ont profondément touchée. Je pense souvent à sa maxime finale : ‘quel que soit le temps qu’il nous reste à vivre, ce que nous avons vécu n’est rien devant ce peu de chose, qu’il nous reste encore à vivre’. J’ai trouvé assez extraordinaire qu’une personne ayant la maladie d’Alzheimer puisse dire cela. Quelle leçon d’espoir et de courage ! L’entretien a été très fluide et a duré 39 minutes. 24 avril : interview d’Annick Je vais enregistrer le témoignage d’Annick. Comme indiqué plus haut, lors de notre première entrevue, j’ai pensé qu’il serait difficile d’avoir un témoignage intime : la pratique de la vie religieuse me semblait avoir « gommé » dans un certain sens, l’individualité. Le témoignage obtenu est finalement très authentique. Afin d’établir un rapport plus personnel, je commence par parler des endroits où Annick a passé l’essentiel de sa vie et de la vie dans sa congrégation. Après ce détour, nous sommes entrées dans le vif du sujet et à nouveau, je vis des moments poignants. 29 avril : Interview de Paul Paul est, comme je l’avais décrit, un petit homme très sec. Je me demande si lui et sa femme ne sont pas l’un et l’autre un peu dépressifs (même si le dossier de Broca n’en fait pas mention). L’entretien est finalement fort mais il est plus compliqué à gérer. Il démarre en me décrivant des troubles de l’équilibre, ce qui me surprend. Il décrit ensuite très bien l’inconfort de son état. Il poursuit en évoquant l’état de sa sœur, très affectée par la maladie d’Alzheimer, qui est dans une maison médicalisée depuis 2 mois. Lorsqu’il parle de sa sœur, toute l’ambivalence de son rapport à la maladie transparait. Il se dissocie d’elle à un moment, et s’associe à elle à un autre : il dit à un moment « ma sœur aînée qui elle est dans le cirage le plus absolu » et ensuite « je pense que je vais devenir comme elle, tout doucement ». De même, il dit qu’il ne connaît plus de joie et pourtant à la fin de l’entretien, il me parle de sa foi en Dieu et il s’illumine littéralement de l’intérieur (c’est très impressionnant). Quand je lui dis que sa foi a l’air de lui procurer une joie profonde, il confirme. Après l’enregistrement, je bavarde avec lui et nous convenons que, quand on n’est pas affecté par les problèmes de mémoire, on identifie la perte de la mémoire avec une 28 déshumanisation, alors qu’en vérité, les problèmes de mémoire ne sont pas synonymes de perte d’identité. Je regrette de ne pas avoir enregistré cette partie de l’échange. J’hésite à ressortir la caméra pour lui faire répéter ses propos mais il me semble que ce serait un peu lourd et artificiel. Je ne sais pas si j’ai eu raison. 1er mai : Isabelle Henkens, monteuse de film Maintenant que j’ai tous les témoignages (109 minutes en tout), il « n’y a plus qu’à » en faire un reportage de 15 à 20 minutes (c’est la limite que je me suis fixée. Il me semblerait difficile de maintenir plus longtemps l’attention de patients souffrant de problèmes cognitifs). Je visionne et re-visionne les témoignages en prenant des notes pour essayer de dégager une structure logique et des concordances. Les témoignages me semblent très riches et ce n’est pas facile de sélectionner. Voici la structure sur laquelle je décide de construire le documentaire. 1 Qu’est-ce qui s’est passé ? Quels ont été les premiers signes ? Il me semble que, pour que les témoignages portent, il faut que les patients qui regardent puissent d’abord se reconnaître dans les patients-témoins. 2 : Comment me suis-je senti ? Je décide donc de garder la description des premiers troubles cognitifs qui ont conduits les patients-témoins à consulter et surtout la description de la façon dont ces troubles ont été vécus. 3 : Comment ai-je vécu le diagnostic ? L’annonce du diagnostic est un moment clé qui cristallise les différentes approches possibles de la MA. 4. Comment est-ce que je vis avec la maladie ? Tant sur le plan pratique que sur le plan psychique. 5. Qu’est-ce qui me fait peur ? 6. Comment est-ce que j’envisage l’avenir ? Je télécharge un logiciel de montage de film et consulte –pour la première fois de ma vie- des ‘tutorials’ en ligne pour apprendre à m’en servir. Ca ‘patine’ un peu au début mais c’est finalement plus simple que je ne le craignais….C’est cependant un exercice 29 extrêmement chronophage et quand le montage est fini, je pense que je pourrais « réciter » le film d’un bout à l’autre ! Je me rends compte en commençant à faire le montage à quel point cette opération peut déformer le contenu des témoignages. On pourrait faire dire n’importe quoi aux témoins. Je me rends compte aussi que ce n’est pas facile de couper les séquences, pour des raisons tout à fait liées à la maladie dont souffrent les patients : beaucoup de phrases ne sont pas terminées car il manque des mots, d’autres sont très longues car les mots manquants ou l’idée qui s’enfuit est remplacée par une périphrase. Au moment de choisir le sous-titre, j’hésite : est-ce que je mets « témoignages de patients atteints de la maladie d’Alzheimer » ou « témoignages de patients ayant des troubles cognitifs ? Je choisis finalement la première solution : la vidéo est destinée précisément à aider des patients qui viennent de recevoir le diagnostic MA. Il me semble que, si je n’utilise pas le mot, ma démarche perd son sens. Comme on le verra plus tard (voir analyse des discours des patients, après avoir visionné la vidéo), ce choix a probablement joué un rôle dans l’acceptabilité de mon étude exploratoire. 15 mai : la vidéo est prête et maintenant … L’heure est arrivée de tester l’acceptabilité de ma démarche auprès des patientstémoins. Je prends donc rendez-vous avec chacun d’entre eux. Je prépare un nouvel entretien semi structuré, qualitatif. Voici la liste des questions que j’ai posées aux patients-témoins après qu’ils ont regardé la vidéo-témoignages, ainsi que l’élément que j’essaie de qualifier : Est-ce que vous êtes satisfait de votre témoignage (estime de soi) ? Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans ce que vous avez dit ? dans ce que les autres ont dit ? (préoccupation) Est-ce que vous vous reconnaissez dans ce que disent les autres ? (représentation de soi /de la maladie) Quelle est la différence d’après vous, entre vous et les autres ? (identité) 30 Est-ce que vous voudriez changer quelque chose dans ce que vous avez dit ? (préoccupation/évolution) Est-ce que d’autres pensées vous sont venues depuis ? (préoccupation /évolution) Est-ce que le fait de vous voir/entendre crée de l’inquiétude ? (anxiété) Est-ce que le fait de voir/entendre les autres crée de l’inquiétude ? (anxiété) A qui pourriez-vous souhaiter que ce film soit montré ? Vos proches ? Le personnel médical ?(reconnaissance/sympathie) Est-ce que vous pensez que cela vous aurait aidé de voir le témoignage des autres à l’annonce du diagnostic (utilité) ? Est-ce que vous pensez que le film pourrait vous aider à dire à vos proches des choses qui sont difficiles à dire ? 18 mai : présentation de la vidéo à Annick Elle regarde la vidéo avec attention et fait des commentaires relativement positifs mais en filigrane se manifeste une sourde anxiété. Celle-ci se manifeste par des questions sur l’état d’avancement de la maladie chez les uns et les autres. Je pense que c’est le soustitre, plus que les témoignages, qui a créé cette anxiété. Je la quitte avec un sentiment d’échec. Je m’en veux d’avoir écrit noir sur blanc dans le sous-titre ‘patients atteints de la maladie d’Alzheimer’. Je repasse la vidéo du témoignage d’Annick où elle décrit sa réaction à l’annonce du diagnostic « Je m’attendais évidemment à ce que ce ne soit pas trop trop noir mais pas trop trop clair non plus, bon j’étais un petit peu, ….mais le médecin a vraiment avec beaucoup de délicatesse, de gentillesse alors ça m’a rassurée si vous voulez ». Je me demande ce qui a été dit par le médecin et si le mot « Alzheimer » a effectivement été prononcé, comme le prévoit le protocole de prise en charge à Broca. Je l’appelle le lendemain pour prendre de ses nouvelles et m’assurer que l’anxiété ne persiste pas. Elle a une voix joyeuse et des propos sereins. C’est moi qui suis rassurée. 20 mai : présentation de la vidéo à Paul …Et là c’est la douche froide. Paul n’exprime aucun commentaire positif quant à la vidéo mais surtout, il me dit que je suis la première personne à lui parler de la maladie 31 d’Alzheimer. Il ajoute qu’il aurait bien aimé qu’on lui dise ce qu’il avait. Je suis tout d’abord catastrophée, avant de me souvenir distinctement de la conversation que j’ai eue avec le gériatre qui le suit depuis des années et qui m’a formellement autorisée à inclure Paul dans l’étude. Oubli ? Déni ? Clivage ? ou le mot « Alzheimer » n’a-t-il pas été explicitement prononcé par le gériatre ?Je discuterai de cet épisode dans l’analyse du discours des patients témoins. 26 mai : présentation de la vidéo à Mouloud Et là, j’ai un retour extrêmement positif. Il faut savoir que, après que j’ai enregistré son témoignage (il s’agit de son témoignage intégral, où il est le seul patient à témoigner), j’ai envoyé l’enregistrement à Mouloud, à sa demande. Il l’a montré à ses proches et a eu des retours très positifs de son entourage (voir verbatim de Mouloud, post témoignage). A ce stade, je fais le point : 1. Les témoignages que j’ai recueillis m’ont permis de comprendre à quel point il est difficile d’entendre et d’intégrer le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Trois questions essentielles se posent : Comment le diagnostic est-il annoncé par le médecin ? A l’hôpital Broca, la procédure prévoit qu’après un bilan mémoire, le gériatre communique le diagnostic au patient. Comment le fait-il ? Quels mots utilisent-ils ? Qu’est-ce que le patient entend et retient de ce que dit le médecin ? Il me semble que dans le cas de Paul et d’Annick, ces patients font comme des pas de danse avec l’idée qu’ils sont affectés par la maladie de type Alzheimer : un petit pas en avant, deux pas en arrière, un pas de côté…ils se dissocient parfois de la maladie, et s’associent à elle à d’autres moments. Mouloud quant à lui a décrit la violence du choc du diagnostic. Il décrit à la fois sa souffrance et son sentiment de délivrance et il dit que cela lui a pris du temps de vivre avec sa maladie. Une troisième question s’impose donc : 32 Y-a-t-il un ‘moment clé’ où il serait bon de montrer la vidéo-témoignage aux patients nouvellement diagnostiqués ? Si oui, comment l’identifier ? Nous avions prévu, dans le protocole initial, de montrer la vidéo témoignage dans les trois mois qui suivent l’annonce du diagnostic MA. Pourquoi 3 mois ? Pourquoi pas 6 mois ? La littérature a clairement établi que chaque patient réagit à l’annonce de la maladie en fonction de sa personnalité et du soutien apporté par ses proches. Peut-on dès lors définir une période qui serait ‘le moment favorable’ pour montrer la vidéotémoignage ? Cela demande clairement des recherches en amont. 2. J’avais prévu de mesurer l’impact - que j’espérais positif – de la vidéo- témoignages en utilisant une échelle d’évaluation analogique (EVA) ; le STAI pour l’anxiété, et l’échelle de Beck pour la dépression. Or, en y réfléchissant, les dépressions et l’état d’anxiété ont des causes multi factorielles. Comment pourrais-je isoler scientifiquement l’impact de la vidéo-témoignage ? Il m’a semblé que cela ne pouvait pas être valide. 3. Les patients souffrent-ils véritablement de la maladie d’Alzheimer ? J’ai assisté à la conférence que Martial Van der Linden a donnée à Louvain-la-Neuve, qui remet en cause l’existence de la maladie d’Alzheimer, comme des auteurs comme Whitehouse (2004), Arfeux-Vaucher et Ploton (2012) et Rigaux(1992, 2005, 2012) avant lui). Au vu de la multitude de facteurs qui influencent le vieillissement cognitif, du fait que certaines personnes développent des symptômes qui sont associés à la maladie d’Alzheimer alors que l’autopsie de leur cerveau prouve qu’ils ne l’avaient pas, et que le contraire est vrai aussi (l’autopsie du cerveau de certaines personnes prouvent qu’ils avaient la maladie d’Alzheimer alors qu’ils n’en ont pas développé les symptômes) , on peut se poser la question : est-il judicieux d’utiliser des témoignages de patients ? Ne court-on pas un sérieux risque de présenter comme patient-témoin d’une maladie, des personnes qui ne l’ont peut-être pas à des patients qui n’ont peut-être pas cette maladie non plus ? Kafka n’est pas loin. 33 4. Résultats La parole de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer peut-elle être utilisée pour aider des personnes nouvellement diagnostiquées MA ou maladies associées? Afin d’évaluer l’acceptabilité de la démarche, j’ai montré la vidéo témoignage individuellement, à chacun des quatre patients-témoins qui y ont témoigné. Après le visionnage, je leur ai posé les 11 questions mentionnées ci-dessus. Le tableau suivant reprend les résultats question par question. Le second tableau résume l’impact de la vidéo-témoignage sur l’état psycho-affectif des quatre patients-témoins. . 34 Résultats de l’étude exploratoire Questions Elsa Mouloud Annick Paul Résultat Etes-vous satisfait de votre oui oui oui Neutre 3 oui témoignage ? Vous m’avez 1 neutre ESTIME DE SOI demandé de témoigner, je l’ai fait. Qu’est-ce qui vous a frappé Identité Progression de dans votre témoignage ? Je me rends la maladie. - identité PREOCCUPATION compte que je Je ne me cache - progression de la suis malade pas que les maladie choses vont aller 2 neutre rien rien préoccupations en se dégradant 35 Questions Elsa Mouloud Annick Paul Résultat Qu’est-ce qui vous a frappé oubli Spiritualité Progression de rien préoccupations dans le témoignage des Fin de vie la maladie + Spiritualité autres ? Il m’arrive de Elsa, elle est plus - Fin de vie PREOCCUPATION m’accrocher à atteinte que moi ? - progression de la l’idée que je ne Et Paul ? maladie mourrai pas 1 oubli comme un légume 1 neutre Est ce-ce que vous vous Oui Oui Oui Non. 2 oui reconnaissez dans ce que Ils ont la même Totalement je me reconnais On est tous 2 oui partiels disent les autres ? chose que moi dans mouloud différents mais je REPRESENTATION DE rencontre les SOI mêmes choses REPRESENTATION DE avec ma LA MALADIE personnalité 36 Questions Elsa Mouloud Annick Paul Résultat Quelle est la différence entre Comparaison Comparaison Je ne suis pas On est tous 2 vous et les autres ? ce qu’il dit est Ce n’est pas une seule différents comparaisons entre IDENTITE très bien/ mise en témoins celui-là concurrence 1 sens de l’identité il manque collective quelque chose à 1 sens fort d’identité sa tête individuelle Est-ce que vous voudriez Non changer quelque chose dans ce que vous avez dit ? PREOCCUPATION/EVOL UTION Oui Non Non 1 préoccupation : Le temps qu’on - reconnaissance par passe avec les le personnel personnes qui médical s’occupent de 3 non notre maladie est très court. 37 Questions Elsa Est-ce que d’autres pensées Oubli vous sont venues depuis ? PREOCCUPATION/EVOL UTION Mouloud Annick Paul Résultat Oui. Oui Non préoccupations : Il faudrait créer Ne pas voir trop - progression de la des groupes de loin pour ne pas maladie patients avec un se décourager + participer à sa intervenant qui prise en charge ferait le lien avec médicale le médecin 1 non 1 oubli Est-ce que le fait de vous voir/entendre crée de l’inquiétude ? ANXIETE Oui Non Non Non 1 oui (réévaluation je me rends Au contraire, me Pas du tout négative) compte tout d’un voir me laisse 1réévaluation coup, c’est penser que j’offre positive tellement dure encore de 2 non que ça me rend l’intérêt avec ce un peu hystérique que je dis 38 Questions Elsa Mouloud Annick Paul Résultat Est-ce que le fait de Non Non Oui Non 1 oui (progression voir/entendre les autres crée Je ne m’inquiète Au contraire, je Il faut s’attendre Ils sont dans une de la maladie) de l’inquiétude ? pas pour eux vois que nous à une certaine phase pas 3 non ANXIETE sommes tous dans dégradation agréable mais ils la même barque ne souffrent pas mais pas à la même position Pourriez-vous souhaiter que Oui Oui Oui Non 3 oui ce film soit montré à vos Pour montrer que Peut-être aux Je ne vois pas - quête de proches ? je ne suis pas seul sœurs de N l’intérêt reconnaissance RECONNAISSANCE/EMP (EPAD), à celles - empathie pour les ATHIE qui acceptent la autres malades maladie - sentiment d’utilité et aux aidants 2 non 39 Questions Elsa Mouloud Annick Paul Résultat Pourriez-vous souhaiter que Oui Oui Oui Non 3 oui : manque de ce film soit montré au Absolument. Aux Parfois ils ne sont On ne m’a jamais reconnaissance personnel médical ? infirmières car le pas au top parlé 1 non : RECONNAISSANCE/EMP quotidien est fait niveau. On d’Alzheimer. On problématique ATHIE de détails et aux entend des ne m’a jamais d’annonce du médecins qui réflexions…C’est rien dit dans ce diagnostic nous voient dans blessant. Mon domaine-là, à tort un flash généraliste ne me ou à raison.Cela prend pas au ne me dérange sérieux. pas. Est-ce que vous pensez Oubli du Oui/Non Non Je vous dirais que 1 non que cela vous aurait aidé diagnostic6 Il faut un temps Moi, ça va. Je j’aurais bien 1 réponse oui/non de voir le témoignage des pour absorber le suis pas encore aimé que le 1 déni ? problème autres à l’annonce du choc du Alzheimer médecin me dise d’annonce du diagnostic ? diagnostic. Ce ce que j’avais diagnostic ? UTILITE temps est 1 oubli incompressible 6 Information rapportée par le conjoint/aidant 40 Questions Elsa Mouloud Annick Paul Résultat Est-ce que vous pensez Pas de réponse Oui. Oui Non 2 oui que le film pourrait vous C’est difficile De leur dire que Comme ça, elles Chacun a ses 1 non aider à dire à vos proches ça existe… mais verraient qu’il y a problèmes, sa des choses qui sont ils le savent. pas que moi difficiles à dire? manière d’être en 1 absence de réponse perte de vitesse RECONNAISSANCE 41 En résumé : Etat psycho-affectif Impact Positif Estime de soi 3 Préoccupations 1spiritualité Impact Négatif Neutre Oubli 1 3 progression de la maladie 3 1 2 identité 1 fin de vie Représentation de soi 4 Identité 1,5 0,5 2 Evolution 1 2 4 Anxiété 3 2 1 Reconnaissance par proches 5 1 2 Reconnaissance par personnel 3 1 1 médical Utilité 0,5 1,5 1 1 42 5. Analyse des discours des patients-témoins Je baserai mon analyse sur tous les verbatim que vous trouverez en annexe. Il y a d’une part les verbatim de l’intégralité des témoignages de chaque patient-témoin (la vidéo ne présente bien sûr qu’une partie de ceux-ci). Il y a ensuite les verbatim des entretiens que j’ai menés avec chaque patient, après que nous ayons regardé ensemble la vidéo témoignage. En résumé, voici le profil des 4 patients-témoins interrogés. NOM AGE RESULTAT AU MMS Elsa 81 19/30 Mouloud 75 28/30 Annick 76 25/30 Paul 92 22/30 Mouloud Annick et Paul se situent dans la catégorie « Alzheimer débutant ». Elsa se situe dans la catégorie « Alzheimer modéré ». Les patients ont été recrutés sur base de leurs dossiers médicaux qui étaient en correspondance avec les critères d’inclusion et d’exclusion (exception faite de l’âge de Paul et du MMS inférieur à 22 d’Elsa) et avec l’accord explicite des gériatres qui les soignent. Tous les patients-témoins vivent de manière autonome (ils ne sont pas en maison de retraite), entourés de proches qui les aident à des degrés variés, en fonction de leurs besoins. Ils ont tous le même niveau socio-culturel. Ils ont bien voulu répondre à mes questions avec une très grande sincérité. L’entretien avec Paul m’a laissé penser qu’il traversait, au moment où je l’ai rencontré un épisode dépressif. En effet, il exprimait beaucoup d’impuissance face à ses troubles « les autres ne peuvent pas faire grand chose pour moi » ou « c’est pas ce que nous faisons (voir la vidéo témoignage) qui va changer le cours des choses ! » « J’ai de moins en moins de vocabulaire à ma disposition pour essayer de sortir des impasses dans lesquelles je tombe ». J’ai aussi pu observer des symptômes d’anhédonie « je n’ai plus de joies ». Je vais structurer mon analyse autour des thèmes qui sont ressortis de ces entretiens. 43 Pertes de mémoire ? Oui. Malade ? Non. Des entretiens que j’ai menés avec les quatre patients-témoins, il y a unanimité sur deux sujets : oui j’ai des problèmes de mémoire et non, je ne suis pas malade. La maladie est associée à la souffrance physique. Voici ce que dit Paul « On ne souffre pas quand on perd la mémoire… alors que quand on a un cancer, c’est terrible ce que perdent…, supportent les patients, les malades. » Pour Mouloud « je me refuse à dire que c'est une maladie, parce que l'Alzheimer est certes une plaie au niveau du cerveau, mais elle n'est pas apparente, elle n'a rien de microbien, elle n'a rien de viral, et pourtant c'est une dégénérescence au même titre que la dégénérescence musculaire etc... » En ce qui concerne la souffrance psychique, les attitudes semblent être diverses. Paul exprime deux attitudes différentes : en parlant des autres patients-témoins « la souffrance morale, les personnes que j’ai vues, aucune d’elles n’a fait part d’une situation qui les met dans le désarroi » et plus tard, en parlant des malades d’Alzheimer qui n’ont pas la foi « « je les plains ». En ce qui concerne Elsa, elle « ne se fait pas de souci pour les autres » (commentaire obtenu après le visionnage de la vidéo). Peut-on en conclure qu’elle se rend compte que les autres témoins se situent à un stade moins avancé de la maladie ? C’est une hypothèse parmi d’autres. Les patients-témoins semblent, pour des raisons variées, penser que la souffrance psychique est plus importante pour ’les autres’ (en général) que pour eux-mêmes. Paul : « parce que je moi, j’ai pas besoin d’être plaint alors ça va très bien… mais j’ai de la peine de les voir comme ça…, c’est tout ce que ressens dans ce domaine. » On peut se demander si ils surévaluent la souffrance psychique des autres patients souffrant de MA, si ils minimisent leur propre souffrance psychologique ou les deux. Dans le cas de Paul, j’aurais tendance à penser qu’il minimise sa souffrance psychologique. Il est intéressant de noter que, si Mouloud considère qu’il n’est pas malade, ses proches refusaient d’accepter l’idée qu’il le soit. En conséquence, il a traversé une période très solitaire, lorsqu’il a commencé à se rendre compte qu’il avait des troubles cognitifs. Voici 44 comment il décrit cette situation : « Quand je leur disais ‘Mes enfants, voilà ce que j’ai l’impression qui s’installe un peu en moi’, ils ne m’ont pas cru. Ils ont dit « tu fabules !... » « Mais non ! c’est parce que tu es fatigué ! » « Mais papa, on te connaît ! t’es capable de faire une conférence de 3h 4h tout le temps ! » Pendant cette période, il n’avait pas toujours la sollicitude qu’il espérait : « dans le vécu du quotidien, ils ne faisaient pas assez attention à mon état. Alors il y avait quelques réflexions qui faisaient « Mais enfin papa, je te l’ai dit ! » « Mais tu me fais répéter quand même, ça n’a pas de sens ! » « Non, ce n’est pas ce que tu m’as dit ! Je t’ai dit cette autre chose ! Au début, je refusais ça, je me braquais ! Moi aussi je me disais ‘ non’ etc …en pensant être dans le vrai. En pensant n’avoir pas dit alors que peut-être, sûrement, je l’ai dit. » Cette période difficile avec l’entourage semble aller de pair avec le début de la MA. C’est le passage difficile que décrit Blandine Prévost (2012) dans son témoignage : il faut apprendre à faire plus confiance aux autres qu’à soi-même. L’estime de soi Il m’a semblé que l’estime de soi des patients-témoins était renforcée, à des degrés divers, par le fait d’apporter leur témoignage. En effet, quand, après une première rencontre, je suis allée revoir chacun d’eux pour filmer l’entretien, ils m’ont tous reconnue (pas forcément nommément mais, à part Elsa, ils avaient tous retenu que je venais pour filmer un entretien avec eux). J’en ai déduit que le fait de témoigner devant une caméra était un événement spécial et que d’une manière ou d’une autre, ils s’y étaient préparés. En ce qui concerne Elsa, elle me reconnaissait vaguement mais ne savait plus pourquoi je venais. En revanche, comme je l’ai indiqué dans mon cahier de recherche, elle était particulièrement tonique quand je suis venue l’interviewer. C’est son époux qui a interprété ce comportement par le fait que je venais uniquement pour Elsa et que je lui consacrais toute mon attention. Mouloud s’exprime de la manière la plus claire à ce sujet « le fait de me voir me dit que j’offre encore de l’intérêt avec ce que je dis ». La valorisation liée au fait qu’il témoigne peut sembler avoir d’autant plus d’importance qu’il constate que son rôle dans la famille a changé. Il semble penser qu’il a perdu son rôle de ‘pater familias’ « j’ai perçu, je dis bien que j’ai perçu mais avec le doute d’avoir,…. de commettre une erreur, mais il m’a semblé que … je suis moins sollicité par mes enfants, en tant que 45 conseil de ce que j’étais il y a à peine encore 2 ans et 3 ans, bon. J’essaie de mettre ça au compte pour ne pas faire … une fixation là-dessus, je, je mets ça sur le compte du fait qu’ ils ont aussi l’âge de réfléchir maintenant, ils l’ont largement hein,… ils n’ont pas besoin de moi pour dire nécessairement, … » Quant à Annick, elle dit ‘j’étais contente de le faire…je me suis dit si ‘cela peut rendre service !’ Cela pourra peut-être encourager des personnes à parler.» Quant à Paul, il dit très sobrement « vous m’avez demandé de le faire, et bien je l’ai fait » et plus tard « regardons voir si on peut faire mieux que ce qu’on a fait jusqu’à présent ». ‘Se sentir utile’ ressort comme une dimension majeure de l’estime de soi. Je fais l’hypothèse que, dans le cas des personnes affectées par la maladie d’Alzheimer, cette dimension est d’autant plus importante que la maladie est stigmatisante. Voici ce qu’en dit Mouloud « Pourquoi dramatiser dès maintenant ? Au contraire, je préfère utiliser la clairvoyance que j’ai encore et qui me restera, je l’espère, encore un peu, pour faire quelque chose d’utile. » Il renchérit : « Je n’ai pas trouvé le miracle, je n’ai pas trouvé parce que, je veux quand même être sincère avec vous, je n’ai pas trouvé la solution mais j’ai senti que je pouvais être utile, je pouvais finalement, de mon vécu, tirer un quelque chose,… » Résumé sur les facteurs qui affectent l’estime de soi Obtenir de l’attention, de l’intérêt Rendre service Encourager les autres Etre utile Satisfaction sur son parcours de vie Perdre le rôle qui était le sien au sein de la famille L’image de soi Voici ce que dit Mouloud à ce sujet: « le mot « Alzheimer » a véhiculé tant d’appréhension, tant de fausses définitions et surtout tant d’inquiétude chez les gens qui,… pensant avoir Alzheimer, se taisaient ou le cachaient. J’ai commencé à être cette,… ce type de personne honnêtement, puisque que je dois tout vous dire, j’ai eu cette appréhension 46 tout à fait au début ». Il poursuit: « Mais c'est épuisant quand même, lorsqu'on veut s'accrocher à l'image qui était la nôtre auparavant. » « J’avais peur de détruire l’image qu’ils conservaient de moi donc il a fallu encore, pas cacher, mais disons… jouer le rôle qu’ils ont bien voulu me prêter puisqu’ ils me pensent comme ça, alors autant le jouer. » « J’étais pas à l’aise, j’étais,…. j’avais l’impression que quand je quittais les 3 ou 4 personnes avec qui je discutais (souffle),… je soufflais, je reprenais un peu de souffle. J’étais pas à l’aise, franchement, j’étais pas à l’aise mais je culpabilisais pour rien, culpabiliser comme si quelqu’un cachait une tare,… comme s’il était un ivrogne qui ne voulait pas l’avouer,… je sais pas, qui n’ose pas regarder en face… et j’ai vécu comme ça .» Il termine à ce sujet d’une manière poignante : « Il y a un effort extraordinaire à faire pour rencontrer ce personnage, parce d’abord il faut détruire l’autre, il faut d’abord détruire l’autre » Annick quant à elle décrit sa gêne devant les premiers signes de MA : « quand moi-même, j’ai commencé à me rendre compte que je cherchais mes mots ou que, les personnes avec lesquelles je vivais, je ne me souvenais plus de leur prénom, c’est quand même un petit peu gênant ». Elle répond ainsi quand je lui demande ce qui est difficile dans sa vie actuelle : « c’est de me vexer de rencontrer une personne et ne pas être capable de, de, de la nommer alors je disais ‘bonjour’ mais je peux même pas dire son prénom ! C’est quand même bête ! » Elle poursuit : (avant)« on me disait ‘ mais t’as une mémoire d’éléphant’ alors depuis j’ai dit bah,… ma mémoire d’éléphant, elle s’effrite. » Quant à Paul, voici comment il vit son état : « ,… je ne suis plus ce que j’étais » ‘je souffre, c’est de ne pas pouvoir m’exprimer correctement ». … « alors j’oublie, j’oublie, j’oublie. C’est pas très douloureux mais c’est pas très confortable. » Résumé de l’impact de la MA sur l’image de soi honte frustration malaise inquiétude appréhension par rapport au changement l’image de soi 47 culpabilité deuil d’une certaine image soi gêne tristesse regret inconfort La reconnaissance Voici ce qu’en dit Annick à propos du bilan effectué à Broca : « ils expliquent bien pourquoi on fait tel exercice ou même les prises de sang, bon alors je voyais pleins de tubes, je disais ‘dites donc, est-ce qu’il va m’en rester ? (rires) alors on me …m’expliquait bon vous avez plusieurs ceci, ceci cela, bon très bien ». Elle parle aussi des réactions de son entourage : « ça agace quoi, évidemment,… surtout quand c’est la 3e ou 4e fois que vous demandez » Un résumé des modes de reconnaissance + donner des explications au patient - agacement La représentation de la maladie Pour Mouloud et Annick, les troubles qui les affectent font partie du vieillissement normal et des deuils successifs qui l’accompagnent. Pour Mouloud « il y a des pourcentages qu’on perd dans d’autres domaines pour lesquels on ne fait pas de drame. Je ne cours plus, ça fait déjà plus de quinze ans que je ne cours plus, et je n’en ai pas fait un drame tant que je peux marcher ! » Annick dit « il n’y a rien d’anormal »…. « à notre époque, il y a en a de plus en plus alors euh…. il ne faut pas s’affoler quoi ! » Pourtant, Mouloud relate son expérience avec les patients atteint de MA alors qu’il dirigeait une maison de retraite : « j’ai vu arriver des personnes qui me semblaient tout à fait saines de corps et d’esprit …. et que je voyais … un peu partir. J’étais pas médecin, mais le quotidien du vécu avec ces gens là me permettait de voir la dérive, voyez-vous. » 48 Paul a une représentation de la maladie qui passe par le biais de sa sœur, qui semble avoir les mêmes problèmes cognitifs que lui, mais à un stade plus avancé. Voici comment il décrit la situation de sa sœur : « ma sœur ainée qui elle est dans le cirage le plus absolu. Elle est en maison de repos maintenant… ou je ne sais pas comment ça s’appelle, elle (n’) est plus chez elle pace qu’elle se trompait dans tout ce qu’elle faisait, euh… je l’ai déjà emmené la voir pour l’aider mais elle ne savait pas que j’étais venu etcétéra, etcétéra puis ça, ça s’est aggravé. … et puis comme elle disait tout le temps « mais faut absolument que je me sépare de ma vie actuelle, que j’abandonne ma vie actuelle et puis que j’agisse différemment, il faut absolument qu’on s’occupe de moi. Bon puis ça s’est fait. » Paul semble avoir une vision des problèmes cognitifs dans toutes leurs complexités. Il ne voit pas la MA dans une continuité mais dans des catégories qui ne semblent pas connectées. Il insiste sur la différence qu’il y a entre les patients-témoins, lui inclus, et des personnes qui manifestent l’expression la plus sévère de la maladie « Je veux bien qu’on appelle ça Alzheimer mais c’est plus compliqué que ça ! Il y a des personnes qui vraiment…qui perdent totalement la parole...pratiquement tout ce qu’elles font, c’est incohérent. Ce n’est pas mon cas !….et ce n’est pas le cas de toutes les personnes que je viens de voir là s’exprimer ». Plus tard, alors que je rebondis sur un de ses propos et lui demande: quand vous parlez du désarroi des personnes que vous avez rencontrées dans le passé (qui avaient MA), c’est un désarroi qui est lié à quoi ? à la perte de mémoire ou à quelque chose de tout à fait différent ? Il répond « c’est très très différent ! il y avait une dame, j’ai bien connu son mari…. Quand son époux lui disait : c’est Monsieur D, elle faisait euh… euh et puis c’était tout ! » La conclusion qui suit illustre bien toute l’ambivalence qui caractérise la représentation de la maladie MA par Paul. En parlant de sa soeur « Il y a deux ans, …elle a commencé à perdre la mémoire » Il dit ensuite « maintenant elle est complètement dans le cirage. » Quand je lui dis « Donc vous m’avez dit que votre sœur est malade ? Il répond : « Oui, elle n’est pas malade » Je poursuis « Est-ce qu’elle a l’air malheureuse ? Et il répond : « Elle ? Jamais ! » J’enchaine : « Hum, donc elle a perdu la mémoire mais elle n’est pas malheureuse ? Il répond par non mais continue avec un long descriptif du comportement chaotique qui a amené sa sœur à aller dans une maison de retraite. Le fait que sa sœur ne soit pas malheureuse ne semble pas faire évoluer sa représentation. 49 Annick, elle, compare ses réactions vis à vis d’autres qui avaient des problèmes de mémoire à celles dont elle est l’objet actuellement. Quant il s’agissait des autres: « je me disais …. c’était des personnes d’un certain âge déjà,…. bien qu’il y avait une sœur qui était quand même assez jeune déjà, elle devait avoir 45-50 ans et vraiment je me disais ‘c’est pas possible !’ On a vécu ça hier, elle devrait se souvenir, je voyais pas bon, ….alors euh des fois ca m’énervait un petit, mais je lui mettais quand même sur le papier certaines fois. » Elle relate un dialogue avec ses proches pour illustrer qu’elle est à présent l’objet du même type de commentaires : « vous ne l’avez pas marqué » ! Vous savez que j’en suis à ce stade. » Réponse de ses interlocuteurs : « Oui, c’est vrai mais tu parais pas alors on se figure pas ! » Elle conclut : « maintenant instinctivement quand quelqu’un semble s’excuser parce qu’elle a oublié, je dis « T’inquiète pas : moi je connais ça ! » Résumé de la représentation de la maladie fait partie du vieillissement normal clivage : vison catégorielle plutôt que longitudinale comportement incohérent dérive clivage entre l’être et le paraître La stigmatisation Le renforcement de l’estime de soi semble se construire comme une réaction par rapport à la stigmatisation de la maladie. C’est Annick qui reprend à plusieurs reprises le sujet « On n’ose pas parler parce qu’on a peur d’être pris un petit peu pour des gens…plus ou moins détraqués. » Elle dit de son médecin généraliste : « il ne prenait pas ça au sérieux. » En résumé la stigmatisation associée à la maladie d’Alzheimer la folie la perte de crédibilité Les stratégies de coping 50 Une stratégie de coping observée est la relativisation. Annick dit à ce sujet: « pour nous c’est la tête, pour d’autres des déformations corporelles,…je dirais à chacun son infirmité ». Elle poursuit en disant « mais il faut quand même prendre ça au sérieux, c’est sûr, c’est vrai que pour éviter d’être plus handicapée ou au moins pas trop insupportable pour les autres, je me suis dit il n’y a pas…. faut faire quelque chose ». Et plus tard encore : « je refuse de grossir ni de mettre en avant ah oui ….mais c’est parce que je suis Alzheimer ou non, pas question. Ca viendra mais en son temps. » Voici comment elle décrit les meilleurs moments de sa vie actuelle : « Quand je suis avec d’autres personnes bien sûr, quand je peux encore faire des projets. » Ses rapports avec les autres semblent plus faciles quand elle fait clairement état de ses difficultés : « vous savez que j’ai pas de mémoire, alors excusez mais répétez ». Elle termine sur ce conseil à ses pairs : « il faut se dire un jour à la fois ! A chaque jour suffit sa peine, c’est ça. Et puis euh… bon, accepter qu’il y a des gens qui ne comprennent pas, ….ça partout ! » Paul est clairement dans l’évitement (voir infra, acceptation de la maladie). Il exprime sa frustration : « maintenant pour exprimer mon état, il faut que je, que j’agisse doucement, que je réfléchisse aux mots que je vais utiliser et que je trouve pour répondre à une question comme celle que vous venez de me poser. » Il semble s’isoler « je me tais le plus possible parce que parce que ça ne sert à …(rien) » Plus tard, dans le cadre de la thématique de la spiritualité « c’est dans le silence qu’on fait beaucoup de choses importantes » Il a trouvé refuge dans la méditation et la spiritualité. « alors euh quand on perd la mémoire et qu’on n’a pas la foi, on ne sait pas pourquoi on est là tandis que moi je sais ce que j’ai alors je suis heureux.! »…. « j’ai un but dans la perte de mémoire alors que j’ai des gens qui sentent qu’ils ont perdu la mémoire mais qui n’ont pas de but, ils en souffrent horriblement de tourner en rond. » Elsa, quant à elle dit : « je m’en fiche, c’est comme si ça me fait rien, absolument ! » Etant donné qu’elle est à un stade plus avancé de la MA que les autres patients, je ne sais si il faut interpréter cette réaction comme une stratégie d’évitement ou une manifestation proche de l’anosognosie. Etant donné le contexte (à ma question : « Est-ce que vous avez des problèmes de mémoire ? » elle avait répondu après une longue réflexion «je crois que oui ».), je pense qu’il y a un peu des deux. Elle a une conscience floue de son état (dont témoigne la longue réflexion avant sa réponse) mais il me semble qu’elle est aussi dans 51 l’évitement. J’en prends pour illustration poignante son commentaire après avoir vu la vidéo témoignages :« je me rends compte tout d’un coup, c’est tellement dur que ça me rend un peu hystérique ». Elle semble osciller entre légèreté (que son aidant me décrit comme éphémère) et dépression. Voici comment elle décrit les joies quotidiennes qui lui procurent du plaisir dans la vie : « maintenant quand je me lève euh… je suis ravie quand on voit le soleil je… il fait bon temps parce que je sors. Aujourd’hui, je (ne) suis pas sortie parce qu’il a plu toute la journée, alors euh... La vie, en effet, tout ce que vous voyez, vous-même vous voyez (Elsa me montre la fenêtre pour indiquer ce qui se passe dans la rue), tout ça me fait plaisir, les.... aidez(-moi) à retrouver une expression pour ça, tous les gens qu’on voit, qui se promènent, ….ça me fait plaisir. » je lui propose « joies quotidiennes » qu’elle accepte pour traduire sa pensée. Je note qu’Elsa est artiste peintre et que c’est peut être sa sensibilité artistique qui reste vibrer. Je rapproche cette stratégie de coping avec celle décrite par Annick et Mouloud (voir ci-après) : fractionner le problème, prendre un jour à la fois, éviter de penser à long terme. Une autre stratégie qu’elle a mise en place est de demander de l’aide. Voici la façon dont elle la décrit : « Oui, on peut quand même être heureux, parce que on peut demander (à) quelqu’un qu’on voit, on voit plein de monde n’est-ce pas, quelqu’un qui a l’air gentil, aide-moi et je crois que normalement les gens qui sont normal dans sa tête, il aide avec plaisir. Tiens, j’ai jamais pensé à ça avant, mais.... tiens, oui, ça je crois absolument ... » Mouloud a pris la décision de faire face à la maladie: « de deux choses l’une, ou je persiste dans le noir, ou j’essaye de m’en sortir. C’est le combat qu’il faut oser mener. » et de positiver « Mais je suis encore en vie, c'est ça l'essentiel. C'est...Quelle que soit la préparation que l'on s'accorde pour recevoir l'événement, ce n'est pas comme le vivre....c'est...il faut positiver après, on n'a pas le choix. Soit on sombre, soit on positive. On se dit «J'ai l'Alzheimer, qu'est-ce que je peux faire? Comment je peux continuer à vivre? J’ai finalement compris tout simplement, pourquoi ne pas positiver avec cette affaire. » Cela ne l’empêche pas d’avoir une tendance à s’isoler « il y avait quelque part dans mon idée, ce besoin de sortir un peu de mon cadre familial dans lequel j’ai toujours vécu. » 52 Il a également préparé le transfert de certains dossiers – surtout d’ordre financier- à sa femme. « Je lui ai fait sentir, et je pense même le lui avoir dit, … qu’il était temps qu’elle s’intéresse maintenant à un certain nombre de chapitres » … « donc on a appris à ouvrir des chapitres de communication qu’on n’avait pas ouvert avant, ou tout au moins qu’on n’avait pas ouvert de manière systématique donc je (le) fais maintenant voyez-vous ?.... (silence) je crois que, je crois que les choses vont bien, vont bien de ce côté…. et je dis surtout, et il y a quelque chose qui a vraiment changé en moi c’est de lui dire, parce que j’ai pris conscience finalement que ce quelque chose qui m’arrive va aller …. dans le mauvais sens, il ne va pas repartir dans le bon sens. … En l’impliquant de plus en plus, en lui disant maintenant ‘prends les décisions comme si je n’étais pas là et tu m’en parles tout simplement ». Mouloud a également rédigé le récit de sa vie pour ses enfants en 3 tomes« vu l’âge qu’ils ont, je n’allais pas attendre qu’ils aient l’âge de m’écouter, l’âge de me comprendre,….. je me suis,…. je pense qu’à ce moment-là, j’aurais raté le coche ! Je ne pourrais pas leur dire, comme je le,…. comme je le perçois maintenant. Alors je me dis ‘je vais, je vais laisser ça comme étant une, …sur disquette tout simplement’ et puis je me suis dit ‘au fond, pourquoi ne pas leur donner carrément des livres avec des photos de mon jeune âge, avec des photos de …. mon parcours. » Sur un plan pratico-pratique, Mouloud a trouvé des stratagèmes pour se faciliter la vie. Il a une ceinture qui comporte un étui pour ranger son téléphone portable, et deux chaines auxquelles sont attachés son portefeuille et ses clés. « avant de changer, j’enlève ma ceinture. Quand j’enlève ma ceinture, je suis obligé de voir mon téléphone, obligé de voir ma clé. Voici mon portefeuille avec la chaine que je …Et j’ai mes papiers qui sont de faux papiers, qui sont là. Quand je prends ma voiture, je les prends avec moi. ». Comme il a, à plusieurs reprises perdu ses papiers, il garde les originaux dans son coffre et circule avec des copies. En résumé les stratégies de coping qui émergent des témoignages sont : + relativiser + agir 53 + dédramatiser + profiter des joies quotidiennes + vivre dans le court terme + fractionner le problème + demander de l’aide + faire face + positiver + prendre les dispositions pour mettre de l’ordre dans ses affaires + trouver des stratagèmes pour faciliter la vie pratique au quotidien + contacts sociaux + faire des projets à court terme + faire clairement état de ses problèmes de mémoire à ses proches + vivre dans le présent + accepter l’incompréhension de certains + parler en prenant le temps +donner du sens à sa vie - Déni - Evitement - Isolement Préoccupation/anxiété La progression de la maladie et la fin de vie apparaissent comme des préoccupations majeures. Certaines activités du quotidien créent progressivement de l’appréhension. Paul : « J’avais du plaisir à sortir maintenant j’appréhende de sortir ». Il parle de l’évolution de son état de manière contradictoire, au cours de la même conversation (après avoir regardé la vidéo) : « on ne peut pas dire que ça s’aggrave, mais ça ne s ‘améliore pas non plus » et quelques minutes plus tard « depuis qu’on se voit, j’ai perdu beaucoup de ma capacité à m’exprimer ». (NB : je n’ai pas fait ce constat).Il semble être dans un état d’hyper vigilance et être proche du désespoir. 54 C’est Annick qui manifeste la plus grande anxiété. Elle se compare aux autres patientstémoins « la dame (Elsa),…elle est plus marquée que les autres témoins ?...et Paul, il est à quel stade ? ». A sujet de la maladie, elle dit « il y a des chances que cela progresse » « il faut s’attendre à une certaine dégradation » et elle met immédiatement en place une stratégie de coping « mais bon, c’est peut-être pas pour demain ! » « quand ça (l’inquiétude) me vient, je me dis à chaque jour suffit sa peine ». Quand je demande à Annick si il y a des choses qui lui font peur, voici sa réponse : « d’être complètement Alzheimer, ça, ça me fait peur ! surtout que….il y a l’une ou l’autre là. Alors on a une maison EPAD à Nogent. Alors des sœurs qu’on a vues brillantes, qui avaient des responsabilités. puis tout d’un coup,….. mais vraiment un légume, alors ça, ça, oui, ça me fait peur. » La fin de vie semble être une préoccupation tant pour Annick, Mouloud que Paul (Elsa ne s‘est pas exprimée sur ce point). Ils expriment tous le souhait d’être emportés rapidement, avant que leur état ne se dégrade. Paul le dit en ces termes « Alors comment ça se terminera…je ne suis pas en mauvaise santé...mais j’ai quand même une insuffisance cardiaque, ce qui est très important (rires) pour mon départ définitif ! …Cela va arriver un de ces jours, il ne faut pas être pressé. » Il m’explique qu’il a pris toutes les dispositions concernant sa mort et termine par « Ca peut aller vite, ça peut durer très longtemps. Voilà ! » Voici ce qu’en dit Mouloud : « j'ai eu une remarque qui m'a beaucoup plu de cette dame du reportage qui a dit:«Je m'endors et peut-être que je vais disparaître avec une crise cardiaque» et vous savez, il m'arrive de m'accrocher à l'idée que je ne mourrai pas comme un légume. Mais ce qui me reste, je vais l'utiliser de façon à aller de plus en plus loin jusqu'au moment où je disparaîtrai peut-être d'autre chose. » En résumé : - progression de la maladie - dégradation - perte de dignité - sentiment de vulnérabilité 55 - hyper vigilance - fin de vie L’empathie/la sympathie Mouloud décrit sa relation avec des patients MA, avant que lui-même ne soit atteint. « Parce que les seules expériences que j'ai eues de relations avec des Alzheimer, c'était pendant ma vie professionnelle (quand il gérait une maison de retraite), où je n'en étais pas un! Donc je n'étais qu'un spectateur d'une situation. Il n'y avait que du relationnel, pas de partage. Mais quand on discute avec des gens comme ça...et peu importe le niveau intellectuel parce que cela n'a rien à voir avec le vécu....la masse d'informations qu'on a rassemblée, ce qu'on peut appeler l'expérience, peu importe. C'est surtout le côté humain, l'échange d'un regard, une main qui se tend, c'est porteur de message! » Annick parle de cet aspect à plusieurs reprises : « … à l’hôpital Broca, j’ai été très bien accueillie et puis c’est encourageant !» Comme je lui ai demandé ce qui était encourageant elle répond : « Bah, déjà l’accueil ». Ensuite « d’abord il y a beaucoup de délicatesse de la part du personnel et ça vraiment euh, ….bon même quand je cherchais à me souvenir de ce que j’avais vu, bon on me donnait des petites questions pour pouvoir me mettre sur la piste, par exemple, c’était un légume on me disait ‘ tiens, c’est un légume’ et tout de suite je voyais que c’était le poireau et je les ai vraiment tous trouvés. C’est très encourageant » Ce commentaire (qui prête à sourire quand elle donne son interprétation de l’indiçage) illustre l’importance pour les neuropsychologues, de ne jamais laisser partir un patient sur un sentiment d’échec. Elle dit enfin « on a besoin d’être rassuré, bon …. d’une certaine sympathie quoi, c’est ça ! » Paul quant à lui dit de son entourage : « ils ont beaucoup de patience ». Résumé des manifestations d’empathie/sympathie - le contact sensoriel - la qualité de l’accueil - la délicatesse - la sympathie - la réassurance 56 - la patience L’acceptation du diagnostic Il me semble que Paul et Annick, illustrent parfaitement le paradoxe entre acceptation et déni que décrit McQuarrie (2005). Voici tout d’abord comment Annick décrit sa réaction lorsqu’elle a commencé à avoir des problèmes de mémoire : « je pensais pas que ca pouvait m’arriver, ah non non ! j’avais une mémoire phénoménale au contraire, je racontais des histoires qui s’étaient passées il y a 30 ans avec tous les détails. » La façon dont elle décrit l’annonce diagnostic me semble particulièrement intéressante: « le médecin qui a conclu les rendez-vous que j’avais eus m’a dit « non, vous n’êtes pas encore ,…. mais bon il faut prendre ça en considération quand même » et la façon dont elle l’a reçu et ce qu’elle a perçu « je m’attendais évidemment à ce que ce soit pas trop trop noir mais pas trop trop clair non plus, bon j’étais un petit peu, ….mais le médecin a vraiment avec beaucoup de délicatesse, de gentillesse alors ça m’a rassuré si vous voulez. ». Il semble bien que cette perception confirme que c’est plus la façon dont le diagnostic est annoncé que le contenu du diagnostic lui-même qui conditionne la manière dont le patient reçoit le diagnostic (Marzanski, 2000). Annick dit encore ces phrases, qui reflètent bien toute l’ambivalence qu’elle semble ressentir vis à vis de la MA : «il faudrait qu’on s’habitue à vivre dans la réalité, quoi,…quelle qu’elle soit » « on ne la choisit pas (la maladie) mais elle est certainement plus facile à porter si elle est acceptée que si on la traîne, enfin il me semble. ..et je n’ai pas du tout envie de la traîner. » Elle conclut: « je suis Alzheimer ou non, pas question. Ca viendra mais en son temps. » Voici ce que dit Paul avec de la colère dans la voix (tant le propos que le ton m’ont pas mal ébranlée sur le moment) : « On ne m’a jamais parlé d’Alzheimer. C’est vous qui m’en parlez ! Le médecin qui me suit à Broca ne m’a jamais rien dit dans ce domaine-là ! Et il poursuit avec ce curieux commentaire, d’un ton neutre « A tort ou à raison, moi cela ne me dérange pas ! ». J’analyse ces propos comme une expression d’une stratégie de coping par 57 la distanciation et le déni. Il poursuit sur le ton de la colère « J’aurais aimé entendre le médecin me dire ce que j’avais mais elle n’a JAMAIS RIEN DIT ! C’est VOUS qui, par votre intermédiaire, me dites que j’aurais la maladie d’Alzheimer. Alors Alzheimer, Alzheimer, c’est une chose mais il n’y a pas qu’Alzheimer dans les pertes de mémoire !. Il poursuit, en totale contradiction avec son propos précédent « je regarde ma sœur qui a commencé la maladie deux ans avant moi. ». Il décrit l’état de sa sœur, qui vient d’entrer dans une maison de retraite car elle ne pouvait plus vivre de manière autonome et commente « Ma sœur elle a une avance, une grande avance sur moi, le passé et bah elle en parle déjà plus, elle est comme moi, elle prend, elle pense à l’avenir. » NB : Paul et sa sœur sont profondément croyants. « C’est très différent de moi, ce que j’ai, ce que je supporte à l’heure actuelle. Moi, c’est de constater tous les matins que j’ai un petit peu moins de vocabulaire que la veille. » Je rebondis : « Qu’est-ce que vous pensez quand vous voyez votre sœur ? Paul répond: « Bah, je pense que je vais devenir comme elle, tout doucement (sourire). » Et quand vous pensez ça, qu’est- ce que vous ressentez alors ? Paul : « Rien (sourire), rien de particulier parce que moi, …, étant croyant, de passer n’est-ce pas vers un avenir très différent, très différent… alors il faut le passer c’est tout et puis euh… ça sera une découverte à ce moment- là. Bon, beh,…. alors je ne vais pas,… ça ne me contrarie pas, au contraire : c’est une découverte. » Mouloud quant à lui a décrit la violence du choc du diagnostic. Sa première réaction a été ça m ‘a fait « mal, en me disant « il a fallu que ça m’arrive aussi ! » … » « je me suis dis ‘voilà, là c’est ton tour maintenant, ça fait mal ! ça fait vraiment mal !.. ..et ce n’est que par la suite que j’ai positivé. » « Si j'étais sorti de chez le médecin après l'annonce du diagnostic et que j'étais rentré dans une salle de réunion où il y a des Alzheimer, je n'aurais pas participé, je n'aurais pas pu apporter quoique ce soit, et je n'aurais emmené rien du tout avec moi. Parce qu'on est choqué, c'est un coup de masse, dur, même pour quelqu'un qui sait ce que c'est que l'Alzheimer comme dans mon cas, c'est excessivement dur. C'est comme un boxeur qui est tombé au sol, il a besoin de se relever, il a besoin de se relever, pour reprendre son combat. Et ce temps-là est incompressible. Et je crois qu'on fait mieux de digérer par soi-même, on a le temps de ne pas l'exposer. Il faut d'abord le comprendre : «Est-ce que c'est vrai? Est-ce que j'ai vraiment ça?». Ensuite, on y va. » 58 Il donne le sentiment d’avoir complètement ‘ingéré’ sa maladie qu’il appelle : « Mon Alzheimer ». « C'est très simple: je suis sûr et certain que mon Alzheimer (parce que mes troubles de mémoire j'ai commencé à les ressentir il y a trois ans environ, alors que le résultat a tout juste une année)...j'étais sûr et certain que quelque chose n'allait pas mais j'attribuais ça à autre chose, à la fatigue, que j'ai décroché sur le plan professionnel, que je vivais au jour le jour sans avoir de projet. Et boum! Ça arrive. Lorsque que ça arrive, ça arrive comme brutalement, mais aussi comme si c'était une espèce de délivrance, parce que maintenant je sais ce que j'ai. Ça me fait mal, mais je sais ce que j'ai. Donc il y a un certain répit que l'on a » Et il parle ensuite du temps requis pour accepter sa maladie. « Je vous dis que franchement vous êtes arrivée au bon moment, où j'ai développé ma propre idée de la chose. Vous seriez venue un an auparavant, vous auriez trouvé un homme qui broie du noir (silence). Si vous arriviez un an plus tard, je ne sais dans quel état physique vous me trouveriez. Donc vous avez choisi le moment où vous aviez quelqu'un qui s'est fait à l'idée de sa maladie, l'a acceptée, intégrée dans son système de vie et de pensée, qui s'en est accommodé par des petites choses de tous les jours, qui sait en tirer le meilleur pour ne pas laisser les siens dans le désarroi le jour où il disparaîtra. » Plus tard, il revient sur ce sujet : « Honnêtement, honnêtement, on a besoin de digérer l'événement, de s'y faire soi-même, de le mesurer, parce que de toute façon, quelle que soit la chose qu'on nous dit par ailleurs, s'impose d'abord notre perception de nous-mêmes. Et on ne peut pas en faire l'impasse. » L’utilisation de la vidéo témoignage pour communiquer avec le corps médical Elsa, Mouloud et Annick ont été très positifs quant à l’idée d’utiliser la vidéo-témoignages pour faire passer des messages au corps médical. Mouloud est très demandeur: « je crois à cette démarche. Je vais vous dire pourquoi. Parce que c’est les médecins qui actuellement sont encore au début de cette maladie (ils sont encore loin de la maîtriser)..donc ils sont dans la découverte. Mais quelqu’un qui la vit de l’intérieur et qui peut encore s’exprimer dessus, et aligner des phrases dessus, c’est un sacré pont, un sacré pont ! »... Il poursuit : «… parce que c'est une dimension qui manque. Le personnel médical entoure ces gens-là...l'infirmière a peut-être plus à dire. Parce que notre vie de malade de cet 59 Alzheimer est faite de détails que seul celui qui est quotidiennement en contact peut apprécier. Le médecin, lui, est face à un flash, à une situation donnée qui peut être mauvaise au moment où il ausculte. Il ne s'inscrit pas dans une certaine périodicité. » Il plaide ensuite en faveur d’un suivi que j’appellerais psycho-social, qui inclurait des groupes de patients. « En fait, si on mesure le temps que l'on passe avec les personnes qui s'occupent de notre maladie, c'est un très très court moment. Je vois mon médecin une fois tous les six mois, pour 20 minutes. Je me suis surpris à vouloir lui donner le maximum de choses pendant ces 20 minutes et j'en oublie évidemment. Ou alors on ne sait pas quelle chose l'intéresserait le plus. Ce qui manquerait peut-être, c'est un rapport de la médecine où il y a des intervenants, qui multiplieraient la relation soit de manière hebdomadaire ou mensuelle en suscitant même de l'intérêt chez une personne pour qu'elle s'occupe de telle question, de façon à ce qu'elle vienne rapporter dessus. Bref, rejouer une sorte d'intégration dans une vie collective où les malades ne seraient pas livrés à eux-mêmes, mais un peu guidés en fonction de leurs centres d'intérêt mais dans une perspective qui pourrait être utile à ceux qui orchestrent ce type d'opération. Quel que soit mon désir d'être très positif, et je le suis, vis-à-vis de personnes telles que mon médecin ou les infirmières, ce n'est pas suffisant pour essayer d'obtenir des gens, et surtout la possibilité éventuellement d'exploiter ce qu'ils apportent en vue de…recherches » En ce qui concerne le rôle de l’intervenant, il décrit son rôle en parallèle avec celui que j’ai joué pour capter cet entretien « Vous m'avez mis en état de communiquer. C'est drôle, mais c'est vrai, vous m'avez conditionné, parce que vous êtes quelque part du milieu, donc on est ouvert. Je n'ai pas besoin de tricher avec vous parce que je sais que vous venez vous occuper de la maladie d'Alzheimer, que j'en suis un, et que c'est au niveau de ça que le dialogue va se faire. J'aurais été sur mes gardes si vous aviez été autre chose... » Quant à Annick, elle constate que son généraliste « ne prend pas ça au sérieux » et à propos du personnel médical « ils ne sont pas toujours au top niveau…on entend des réflexions blessantes..involontairement…ils ne savent pas de quoi il retourne, je pense. » Quant à Paul, il ne s’affirme pas directement en faveur de l’utilisation de la vidéo pour le personnel médical mais quand il dit « J’aurais bien aimé qu’un médecin me dise ce que 60 j’ai », on peut faire l’hypothèse qu’il voudrait que le personnel médical entende sa voix. L’utilisation de la vidéo témoignage pour communiquer avec ses proches J’ai donné à Annick, Mouloud et Paul une copie de leur témoignage personnel, en intégralité. Paul et Annick n’en n’avaient pas fait usage, quand je les ai revus. En revanche, Mouloud a partagé son témoignage filmé avec sa femme, ses enfants et des amis proches. « Tout le monde a été en gros touché parce qu’ils m’ont trouvé pathétique. » Comme je lui demande si ses proches l’ont trouvé pathétique ou touchant, il me répond « touchant, sans inspirer une peine aux autres. »…mes proches m’ont dit « tu ne pouvais pas en dire plus parce qu’on t’a reconnu, on t’a retrouvé là-dedans ». Quand je demandé à Mouloud si le fait que ses proches ont vu son témoignage, a changé quelque chose, il répond « Surement. Ils se sont habitués, ils ont démystifié le mot « Alzheimer » à partir du moment où je leur ai expliqué mon état d’âme et après qu’ils ont surtout compris que moi, j’ai assimilé d’abord la situation. Et aussi que j’accepte l’idée que j’ai un processus de dégénérescence qui s’est installé ». Voici l’avantage qu’il voit à l’utilisation de l’intermédiaire de la vidéo plutôt qu’une conversation en direct avec ses proches : « J'ai pris l'avantage de ne pas leur asséner ça dans un monologue. Mais je leur ai donné quelque chose, parce qu'on reçoit mieux un film, car on est obligé de se taire pour recevoir le contenu, il n'y a pas de communication, de marge. Par exemple, si je sortais avec une idée que j'expose dans mon film et que mon fils n'aperçoit pas, il va m'arrêter. C'est le principe du dialogue. Mais là on est obligé d'attendre jusqu'au bout. » Il continue : « Il faut nécessairement faire accepter aux autres l'état dans lequel on est, sans tricher, sans faire pitié. Ce n'est pas la pitié qu'on recherche, c'est la compréhension. » Quant à ses amis, voici la description des retours qu’il a obtenu : « je l’ai (il s’agit de la vidéo avec son seul témoignage) montrée à quelqu'un qui a travaillé à la maison de repos pendant quinze ans (la maison de retraite dont Mouloud était le Directeur), je lui ai envoyé sa copie et elle m'a dit: «J'en ai pleuré, parce que vous n'étiez pas dans une situation de détresse et vous en parliez comme...alors que moi je ressentais de l'effroi en parlant d'Alzheimer, mais là on sent de l'aisance dans ce que vous dites». J'ai aussi eu un 61 feedback d'un ami qui est presque un frère pour moi, et m'a dit : «Il est difficile, même en écoutant ton message, de dire que tu es Alzheimer au sens où nous, les profanes, l'entendons. C'est pas possible que tu puisses avoir conservé ton aptitude à parler et à raisonner alors que d'un autre côté, tu as des résultats qui te situent dans le clan des malades». Il me parle ensuite des visites quotidiennes de son fils, qu’il appelle les visites ‘d’inspection’. (NB : ces visites ont commencés bien avant que son fils ait regardé la vidéo témoignage de son père).Quand je l’interroge sur l’utilisation de ce terme, il répond : « j’utiliserais volontiers le même mot (inspection) pour qualifier quelqu’un qui vient voir que je ne manque pas de quelque chose ou si je n’ai pas un problème ou si…ce n’est pas négatif. » Il me semble exprimer une ambivalence. « Quand vous êtes avec quelqu’un, vous sentez que la personne est là pour un échange de discussions qui est neutre, même s’il peut être dans la contradiction. Mais quand vous sentez que la personne est à vous regarder comme si elle essayait de lire derrière…on s’y prête d’autant plus volontiers qu’il m’accorde de l’attention. Il ne faut pas que je la rejette, au contraire, il faut que je la reçoive bien. » « Mais je ne suis pas pour autant à écourter ce moment de bonheur qu’il m’offre en me disant que je vais le rejeter dans son…problème. Au contraire, je consomme ce petit instant. » Ce propos permet d’illustrer la difficulté de l’accompagnement d’une personne diagnostiquée MA. Je tenterai de donner un éclairage sur ce point dans la partie consacrée à l’image de soi ci-après. Voici enfin ce qu’il dit sur le fait de montrer la vidéo avec les quatre témoignages : « je voudrais montrer la vidéo à ma famille, pour montrer à mon entourage que je ne suis pas seul avec ce que je vis. Parce que mes enfants, à part moi, ne savent pas qui est Alzheimer autour d'eux. Donc leur montrer que cela existe aussi chez d'autres.. » L’utilisation de la vidéo-témoignages pour les autres patients MA Pour des raisons déontologiques, je n’ai pas pu donner d’exemplaire de la vidéo reprenant les quatre témoignages aux patients-témoins. Voici ce que Mouloud dit au sujet de la vidéo-témoignage «J’aurais voulu pouvoir garder la vidéo pour la regarder parce que cela m’aurait fait chaud au cœur ». Il dit plus tard « J'ai certainement exprimé mon plaisir 62 de solliciter une copie mais je comprends très bien la réserve qui est la vôtre et je la respecte. Mais la raison pour laquelle j'avais exprimé cette demande, c'est parce qu'on a besoin de se retrouver dans un film avec les autres comme si je poursuivais avec eux...la même discussion. » Il ajoute : « Lorsque je vous ai parlé la première fois,…. j'étais seul face à moi-même. Là je fais partie d'une équipe, d'un petit groupe. Un peu comme les groupes que j'ai voulus...j'en ai d'ailleurs parlé avec mon médecin...de créer un groupe, avoir des discussions, une fois par semaine, une petite demi-heure ensemble, c'est quelque chose d'extraordinaire, parce que d'abord ça isole de la solitude, si j'ose dire. Et en plus, chacun apporte son éclairage, son vécu. » Notons que ce concept est très proche des cafés Alzheimer ou cafés de la mémoire. Il commente sa participation en tant que patient-témoin comme suit : « Je donne mon vécu, je donne ce que j’ai ressenti et les autres, et les autres qui l’ont perçu, ils en feront ce qu’ils veulent. …Je ne me sens pas … nanti d’apporter l’espoir, de donner l’espoir ou la bonne parole ou le, …un message un peu qui viendrait de l’au-delà, absolument pas ! C’est une vie que je partage avec les autres, je donne ma façon dont je l’ai perçue, c’est tout …et si les autres peuvent en faire autant vis à vis de moi, mais je serais très heureux à écouter parce que ça m’aiderait. De leur part, je l’accepterais peut-être un peu plus facilement que de la part de médecins qui sont occupés à leurs recherches. Je ne leur jette pas la pierre parce que c’est un domaine qu’on est en train de découvrir, mais je suis plus en relation, presque demandeur avec celui qui vit la même chose que moi tout en le vivant peut-être un peu différemment. …Donc chacun est un prisme à multiples facettes. » Plus tard, il continue en comparant les différents publics possibles (proches, corps médical ou autres patients MA « Mais....c'est plus intéressant (de montrer la vidéo des 4 témoignages) pour des gens qui sont Alzheimer et qui vivent ça de manière solidaire. » Ce commentaire est évidemment en ligne avec la démarche de cette étude exploratoire. Il est cependant à noter qu’un seul patient sur quatre s’exprime en ce sens. (voir discussion ci-après) 63 6. DISCUSSION Le patient souffrant de la maladie d’Alzheimer, peut-il être inclus, en tant que patienttémoin, dans la chaîne de soin ? Cette étude exploratoire ne permet pas de donner de réponse claire. Il me semble qu’il faudrait faire davantage de recherche pour répondre à la question: est-ce que certains patients-témoins pourraient être inclus dans la chaine de soins de certains patients développant des troubles cognitifs. En effet, cette étude exploratoire permet d’établir - avec toutes les précautions d’usage étant donné la petite taille de l’échantillon - que le fait de participer à cette vidéo et de la voir ont un impact positif sur la représentation de soi, et positif ou neutre sur l’estime de soi. Est-ce le fait de témoigner ou de se regarder qui crée l’impact positif ? L’étude ne permet pas de le dire étant donné que tous les témoins étaient aussi leurs propres spectateurs. Tous les patients-témoins plébiscitent avec force, directement ou indirectement, l’utilisation de cette vidéo pour être en mesure de mieux communiquer avec les médecins, et être mieux reconnu et mieux compris par le corps médical au sens large (médecins, infirmiers, aides-soignants, etc). C’est certainement l’usage le plus simple simple et le plus efficace qui pourriat être fait de ce type de vidéo-témoignages. Sur base volontaire, la vidéo-témoignages est aussi considérée par les patients-témoins comme un outil qui pourrait être utile pour communiquer avec les proches et être mieux compris d’eux. En revanche, le fait d’apparaître sur la vidéo parmi d’autres patients qui ont la maladie d’Alzheimer peut avoir un effet défavorable sur l’anxiété de certains patients, alors qu’il est favorable pour d’autres. La vidéo confronte le patient à sa maladie, sans qu’il puisse éluder. Il se crée un phénomène de comparaison qui peut renforcer les préoccupations des uns (cristallisées essentiellement sur la progression de la maladie) alors qu’elle peut générer des idées positives pour d’autres (je vaux encore la peine d’être écouté). 64 La problématique la plus importante qui est apparue au moment de regarder la vidéo tient à l’acceptation de la maladie et l’annonce du diagnostic. Les gériatres ont annoncé le diagnostic MA aux quatre patients témoins pourtant deux d’entre eux ne se considèrent pas comme des personnes qui ont la maladie d’Alzheimer. Fort de ce constat, il apparaît qu’il serait peut-être intéressant de faire une étude concernant l’annonce du diagnostic, vue du point de vue du patient. Après la(es) consultation(s) durant la(es)quelle(s) le diagnostic est communiqué7, il s’agirait de demander au patient si il a obtenu un diagnostic et si oui, lequel ? Je vais aborder ci-après des sujets qui me semblent être au centre de cette étude exploratoire. J’ai déjà évoqué certains de ces sujets soit dans la section ‘revue bibliographique’, soit dans la section ‘analyse du discours des patients’. Je les aborderai ici sous un autre angle, à savoir à la lumière de l’expérience de la préparation de ce mémoire. De nombreuses questions se posent en effet, notamment au sujet de : La méthodologie En ce qui concerne les patients-témoins : il me semble que les critères d’inclusion et d’exclusion que nous avons déterminés pour le recrutement étaient pertinents. Je me suis tout de même rendu compte que, entre le dossier médical du patient et le moment X où je le rencontre, il peut se manifester des symptômes (notamment dépression ou anxiété) qui ne sont pas forcément présents lors de la consultation. Cela pourrait donc avoir du sens d’inclure une échelle d’évaluation comme le STAI, pour mesurer l’anxiété et l’échelle de Beck pour mesurer la dépression. Cependant si on considère le cas de Paul : même si il avait des symptômes dépressifs, il a tenu des propos très pertinents. Simplement, le fait de témoigner ne semble pas avoir eu un impact positif sur l’estime et l’image qu’il a de luimême, comme cela a pu être le cas pour les 3 autres patients-témoins. Il serait certainement utile de faire une évaluation (de type avant - après) sur l’impact qu’a, sur l’estime et l’image de soi, le fait de témoigner. 7 Comme indiqué dans la revue bibliographique, de nombreux auteurs plaident pour l’annonce progressive du diagnostic MA 65 : quand l ‘inclusion du témoignage de patient-témoin pourrait-elle être utile ? Ce qui apparaît clairement, est que l’inclusion de patients-témoins dans la chaine de soin n’est pas pertinente pour les patients nouvellement diagnostiqués. Plutôt que d’essayer de définir des paramètres complexes pour définir un niveau d’acceptation de la MA, il me semble que la réponse simple est de proposer l’inclusion du patient témoin dans la prise en charge, si le patient MA le demande. Il s’agirait donc d’informer le patient MA de l’existence de cette possibilité comme faisant partie intégrante de l’accompagnement psycho-social. En ce qui concerne la forme : Vidéo ou face-à-face ? La vidéo semble avoir l’avantage de pouvoir être regardée ‘à la demande’ et de pouvoir être regardée plusieurs fois. Il me semble qu’elle a aussi l’avantage de pouvoir être regardée par des personnes qui ont du mal à se déplacer (et peut-être dans les zones rurales où l’accompagnement psycho-social est plus difficile à mettre en place). Pour les patients qui n’ont pas de lecteur de DVD, peut-être peut-on penser à des solutions telles que donner des tablettes avec le DVD aux infirmiers qui suivent les patients, à domicile ou en institution. En revanche, les groupes de paroles, de type ‘café Alzheimer’, qui peuvent prendre différentes formes – le concept du café Alzheimer va de pair avec un protocole strict (Blom, Miese 2013)- continue de se développer. Le sous-titre de la vidéo : il m’a semblé que les réactions d’anxiété qui ont été exprimées par les patients-témoins, après avoir regardé la vidéo-témoignage, étaient essentiellement liées au sous-titre de la vidéo : « témoignages de patients atteints de la maladie d’Alzheimer ». A mon sens, rétrospectivement, ce sous-titre était une erreur. Il existe une grande différence entre le fait d’entendre le diagnostic MA et de l’accepter. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu examiner en détails la complexité de l’annonce du diagnostic (voir plus haut). Le choix de ce sous-titre n’est pas arrivé par hasard. Il a fait l’objet d’une longue discussion avec Inge Cantegreil qui était mon Maître de stage à l’hôpital Broca et qui est Docteur en psychologie clinique. Voici notre raisonnement : la question de recherche qui est l’objet de ce mémoire est basée sur la difficulté, pour un patient nouvellement diagnostiqué, d’accepter le diagnostic MA. Nous avons vérifié avec soin, notamment en demandant l’accord explicite des gériatres qui suivent les patients-témoins 66 intégrés dans cette étude, que chacun avait bien reçu l’annonce du diagnostic MA. Nous avons émis l’hypothèse qu’en mettant des patients aux visages avenants, qui tiennent des propos intelligents, qui ne minimisent pas les difficultés, qui expriment leurs émotions de manière sincère et proposent des stratégies de coping qui fonctionnent pour eux, nous pourrions aider les patients nouvellement diagnostiqués. Nous espérions que ces témoignages allaient contribuer à changer leurs représentations de la maladie, développer leurs propres stratégies de coping et se sentir moins seuls, et par la même diminuer leur niveau d’anxiété et/ou les symptômes dépressifs. Je pense que ces messages positifs n’ont pas ou peu été entendus par trois des quatre patients-témoins parce qu’ils se sont vus « étiquetés » Alzheimer, dans le sous-titre de la vidéo. Ceci a mis à mal les stratégies d’acceptation et de déni qu’ils mettent alternativement en place et généré de l’anxiété (Annick), de la colère (Paul) et de la souffrance (Elsa). On peut spéculer que, si j’avais utilisé le sous-titre « témoignages de personnes vivant avec des troubles cognitifs », j’aurais peut-être pu éviter de générer ces affects négatifs pour ces trois patients. Est-ce que cette vidéo témoignage ‘édulcorée’ aurait suscité autant d’affects positifs en ce qui concerne Mouloud, qui lui, a clairement accepté le diagnostic MA ? On ne peut répondre. De nouvelles recherches seraient nécessaires pour définir le meilleur sous-titre (il semblerait difficile de l’enlever : il semble indispensable d’annoncer l’objet des témoignages). Les limites de cette étude exploratoire Certaines limites de cette étude étaient très claires depuis le départ: l’échantillon des patients est très restreint, et très homogène sur le plan socio-culturel. Au fur et à mesure des entretiens avec les patients-témoins, je me suis aussi rendu compte qu’ils avaient tous en commun d’avoir le même facteur de protection : la spiritualité.(voir infra) Au cours de cette recherche, je me suis aussi rendu compte des limites éthiques et déontologiques de cette démarche. Bien qu’il me semble avoir pris toutes les précautions de cet ordre, en validant l’inclusion avec les gériatres (certains ont recruté des patients), en demandant le consentement éclairé du patient et de son aidant, j’ai eu des moments de malaise quand j’ai été confrontée aux remarques anxieuses d’Annick, à la détresse d’Elsa et à la colère de Paul. En ce qui concerne Paul et Annick, ces expressions d’affects négatifs me semblent liées à la confrontation au mot « Alzheimer » et est en conséquence à mettre en lien avec 67 l’annonce du diagnostic. En ce qui concerne Elsa, la détresse qu’elle a exprimée me semble être due au fait que la vidéo-témoignage lui a rappelé qu’elle avait la maladie d’Alzheimer. Il est possible que la comparaison défavorable avec les autres patientstémoins, qui sont à un stade MA débutant alors qu’elle est à un stade modéré, aie participé à sa détresse. J’en arrive à la conclusion que, déontologiquement, il ne faut pas inclure de patients qui ont un MMS en-dessous de 22. La dignité De nombreuses publications ont pour sujet la dignité du patient atteint de MA ou de démence. Une des questions qui se posent est: où se situe-t-elle ? Au niveau du patient ou dans le regard que porte sur elle son interlocuteur. (53) En ce qui me concerne, voilà les réponses que j’apporterais à cette question, sur base des relations que j’ai construites avec les patients-témoins. En ce qui concerne les patients qui se situent au stade débutant de la maladie, la dignité émane de manière flagrante des patients. En ce qui concerne les patients atteints de MA à un stade plus avancé, il faut porter un regard très attentif et écouter avec une concentration maximale, pour dépasser la stigmatisation et reconnaître le patient, dans toutes ses dimensions. J’en prends pour exemple mes échanges avec Elsa. Lorsque je suis allée la voir, mes attentes étaient très mesurées quant à la contribution qu’elle pouvait apporter à la vidéotémoignages. Quand je l’ai interviewée, si la quantité de sa contribution était plus modeste (il est difficile de soutenir son attention au-delà de 10 minutes), sa qualité m’a surprise…mais c’est surtout en transcrivant les verbatim et en les relisant que j’ai vraiment pris conscience, à sa juste mesure, de l’intelligence et de la sensibilité qui se cachent derrière sa vulnérabilité. J’ai pris conscience du fait que, même si les propos sont décousus et la voix frêle, il y a une personne qui a des choses à dire. Au-delà de tout ce que j’ai pu lire à ce sujet, c’est cette expérience qui m’a fait comprendre que je n’étais pas exempte des préjugés que je dénonce et que j’avais encore beaucoup à apprendre. Ce qui m’amène au sujet suivant … La spiritualité comme facteur de protection 68 Comme évoqué plus haut, les 4 patients-témoins ont en commun d’avoir la foi ou une autre forme de spiritualité. Ils m’en ont tous parlé spontanément alors que cela ne faisait pas partie de mes questions et ils ont unanimement répondu ‘oui’ quand je leur ai demandé si cela les aidait au quotidien. Il ne s’agit pas d’une stratégie de coping car ils avaient tous une vie spirituelle riche, avant d’être malade. L’exemple de Paul m’a beaucoup impressionné à cet égard. Au cours de la première partie de l’entretien que j’ai eu avec lui, il est apparu très abattu et impuissant devant sa maladie. Quand je lui ai demandé quelles étaient les choses qui lui faisaient plaisir au quotidien, il a répondu « je n’ai plus de joie ». Pourtant, lorsqu’il a commencé à me parler de sa foi, il s’est littéralement transfiguré. Je n’avais jamais vu cela chez personne auparavant : c’est comme si on avait allumé une lumière en lui. Il évoque spontanément sa maladie en ces termes : « La vie ne nous appartient pas, elle nous est donnée par le créateur et il la reprend. Et ce que je trouve bien, chez ma sœur et chez moi, par rapport à cette foi, c’est qu’il me reprend tout doucement ma vie, comme il l’a dit que, …. Et c’est beau de traverser ça, et je suis heureux. » ainsi que sa mort «étant croyant, de passer n’est-ce pas vers un avenir très différent, … ça sera une découverte à ce moment- là. …ça ne me contrarie pas, au contraire : c’est une découverte ! » Alzheimer : une expression du processus du vieillissement naturel ou une maladie ? Lorsque j’ai fait mon stage à la consultation mémoire de l’hôpital Broca, il m’est apparu qu’on ne peut pas ignorer qu’un nombre non négligeable de personnes âgées développent des troubles cognitifs. En résumé, et de manière schématique, il me semble qu’il se dessine deux approches, diamétralement opposées, pour qualifier et aborder ces troubles. Il y a d’une part l’approche qu’ont mise en place des psychologues comme Bere Miesen (1997, 2002) et Bart Deltour (2008). L’un a créé le concept du café Alzheimer dès 1997. Il a œuvré tout au long de sa carrière pour faire évoluer la représentation de la maladie et aider les patients à mettre des mots sur leur vécu et sortir de la stigmatisation. Les « cafés Alzheimer » ont été retransmis à la télévision à des heures de grande écoute (c’est devenu une émission dominicale et a connu un grand succès d’audience pendant plusieurs années), Il espérait que cette médiatisation change la représentation de la maladie dans l’inconscient collectif. Pourtant il reconnaît que, en 2008, malgré ces programmes grand public et la 69 popularité des cafés Alzheimer (il y en a à présent 170 en Hollande), la représentation de la MA en Hollande n’a pas évolué. Elle est encore associée au regard vide et absent qui est caractéristique de la phase la plus sévère de la MA et pas aux 75% des patients qui vivent avec une bonne qualité de vie à la maison. Ce constat illustre de manière flagrante à quel point les stéréotypes ont la vie dure ! Il plaide en faveur de l’annonce du diagnostic en utilisant explicitement le mot Alzheimer. Il considère que NE PAS accepter le diagnostic MA est une stratégie d’évitement aux conséquences néfastes. Il milite pour un accompagnement psycho-social multi-disciplinaire et des aides pratiques pour le quotidien qui permettent aux patients de se sentir en sécurité et de garder le contrôle de leur vie. Quant à Bart Deltour (2009), il a joué un grand rôle dans le fait de faire de Bruges une ville où il fait bon vivre pour les patients atteints de démences (dementievriendelijk). Il a créé Foton qui est un centre d’expertise de la démence qui est à la fois un lieu d’information, de formation (pour développer la qualité des soins), et de rencontre pour toutes les personnes intéressées ou affectées par la démence. Il propose une large palette d’activités aux patients atteints de démence de tout âge : cours de cuisine, chorale, musique,….Foton héberge aussi des groupes de parole qui accueillent des personnes qui sont au stade débutant de la démence. Celles-ci décident elles-mêmes des sujets qu’elles veulent aborder. Un accompagnateur est présent pour faciliter le groupe de parole. Ces deux experts développent la même approche : encourager les patients à consulter en cas de troubles cognitifs, annoncer explicitement le diagnostic, accompagner les patients avec une équipe mutidisciplinaire, mettre les patients au centre du dispositif d’accompagnement. Sur le plan sociétal : faire évoluer les représentations associées à la démence et garder les patients déments insérés dans la société. C’est ce type d’approche qui est mis en place à l’hôpital Broca où j’ai fait mon stage. C’est la raison pour laquelle, c’est avec un grand étonnement que j’ai découvert la littérature scientifique qui remet en cause l’existence de la maladie d’Alzheimer. En effet, bien que ce courant existe depuis 20 ans déjà, l’hôpital Broca y est totalement imperméable. Et pour rappel : c’est la plus grande consultation-mémoire d’Europe (4000 consultations par an). 70 Arfeux-Vaucher et Ploton (2012) Rigaux (1992, 2005, 2012), Van der Linden (2014) et Whitehouse (2004) proposent une tout autre approche : considérer que les troubles cognitifs peuvent faire partie du processus naturel de vieillissement et ne sont pas, en soi, une pathologie. En conséquence, il faut arrêter de diagnostiquer les patients atteints de troubles cognitifs, enlever le mot Alzheimer du vocabulaire (sauf pour des cas précoces, très précis) et accompagner les patients comme des personnes normales qui connaissent des problèmes liés à l’avancée en âge. A titre informatif, j’ai demandé à Inge Cantegreil, parmi les patients qui viennent à la consultation mémoire, quel est le pourcentage de patients qui ont des problèmes cognitifs avérés. Voici sa réponse : environ 40% des personnes qui consultent ont des troubles cognitifs, les 60% restant manifestent plutôt des symptômes liés à la dépression, à l’anxiété, aux troubles du sommeil ou ont des troubles cognitifs légers, de type MCI (NB : je ne dispose pas des statistiques, cette information a été l’objet d’une conversation). Je ne suis pas médecin et je ne peux pas me prononcer sur l’aspect anatomopathologique du raisonnement. Je trouve personnellement que les autres arguments utilisés pour mettre en cause la pathologisation des troubles cognitifs, sont convainquants. Les chiffres mentionnés ci-dessus laissent penser que 6 patients sur 10, en consultation mémoire, n’ont pas de troubles cognitifs avérés ou que ceux-ci sont majoritairement liés à des états anxiodépressifs. Par ailleurs, (…en tant que psychologue en herbe !), le mode d’annonce du diagnostic que propose par exemple Whitehouse (2004) me semble pertinent. Ces deux approches, diamétralement différentes, me semblent portées par des experts humanistes qui n’hésitent pas à mettre tout en œuvre pour apporter aux patients l’accompagnement qu’ils considèrent comme le plus adéquat. Je note aussi que, dans ces deux approches, le patient est au centre du dispositif en tant que personne à part entière, respectée dans sa singularité. J’ai donc été un peu surprise -…enfin pas vraiment- que les associations et fondations Alzheimer ne fassent pas écho (dans un sens ou dans un autre) au discours des auteurs cités ci-dessus, qui proposent une approche non pathologique des troubles cognitifs. Il me semble en effet, que ce serait conforme au but et à l’éthique qu’elles revendiquent. 71 Je me suis souvenue d’un passage que j’ai lu dans la biographie de Tony Blair (2010) où il disait que le problème avec les associations et les ONG, c’est que si on règle le problème pour lequel elles luttent, elles perdent leur raison d’exister. Bien entendu, cette formule est lapidaire. Dans ce cas-ci, ce n’est pas parce qu’on appelle un phénomène par un nom ou un autre, qu’il cesse d’exister : il y a un très grand nombre de personnes âgées qui sont affectées par un processus de dégénérescence neuronal. Ces personnes auront toujours besoin d’être accompagnées, qu’on donne ou non un nom spécifique aux troubles dont elles sont atteintes. Cependant, si on considère ce phénomène de dégénérescence neuronal comme faisant partie intégrante du processus de vieillissement normal, cela remet en cause l’approche de la maladie sur tous les plans, parmi lesquels : Le plan médical (si MA n’est plus considéré comme une pathologie : le processus de diagnostic, ci-inclus les consultations-mémoire, n’a plus lieu d’être). Le plan politique (il faudra repenser la politique vis-à-vis d’une partie des personnes âgées …) Le plan économique (le développement de molécules destinées à ralentir/contrer la MA est un enjeu majeur pour l’industrie pharmaceutique, tant en tant que sources de revenus, actuels et futurs, qu’en terme d’investissement. Si le sens de leurs recherches n’est pas remis en cause, les politiques de remboursement des médicaments pourraient l’être). Le plan psycho-social (il faudra trouver de nouveaux critères pour fonder la politique d’accompagnement des personnes qui ont des troubles cognitifs) Le plan associatif : une nébuleuse d’associations ont été créées autour de la maladie d’Alzheimer. Il faudra qu’elles repensent leur positionnement et leur but. C’est en ce sens que je n’ai pas été si étonnée de constater que les institutions et associations « Alzheimer » ne relaient pas cette approche ‘non-pathologique’. Loin de moi l’idée de remettre en cause le professionnalisme, l’éthique, la bonne volonté, l’énergie et la générosité des professionnels qui prennent en charge, d’une manière ou d’une autre, les patients MA. A l’hôpital Broca, j’ai croisé tous les jours des professionnels compétents dont l’engagement, le professionnalisme, l’éthique et l’humanisme forcent le respect…mais ce n’est pas simple de faire changer de trajectoire un aussi lourd paquebot ! 72 Il me semble, au vu du stage et du travail que j’ai réalisés en préparation à la rédaction de ce texte– mais je reconnais que c’est loin d’être suffisant pour avoir un avis d’expert – qu’un grand nombre de patients me semblent pouvoir bénéficier de cette nouvelle approche. Il m’apparaît par exemple, dans le cas d’Annick: éviter de la confronter au mot « Alzheimer », mettre en évidence sa singularité, ses ressources, donner des informations sur les multiples façons dont les troubles qui l’affectent peuvent évoluer, serait une approche pertinente. Dans le cas de Mouloud, au contraire, l’annonce du diagnostic, aussi douloureux qu’il ait été, lui a permis de monopoliser ses ressources pour vivre le mieux possible avec sa maladie, prendre les dispositions pour transmettre ses biens et son vécu à ses proches. L’approche que propose l’hôpital Broca est donc tout à fait adaptée à sa personnalité. « One size does not fit all » (une seule taille n’habille pas tout le monde) : il me semble que ces deux approches peuvent être mises en place par des acteurs différents (peut-être un peu comme la médecine douce peut cohabiter avec la médecine classique, pour traiter les pathologies mineures). Cette cohabitation nécessiterait cependant que les informations sur le type d’accompagnement que les institutions mettent en place, soient clairement communiquées au grand public. Les personnes concernées pourraient dès lors choisir la façon dont elles veulent vivre leurs troubles. Il me semble que ce serait véritablement permettre à chacun de vivre la maladie de la façon qui lui convient le mieux. (NB : ceci pourrait être préjudiciable aux catégories socioprofessionnelles défavorisées, qui ont sans doute moins accès à l’information. On peut imaginer que les médecins généralistes qui les suivent leur donnent les informations et les assistent dans leur choix.) Quelle que soit l’approche, il m’apparait que, au niveau du type d’accompagnement proposé, les prises en charge sont similaires, à savoir un soutien psycho-social, un suivi par une équipe multi-disciplinaire et la mise en place d’aides pratiques. 73 Il me semble enfin que le temps est venu pour que les mérites respectifs de ces deux approches soient débattus sur la place publique. En effet, il me semble que la grande majorité des citoyens connaît quelqu’un (proche ou moins proche) dont on dit familièrement ‘il a Alzheimer’. Or, le grand public est largement tenu dans l’ignorance quant aux difficultés et à l’incertitude du diagnostic, la singularité de la progression des troubles. La question du vieillissement concerne l’ensemble de la société et comporte des aspects politiques, économiques et sociaux importants. Pour que la société prenne des dispositions qui sont en ligne avec ses valeurs, il semble indispensable que les citoyens soient correctement informés. CE QUE CE MEMOIRE M’A APPRIS A TITRE PERSONNEL L’écoute Lorsque j’interviewais les patients témoins, j’étais très concentrée. Quand je les quittais après l’interview, j’avais le sentiment honnête de leur avoir prêté ma totale attention. J’ai appris, dans le cadre du cours ‘entretien psychologique’ qu’une grande partie de l’information verbale, n’était pas entendue. Je ne m’en suis jamais aussi bien rendue compte qu’en rédigeant les verbatim. Or, l’écoute des patients est fondamentale pour actualiser sa représentation de la maladie et pour reconnaitre la singularité de chaque patient. Voici ce que j’en tire comme leçon : je pense qu’on peut développer sa concentration dans une certaine mesure, mais qu’on ne capte jamais la totalité des informations. En conséquence, il faut, à mon sens, relativiser la confiance qu’on a en sa mémoire. Ma nouvelle posture de psychologue En tant que personne, devant la vulnérabilité d’une personne – en particulier âgée -, mes premiers réflexes sont protecteurs : rassurer, conforter et éviter les zones d’inconfort, en particulier la maladie et la mort. J’étais donc assez anxieuse à l’idée de poser les questions qui allaient m’emmener dans cette zone d’inconfort. L’une des raisons de cette inquiétude était aussi qu’il n’y avait aucune demande de la part du patient-témoin : ce n’était pas lui qui venait au devant de moi avec un problème ; c’était moi qui le sollicitait pour faire un 74 témoignage sur un sujet intime, anxiogène et douloureux. Par le biais du consentement éclairé, ils me donnaient leur confiance. J’avais une grande responsabilité. Alzheimer ou problèmes de mémoire ? Une fois devant les patients-témoins, je me suis sentie assez à l’aise. Je me sentais parfois capitaine et parfois passager du bateau : j’essayais de garder le contrôle de la conversation mais je me laissais aussi parfois emmener par les patients-témoins vers des sujets auxquels je n’avais pas pensé et qui me semblaient intéressants…euh ou parfois un petit peu moins quand même, mais je prenais le temps. Pour certains entretiens – notamment la première entrevue avec Paul - j’ai pensé que j’aurais dû plus garder le contrôle de l’entretien. Je n’ai jamais prononcé le mot « Alzheimer » devant les patients-témoins au cours des premiers entretiens, sauf lors de mes entretiens avec Mouloud (c’est lui qui a prononcé ce mot en premier et c’était « mon Alzheimer »). J’utilisais les mots « problèmes de mémoire » ou « problèmes cognitifs ». Manque de courage ? Inconfort ? Evitement ? Peur de blesser ? Sans doute tout ça à la fois. Je pense surtout que j’absorbais l’anxiété d’Annick et le sentiment de lassitude et d’impuissance de Paul et que je n’ai pas toujours posé les questions que je voulais. Mais l’usage de ce mot, c’est aussi qu’il génère en moi un grand malaise. Si je me suis tant attachée au sujet de l’annonce du diagnostic tout au long de ce travail, c’est parce que je n’ai moi-même toujours pas compris où se situe la frontière où commence Alzheimer. Quand je rencontre Mouloud, qui a un MMS à 28 et qui a un diagnostic Alzheimer depuis plus d’un an, je ne comprends pas pourquoi il a été diagnostiqué MA. Bien sûr, il a des troubles cognitifs. En transcrivant le verbatim de notre entretien, je peux suivre les circonvolutions de son esprit, qui perd et retrouve le fil de sa pensée, je constate le manque de mots. L’IRM a montré une atteinte du cortex. Est-ce que ces interrogations reflètent ma propre difficulté à accepter qu’un homme qui ose se montrer sans armure et partager ses pensées et ses émotions avec profondeur et humilité, sombre petit à petit dans l’oubli ? Certainement. Mais même si je reconnais que Mouloud a la maladie d’Alzheimer, je me demande toujours où se situe la ligne rouge entre troubles cognitifs et MA. Bien sûr, je n’ai pas d’expérience clinique et je peux comprendre que des professionnels sur le terrain 75 puissent faire la part des choses. Mais c’est sans doute à cause de mon incompréhension que je prête une oreille attentive au discours de Peter Whitehouse. Face à la colère J’ai été complètement déstabilisée lorsque Paul s’est mis en colère en disant que c’était moi qui, pour la première fois, lui disait qu’il avait la maladie d’Alzheimer. Tout d’abord, de manière générale, l’expression de la colère a tendance à me désarçonner. Ma première réaction est toujours de me remettre en cause et il me faut un certain temps avant de pouvoir revenir à un raisonnement rationnel. Dans ce cas-ci, j’étais complètement catastrophée et je me suis dit que j’avais commis une faute déontologique majeure. J’avais l’impression diffuse d’avoir trahi Paul. Il m’a donc fallu un certain temps pour me reconcentrer sur la conversation et noter les incohérences dans son discours. J’ai relu son dossier, appelé Inge Cantegreil pour avoir son conseil et c’est elle qui m’a rassurée. La gériatre qui suit Paul depuis plusieurs années avait donné son feu vert. En transcrivant les verbatim, il m’est apparu clairement que Paul sait qu’il a la maladie d’Alzheimer ou une forme apparentée…Mais je me demande toujours si le médecin le lui a dit en utilisant ce mot ou si lui a oublié ce diagnostic dans une posture de déni….il me reste une poussière de culpabilité dans l’œil. Emotion Lors de chaque entrevue avec chaque patient, j’ai eu à un moment ou à un autre la gorge nouée ou les larmes aux yeux. Lorsque Paul a évoqué sa mort, de manière très sereine, je n’ai pas pu empêcher une larme de couler. Ce débordement d’émotion a semblé surprendre Paul, qui s’est mis à me rassurer : il était effectivement encore bien vivant ! Après l’entretien, il m’a raconté son enfance (faite de grandes joies et de grandes peines) et on a pleuré tous les deux ! Je n’ai pas encore assez de contrôle sur mon empathie. Après chaque entretien, je me sentais émotionnellement épuisée. Je suis parfois plus dans une posture de confidente que dans une posture de psychologue. Je pense que c’est une tendance de fond chez moi (ma mère m’appelait Ménie Grégoire quand j’avais 6 ans !). Je pense aussi que le cadre y était pour quelque chose : j’étais chez Paul, assise dans son salon. 76 Je pense que là où je fais clairement la différence et où je me mets de manière cohérente dans une posture de psychologue, c’est quand je fais face à un patient qui a une demande. Je pense que j’y arrive 95% du temps : il faut que je reste vigilante à ce sujet. Je pense aussi que je dois évaluer à leurs justes mesures mes capacités à faire face à la souffrance. Dans mon idéal, je voudrais aider ceux et celles qui en ont le plus besoin. Dans la réalité, je pense que c’est en gardant mon équilibre que je peux le mieux aider et que je ne peux pas faire face à trop de souffrances à la fois 7. CONCLUSION Quand j’ai terminé cette étude exploratoire, j’étais assez déçue des résultats. J’avais naïvement espéré avoir trouvé une bonne idée pour aider les patients à faire évoluer la représentation qu’ils avaient de la MA, et à expérimenter pour eux-mêmes certaines stratégies de coping que les patients-témoins décrivaient dans leur témoignage. En analysant les résultats de plus près, mon état d’esprit a complètement changé pour deux raisons. Tout d’abord, le type de vidéo-reportage réalisé peut être utilisé quasi en tant que tel dans le cadre de la formation du personnel médical. C’est une demande forte des patients et je pense que le vecteur des témoignages pourrait avoir un impact fort. Ensuite, si on se focalise sur les « zones rouges » des résultats (celles qui créent de l’anxiété), celles-ci sont liées à deux phénomènes : Se comparer aux autres Etre « étiqueté Alzheimer » explicitement ou implicitement Or ces deux causes d’anxiété sont directement liées au fait : d’être patient-témoin et de regarder la vidéo où chacun apparaît parmi d’autres personnes (phénomène de comparaison) que l’étude exploratoire est focalisée sur des patients qui ont été diagnostiqués MA, ce qui provoque une perception d’assimilation à la représentation négative de la MA 77 Or, le but ultime de cette étude exploratoire était d’évaluer si les témoignages de patients MA peuvent aider des patients nouvellement diagnostiqués (Alzheimer débutants), pas les patients-témoins, même si, bien entendu, cette étape était déontologiquement et éthiquement indispensable. Il me semble qu’une autre idée pourrait être l’objet de recherche. Il s’agirait de créer un site internet grand public. Qui ? Ce serait des patients qui ont des problèmes cognitifs au stade débutant qui y joueraient un rôle essentiel (voir infra). Quoi ? Ce site relaierait l’approche « non-pathologisante » des troubles cogntifs. Comme je l’ai mentionné plus haut, il me paraît en effet important que le grand public apprenne que la frontière entre vieillissement normal et vieillissement pathologique est floue. Le fait qu’on ne peut établir un diagnostic MA qu’en faisant une autopsie du cerveau et que, même à cette étape, on se rend compte que certaines personnes ont développé les symptômes associés à MA, sans avoir les marqueurs biologiques et que l’inverse est vrai aussi n’est pas du tout relayé par les médias. Ce site sera le bon endroit pour en parler. Les personnes vivant avec des problématiques de mémoire seraient véritablement au cœur de cette démarche. Elles témoigneraient, comme l’ont fait les 4 patients-témoins, mais via des vidéos plus courtes (3 à 5 minutes) sur des sujets précis, associés aux rubriques suggérées ci-après. Pour proposer une palette de réponses, la plus large possible, les témoins seraient plus nombreux et chaque témoignage serait individuel. Voici quelques rubriques possibles : Comment je me suis rendu compte que j’avais des problèmes de mémoire o Le point de vue d’Annick (courte vidéo de 3 à 5 minutes) o Le point de vue de Paul (idem) o Et ainsi de suite Et maintenant, qu’est-ce que je fais ? (identité/image de soi) 78 o Le point de vue de ….etc. Je t’aime, moi non plus : mes relations avec mes proches o Le point de vue de ….etc. Les trucs pour me faciliter la vie (coping) o Le point de vue de ….etc. Les trucs pour sortir des coups de blues (stratégie de coping) o Le point de vue de ….etc. Comment je regarde l’avenir o Le point de vue de ….etc. Le site relaierait également de courtes informations (sous forme écrite et en vidéo) données par des experts (gériatres, psychiatres, psychologues). Diagnostic ou pas diagnostic ? qu’en pensent les experts ? Traitement : ce qui donne les meilleurs résultats Coups de blues : sortir de l’ornière Pour qui ? Il s’adresserait à tous ceux et celles qui ont des problèmes de mémoire bénins ou plus sérieux (MA débutant), avec ou sans diagnostic. Pourquoi ? Les buts de ce site seraient les suivants : Laisser les personnes qui souffrent de problèmes cognitifs parler en leur nom Valoriser les personnes qui ont des problèmes cognitifs en les rendant utiles Faire évoluer la représentation de la MA Proposer des stratégies de coping Sortir de la stigmatisation Proposer une approche différente des problèmes cognitifs Par rapport au site « le mythe-alzheimer.org » qu’ils ont créé, le site que je propose serait plus grand public, moins militant et serait abordé du point de vue de la personne qui commence à avoir des problèmes cognitifs. 79 Par rapport à tous les sites ‘Alzheimer’ en ligne : le mot Alzheimer ne serait mentionné que pour mettre en évidence la difficulté du diagnostic. ET SURTOUT : le ton serait différent. Il ne s’agit pas d’être léger mais d’être juste, accordé au ton utilisé par les témoins. Comment ? Pour donner le ton juste, il faudrait, à mon sens qu’il porte un titre attractif pour dédramatiser cette problématique. (J’ai pensé à des exemples du type ‘où ai-je mis mes lunettes.com ? ou ‘mais comment s’appelle-t-il encore.com ? avec un sous-titre : ‘site pour tous ceux et celles qui trouvent les lunettes quand il est temps de dormir’ ou ‘site pour tous ceux et celles qui se souviennent de ce fameux nom quand la personne est partie.’Pour donner de la crédibilité à cette approche, il est important que des experts de premier plan y participent. Par ailleurs, Au 21ème siècle, la communication visuelle a beaucoup plus d’impact que la communication écrite. Comme indiqué plus haut, le site comprendrait donc peu de texte et un grand nombre de courtes vidéos. Combien ? Je suppose que c’est toujours la grande question. La création d’un site n’est pas chère en soi. L’investissement se mesurera surtout en terme de temps pour réaliser et actualiser en permanence les informations et témoignages. Je peux faire don de ma toute nouvelle caméra ! Pourquoi pas ? Ce site ne conviendra pas à tous : les personnes qui ont besoin d’un diagnostic Alzheimer pour monopoliser toutes leurs ressources de coping seront mieux aidées par les sites des associations qui se consacrent à ce sujet. La question à laquelle je n’ai pas de réponse est qui (hôpital ? association ?) pourrait être intéressé à faire de cette idée une réalité, à supposer que ce soit une bonne idée ! …..Voici donc l’idée qui m’est venue après avoir fait un très beau bout de chemin avec Paul, Mouloud, Annick et Elsa. Ils resteront dans mon cœur. 80 Références bibliographiques Acton, G., Yauk, S., Hopkins, B.,& Mayhew,P. (1999) , « Communicating with individuals with dementia : The Impaired person’s perspective », Journal of Gerontological Nursing, 25(2), 6-13 Adam, S., Laroche, C., Lekeu, F., Olivier, C., Prebenna, C., Quittre, A., Rigot, A., Salmon, E., & Wojtasik, V., Centre de la mémoire CHU de Liège (2011), « Je suis toujours la même personne. 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