les lampes à photopolymériser
Transcription
les lampes à photopolymériser
LES LAMPES À PHOTOPOLYMÉRISER : HALOGÈNES OU DIODES ÉLECTROLUMINESCENTES Nicolas LEHMANN1 DCD, Ancien interne, AHU Catherine BESNAULT2 DCD, MCU-PH Stéphane LE GOFF2 Agent technique de laboratoire Laboratoire de biomatériaux Michel DEGRANGE2 DCD, PU-PH 1 2 Université Lyon Université Paris 5 MOTS CLES Polymérisation des composites Lampes à polymériser Lampes halogènes Lampes à diodes électroluminescentes KEY WORDS Resins composite curing Light-curing lamps Halogens lamps Electroluminescent diodes L a photopolymérisation compte parmi les révolutions les plus importantes qu’a connues la dentisterie au cours des trente dernières années. Les générateurs de photopolymérisation trônent aujourd’hui en bonne place dans tous les cabinets dentaires, en partie du fait du confort que procure ce mode de prise des matériaux résineux. La photopolymérisation a en effet apporté au clinicien un formidable degré de liberté en lui ouvrant un espace de temps de travail quasi illimité et lui permettant de figer la forme donnée au matériau de manière instantanée. C’est la photopolymérisation qui autorise aujourd’hui, par le jeu des combinaisons de couches successives de matériaux de teintes et d’opacités différentes, de réaliser des restaurations dont les propriétés optiques sont toujours plus proches de celles des tissus dentaires naturels. Grâce à la technologie halogène, les principes régissant l’amorçage photochimique des matériaux résineux semblaient bien établis jusqu’à ces dernières années ; de même les critères de choix d’une lampe halogène et son mode d’utilisation bien codifiés. Mais, à la fin des années 1990, des générateurs Laser et à arc plasma émettant un faisceau lumineux de haute énergie (> à 1000 mW/cm2) ont été p ro posé s e n alte rn ative a ux REALITES CLINIQUES Vol. 11 n° 3, 2000 pp. 365-376 lampes halogènes. La technologie plasma semblait séduisante par sa puissance et par la réduction notable des temps d’insolation annoncée par les concepteurs de ce nouveau type de générateur. Cependant, très rapidement, cette technologie a révélé ses limites et ses défauts : impossibilité de photopolymériser certains adhésifs et composites, dégradation rapide des restaurations réalisées, instabilité colorimétrique, percolation marginale associée à des récidives carieuses (7, 9, 14). Ces effets indésirables pouvaient s’expliquer par : • un spectre d’émission étroit, inadapté aux longueurs d’onde d’absorption Photopolymérisation Polymérisation initiée par un ou plusieurs photoinitiateurs. Un matériau photopolymérisable ne nécessite pas de mélange et doit bien évidement être conservé à l’abri de la lumière. Polymérisation duale Polymérisation résultant du mélange de deux composants qui vont permettre une initiation chimique de la réaction et qui après la phase de mise en œuvre clinique du matériau est accélérée par irradiation photonique venant exciter le ou les photoinitiateurs. et d’activation des photo-initiateurs autres que la camphoroquinone, inhibant de ce fait la prise de ces matériaux, • pour les autres matériaux, à base de camphoroquinone, la polymérisation rap ide et b rut ale indu isan t de s contraintes importantes, suffisamment intenses pour altérer l’interface tissus dentaires/matériau, • des temps d’exposition proposés insuffisants. Il est établi aujourd’hui que le degré de polymérisation en profondeur d’un matériau dépend principalement du temps d’insolation (25). Un e aut re te chno logie vis e aujourd’hui à se substituer aux générate urs halo gènes : il s’ag it d es diodes électroluminescentes (LED). Ces diodes, que l’on associe le plus souvent aux voyants lumineux équipant la plupart des dispositifs électroniques, connaissent un essor considérable dans notre quotidien. On dit qu’elles seront l’éclairage du 21 e siècle. Leur utilisation dans le domaine de la photopolymérisation a été proposée au milieu de la dernière décennie (22), et depuis 5 ans, la plup art des f abricant s ont doté leur gamme de ce nouveau type de générateurs de photopolymérisation à diodes électroluminescentes. Le but de cet article est de faire un point sur les performances procurées par cette t echn olog ie “LED” récen te e t e n constante évolution, afin de déterminer si celle-ci peut aujourd’hui égaler, voire supplanter la technologie halogène. Photo-initiateur Subsance qui sous l’action d’une énergie photonique (rayonnement lumineux) se transforme en radical libre qui initie une réaction de polymérisation. LA PHOTOPOLYMÉRISATION Radical libre Molécule qui a perdu un électron. C’est une entité instable et très réactive. Principe général de la photopolymérisation Irradiance C’est le flux énergétique reçu par unité de surface, exprimé généralement en watts par centimètre carré. Syn : éclairement énergétique La réaction de prise des résines composites (matériaux résineux) se fait par polymérisation des monomères au niveau de leur double liaison vinyle GLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUES TERMES TECHNIQUES DÉFINITION Polymérisation Mécanisme aboutissant à la formation, à partir d’un monomère ou de chaînes de polymères, d’un polymère de plus haut poids moléculaire par l’ouverture de doubles liaisons carbone-carbone. Chémopolymérisation Polymérisation initiée par amorçage chimique résultant de la mise en contact de deux éléments : un amorceur et un initiateur (peroxyde de benzoyle etamine tertiaire) contenus dans deux composants qui seront mélangés par spatulation le plus souvent. 366 REALITES CLINIQUES Vol. 16 n° 4 2005 terminale. C’est une polymérisation radicalaire. En dentisterie, la plupart des résines composites sont des matériaux photopolymérisables, dont la polymérisation est induite par un faisceau de photons lumineux de longueur d’onde déterminée (nous ne traiterons pas dans cet article des matériaux chémo-polymérisables, dont l’amorçage est strictement chimique et ne requiert pas d’apport lumineux). L’énergie photonique fournie au matériau amène un de ses composés, appelé photo-amorceur, à un état électronique excité. A l’état excité, celui-ci se transforme en radical libre qui peut alors directement ou indirectement amorcer la polymérisation (31). Les résines composites actuelles polymérisent grâce aux photons de la lumière visible. Plus précisément, les longueurs d’ondes efficaces sur la prise des matériaux que nous utilisons se situent dans la bande du bleu de la lumière visible, de 400 à 500 nanomètres. Le photo-amorceur est généralement une di-cétone, et la plus communément présente dans les composites dentaires est la camphoroquinone. Cette cétone ne pouvant pas amorcer seule la réaction, l’amorçage radicalaire impose alors la présence d’un co-amorceur. Ce co-amorceur est une amine tertiaire, généralement aromatique (31). Paramètres influençant la photopolymérisation Le degré de conversion d’un matériau photopolymérisable, c’est-à-dire le taux d’efficacité de la réaction de transformation des monomères en polymère, est sous la dépendance à la fois : • de la na ture et d e l’én erg ie du rayonnement photonique émis (énergie), • de la nature chimique et de la structure de la résine composite. L’efficacité globale du photo-amorçage est le produit de l’efficacité de chaque étape : • fraction de lumière incidente absorbée par le photo-amorceur (fraction des états excités transformés en triplets), • temps d’irradiation, • la température d’irradiance, • fraction de radicaux amorçant la réaction. Une photopolymérisation efficace doit respecter les règles suivantes : • la source lumineuse doit émettre dans une gamme de fréquences recouvrant la bande d’absorption des différents photo-initiateurs (camphoroquinone et autres) située à 468-470 nm, • une photopolymérisation du composite couche par cou che. Ch aque couche aura une épaisseur maximale de 2 mm, profo ndeur au -delà de laquelle le degré de conversion obtenu est réduit. En effet, la profondeur de polymérisation est une fonction La réaction se fait selon la chronologie suivante : Énergie photonique + camphoroquinone → camphoroquinone * L’énergie lumineuse excite la molécule photo-initiatrice (camphoroquinone) qui génère la formation de radicaux libres (*) C’est le point de départ d’une réaction en chaîne. Camphoroquinone* + amine → amine * L’amine (co-amorceur) cède un atome d’hydrogène à la cétone et devient un radical libre. Amine * + monomère de résine composite → monomère * (amorçage) Les radicaux libres du co-amorceur initient l’ouverture des doubles liaisons des monomères, ce qui permet l’élongation du polymère composite, matrice du matériau, donc sa polymérisation. N. LEHMANN et coll. 367 logarithmique de l’intensité lumineuse émise et du temps d’exposition. Elle est également fonction de la puissance inverse de la distance séparant l’embout de la fibre de la surface du matériau à photopolymériser. Par ailleurs, l’absorbance du composite peut être modifiée en fonction de la nature de ses charges et de la teinte. CAHIER DES CHARGES D’UN GÉNÉRATEUR DE PHOTOPOLYMÉRISATION Fig. 1 - Spectre d’émission de quelques lampes à photopolymériser. Le spectre des lampes halogènes (de forme trapézoïdale) couvre une plus grande surface d’absorption que le spectre des LED (de forme gaussienne). 1 Aujourd’hui, un générateur de photopolymérisation doit répondre à des critères de performance, de sécurité biologique, ou de confort d’utilisation. Il doit : • produire un spectre adapté à l’amorçage de la polymérisation de tous les matériaux photopolymérisables proposés sur le marché. Les paramètres de ce spectre sont déterminés en termes d’irradiance et de longueur d’onde (fig.1), • ne pas induire d’altération des tissus mous, en particulier pulpaires. En effet, malgré la faible conductivité thermique de la dentine (6), lors de la photopolymérisation de restaurations composites volumineuses, une élévation thermique peut être observée au niveau de l’organe dentaire. Cette élévation de température, lorsqu’elle dépasse 42,5°C, peut induire des lésions irréversibles du complexe pulpaire (27, 36), • présenter une flexibilité d’emploi par l’intermédiaire de programmes conviviaux variés, • générer le moins de bruit possible, • être fiable et durable, • être maniable. Les lampes doivent aujourd’hui offrir, par leur légèreté et leur ergonomie, une manipulation facile et permettre une excellente visibilité du champ opératoire, quelle que soit la situation clinique. Etant donné les inconvénients rencontrés avec la technologie plasma que nous avons cités précédemment, il semble qu’aujourd’hui une comparaison des performances et propriétés des générateurs halogènes et LED puisse être faite afin de déterminer des critères de choix entre ces deux types de générateurs. LES LAMPES HALOGÈNES L’énergie photonique produite par ces lampes est induite par le passage d’un courant électrique à travers un filament de tungstène contenu dans une ampoule en quartz remplie de gaz halogène. La lumière émise est une lumière blanche, contenant l’intég ra lité du spe ctre de la lum ière visible. Trois filtres permettent de sélectionner le spectre dans le domaine du bleu ( 400-500 nm) et de réduire la quantité d’infrarouges (donc de chaleur) et d’ultraviolets. Le faisceau lumineux est ensuite conduit par une fibre optique. Les lampes halogènes présentent un spectre d’émission large, ce qui leur permet de polymériser la plupart des résines composites, quelle que soit la nature du photo-initiateur qu’elles contiennent. L’irradiance en bout de REALITES CLINIQUES Vol. 16 n° 4 2005 2a fibre de ces lampes est comprise entre 600 et 1000 mW/cm2 (fig. 2). LES LAMPES À DIODES ELECTROLUMINESCENTES (LED) Contrairement à toutes les autres sources de lumières employées pour la photopolymérisation (ampoules, tubes), ces diodes sont des micro-plaqu ett es so lides qu i transf orm ent directement l’énergie électrique en énergie photonique. Ce sont des semi-conducteurs qui génèrent une émission lumineuse stimulée par un courant électrique de basse tension (quelques volts). Selon la nature de ces semi-conducteurs, la lumière émise peut être poly-chromatique ou, au contraire, spécifique. Les lampes à photopolymériser exploitent aujourd’hui des diodes inorganiques qui émettent dans les longueurs d’onde du bleu (entre 440 et 490 nm). Ces micro-plaquettes sont coiffées de lentilles pour concentrer et diriger le flux lumineux. Les lampes ”LED” présentent un certain nombre d’intérêts : • grâce à leur nature solide, ces générateurs sont très résistants aux chocs, contrairement aux ampoules, N. LEHMANN et coll. 2b • leur émission spécifique permet de s’affranchir des filtres et des réflecteurs, • leur durée de vie est 10 fois supérieure à celle des ampoules et tubes, du fait de leur alimentation à basse tension, • cette alimentation basse tension permet leur fonctionnement sur batteries. Les lampes, non reliées au secteur par un fil électrique, sont alors très maniables, • leur rendement est supérieur à celui des arcs plasma et des générateurs halogènes, • elles émettent moins de chaleur, l’échauffement en sortie de fibre est très faible. Il n’y a donc pas de risque d’altération thermique, • il n’y a généralement plus lieu de les coupler à un système de refroidissement par ventilation ; elles sont donc pour la plupart silencieuses, • elles supportent sans dommage les allumages fréquents, • le coût de la diode est modéré. La première génération commercialisée des générateurs LED avait une faible puissance d’émission (< 300 mW/cm2) malgré l’association de plusieurs diodes (jusqu’à 64 !) dans le Fig. 2 - Exemples de lampes halogènes. a) Astralis 5® b) Optilux 501® 369 3a 3c 3b Fig. 3 - Exemples de LED a) Elipar FreeLight II® b) Coltolux® c) Bluephase® 370 générateur. Par ailleurs, leur spectre d’émission relativement étroit rendait problématique la polymérisation des matériaux contenant un photo-initiateur différent de la camphoroquinone. Les a va ncé es te chn ologiques récentes de la nouvelle génération de diodes sont très importantes. Une seule micro-plaquette permet d’obtenir un flux photonique d’énergie supérieure à 1000 mW/cm2. Les derniers générateurs dentaires sont aujourd’hui tous munis de ce même type de diode inorganique, dont la puissance d’émission autorise les constructeurs à proposer différents modes de photopolymérisation (progressive, en palier, irradiance totale et constante, etc.). Les avantages des nouvelles diodes électroluminescentes semblent probants : énergie du flux lumineux suffisante pour obtenir un bon degré de polymérisation, fiabilité de l’irradiance à moyen et long terme, résistance de la source. Seul, le point faible de l’autonomie limitée des batteries reste à résoudre, même si le branchement secteur basse tension par un cordon permet de résoudre partiellement ce problème avec de ce fait une perte de maniabilité (fig. 3) (tableau I). Certaines lampes sont aujourd’hui vendues avec deux batteries au lithium, l’une d’elles restant en charge lorsque l’autre fonctionne. REALITES CLINIQUES Vol. 16 n° 4 2005 COMPARAISON DES PERFORMANCES DES LAMPES HALOGÈNES ET LED Degré de conversion des résines composites Le degré de conversion des monomères des résines composites est un bon indicateur de la qualité d’une polymérisation. C’est le paramètre le plus souvent mis en avant pour évaluer l’efficacité d’une lampe à photopolymériser. Selon la norme ISO 404 9, t oute lampe à po lym ériser devrait permettre d’obtenir un taux de conversion des monomères à 2 mm de profondeur, au moins égal à 80 % de ce qu’il est en surface. Ce taux de conversion peut être mesuré directement par des méthodes spectroscopiques (spectroscopie infra-rouge), ou au contraire indirectement par des tests de microdureté, plus simples à mettre en œuvre. Ferracane a en effet montré une corrélation linéaire positive entre la microdureté des composites et le degré de conversion des monomères po ur u n type de matrice donnée (11). Les données de la littérature sur le degré de conversion des composites sont souvent contradictoires. Ainsi, certaines études ont montré que la microdureté des composites est supérieure lorsque les monomères sont TABLEAU I - Comparaison de quelques caractéristiques de lampes LED de 2e génération (d’après le CRA, 2004) Lampes Fabricant Polymérise toutes les résines* Irradiance mW/cm2 Puissance constante Sans Durée de cordon la batterie (min) Radiomètre intégré Faisceau Plusieurs guide modes de autoclavable polymérisation Allegro Den-Mat non 1250 oui oui 66 oui oui non Bluephase Ivoclar non 1150 oui oui 66 oui oui oui non 900 oui oui 63 non non non Vivadent Coltolux LED Coltène Whaledent Elipar Free Light 2 3M/ESPE non 900 oui oui 50 oui oui non Flashhite 1001 Discus non 700 oui oui 33 oui non non non 1400 oui oui 55 oui oui non non 950 oui oui 64 oui oui oui non 800 oui oui 127 oui oui non non 600 oui oui 28 non non non Dental LE Demetron Demetron Kerr Mini LED Acteon Satelec SmartLite IQ Dentsply Caulk SmartLite PS Dentsply De Trey Ultra-Lume LED 2 Ultradent non 500 oui oui ? non non non Ultra-Lume LED 5 Ultradent oui 750 oui non ? non oui non UniLite II Bien Air non 200 oui non ? oui oui non (*) Les lampes à diodes électroluminescentes dont le spectre est étroit ne polymérisent pas toutes les résines en particulier celles qui ne contiennent pas de camphroquinone comme initiateur (ex : Biscover® Bisico ne contient de camphroquinone. Le fabricant conseille d’utiliser une lampe halogène). Néanmoins, la grande majorité des résine composites et des systèmes adhésifs commercialisés aujourd’hui possèdent la camphroquinone comme photo-initiateur. N. LEHMANN et coll. 371 4 5 Fig. 4 - L’embout turbo induit une divergence plus marquée du faisceau incident qui crée un trou noir dans l’axe optique de la lampe à l’origine d’une diminution du degré de conversion dans cette zone. Fig. 5 - Représentation schématique de différents modes de polymérisation. 1) Polymérisation constante. 2) Polymérisation progressive ou exponentielle. 3) Polymérisation pulsée. 4) Polymérisation «Soft-Start». polymérisés avec une lampe halogène par rapport à une LED ou une lampe à plasma (1, 13, 17, 18, 32, 35). A l’inverse, d’autres approches n’ont pas trouvé de différence significative (10, 15, 31). Il f aut cepen dant re marquer qu e toutes ces expérimentations étaient conduites avec des lampes LED de première génération (aujourd’hui, la majorité des LED de première générations ont été retirées du marché). Les résultats contradictoires selon les auteurs peuvent s’expliquer par la grande différence entre les générateurs testés. Plus récemment, les études réalisées avec des lampes LED de deuxième génération montrent de très bons résultats, supérieurs ou égaux à ceux obtenus avec les lampes halogènes (2, 33). D’autres paramètres sont susceptibles d’influencer le degré de convers i o n : l’irradiance en bout de fibre (30), la température, le temps d’irradiation (13, 18) et l’épaisseur du matériau polymérisé (29, 35). Influence de la chaleur Il a été clairement démontré que les lampes halogènes sont génératrices de chaleur, malgré leur couplage à des ventilateurs ou autres systèmes 372 de refroidissements intégrés. Cette élévation thermique contribue à améliorer le degré de polymérisation des matériaux composites, puisque le rendement de toute réaction chimique est amélioré par la chaleur. Une étude récente de Bouillaguet et coll. (3) a comparé l’élévation de température à la surface d’une dent et au niveau de la chambre pulpaire lors de la polymérisation par deux lampes halogènes et une LED de 2e génération. Ces auteurs ont montré qu’en ce qui concerne la température à la surface de la dent, le pic maximum est atteint après 10 secondes d’insolation. Puis, une décroissance rapide est observée avec une diminution de moitié de la température 40 secondes après la fin de l’insolation, la température initiale étant retrouvée après 4 minutes. Au niveau de la chambre pulpaire, l’augmentation de température se fait progressivement jusqu’à a tte indre un p late au ap rès 2 0 secondes d’exposition. La température demeure élevée pendant 20 à 40 secondes, puis retrouve sa valeur initiale après 4 minutes. Cette étude montre de plus, que la température la plus élevée n’est pas mesurée à la surface de la dent, mais au sein même du composite, probablement REALITES CLINIQUES Vol. 16 n° 4 2005 dû à l’exothermie de la polymérisation. Alors que la température au sein du composite se stabilise, la température interne augmente, illustrant ainsi un phénomène d’accumulation de chaleur dans la dent, alors qu’en surface, la dissipation de chaleur est facilitée. Les effets biologiques de cette augmentation de température interne ne sont pas encore totalement élucidés, mais on sait que les températures élevées affectent le métabolisme cellulaire et la micro-circulation pulpaire (5, 13, 23, 27, 32, 34, 35). Ces effets sont majorés si la lampe est couplée à un embout turbo (19). En effet, Loney et Price ont observé une augmentation de 42 % de la température intra-dentinaire lorsqu’on utilise un embout turbo (20). Outre une température en sortie de fibre plus élevée, l’utilisation de ces embouts turbo induit également une divergence plus marquée du faisceau incident qu i crée un t rou n oir da ns l’axe optique de la lampe à l’origine d’une diminution du degré de conversion dans cette zone (28) (fig. 4). Influence d’un mode de polymérisation, rapide ou progressif, sur la qualité des interfaces dent/restauration Le mode de polymérisation, rapide ou au contraire progressif, est un paramètre essentiel déterminant la qualité des joints de nos restaurations. On sait aujourd’hui qu’une polymérisation progressive est préférable à une polymérisation rapide (7, 9, 12, 19, 24). Les lampes halogènes modernes et les LED de dernière génération proposent ces différents programmes d’irradiation (fig. 5). En ce qui concerne la qualité marginale des restaurations, la nature du générateur n’est plus le principal paramètre : le temps et le mode d’irradiation sont essentiels. On parle de densité d’énergie qui correspond, pour la plupart des auteurs, au produit de l’irradiance par N. LEHMANN et coll. le temps. Or, dans une étude récente, Peutzfeldt et Asmussen montrent qu’il n’existe pas de relation linéaire simple entre ces deux facteurs du fait de la complexité de la cinétique de polymérisation (25). Pour une densité d’énergie donnée, un temps d’exposition POLYMÉRISATION : QUELQUES RECOMMANDATION CLINIQUES Afin d’obtenir une meilleur qualité du joint dent/obturation une polymérisation progressive doit être privilégiée. Si la lampe ne possède pas de programme permettant ce type de polymérisation, l’embout de la fibre sera tenu à distance (8 à 9 cm) de la restauration en début de polymérisation puis progress ivement l’embout sera rapproché de la dent (fig. 6). Petites obturations de classe I et II Fig. 6 - Si la lampe ne possède pas de (lésion de site 1, 2 ; stade 1, 2) programme permettant une polymérisation Pratiquer une polymérisation proprogressive, l’embout de la fibre sera tenu gressive. Chaque couche de comà distance (8 à 9 cm) de la restauration en posite est polymérisée depuis la début de polymérisation puis progressivement face occlusale (fig. 7). l’embout sera rapproché de la dent. Obturations de classe I et II de moyennes et grandes étendues (lésion de site 1, 2 ; stade 3, 4) Pratiquer une polymérisation progressive. Chaque couche de composite est polymérisée de façon à guider les vecteurs de polymérisation (fig. 8). Fig. 7 - Pour les petites obturations, une polymérisation progressive sera pratiquée. Chaque couche de composite est polymérisée depuis la face occlusale (D’après Dietschi et Spreafico) (8). Fig. 8 - Pour les obturations de moyennes et grandes étendues, une polymérisation progressive sera pratiquée. Chaque couche de composite est polymérisée de façon à guider les vecteurs de polymérisation (D’après Dietschi et Spreafico) (8). 373 long et une irradiance faible induisent un taux de conversion plus élevé qu’un temps d’exposition court avec une irradiance importante. DISCUSSION Suite à l’avènement et au succès des matériaux de restauration et de collage photopolymérisables, les générateurs de photopolymérisation sont devenus des éléments indispensables dans les cabinets dentaires. Le choix d’une lampe est donc important. En effet, l’irradiance de la lampe, mais aussi la chaleur dégagée par celle-ci lors de la p olymérisatio n, ou les modes de polymérisation proposés (rapide, progressif) sont autant de facteurs qui vont conditionner le succès clinique en termes d’adaptation marginale (4), de pérénité de la teinte, de résistance à l’usure et à la fracture des restaurations (30) ou encore, de respect de l’intégrité de l’organe pulpo-dentinaire (16). E N P R AT I Q U E Une photopolymérisation efficace des résines composites nécessite : - un générateur lumineux. Sa gamme de fréquence regroupe la bande d’absorption des différents photoinitiateurs (en général de 468 à 470nm), - des couches de 2mm maximum de résine (la nature des charges et la teinte modifient l’absorbance), - un mode progressif. Les avantages des LED : leur durée de vie, une résistance des diodes supérieure à celle des ampoules, l’absence de fil, elles n’émettent pas de chaleur et ont un meilleur rendement. Leurs inconvénients : le coût, un spectre étroit (vérifier la compatibilité avec la résine). Les lampes halogènes et les LED de 2e génération permettent un taux de conversion (en relation directe avec la microdureté du matériau) de la résine à 2 mm de profondeur au moins égal à 80 % de ce qu’il est en surface (norme ISO 4049). Attention aux embouts turbo : une élévation de chaleur peut affecter le métabolisme cellulaire et la microcirculation pulpaire.Les ampoules des lampes halogènes doivent être changées tous les 6 mois pour maintenir leur performance. Au vu de la littérature, il apparaît aujourd’hui clairement que les lampes halogènes et les LED de deuxième génération permettent d’obtenir un degré de conversion du composite comparable sur une profondeur de 2 mm. Il faut rappeler d’autre part qu’il est impossible de polymériser vite et bien. Les lampes plasma et laser argon, dont les atouts commerciaux étaient un gain de temps lors de la polymérisation, sont aujourd’hui abandonnés. Enfin, comme tout dispositif, les générateurs de polymérisation nécessitent un entretien et des contrôles réguliers. Pourtant, cela ne semble pas être le cas en pratique courante. En effet, de nombreuses études montrent que 50 % des lampes présentes dans les cabinets dentaires nécessitent un remplacement (21, 26). Un entretien et le remplacement régulier des ampoules halogènes (idéalement tous les 6 mois) permettent de maintenir les performances des lampes halogènes. Les lampes halogènes ne sont pas obsolètes face aux nouvelles technologies. Leur spectre large offre une fiabilité de polymérisation, quel que soit le matériau à polymériser. Elles présentent aujourd’hui un recul évident en terme de qualité et de sécurité. De plus, leur coût d’achat les rend tout à fait attractives. Les générateurs à diodes électroluminescentes de deuxième génération présentent des performances tout à fait intéressantes qui leur permettent d e rivalise r a ujou rd’ hui a vec le s lampes halogènes. Leur coût à l’achat reste cependant encore relativement important. Toutefois, cette technologie est en constante évolution. Les progrès de demain sont déjà annoncés avec notamment les diodes organiques plus polyvalentes et plus performantes encore et qui sont déjà introduites dans le domaine industriel. On peut donc penser qu’il en sera de même en Odontologie dans un avenir proche. REALITES CLINIQUES Vol. 16 n° 4 2005 BIBLIOGRAPHIE 1 . ASSMUSSEN E. et PEUTZFELDT A. Light-emitting diode curing: influence on selected properties of resin composites. Quint Int. 2003 ; 34(1) : 71-75. 2 . BALA O., ÖLMEZ A. et KALAYCI S. Effect of LED and halogen light curing on polymerisation of resin-based composites. J Oral Rehabil. 2005 ; 32 : 134-140. 3. BOUILLAGUET S., CAILLOT G., FORCHELET J., CATTANI-LORENTE M., WATAHA JC. et KREJCI I. - Thermal risks from LED- and high-intensity QTH-curing units during polymerization of dental resins. J Bio med Mater Res B Appl Biomater. 2005 ; 72 (2) : 260-267. 4. BRACKETT WW., HAISCH LD. et COVEY DA. - Effect of plasma arc curing on the microleakage of class V resin-based composite restorations. Am J Dent. 2000 ; 13 (3) : 121-122. 5. BRACKETT WW., COVEY DA. et HAISCH LD - The effect of elevated temperatures on the dentin adhesion of resin composites. Oper Dent. 2003 ; 28 (3) : 303-306. 6. BROWN WS., DEWEY WA. et JACOBS MR. Thermal properties of teeth. J Dent Res. 1970 ; 49 : 752-757. 7- DEB S. et SEHMI H - A comparative study of the properties of dental resin composites polymerized with plasma and halogen light. Dent Mater. 2003 ; 19 : 517-522. 8. DIETSCHI D. et SPREAFICO R. - Restaura tions esthétiques collées : composites et céra miques dans les traitements esthétiques des dents postérieures. Quintessence Internationale, Paris, 1997. 9. DIETSCHI D., MARRET N. et KREJCI I Comparative efficiency of plasma and halogen light sources on composite micro-hardness in different curing conditions. D e n t Mater. 2003 ; 19 : 493-500. 10. DUNN WJ. et BUSH AC. - A comparison of polymerization by light-emitting diode and halogen-based light-curing units. J Am Dent Assoc. 2002 ; 133(3) : 335-341. 11. FERRACANE J. - Correlation between hardness and degree of conversion during the sitting reaction of unfilled dental restorative resins. Dent Mater. 1985 ; 1(1) :11-14. 12. HASEGAWA T., ITOH K., YUKITANI W., WAKUMOTO S. et HISAM ITSU W. Effects of soft-start irradiation on the depth of cure and marginal adaptation to dentin. Oper Dent. 2001 ; 26(4) : 389-395. 13. HOFMANN N., HUGO B. et KLAIBER B. Effect irradiation type (LED or QTH) on photo-activated composite shrinkage strain kinetics, temperature rise, and hardness. Eur J Oral. Sci. 2002 ; 110(6) : 471-179. 14. ILIE N., FELTEN K., TRIXNER K., HICKEL R. et KUNZELMANN KH.- Shrinkage behaviour of a resin-based composite irradiated with modern curing units. Dent Mater. 2005 ; 21 : 483-489. N. LEHMANN et coll. 15. JANDT KD., MILLS RW., BLACKWELL GB. et ASHWORTH SH. - Depth of cure and compressive strength of dental composites cured with blue light emitting diodes. Dent Mater. 2000 ; 16(1) :41-47. 16. KAFRAWY AH. - Biologic considerations in the selection and use of restorative materials. Dent Clin North Amer. 1983 ; 27 : 645-656. 17. KNEZEVIC A., TARLE Z., MENIGA A., SUTALO J., PICHLER G. et R I S T I C M . Degree of conversion and temperature rise during polymerization of composite resin samples with blue light diodes. J Oral Reha bil. 2001 ; 28(6) : 586-591. 1 8 . K U R A C H I C., TUBOY AM., MAGALHAES DV. et BAGNATO VS - Hardness evaluation of dental composite polymerization with experimental LED-based devices. Dent Mater. 2001 ; 17(4) : 309-315. 19. MILLAR BJ. et NICHOLSON JW. - Effect of curing with a plasma light on the properties of polymerizable dental restorative materials. J Oral Rehab. 2001 ; 28 : 549-552. 20. LONEY RW. et PRICE RB. - Temperature transmission of high-output light-curing units trough dentin. Oper Dent. 2001 ; 26(5) : 516520. 21. MARTIN FE. - A survey of the efficiency of visible light curing units. J Dent. 1998 ; 26(3) : 239-243. 22. MILLS RW. - Blue emitting diodes. Another method of light curing ? Br Dent J. 1995 ; 178 : 169. 23. NYBORG H. et BRANNSTROM M. - Pulp reaction to heat. J Prosthet Dent. 1968 ; 19(6) : 605-612. 24. PEUTZFELDT A., SAHAFI A. et ASMUSSEN E - Characterisation of resin composites polymerized with plasma arc curing units. Dent Mater. 2000 ; 16 : 330-336. 25. PEUTZFELDT A. et ASMUSSEN E - Resin composite properties and energy density of light cure. J Dent Res. 2005 ; 84 : 659-662. 26. PILO R., OELGIESSER D. et CARDASH HS. - A survey of output intensity and potential for depth cure among light-curing units in clinical use. J Dent. 1999 ; 27 : 235-241. 27. POHTO M. et SCHEININ A. - Microscopic observations on living dental pulp. A c t a Odontol Scan. 1958 ; 16 : 303-327. 28. PRICE RB., DERAND T., SEDAROUS M., ANDREOU P. et LONEY RW - Effect of distance on the power density from two light guides. J Esthet Dent. 2000 ; 12 : 320-327. 2 9 . RUEGGEBERG FA., CAUGHMAN WF., CURTIS JW Jr, et DAVIS HC. - Factors affecting cure at depths within light-activated resin composites. Am J Dent. 1993 ; 6(2) : 9195. 30. St-GEORGES AJ., SWIFT EJ., THOMPSON JY. et HEYMANN HO. - Irradiance effects on the mechanical properties of universal hybrid and flowable hybrid resin composites. Dent Mater. 2003 ; 19(5) : 406-413. 375 Correspondance : Nicolas Lehmann Faculté d’Odontologie 11 rue Guillaume Paradin 69372 Lyon Cedex 08 FRANCE email : [email protected] 31. STANSBURY JW. - Curing dental resins and composites by polymerization. J Esthet Dent. 2000 ; 12 : 300-308. 32. TARLE Z., MENIGA A., KNEZRVIC A., SUTALO J., RISTIC M. et PICHLER G. Composite conversion and temperature rise using a light conventional, plasma arc, and an experimental blue LED curing unit. J Oral Rehabil. 2002 ; 29(7) : 662-667. 33. TSAI PCL., MEYERS IA. et WALSH LJ. Depth of cure and surface microhardness of composite resin cured with blue LED curing lights. Dent Mater. 2004 ; 20 : 364-369. 34. UHL A., MILLS RW. et JANDT KD. - Polymerization and light-induced heat of dental composites cured with LED and halogen technology. Biomaterials. 2003; 24(10) : 18091820. 35. YOON TH., LEE YK., LIM BS. et KIM CW. Degree of polymerization of resin composites by different light sources. J Oral Rehabil. 2002 ; 29(12) : 1165-1173. 36. ZACH L. et COHEN G. - Pulp reponse to externally applied heat. Oral Surg. 1965 ; 19 : 515-530. RÉSUMÉ LES LAMPES À PHOTOPOLYMÉRISER : HALOGÈNES OU DIODES ÉLECTROLUMINESCENTES ? Après quelques rappels fondamentaux sur la polymérisation des résines composites, cet article aborde les caractéristiques de deux familles de générateurs de photopolymérisation couramment utilisés en médecine dentaire: les lampes halogènes et les lampes à diodes électroluminescentes. La synthèse de données de la littérature indique que les lampes halogènes ne sont pas obsolètes face aux nouvelles technologies. Leur spectre large offre une fiabilité de polymérisation, quel que soit le matériau à polymériser. Elles présentent aujourd’hui un recul évident en terme de qualité et de sécurité. Les générateurs à diodes électroluminescentes de deuxième génération, quant à eux, présentent des performances tout à fait intéressantes qui leur permettent de rivaliser aujourd’hui avec les lampes halogènes. ABSTRACT LIGHT-CURING LAMPS: HALOGENS OR ELECTROLUMINESCENT? After a fundamental review of the curing of composite resins, this article discusses the characteristics of two families of light-curing generators widely used in dental medicine: the halogen lamps and the electroluminescent diode lamps. A review of findings in the literature indicates that the halogen lamps are not obsolete when compared with newer technologies. Their large spectrum offers reliable curing regardless of the material to be cured. They present, today, an evident step backwards in terms of quality and of security. As for the second generation of electroluminescent diodes, their performance, today, rivals that of halogen lights. RESUMEN LAS LAMPARAS DE FOTOPOLIMERIZAR: ¿HALOGENAS O DE DIODOS ELECTROLUMINESCENTES? Después de algunos recordatorios fundamentales sobre la polimerización de las resinas compuestas, este artículo aborda las características de dos familias de generadores de fotopolimerización corrientemente usados en medicina dental : las lámparas halógenas y las lámparas de diodos electroluminescentes. La síntesis de datos de la literatura odontológica indica que las lámparas halógenas no están obsoletas frente a las nuevas tecnologías. Su amplio espectro ofrece una fiabilidad de polimerización cualquiera sea el material por polimerizar y se dispone actualmente de una perspectiva importante respecto de su calidad y seguridad. En cuanto a los generadores de diodos electroluminescentes de segunda generación, presentan rendimientos realmente interesantes, que les permiten rivalizar actualmente con las lámparas halógenas. 376 REALITES CLINIQUES Vol. 16 n° 4 2005