32 juris.qxp - Frédéric Baillet Bouin

Transcription

32 juris.qxp - Frédéric Baillet Bouin
Le commissaire-priseur,
responsable de plein droit
envers l’adjudicataire d’une
œuvre d’art ?
Notes
Commissaire-priseur
Sommaire de la décision
Vis-à-vis de la victime de l’erreur, le commissaire-priseur
ou l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art sans
assortir son propos de réserves engage sa responsabilité sur
cette assertion.
Le commissaire-priseur qui a recouru aux services d’un
expert est fondé à demander sa garantie.
Cour de cassation, 1re civ.
3 avr. 2007
LA COUR : - Attendu que le 22 novembre 1989 et par
l’intermédiaire de la société civile professionnelle de
commissaires-priseurs Ader Picard Tajan (la SCP), ellemême assistée de MM. X... et de A..., experts, M. Y... a
acquis aux enchères publiques un tableau reproduit au
catalogue et assorti des indications : « Jean Dufy (18881964). Aux courses. Gouache, signée en bas, à droite » ;
qu’en 2001, il a sollicité M. Z..., lequel, dressant alors
l’inventaire raisonné de l’œuvre de l’artiste, a mis en
doute l’authenticité de l’objet présenté ; qu’une expertise
judiciaire ayant révélé l’année suivante qu’il s’agissait
d’un faux, et la société venderesse n’ayant pu être
retrouvée, M. Y... a recherché la responsabilité de la SCP
et de MM. X... et de A... ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de M. X...
et le premier moyen du pourvoi incident provoqué de M.
de A... : - Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué
(Paris, 14 décembre 2004) d’avoir, en violation de l’article
1382 du code civil, condamné in solidum la SCP et MM.
X... et de A... à indemniser M. Y... en raison de ce que le
tableau acquis par celui-ci, contrairement à sa conviction,
n’était pas de Jean Dufy, et en refusant de donner effet à
l’observation de l’expert judiciaire indiquant qu’au regard
des connaissances à l’époque de la vente il était tout à fait
Note de Frédéric Baillet Bouin
© Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit
Avocat aux barreaux de Paris et de New York
P
ar son arrêt du 3 avril 2007, la Cour de
cassation conforte, au détriment du
commissaire-priseur 1, la protection de l’adjudicataire
(1) Le terme de « commissaire-priseur », utilisé par
commodité de langage, vise la société de ventes volontaires
(art. L. 321-4 s. c. com.). Il est en effet rare qu’une vente
judiciaire (définie par l’art. 29, L. n° 2000-642, 10 juill.
2000 et conduite par un commissaire-priseur judiciaire, D.
2000. Lég. 318) porte sur des œuvres d’art ; sur les difficultés
de qualification, L. Mauger-Vielpeau, Qualification de « la
vente Giacometti » : une vente volontaire ou une vente
judiciaire ?, D. 2005. Chron. 1404.
(2) Pour un exposé des différentes définitions de la notion,
Recueil Dalloz - 2007 - n° 32
concevable de conclure à l’authenticité, alors, selon le
moyen, que l’expert ou le commissaire-priseur qui
atteste celle-ci sans nuancer son affirmation n’engage sa
responsabilité envers l’acquéreur que si, au moment où il
est donné, cet avis apparaît erroné ou imprudent au
regard des données acquises ;
Mais attendu que la cour d’appel, qui a exactement
énoncé que, vis-à-vis de la victime de l’erreur, le
commissaire-priseur ou l’expert qui affirme l’authenticité
d’une œuvre d’art sans assortir son propos de réserves
engage sa responsabilité sur cette assertion, a constaté que
la SCP et MM. X... et de A... avaient agi en commun, de
sorte que leur responsabilité devait être admise ; que le
moyen n’est pas fondé ;
Et sur le second moyen du pourvoi de M. X... et le
second moyen du pourvoi incident provoqué de M. de
A..., tels qu’exposés aux mémoires et reproduits en
annexe: - Attendu que par une motivation identique à celle
du premier moyen, il est fait grief à la cour d’appel
d’avoir, en violation de l’article 1147 du code civil,
condamné in solidumMM. X... et de A... à garantir la
SCP de la condamnation prononcée à son encontre au
profit de M. Y... ; - Attendu que l’arrêt énonce à bon droit
que le commissaire-priseur qui a recouru aux services de
deux experts ayant attesté l’authenticité de l’œuvre
présentée lors d’une vente est fondé à demander leur
garantie ; que le moyen n’est pas fondé ;
Par ces motifs, [...], rejette [...].
05-12.238 (n° 472 FS-P+B) - Demandeur: Pacitti - Défendeur:
Lahaussois - Composition de la juridiction: MM. Ancel, prés. Gridel, rapp. - Domingo, av. gén. - Me Hémery, SCP Boré et Salve
de Bruneton, SCP Defrénois et Lévis, av. - Décision attaquée:
Cour d’appel de Paris (1re ch. A), 14 déc. 2004 (Rejet)
Mots-clés: COMMISSAIRE-PRISEUR * Responsabilité * Vente
aux enchères * Authenticité * Tableau * Expert * Faux * Réserve.
- VENTE * Vente aux enchères * Commissaire-priseur * Tableau
* Authenticité * Faux * Expert * Garantie * Authenticité * Erreur
* Responsabilité contractuelle
chaque fois que la description d’une œuvre d’art 2
présentée dans un catalogue de vente publique aux
enchères 3 se révèle erronée.
En 1989, un amateur s’était porté acquéreur d’une
œuvre d’art ainsi décrite au catalogue : « Jean Dufy
F. Duret-Robert, Droit du marché de l’art, 3e éd., Dalloz
Action, 2007/2008, § 13.51 s., p. 41s. et, plus généralement,
S. Lequette-de Kernevoaël, L’authenticité des œuvres d’art,
LGDJ, 2006, préf. J. Ghestin.
(3) Pour une explication du caractère inapproprié de la
terminologie « vente aux enchères publiques » employée par
la loi du 10 juillet 2000, pour partie codifiée dans le code de
commerce, F. Duret-Robert, préc., § 11.07, p. 16 et L.
Mauger-Vielpeau, Les ventes aux enchères publiques,
Economica, 2002, préf. P.-Y. Gautier, p. 13 s.
1
ÉTUDES ET COMMENTAIRES
Etudes et commentaires
Notes
Le Tribunal de grande instance de Paris commit un expert qui
conclut à la fausseté de l’œuvre, tout en relevant qu’« à la date de
la vente il était tout à fait concevable de conclure à l’authenticité
de l’œuvre au regard des connaissances de l’époque ». Le tribunal
débouta l’adjudicataire qui saisit la Cour d’appel de Paris. Le
14 décembre 2004, la cour infirmait le jugement et condamnait le
commissaire-priseur in solidum avec les deux experts au motif que
« le commissaire-priseur est tenu de ne donner que des
informations exactes dans les catalogues mis à la disposition de la
clientèle et dans la présentation des objets offerts à la vente ; en
l’espèce [il] a affirmé sans réserves dans le catalogue de la vente
[...] que le tableau litigieux était une œuvre de Jean Dufy ; [il] a
engagé sa responsabilité sur cette affirmation inexacte sans qu’il
soit nécessaire de caractériser autrement une faute de sa part » 4.
La Cour de cassation vient de rejeter le pourvoi formé par les
deux experts contre cet arrêt, jugeant que « vis-à-vis de la victime
de l’erreur, le commissaire-priseur ou l’expert qui affirme
l’authenticité d’une œuvre d’art sans assortir son propos de
réserves engage sa responsabilité sur cette assertion ». Elle ajoute :
« le commissaire-priseur qui a recouru aux services de deux
experts ayant attesté de l’authenticité de l’œuvre présentée lors
d’une vente est fondé à demander leur garantie ».
La Cour de cassation impose ainsi une quasi-responsabilité de
plein droit au commissaire-priseur (I), qui peut néanmoins
demander la garantie de l’expert consulté (II).
I - La responsabilité du commissaire-priseur
envers l’adjudicataire d’une œuvre d’art du seul
fait que le catalogue de vente est erroné
L’article L. 321-17 du code de commerce dispose que le
commissaire-priseur engage sa responsabilité au cours ou à
l’occasion des ventes publiques aux enchères conformément aux
règles applicables aux ventes judiciaires et volontaires. Il précise
que les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité
du commissaire-priseur sont interdites et réputées non écrites,
l’action en responsabilité contre celui-ci se prescrivant par dix ans
à compter de l’adjudication.
(4) Paris, 1re ch. A, 14 déc. 2004, Juris-Data, n° 259732.
(5) V., avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000, Civ. 1re,
23 mars 1982, Bull. civ. I, n° 119 sur la qualité de mandataire reconnue au
commissaire-priseur ; celui-ci pouvait aussi être qualifié de prête-nom dans
certaines circonstances : Civ. 1re, 13 févr. 1983, Bull. civ. I, n° 65.
(6) L’hypothèse d’une faute volontaire de la part du commissaire-priseur
envers l’adjudicataire, de nature à engager sa responsabilité civile
délictuelle sur le fondement de l’art. 1382 c. civ., est, quoique moins
courante, aussi envisageable ; V., par ex., Paris, 1re ch. B, 14 mars 1997,
Gaz. Pal. 1997. 2. Somm. 482 et Juris-Data, n° 020811, dans une affaire où
le commissaire-priseur avait attribué, « de façon qu’il savait erronée », la
propriété d’un tableau à une collection particulière étrangère plus
valorisante, tout en entretenant la croyance qu’un certificat d’authenticité
serait remis à l’adjudicataire.
(7) P. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, 2e éd., Defrénois, 2005, n° 53,
p. 32; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, 9e éd., Précis Dalloz,
2005, n° 728-729, p. 711.
2
La responsabilité civile du commissaire-priseur est tantôt
contractuelle, tantôt délictuelle. Selon l’article L. 321-4 du code de
commerce, le commissaire-priseur est le mandataire du vendeur
(quoique, contrairement aux prescriptions de l’art. 1984 c. civ., il
n’agisse pas en son nom puisque l’adjudicataire ignore le plus
souvent l’identité du vendeur) 5. Il peut également, s’il s’adjoint les
services d’un expert, conclure avec celui-ci un contrat d’entreprise.
Dans ces deux hypothèses, la responsabilité du commissairepriseur est contractuelle.
En revanche, le commissaire-priseur n’est lié par aucun contrat
envers l’adjudicataire, si bien que c’est sur le terrain des articles
1382 et 1383 du code civil que sa responsabilité peut être
recherchée par ce dernier 6.
En matière de responsabilité quasi-délictuelle, la faute
d’imprudence ou de négligence s’apprécie in abstracto par rapport
au comportement normalement prudent et diligent du bon père de
famille 7. Si un commissaire-priseur adopte un comportement
d’homme de l’art normalement prudent et diligent, il ne commet
en principe aucune faute de nature à engager sa responsabilité.
C’est pourquoi l’argument développé devant la Cour d’appel de
Paris par le commissaire-priseur (et les deux experts) reposait sur
le constat formulé par l’expert judiciaire selon lequel « au regard
des connaissances de l’époque il était tout à fait concevable de
conclure à l’authenticité ». Dès lors, la position exprimée par le
commissaire-priseur lors de la vente n’était pas erronée ou
imprudente au regard des données acquises, ce qui l’exemptait de
toute faute.
La Cour de cassation écarte cet argument et valide l’analyse de
la Cour d’appel de Paris exposée dans l’arrêt attaqué aussi bien que
dans des décisions antérieures récentes, analyse selon laquelle « le
commissaire-priseur [qui] est tenu de ne donner que des
informations exactes dans les catalogues mis à la disposition de la
clientèle [...] a engagé sa responsabilité sur cette affirmation
inexacte sans qu’il soit besoin de caractériser autrement une faute
de sa part » 8.
La Cour de cassation condamne ainsi la position adoptée
naguère par la Cour d’appel de Paris et bon nombre de juges du
fond 9. Ainsi, en cas d’inexactitude du catalogue de vente, la
responsabilité du commissaire-priseur n’était engagée que s’il
avait commis une faute. La seule erreur d’attribution n’était pas
en soi de nature à engager sa responsabilité, encore fallait-il
qu’elle fût fautive. Le recours à un expert exonérait, sauf
circonstances particulières, le commissaire-priseur de toute faute ;
seul l’expert négligent était alors tenu d’indemniser
l’adjudicataire 10.
(8) Paris, 1re ch. A, 15 déc. 2003, Gaz. Pal., 11 mars 2004, p. 23, note H.
Vray ; 7 sept. 2004, Gaz. Pal., 17 févr. 2005, p. 22, et Juris-Data, n° 254603.
Ce mouvement jurisprudentiel a été amorcé par Paris, 1re ch. A, 15 janv.
2002, Juris-Data, n° 181708. V. aussi Paris, 1re ch. A, 22 mars 2004, Gaz.
Pal., 30 déc. 2004, p. 37, et Juris-Data, n° 245483.
(9) L’arrêt commenté trouve pour partie des précédents dans Civ. 1re,
22 avr. 1997, Bull. civ. I, n° 129 ; D. 1998. Jur. 272, note R. Martin, et 1999.
Somm. 15, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 1998. 461, obs. J. Normand ; RTD
com. 1997. 667, obs. B. Bouloc ; D. Affaires 1997. 759 ; 12 mars 2002, Bull.
civ. I, n° 90, où l’obligation faite au commissaire-priseur de ne donner que
des informations exactes dans son catalogue est énoncée, sans pour autant
que sa faute soit établie du seul fait que l’information figurant au
catalogue est erronée.
(10) F. Duret-Robert, préc., § 141.33 s., p. 385 ; V. égal. Paris, 1re ch. B,
14 avr. 1995, Juris-Data, n° 021433 ; 23 mai 1997, Juris-Data, n° 021293 ;
25me ch. B, 6 oct. 2006, Juris-Data, n° 313152 ; Versailles, 1re ch. A, 15 mai
1997, Juris-Data, n° 044179 ; Dijon, 21 juin 2001, JCP 2002. IV. 1350 ; JurisData, n° 157261.
Recueil Dalloz - 2007 - n° 32
© Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit
(1888-1964). Aux courses. Gouache, signée en bas, à droite ». Le
commissaire-priseur s’était fait assister de deux experts lors de la
rédaction du catalogue. En 2001, après avoir présenté la gouache
à l’auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Jean Dufy qui
refusa de l’y inclure, l’adjudicataire assigna en responsabilité le
commissaire-priseur et les deux experts, le vendeur n’ayant pu être
retrouvé.
Notes
Si l’on ne peut qu’acquiescer à l’obligation faite à un
commissaire-priseur « de ne donner que des informations exactes
dans les catalogues mis à la disposition de la clientèle et dans la
présentation des objets offerts à la vente », la circonspection
s’impose en revanche lorsque la Cour de cassation retient la faute
du commissaire-priseur au seul motif qu’il s’est trompé. L’erreur
devient ainsi - en tant que telle - une faute, laquelle est de surcroît
appréciée non pas au moment de sa commission mais a posteriori
en l’état des connaissances existantes au jour où l’action est
engagée par l’adjudicataire.
Bien qu’elle ne le mentionne pas, la Cour de cassation s’appuie
sur le décret n° 81-255 du 3 mars 1981 « sur la répression des
fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de
collection » dont l’article 1er vise, entre autres, les sociétés de
ventes volontaires et les articles 2 à 6 établissent un certain nombre
de « garanties » attachées aux mentions figurant sur les bordereaux
de vente. Ce décret - pris à la suite d’affaires comme celle de la
toile « signée G. Courbet, attribuée à Courbet » qui n’était pas à
coup sûr « de Courbet » 11 - était destiné, ainsi que cela ressort de
son intitulé, à protéger les acquéreurs d’œuvres d’art contre les
artifices de présentation en dissipant les équivoques
rédactionnelles. Le verbe « garantir » utilisé par le texte doit ainsi
être compris comme synonyme de « certifier », c’est-à-dire
« attester, affirmer avec assurance l’existence d’un fait » 12.
Autant le recours au décret du 3 mars 1981 se comprend
lorsqu’il s’agit de démontrer l’existence d’une erreur sur les
qualités substantielles de la chose vendue et décrite dans un
catalogue de vente 13, autant il nous semble hasardeux de lui faire
produire quelque effet lorsqu’il s’agit d’exercer une action
indemnitaire fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle.
© Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit
Si l’erreur est, par essence, évolutive en fonction des
découvertes scientifiques, techniques ou historiques 14, la faute
d’imprudence ou de négligence ne doit pouvoir s’apprécier que
d’après l’état des données scientifiques, techniques ou historiques
acquises au moment de l’expertise et de la vente de l’œuvre
litigieuse.
à la vente et, éventuellement, d’entrepreneur lorsqu’il se voit
confier une mission d’investigation sur l’authenticité de l’objet à
vendre.
L’approche aujourd’hui retenue par la Cour de cassation,
s’agissant de la responsabilité quasi-délictuelle du commissairepriseur envers l’adjudicataire, est plus sévère puisqu’elle impose au
commissaire-priseur - qui aura pourtant pris toutes les précautions
adéquates du professionnel normalement prudent et diligent en
recourant à un expert et/ou en se forgeant une conviction au regard
de l’ensemble des données disponibles - une responsabilité vis-àvis de l’adjudicataire encourue du seul fait que l’œuvre d’art aura
a posteriori été judiciairement reconnue comme non authentique,
alors qu’elle avait été présentée comme telle dans le catalogue de
vente.
La sévérité de la Cour de cassation est double : d’un point de vue
substantiel car l’erreur devient en soi constitutive d’une faute ; d’un
point de vue temporel car, pour apprécier la faute, il n’est plus tenu
compte de l’état des connaissances existantes au jour de sa
commission. La faute perd ainsi en consistance pour devenir d’une
extraordinaire légèreté.
Il est légitime de se demander si le recours formel à la notion
de faute - auquel procède encore la Cour de cassation - ne
dissimule pas, en réalité, la volonté d’instaurer une responsabilité
de plein droit à la charge du commissaire-priseur chaque fois
qu’une mention portée au catalogue de vente se révèle inexacte.
II - Le recours du commissaire-priseur contre
l’expert consulté afin de rédiger le catalogue de
vente
La rigueur de l’approche retenue par la Cour de cassation
apparaît tempérée par le fait que le commissaire-priseur, qui a pris
la précaution de s’adjoindre les services d’un expert, est fondé à
demander sa garantie afin qu’il contribue au paiement de la
condamnation. La question se pose de savoir quel est le fondement
de cette garantie.
Ainsi, dans la seconde affaire Poussin, où un tableau vendu
comme étant de l’atelier de Poussin s’était révélé être de la main
du Maître, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel de
Paris d’avoir écarté toute faute et donc toute responsabilité de la
part du commissaire-priseur envers le vendeur en raison, entre
autres motifs, des « connaissances acquises au moment de la vente,
résultant des avis unanimes exprimés », qui rendaient exempte de
critique la mention simplement attributive inscrite au catalogue 15.
La loi ne met à la charge de l’expert en œuvres d’art aucune
garantie spéciale. En effet et d’une part, le décret n° 56-1181 du
21 novembre 1956 - dont l’article 23, alinéa 2, prévoyait que les
indications portées au catalogue engageaient la responsabilité de
l’expert solidairement avec celle du commissaire-priseur - a été
abrogé par l’article 25 du décret n° 85-382 du 29 mars 1985 fixant
le tarif des commissaires-priseurs. D’autre part, le décret précité du
3 mars 1981 ne vise pas les experts au titre des garanties établies
par ses articles 2 à 6. Enfin, l’article L. 321-17, alinéa 1er, du code
de commerce, selon lequel l’expert engage sa responsabilité au
cours ou à l’occasion des ventes publiques aux enchères
conformément aux règles applicables, n’ajoute rien. C’est donc
vers la responsabilité contractuelle de droit commun qu’il faut se
tourner.
Il est vrai qu’il s’agissait là d’apprécier une responsabilité
contractuelle puisque, dans ses relations avec le vendeur, le
commissaire-priseur est son cocontractant en qualité de mandataire
En recourant aux services d’un expert, le commissaire-priseur
conclut avec lui un contrat d’entreprise aux termes duquel l’expert
est, en principe, tenu d’une obligation de mettre en œuvre tous les
(11) Civ. 1re, 16 déc. 1964, Bull. civ. I, n° 575 ; D. 1965. 136.
d’appréciation postérieurs à la vente pour prouver l’existence d’une erreur
de leur part au moment de la vente ».
(12) G. Cornu, Vocabulaire juridique, 7e éd., PUF, 2005, p. 141.
(13) Civ. 1re, 27 févr. 2007, D. 2007. Jur. 1632, note P.-Y. Gautier.
(14) V., dans la première affaire Poussin, Civ. 1re, 13 déc. 1983, D. 1984.
Jur. 340, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1984. 109, obs. F. Chabas ; GAJC, 11e
éd., n°,148, qui reconnaît aux acquéreurs « le droit de se servir d’éléments
Recueil Dalloz - 2007 - n° 32
(15) Civ. 1re, 17 sept. 2003, Bull. civ. I, n° 183 ; RTD civ. 2005. 123, obs. J.
Mestre et B. Fages ; Gaz. Pal. 2004. 1049, note S. Crevel ; CCC 2004, n° 2,
note L. Leveneur ; sur pourvoi contre Paris, 28 juin 2001, Juris-Data,
n° 181698.
3
ÉTUDES ET COMMENTAIRES
Désormais, le commissaire-priseur est responsable des mentions
erronées de son catalogue même s’il fait appel à des experts qui
certifient l’authenticité de l’objet et - surtout - même si, compte
tenu des connaissances acquises à l’époque de la vente, il est
concevable de considérer l’œuvre d’art litigieuse comme
authentique.
Notes
L’éventuelle garantie contractuelle de l’expert doit être
distinguée du recours subrogatoire en contribution que le
commissaire-priseur peut exercer contre lui sur le fondement de
l’article 1251, 3°, du code civil, s’il est condamné in solidum ou
solidairement avec l’expert à indemniser la victime. En effet, et
d’une part, quand bien même le décret du 21 novembre 1956 dont l’article 23, alinéa 2, prévoyait une responsabilité
« solidaire » de l’expert et du commissaire-priseur - a été abrogé
en 1985, la jurisprudence a maintes fois eu l’occasion de retenir
la responsabilité in solidum du commissaire-priseur et de
l’expert vis-à-vis de l’adjudicataire chaque fois que leurs fautes
respectives avaient concouru à la réalisation du dommage 19.
D’autre part, et surtout, l’article L. 321-31, alinéa 2, du code de
commerce dispose que l’expert « est solidairement responsable
avec l’organisateur de la vente pour ce qui relève de son
activité ». Désormais, la solidarité légale est à nouveau la règle
en matière de responsabilité civile de l’expert et du
commissaire-priseur 20.
C’est donc au stade de la contribution au paiement de la
condamnation que l’expert pourra être amené à y participer en
remboursant au commissaire-priseur toute somme que ce dernier
aura versée à l’adjudicataire, et ce, au prorata de la part de
dommage finalement mise en sa charge.
Toutefois, la clé de répartition de la condamnation - qui est
traditionnellement fonction de la gravité des fautes respectives en
matière de responsabilité pour faute 21 - pose ici problème puisque
l’expert comme le commissaire-priseur sont désormais
responsables quasiment de plein droit envers la victime. Dès lors,
comment répartir la condamnation solidaire autrement que par part
virile ? C’est la position adoptée par la jurisprudence en matière de
responsabilité du fait des choses 22.
(16) En matière de prestation de services de nature intellectuelle, la
jurisprudence considère traditionnellement que le prestataire est tenu
d’une obligation de moyens : Rouen, 1er mars 1995, JCP 1996. IV. 405, et
Juris-Data, n° 047693 pour l’expert en œuvres d’art ; V. égal. les réf. citées
in F. Duret-Robert, préc., § 143.12 s., p. 359.
(17) Paris, 15 janv. 2002, préc.
(18) Implicitement, Paris, 25e ch. B, 6 oct. 2006, préc.
(19) Par ex., Paris, 1re ch. B, 14 mars 1997, préc.
(20) Certains auteurs considèrent que l’art. L. 321-31, al. 2, c. com. crée une
présomption de responsabilité solidaire à la charge du commissaire-priseur
et de l’expert : V. entre autres F. Duret-Robert, préc., § 141.13 s.,
p. 382 et § 142.25, p. 396. Cette analyse nous semble excessive car, d’une
part, si cet article crée un cas de solidarité légale, sauf à forcer le texte, il
ne présume aucunement la faute de l’expert ni celle du commissaire-
4
Ainsi, le commissaire-priseur pourrait ne jamais, au stade de la
contribution à la dette, obtenir le remboursement intégral des
dommages-intérêts versés par lui à la victime, et ce, alors qu’il a
pris toutes les précautions possibles en faisant appel à un expert
réputé. Afin d’échapper à cette conséquence, l’appréciation de la
faute - cette fois conformément aux standards ordinaires - pourrait,
à l’instar de ce qui existe en matière d’accident de la circulation 23,
être réintroduite dans le rapport de contribution à la dette existant
entre l’expert et le commissaire-priseur afin de fixer la part
contributive de chacun, alors que la faute est appréciée de manière
extrêmement souple dans leur rapport solidaire d’obligation à la
dette envers l’adjudicataire.
Ainsi, envers la victime, il y aurait une quasi-responsabilité de
plein droit tandis qu’entre les coauteurs du dommage, la
responsabilité pour faute classique retrouverait son empire. Mais,
dans une telle hypothèse, la faute de l’expert devrait être
déterminée au regard du droit commun de la responsabilité quasidélictuelle. Or, en raison des données acquises à l’époque de
l’expertise, une faute de négligence ou d’imprudence pourrait ne
pas être retenue à la charge de l’expert, si bien que le commissairepriseur pourrait demeurer seul contraint de contribuer à
l’indemnisation de la victime.
Afin de contourner cet écueil, il pourrait, en lieu et place de la
gravité des fautes respectives, être fait référence au rôle causal du
comportement de l’expert - même non fautif - qui aura été
prépondérant - pour ne pas dire exclusif - dans la réalisation du
dommage. Il s’agirait alors de permettre au commissaire-priseur
d’exercer un recours contre l’expert « dans la mesure de sa part de
responsabilité » 24, en sorte que in fine c’est l’expert qui
supporterait seul le paiement des dommages-intérêts. Mais, dans
une telle hypothèse, la mise en cause solidaire du commissairepriseur, afin que l’adjudicataire bénéficie d’un second débiteur en
sus de l’expert, apparaît en pratique assez largement dépourvue
d’utilité. En effet, l’expert, qui peut aisément être directement
poursuivi puisque ses coordonnées figurent sur le catalogue de
vente, est pleinement solvable compte tenu de son obligation de
souscrire une assurance garantissant sa responsabilité
professionnelle (art. L. 321-31, al. 1er, c. com.).
En conclusion, cet arrêt surprend en ce qu’il semble s’écarter
des règles classiques de la responsabilité civile du fait personnel
s’agissant de la détermination de la faute, jusqu’à la réduire à sa
plus simple expression. Ensuite, à lire la motivation très générale
de la Cour de cassation, on ne peut que se demander si, lorsque
c’est le vendeur qui sera « victime de l’erreur » portée sur le
catalogue (ainsi que cela était le cas dans la seconde affaire
Poussin), la responsabilité contractuelle du commissaire-priseur à
son égard s’alignera sur sa responsabilité délictuelle et sera alors
fondée sur une obligation de résultat aggravée, ou si elle continuera
priseur, et, d’autre part, en matière de responsabilité du fait personnel et
sauf cas de responsabilité spéciale fondée sur le risque (accident de la
circulation par exemple), une faute doit nécessairement être prouvée par
la victime qui ne bénéficie d’aucune présomption.
(21) F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, préc, n° 891, p. 866.
(22) Civ. 2e, 22 févr. 1989, Bull. civ. II, n° 43 ; 10 mai 1991, Bull. civ. II, n° 134 ;
RTD civ. 1992. 127, obs. P. Jourdain.
(23) Civ. 2e, 14 janv. 1998, D. 1998. Jur. 174, note H. Groutel ; RTD civ. 1998.
393, obs. P. Jourdain ; 9 oct. 2003, Bull. civ. II, n° 294 ; D. 2003. IR. 2550 ;
8 juill. 2004, Bull. civ. II, n° 343 ; D. 2004. IR. 2836.
(24) F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, préc., n° 891, p. 866 ; Civ. 2e, 2 juill.
1969, Gaz. Pal. 1969. 2. 311 ; 11 févr. 1981, D. 1982. Jur. 255, note E.
Agostini.
Recueil Dalloz - 2007 - n° 32
© Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit
moyens pour authentifier ou non l’objet soumis à son examen 16.
La mise en œuvre de la responsabilité de l’expert envers le
commissaire-priseur repose donc sur l’existence d’une faute qui
doit être démontrée. S’il est établi que l’expert a mis en œuvre tous
les moyens à sa disposition et que l’état des données acquises lors
de l’expertise était tel qu’il était possible, pour un professionnel
normalement prudent et diligent, de considérer comme authentique
une œuvre qui s’est plus tard révélée fausse, sa faute pourra
difficilement être retenue et le commissaire-priseur sera privé du
bénéfice de la responsabilité contractuelle de son expert. Il
convient toutefois de ne pas négliger l’inflexion récente de la
jurisprudence qui tend à retenir la responsabilité contractuelle de
l’expert sans tenir compte des moyens d’investigation mis en
œuvre ni des données acquises lors de l’expertise, en sorte que
l’expert pourrait désormais apparaître comme tenu d’une
obligation de résultat aggravée 17, ce mouvement n’étant pas
toutefois encore unanimement suivi 18.
Notes
à ne pouvoir être recherchée que s’il est démontré qu’il a commis
une faute.
© Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit
ÉTUDES ET COMMENTAIRES
Cette situation résulte de la volonté de faire jouer à un modeste
décret un rôle pour lequel il n’a pas été conçu, à savoir créer une
quasi-responsabilité de plein droit à la charge du commissaire-
priseur. Il est souhaitable que les tribunaux reviennent à plus de
sagesse, spécialement parce que, en matière d’art, les certitudes
sont fluctuantes : ainsi, seule une faute volontaire, une
imprudence ou une négligence dûment prouvée par
l’adjudicataire devrait permettre d’engager la responsabilité du
commissaire-priseur. ■
Recueil Dalloz - 2007 - n° 32
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