32 juris.qxp - Frédéric Baillet Bouin
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32 juris.qxp - Frédéric Baillet Bouin
Le commissaire-priseur, responsable de plein droit envers l’adjudicataire d’une œuvre d’art ? Notes Commissaire-priseur Sommaire de la décision Vis-à-vis de la victime de l’erreur, le commissaire-priseur ou l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art sans assortir son propos de réserves engage sa responsabilité sur cette assertion. Le commissaire-priseur qui a recouru aux services d’un expert est fondé à demander sa garantie. Cour de cassation, 1re civ. 3 avr. 2007 LA COUR : - Attendu que le 22 novembre 1989 et par l’intermédiaire de la société civile professionnelle de commissaires-priseurs Ader Picard Tajan (la SCP), ellemême assistée de MM. X... et de A..., experts, M. Y... a acquis aux enchères publiques un tableau reproduit au catalogue et assorti des indications : « Jean Dufy (18881964). Aux courses. Gouache, signée en bas, à droite » ; qu’en 2001, il a sollicité M. Z..., lequel, dressant alors l’inventaire raisonné de l’œuvre de l’artiste, a mis en doute l’authenticité de l’objet présenté ; qu’une expertise judiciaire ayant révélé l’année suivante qu’il s’agissait d’un faux, et la société venderesse n’ayant pu être retrouvée, M. Y... a recherché la responsabilité de la SCP et de MM. X... et de A... ; Sur le premier moyen du pourvoi principal de M. X... et le premier moyen du pourvoi incident provoqué de M. de A... : - Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 14 décembre 2004) d’avoir, en violation de l’article 1382 du code civil, condamné in solidum la SCP et MM. X... et de A... à indemniser M. Y... en raison de ce que le tableau acquis par celui-ci, contrairement à sa conviction, n’était pas de Jean Dufy, et en refusant de donner effet à l’observation de l’expert judiciaire indiquant qu’au regard des connaissances à l’époque de la vente il était tout à fait Note de Frédéric Baillet Bouin © Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit Avocat aux barreaux de Paris et de New York P ar son arrêt du 3 avril 2007, la Cour de cassation conforte, au détriment du commissaire-priseur 1, la protection de l’adjudicataire (1) Le terme de « commissaire-priseur », utilisé par commodité de langage, vise la société de ventes volontaires (art. L. 321-4 s. c. com.). Il est en effet rare qu’une vente judiciaire (définie par l’art. 29, L. n° 2000-642, 10 juill. 2000 et conduite par un commissaire-priseur judiciaire, D. 2000. Lég. 318) porte sur des œuvres d’art ; sur les difficultés de qualification, L. Mauger-Vielpeau, Qualification de « la vente Giacometti » : une vente volontaire ou une vente judiciaire ?, D. 2005. Chron. 1404. (2) Pour un exposé des différentes définitions de la notion, Recueil Dalloz - 2007 - n° 32 concevable de conclure à l’authenticité, alors, selon le moyen, que l’expert ou le commissaire-priseur qui atteste celle-ci sans nuancer son affirmation n’engage sa responsabilité envers l’acquéreur que si, au moment où il est donné, cet avis apparaît erroné ou imprudent au regard des données acquises ; Mais attendu que la cour d’appel, qui a exactement énoncé que, vis-à-vis de la victime de l’erreur, le commissaire-priseur ou l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art sans assortir son propos de réserves engage sa responsabilité sur cette assertion, a constaté que la SCP et MM. X... et de A... avaient agi en commun, de sorte que leur responsabilité devait être admise ; que le moyen n’est pas fondé ; Et sur le second moyen du pourvoi de M. X... et le second moyen du pourvoi incident provoqué de M. de A..., tels qu’exposés aux mémoires et reproduits en annexe: - Attendu que par une motivation identique à celle du premier moyen, il est fait grief à la cour d’appel d’avoir, en violation de l’article 1147 du code civil, condamné in solidumMM. X... et de A... à garantir la SCP de la condamnation prononcée à son encontre au profit de M. Y... ; - Attendu que l’arrêt énonce à bon droit que le commissaire-priseur qui a recouru aux services de deux experts ayant attesté l’authenticité de l’œuvre présentée lors d’une vente est fondé à demander leur garantie ; que le moyen n’est pas fondé ; Par ces motifs, [...], rejette [...]. 05-12.238 (n° 472 FS-P+B) - Demandeur: Pacitti - Défendeur: Lahaussois - Composition de la juridiction: MM. Ancel, prés. Gridel, rapp. - Domingo, av. gén. - Me Hémery, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Defrénois et Lévis, av. - Décision attaquée: Cour d’appel de Paris (1re ch. A), 14 déc. 2004 (Rejet) Mots-clés: COMMISSAIRE-PRISEUR * Responsabilité * Vente aux enchères * Authenticité * Tableau * Expert * Faux * Réserve. - VENTE * Vente aux enchères * Commissaire-priseur * Tableau * Authenticité * Faux * Expert * Garantie * Authenticité * Erreur * Responsabilité contractuelle chaque fois que la description d’une œuvre d’art 2 présentée dans un catalogue de vente publique aux enchères 3 se révèle erronée. En 1989, un amateur s’était porté acquéreur d’une œuvre d’art ainsi décrite au catalogue : « Jean Dufy F. Duret-Robert, Droit du marché de l’art, 3e éd., Dalloz Action, 2007/2008, § 13.51 s., p. 41s. et, plus généralement, S. Lequette-de Kernevoaël, L’authenticité des œuvres d’art, LGDJ, 2006, préf. J. Ghestin. (3) Pour une explication du caractère inapproprié de la terminologie « vente aux enchères publiques » employée par la loi du 10 juillet 2000, pour partie codifiée dans le code de commerce, F. Duret-Robert, préc., § 11.07, p. 16 et L. Mauger-Vielpeau, Les ventes aux enchères publiques, Economica, 2002, préf. P.-Y. Gautier, p. 13 s. 1 ÉTUDES ET COMMENTAIRES Etudes et commentaires Notes Le Tribunal de grande instance de Paris commit un expert qui conclut à la fausseté de l’œuvre, tout en relevant qu’« à la date de la vente il était tout à fait concevable de conclure à l’authenticité de l’œuvre au regard des connaissances de l’époque ». Le tribunal débouta l’adjudicataire qui saisit la Cour d’appel de Paris. Le 14 décembre 2004, la cour infirmait le jugement et condamnait le commissaire-priseur in solidum avec les deux experts au motif que « le commissaire-priseur est tenu de ne donner que des informations exactes dans les catalogues mis à la disposition de la clientèle et dans la présentation des objets offerts à la vente ; en l’espèce [il] a affirmé sans réserves dans le catalogue de la vente [...] que le tableau litigieux était une œuvre de Jean Dufy ; [il] a engagé sa responsabilité sur cette affirmation inexacte sans qu’il soit nécessaire de caractériser autrement une faute de sa part » 4. La Cour de cassation vient de rejeter le pourvoi formé par les deux experts contre cet arrêt, jugeant que « vis-à-vis de la victime de l’erreur, le commissaire-priseur ou l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art sans assortir son propos de réserves engage sa responsabilité sur cette assertion ». Elle ajoute : « le commissaire-priseur qui a recouru aux services de deux experts ayant attesté de l’authenticité de l’œuvre présentée lors d’une vente est fondé à demander leur garantie ». La Cour de cassation impose ainsi une quasi-responsabilité de plein droit au commissaire-priseur (I), qui peut néanmoins demander la garantie de l’expert consulté (II). I - La responsabilité du commissaire-priseur envers l’adjudicataire d’une œuvre d’art du seul fait que le catalogue de vente est erroné L’article L. 321-17 du code de commerce dispose que le commissaire-priseur engage sa responsabilité au cours ou à l’occasion des ventes publiques aux enchères conformément aux règles applicables aux ventes judiciaires et volontaires. Il précise que les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du commissaire-priseur sont interdites et réputées non écrites, l’action en responsabilité contre celui-ci se prescrivant par dix ans à compter de l’adjudication. (4) Paris, 1re ch. A, 14 déc. 2004, Juris-Data, n° 259732. (5) V., avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000, Civ. 1re, 23 mars 1982, Bull. civ. I, n° 119 sur la qualité de mandataire reconnue au commissaire-priseur ; celui-ci pouvait aussi être qualifié de prête-nom dans certaines circonstances : Civ. 1re, 13 févr. 1983, Bull. civ. I, n° 65. (6) L’hypothèse d’une faute volontaire de la part du commissaire-priseur envers l’adjudicataire, de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l’art. 1382 c. civ., est, quoique moins courante, aussi envisageable ; V., par ex., Paris, 1re ch. B, 14 mars 1997, Gaz. Pal. 1997. 2. Somm. 482 et Juris-Data, n° 020811, dans une affaire où le commissaire-priseur avait attribué, « de façon qu’il savait erronée », la propriété d’un tableau à une collection particulière étrangère plus valorisante, tout en entretenant la croyance qu’un certificat d’authenticité serait remis à l’adjudicataire. (7) P. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, 2e éd., Defrénois, 2005, n° 53, p. 32; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Les obligations, 9e éd., Précis Dalloz, 2005, n° 728-729, p. 711. 2 La responsabilité civile du commissaire-priseur est tantôt contractuelle, tantôt délictuelle. Selon l’article L. 321-4 du code de commerce, le commissaire-priseur est le mandataire du vendeur (quoique, contrairement aux prescriptions de l’art. 1984 c. civ., il n’agisse pas en son nom puisque l’adjudicataire ignore le plus souvent l’identité du vendeur) 5. Il peut également, s’il s’adjoint les services d’un expert, conclure avec celui-ci un contrat d’entreprise. Dans ces deux hypothèses, la responsabilité du commissairepriseur est contractuelle. En revanche, le commissaire-priseur n’est lié par aucun contrat envers l’adjudicataire, si bien que c’est sur le terrain des articles 1382 et 1383 du code civil que sa responsabilité peut être recherchée par ce dernier 6. En matière de responsabilité quasi-délictuelle, la faute d’imprudence ou de négligence s’apprécie in abstracto par rapport au comportement normalement prudent et diligent du bon père de famille 7. Si un commissaire-priseur adopte un comportement d’homme de l’art normalement prudent et diligent, il ne commet en principe aucune faute de nature à engager sa responsabilité. C’est pourquoi l’argument développé devant la Cour d’appel de Paris par le commissaire-priseur (et les deux experts) reposait sur le constat formulé par l’expert judiciaire selon lequel « au regard des connaissances de l’époque il était tout à fait concevable de conclure à l’authenticité ». Dès lors, la position exprimée par le commissaire-priseur lors de la vente n’était pas erronée ou imprudente au regard des données acquises, ce qui l’exemptait de toute faute. La Cour de cassation écarte cet argument et valide l’analyse de la Cour d’appel de Paris exposée dans l’arrêt attaqué aussi bien que dans des décisions antérieures récentes, analyse selon laquelle « le commissaire-priseur [qui] est tenu de ne donner que des informations exactes dans les catalogues mis à la disposition de la clientèle [...] a engagé sa responsabilité sur cette affirmation inexacte sans qu’il soit besoin de caractériser autrement une faute de sa part » 8. La Cour de cassation condamne ainsi la position adoptée naguère par la Cour d’appel de Paris et bon nombre de juges du fond 9. Ainsi, en cas d’inexactitude du catalogue de vente, la responsabilité du commissaire-priseur n’était engagée que s’il avait commis une faute. La seule erreur d’attribution n’était pas en soi de nature à engager sa responsabilité, encore fallait-il qu’elle fût fautive. Le recours à un expert exonérait, sauf circonstances particulières, le commissaire-priseur de toute faute ; seul l’expert négligent était alors tenu d’indemniser l’adjudicataire 10. (8) Paris, 1re ch. A, 15 déc. 2003, Gaz. Pal., 11 mars 2004, p. 23, note H. Vray ; 7 sept. 2004, Gaz. Pal., 17 févr. 2005, p. 22, et Juris-Data, n° 254603. Ce mouvement jurisprudentiel a été amorcé par Paris, 1re ch. A, 15 janv. 2002, Juris-Data, n° 181708. V. aussi Paris, 1re ch. A, 22 mars 2004, Gaz. Pal., 30 déc. 2004, p. 37, et Juris-Data, n° 245483. (9) L’arrêt commenté trouve pour partie des précédents dans Civ. 1re, 22 avr. 1997, Bull. civ. I, n° 129 ; D. 1998. Jur. 272, note R. Martin, et 1999. Somm. 15, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 1998. 461, obs. J. Normand ; RTD com. 1997. 667, obs. B. Bouloc ; D. Affaires 1997. 759 ; 12 mars 2002, Bull. civ. I, n° 90, où l’obligation faite au commissaire-priseur de ne donner que des informations exactes dans son catalogue est énoncée, sans pour autant que sa faute soit établie du seul fait que l’information figurant au catalogue est erronée. (10) F. Duret-Robert, préc., § 141.33 s., p. 385 ; V. égal. Paris, 1re ch. B, 14 avr. 1995, Juris-Data, n° 021433 ; 23 mai 1997, Juris-Data, n° 021293 ; 25me ch. B, 6 oct. 2006, Juris-Data, n° 313152 ; Versailles, 1re ch. A, 15 mai 1997, Juris-Data, n° 044179 ; Dijon, 21 juin 2001, JCP 2002. IV. 1350 ; JurisData, n° 157261. Recueil Dalloz - 2007 - n° 32 © Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit (1888-1964). Aux courses. Gouache, signée en bas, à droite ». Le commissaire-priseur s’était fait assister de deux experts lors de la rédaction du catalogue. En 2001, après avoir présenté la gouache à l’auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Jean Dufy qui refusa de l’y inclure, l’adjudicataire assigna en responsabilité le commissaire-priseur et les deux experts, le vendeur n’ayant pu être retrouvé. Notes Si l’on ne peut qu’acquiescer à l’obligation faite à un commissaire-priseur « de ne donner que des informations exactes dans les catalogues mis à la disposition de la clientèle et dans la présentation des objets offerts à la vente », la circonspection s’impose en revanche lorsque la Cour de cassation retient la faute du commissaire-priseur au seul motif qu’il s’est trompé. L’erreur devient ainsi - en tant que telle - une faute, laquelle est de surcroît appréciée non pas au moment de sa commission mais a posteriori en l’état des connaissances existantes au jour où l’action est engagée par l’adjudicataire. Bien qu’elle ne le mentionne pas, la Cour de cassation s’appuie sur le décret n° 81-255 du 3 mars 1981 « sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection » dont l’article 1er vise, entre autres, les sociétés de ventes volontaires et les articles 2 à 6 établissent un certain nombre de « garanties » attachées aux mentions figurant sur les bordereaux de vente. Ce décret - pris à la suite d’affaires comme celle de la toile « signée G. Courbet, attribuée à Courbet » qui n’était pas à coup sûr « de Courbet » 11 - était destiné, ainsi que cela ressort de son intitulé, à protéger les acquéreurs d’œuvres d’art contre les artifices de présentation en dissipant les équivoques rédactionnelles. Le verbe « garantir » utilisé par le texte doit ainsi être compris comme synonyme de « certifier », c’est-à-dire « attester, affirmer avec assurance l’existence d’un fait » 12. Autant le recours au décret du 3 mars 1981 se comprend lorsqu’il s’agit de démontrer l’existence d’une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue et décrite dans un catalogue de vente 13, autant il nous semble hasardeux de lui faire produire quelque effet lorsqu’il s’agit d’exercer une action indemnitaire fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle. © Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit Si l’erreur est, par essence, évolutive en fonction des découvertes scientifiques, techniques ou historiques 14, la faute d’imprudence ou de négligence ne doit pouvoir s’apprécier que d’après l’état des données scientifiques, techniques ou historiques acquises au moment de l’expertise et de la vente de l’œuvre litigieuse. à la vente et, éventuellement, d’entrepreneur lorsqu’il se voit confier une mission d’investigation sur l’authenticité de l’objet à vendre. L’approche aujourd’hui retenue par la Cour de cassation, s’agissant de la responsabilité quasi-délictuelle du commissairepriseur envers l’adjudicataire, est plus sévère puisqu’elle impose au commissaire-priseur - qui aura pourtant pris toutes les précautions adéquates du professionnel normalement prudent et diligent en recourant à un expert et/ou en se forgeant une conviction au regard de l’ensemble des données disponibles - une responsabilité vis-àvis de l’adjudicataire encourue du seul fait que l’œuvre d’art aura a posteriori été judiciairement reconnue comme non authentique, alors qu’elle avait été présentée comme telle dans le catalogue de vente. La sévérité de la Cour de cassation est double : d’un point de vue substantiel car l’erreur devient en soi constitutive d’une faute ; d’un point de vue temporel car, pour apprécier la faute, il n’est plus tenu compte de l’état des connaissances existantes au jour de sa commission. La faute perd ainsi en consistance pour devenir d’une extraordinaire légèreté. Il est légitime de se demander si le recours formel à la notion de faute - auquel procède encore la Cour de cassation - ne dissimule pas, en réalité, la volonté d’instaurer une responsabilité de plein droit à la charge du commissaire-priseur chaque fois qu’une mention portée au catalogue de vente se révèle inexacte. II - Le recours du commissaire-priseur contre l’expert consulté afin de rédiger le catalogue de vente La rigueur de l’approche retenue par la Cour de cassation apparaît tempérée par le fait que le commissaire-priseur, qui a pris la précaution de s’adjoindre les services d’un expert, est fondé à demander sa garantie afin qu’il contribue au paiement de la condamnation. La question se pose de savoir quel est le fondement de cette garantie. Ainsi, dans la seconde affaire Poussin, où un tableau vendu comme étant de l’atelier de Poussin s’était révélé être de la main du Maître, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel de Paris d’avoir écarté toute faute et donc toute responsabilité de la part du commissaire-priseur envers le vendeur en raison, entre autres motifs, des « connaissances acquises au moment de la vente, résultant des avis unanimes exprimés », qui rendaient exempte de critique la mention simplement attributive inscrite au catalogue 15. La loi ne met à la charge de l’expert en œuvres d’art aucune garantie spéciale. En effet et d’une part, le décret n° 56-1181 du 21 novembre 1956 - dont l’article 23, alinéa 2, prévoyait que les indications portées au catalogue engageaient la responsabilité de l’expert solidairement avec celle du commissaire-priseur - a été abrogé par l’article 25 du décret n° 85-382 du 29 mars 1985 fixant le tarif des commissaires-priseurs. D’autre part, le décret précité du 3 mars 1981 ne vise pas les experts au titre des garanties établies par ses articles 2 à 6. Enfin, l’article L. 321-17, alinéa 1er, du code de commerce, selon lequel l’expert engage sa responsabilité au cours ou à l’occasion des ventes publiques aux enchères conformément aux règles applicables, n’ajoute rien. C’est donc vers la responsabilité contractuelle de droit commun qu’il faut se tourner. Il est vrai qu’il s’agissait là d’apprécier une responsabilité contractuelle puisque, dans ses relations avec le vendeur, le commissaire-priseur est son cocontractant en qualité de mandataire En recourant aux services d’un expert, le commissaire-priseur conclut avec lui un contrat d’entreprise aux termes duquel l’expert est, en principe, tenu d’une obligation de mettre en œuvre tous les (11) Civ. 1re, 16 déc. 1964, Bull. civ. I, n° 575 ; D. 1965. 136. d’appréciation postérieurs à la vente pour prouver l’existence d’une erreur de leur part au moment de la vente ». (12) G. Cornu, Vocabulaire juridique, 7e éd., PUF, 2005, p. 141. (13) Civ. 1re, 27 févr. 2007, D. 2007. Jur. 1632, note P.-Y. Gautier. (14) V., dans la première affaire Poussin, Civ. 1re, 13 déc. 1983, D. 1984. Jur. 340, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1984. 109, obs. F. Chabas ; GAJC, 11e éd., n°,148, qui reconnaît aux acquéreurs « le droit de se servir d’éléments Recueil Dalloz - 2007 - n° 32 (15) Civ. 1re, 17 sept. 2003, Bull. civ. I, n° 183 ; RTD civ. 2005. 123, obs. J. Mestre et B. Fages ; Gaz. Pal. 2004. 1049, note S. Crevel ; CCC 2004, n° 2, note L. Leveneur ; sur pourvoi contre Paris, 28 juin 2001, Juris-Data, n° 181698. 3 ÉTUDES ET COMMENTAIRES Désormais, le commissaire-priseur est responsable des mentions erronées de son catalogue même s’il fait appel à des experts qui certifient l’authenticité de l’objet et - surtout - même si, compte tenu des connaissances acquises à l’époque de la vente, il est concevable de considérer l’œuvre d’art litigieuse comme authentique. Notes L’éventuelle garantie contractuelle de l’expert doit être distinguée du recours subrogatoire en contribution que le commissaire-priseur peut exercer contre lui sur le fondement de l’article 1251, 3°, du code civil, s’il est condamné in solidum ou solidairement avec l’expert à indemniser la victime. En effet, et d’une part, quand bien même le décret du 21 novembre 1956 dont l’article 23, alinéa 2, prévoyait une responsabilité « solidaire » de l’expert et du commissaire-priseur - a été abrogé en 1985, la jurisprudence a maintes fois eu l’occasion de retenir la responsabilité in solidum du commissaire-priseur et de l’expert vis-à-vis de l’adjudicataire chaque fois que leurs fautes respectives avaient concouru à la réalisation du dommage 19. D’autre part, et surtout, l’article L. 321-31, alinéa 2, du code de commerce dispose que l’expert « est solidairement responsable avec l’organisateur de la vente pour ce qui relève de son activité ». Désormais, la solidarité légale est à nouveau la règle en matière de responsabilité civile de l’expert et du commissaire-priseur 20. C’est donc au stade de la contribution au paiement de la condamnation que l’expert pourra être amené à y participer en remboursant au commissaire-priseur toute somme que ce dernier aura versée à l’adjudicataire, et ce, au prorata de la part de dommage finalement mise en sa charge. Toutefois, la clé de répartition de la condamnation - qui est traditionnellement fonction de la gravité des fautes respectives en matière de responsabilité pour faute 21 - pose ici problème puisque l’expert comme le commissaire-priseur sont désormais responsables quasiment de plein droit envers la victime. Dès lors, comment répartir la condamnation solidaire autrement que par part virile ? C’est la position adoptée par la jurisprudence en matière de responsabilité du fait des choses 22. (16) En matière de prestation de services de nature intellectuelle, la jurisprudence considère traditionnellement que le prestataire est tenu d’une obligation de moyens : Rouen, 1er mars 1995, JCP 1996. IV. 405, et Juris-Data, n° 047693 pour l’expert en œuvres d’art ; V. égal. les réf. citées in F. Duret-Robert, préc., § 143.12 s., p. 359. (17) Paris, 15 janv. 2002, préc. (18) Implicitement, Paris, 25e ch. B, 6 oct. 2006, préc. (19) Par ex., Paris, 1re ch. B, 14 mars 1997, préc. (20) Certains auteurs considèrent que l’art. L. 321-31, al. 2, c. com. crée une présomption de responsabilité solidaire à la charge du commissaire-priseur et de l’expert : V. entre autres F. Duret-Robert, préc., § 141.13 s., p. 382 et § 142.25, p. 396. Cette analyse nous semble excessive car, d’une part, si cet article crée un cas de solidarité légale, sauf à forcer le texte, il ne présume aucunement la faute de l’expert ni celle du commissaire- 4 Ainsi, le commissaire-priseur pourrait ne jamais, au stade de la contribution à la dette, obtenir le remboursement intégral des dommages-intérêts versés par lui à la victime, et ce, alors qu’il a pris toutes les précautions possibles en faisant appel à un expert réputé. Afin d’échapper à cette conséquence, l’appréciation de la faute - cette fois conformément aux standards ordinaires - pourrait, à l’instar de ce qui existe en matière d’accident de la circulation 23, être réintroduite dans le rapport de contribution à la dette existant entre l’expert et le commissaire-priseur afin de fixer la part contributive de chacun, alors que la faute est appréciée de manière extrêmement souple dans leur rapport solidaire d’obligation à la dette envers l’adjudicataire. Ainsi, envers la victime, il y aurait une quasi-responsabilité de plein droit tandis qu’entre les coauteurs du dommage, la responsabilité pour faute classique retrouverait son empire. Mais, dans une telle hypothèse, la faute de l’expert devrait être déterminée au regard du droit commun de la responsabilité quasidélictuelle. Or, en raison des données acquises à l’époque de l’expertise, une faute de négligence ou d’imprudence pourrait ne pas être retenue à la charge de l’expert, si bien que le commissairepriseur pourrait demeurer seul contraint de contribuer à l’indemnisation de la victime. Afin de contourner cet écueil, il pourrait, en lieu et place de la gravité des fautes respectives, être fait référence au rôle causal du comportement de l’expert - même non fautif - qui aura été prépondérant - pour ne pas dire exclusif - dans la réalisation du dommage. Il s’agirait alors de permettre au commissaire-priseur d’exercer un recours contre l’expert « dans la mesure de sa part de responsabilité » 24, en sorte que in fine c’est l’expert qui supporterait seul le paiement des dommages-intérêts. Mais, dans une telle hypothèse, la mise en cause solidaire du commissairepriseur, afin que l’adjudicataire bénéficie d’un second débiteur en sus de l’expert, apparaît en pratique assez largement dépourvue d’utilité. En effet, l’expert, qui peut aisément être directement poursuivi puisque ses coordonnées figurent sur le catalogue de vente, est pleinement solvable compte tenu de son obligation de souscrire une assurance garantissant sa responsabilité professionnelle (art. L. 321-31, al. 1er, c. com.). En conclusion, cet arrêt surprend en ce qu’il semble s’écarter des règles classiques de la responsabilité civile du fait personnel s’agissant de la détermination de la faute, jusqu’à la réduire à sa plus simple expression. Ensuite, à lire la motivation très générale de la Cour de cassation, on ne peut que se demander si, lorsque c’est le vendeur qui sera « victime de l’erreur » portée sur le catalogue (ainsi que cela était le cas dans la seconde affaire Poussin), la responsabilité contractuelle du commissaire-priseur à son égard s’alignera sur sa responsabilité délictuelle et sera alors fondée sur une obligation de résultat aggravée, ou si elle continuera priseur, et, d’autre part, en matière de responsabilité du fait personnel et sauf cas de responsabilité spéciale fondée sur le risque (accident de la circulation par exemple), une faute doit nécessairement être prouvée par la victime qui ne bénéficie d’aucune présomption. (21) F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, préc, n° 891, p. 866. (22) Civ. 2e, 22 févr. 1989, Bull. civ. II, n° 43 ; 10 mai 1991, Bull. civ. II, n° 134 ; RTD civ. 1992. 127, obs. P. Jourdain. (23) Civ. 2e, 14 janv. 1998, D. 1998. Jur. 174, note H. Groutel ; RTD civ. 1998. 393, obs. P. Jourdain ; 9 oct. 2003, Bull. civ. II, n° 294 ; D. 2003. IR. 2550 ; 8 juill. 2004, Bull. civ. II, n° 343 ; D. 2004. IR. 2836. (24) F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, préc., n° 891, p. 866 ; Civ. 2e, 2 juill. 1969, Gaz. Pal. 1969. 2. 311 ; 11 févr. 1981, D. 1982. Jur. 255, note E. Agostini. Recueil Dalloz - 2007 - n° 32 © Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit moyens pour authentifier ou non l’objet soumis à son examen 16. La mise en œuvre de la responsabilité de l’expert envers le commissaire-priseur repose donc sur l’existence d’une faute qui doit être démontrée. S’il est établi que l’expert a mis en œuvre tous les moyens à sa disposition et que l’état des données acquises lors de l’expertise était tel qu’il était possible, pour un professionnel normalement prudent et diligent, de considérer comme authentique une œuvre qui s’est plus tard révélée fausse, sa faute pourra difficilement être retenue et le commissaire-priseur sera privé du bénéfice de la responsabilité contractuelle de son expert. Il convient toutefois de ne pas négliger l’inflexion récente de la jurisprudence qui tend à retenir la responsabilité contractuelle de l’expert sans tenir compte des moyens d’investigation mis en œuvre ni des données acquises lors de l’expertise, en sorte que l’expert pourrait désormais apparaître comme tenu d’une obligation de résultat aggravée 17, ce mouvement n’étant pas toutefois encore unanimement suivi 18. Notes à ne pouvoir être recherchée que s’il est démontré qu’il a commis une faute. © Dalloz - La photocopie non autorisée est un délit ÉTUDES ET COMMENTAIRES Cette situation résulte de la volonté de faire jouer à un modeste décret un rôle pour lequel il n’a pas été conçu, à savoir créer une quasi-responsabilité de plein droit à la charge du commissaire- priseur. Il est souhaitable que les tribunaux reviennent à plus de sagesse, spécialement parce que, en matière d’art, les certitudes sont fluctuantes : ainsi, seule une faute volontaire, une imprudence ou une négligence dûment prouvée par l’adjudicataire devrait permettre d’engager la responsabilité du commissaire-priseur. ■ Recueil Dalloz - 2007 - n° 32 5