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m i s e
a u
p o i n t
Hyperuricémie
et risque cardiovasculaire
■ P. Zaoui*
a notion de risque implique une définition
et une validation de marqueurs intermédiaires associés de manière claire à la survenue d’événements indésirables graves. Dans
le domaine cardiovasculaire, de nombreux critères biologiques et cliniques permettent de
définir le risque cardiovasculaire absolu pour un
individu donné, tels que la pression artérielle, la
présence de diabète, le tabagisme, la sédentarité,
le LDL-cholestérol. Ils apparaissent cependant
insuffisants en termes de valeur prédictive
d’événements cardiovasculaires graves chez les
sujets considérés comme à faible risque.
L’insuffisance rénale chronique a été définie
comme un facteur à part entière de risque vasculaire dans des études post hoc de suivi de
patients athéromateux et coronariens (1). Sur le
plan épidémiologique, l’impact de l’insuffisance
rénale, même modérée, est maintenant confirmé
dans la population générale (2), alors que les
premiers arguments avaient déjà été avancés,
mais sous-estimés, dans les études de
Framingham. Dans la définition du patient à haut
risque, comme chez le patient insuffisant rénal,
la littérature abonde en marqueurs plus ou
moins anciens et plus ou moins ésotériques fondés sur les connaissances moléculaires récentes
de l’athérothrombose, de l’inflammation (interleukines, protéine C réactive [CRP], microalbuminurie) et de la rétention des moyennes molécules
(ß2-microglobuline, carnitine, homocystéine),
faisant intervenir des voies de signalisation
(angiotensine II, stress oxydant, kinases, cytokines et facteurs de croissance, protéases) souvent éloignées de notre pratique quotidienne.
Parmi les produits du métabolisme dont les
concentrations sont facilement mesurables sur
prélèvement veineux périphérique, l’acide
urique a surtout été décrit comme pathogène
dans les manifestations articulaires des crises
L
* Néphrologie,
département d’uro-néphro-endocrinologie
(DUNE), CHU de Grenoble.
60
de goutte et dans certaines formes de lithiases
urinaires. Cependant, ses conditions de production, son contrôle génétique au cours de l’évolution et dans l’espèce humaine, son rôle d’acide
faible anti- puis pro-oxydant en fonction de sa
concentration, sa rétention au cours de l’insuffisance rénale, comme les effets hypo- ou hyperuricémiants de nombreux médicaments notamment à visée cardiovasculaire (diurétiques, chimiothérapies, losartan, allopurinol, fibrates), en font
un témoin et peut-être un acteur du risque cardiovasculaire.
BASES PHYSIOPATHOLOGIQUES.
QU’EST-CE QUE L’ACIDE URIQUE ?
L’acide urique est le dérivé terminal du métabolisme des bases purines des acides nucléiques
chez les mammifères supérieurs. Chez les
oiseaux et les petits mammifères, l’acide urique
est transformé en allantoïne par une uricase,
non fonctionnelle chez l’homme. Cette mutation
contemporaine du miocène est associée à une
meilleure régulation du stress oxydant par les
enzymes du métabolisme des radicaux libres
(SOD, catalase) et à un allongement de l’espérance de vie des omnivores. L’acide urique est
un acide faible, moins facilement dissocié
(urates) à pH acide. Son transport s’effectue de
façon passive sous forme soluble dissociée,
mais il est aussi assuré de manière active par les
transporteurs des anions organiques (OAT) en
même temps que celui du sodium et du lactate.
Dans les situations d’ischémie et d’acidose
comme d’hypovolémie et de déplétion sodée, le
transport préférentiel du sodium et du lactate se
fera aux dépens de l’excrétion des urates, aboutissant à l’augmentation des taux circulants
d’acide urique.
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005
La production d’acide urique (figure 1) provient
pour 25 à 50 % des acides nucléiques de l’alimentation carnée. À cet apport exogène s’associe le renouvellement des bases puriques de la
muqueuse intestinale ; et, dans les situations
inflammatoires digestives (Crohn), l’hyperuricémie, favorisée par l’augmentation du transfert et
du renouvellement intestinal, est en partie responsable du risque lithiasique urinaire des
pathologies digestives chroniques. Le cycle
entéro-hépatique des sels biliaires permet l’élimination de 30 % du pool d’acide urique dans
les féces. Un régime strictement végétarien ne
modifiera donc au maximum que 20 % des taux
d’acide urique circulant.
La production d’acide urique, à 70 % endogène,
à partir des bases xanthiques sous l’effet de la
xanthine-oxydase (enzyme du stress oxydant),
est principalement le reflet du métabolisme (et
éventuellement de l’ischémie) hépatique et pla-
Acides nucléiques
alimentaires
25-50 %
Réabsorption
R
E
I
N
Bile
Acides nucléiques de l'intestin
Foie
A
NT
CE
LA
P
HX/xanthine
XO
Acide urique
30 %
Uricase
Allantoïne
70 %
Filtration
glomérulaire
+
Sécrétion
tubulaire
Figure 1.
Tableau. Pharmacologie de l’excrétion des urates.
Inhibiteurs de sécrétion
(hyperuricémie)
✓ pyrazinamide
✓ oligurie (IRF)
✓ diurétiques (long terme)
✓ hypovolémie
Inhibiteurs de réabsorption secondaire
(uricosurie)
✓ probénécide
✓ salicylates
✓ losartan
✓ hyperdiurèse (diabète)
✓ hypervolémie
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centaire, d’où sa production accrue dans les
états de choc et la prééclampsie.
Les taux normaux d’acide urique plasmatique
varient du simple au double (210-420 µmol/l ou
35-70 mg/l) dans la population générale en
fonction du niveau d’uricosurie. Celui-ci, sous la
dépendance d’un contrôle génétique modulé
par le niveau de la réabsorption sodée, a une
amplitude d’un facteur 4 de 2 à 8 mmol/24 h,
soit 0,3 à 1,2 g/24 h. Les urates circulants suivent le cheminement du chlorure de sodium.
Leur taux est donc un reflet de la volémie, de
l’hémodynamique rénale et de l’état de concentration/dilution des urines. Librement filtré dans
les glomérules, l’urate chargé négativement est
réabsorbé à 99 % dans le tube proximal.
L’uricosurie provient de la sécrétion des urates
dans le tube distal, suivie d’une réabsorption
postsécrétoire qui définit la fraction excrétée
(environ 10 % de la charge filtrée). Il existe donc
deux situations schématiques de modification
de l’excrétion rénale de l’urate (tableau) :
✓ L’inhibition de la sécrétion, qui conduit à l’hyperuricémie, est observée en cas d’oligurie,
d’hypovolémie et d’insuffisance rénale fonctionnelle, ou liée à l’utilisation au long court de diurétiques ou de pyrazinamide.
✓ L’inhibition de la réabsorption secondaire des
urates dans le tube distal induit une hyperuricosurie et une baisse des taux plasmatiques d’acide
urique dans les situations inverses telles que
l’hypervolémie et l’hyperdiurèse (hyperglycémie), l’introduction des diurétiques avant la
phase d’hypovolémie, l’utilisation de bloqueurs
compétitifs des transporteurs tubulaires des
anions organiques (probénécide, salicylates,
benziodarone, losartan). Le risque de lithiase,
fonction du pH et du volume urinaires, est théoriquement faible en cas d’urines alcalines faiblement concentrées.
ARGUMENTS EXPÉRIMENTAUX
Le rôle pathogène de l’acide urique a été suspecté
du fait de sa production au cours des phénomènes de lyse cellulaire (tumor lysis syndrome)
et de dysfonction endothéliale. Cet acide faible a
un rôle biphasique in vitro : à taux faible, il limite,
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mais à taux plus élevé il accentue l’oxydation des
acides gras libres et des LDL comme l’adhésion
des plaquettes et des monocytes. L’apport d’acide
urique sur des cellules musculaires lisses vasculaires en culture (3) implique le transfert membranaire par les transporteurs des anions organiques, transfert qui peut être contrecarré par
des inhibiteurs (probénécide, salicylates, losartan). L’augmentation des concentrations d’acide
urique intracellulaire active des MAP kinases responsables du transfert nucléaire du facteur de
transcription NF/KB ainsi que de la mise en jeu
des promoteurs AP-1 des gènes des réponses
inflammatoires (MCP-1, COX-2) et fibrosantes
(PDGF, TGFß, TIMP) au stress oxydant.
Les modèles expérimentaux conventionnels
chez le rat sont de mauvais reflets de l’effet proinflammatoire de l’acide urique, car ces animaux
métabolisent et éliminent rapidement l’acide
urique en allantoïne. L’inhibition de l’uricase par
l’acide oxonique, chez des rats soumis à un régime
hyposodé et donc en réabsorption maximale de
sodium et d’acide urique, induit en 7 semaines
une vasculopathie rénale et hypertensive sévère,
dépendante de l’élévation des taux d’acide
urique, et modulable par l’allopurinol (4). Les
auteurs ont observé une infiltration macrophagique et la production in situ d’une matrice
extracellulaire aboutissant à une insuffisance
rénale sévère des animaux. Cette fibrose vasculaire rénale est dépendante de la mise en jeu
de la rénine et de l’inhibition de la NO synthase.
En effet, l’addition de L-arginine, l’inhibition
de l’enzyme de conversion (énalapril) comme
celle de la xanthine-oxydase (allopurinol) améliorent les caractéristiques histologiques rénales
et protègent la fonction rénale des animaux
indépendamment du contrôle de la pression
artérielle.
Il est intéressant de noter que l’inhibition de la
dégradation de l’acide urique est inefficace en
situation normosodée et en l’absence d’hyperaldostéronisme. L’utilisation de l’acide oxonique
aggrave l’hypertension artérielle (HTA), la fibrose
rénale et la dégradation de la fonction rénale
chez des rats ayant subi une néphrectomie des
5/6e, avec une vasculopathie des artérioles préglomérulaires contrôlable par inhibition des COX-2
et du système rénine-angiotensine rénaux.
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UTILISATION DU MARQUEUR “URICÉMIE”
Chez l’homme, on dispose surtout d’études épidémiologiques et d’observation. Elles permettent de noter l’association entre l’élévation des
taux d’acide urique et la survenue d’événements
cardiovasculaires. Vingt à soixante pour cent des
patients goutteux présentent une dysfonction
rénale, avec des lésions histologiques de glomérulosclérose, d’artériolopathie, de dépôts cristallins et de fibrose interstitielle dans plus de
80 % des cas autopsiés (5). L’élévation de l’uricémie est associée mais non précessive de la
prééclampsie. L’hyperuricémie est de mauvais
pronostic dans l’insuffisance cardiaque (6), mais
de manière non indépendante de l’hypoperfusion rénale et de la dose de diurétiques utilisée.
L’uricémie est un facteur pronostique de mortalité à court terme chez la femme blanche de plus
de 80 ans dans la population générale, sans
facteur de risque cardiovasculaire ou traitement
associés. L’uricémie est aussi un facteur de
risque indépendant de mauvais pronostic et de
récidive d’événements cardiovasculaires après
un accident vasculaire cérébral (AVC) (7).
Ce sont surtout les situations d’HTA du sujet
jeune, d’HTA dépendante des apports sodés et de
néphropathies héréditaires hyperuricémiques qui
fournissent le plus d’éléments informatifs sur le
métabolisme rénal de l’acide urique et ses liens
avec l’équilibre de la balance sodée. Dans l’étude
OLIVETTI de génétique des populations (8), la
recherche de polymorphismes génétiques, parmi
918 génotypes testés, a montré l’absence d’effets
en termes de risque hypertensif, de chacun des
allèles testés pris isolément. En revanche, les individus triples homozygotes pour des allèles mutés
de l’enzyme de conversion (I/D), de l’angiotensinogène (M235T), du récepteur AT1 de l’angiotensine II (A1166C) ou de l’aldostérone-synthase
(C34T) présentaient une diminution significative
de l’excrétion du sodium, du lithium et de l’acide
urique, avec un risque de développer une HTA
multiplié par 3,4 à âge, IMC et autres facteurs de
risque identiques. Un travail allemand (9) a aussi
montré une association entre l’élévation de l’uricémie et le développement d’une HTA du sujet
jeune et, plus intéressant, un contrôle identique
des niveaux de pression artérielle par un uricosu-
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005
rique (benziodarone) et par un antialdostérone.
Cinq familles porteuses d’hyperuricémie familiale
avec hypo-uricosurie et insuffisance rénale progressive ont été montrées porteuses d’une mutation autosomique dominante d’une protéine
membranaire tubulaire abondante dans l’anse
de Henle, la protéine de Tamm et Horsfall, déjà
connue comme mutée dans les maladies héréditaires kystiques de la médullaire (10). Dans une
étude récente (11), sur 6 400 sujets ayant une
fonction rénale normale, ceux dont le taux
d’acide urique se situait dans le quartile le plus
élevé (> 80 mg/l) avaient un risque de développer une insuffisance rénale chronique trois fois
plus élevé pour les hommes et dix fois plus élevé
pour les femmes, comparativement au quartile
d’acide urique le plus faible (< 50 mg/l). L’augmentation du risque relatif persistait après ajustement sur les facteurs de risque conventionnels
(âge, IMC, pression artérielle systolique, cholestérol, consommation d’alcool, etc.).
On peut donc faire l’hypothèse mécaniste suivante (12) : déficit congénital (mutation THP) ou
acquis (néphropathie) d’excrétion fractionnelle
d’acide urique et de sodium ⇒ hypertension
sensible au sel ⇒ fibrose vasculaire et rénale
⇒ événements cardiovasculaires et insuffisance
rénale progressive.
L’hyperuricémie apparaît donc comme un reflet
intégré de l’hémodynamique vasculaire et rénale
des sujets à risque et, dans certains cas
(néphropathies hyperuricémiques), associé à un
défaut moléculaire tubulaire. Mais son rôle
propre dans la progression de l’athérothrombose
implique des études prospectives de cohortes
où l’intervention visant à diminuer, isolément ou
en addition au traitement de référence, le pool
d’acide circulant pourrait améliorer significativement le nombre et le pronostic des événements cardiovasculaires et rénaux. Ces études
manquent du fait des facteurs de confusion
nombreux (degré d’insuffisance rénale, rôle des
diurétiques, effet antioxydant de l’allopurinol,
etc.) dans une population non homogène (HTA
essentielle, HTA sensible au sel, coronaropathies, insuffisance cardiaque), et surtout de
l’absence de traitement innovant et peu toxique
motivant l’intérêt des cliniciens et de l’industrie
pharmaceutique.
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ÉVALUATION DES INTERVENTIONS.
RISQUE CARDIOVASCULAIRE ET RÉNAL
Il paraît logique aujourd’hui d’intégrer le suivi
rénal au suivi cardiovasculaire des sujets à
risque. L’atteinte rénale est une fenêtre sur
l’arbre vasculaire, mais aussi un facteur aggravant en termes de risque vasculaire. Un diabétique de type 2, au stade de la protéinurie, a
dix fois plus de risques de présenter un infarctus
du myocarde que de nécessiter une prise en
charge par rein artificiel. L’impact pronostique de
mesures simples comme celle de la créatinine,
la microalbuminurie ou la formule de Cockcroft
a été confirmé dans de nombreuses études de
protection cardiovasculaire et rénale, et le rôle du
blocage du système rénine-angiotensine semble
apporter une spécificité dans le contrôle du
remodelage artériel qui va au-delà de la mesure
de la pression artérielle humérale conventionnelle. Cependant, malgré le nombre des études
récentes de grande ampleur, la diversité des sujets
inclus (prévention primaire, postinfarctus, microalbuminuriques, insuffisants rénaux sévères)
empêche d’avoir des recommandations d’utilisation facile quant aux classes d’antihypertenseurs
utilisables (13), à l’effet de leurs associations,
éventuellement en première intention, comme au
type et au rythme de monitoring morphologique
(hypertrophie ventriculaire gauche [HVG], épaisseur intima media [EIM], rigidité artérielle, etc.)
ou biologique (CRP, homocystéine, LDL, HDL)
nécessaire. Dans ce contexte, l’hémo-dynamique
rénale ne se limite pas aux conditions de pressions glomérulaires et à l’excrétion urinaire
d’albumine (14). Des anomalies tubulaires précoces (15) sont observées dans le diabète, et
l’effet du blocage de l’angiotensine II est une
redistribution vasculaire rénale avec levée de la
vasoconstriction, surtout médullaire. La dégradation de la fonction rénale et les événements
cardiovasculaires surviennent chez 30 % des
diabétiques de type 2, mais aussi dans le type 1,
et chez plus de 80 % des patients porteurs de
néphropathies vasculaires, malgré des taux
faibles, voire nuls, de microalbuminurie.
Dans ce contexte, l’étude LIFE (figure 2) (16)
apporte un bénéfice de 13 % d’événements évités
en termes de protection cardiovasculaire globale
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Aténolol
Losartan
16
Proportion de patients
ayant un premier événement (%)
a u
14
12
10
8
6
4
2
réduction du risque relatif ajusté : 13-0 %, p = 0,021
0
0
6
12
18
24
30
36
42
48
54
60
66
Temps (mois)
Figure 2. Comparaison d’une stratégie de prise en charge de l’hypertendu à risque pour aténolol ou losartan
dans l’étude LIFE.
par une stratégie antihypertensive fondée sur
un blocage des récepteurs de l’angiotensine par
le losartan, comparativement à un bêtabloquant
conventionnel.
Marqueurs de risque
✓ HVG ➚
✓ Excrétion urinaire
d’albumine basale ➚
✓ Réduction HVG ➘
✓ Réduction excrétion
urinaire d’albumine ➘
✓ Uricémie basale ➚
✓ Réduction de l’uricémie ➘
✓ Réduction
de l’hémoglobine ➘
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La principale différence significative en termes
d’événements est la réduction du nombre d’AVC
dans le groupe losartan, et la principale différence biologique est une réduction plus marquée du niveau d’excrétion urinaire d’albumine.
Le principal facteur pronostique morphologique
d’événements cardiovasculaires est la présence
d’une HVG. Tout se passe comme si l’utilisation
du losartan permettait de ramener le risque des
patients porteurs d’HVG ou présentant une
microalbuminurie au même niveau que celui
présenté par les patients indemnes de ces marqueurs.
L’une des propriétés pharmacologiques de cet
antagoniste compétitif de l’angiotensine II sur les
récepteurs de type 1 est l’effet de la molécule
mère sur le transfert tubulaire des anions organiques, effet qui n’est pas retrouvé avec les autres
ARA 2 et qui est indépendant de la liaison du
losartan à son récepteur cible. Cet effet tubulaire
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aboutit à une excrétion rénale d’urates significativement plus élevée tout au long du traitement, avec une baisse de l’uricémie de 5 à 10 %
qui n’est cependant significative qu’après 2 ans
de traitement. Il faut remarquer que, dans les
deux groupes –, le niveau d’uricémie augmente
progressivement au cours des 5 ans de suivi,
soit du fait de l’augmentation des diurétiques –
qui est cependant identique dans les deux
groupes –, pour atteindre les cibles tensionnelles
recommandées, soit parce que l’évolutivité des
lésions vasculaires et rénales entraîne une production et/ou un défaut d’élimination de l’acide
urique qui a tendance à se majorer au cours du
temps.
De manière indépendante et additive, les marqueurs de risque retrouvés dans cette cohorte
sont les valeurs basales de la masse ventriculaire,
le niveau d’excrétion urinaire d’albumine, l’uricémie et surtout, a posteriori, leur absence de
réduction par le traitement. Le phénomène
inverse s’observe avec la production érythrocytaire ; l’anémie est un marqueur indépendant
de risque cardiovasculaire, retrouvé classiquement chez l’insuffisant rénal, et chaque baisse
d’un point du chiffre d’hémoglobine aggrave le
risque d’événements cardiovasculaires, en particulier cérébraux. Il faut noter que les niveaux
moyens d’anémie ne diffèrent pas d’un groupe
à l’autre malgré l’effet anémiant théorique
des ARA 2 qui pourrait être contrecarré par le
maintien de la fonction rénale et de la synthèse
d’érythropoïétine.
L’analyse statistique des facteurs associés à
l’atteinte du critère combiné cardiovasculaire
par le modèle de COX confirme une association
entre le taux d’uricémie à l’entrée de l’étude
et les événements cardiovasculaires recensés.
L’augmentation du risque est d’environ
2,4 ± 0,7 % par 10 µmol d’élévation de l’uricémie. L’augmentation moyenne de l’uricémie
dans le groupe aténolol est de 44,4 ±72,7 µmol,
contre 17,0 ± 69,8 µmol dans le groupe losartan,
l’importante variabilité étant liée à l’hétérogénéité des patients et des traitements. Malgré
cette dispersion des valeurs, la baisse relative
de l’acide urique d’un tiers semble contribuer
dans 29 % des cas à la réduction des événements dans le groupe losartan.
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Malgré les limites de ces analyses factorielles a
posteriori, et à défaut d’une comparaison directe
entre ARA 2, l’uricémie moyenne d’un sujet et
son évolution au cours du temps apparaissent
comme un moyen simple, même s’il reste secondaire par rapport aux marqueurs cliniques et
biologiques forts, de juger du niveau de risque
et de l’effet des interventions.
CONCLUSION :
RENOUVEAU OU ÉPIPHÉNOMÈNE ?
Nous savons malheureusement assez bien
définir les sujets à haut et très haut risque cardiovasculaire, l’insuffisant rénal en dialyse en
étant un archétype. Mais, dans ces cohortes,
les interventions médicamenteuses par les statines (4D) ou les inhibiteurs de l’enzyme de
conversion (IEC) paraissent décevantes au
regard des facteurs de risque déjà présents.
La surveillance des taux d’uricémie semble
plus prometteuse en amont, surtout chez les
sujets dont le risque cardiovasculaire paraît plus
faible. Dans ce contexte, la stratification des
niveaux de risque et la définition de groupes
homogènes de patients à risque nécessitent
d’affiner notre phénotypage clinique (syndrome
métabolique) et biologique. L’uricémie devrait
retrouver sa place dans la définition du syndrome
métabolique et dans l’évaluation de la réponse
rénale des hypertendus. Surtout, la pharmacopée s’est appauvrie en France ; la plupart des
uricosuriques ne sont plus commercialisés, et
les études d’intervention doivent prendre en
compte le maximum de marqueurs intermédiaires dans les populations à faible risque pour
proposer des conduites thérapeutiques, sans
attendre les événements cardiovasculaires
majeurs, qui mettront une à deux décennies à
être évalués.
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2005
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