L`allocution de l`ambassadeur

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L`allocution de l`ambassadeur
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05.06.2009
Discours de l’Ambassadeur de France
Bernard de Montferrand
à l’occasion de la remise des insignes
de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres
à Mme Marie-Pierre Langlamet et M. Emmanuel Pahud
- le 5 juin 2009 ------------------------------------------------------------------
Chère Madame Langlamet,
Cher Monsieur Pahud,
Mesdames et Messieurs,
Cher Monsieur Boulez,
Meine lieben Freunde. Ich bin in Deutschland, und ich sollte daher zu Ihnen auf Deutsch
sprechen. Da ich mich heute aber innerhalb der Botschaft Frankreichs in Berlin an zwei
Französischsprachige wende, denke ich, dass Sie verstehen werden, wenn ich zu ihnen in
meiner Muttersprache spreche.
Cette cérémonie revêt pour moi une importance toute particulière car il s’agit aujourd’hui de
rendre hommage à la musique à Berlin, un haut lieu de cet art, et de le faire en distinguant une
musicienne française et un musicien franco-suisse de grand talent, qui tiennent une place
essentielle dans l’un des meilleurs orchestres du monde. Chère Marie-Pierre Langlamet, cher
Emmanuel Pahud vous faites partie de l’une des plus hautes méritocraties de la musique car
chacun connaît l’exigence qui s’attache au recrutement de la Philharmonie. Vous faites honneur
à ce que la France a de meilleur. La République souhaite aujourd’hui vous en remercier
Avant de revenir sur vos mérites respectifs à l'un et à l'autre, je voudrais souligner combien la
présence de deux musiciens français au sein de cet orchestre est à mes yeux un beau symbole
de la relation entre nos deux pays. Car, en matière de musique comme dans tant d’autres
domaines, l’histoire franco-allemande est un condensé d’admiration réciproque, voire de
fascination pas toujours avouée, et de rivalités parfois exacerbées, bref une relation
passionnelle qui suit ou rencontre la trame tragique de nos relations politiques. Rappelons-nous
toutes les passions qui se sont cristallisées lorsque Wagner a remis en cause les canons du
Grand Opéra français et comment la musique française s’est ensuite construite autour de cette
opposition, à l’image de Berlioz puis de Debussy qui voyait en Wagner « un beau coucher de
soleil que l’on a pris pour une aurore. »
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Aujourd’hui nos échanges musicaux sont devenus, comme notre réconciliation, d’une
extraordinaire vitalité. Chaque fois que je regarde la programmation des salles allemandes, je
suis frappé par l’importance accordée à la musique française. M. Boulez, vous dirigez d’ailleurs
en ce moment-même une série de concerts à l’Orchestre Philharmonique orientée « musique
française », incluant notamment quelques-unes de vos Notations pour orchestre. Une telle
programmation est exemplaire de cette collaboration franco-allemande dans le secteur de la
musique. Une exemplarité dont on retrouve une autre illustration avec la mise en place du fond
franco-allemand pour la musique contemporaine, projet encouragé et soutenu par l’Ambassade
de France en Allemagne. L’Orchestre philharmonique présente depuis quelques années un
programme particulièrement francophile. J’ai été touché par l’interview qu’avait donnée il y a
quelques mois Sir Simon Rattle dans un grand journal allemand. Il y déclarait que s’il jouait
beaucoup de musique française c’était à la demande même des musiciens de l’Orchestre et
ajoutait que la musique française était « wie ein Orchester ohne Füße. Diese Musik hat keine
Bodenhaftung, sie kann fliegen.“ Je ne peux m’empêcher de voir dans cette déclaration du chef
anglais d’un très grand orchestre allemand qui compte parmi ses membres des musiciens
français et de toutes nationalités le symbole de la véritable Révolution que nous avons faite en
Europe depuis 60 ans. Cette révolution pacifique a été d’abord franco-allemande. Si notre
réconciliation a eu un effet si puissant c’est qu’elle s’est faite entre les deux peuples qui, dans le
domaine culturel, sont peut-être les plus différents en Europe. Si eux réussissaient dans ce
difficile exercice, tout devenait possible ! Cette réconciliation a ouvert la voie à la construction
d’une véritable Europe de la Culture qui est la fondation la plus importante de notre projet
commun. Mais beaucoup reste à faire, tant nos différences sont grandes, tant nous ignorons
encore la création et l’histoire de nos voisins.
Je voudrais vous dire simplement que vous êtes des acteurs particulièrement efficaces
de cette Europe de la culture faite de l’acceptation et de la reconnaissance de nos différences.
Puisse cette distinction qui vous est donnée vous inciter à poursuivre dans cette tâche d’être les
meilleurs dans votre domaine, porteurs de ce que notre héritage national a d’universel.
Comme le veut la tradition, permettez-moi de dire un mot sur chacun d´entre vous. Honneur
aux dames !
I/ Madame Langlamet,
1/ Très tôt vos talents de harpiste ont été reconnus internationalement. Vous effectuez vos
études musicales au Conservatoire de Nice, auprès d´Elizabeth Fontan, vous suivez les
masterclasses de Jacqueline Borot et Lily Laskine, et vous obtenez, à seulement 17 ans, la
place de harpe solo à l´Orchestre de Nice. Vous partez ensuite aux États-Unis pour approfondir
votre formation au Curtis Institute of Music de Philadelphie. Vous remportez dans le même
temps de nombreux prix, dont le premier prix du Concours Louise Charpentier en 1984 et celui
du prestigieux Concours International de Harpe d´Israël en 1992, le plus important pour votre
instrument. Plus tard, en 2003, vous obtenez le Prix « Cino Del Duca » de l’Académie des
Beaux-Arts.
Votre carrière est résolument internationale. Vous êtes harpe solo à l´Orchestre du Metropolitan
Opera de New York de 1988 à 1993, sous la direction de James Levine. Vous obtenez, en
1993, « la » place de harpe solo de l´Orchestre Philharmonique de Berlin, poste que vous
occupez depuis lors, ayant travaillé successivement avec Claudio Abbado et Sir Simon Rattle,
depuis 2002.
Vous poursuivez également votre carrière de soliste et de chambriste. Vous avez joué entre
autre avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin, l´Orchestre Philharmonique d'Israël,
l'Orchestre de la Suisse Romande, l'Orchestre Philharmonique de Nice... Vous vous êtes
produite en soliste dans des salles aussi prestigieuses que la Philharmonie de Berlin, le Royal
Albert Hall de Londres ou encore la Salle Pleyel... Parmi vos partenaires de musique de
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chambre, on compte notamment le flûtiste Emmanuel Pahud, en compagnie duquel vous
avez également enregistré le Concerto pour flûte et harpe de Mozart, avec l´Orchestre
Philharmonique de Berlin, sous la direction de Claudio Abbado. Une raison parmi tant d´autres
de vous retrouver tous deux réunis aujourd´hui !
2 / Vous avez grandement contribué à la mise en avant du répertoire français outre-Rhin.
Si l´histoire de la harpe est très ancienne, cet instrument s’est révélé au tournant du Xxe siècle
à travers des œuvres d’une grande créativité. Nous le devons aux compositeurs français dits
« impressionnistes » qui savent utiliser toutes les possibilités techniques de l´instrument.
Claude Debussy, qui s´était plaint un temps de la fin d´une « tradition française », trouve dans
la harpe, aux côtés de la flûte, comme bon nombre de ses contemporains, une nouvelle source
d´inspiration. Beaucoup des plus grands interprètes de l´époque furent dès lors des Français.
Vous vous inscrivez dans cette continuité. L’énergie avec laquelle vous défendez le répertoire
français est admirable.
Vous avez dans ce sens participé à une initiative remarquable : la mise en place d´un
programme de musique française « avec » harpe à la Kammermusiksaal de la Philharmonie de
Berlin en juin 2007, programme que vous avez présenté en compagnie de la harpiste japonaise
Naoko Yoshino et de deux de vos collègues de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, le
violoniste Stanley Dodds et le violoncelliste Knut Weber. Ce programme mettait notamment en
avant des pièces « arrangées » de Jean-Philippe Rameau, Claude Debussy, Maurice Ravel et
Jacques Ibert, autour de la Fantaisie pour violon et harpe de Camille Saint-Saëns, que vous
affectionnez tout particulièrement, et que vous avez d´ailleurs enregistrée en 2003 avec Renaud
Capuçon. Une initiative et un succès parmi tant d´autres !
3 / Au-delà de votre total engagement au service de votre instrument et plus généralement au
service de la musique, vos collègues et amis soulignent vos qualités humaines, votre simplicité,
votre dynamisme, et le juste équilibre avec lequel vous menez votre carrière et votre vie de
famille, ne négligeant pas l´importance du temps passé avec vos quatre enfants. Marie et Anna
se présentent d´ailleurs déjà à « Jugend musiziert », et vous les y accompagnez.
Votre naturel et votre générosité se retrouvent également dans la manière dont vous
transmettez votre art. Vous aimez enseigner. Vos élèves soulignent la vitalité qui émane de vos
cours. Vous les animez d´anecdotes, d´images, vous le faites avec humour et avec de
nombreuses références littéraires. Vous chantez même pendant vos cours car, selon vous, il
est important de chanter avant de jouer, bref, de vivre la musique. Vous transmettez votre
passion dans le cadre de vos activités à l´Orchestre Philharmonique de Berlin également, ayant
pris sous votre aile la jeune harpiste française Émilie Gastaud à l´Orchester-Akademie.
Et puis, on ne vous connaîtrait pas complètement si on ne citait pas votre simplicité berlinoise
de cycliste émérite ! Vous prenez volontiers cet autre instrument pour vous rendre à la
Philharmonie de Berlin, qu´il pleuve ou qu´il neige, tout comme vous n´hésitiez pas à parcourir
les 18 km qui séparent votre maison de famille de Salzbourg pour vous rendre tant aux
répétitions qu´aux concerts. Cela explique peut-être l’équilibre de votre vie et votre disponibilité.
Très chère Marie-Pierre Langlamet, c’est pour moi un très grand honneur de pouvoir vous
remettre ces insignes.
Marie-Pierre Langlamet.
Au nom de la Ministre de la Culture et de la Communication, j’ai l’honneur de vous
remettre les insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
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II/ Monsieur Pahud,
1/ Emmanuel Pahud, je suis heureux de pouvoir honorer aujourd’hui votre exceptionnelle
carrière de flûtiste. C’est à l’âge de 5 ans que vous découvrez la flûte à Rome. L’on m’a
rapporté qu’apercevant un voisin répétant le Concerto en sol majeur K313 pour flûte de Mozart,
vous auriez dit à vos parents : « je veux jouer de la flûte, je veux jouer le concerto de Mozart ! »
- peut-être pas tout à fait en ces termes à l´époque…
C´est le début d´une grande aventure, qui vous mène, dix ans plus tard, au Concours national
de Belgique, que vous remportez. Lors du concert de Gala, vous jouez ce même concerto de
Mozart !
Vous faites vos classes au Conservatoire de Paris où vous obtenez votre Premier Prix. Vous
poursuivez votre formation à Fribourg, où vous êtes l´élève d´Aurèle Nicolet qui deviendra votre
mentor. Vous êtes successivement flûte solo de l’Orchestre Symphonique de la Radio de Bâle
et de l’Orchestre Philharmonique de Munich. En 1992, vous remportez, coup sur coup, le même
doublé obtenu quarante plus tôt par Aurèle Nicolet, le Concours de Genève et le poste de flûte
solo à l´Orchestre Philharmonique de Berlin.
Vous donnez à l´heure actuelle plus de cent cinquante concerts par an, trouvant un juste
équilibre entre vos activités orchestrales et celles de soliste et de chambriste, que vous aimez
pratiquer avec vos amis, le clarinettiste Paul Meyer et le pianiste Éric Le Sage, et notamment
dans le cadre du Festival de l´Empéri, que vous avez cofondé en 1993.
2 / Nous honorons aujourd’hui un musicien dont la réputation sur la scène internationale est à la
mesure de son immense talent. En tant que soliste, vous avez collaboré avec les plus grands
orchestres : l’Orchestre Philharmonique de Berlin bien sûr, mais aussi l’Orchestre de la Radio
Bavaroise, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le Philharmonia Orchestra de Londres,
le National Symphony Orchestra de Washington… Vous avez joué sous la baguette des plus
grands chefs : Claudio Abbado, Sir Simon Rattle, David Zinman, Lorin Maazel, Sir John Eliot
Gardiner… À New York, vous avez enchanté le public du Carnegie Hall dans le cadre de la
série « International Rising Stars » en 1998. Quelques années plus tard, la Philharmonie de
Cologne vous a rendu hommage à l’occasion d’une série de concerts qui vous étaient dédiés :
« Portrait d’Emmanuel Pahud ».
Votre parcours musical est original, vous êtes ce qu’on pourrait appeler un musicien de
l’« ouverture ». Vous défendez tous types de répertoires, du baroque au contemporain, en
passant par le jazz. Vous assurez d´ailleurs la création mondiale de nombreux concertos pour
flûte, dont certains vous sont dédiés. Parmi les œuvres que vous avez créées récemment, on
compte les concertos de Matthias Pintscher, Marc-André Dalbavie et Michael Jarrell. Nous vous
retrouvons également la semaine prochaine à la Philharmonie de Berlin dans la création
européenne du Concerto pour flûte d´Elliott Carter avec l´Orchestre Philharmonique de Berlin,
sous la direction de Daniel Barenboïm.
Vous êtes également l’interprète remarqué de très nombreux enregistrements souvent
plébiscités. Un journal allemand fait appel à la mythologie et vous surnomme le « Pan du
21ème siècle ». Venant de musicologues allemands dont on connaît l’exigence ce n’est pas un
mince compliment ! La presse internationale salue régulièrement votre virtuosité et la richesse
de votre palette sonore. Nombre de vos enregistrements ont d’ailleurs été couronnés par la
presse. Parmi eux, celui de 2001 avec des œuvres de Bach pour flûte solo et musique de
chambre a obtenu une « Étoile du mois de mai » dans le magazine allemand FonoForum.
Parmi vos enregistrements, l’un est consacré plus spécifiquement à la musique française,
réalisé en duo avec le pianiste Éric Le Sage. Vous y interprétez des œuvres des compositeurs
Jacques Ibert, André Jolivet, Olivier Messiaen, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Henri Dutilleux
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et Pierre Sancan. Avec Éric Le Sage et Paul Meyer, sous le titre évocateur « French
Connection », vous avez également enregistré des œuvres de musique de chambre française :
Florent Schmitt et Maurice Emmanuel y côtoient Dimitri Chostakovitch et Heitor Villa-Lobos.
Avec la harpiste japonaise Mariko Anraku, vous réalisez en 2004 une compilation intitulée
« Beau soir » où dialoguent impressionnisme français et musique traditionnelle japonaise.
Tous les styles et toutes les époques s’entremêlent avec bonheur au sein de votre
discographie : on y retrouve les « grands » comme Telemann, Vivaldi, Mozart, Bach, Prokofiev
aussi bien que des artistes de jazz. Un répertoire d’une rare diversité.
Comme avec la harpe que nous évoquions précédemment, le courant impressionniste français
a trouvé dans votre instrument un moyen d’expression privilégié, et d’abord Claude Debussy.
Vous avez offert de brillantes interprétations du Prélude à l’après-midi d’un faune ou du Trio
pour flûte, alto « et » harpe … Les créateurs d’aujourd’hui ont également tiré le meilleur de la
flûte, c’est le cas de Pierre Boulez, dont je salue la présence aujourd’hui parmi nous.
3 / Cher Monsieur Pahud, la générosité de votre jeu trouve un juste équivalent dans la
générosité du rapport que vous entretenez avec les autres.
Vous aimez vous entourer de musiciens de haut niveau, pour partager le plaisir de l´excellence
ainsi que des moments de détente. Dans un entretien accordé à Jérôme Bloch, le président du
Festival de l’Empéri, vous dites que vos meilleurs souvenirs en tant qu´interprète sont ces
moments où l´interprète est entouré d’un tout qui vous porte physiquement, avec le sentiment
qu’on n’est plus là, qu’on ne dirige plus mais que c’est la musique qui commande. Dans ces
moments-là, toute la salle de concert vibre de concert, à l’unisson. Cette impression, dites-vous,
est de l’ordre de la transe et d’instants proches de l’intimité la plus secrète en même temps ».
Ce sont des moments que vous avez vécus avec l´Orchestre Philharmonique de Berlin, sous
les baguettes d’un Claudio Abbado ou d’un Carlos Kleiber par exemple, mais également en solo
ou en musique de chambre.
Très cher Emmanuel Pahud, c’est pour moi un très grand honneur de pouvoir vous remettre
ces insignes.
Emmanuel Pahud.
Au nom de la Ministre de la Culture et de la Communication, j’ai l’honneur de vous
remettre les insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.