LAREQ WORKING PAPER SERIES
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LAREQ WORKING PAPER SERIES WP I-001 — Juillet 2015 http://www.lareq.com Comprendre la croissance inclusive Michel-Ange Lokota Ilondo Patrick Lukau Ebonda Dandy Matata Amsini Comprendre la croissance inclusive 1 Michel-Ange Lokota Ilondo Laboratoire d’analyse-recherche en économie quantitative E-mail : [email protected] Patrick Lukau Ebonda Laboratoire d’analyse-recherche en économie quantitative E-mail : [email protected] Dandy Matata Amsini Laboratoire d’analyse-recherche en économie quantitative E-mail : [email protected] Mise en ligne en date de Juillet 8, 2015 1. Nous remercions les Professeurs Muayila Kabibu, Mabi Lukusa et Nganda Afumba, ainsi que les collègues chercheurs du Laboratoire d’analyse-recherche en économie quantitative (LAREQ), particulièrement ceux ayant participé aux ateliers du 29-30 juin 2015 et du 22 juillet 2015, pour les remarques et contributions portées à la version préliminaire de ce texte. Nous remercions également le Professeur Bakengela Shamba et le chef des travaux Omonga Mulamba pour leurs commentaires, ainsi que Togba Boboy (Pusan national university, Corée du Sud) et Marius Achi (Université F. Houphouêt-Boigny, Côte-d’Ivoire). Nous sommes seuls responsables des éventuelles erreurs ou insuffisances contenues dans ce papier. RESUME La croissance économique est importante mais pas suffisante pour générer une augmentation durable du bien-être individuel. L’inclusivité lui attribue la double vertu d’élargir l’espace des possibilités économiques et sociales tout en assurant une meilleure application de l’équité distributive. Dans cette perspective, ce papier se propose de clarifier les contours conceptuels de la croissance inclusive. Il interroge les différentes tendances et contributions analytiques sur la question et tente d’en dégager des enseignements pertinents en termes de politiques publiques. Il pose également un diagnostic sur les principales approches de mesure de l’inclusivité de la croissance et en propose une relecture susceptible d’enrichir la boite à outils existante. Mots-clé : Pauvreté, Inégalité, Croissance pro-pauvre, Croissance Inclusive. ABSTRACT Economic growth is important but not sufficient to generate a sustainable increase individual well-being. Inclusiveness assigns to the growth the double virtue of widening the space of economic and social opportunities, while ensuring better implementation of distributive equity. In this perspective, this paper proposes to clarify the conceptual framework of inclusive growth. It examines the various points of view and analytical contributions on this issue and attempts to identify relevant public policy implications. It also makes a diagnosis on the main approaches of measuring social inclusion of growth and offers a rereading likely to enrich the existing toolbox. Keywords : Poverty, Inequality, Pro-poor growth, Inclusive Growth. JEL Classification : E63 ; 011 ; 012. English Title. Understanding Inclusive Growth. Comment citer cet article : Lokota, Michel-Ange, Patrick Lukau et Dandy Matata, 2015, “Comprendre la croissance inclusive,” LAREQ Working Paper Series, I-001, Juillet 2015, 1 – 60. © LAREQ. Laboratoire d’analyse-recherche en économie quantitative. Courriel : [email protected] – Web : http://www.lareq.com 1. Introduction D’où vient la richesse nationale ? Cette question a été largement discutée dans la littérature économique ancienne depuis Smith (1776). De nombreuses réponses ont été formulées, abordant chacune un angle spécifique du processus de création des richesses et faisant de la croissance économique l’un des sujets les plus importants de la recherche en économie moderne. A la fin des années 80, un compromis a été trouvé quant à la définition du cadre macroéconomique désirable pour instiguer la croissance, promouvoir le développement et réduire la pauvreté. Selon le consensus de Washington Williamson (1990), le dispositif institutionnel à déployer devrait favoriser notamment une stricte discipline budgétaire, l'élargissement de l'assiette fiscale, la privatisation, la déréglementation, la protection de la propriété privée ainsi que la libéralisation commerciale et financière. L'idée sous-tendant cette conception étant celle du marché autorégulateur et efficace. Libéré de l’exigence de réguler le marché, le gouvernement devrait se préoccuper principalement de l’augmentation du revenu par tête. Cependant, un tel objectif est vulnérable à la malédiction de Kuznets (1955) selon laquelle la croissance économique nourrit les inégalités dans une première phase de développement. Un arbitrage serait alors possible entre croissance, inégalité et pauvreté, étant donné que l’augmentation du revenu par tête ne se réalise qu’au prix de certaines concessions en termes d’équité sociale. Au regard des résultats mitigés auxquels ont conduit une telle approche, et face à la nécessité d’adapter la stratégie de croissance aux spécificités de chaque pays, un courant opposé a émergé. Le débat s'est orienté notamment vers les questions liées à la pauvreté, aux inégalités et au rôle des institutions. Selon cette nouvelle approche qualifiée de consensus de Columbia, les principes fondateurs du libre marché devraient s’adapter aux spécificités contextuelles de chaque pays (Stiglitz, 2012, 2014 ; Rodrik, 2006). Par ailleurs, les travaux de Duflo et Banerjee (2012) ont permis de donner un nouvel éclairage sur la manière d'appréhender et d'approcher le problème de la pauvreté. Selon ces auteurs, la pauvreté représente non pas un écrasant fardeau pour la société, mais plutôt une série de problèmes concrets pouvant se réduire en un, une fois bien identifiés et bien compris. C’est justement cette question de la pauvreté que la croissance économique est censée résoudre. Par ses effets induits, la croissance économique devrait réduire la pauvreté, le chômage et les inégalités (Fisher, 2003). Vue sous cet angle, elle représente un ticket d’accès à une meilleure qualité de vie, dans un contexte mondial où les besoins individuels et collectifs se multiplient et se complexifient, face à des ressources apparaissant de plus en plus limitées. Cependant, il ressort des études récentes que la croissance ne conduit pas automatiquement à une amélioration équitable des conditions de vie. Elle ne se traduit pas toujours en une 2 création de nouveaux postes d’emploi rémunérés et une amélioration du bien-être collectif et individuel (McKinsey, 2014). Piketty (2013) souligne à cet effet que la croissance moderne n’a pas fondamentalement modifié les structures profondes du capital et des inégalités (cf. Acemoglu et Robinson, 2015), bien qu’elle ait permit d’éviter l’apocalypse de Karl Marx. L’expérience des pays asiatiques, au cours de ces dernières décennies, renseigne sur la capacité de la croissance à accentuer les inégalités en dépit d’une augmentation notable du revenu (Felipe, 2009 ; Balakrishnan et al., 2013). Les ménages les plus démunis sont généralement les plus contraints dans leur accès aux possibilités économiques et sociales comparativement aux plus aisés. Dans pareil contexte, ils ne sont pas toujours en mesure de participer à l’effort productif et de tirer pleinement profit des retombées de la croissance économique. Par conséquent, les plus riches s’enrichissent davantage alors que la situation des plus pauvres s’aggrave (Piketty, 2013). Au nom de la compétitivité et par le fait du pouvoir que leur position leur accorde, les gagnants de la croissance résistent à redistribuer une partie de ce qu'ils gagnent au bénéfice des perdants. Dans ces conditions, le résultat produit par la structure de l’économie s’apparente à un jeu à somme nulle (Stiglitz, 2012). Il revient à priori aux institutions politiques et économiques de prendre en charge ces inégalités. Mais le résultat qu’elles génèrent dépend étroitement de la répartition préalable du pouvoir au sein de la société (Acemoglu et al., 2015) Lorsque les institutions sont défaillantes, elles sont susceptibles de subir l’influence des groupes de pouvoir et agir davantage en leur faveur. C’est ainsi que des disparités importantes affectent la redistribution des bénéfices du dynamisme économique à la défaveur des groupes sociaux les plus fragiles parmi lesquels : les minorités ethniques, les personnes vivant en milieux ruraux et les femmes ou les invalides (Klasen, 2010). Dans le contexte africain, les jeunes peuvent légitimement être rajoutés à la liste des groupes sociaux défavorisés, bien qu’ils représentent une part importante de la population active et par conséquent, de la cheville ouvrière du continent. Dans son rapport sur l’état de la population mondiale de 2014, le Fonds des Nations Unies pour la Population souligne cet important poids démographique de la population juvénile africaine. Dans les économies où la majorité de la population est pauvre, comme c’est le cas en Afrique (Banque mondiale, 2015), des stratégies favorisant plus d’équité et moins de précarité sont devenues plus qu’une nécessité. La notion de croissance pro-pauvre rencontre un écho favorable au sien des institutions en charge du développement et de la lutte contre la pauvreté (Kakwani et Pernia 2000 ; Kraay, A. 2004). Le rythme de création des richesses devrait être suffisamment soutenu pour réduire significativement la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté. A ce niveau, les recommandations des politiques en faveur de la croissance sont généralement axées sur l’amélioration des revenus et du pouvoir d’achat des individus, particulièrement les plus pauvres (Gurria et al. 2014). Toutefois, il sied de relever qu'une telle démarche passe 3 sous silence les multiples ingrédients non monétaires qui entrent en ligne de compte dans la détermination du bien-être et qui fondent son caractère multidimensionnel. En effet, l’objectif du gouvernement, lorsqu’il est restreint à l’augmentation du revenu par tête, devient plus vulnérable à la malédiction de Kuznets (1955). De cette observation découle une conséquence directe : l’augmentation du revenu par tête s’obtient au prix d’une concession sur l’équité sociale. Il est donc apparu plus que nécessaire de définir de meilleurs objectifs de politique en vue d’intégrer à la fois le besoin d’une croissance soutenue et la nécessité de renforcer l’équité et la justice sociale. C’est à la faveur de ce constat que s’est opéré un le glissement conceptuel et stratégique vers la notion de croissance inclusive. Il est question de promouvoir des politiques qui renforcent les chances de chacun de participer à la croissance économique et de jouir de ses retombées. S’inscrivant dans cette perspective, les nouvelles stratégies de développement intègrent davantage la question de l’inclusivité dans les formulations de leurs objectifs. C’est le cas de la stratégie 2020 de la Banque Asiatique de Développement (ABF). Il en est de même des études présentées par la Banque mondiale (2015) dans le cadre de la conférence sur l'analyse et le diagnostic du concept croissance inclusive. Dans le même registre, Le PNUD a créé en 2004, au Brésil, un centre de politique internationale sur la croissance inclusive. De même, plusieurs documents de travail sur la croissance inclusive sont publiés par le Fonds Monétaire International (FMI), l’OCDE, la Banque Africaine de Développement et la Banque Asiatique de Développement. Cependant, une lecture minutieuse de ces travaux permet de mettre en évidence des divergences des vues dans la définition et la mesure du concept de croissance inclusive. Cet état des choses appelle les préoccupations suivantes : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Qu'est-ce que la croissance inclusive et qu’est-ce qu’elle n’est pas ? Quels sont les facteurs clés d'une croissance économique dite inclusive ? Quels en sont ses canaux de transmission ? Quelles sont les principales contraintes à l’inclusivité ? Une croissance pro-pauvre est-elle inclusive ? Une croissance inclusive est-elle pro-pauvre ? Comment mesurer l'inclusivité de la croissance économique ? Dans la mise en œuvre de la stratégie de développement, l'inclusivité est-elle une condition nécessaire; suffisante; ou nécessaire et suffisante ? 9. A ce jour, quels sont les principaux enseignements à retenir de la littérature économique moderne consacrée à la croissance inclusive? 10. Existe-t-il une perception universelle du concept de la croissance inclusive et un consensus quant à son contenu ? Le présent papier se propose de répondre à ces questions en revisitant les principales contributions analytiques apportées dans la littérature économique moderne. 4 2. Ce qu'est la croissance inclusive et ce qu'elle n'est pas 2.1. Origine conceptuelle de la croissance inclusive Le concept de croissance inclusive a émergé dans la littérature économique et le débat politique à la suite de l’échec du consensus de Washington (Williamson, 1990). Porté par le FMI, la Banque mondiale et le Département du Trésor américain, ce consensus suggérait que le libre marché, l’ouverture sur l’extérieur et la discipline budgétaire suffisaient à assurer la prospérité des Etats. Le marché étant considéré comme seul capable de résoudre l’ensemble des problèmes économiques dans une vision fondamentaliste. Les inégalités ne représentaient qu’une préoccupation secondaire tant il était largement admis que l’ouverture sur l’extérieur aurait un effet « égalisateur » tel que suggéré par le modèle simple de Heckscher – Ohlin (Krugman, 2008). Cependant, depuis les années 1970, il a été établi que les imperfections du marché produisaient des effets pervers – particulièrement pour les pays en développement – à travers notamment l’imperfection de l’information et les limites à la concurrence (Serra et al., 2008 ; Stiglitz, 2008). Durant les années 1990, de nombreux pays en développement, dont la politique économique était fortement influencée par le consensus de Washington, ont été frappés par des crises particulièrement sévères. Le Mexique, l’Asie du sud, la Russie et l’Argentine ont connu des épisodes économiques difficiles (Calvo et Talvi, 2008), lesquels ont conduit à reconsidérer le rôle les marchés. Par ailleurs, de nombreux pays en développement ont réalisé des performances économiques remarquables ces deux dernières décennies. Cependant, ces performances se sont accompagné de profondes inégalités, suscitant plusieurs critiques sur les modèles économiques appliqués (Haan et Thorat, 2013). La croissance des pays asiatiques, par exemple, a été plus soutenue que celles des autres régions du monde, conduisant à un important recul de la pauvreté dans la région. Malgré ces performances, les inégalités se sont aggravées (Balakrishnan et al. 2013). Il était devenu impérieux de promouvoir un modèle de croissance qui favorise le progrès économique, réduise la pauvreté et assure l’équité sociale (Kakwani et Ernesto, 2000). En Inde, le changement de management politique en 2004 a favorisé la promotion de la croissance inclusive pour consacrer la rupture avec le précédent modèle de croissance ayant exclu une bonne part de la population. En effet, les groupes sociaux les plus exclus profitaient beaucoup moins des retombées de la croissance que les autres (Thorat and Dubey, 2012). En chine, les disparités entre milieux ruraux et urbains restent très préoccupantes et pèsent considérablement dans les inégalités globales (ABD, 2012). Haan et Thorat (2013) soulignent que les disparités de revenu en Afrique du sud représentent encore un défi, malgré les espoirs suscités par l’abolition de l’apartheid. En Afrique du Nord, le printemps arabe a permis de mettre en lumière des frustrations issues d’une certaine exclusion sociale des jeunes, notamment concernant leur accès à l’emploi. 5 L’exigence de concilier croissance économique et équité sociale dans les régions en développement a donné naissance au concept de croissance pro-pauvre (Kraay, 2004). L’idée sous-jacente est celle d’une croissance qui s’accompagne d’une réduction de la pauvreté monétaire. La croissance inclusive reprend à son compte les préoccupations de la croissance pro-pauvre en considérant la question de l’équité et du bien-être dans leur dimension monétaire et non monétaire. Cependant, un travail de conceptualisation reste encore à faire pour mieux définir ce qu’est la croissance inclusive et ce qu’elle n’est pas. 2.2. Approches définitionnelles de la croissance inclusive Bien qu’aucune voie consensuelle ne se dégage véritablement, la littérature s’accorde néanmoins sur deux angles d’approche de la croissance inclusive. Le premier met l’accent sur la participation au processus de création des richesses (process) et le second sur la répartition des dividendes de ces richesses (outcome). Dans le premier cas, l’inclusivité de la croissance se fonde sur sa capacité à impliquer le plus grand nombre possible des citoyens dans l’effort productif. Dans ce cadre, la croissance est pro-job dans le sens qu’elle requiert une grande intensité de travail pour revêtir du caractère inclusif. Dans le second cas, l’inclusivité est basée sur la nécessité d’une répartition équitable des bénéfices de la croissance au sein de la population. Croissance inclusive – croissance participative Dans l’optique de la participation, la croissance est inclusive si elle permet d’impliquer toutes les couches de la société à l’effort de production (Ranieri et Ramos, 2013a). L’inclusivité de la croissance est étroitement liée à sa capacité à fournir de l'emploi et des opportunités de consommation à une large partie de la population, sans exclure les non qualifiés. Ces derniers étant en général exclus du système éducatif – même s’ils sont brillants – par le fait des contraintes liées à la pauvreté. A ce sujet, Banerjee et Duflo (2012) empruntent le langage d’Armatya Sen et fustigent un intolérable gâchis de talent. Sur le plan microéconomique, l’entreprise tient un rôle déterminant en développant un business modèle à même d’impliquer les ménages les plus pauvres dans la chaîne de valeur, tout en préservant l’objectif de profit (Allison, 2012). L’innovation renforce les possibilités des firmes à jouer ce rôle (Dutz et al., 2012). En effet, elle diminue le coût du développement et augmente les possibilités techniques de participation des plus pauvres à la croissance2. La Banque mondiale parle de la croissance inclusive pour désigner le rythme et le schéma de la croissance économique (Gurria et al. 2014). Selon l’approche de la Banque mondiale, une croissance économique forte est nécessaire pour réduire la pauvreté absolue. Néanmoins, pour que cette croissance soit durable, elle doit concerner un large éventail de secteurs ainsi qu’une 2 Voir à ce sujet les travaux de la conférence internationale pour la croissance inclusive de l’OCDE, New tenue à New Delhi en février 2105. 6 large partie de population active d’un pays3. La soutenabilité de la croissance repose sur l’intégration des divers secteurs de l’économie tout comme la participation du plus grand nombre. De ce fait, la croissance inclusive promeut l’emploi productif. Plus d’emplois conduit à une diminution du chômage et plus de productivité peut entrainer une augmentation des rémunérations (World bank, 2009). Sur la base de l’expérience des pays asiatiques, Felipe (2009) souligne que la croissance seule n’est pas un objectif suffisant de la politique économique. C’est par le truchement du travail qu’une large partie de la société peut trouver l’opportunité de participer à la chaîne de valeur et prétendre en tirer un bénéfice. La croissance inclusive est donc source de nouveaux emplois au bénéfice du plus grand nombre. Il apparait dans ce contexte que le plein emploi est un meilleur objectif de politique économique (Felipe, 2009). Le Programme des Nations Unies pour le développement accorde lui aussi une importance particulière à la question de la croissance inclusive4. Le PNUD définit la croissance inclusive en intégrant à la fois l’aspect processus participation et redistribution. La croissance est inclusive lorsque tous les groupes ont participé à l’organisation de la croissance et en ont bénéficié équitablement (UNDP 2008). Croissance inclusive – croissance distributive Dans l’optique de distribution, Ali et Son (2007) définissent la croissance inclusive comme celle qui crée de nouvelles opportunités économiques et sociales et en assure aussi un accès équitable pour tous les segments de la population, en particulier les pauvres. En considérant le point de vue de Sen (1979), la notion d’équité constitue un fondement important dans la définition de la croissance inclusive. L’équité se distance de la simple idée de justice présente notamment chez Rawls (1971) en se rapprochant davantage de la notion de capabilité. Celleci est comprise dans le sens des capacités effectives de chacun à accomplir certains actes tels que la consommation ou la production. Bourguignon et al. (2007) associent l’inclusivité de la croissance à l’égalité dans l’accès aux opportunités telle que conceptualisée par John Roemer (1998). Il y a égalité d’opportunité lorsque le bien-être d’un individu traduit essentiellement les efforts qu’il consent et non les circonstances ou la condition individuelle dans laquelle il se trouve. L’OCDE souligne que la notion de croissance inclusive est au cœur de la Stratégie Europe 2020. Il est question de favoriser l’autonomie des citoyens à l’aide d’un taux d’emploi élevé, d’investir dans les compétences, de lutter contre la pauvreté, de moderniser les marchés du travail et les systèmes de formation et de protection sociale pour aider chaque individu à anticiper et à gérer les changements, et de renforcer la cohésion sociale. Sur un autre plan, les 3 Voir aussi les 33 études présentées à l'occasion de la conférence de la Banque mondiale sur l'analyse et le diagnostic du concept croissance inclusive. http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTDEBTDEPT/0,,contentMDK:23004336~pagePK :64166689~piPK:64166646~theSitePK:469043,00.html 4 Depuis 2004, le PNUD a mis en place un centre de politique internationale sur la croissance inclusive au Brésil 7 fruits de la croissance économique doivent bénéficier à toutes les régions de l’Union européenne, y compris les régions ultrapériphériques dans le but de renforcer la cohésion territoriale (Gurria et al. 2014). Kakwani and Pernia 2000 X White and Anderson 2001 X Ravallion and Chen 2003 X Kakwani, Khandker and Son 2004 X X Kraay 2004 X X Bhalla 2007 X Ali and Son 2007 X Son and Kakwani 2008 X X Grosse, Harttgen and Klasen 2008 X X Ianchovichina and Lundstrom 2009 X Habito 2009 X Klasen 2010 X Rauniyar and Kanbur 2010 X McKinley 2010 X X Mushtaq H. Khan (2012) 2012 Anand et al. 2013 X X OCDE 2014 X X Banque Mondiale 2009 X BAD 2013 X ADB 2009 X PNUD 2008 X Source : adapté de Ranieri et Ramos (2013a) opportunités sociales bonne gouvernance protection sociale services sociaux de base iniquité de genre accès aux infrastructures Capabilité croissance Emploi participation Equité – distribution Pauvreté Année Auteurs Tableau 2 : Résumé des éléments clés de la définition de la croissance inclusive X X X X x X X X X X X X X X X X X X X X x x X X X x X X X X X X X X D’autres travaux, par ailleurs, proposent un point de vue global sur la croissance inclusive. A ce propos, White (2012) soutient que l’inclusivité se rapporte à six éléments clés : (i) une faible inégalité de revenu, (ii) une réduction de la pauvreté absolue, (iii) une internalisation des externalités de la croissance, (iv) une réduction des écarts de revenu Nord-Sud, (v) une réduction des inégalités dans la jouissance des opportunités comme l’éducation, les services financiers et la justice, (vi) un plus grand espace pour les économies émergentes dans la direction des institutions financières internationales. 8 2.3. Une croissance pro-pauvre est-elle inclusive ? Dans sa conception absolue, la croissance est dite pro-pauvre si elle permet d’augmenter le revenu des personnes les plus touchées par la précarité. En relevant leur niveau de revenu, la croissance permet de réduire le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de la pauvreté et de les faire accéder à de meilleures conditions de vie. La conception relative de la croissance pro-pauvre est basée sur l’idée d’équité. La croissance est pro-pauvre d’un point de vue relatif si elle permet d’assurer aux pauvres un rythme d’augmentation du revenu supérieur à celui des classes les plus aisées (Kakwani et Pernia, 2000 ; Kraay, A. 2004). Tableau 3 : Inégalité et pauvreté dans quelques pays émergents et en développement Pays Indice de GINI 2006 38 48 29 34 40 Pauvreté 2006 21 15 78 76 6 Indice de GINI (1996) Arménie 45 Brésil 51 Ethiopie 44 Inde 34 Turquie 44 Pays Pauvreté 1996 Arménie 39 Brésil 21 Ethiopie 85 Inde 82 Turquie 10 Source : Ramos et al. (2013) Variation -16% -6% -34% -1% -9% Variation -46% -29% -8% -7% -40% Lorsqu’elle n’intègre que la dimension revenu, il se dégage un lien étroit entre la conception « résultat » de la croissance inclusive et la croissance pro-pauvre. Les deux insistent sur la redistribution de la richesse créée. Sur ce point, Kanbur et Rauniyar (2009) soulignent que la croissance peut être pro-pauvre sans être inclusive – au sens absolu de la pauvreté. C’est le cas lorsque la réduction de la pauvreté faisant suite à l’augmentation du revenu, s’accompagne d’une aggravation des inégalités. Klasen (2010) tente de dissocier les deux concepts en soulignant que la croissance pro-pauvre se focalise uniquement sur les populations vivant en dessous du seuil de pauvreté, alors que la croissance inclusive concerne l’ensemble de la population. L’inclusivité de la croissance porte notamment sur le principe de la réduction des désavantages. La croissance inclusive réduit les désavantages ethniques, régionaux ou ceux liés au genre. La principale différence entre les deux concepts réside dans le caractère multidimensionnel de la croissance inclusive. Contrairement à la croissance pro-pauvre, l’inclusivité requiert le dépassement de la dimension monétaire pour mieux intégrer les aspects sociaux indispensables à une définition plus étendue du bien-être. La croissance pro-pauvre apparait plus comme un concept complémentaire plutôt qu’un concept rival de la croissance inclusive. De notre point de vue, la croissance pro-pauvre est un élément constitutif de l’inclusivité, ou 9 un stade moins avancé de celle-ci. Pour que la croissance économique soit efficace dans l’objectif de réduction de la pauvreté, elle doit être inclusive (Berg et Ostry, 2011). En d’autres termes, la croissance inclusive est nécessairement pro-pauvre mais la réciproque n’est pas vraie. 2.4. Croissance inclusive, une simple question de revenu ? La croissance économique est importante mais pas suffisante pour générer une augmentation durable du bien-être. Au-delà du revenu et de la richesse, le bien-être dépend aussi des facteurs non monétaires comme l’accès aux infrastructures socioéconomiques, l’accès aux services de santé et à l’éducation (Gurria et al. 2014). Le niveau et la répartition de ces facteurs non liés au revenu sont des piliers de la croissance inclusive et en font un concept multidimensionnel. Tableau 4 : Déterminants Macro et microéconomiques de l’inclusivité de la croissance Déterminants macroéconomiques • Stabilité macroéconomique • Une fiscalité et déficit du compte courant modérés • Un ratio dette PIB faible • Taux d’inflation faible • Politique fiscale progressive • Ouverture commerciale • Promotion des investissements directs dans les secteurs clés (par exemple l’Agriculture) • Politique industrielle verticale et horizontale • Faible taux de croissance démographique Déterminants microéconomiques • Investissement en capital humain -‐ Santé -‐ Education -‐ Eau et sanitaire • Investissement en capital physique -‐ Infrastructure • Lutte horizontale contre les inégalités dans la fourniture des services de base -‐ Discrimination par genre, ethnies, religion, etc. • Accès aux services financiers -‐ Microfinance -‐ Marché des capitaux -‐ Finance des petites et moyennes entreprises • Large soutien basé sur les compétences de développement et emploi Source: Tony Addison Miguel Niño‐Zarazúa, Nordic‐Baltic MDB meeting Helsinki, Finland January 25, 2012 Les inégalités dont les populations vulnérables sont victimes dépassent largement l’aspect monétaire. Les disparités dans la distribution du revenu n’est qu’un élément parmi d’autres. Les groupes sociaux défavorisés sont généralement les moins éduqués. L’inégalité dans l’accès à l’éducation en amont accentue les disparités de répartition de revenu en aval, parce 10 que la chance de trouver un travail protégé et correctement rémunéré dépend fortement des qualifications. D’autres faits renforcent le point de vue selon lequel l’étendue des inégalités affecte des aspects sociaux bien plus profonds que le revenu : (i) les pauvres vivent moins longtemps que les riches, (ii) ils sont moins actifs politiquement, (iii) ils rencontrent plus de problèmes de santé, (iv) ils sont plus exposés aux problèmes de sécurité, au crime et à la dégradation de l’environnement (Gurria et al. 2014). Ranieri et Ramos, (20013b) soulignent le manque de corrélation entre le PIB et les aspects fondamentaux de l'inclusivité de la croissance. Ceci se traduit dans les faits par le constat qu’un nombre important de pays ont enregistré des avancées notables en matière d'inclusivité en dépit des taux de croissance relativement bas. Bien que non suffisante en elle-même, une croissance soutenue en termes monétaires est cependant une condition nécessaire pour atteindre un plus grand niveau d’inclusivité sociale. L’augmentation du revenu qui en découle permet de dégager des ressources utiles au financement des dimensions non monétaires de l’inclusivité. Il s’agit notamment de l’éducation et de la santé. 2.5. La croissance inclusive: nécessité ou suffisance ? Le développement est l’amélioration du bien-être qui lui est associé sont une aspiration légitime de toutes les sociétés. La frontière entre les notions de développement et de croissance inclusive apparaît floue et ne saurait être pleinement élucidée dans le cadre du présent papier. Elle ouvre la voie à une recherche plus approfondie qui s’étend bien au-delà de notre préoccupation. Une analyse spécifique est nécessaire pour éclairer suffisamment cette question de recherche. La croissance inclusive prend en compte le bien-être multidimensionnel des individus en intégrant des aspects qui échappaient à la croissance classique et étaient jusqu’ici réservés au développement. L’amélioration des infrastructures, l’accès aux services de santé, à l’éducation, à l’emploi, à la justice en sont quelques exemples. Kanbur et Rauniyar (2010) qualifient d’ailleurs cette croissance multidimensionnelle de développement inclusif. Le développement est par nature un phénomène qualitatif qui induit une transformation profonde de la société tant sur le plan social, culturel, humain, économique que politique, conduisant à un relèvement constant des standards de vie. Un tel objectif dépasse le cadre de la croissance inclusive. Dans son rapport au développement, cette dernière apparait moins comme une finalité en elle-même, mais comme un objectif intermédiaire, un outil dans la réalisation d’un idéal social plus élevé. Les changements induits par le développement concernent non seulement le processus de production des richesses et le mécanisme de réparation, mais aussi la structure mentale de la société, ses fondements culturels, les aspirations collectives et individuelles des citoyens. 11 Adelman (2001) affirme, à ce sujet, qu’« une politique de développement requiert une compréhension plus complexe des systèmes qui combinent des institutions économiques, sociales, culturelles et politiques, dont les interactions changent elles-mêmes au cours du temps ». La croissance inclusive résout les problèmes sociaux en termes d’amélioration quantitative des possibilités offertes à chaque citoyen, sans discrimination. Le développement pose le problème de la qualité de ces solutions, de leur valeur éthique, de leur finalité et leur durabilité. A cet effet, la croissance représente plutôt une condition nécessaire mais pas suffisante en elle-même pour impulser les transformations nécessaires à une progression constante du bien-être individuel et collectif. Quoi qu’ambiguë, le développement conserve une ascendance conceptuelle sur la croissance inclusive. 2.6. La croissance inclusive est-elle toujours verte ? Les inégalités de revenu et d’accès aux opportunités ne sont pas les seuls défis de la croissance moderne. L’activité humaine de production et de consommation impacte directement ou indirectement sur les équilibres naturels et bouleverse l’organisation de l’écosystème (Banque Mondiale, 2012). Au de-là de la perspective de l’épuisement des ressources, il y a nécessité de maîtriser l’empreinte écologique de l’activité économique de sorte à préserver un cadre de vie sain, au bénéfice des générations présentes et futures. En effet, l’analyse de l’incidence de la croissance sur la dégradation de l’environnement exclue toute possibilité d’y appliquer le raisonnement de Kuznets (1955). Parmi les défis important à relever, il y a celui de l’augmentation de la demande de nourriture, induite par l’expansion démographique mondiale (Banque mondiale, 2012). Dans l’optique classique de la croissance inclusive, la croissance doit toujours être suffisamment forte pour en assurer un accès équitable à tous. L’intensification de la production agit négativement sur la qualité du sol et de l’environnement général par l’utilisation de pesticide et la déforestation (FAO, 2010). Il sied de noter que la notion d’inclusivité ne considère pas automatiquement les préoccupations écologiques propres à la croissance verte. Une volonté politique est nécessaire pour élaborer des mesures et initier des actions publiques susceptibles de rendre l’activité économique plus attentive à l’écologie. A ce propos, la Banque mondiale (2012) souligne que les obstacles à la croissance verte sont pour la majeure partie politiques et comportementaux et requièrent des solutions intelligentes s’inscrivant dans une vision de long terme. Ces mesures de politique conduisent notamment à une augmentation la quantité de capital naturel, physique et humain disponible (Hallegatte, 2011). Elles peuvent aussi renforcer l’efficience du marché en imposant par exemple une taxe environnementale et offrir des espaces budgétaires pour le financement des activités vertes. Par conséquent, la croissance inclusive est aussi verte si elle concilie ses objectifs propres avec la nécessiter de préserver les équilibres des écosystèmes. 12 2.7. Pourquoi le concept d'inclusivité ne fait pas l'objet d'un consensus ? Les économistes s’accordent en général sur le fait que la croissance inclusive doit être soutenue, participative, distributive et fortement réductrice de la pauvreté. Les divergences portent essentiellement sur la définition des aspects non monétaires à considérer et l’importance relative à leur accorder. L’accès aux infrastructures socioéconomiques est-elle un facteur déterminant (McKinley, 2011) ? Faudrait-il plus considérer l’accès aux services sociaux de base (Rauniyar and Kanbur, 2010), à l’emploi (Bhalla, 2007), ou à l’équité en matière de genre (Niimi, 2009) ? Le calibrage des facteurs de l’inclusivité doit s’adapter au cadre contextuel de chaque pays en fonction des problèmes posés et des résultats escomptés par la politique de développement. A ce titre, quelques questions fondamentales se posent : la croissance peut-elle être inclusive pour l’éducation sans l’être pour la santé ? La participation est-elle plus importante que la distribution ? Peut-on parler d’inclusivité en absence de croissance forte et soutenue ? Les réponses à ces préoccupations s’inscrivent dans un débat qui dépasse le cadre du présent papier. 2.8 Inclusivité relative et absolue La problématique des inégalités ne concerne pas exclusivement les pays en développement. Les économies les plus avancées sont aussi confrontées, dans une certaine mesure, à une répartition inéquitable des richesses. Les travaux de Piketty et Saez (2003, 2012), Krugman (2008), ou plus récemment Piketty et Zucman (2014), Kopczuk (2015) documentent largement ce phénomène. Cependant, le niveau de développement qu’ils ont atteint pousse à examiner la question sous un angle différent de celui des pays en développement. Tableau 5 : Aperçue des inégalités (pays développés et émergent) Pays Suède Corée France Etats Unis Argentine Mexique Brésil Date 2000 1998 1995 2000 2001 2000 2001 Indice de Gini 25 32 33 41 52 55 59 Quantile supérieur 9 8 7 5 3 3 2 Quantile inférieur 37 37 40 46 56 59 63 Source : Krugman, 2008 En effet, les inégalités et l’exclusion sociale ne confrontent pas uniquement les individus pauvres et démunis à d’autres plus riches et plus équipés. Même dans un contexte de faible pauvreté, les écarts de revenu et de standard de vie peuvent apparaitre. Considérer cet aspect est indispensable à une définition plus complète de l’équité. 13 A cet effet, nous proposons de distinguer l’inclusivité absolue de l’inclusivité relative. L’inclusivité absolue renvoie aux idées développées supra : promouvoir une croissance forte, pro-pauvre, participative, équitable et non discriminatoire. L’inclusivité relative quant à elle introduit l’idée d’une comparaison intra-groupes sociaux de sorte à définir des standards propres à chaque groupe et à en juger de manière plus contextuelle. 3. Quels sont les facteurs de l’inclusivité ? 3.1. Dimension monétaire de l'inclusivité La dimension monétaire de l’inclusivité relève du cadre classique de la croissance. De ce point de vue, la croissance est inclusive si elle est pro-pauvre. La préoccupation essentielle est de s’assurer que le rythme de la production est suffisamment conséquent pour soutenir le relèvement du niveau de revenu moyen, particulièrement en faveur des pauvres et des plus démunis (Kakwani et Ernesto, 2000). 3.2. Dimension sociale de l'inclusivité La dimension sociale de la croissance inclusive lui permet de dépasser le cadre de la croissance pro-pauvre en lui assignant d’autres objectifs au-delà de l’augmentation et la redistribution équitable du revenu. C’est pour cette raison que le débat sur l’inclusivité ne se limite pas aux acteurs économiques traditionnels, mais implique aussi des acteurs de la société civile. A ce sujet, Samans et al. (2015) retiennent essentiellement six piliers sur lesquels repose la croissance inclusive : l’éducation, l’emploi, l’investissement, la lutte contre la corruption, les transferts fiscaux ainsi que les infrastructures et services de base. En considérant sa dimension sociale, l’inclusivité est essentiellement appréhendée sous l’angle de sa capacité à produire un gain significatif en termes de qualité de vie en dehors des transferts fiscaux. La qualité de vie dépend du bien être tant objectif que subjectif (Stiglitz et al., 2009). Il sied de souligner que, considérer ces multiples dimensions non liées au revenu pose le problème de leur interaction mutuelle d’une part, et celui de déterminer la manière de les combiner pour obtenir une mesure cohérente de l’inclusivité (Ranieri et Ramos, 2013a), d’autre part. L’exigence d’inclusivité souligne l’importance de la sécurité sociale comme outil d’une meilleure prise en charge des questions liées à la pauvreté. Cet élément fait partie des indicateurs clés de la Banque asiatique de développement (2011) dans l’évaluation de l’inclusivité de la croissance économique. Une croissance inclusive devrait se traduire aussi par la construction d’un système de sécurité sociale efficace pour soutenir les populations les plus vulnérables. 3.3. Dimension institutionnelle de l'inclusivité La qualité des institutions tend à agir positivement sur les capacités de l’Etat à impulser et soutenir le développement. Des instituions de bonne qualité sont à mêmes de concevoir des politiques réfléchies et efficaces, d’une part, pour augmenter la taille du gâteau social et en 14 assurer une distribution équitable entre tous les groupes sociaux, d’autre part (Acemoglu, 2003). C’est aux institutions publiques qu’il revient notamment la charge de la mobilisation et l’allocation optimale des ressources. Les dépenses en infrastructures, les dépenses de santé ou d’éducation sont la résultante des décisions publiques. La croissance inclusive s’appuie sur des institutions capables d’en identifier les déterminants et de définir les mesures idoines quant à l’accroissement du bien-être. De nombreux économistes soutiennent ce point de vue. A titre d’exemple, une partie de la littérature économique établit une corrélation négative entre la démocratie et les inégalités. Muller (1988), prouve empiriquement cette relation en montrant que plus l’épisode démocratique est long, moins les inégalités sont prononcées. La persistance de la pratique démocratique conduit donc à infléchir les tendances des disparités sociales et économiques. Li et al. (1998) établissent un résultat similaire en considérant le cas des libertés individuelles. En analysant les tendances récentes de l’économie mondiale, Stiglitz et Greenward (2014) relèvent que dans le contexte du 21èmesiècle, une croissance soutenue devrait reposer sur la mise en place d’une société de connaissance. En effet, autant le progrès technologique a expliqué l’amélioration des standards de vie, autant les écarts de développement s’expliquent par les différences en termes d’accumulation des connaissances. En droite ligne d’Arrow (1962), ces auteurs montrent que les marchés à eux seuls ne sont pas en mesure d’assurer une production efficiente des connaissances pourtant indispensables pour améliorer les standards de vie. Une société démocratique et ouverte est mieux à même de créer une société de connaissance. Il importe de souligner que dans une pareille société, la croissance économique est nécessairement inclusive (Stiglitz, 2012). Des institutions de qualité jouent un véritable rôle de catalyseur, soutiennent l’innovation et le développement social. Nous soulignerons cependant que, ce schéma semble mieux adapté à expliquer l’expérience des pays à niveau de développement avancé. Les pays en développement disposent en effet de la latitude d’imiter les connaissances développées au sein des pays avancés et de jouir de leurs retombées à moindre coût. Les pays pauvres – comme c’est le cas pour la majeure partie des pays africains – sont caractérisés par des institutions dysfonctionnelles. Or, la transition d’institutions dysfonctionnelles vers des institutions de meilleure qualité, capables d’augmenter la richesse nationale et les opportunités socioéconomiques pour les populations, se verrait entravée dans le cas où les groupes au pouvoir voient leurs intérêts être menacés, sans perspective de compensation crédible (Acemoglu, 2003). Les pays post conflit et post dictature où l’accession au pouvoir est encore dans une large mesure le fait de l’appartenance plutôt que de la compétence, répondent à ce descriptif. 15 3.4. Dimension inter-temporelle de l’inclusivité Puisque traitant de la question du bien-être, il semble qu’il n’y ait aucune raison de penser l’inclusivité dans une perspective « court-termiste » en y incluant uniquement les générations actuelles. Au contraire, le souci d’inclusivité devrait obliger les générations présentes à considérer les liens étroits qui les lient aux générations futures. Cette communauté de destin inter-temporelle se fonde sur le principe selon lequel les décisions de production et de consommation prises aujourd’hui impacteront sur le bien-être des générations futures. Cela, par différents mécanismes notamment l’état de l’environnement et la disponibilité des ressources épuisables. A notre sens, la croissance est inter-temporellement inclusive seulement si le succès du modèle économique dont elle est le résultat ne met pas en péril le bien-être des futures générations. Nous nous situons non seulement dans la perspective d’une croissance verte et durable, mais aussi dans une vision d’équité et de la promotion du défavorisé. En effet, dans certains cas, la position sociale désavantageuse se transmet comme un legs d’une génération à l’autre, condamnant d’avance de nombreuses personnes à la pauvreté, sans tenir compte de leurs capacités propres (Stiglitz et Kambur, 2015). Le cas des castes en Inde donne un exemple éloquent sur les limites possibles à la mobilité sociale intergénérationnelle (Jaffrelot, 2012). 3.5. Dimension géographique Cette remarque trouve toute sa pertinence si l’on se place dans la perspective des pays africains où la scène sociopolitique est encore caractérisée par des clivages d’ordre ethnique et régionaliste, de manière soit latente soit avérée. Dans ce contexte, promouvoir une croissance inclusive qui implique de manière non discriminatoire les diverses régions géographiques est propice au maintien de a cohésion politique nationale. Les disparités entre région en matière de développement, découlant d’une plus grande attention du pouvoir public sur les unes au détriment des autres, peuvent conduire à des remous sociaux et politiques sur fond identitaire. A ce propos, une forte fragmentation ethnologique – comme c’est le cas dans plusieurs pays africains – serait un élément aggravent de l’instabilité politique (William et Ross , 1997). Il n’est pas exclu que de tels remous se développent et peuvent conduire à des crises politiques graves, lesquelles pourraient impacter négativement sur la croissance économique et le bien-être social. En outre, si les régions exclues sont bien dotées en ressources naturelles, comme c’est le cas en Afrique, le cadre sera favorable à l’émergence de rébellions opportunistes (Weinstein, 2005). Dans le même registre, Alberto et Perotti (1996) ont testé empiriquement l'idée selon laquelle les inégalités de revenu accroîtraient les mécontentements sociaux qui, à leur tour, exacerberaient l'instabilité sociopolitique. Ils sont arrivés à la conclusion qu’en rendant l'environnement politico-économique moins certain, ces inégalités agissent négativement sur l'investissement et donc sur la croissance. Ainsi, dans son acception géographique, la croissance inclusive peut être définie par sa capacité : (i) à faire participer tous les citoyens au processus de production sans tenir compte 16 de leur lieu de résidence ou d’origine, (ii) à répartir équitablement les bénéfices tirés de la croissance entre les différentes régions, en accorder un intérêt particulier aux régions les plus défavorisées. Les disparités régionales en matière de dotation en ressources peuvent aggraver l’exclusion dans le sens qu’au sein d’un même Etat, les régions les moins dotées en ressources risquent de présenter un faible intérêt pour le pouvoir public au profit des régions au potentiel le plus riche. Sur ce point, il sied de souligner que, les dépenses de santé, d’éduction, au même titre que celles en infrastructures sont particulièrement importantes pour soutenir l’inclusivité de la croissance. Au niveau local, elles dépendent soit de l’attention relative du pourvoir central dans le cas d’une organisation centralisée, soit des possibilités budgétaires de chaque entité territoriale dans le cas d’une administration décentralisée. Il revient donc au pouvoir public d’assurer un équilibrage régional permettant de minimiser les inégalités et de réduire le risque de fracture économique et sociale. 3.6. Dimension culturelle Le lien entre l’organisation culturelle et la croissance économique a préoccupé de nombreux économistes. A la suite de Weber (1905), Gorodnichenko et Roland (2010) développent un modèle théorique pour expliquer cette relation. Ils affirment qu’une société caractérisée par l’individualisme où le statut social des personnes est lié à leurs accomplissements personnels encourage davantage l’innovation. Alors que l’individualisme apporte un avantage dynamique conduisant à une croissance plus importante, le collectivisme, quant à lui, n’entraine qu’un gain d’efficience (effet niveau). D’autres auteurs se sont intéressés au lien pouvant exister entre les caractéristiques culturelles et la distribution des ressources au sein d’une société (Britan et Cohen, 1980 ; Flanagan et Rayner 1988). Des pesanteurs culturelles peuvent contribuer à marginaliser certains groupes sociaux en les empêchant de participer pleinement à l’activité économique et sociale (voir par exemple Jaffrelot, 2012). Une frange importante de la population peut se voir contrainte dans son accès à l’éducation, aux services de santé ou à l’emploi du simple fait de son appartenance culturelle. La croissance économique ne saurait être véritablement inclusive si elle ne permet pas de briser ces contraintes en assurant un meilleur accès aux opportunités économiques et sociales à tous. 4. Comment mesurer l’inclusivité ? 4.1. Les principales approches de mesure de l'inclusivité Mesure des inégalités de revenu Dans la littérature économique, les premières tentatives de mesure des inégalités remontent à Pigou (1912). Les efforts de mesure vont s’intensifier durant les années 1960-70, à la suite des travaux d’Atkinson (1970), Sen (1973) et Kolm (1966, 1976) qui proposent une approche axiomatique de mesure des inégalités pour des populations de taille fixe. Les 17 indicateurs qu’ils construisent seront généralisés en introduisant le principe de population (Dalton 1920). Tableau 6 : Quelques indicateurs de mesure des inégalités Indicateurs Auteur Année Indice de Gini Carado Gini 1912 Indice de Theil Theil 1967 L’indice Atkinson Anthony B. Atkinson 1970 Le ratio de Palma Palma 2011 Description L’indice de GINI standard est certainement la mesure la plus rependue dans la mesure des inégalités. Développé par Carado Gini en 1912, ce coefficient permet d’évaluer les inégalités en mesurant le ratio entre l’aire située entre la courbe de Lorenz et la droite d'équidistribution de la revenue. Il varie de 0 à 1. Un indice de GINI égal à 1 représente une situation de parfaite égalité. L’indice de Theil appartient à la famille des indices d’entropie généralisée. Il mesure l'écart entre la distribution égalitaire et la distribution constatée. S’il est nul alors la distribution est parfaitement égalitaire et donne une valeur plus forte à mesure que les revenus sont dispersés. Il permet une décomposition additive en sous-groupes. Construit sur base de la notion de fonction d’utilité sociale, l’indice d’Atkinson est une mesure du gain potentiel en termes d’utilité sociale d’une redistribution des revenus. Il est en mesure de détecter une différence dans la répartition des revenus dans tranches de bas revenus par rapport à celle constatées pour les hauts revenus les hauts revenus. Il intègre un paramètre d’aversion au risque dont la valeur renseigne sur la sensibilité de l’indice aux inégalités. Fait partie de la famille des rapports inter déciles. Il s’agit du rapport entre la somme des revenus des individus situés dans le décile supérieur (le 10 % supérieur) et la somme des revenus des 40 % des individus ayant les plus bas revenus. Cet indice se fonde sur l’hypothèse que les inégalités sont en grande partie dues au comportement des extrémités de la distribution des revenus. Source : élaboré par les auteurs sur base de la littérature Tableau 7 : Propriété des indices de mesure des inégalités de revenu Propriétés Normalisation Symétrie Principe de transferts Invariance à l’échelle Invariance par translation Description En situation d’égalité parfaite (tous les revenus sont égaux), la mesure d’inégalité prend la valeur 0. L’agrégation de deux ou plusieurs populations parfaitement identiques, conserve le niveau d’inégalité inchangé. Un transfert de revenu d’un individu riche vers un individu pauvre - sans que l’ordre de richesse entre le donneur et le receveur n’en soit modifié – se traduit sur l’indice mesuré par une baisse du niveau d’inégalité. La multiplication de tous les revenus par une constante positive n'entraine aucun d’effet sur le niveau d’inégalité. Les mesures invariantes à l’échelle sont dites relatives L’addition d’une constante positive à tous les revenus n’a pas d’effet sur le niveau d’inégalité. Les mesures invariantes par translation sont dites absolues. Source : Matti Langel, Workshop sur la mesure des inégalités de revenu, 2012 18 Mesure de l’inclusivité de la croissance économique Au-delà des inégalités de revenu, quelques approches ont été développées pour mesurer spécifiquement l’inclusivité (Ali et Son, 2007 ; Zhuang et Ali, 2010 ; Klasen, 2010, McKinley, 2010 ; Anand et al., 2013), son incidence (Ravaillon et Chen, 2003) ou sa qualité (Mlachila et al., 2014). Indice d’Opportunité et Indice d’Equité des Opportunités (Ali et Son, 2007) Ali et Son (2007) proposent une approche innovante de mesure de la croissance inclusive dont le point de départ est une fonction d'opportunité sociale qui s'apparente à une fonction de bien-être social. Dans ce contexte, la croissance est inclusive si elle permet de maximiser la fonction d'opportunité sociale. Cette dernière dépend de la quantité d'opportunités disponibles au sein de l'économie ainsi que de la manière dont elles se répartissent entre les individus. L'étude propose aussi un indice d'opportunité pour compléter la boîte à outils sur la mesure de la croissance inclusive dans un cadre dynamique. La fonction d'opportunité sociale accorde une plus grande importance aux opportunités captées par les individus pauvres que celles dont jouissent les plus riches. Ceci de sorte qu’une opportunité transférée d’un individu riche vers un autre plus pauvre augmentera la fonction d’opportunité et impactera positivement sur le bien-être global. Par ailleurs, l’approche d’Ali et Son (2007) permet un lecteur dynamique de l’évolution de l’inclusivité en interprétant les variations des indices construits comme des résultantes de politiques publiques soit pro-opportunité ou pro-équité redistributive. Les 35 indicateurs de Zhuang et Ali (2010) Zhuang et Ali (2010) dressent une liste de 35 indicateurs jugés pertinents dans la caractérisation de l’inclusivité de la croissance. Ces indicateurs, qui sont fortement axés sur la dimension sociale, donnent une information précieuse sur les déterminants qui influencent l’inclusivité. Ils sont globalement repartis en trois piliers : (i) croissance et expansion des opportunités économiques ; (ii) inclusion sociale et égalité d’accès aux opportunités économiques ; (iii) filets de sécurité sociale. Ils servent de cadre de référence de la Banque asiatique de développement sur la problématique de la croissance inclusive. Tableau 8 : Indicateurs d’inclusivité de la croissance économique PILIER 1: CROISSANCE ET EXPANSION DES OPPORTUNITES ECONOMIQUE Croissance économique et emploi Dotation en infrastructures de base 1. Taux de croissance du PIB par tête 6. Consommation de l’électricité par tête 2. Taux de croissance moyen par tête de 7. Pourcentage des routes asphaltées revenu par consommation 8. Nombre d’abonnés de téléphone par 100 3. Taux d’emploi personnes 4. Elasticité du total emploi par rapport au 9. Déposants avec une autre entreprise de dépôt total PIB par 1000 adultes 5. Nombre de personnes travaillant à leur propre compte par 100 salaries 19 PILIER 2: INCLUSION SOCIALE POUR ASSURER UNE EGALITE D’ACCES AUX OPPORTUNITES ECONOMIQUES Accès à l’éducation et santé Egalité en genre et opportunité 20. Parité fille-garçon en éducation primaire, 10. Espérance de vie scolaire secondaire et humanitaire 11. Ratio enseignant-élève 21. Couverture des soins prénatals 12. Couverture en vaccination contre la 22. Parité homme et femme dans le marché de Diphtérie, le tétanos et anticoquelucheux. l’emploi 13. Médecins, infirmières et sages-femmes par 23. Pourcentage des sièges occupés par les femmes 1000 habitants au parlement 14. Dépenses publique en santé en pourcentage des dépenses totales 15. Dépenses publiques en santé en pourcentage des dépenses totales Accès aux infrastructures et services de base 16. Pourcentage de la population qui a accès à l’électricité 17. Part de la population utilisant des combustibles solides pour la cuisson 18. Pourcentage de la population utilisant des sources améliorées d’eau potable 19. Pourcentage de la population utilisant des installations sanitaires appropriées PILIER 3: FILETS DE SECURITE SOCIALE BONNE GOUVERNANCE ET INSTITUTIONS 24. Protection sociale 33. Voix et responsabilité 25. Dépenses de sécurité sociale pour la santé 34. Efficacité du gouvernement en pourcentage des dépenses publique en santé 26. Dépenses publiques en sécurité sociale et bien-être en pourcentage des dépenses publiques 35. indice de perception de corruption totales 27. Couverture des soins prénatals 28. Parité homme et femme dans le marché de l’emploi 29. Pourcentage des sièges occupés par les femmes au parlement Source : Zhuang et Ali (2010) La courbe d’incidence de la croissance (Ravallion et Chen, 2003) La courbe d’incidence de la croissance proposée par Ravallion et Chen (2003) se fonde sur une représentation des différents taux de croissance annuels du revenu (ou de la consommation) par habitant de chaque centile le long de la courbe de distribution du revenu. Ces taux de croissance – calculés d’une année à l’autre – sont représentés en ordonnées et les centiles de la population en abscisses. La courbe qui en découle sera interprétée au regard sa pente ainsi que d’éventuelles valeurs négatives. Par exemple, une pente négative correspond à une croissance plus soutenue au niveau des centiles inférieurs (des plus pauvres). Cette situation se rapproche de la définition relative de la croissance pro-pauvre. L’approche ainsi élaborée peut être appliquée à n’importe quel indicateur de bien-être pour obtenir une plus large vue de l’incidence de la croissance économique d’une période à l’autre. 20 L’approche de McKinley (2010) McKinley (2010) construit des indicateurs composites de la croissance inclusive en intégrant différentes statistiques économiques et indicateurs de développement pondérés chacun en fonction de leur importance relative dans la définition de l’inclusivité. Cinq dimensions sont considérées : (i) le pilier croissance économique, emploi productif et équité générale, (ii) pauvreté monétaire, (iii) capabilité humaine, (iv) protection sociale. L’approche de Klasen (2010) Pour mesurer si un épisode de croissance a été inclusif dans le sens de la réduction des désavantages, Klasen (2010) propose d’adapter l’outil développé par Kakwani et Son (2008) dans l’analyse de la croissance pro-pauvre en l’appliquant aux groupes sociaux désavantagés. En effet, Kakwani et Son (2008) introduisent la notion de « poverty equivalent growth rate ». Il s'agit du taux de croissance qui assure les mêmes effets sur la pauvreté que le taux de croissance effectif, si celui-ci n'était pas affecté des inégalités. C'est donc le taux de croissance qui correspond à la situation où tout le monde jouit des bénéfices de la création des richesses. Indice de mobilité sociale et indice d’équité de revenu (Anand et al. 2013) Pour leur part, Anand et al. 2013 ont exploité le cadre d’analyse développé par Ali et Son (2007), Anand et al (2013). Ils se sont intéressés non pas à l’équité de la distribution des opportunités socioéconomiques au sein de l’économie, mais plutôt à celle du revenu. Partant de la courbe de mobilité sociale qui décrit la distribution cumulée du revenu, ils ont construit un indice de mobilité sociale qui capte l’amplitude des changements dans la distribution du revenu. La croissance est inclusive quand elle permet d’augmenter la valeur de cet indice (notamment en augmentant le revenu moyen tout en améliorant sa redistribution au bénéfice des plus pauvres). Pour rendre compte de l’équité distributive, un indice d’équité de revenu est dérivé en comparant le revenu moyen et l’indice de mobilité sociale. Par ailleurs, dans le but de mesurer le niveau de vie multidimensionnel, l’OCDE (Gurria et al. 2014) propose une démarche en trois étapes : (i) mesurer le niveau de vie basé sur le revenu (en fonction de la consommation ou du revenu réel, par exemple) au niveau individuel ; (ii) intégrer une ou plusieurs dimensions non monétaires dans l’analyse et mesurer ces dimensions au niveau d’individus ou de catégories d’individus en vue de les combiner au revenu mesuré ; (iii) agréger la mesure étendue du niveau de vie entre individus afin d’obtenir une mesure globale du niveau de vie multidimensionnel. La théorie du bien-être sert de cadre pour la monétisation des composantes non monétaires du niveau de vie à travers la détermination des prix fictifs subjectifs 21 L’indice de qualité de la croissance (Mlachila et al., 2014) Mlachila at al. (2014) construisent un indice pour rendre compte de la qualité de la croissance économique dans les pays en développement. Cette qualité dépend de la nature intrinsèque de la croissance: la force de la croissance, (ii) sa stabilité, (iii) la diversification de ses sources ainsi que (iv) son orientation vers l’extérieur ; et d’une dimension sociale appréhendée par: (i) une vie longue et saine, (ii) l’accès à une éduction décente. La force de la croissance est mesurée par la variation annuelle du PIB per capital – en lien avec la croissance pro-pauvre – de sorte qu’une variation per capita élevée agit positivement sur la qualité de la croissance. La stabilité de la croissance est appréhendée en analysant sa volatilité à travers l’inverse de son coefficient de variation. La mesure de la diversification des sources de la croissance est obtenue en retranchant l’indice Herfindahl-Hirschman de l’unité. L’indice de qualité de la croissance est enfin obtenu en assignant une certaine pondération aux mesures normalisées de chacune des sous-composantes identifiées. 4.2. Arbitrage entre approches micro et macroéconomique Les indicateurs macroéconomiques ont comme point de départ des indicateurs sectoriels préexistant (taux de scolarisation, taux de croissance économique). Par conséquent, la dérivation d’indicateurs composites est relativement aisée. La préoccupation devient alors de déterminer pour chaque élément retenu, quel sera son poids dans l’indicateur composite. En dépit sa relative facilité, une pareille démarche est soumise à un jugement de valeur qui peut affecter l’objectivité des résultats obtenus. Pour leur part, les indicateurs d’inclusivité utilisant des données micro sociales ont l’avantage de se fonder sur des informations primaires, traduisant le point de vue et l’expérience des individus eux-mêmes. Cependant, elle nécessite un certain effort dans la collecte et le traitement de l’information. 4.3. Forces et faiblesses des indicateurs existant Les indices de mesure des inégalités se fondent généralement sur une réduction du bien-être à sa seule composante monétaire. Cependant, des composantes non monétaires telles que le niveau d’éducation ou l’état de santé jouent un rôle clé dans la définition du bien-être. L’approche de mesure de l’inclusivité de la croissance d’Anand et al. (2013) souffre de la même lacune. En effet, cette approche base l’inclusivité uniquement sur l’augmentation et la distribution équitable du revenu. Ceci la rapproche davantage de l’idée de la croissance propauvre plutôt qu’à la croissance inclusive (Kakwani et Ernesto, 2000). Or, c’est justement les dimensions non liées au revenu qui fondent la particularité de la notion d’inclusivité en lui permettant de mieux rendre compte du caractère multidimensionnel du bien-être. Une autre faiblesse commune aux indices d’inégalité et aux indicateurs d’inclusivité présentés dans ce papier tient au principe des transferts sur lequel est basée l’idée d’équité. Ce principe voudrait que transférer un revenu ou une opportunité sociale d’un individu riche vers 22 un individu pauvre réduise le niveau d’inégalité. Une telle idée ne fait pas l’unanimité (Gajdos, 2001). Par ailleurs, Ali et Son (2007) focalisent leur attention sur l’accroissement des opportunités sociales ainsi que l’amélioration de l’équité dans leur distribution, sans discrimination de groupes sociaux. L’inclusivité est donc étroitement liée à ces deux variables. Cependant, les indicateurs qu’ils développement négligent l’accroissement du revenu (croissance soutenue) dans l’explication de l’inclusivité de la croissance. 4.4. Vers un nouvel indicateur de mesure de l'inclusivité A l’effet de prendre en charge les critiques adressées aux deux approches de mesure de la croissance inclusive, nous proposons une mesure qui en combine les avantages et en élague les faiblesses. Le rythme soutenu de la croissance ainsi que les opportunités sociales représentent ensemble les facteurs d’inclusivité de la croissance. Dans notre conception, une croissance forte et propauvre se combine à la nécessité d’améliorer l’accès aux infrastructures économiques et sociales, à l’éducation, aux services de santé, à un emploi rémunéré et protégé. Ceci sans discrimination liée au genre, à l’état de santé ou à la position sociale. Ces différents facteurs constituent des secteurs de la vie nationale. L’inclusivité de la croissance sera mesurée séparément pour chacun d’eux. Nous proposons de construire un indicateur composite d’’exclusion qui agrège la situation des secteurs clés. Considérons une société constituée de 𝑛 individus disposant chacun d’un revenu 𝑥! , 𝑥! , … , 𝑥! . Avec 𝑥! correspondant au revenu de l’individu le plus pauvre et 𝑥! à celui du plus riche. A chacun de ces individus nous pouvons associer une quantité d’opportunités 𝑦! . Ainsi, 𝑦! est l’opportunité captée par l’individu jouissant d’un revenu 𝑥! . Nous pouvons définir une fonction d’opportunités qui dépende à la fois de la quantité d’opportunités disponibles ainsi que de la manière dont elles sont redistribuées : 𝑂 = 𝑂 𝑦! , 𝑦! , … , 𝑦! . Cette fonction est croissante en ses arguments de sorte qu’augmenter les opportunités et améliorer leur distribution augmentent la fonction et agit positivement sur le bien-être global. 𝑦! est une variable binomiale telle que : 𝑦! = 0 𝑠𝑖 𝑙 ! 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑣𝑖𝑑𝑢𝑖 𝑛𝑒 𝑗𝑜𝑢𝑖𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑑𝑒 𝑙′𝑜𝑝𝑝𝑜𝑟𝑡𝑢𝑛𝑖𝑡é 𝑦! = 100 𝑠𝑖 𝑙 ! 𝑖𝑛𝑑𝑖𝑣𝑖𝑑𝑢𝑖 𝑗𝑜𝑢𝑖𝑡 𝑑𝑒 𝑙 ! 𝑜𝑝𝑝𝑟𝑡𝑢𝑛𝑖𝑡é La quantité moyenne d’opportunités disponible au sein de l’économie est donnée par 23 1 𝑦= 𝑛 ! 𝑦! !!! La politique de développement ne peut se limiter à maximiser 𝑦 car cela conduirait à ignorer la nécessité d’une redistribution équitable. En outre, les individus les plus pauvres étant généralement plus contraints que les riches, augmenter les opportunités sociales et économiques ne garantit pas forcement qu’ils y auront accès. La croissance inclusive ne peut ignorer cette question. Par conséquent, la fonction d’opportunité devra vérifier le principe de transfert. Une opportunité transférée d’un individu riche diminue cette fonction et impacte négativement sur le bien-être global. Si nous supposons qu’une quantité d’opportunité 𝑡 est transférée du plus pauvre vers un individu plus riche, la nouvelle fonction d’opportunité sera toujours inférieure à la fonction initiale pour toute valeur de 𝑡 > 0. 𝑂 𝑦! , 𝑦! , … , 𝑦! > 𝑂 𝑦! − 𝑡, 𝑦! + 𝑡, … , 𝑦! Notons 𝑄 = 𝑦! , 𝑦! , … , 𝑦! 𝑄! = 𝑦! , le vecteur de distribution des opportunités et 𝑦! + 𝑦! 𝑦! + 𝑦! + 𝑦! 𝑦! + 𝑦! + ⋯ + 𝑦! , …, 2 3 𝑛 le vecteur de distribution cumulée des opportunités. En rangeant les individus par ordre croissant de revenu, nous pouvons associer à chaque proportion 𝑝 de la population une moyenne d’opportunités 𝑦! . La valeur 𝑦! sera égale à 𝑦 lorsque 𝑝 = 100%. Les différentes valeurs de 𝑦! obtenues forment la courbe d’opportunité. La croissance est inclusive lorsqu’elle déplace la courbe d’opportunité vers le haut pour chacun des points qui la constituent. Le degré d’inclusivité dépendra de l’ampleur du déplacement ainsi que du segment de la distribution de revenu qui enregistre le bond le plus important. Une pente positive de la courbe d’opportunité correspond à une situation d’inéquité (absence d’équité) où les individus à bas revenu captent moins d’’opportunités que les riches. Par contre, une pente négative indique une situation d’équité parce que dans ce cas, les plus pauvres jouissent de plus d’opportunités que les riches. La fonction d’opportunité étant plus sensible à la jouissance des pauvres qu’à celle des riches, l’équité sera préférée à l’égalité. Dans la perspective de la croissance pro-pauvre, canaliser plus d’opportunités vers les pauvres améliore l’équité. La figure ci-dessous considère une situation d’inéquité de par sa pente négative. Si les opportunités étaient reparties de manière égale de sorte que chacun en capte la même quantité, la moyenne cumulée 𝑦! serait égale à la moyenne générale 𝑦 pour chaque proportion 𝑝 de la population. Par conséquent, la courbe d’opportunité se confondrait au segment 𝐴𝐵 qui indique le niveau moyen d’opportunité au sein de l’économie𝑦. 24 L’inclusivité de la croissance s’évaluera donc par sa capacité à réduire l’écart entre la courbe d’opportunité et le segment 𝐴𝐵 . Il s’agit de l’aire formée par les points A, B et D, appelée la zone d’exclusion. La politique publique aura donc pour objet de maximiser l’aire sous la courbe d’opportunité donnée par : 𝑦∗ = ! 𝑦 𝑑𝑝 ! ! [1] Il s’agit de l’indice d’opportunité que nous noterons IO. Figure : 1 Courbe d’opportunité sociale Moyenne cumulée des opportunités sociales 𝑦! varie pour chaque p C J 𝐴 𝐵 𝒅𝟏 F 𝑦! 𝒅𝟏𝟎 I 𝐷 E 0 p=10% H Proportion cumulée de la population (p varie de 0% à 100%) p=90% G p=100% L’ampleur de l’inéquité sera évaluée soit en mesurant la zone d’exclusion en proportion de la moyenne, soit en calculant le rapport entre l’IO et la moyenne globale. Ce rapport donne l’Indice d’équité des opportunités (Ali et Son, 2007) qui capte la qualité de la croissance en terme de redistribution: 𝜑= • • • !∗ ! [2] 𝜑 < 1 indique une situation d’inéquité. La zone d’exclusion est positive. 𝜑 > 1 , indique une situation d’équité dans la répartition de l’opportunité. 𝜑 = 1 indique une situation d’égalité. La zone d’exclusion est nulle. L’équité sera préférée à l’égalité parce qu’elle assure aux individus les plus pauvres une attention particulière quant à l’accès aux opportunités économiques et sociales en droite ligne du principe de transfert. 25 La dynamique de l’équité au passage du temps sera captée par : 𝑑𝑦 ∗ = 𝜑𝑑𝑦 + 𝑦𝑑𝜑 [3]. La croissance est plus inclusive si 𝑑𝑦 ∗ > 0. En outre 𝜑𝑑𝑦 est la contribution d’une augmentation de la quantité d’opportunités moyennes disponibles avec distribution inchangée, alors que 𝑦𝑑𝜑 mesure la contribution d’un changement dans la distribution des opportunités pour une moyenne inchangée. • • Si 𝜑𝑑𝑦 > 0, 𝑦𝑑𝜑 > 0 l’épisode de croissance considéré est clairement inclusif ; Si 𝜑𝑑𝑦 < 0, 𝑦𝑑𝜑 < 0 l’épisode de croissance considéré est clairement non inclusif ; Un arbitrage entre 𝜑 et 𝑦 est possible : • • si 𝜑𝑑𝑦 > 0, 𝑦𝑑𝜑 < 0 plus d’inclusivité est réalisé au détriment de l’équité sur l’épisode de croissance considéré ; si 𝜑𝑑𝑦 < 0, 𝑦𝑑𝜑 > 0 plus d’inclusivité est réalisé au prix d’une contraction de la quantité moyenne d’opportunité disponible. Plus d’inclusivité de la croissance s’obtient soit en augmentant la quantité d’opportunité disponible, soit en assurant une meilleure redistribution, soit encore en réalisant les deux. Dans le cas d’une courbe d’opportunité à pente positive, nous pouvons évaluer le degré d’exclusion pour chacun des facteurs d’inclusivité en écrivant : 𝛿 = 𝜑 − 1 [4] Nous l’appellerons degré d’exclusion sectoriel (DES). Il indique la taille de la zone d’exclusion pour chacun des secteurs (facteurs) sur lesquels se fonde l’inclusivité de la croissance (éduction, santé, emploi, etc.). Par exemple, pour un indice d’équité de 0,3 dans le secteur de l’éducation, nous déduirons que l’économie considérée souffre d’un degré d’exclusion à l’accès à l’éducation de 70%. Pour avoir une idée d’ensemble sur le niveau national d’exclusion, les différents DES peuvent être combinés en les pondérant chacun d’un coefficient traduisant l’importance de chacun d’eux dans la définition de la croissance inclusive. Nous appellerons la mesure ainsi obtenue degré d’exclusion globale (DEG) : ! 𝐷𝐸𝐺 = 𝛽! 𝐷𝐸𝑆! !!! Avec 𝑘 le nombre de secteur considérés – ou facteur de croissance inclusive. Il s’agit des composantes non monétaires qui entre dans la définition de l’inclusivité. Le degré d’exclusion du secteur 𝑖 auquel on associe la pondération 𝛽! . 26 Deux façons alternatives peuvent être utilisées pour déterminer la pondération de chaque secteur. Une première approche consisterait à récolter l’information auprès des décideurs publics. Le poids attribué à chaque secteur reflétera leurs priorités parmi les multiples dimensions qui sous-tendent la croissance inclusive. Une deuxième approche serait de récolter l’information directement auprès des ménages. De cette manière, la hiérarchisation des secteurs reflètera la perception qu’ils se font de leur bien-être. En outre, l’approche de scoring développée dans McKinley (2010) peut servir de point de départ dans la fixation des pondérations. En appliquant un raisonnement analogue, nous pouvons évaluer la zone d’exclusion au sein de chaque décile de la population et déterminer son degré d’exclusion sectoriel propre. Pour le premier décile, le degré d’exclusion sectoriel par décile de revenu sera donné par le rapport en proportion de l’aire D,I,E,0 et la zone d’exclusion de ce décile définit par l’aire A, J,I,D. 𝐷𝐸𝑆!! = !,! !! !" ! ! ! !" −1 [5] Pour le dernier décile, le taux d’exclusion sera donné part : 𝐷𝐸𝑆!!" = ! ! !" !,! ! ! ! !" −1 [6] Nous constaterons dans notre exemple que le degré d’exclusion diminuera à mesure que l’on s’approche du décile 10 de sorte que : 𝐷𝐸𝑆!! > 𝐷𝐸𝑆!! > ⋯ > 𝐷𝐸𝑆!!" Une autre information précieuse nous sera donnée par comparaison des dimensions des zones d’exclusion des déciles 1 et 10. Cela reviendrait aussi à comparer l’étendue de l’aire sous la courbe d’opportunité à l’intérieur de chacun de ces déciles. Nous appellerons cette mesure le ratio 1/10. Il renseigne sur l’étendue des inégalités en matière d’accès à l’opportunité entre les deux extrémités de la société (les plus pauvres et les plus riches). !"# 𝑟!/!" = !"# !! !!" [7] Toute valeur de 𝑟!/!" < 1 indique une disparité dans l’accès à l’opportunité sociale ou économique considérée. Une croissance inclusive aura pour effet d’augmenter la valeur de ce ratio. Une augmentation de 𝑟!/!" dans le temps traduit une amélioration de l’équité distributive perçue dans le sens de la réduction des disparités riches-pauvres. Dans une situation d’inéquité comme celle présentée sur la figure 1 le point le plus profond de la zone d’exclusion se trouve dans le premier décile. Ce décile correspond aux 10% les plus pauvres de la population. Nous pouvons estimer cette profondeur en déterminant l’écart entre 27 la moyenne des opportunités disponibles dans le premier décile et la moyenne générale de toute la population 𝑦. En maximisant 𝑦 ∗ , la croissance inclusive devrait contribuer à réduire la profondeur des inégalités et améliorer le bien-être global, en brisant la malédiction de Kuznets (1955). C’est le cas lorsque l’augmentation des opportunités issue de la croissance s’accompagne d’une redistribution suffisamment équitable au bénéfice les couches les plus démunies. En utilisant les degrés d’exclusion par décile, nous pourrons classer la population en 4 catégories en fonction de l’ampleur de l’exclusion: - de 0% à 25% : catégorie de faible exclusion de 25% à 50% : catégorie d’exclusion moyenne de 50% à 75% : catégorie de forte exclusion de 75% à 100% : catégorie de marginalisation. 75% d’exclusion étant considérés comme le seuil de marginalisation. En cumulant la proportion de la population située dans chacune de ces catégories, nous pouvons construire la pyramide d’exclusion. Elle donne une information visuelle sur la sévérité de l’exclusion ainsi que la population la plus touchée. La pointe de la pyramide indiquera la catégorie qui contient la plus forte concentration de la population. Exclusion moyenne 25-‐50% 5% 70% 50-‐75% Forte exclusion 0-‐25% 10% Faible exclusion 5% Proportion cumulée de la population. (de 0% à 100%). Identique sur tous les axes 75-‐100% 28 Marginalisation Considérons par exemple le cas du secteur de l’éducation. Si 70% de la population connait un taux d’exclusion compris entre 0% et 25 %, le reste de la population étant répartie sur les 3 catégories restantes à raison de 5%,10, et 5% respectivement pour la deuxième, troisième et quatrième catégorie, la pyramide d’exclusion se lira : 70% de la population est faiblement exclue de l’accès à l’éducation. Dans le cas ou 70% de la population enregistre un taux d’exclusion compris entre 75% et 100%, la pyramide indiquera que 70% de la population est à la marge du système l’éducation. Exclusion moyenne 25-50% 50-75% 0-25% Forte exclusion Faible exclusion Proportion cumulée de la population Marginalisation 70% 75-100% Le degré d’exclusion par décile sera agrégé selon les mêmes pondérations utilisées pour déterminer l’exclusion globale. Ainsi, nous pouvons évaluer l’exclusion par décile de revenu au niveau national et construire une pyramide d’exclusion donnant une vue d’ensemble. Pour intégrer l’accroissement du revenu dans nos mesures, nous procédons par une démarche analogue. Il suffit de considérer le revenu comme un facteur (secteur) parmi les autres. Dans ce cas, 𝑦 ne représente plus les opportunités mais le niveau effectif de revenu de chaque individu (voir Anand et al. 2013). Par conséquent, la courbe d’opportunité se transforme en courbe de mobilité sociale. Les indices d’opportunité et indice d’équité d’opportunité deviennent respectivement indice de mobilité sociale et indice d’équité de revenu. Les aspects fondamentaux restent inchangés. 29 Tous les outils élaborés sous l’optique des opportunités s’appliquent, moyennant les changements d’interprétation nécessaires. C’est notamment le cas du degré d’exclusion globale. Notons néanmoins que la décomposition de l’indice de mobilité sociale nous permettra d’écrire le taux de croissance inclusif comme la somme du taux de croissance économique et du taux de croissance de variation de l’équité distributive. En effet, sachant que l’indice d’équité de revenu est donné par : 𝜔= !∗ ! [8] avec 𝑦 ∗ l’indice de mobilité sociale dérivé et interprété de manière analogue à l’indice d’opportunité, 𝑦, le niveau moyen de revenu. En linéarisant et différentiant les deux membres, on pourrait écrire : !! ∗ ! = !! ! + !" ! [9] 5. Quelles sont les principales contraintes à l'inclusivité ? 5.1. Cas des pays développés Les pays les plus pauvres de la planète ne sont pas les seuls concernés par la question des inégalités (Piketty et Saez, 2003).Krugman (2008) souligne par exemple que le problème de la distribution des revenus est une question de première importance aux Etats Unis. L’augmentation des inégalités s’est traduite par une différenciation dans le rythme de croissance du revenu entre les classes sociales. Les disparités du revenu salarial ainsi que les insuffisances du système des transferts représentent les entraves majeures à l’inclusivité (Denk et al., 2013 ; Gurria et al. 2014). La forte dispersion du revenu du travail dans les pays développés résulte de plusieurs facteurs notamment: (i) le progrès technologique ; (ii) l’ouverture sur l’extérieur ; (iii) la faible mobilité sociale ; (iv) le changement des institutions et de la régulation. Dans le même sens qu’Acemoglu (2002), le rapport de l’OCDE sur la croissance inclusive, souligne que les changements technologiques ont davantage bénéficié aux travailleurs hautement qualifiés (Gurria et al. 2014). L’augmentation de la productivité qui s’en est suivie a occasionné la baisse de la demande de travailleurs peu qualifiés en préjudiciant les individus les moins éduqués. Un progrès technologique privilégiant la qualification a donc tendance à accentuer les inégalités au sein de la société (Banerjee et Duflo, 2003).Par ailleurs, même au sein de la population éduquée, un certain degré d’inégalité semble persister, étant donné que certaines compétences sont plus productives que d’autres (Heckman et al. 1998). 30 Le développement de la finance et du secteur des services a lui aussi favorisé une diminution de la demande de travail à faible qualification, en entrainant une plus grande disparité de revenu entre les deux types de travailleurs (Feenstra, 2010 ; OCDE, 2011).Pour sa part, le développement du commerce international a affecté les salariés à bas revenu en renforçant la concurrence des produits importés (Autor et al.,2012), sachant que la main d’œuvre des pays en développement est moins onéreuse. Les changements intervenus dans la régulation ont rendu le marché du travail plus compétitif et flexible, en détériorant quelque peu la qualité des emplois, particulièrement les emplois à mi-temps (Gurria et al. 2014).A cet effet, Lee (1999) souligne que la réduction du niveau de salaire minimum a contribué à l’aggravation de la situation économique des ménages à bas revenu. Ces ménages ne s’en trouvent que plus préjudiciés, d’autant plus que les organisations syndicales censées protéger les salariés - et surtout les plus fragiles – semblent de moins en moins attrayantes (Card et al., 2004). Les disparités de revenu salarial peuvent être aggravées par une faible mobilité sociale telle que mis en évidence par Bengali et Daly (2013). Dans le cas des Etats-Unis, la structure sociale semble privilégier les individus en fonction de leur naissance et non pas nécessairement en fonction des efforts fournis. Par conséquent, les inégalités de revenu comportent une dimension intergénérationnelle dans le sens qu’il existe une corrélation entre le niveau de revenu et les conditions initiales de la naissance (Denk et al., 2013). Par ailleurs, il sied de souligner la diminution des capacités distributives du système fiscal, devenu plus exigent aux fins de maitriser les dépenses affectées à la protection sociale (Gurria et al. 2014). Il revient au système fiscal d’organiser les prélèvements ainsi que les transferts de revenu de manière à protéger les revenus disponibles des ménages les plus vulnérables. Un système fiscal mal calibré peut entrainer des distorsions en matière de distribution des revenus entre classe sociale, sans compensation équivalente en termes de prestations sociales, et au bénéfice des plus nécessiteux. 5.2. Cas des économies émergentes Dans les pays émergents, la question des inégalités dépassent largement le cadre du revenu salarial. D’autres facteurs tels que l’importance de l’économie informelle, les inégalités dans la distribution de l’accès à l’éducation, la faiblesse du système de sécurité sociale ainsi que les disparités géographique, affectent négativement l’inclusivité de la croissance économique dans ces pays. La prépondérance du secteur informel La prépondérance du secteur informel entrave l’inclusivité étant donné que ce secteur est généralement caractérisé par des emplois faiblement rémunérés, peu productifs et souvent non réglementés (Beccaria et Groisman, 2008)et ne jouissant pas d’une protection sociale 31 adéquate à cause de la faible réglementation dont ils sont l’objet (De Soto, 1994).Par conséquent, les travailleurs du secteur informel peuvent tirer moins de satisfaction de leur travail en comparaison à ceux du secteur formel, plus structuré et potentiellement plus productif (Pagés et Madrigal 2008 ; Bernal 2009). Sur ce point, le rapport de l’OCDE sur l’augmentation des inégalités souligne qu’au Brésil, les emplois informels sont concentrés dans les secteurs intensifs en main d’œuvre peu qualifiée. En Chine le travail informel concerne surtout les migrants non déclarés alors qu’en Inde et en Indonésie, le phénomène touche particulièrement les femmes, les vendeurs de rue, les travailleurs à domicile ainsi que les travailleurs en sous-traitance(OCDE, 2011).Il ressort cependant que le secteur informel reste l’une des principalesvoix d'insertion sur le marché du travail dans les pays en développement,en dépit d’une croissance économique forte(Bacchetta et al., 2009 ; Johannes P. Jütting et Juan R. de Laiglesia, 2009). Les inégalités d’accès à l’éducation La mauvaise distribution de l’accès à l’éducation représente un important obstacle à l’inclusivité (Balakrishnan et al.,2013).. La qualité de l’emploi auquel on peut prétendre accéder étant liée à celle de l’éducation reçue, l’accès à une éducation de bonne qualité sera un déterminant important du revenu et du bien-être. Cependant, cette qualité est associée à des coûts prohibitifs pouvant sérieusement restreindre les possibilités des ménages pauvres quant à l’accès à une éducation de qualité sur une durée suffisante. Par conséquent, leur chance de jouir de rémunérations relativement élevées n’en sera que négativement affectée, étant donné que le salaire évolue aussi avec le temps passé à l’école (Zhang et al., 2005). Il sied de relever qu’en dépit d’une augmentation dans le taux de fréquentation de l’école dans les pays émergents, le problème de qualité de l’instruction reçue continue à se poser avec une certaine acuité (OCDE, 2011). Ces disparités conduisent à une allocation sous optimale de l’éducation au sein de la société (Klasen, 2002). En effet, si l’accès à l’éducation de haut niveau dépend davantage du revenu, du genre ou du groupe social que du mérite de chacun, certains étudiants méritants seront privés de cette éducation en étant remplacés par d’autres moins méritants, mais qui appartiennent aux groupes sociaux privilégiés. Parce conséquent, ces derniers seront des travailleurs moins compétents et conduiront à une diminution de la productivité de l’investissement consacré à éducation. Il vient que la capacité des plus pauvres à participer à la croissance et à en bénéficier est réduite par tous ces facteurs. Les disparités spatiales Les disparités spatiales comptent pour beaucoup dans l’explication des inégalités dans les pays émergents. Le problème se pose en termes de performances économiques différentiées entre les régions, de déséquilibre dans la répartition du pouvoir et des dotations en ressources naturelles, mais aussi d’avantages ethniques, géographiques ou historiques. Certaines régions 32 peuvent être plus dynamique que d’autres sur le plan des résultats économiques, mieux dotées en ressources naturelles, mieux équipées en infrastructures et en capital humain, ou tout simplement jouir d’une plus grande attention de la part du pouvoir public (Fan et al., 2009). Tous ces facteurs conduiront à renforcer les inégalités entre les individus selon leur localisation, tant sur le plan de la distribution des revenus (Sen, Banerjee et Himanshu, 2004) que sur celui de l’accès aux opportunités socioéconomiques telles que les services de santé (Tandon et Zhuang 2007) ou l’éducation (Herd, 2010), sur fond d’un double dualisme. Le premier champ de disparités concernera les milieux urbains comparativement aux milieux ruraux, tandis que le second dualisme portera sur les déséquilibres entre les différentes régions au sein d’un même pays. Les zones rurales étant généralement moins équipées que les zones urbaines, elles seront plus préjudiciées dans leurs possibilités économiques et sociales. 5.3. Cas des pays pauvres Dans les pays pauvres, le problème de l’exclusion se pose en des termes plus préoccupants. Certaines contraintes s’ajoutent à celles soulevées pour les pays émergents et entravent davantage la croissance inclusive. C’est le cas notamment de la qualité des institutions, des faibles capacités de création d’emplois productifs, des carences d’infrastructures ainsi que de la faible diversification économique. Tous ces facteurs viennent réduire les effets de participation et de distribution équitable de la croissance économique dans les pays les moins avancés Faible qualité des institutions De manière générale, il est admis que la qualité des institutions est un déterminant majeur du niveau de développement (Williamson, 1995 ; Rodrik, 2000 ; Collier, 2006). En considérant la qualité des institutions dans l’optique des six indicateurs de Kaufmann et al. (2005) : la participation et la redevabilité, (ii), la stabilité politique, (iii) l’efficacité du pouvoir public, (iv) la qualité de la règlementation, (v) les règles de droit, (vi) le contrôle de la corruption ; il sied de relever que les faibles performances des pays pauvres en cette matière représentent des contraintes sérieuses quant à l’inclusivité de la croissance économique. Welch et Nuru (2006) soulignent que la gouvernance démocratique élargie la gamme des options offertes en vue du développement humain. En dépit des améliorations récentes, les pays les moins avancés font encore face au défi majeur de la création et du renforcement des institutions clés de la gouvernance démocratique, susceptibles de concilier les objectifs d’autorité et d’inclusion sociale (Gerring,Thacker et Moreno, 2005). De nombreuses analyses empiriques établissent la corrélation entre la stabilité politique, la croissance économique et les inégalités (Alberto et Perotti, 1996 ; Maccullock 2005).Cette relation semble être caractérisée par un effet causal bidirectionnel : d’une part les inégalités accroissent les mécontentements sociaux qui par la suite peuvent engendrer des mouvements revendicatifs violents (Schock 1996); et d’autre part l’instabilité politique selon le degré 33 qu’elle a atteint, peut réduire la diffusion des effets de l’inclusivité de la croissance par la désarticulation de l’appareil étatique et des services sociaux (santé et éducation notamment), la destruction des infrastructures socioéconomiques, la fragilisation de l’intégrité territoriale, les déplacements des populations, la diffusion des maladies et la réduction de la production agricole (FAO, 2005).Sur le plan de la stabilité politique, un nombre important de pays sousdéveloppés – particulièrement en Afrique subsaharienne – connaissent des tensions politiques et militaires qui réduisent l’inclusivité de la croissance économique par leurs effets induits. L’efficacité du pouvoir public et sa capacité à renforcer l’inclusivité se traduisent notamment par la qualité des dépenses publiques, particulièrement celles allouées aux secteurs sociaux dont les pauvres sont les plus susceptibles d’être exclus. La corruption affectent significativement l’inclusivité de la croissance économique tant sur le plan de la création des richesses et de leur redistribution équitable (Gyimah-Brempong ,2001 ; Dincer et Gunalp 2005) que celui du bien être sociale multidimensionnel (Gupta et al. 2002 ; Aidt, 2010). De manière directe, la corruption prive l’Etat de ressources importantes pouvant servir à soutenir l’action publique en faveur de l’inclusivité – financement de l’éducation, de la santé, des infrastructures socioéconomiques – ou réduit tout simplement l’efficacité de programmes sociaux censées bénéficier aux plus vulnérables (Olken 2005). La corruption affaiblit la gouvernance et la justice sociale, elle décourage l’investissement (Asiedu et Freeman 2009) et par conséquent affecte le dynamise économique et peut en même temps aggraver l’exclusion des plus vulnérables du marché de l’emploi. Au plan de la corruption, la situation des pays pauvres est préoccupante. Le rapport de Transparency international (2014) sur l’état de la corruption dans le monde met en évidence le fait que ces pays sont particulièrement concernés par ce phénomène. Faible création d’emploi Dans les pays les moins avancés, la croissance économique n’a pas été en mesure de stimuler suffisamment l’emploi pour absorber la masse croissante des nouveaux entrants sur le marché. L’explication provient entre autre du fait que le modèle économique appliqué dans ces pays n’a pas privilégié les transformations structurelles nécessaires à une transition des activités à faible productivité vers des activités à plus grande productivité(UNCTAD, 2014). On soulève par contre l’expansion du secteur des services dominé par des activités peu productives et relevant le plus souvent de l’informel avec les problèmes qui lui sont associés – emplois faiblement rémunérés et peu ou pas protégés (Beccaria et Groisman, 2008). La prépondérance du secteur informel limite par ailleurs les capacités de l’Etat à fournir une gouvernance et des institutions de qualité (Singh et al., 2012)susceptibles d’agir en faveur d’une croissance mieux partagée dans ces pays. L’emploi est négativement affecté par l’expansion du secteur des services sans contrepartie de l’industrie, étant donné que dans les pays pauvres, une grande part de la force de travail est concentrée dans le secteur agricole (UNCTAD, 2014). Aussi, l’état des infrastructures et 34 de la technologie ainsi que la faiblesse du capital humain et financier renforcent les contraintes à l’entreprenariat et affaiblissent les incitations à investir. Ceci avec comme conséquence une plus faible création d’emplois. Insuffisance des infrastructures Du fait de leur pauvreté, les pays les moins avancés sur le plan économiques – notamment les pays africains – souffrent d’une carence considérable d’infrastructures socioéconomiques. Dans un rapport portant sur la croissance pro-pauvre, l’OCDE (2006) souligne l’insuffisance des financements alloués aux infrastructures dans les pays pauvres et africains en particulier. La stratégie de croissance 2013 – 2022 de la Banque Africaine de Développement (BAD, 2013) revient sur le fait que l’insuffisance d’infrastructures coûte au continent africain l’équivalent de 5% de son PIB, alors que l’élimination de ces carences pourrait augmenter son taux de croissance de 2%. Il est admis que les infrastructures jouent un rôle majeur dans la diffusion des effets de la croissance, la réduction de la pauvreté et des inégalités (Calderon et Serven, 2005). Elles affectent positivement le bien-être des populations les plus défavorisées tant sur le plan monétaire que non monétaire en élargissant le spectre d’opportunités économiques et sociales disponibles (Brenneman et Kerf ; 2002). Sur le plan non monétaire, les infrastructures socioéconomiques affectent le bien-être social des plus démunis en facilitant la satisfaction de leurs besoins de base. L’accès à des hôpitaux équipés, à des latrines saines ainsi qu’à l’eau potable améliore la santé des populations rurales. La disponibilité des écoles viables dans les zones désavantagées favorise l’éducation pour tous susceptible d’assurer l’égalité des chances. Pour sa part, l’électrification des milieux ruraux peut améliorer les standards de vie des ménages ruraux. Chaque dimension du bien-être social est liée à la présence d’un type d’infrastructure particulier. Il vient donc que l’investissement conséquent en infrastructures affectera positivement le développement humain (Ravaillon et Datt 2001).Ce type d’investissement apparait prioritaire pour les pays les moins avancés, au vue de favoriser une croissance soutenue et porteuse de plus d’équité sociale. Faible protection sociale En plus des insuffisances au niveau de l’emploi, les faiblesses du système de protection sociale réduisent les capacités de la croissance économique à impliquer et à profiter à tout le monde dans les pays sous-développés. La protection sociale devrait assurer une redistribution des droits au sein de la société en fournissant aux plus défavorisés les possibilités de participer activement à la vie économique par divers programmes sociaux comprenant des activités telles que les assurances sociales, la formation professionnelle pour les non qualifiés exclus du marché du travail et les appuis directs aux ménage les plus vulnérables. Faible diversification de l’économie 35 De nombreux pays pauvres souffrent d’un manque criant de diversification en ayant les ressources naturelles comme principale source de revenu et moteur de la croissance. L’exploitation des ressources est une activité intensive en capital plutôt qu’en main d’œuvre. Il vient que les retombées d’une croissance essentiellement axée sur les ressources naturelles aura tendance à profiter davantage aux riches détenteurs des capitaux investis, plutôt qu’à la population locale généralement pauvre. Et l’incitation de l’élite dirigeante à réinvestir les revenus tirés des ressources naturelle dans une croissance profitable à tous n’est pas garantie (Dunning, 2005). Aussi, les activités extractives n’entretiennent pas toujours des liens avec les économies locales. Cette déconnection réduit les possibilités des populations locales d’en tirer un bénéfice substantiel. En outre, les ressources naturelles peuvent exacerber l’instabilité politique (Snyder et Bhavnani, 2005 ; Humphreys, 2005 ; Fearon, 2005) et favoriser les rebellions opportunistes (Weinstein, 2005). 6. Inclusivité et Politique publique 6.1. Quels sont les principaux enseignements ? La question des inégalités dans la distribution des revenus à fait l’objet d’une abondante littérature en économie (cf. Sandmo, 2013).Bien que fortement préoccupée par la nécessité de réduction de la pauvreté monétaire, la notion de croissance inclusive se distance de la croissance pro-pauvre à travers l’intégration de composantes non monétaires dans la définition du bien-être. Une croissance pro-pauvre n’est donc pas un objectif suffisant de la politique de développement. Il faudrait lui adjoindre les éléments sociaux indispensables à la conception multidimensionnelle du bien-être – accès aux infrastructures socioéconomiques, accès à l’éducation, accès à la santé, équité de genre, etc. (Bhalla, 2007 ; Ali et Son, 2007 ; Samans et al., 2015). A ce stade, il importe aussi de considérer la situation contextuelle de chaque groupe social de sorte à définir une inclusivité relative, mieux à même de rendre compte des réalités locales. Par conséquent, le débat sur l’inclusivité dans les pays sous-développés se posera en des termes quelques peu différents de celui des pays les plus avancés. En dépit de la prise en compte des facteurs sociaux, la soutenabilité de la croissance – même étant déjà inclusive au sens de la participation à l’activité productive et de la redistribution équitable des opportunités - oblige d’accorder une attention particulière à l’empreinte écologique de l’activité économique (Fay et Hallegatte, 2012). La croissance inclusive n’est pas automatiquement verte. L’intégration des préoccupations écologiques relève d’une prise de conscience collective et se fonde sur des institutions de bonne qualité dotées d’une perspective inter-temporelle de la question du bien-être. 36 Ces enseignements justifient l’implication du pouvoir public. Il lui revient de concevoir les politiques idoines en vue de maximiser le bien-être des générations actuelles tout en assurant la protection des droits des générations futures (Sachs, 2012). 6.2. Quelles sont les principales priorités ? L’identification des aspects les plus pertinents de la croissance inclusive ainsi que les mesures devant les soutenir doivent s’inscrire dans le contexte propre à chaque pays. Les principales contraintes à l’inclusivité diffèrent selon le niveau de progrès économique, autant que le rythme d’évolution de la pauvreté dépend du degré d’inégalité initial (Ravallion 2009). Une politique publique efficace en matière d’inclusivité doit répondre à certains impératifs d’ordre transversal. Elle doit accorder une attention particulière à la dimension sociale et aux services qui lui sont associés, étant donné que les pauvres sont les plus susceptibles d’en être exclus. A ce propos, les mesures mises en place doivent cibler correctement les couches sociales les plus nécessiteuses en s’assurant de lever les contraintes pouvant les empêcher de bénéficier du service fourni. Le rapport sur le cadre de l’OCDE pour une croissance inclusive (OCDE, 2014b) , relève pour sa part trois éléments majeurs auxquels le cadre de politiques publiques pour la croissance inclusive devra répondre : (i) il doit permettre d’établir une relation claire entre les dimensions individuelles du bien-être et les politiques mises en œuvre, et ainsi, de rendre compte de l’influence, tant directe qu’indirecte, de l’action des pouvoirs publics sur des dimensions essentielles de façon à ouvrir des possibilités d’interactions plus fructueuses ; (ii) il doit rendre explicites les principaux arbitrages et synergies afin que les responsables de l’action publique puissent être mieux informés sur les choix stratégiques à opérer concernant les différentes dimensions du niveau de vie multidimensionnel ; (iii) il doit être suffisamment souple pour pouvoir être adapté aux défis et aux conditions spécifiques à chaque pays Cependant, la stabilité du cadre macroéconomique est perçue comme le prérequis d’une croissance économique soutenue, pro-job et réductrice de la pauvreté (Anand et al., 2013, 2014). Une politique monétaire qui protège le pouvoir d’achat des plus pauvres(Cardoso, 1992 ; Agénor, 2005)se combine à une politique budgétaire désireuse de faire participer toutes les couches sociales à l’activité économique à travers des prélèvements plus justes, des transferts et avantages fiscaux octroyés aux ménages les plus en difficulté, ainsi que la fourniture de biens et services publics divers. 6.2.1. Pour les pays développés Dans le contexte des pays développés, la soutenabilité de la croissance passent aussi par le renforcement des capacités d’innovation, en inscrivant le dynamisme économique dans une perspective de long terme (Phelps, 2014). L’innovation apparait ici comme un point majeur susceptible d’agir positivement tant sur la soutenabilité que sur l’inclusivité de la croissance. Elle devrait permettre d’impliquer les ménages les plus défavorisés et d’améliorer leur standard de vie en leur facilitant l’accès à des emplois plus productifs et mieux rémunérés. A 37 ce propos, Stiglitz et Greenward (2014) soulignent la nécessité de forger une société de connaissances apte à assurer un relèvement substantiel des standards de vie. En analysant le cas spécifique des Etat Unies, Denk et al, (2013) proposent certaines mesures clés pour soutenir une croissance mieux partagée. La réponse à la forte disparité des revenus du travail réside dans l’amélioration de l’accès à l’éducation pour les étudiants issus des milieux les plus défavorisés. Cette mesure devra leur permettre d’acquérir les qualifications utiles au développement de leur plein potentiel. Il s’agit aussi de reformer le système des prélèvements et prestations pour le rendre moins inégalitaire, notamment par la suppression progressive des dépenses fiscales favorisant les hauts revenus de manière disproportionnée. Un meilleur ciblage des bénéficiaires des transferts sociaux ainsi qu’une simplification des procédures administratives pourraient contribuer à l’atténuation des inégalités. Dans la même optique, le rapport de l’OCDE (2011) sur l’augmentation des inégalités souligne que la réforme du système fiscal est l’instrument le plus direct et le plus efficace pour augmenter les effets de redistribution et éviter la dégradation de la situation des ménages. L’emploi et le renforcement du capital humain représentent aussi des axes majeurs de la politique publique. Il est question de la promotion des emplois de qualité pour les groupes sous représentés tels que les jeunes, les femmes, les personnes âgées et les migrants. Il est aussi question d’élargir l’accès à une éducation de qualité sans discrimination – en impliquant notamment les employeurs – au vue de redistribuer plus équitablement les chances d’obtenir les meilleurs qualifications. Les compétences acquises étant un déterminant de l’inversion professionnelle et de la rémunération, de telles mesures favoriseront le relèvement des standards de vie. 6.2.3. Pour les pays émergents Dans la perspective du rapport de l’OCDE sur l’augmentation des inégalités (OCDE, 2011), le soutien d’une croissance inclusive dans les pays émergents nécessite une meilleure considération du marché de l’emploi, une amélioration de l’accès à l’éducation pour tous ainsi qu’un renforcement de la protection sociale et des mesures de politique fiscale en faveur des plus nécessiteux ainsi qu’une bonne préparation face à l’augmentation des dépenses sociales à venir. Réforme de l’emploi La législation du travail devra intégrer les assouplissements nécessaires au renforcement de l’incitation des entreprises à embaucher les travailleurs par la voie formelle. Ceci au vue de réduire les disparités de revenu découlant de la prépondérance du secteur informel. Il est aussi question d’élargir la couverture des indemnisations chômages et d’assurer un salaire minimum aux travailleurs pouvant garantir un niveau de vie minimum pour les plus vulnérables d’entre eux. 38 Accès à l’éducation Le renforcement de la qualification de la force de travail est un point majeur dans la stratégie de promotion de la croissance inclusive pour les pays émergents. Il s’agit non seulement d’augmenter le niveau de qualification en termes global, mais surtout de lever les contraintes qui excluent les plus pauvres du système d’éducation de haut niveau. La fourniture d’infrastructures de transport en milieu rural par exemple, peut faciliter l’accès à l’école. De telles politiques favoriseront l’accroissement des rémunérations des plus pauvres suite au relèvement de leur productivité. 6.2.3. Pour les pays les moins avancés Amélioration de la gouvernance La promotion de la croissance inclusive se fonde sur une vision de l’action publique plus interventionniste que libérale. Les institutions publiques tiennent par conséquent un rôle majeur non seulement dans le soutien d’une croissance économique soutenue dans le long terme (Acemoglu et al, 2001) mais aussi dans la construction d’une société inclusive, favorisant la participation de tous les groupes sociaux à l’activité économique et au processus décisionnel (Acemoglu et Robinson, 2012). C’est aussi aux institutions qu’il revient de définir la politique de développement et de décider sur l’allocation des ressources publiques, notamment en faveurs des pauvres. A ce propos, De Soto (2000) souligne le lien entre le sous-développement et la faiblesse des institutions qui maintien une bonne partie du capital productif en dehors du système formel des droits de propriété. Une croissance mieux partagée dans les pays pauvres nécessite des institutions de qualité, à même d’assurer un accroissement soutenu de la richesse nationale, de garantir la stabilité politique nécessaire à la conduite normale de l’activité économique, d’orienter les ressources disponibles dans le sens de l’intérêt général, notamment par la fourniture d’infrastructures et de services sociaux profitables à tous. Ceci en vue de permettre le relèvement équitable de l’ensemble du corps social. Investissement dans les infrastructures Les infrastructures contribuent à expliquer les disparités spatiales – dualisme urbain - rural notamment – en matière de développement (Ravallion et Datt, 1999 ; Ghosh et De 2005). Etant moins équipées, les zones rurales – majoritairement peuplées d’individus pauvres – sont moins desservies par les effets de la croissance économique dans les pays les moins avancés. A cet effet, Ali et Pernia (2003) insistent sur le réseau routier, l’électricité et l’irrigation. La fourniture en routes apparait efficace dans la réduction de la pauvreté rurale (Fan et al, 2002 ; Van de Walle et Cratty 2002). Elle permet de connecter le marché local à d’autres espaces plus larges, offrant ainsi davantage de possibilités économiques aux ménages pauvres 39 (Willoughby 2003). Elles peuvent atténuer les désavantages et l’isolation géographie (Warr, 2006) qui se traduit par une faible mobilité des ménages ruraux. Elles favorisent aussi le développement de l’économie locale, stimule le tourisme et l’industrie non agricole (Dong and Fan, 2004). Lorsqu’elles sont disponibles, les infrastructures telles que celles d’irrigation, améliorer la productivité des travailleurs agricoles avec comme effet l’augmentation de leurs revenus (Fan et al., 2002). La fourniture de l’énergie revêt elle aussi une importance particulière dans le renforcement de l’inclusivité de la croissance économique. L’électricité permet non seulement de soutenir la productivité agricole (Songco 2002), mais elle renforce les possibilités de développer d’autres types d’activités et d’allonger ainsi la chaine de valeur de la production rurale (BAD, 2013). Ceci permet aux ménages ruraux de diversifier leur source de revenu. Les pays pauvres doivent impérativement améliorer leur capital infrastructurel de sorte à soutenir l’inclusivité de la croissance. En réduisant les coûts d’accès aux services sociaux et aux opportunités économique, un dispositif infrastructurel suffisamment développé agit directement sur le bien-être des populations et particulièrement sur les ménages à bas revenu. Le renforcement du capital humain Le renforcement du capital humain passe par un investissement accru dans l’éducation qui fait partie des plus importantes composantes non monétaires du bien-être. L’accès à l’éducation détermine l’acquisition de la qualification qui elle influence les possibilités futures en terme d’emploi et de salaire. Renforcer l’éducation et l’acquisition de compétences pour tous permettra au plus pauvres de prétendre à un meilleur standing de vie, en les rendant plus aptes à la compétition pour les meilleurs emplois, à participer à l’activité économique et à en tirer profit – avec comme autre effet de réduire le gaspillage de talent fustigé par Banerjee et Duflo (2013) grâce à l’égalité des chances. Fournier et Koske (2012) établissent par ailleurs que l’augmentation de la part des travailleurs ayant un niveau d’éducation post-secondaire a comme effet de réduire les inégalités dans la distribution du revenu. Par conséquent, renforcer le capital humain induit un effet positif sur l’équité sociale. Sachant que les populations pauvres sont généralement plus contraintes que les riches dans leur accès aux opportunités sociales, il revient au décideur public d’assurer un rééquilibrage au bénéfice des défavorisés. La question de l’accès à l’éducation prend une résonance particulière en Afrique par exemple. Les désavantages – et l’exclusion qui en découle – peuvent provenir non seulement du coût prohibitif des services fournis, mais aussi de leur localisation. En effet, les écoles qui fournissent une éducation de qualité sont souvent les plus chères et se situent généralement dans les grands centres urbains, alors que les milieux ruraux en sont privés. Cette restriction des possibilités d’apprentissage peut renforcer la pauvreté rurale (Shibeshi, 2007) avec comme effet de marginaliser davantage les populations vivant dans ces milieux, dont l’on sait qu’elles sont majoritairement pauvres. 40 Les mesures de politique publique devront aider les ménages à bas revenu à lever la contrainte budgétaire qui réduisent sensiblement les chances de leurs enfants d’accéder à une éducation de qualité. Il s’agit notamment d’accorder des soutiens directs aux étudiants les plus méritants mais contraints par l’insuffisance de ressources. De telles mesures permettront de mieux équilibrer la distribution du revenu et des opportunités au sein de la société tout en optimisant l’investissement dans l’éducation (Galor and Moav, 2004). La promotion de l’emploi productif Dans son rapport sur le développement mondial, la Banque Mondiale (2013) souligne la nécessité de définir une politique d’emploi explicit au-delà du fait que la croissance économique pourrait apporter une solution à cette question. Ce rapport fait de l’emploi la pierre angulaire de toute stratégie de développement, étant donnée sa capacité à sortir les individus de la pauvreté et améliorer leurs conditions de vie. Une bonne politique d’emploi est par conséquent un instrument clé dans la promotion de la croissance inclusive au sein des pays les plus pauvres. Cependant, le lien entre croissance et création d’emploi de qualité pour tous n’est pas automatique. Une politique d’emploi devra favoriser l’entreprenariat, protéger les emplois existants (Blanchard, 2008), améliorer la règlementation du travail, soutenir les secteurs à fort potentiel de création d’emploi et encourager le secteur formel. Elle agira positivement sur la productivité, la qualité de vie et la cohésion sociale. Un accent particulier devra donc être mis sur la qualité des emplois crées. Cette question est déterminante dans la mesure où les individus les plus pauvres sont les plus touchés par le problème des emplois instables et risqués (Banerjee et Duflo 2008). A ce propos, Hull (2009) souligne que la qualité des emplois et la possibilité pour les pauvres d’accéder à des opportunités d’exercer une activité rémunératrice sont des déterminants majeurs de la réduction de la pauvreté. La stratégie de promotion de l’emploi dans les pays pauvres devra par ailleurs accorder une attention particulière aux groupes les plus marginalisés sur le marché de l’emploi de sorte à renforcer l’équité sociale. Il s’agira notamment des femmes, des jeunes et de sous qualifiés, en particulier ceux vivant en milieu rural. Les mesures de politique devront appuyer les secteurs qui emploient le plus de pauvres pour atteindre directement cette catégorie sociale. Dans le cas de l’Afrique, la configuration du marché du travail pourrait représenter un frein à l’inclusivité de la croissance économique. Kaku et al. (2013) soulignent que 53% des emplois en Afrique sont concentrés dans le secteur agricole alors qu’il ne représente que 15% du PIB. Par contre, les secteurs de l’industrie et des services enregistrent respectivement 11% et 32% des emplois pour une participation au PIB de 38% pour l’industrie et 44% pour les services. La croissance ne saurait être inclusive si elle ne se traduit pas par une croissance forte du secteur agricole qui reste une activité majoritairement rurale et employant les ménages les plus pauvres. Par ailleurs, une agriculture renforcée garantit la sécurité alimentaire nationale, améliore les revenus des ménages ruraux et offre des opportunités d’emplois non agricoles à travers les possibilités d’allongement de la chaine de valeur (Nijhoff, 2013). 41 Transformations structurelles et diversification économique Les transformations structurelles ainsi que la diversification de l’économie sont un impératif pour la réduction de la pauvreté (Imbs et Wacziarg, 2003).Elles sont utiles à la croissance inclusive dans la mesure où elles renforcent la productivité dans les secteurs où celle-ci est faible et facilitent le mouvement des travailleurs vers des secteurs à forte productivité. Le secteur agricole des régions les moins avancées en donne une illustration. Rendre l’agriculture plus productive dans ces régions, à travers notamment la mécanisation et l’amélioration des semences et des engrais, permettra de libérer de la main d’œuvre susceptible de migrer vers des secteurs plus productifs. Si l’on considère le fait que l’activité agricole et essentiellement rurale et emploie généralement les ménages le plus pauvres, une telle augmentation de la productivité aura pour effet d’améliorer les possibilités économiques de ces ménages. Les politiques publiques devraient aussi agir dans le sens de la promotion de la concurrence sur le marché des biens et services dans les pays pauvres étant donné que cette concurrence peut positivement influencer l’inclusivité de la croissance. A ce propos, il importe de souligner que les effets pervers d’un manque de compétition affectent davantage les ménages à bas revenu (Urzua, 2013). Si la concurrence porte sur les biens à forte propension à consommer pour les pauvres, la diminution des prix qui en résulte en améliore l’accessibilité et agit positivement sur le bien-être de cette catégorie sociale (OCDE, 2014). Au plan de la diversification, il est impérieux pour les pays pauvres, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne d’élargir le spectre de leur production au-delà des seules activités extractives. Cette diversification aura non seulement comme effet de les libérer du mal hollandais (Ismail, 2010) mais aussi de favoriser des gains en termes d’économies d’échelle (Hausmann et al., 2007). Une économie diversifiée est susceptible d’offrir plus d’opportunité d’emploi productif pour l’ensemble de la population. A ce propos, les mesures de politiques doivent cibler les secteurs ayant le plus grand potentiel de transmission des effets de la croissance aux ménages vulnérables. 6.3 Coût de l'inclusivité Les interventions publiques dans l’économie entrainent généralement des charges supplémentaires pour l’Etat. Dans un contexte de moyens relativement limités face à des préoccupations nombreuses il importe de s’assurer que les résultats obtenus après intervention sont conformes au objectif visés. Ces mesures seront jugées sur leurs capacités à contribuer au renforcement de l’inclusivité de la croissance dans sa dimension tant participative que distributive. Par conséquent, le cadre d’élaboration des politiques publiques en faveur d’une croissance inclusive doit rigoureusement tenir compte des impératifs d’équité, d’efficacité de fiabilité en intégrant les éventuels effets non recherchés. 42 6.3.1. Impératif d’efficacité Le premier élément d’appréciation du succès d’une politique publique est son efficacité à atteindre l’objectif qui lui est assigné (Salamon, 2002). Il est attendu des mesures de soutien à l’inclusivité qu’elles facilitent la participation du plus grand nombre au processus d’accroissement des richesses tout en garantissant une redistribution équitable des retombées de cette richesse accrue. Il en découle que chacune des actions menées doit contribuer directement ou indirectement à renforcer l’une ou l’autre dimension de l’inclusion sociale. Par exemple, la réforme de la réglementation du travail doit être en mesure de protéger les emplois existant et de stimuler la création de plus d’emplois protégés dans le secteur formel. L’électrification des milieux ruraux doit effectivement contribuer à l’augmentation de la productivité de l’activité agricole, rallonger sa chaîne de valeur, favoriser le développement d’activités non agricoles et relever les standards de vie des ménages ruraux. 6.3.2. Impératif d’équité En soutien à l’efficacité, l’impératif d’équité exige que les mesures de politique appliquées ne privilégient pas certains groupes sociaux au détriment des autres, au regard de leur caractéristiques sociales. Ou encore, que les résultats qu’elles apportent sur un groupe social donné ne s’accompagnent pas de l’augmentation des inégalités dans la distributions des opportunités pour les autres(Milton et al., 2011; Swinburn et al., 2005; Tugwell et al., 2010; Oxman, Lavis, Lewin et Fretheim, 2009). Par exemple, la fourniture d’écoles dans les milieux ruraux devra être suffisamment adaptée pour ne pas exclure les enfants vivant avec handicap qui, dans ce contexte, en plus d’être pauvres, connaissent davantage de contraintes dans l’expression de leur potentiel. Dans le même sens, la création d’emplois stables et protégés doit profiter tant au individu hautement qualifiés qu’à ceux qui le sont moins, tout en excluant toute forme de discrimination basée sur la tranche d’âge, le genre ou orientations sexuelles des potentiels bénéficiaires. La fourniture des infrastructures socioéconomiques telles que les routes ou de l’électricité et l’eau potable devra aussi bénéficier aux ménages ruraux les plus pauvres et isolés. Négliger l’impératif d’équité dans la formulation des politiques de soutien à l’inclusivité, risque de conduire à une situation de sélection adverse où les plus nécessiteux sont exclus de la jouissance des services censés leur profiter en priorité. Le choix et le calibrage des actions spécifiques à mener doivent en tenir compte. 6.3.3. L’impératif de faisabilité Un bon agencement des politiques publiques de soutien à la croissance inclusive prend en compte la faisabilité technique des mesures envisagées. Cette faisabilité tient à une série d’éléments de différente nature. Sur le plan strictement pratique, elle dépend de la disponibilité des ressources tant matériel, humaines que technologiques au sens large (Pineault et Daveluy, 1986; Sabatier et Mazmanian, 1995; Swinburn et al., 2005).Il est aussi question d’assurer une certaine adéquation entre les résultats attendus et les moyens à mettre 43 en oeuvres, au regard des ressources disponibles. La formulation des politiques publiques pour une croissance plus partagée doit de ce fait prioriser les actions les plus faisables en fonction du contexte dans lequel se situe le problème à résoudre. 6.3.4. L’impératif de prise en compte des effets non recherchés Les actions de politique implémentées par le pouvoir public sont susceptibles de générer des effets qui échappent au modèle logique initialement conçu, en déployant leur influence audelà des objectifs fixés au préalable. Il sied de souligner que ces effets externes peuvent être positifs ou négatifs (Rychetnik et al., 2002). Le cadre de conception des politiques devra faire l’inventaire de tous ces effets de sorte à identifier les mesures qui génèrent le plus de bénéfice pour l’ensemble du corps social. Les mesures à forte externalité positive seront préférées, sous réserve d’une analyse minutieuse des impératifs précédemment décrits. En sus, il revient au voir public de décider de la meilleure affectation des ressources compte tenu des besoins ressentis, de leur ordre de priorité ainsi que des différents impératifs auxquels les politiques publiques sont soumises. 6.3.5. Arbitrage Efficacité – Equité – Faisabilité La capacité attendue de la politique publique quant à la réduction de la pauvreté et des inégalités par une croissance plus inclusive, dépend étroitement du lien supposé entre la croissance économique et ces variables. En dépit d’une certaine efficacité dans la réduction de la pauvreté absolue, une croissance économique forte est considérée comme insuffisante pour élever le bien-être de l’ensemble du corps social de manière équitable. Il faudrait lui adjoindre des mesures de redistrisbution susceptibles de rééquilibrer le partage du gâteau social disponible, au bénéfice des plus démunis (Ali et Son, 2007). Bien que socialement intéressante, les prémisses d’une telle approche sont discutables. A ce propos, Agénor (2004) aligne un argumentaire critique pertinent pour une politique publique nuancée : (i) la relation causale entre la croissance est les inégalités peut être bidirectionnelle et changer selon que l’on considère les inégalités en termes de revenu ou de consommation. Par contre, la distribution d’actifs au sein de l’économie semble négativement corrélée à la croissance économique (Deininger et Squire, 1998 ; Deininger et Olinto, 200) de sorte que la politique publique devrait davantage améliorer l’accès et l’accumulation des actifs pour les ménages pauvres, plutôt que de se focaliser sur la redistribution équitable du revenu ; (ii) la redistribution du revenu peut générer un effet adverse sur la croissance économique notamment en réduisant les capacités d’épargne des capitalistes ; (iii) la plupart des mesures de redistribution sont sujettes à produire des résultats limités particulièrement dans les pays pauvres, d’autant plus que dans ces pays, les gouvernements disposent de très peu d’alternatives pour réduire les inégalités. Une redistribution forcée d’actifs se butera à des contraintes politiques tandis qu’une taxation progressive se verra soit limitée dans sa faisabilité, soit inefficace par le fait des contraintes administratives. En plus de générer des effets essentiellement temporaires, les transferts de revenus à titre de sécurité sociale risquent 44 de renforcer l’aléa moral tout en réduisant l’auto résilience des personnes pauvres autant que leur incitation à invertir dans l’acquisition de connaissances ; (iv) ponctionner une part du revenu des riches pour assurer une meilleur redistribution pourrait nuire à leur capacités d’investissement et par conséquent, affecter l’ensemble de l’économie. Au regard de ces critiques, il vient que le souci d’équité dans la redistribution du gâteau social peut affecter l’efficacité globale des politiques publiques soit en générant des effets adverses ou en réduisant leur capacité à atteindre les objectifs assignés. Il convient de reconsidérer la question de l’équité redistributive à la lumière des contre-performances potentielles qui lui sont liées. Conclusion Ce papier discute de la croissance inclusive et tente d’en définir un cadre conceptuel à travers une revue des principales contributions sur cette question. Il se dégage de la littérature économique que la compréhension de ce concept ne fait pas encore l’objet d’une vision unanime. Cependant, il est largement admis que l’inclusivité de la croissance se rapporte à sa capacité à faire participer une large majorité des individus au processus de création de richesses d’une part, et à assurer une redistribution équitable des retombées de la croissance d’autre part. En plus des impératifs de participation et de redistribution, il convient de souligner que l’inclusivité se conçoit tant dans sa dimension monétaire que non monétaire. La première dimension fait allusion à la nécessité pour la croissance économique d’assurer une augmentation soutenue du revenu de l’ensemble de la population, avec une attention particulière accordée aux ménages les plus pauvres. La seconde dimension quant à elle se fonde sur le caractère multidimensionnel du bien-être social en exigent de la croissance non seulement de multiplier les opportunités socioéconomiques disponibles, mais aussi d’en améliorer l’accès sans discrimination de catégorie sociale. Une croissance inclusive est à la fois soutenue, participative, redistributive et pro-sociale. Des préoccupations plus étendues peuvent être intégrées dans le débat de l’inclusivité. Il s’agit notamment de la prise en compte de l’impact écologique de l’activité économique (croissance verte) ou de la question de la mobilité sociale intergénérationnelle, les deux étant étroitement liés au bien-être des générations futures. En perspective du consensus de Columbia, la question de l’inclusivité de la croissance implique une intervention de l’Etat à travers la mise en œuvre de politiques publiques adaptées au contexte propre à chaque pays. En effet, selon que nous nous situons dans le cadre d’une économie développée, émergente ou en développement, les contraintes à l’inclusivité peuvent varier en modifiant les priorités de l’agenda public de développement. A cet, effet, nous proposons la notion d’inclusivité relative à l’effet de mieux prendre en compte les différences contextuelles intra et inter Etats ou groupes sociaux. Pour les économies développées, une meilleure équité des revenus du travail et la rupture de la transmission intergénérationnelle des inégalités des revenus semblent prioritaires. La 45 stabilité du cadre macroéconomique est un élément majeur pour la croissance inclusive. Une politique monétaire saine protège le pouvoir d’achat des individus et par conséquent limite les effets néfastes de l’inflation sur les ménages à bas revenu. Pour sa part la politique budgétaire peut soutenir l’inclusivité en dégageant les espaces budgétaires nécessaires au financement des secteurs sociaux. Sur le plan spécifique : pour les pays émergents, la prépondérance du secteur informel, les disparités spatiales ainsi que les inégalités dans la distribution de l’accès à l’éducation seront les plus déterminants obstacles à l’inclusivité. Les pays les moins avancés présenteront aussi leurs propres contraintes, en plus d’être concernés par les problèmes relevés pour les autres types d’économies. La qualité des institutions – dont dépend tout le mécanisme d’ordonnancement de l’action publique – la faible création d’emploi de qualité, la faiblesse du capital humain ainsi que la carence d’infrastructures sont des défis majeurs pour les pays les moins avancés. Il revient au pouvoir public de définir les mesures idoines pour promouvoir une croissance plus inclusive, susceptible d’améliorer le bien-être de l’ensemble du corps social, tout en garantissant un environnement sain pour les générations futures. Le cadre de conception des politiques à implémenter pour ce faire devra prendre en charge les impératifs d’efficacité dans la réalisation des objectifs de la politique de développement – réduction de la pauvreté multidimensionnelle notamment – d’équité dans la participation au dynamisme économique et la distribution des opportunités socioéconomiques à toutes les catégories sociales ; de faisabilité de sorte à assurer l’adéquation entre les moyens disponibles et les ambitions de la politique publiques, ainsi que les effets non désirés pouvant découler de l’intervention publique. Il convient de souligner l’arbitrage possible entre l’équité dans la redistribution du gâteau social et l’efficacité économique. L’exigence de l’équité peut affecter l’efficacité globale des politiques publiques soit en générant des effets adverses ou en réduisant leur capacité à réaliser les objectifs pour lesquels elles ont été conçues. Par conséquent, il serait indiqué de reconsidérer la question de l’équité redistributive à la lumière des contre-performances potentielles qui lui sont liées. Bibliographie 1. Acemoglu, Daron, 2002, “Technical Change, Inequality, and the Labor Market”, Journal of Economic Literature, 40(1), pp. 7-72. 2. Acemoglu, Daron, 2003, Causes profondes de la pauvreté : une perspective historique pour évaluer le rôle des institutions dans le développement économique, Finances & Développement, 40(2) :27-30. 46 3. Acemoglu, Daron, Simon Johnson, and James Robinson, 2012, “The Colonial Origins of Comparative Development,” An Empirical Investigation: Reply, American Economic Review 2012, 102(6): 3077–3110. 4. Acemoglu, Daron; and Robinson, James A., 2015, The Rise and Decline of General Laws of Capitalism; Journal of Economic Perspectives, 29(1): 3–28. 5. 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