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LA MÈRE DE TOUTES LES TERRES HISTOIRE, VÉGÉTATION, MUSIQUE, TOUT EN RÉPUBLIQUE DOMINICAINE SEMBLE INTENSE ET PROLIFIQUE. CAP SUR LA PRESQU’ÎLE DE SAMANÁ, UNE SCÈNE OUVERTE AU CŒUR DES CARAÏBES. TEXTE Sibylle d’Orgeval PHOTO Olivier Metzger États-Unis Cuba Mexique Océan Atlantique République dominicaine Porto Rico Jamaïque Haïti (E.U.) Mer des Caraïbes Venezuela Colombie E Jeune fille se préparant pour la grande fête de ses 15 ans. Young girl preparing for her big 15th birthday celebrations. n ces heures d’après-midi paisible, à l’ombre des banians du Parque Colón de Saint-Domingue, les dominos claquent sur les tables de bois, les coups s’accélèrent, les rectangles blancs piqués de noir s’entrechoquent, les blagues fusent, les voix montent. Jouer aux dominos est une activité sérieuse en République dominicaine. Mais derrière les joueurs une statue de bronze à la posture conquérante rappelle que l’atmosphère n’a pas toujours été aussi sereine sur l’île d’Hispaniola… Le destin des Amériques s’est scellé sur ces terres lorsque Colomb les aborde un jour de décembre 1492. Sur Quisqueya, «la mère de toutes les terres», alors peuplée d’Indiens Tainos, se lève l’aube des premières colonies. La première ville du Nouveau Monde est érigée au bord de la mer des Caraïbes et devient le point de départ des expéditions des conquistadors. Première cathédrale, première université, premier monastère, premier tribunal, chaque édifice de Saint-Domingue, d’abord baptisée Nueva Isabela, est bâti dans un élan pionnier, porté par le rêve d’une nouvelle société. Le plan en damier de la ville servira d’ailleurs de modèle aux futures cités du continent. Espagnols, Français, Anglais, les puissances coloniales en perpétuelle lutte se succèdent dans le pays et, avec elles, des esclaves venus d’Afrique pour remplacer les Indiens exterminés par la violence des conquêtes et les maladies, soixante ans à peine après l’arrivée des Européens. Père Vásquez, religieux dominicain exprima dans une célèbre quintilla – strophe de cinq vers –, le désarroi dans lequel les tourments de l’histoire plongeaient le pays : «Hier j’étais né espagnol Mais dans l’après-midi je fus français Quand vint la nuit j’étais africain Aujourd’hui on dit que je suis anglais Qu’adviendra-t-il de moi ? Je ne sais !» Mais sous les arbres, le galop des dominos reprend de plus belle. La voix des joueurs s’élève à nouveau. «À ton tour Negrito! (le Noir).» «Mais reste donc tranquille Indio ! (l’Indien).» Les sobriquets dont s’affublent les Dominicains rappellent aujourd’hui avec humour leur métissage, enfant des vagues migratoires. Presqu’île de Samaná, versant atlantique. Samaná Peninsula, Atlantic coast. Navigation végétale Nous quittons la cité coloniale, direction le nord-est et l’Atlantique, pour gagner la péninsule de Samaná. Les conquistadors avaient aussi suivi ce chemin, attirés par la position stratégique de la région et la sûreté de sa baie étroite et profonde, exceptionnellement protégée. La ville de Sánchez, à l’entrée de la langue de terre, a connu des années fastes lorsqu’elle était le port principal d’exportation de la canne à sucre de la région du Cibao, à l’ouest du pays. Les demeures victoriennes aux façades en bois témoignent encore de sa grandeur passée, même si aujourd’hui Sánchez est devenue une bourgade paisible, presque oubliée, vivant au rythme du ressac et de la pêche à la crevette. Nous montons à bord de la pirogue de Toro, en direction de l’autre rive de la baie de Samaná, à plus de 10 km, là où il pêche les précieux crustacés, en bordure de Parque Nacional los Haitises. Celuici ne se découvre que par la mer, car la densité de la forêt empêche tout autre accès. Au loin émergent des pitons rocheux revêtus de manteaux végétaux touffus, dont les branches viennent caresser les flots de cette simili baie d’Ha Long. Entre ces dômes karstiques, les silhouettes des pêcheurs debout dans leurs barques animent un théâtre flottant. Leurs filets volent, sont happés par la mer puis relevés et virevoltent à nouveau. Le bateau approche du rivage, caché par l’entrelacs de branches, et nous empruntons un bras d’eau vers le cœur de la mangrove. Les cimes des palétuviers se rejoignent en cathédrale au-dessus de nos têtes et leurs racines tentaculaires semblent marcher sur les flots. Pour Toro, c’est presque un rituel de les saluer et caresser leur bois du doigt. «Ces arbres sont magiques ! Une vraie bénédiction pour nous, ils protègent les côtes de l’assaut des tempêtes, ils purifient l’air et l’eau et leurs feuilles nourrissent les crevettes que nous pêchons !» Son respect rappelle celui des Tainos pour la nature, que les hommes modernes réapprennent aujourd’hui, après plusieurs siècles d’exploitation intensive. Au sortir du tunnel végétal, un ballet aérien de frégates s’ouvre dans le ciel, Toro s’en amuse, et ne se lasse pas de les contempler. Oiseaux, arbres, rochers, il connaît le nom de chacun. Il scrute les perroquets à la gorge flamboyante, les pélicans ou les coqs d’eau. «J’adore venir ici respirer l’air dense de la forêt et regarder les nuances de vert jouer sous les reflets du soleil.» 115 «Jamais une construction ne doit dépasser la taille d’un cocotier. C’est le principe architectural de la province de Samaná et même les églises doivent respecter cette loi.» Saveurs tropicales De retour sur la terre, nous nous élançons vers les hauteurs de la péninsule, au cœur des forêts tropicales, le bleu des flots est relégué à l’horizon. La route serpente et traverse les villages, rasant les murs des maisons. Alors on ralentit, on attrape parfois des bribes de conversations échappées des fenêtres ou des saluts de bienvenue. Orga nous invite à quitter la bande de bitume et à la suivre jusque chez elle, au bout d’un sentier chaotique. Les cocotiers s’élancent et dominent de leurs palmes toute la végétation et les habitations. «Jamais une construction ne doit dépasser la taille d’un cocotier. C’est le principe architectural de la province de Samaná et même les églises doivent respecter cette loi.» La puissance du végétal est omniprésente, la profusion d’essences et d’espèces 118 Plage de Las Ballenas. Église de Las Terrenas. Las Ballenas beach. Las Terrenas church. donnent le tournis, la couleur des flamboyants rivalise avec celle des fleurs du gingembre rouge, les acajous flirtent avec les manguiers au milieu des bougainvilliers. Orga secoue ses cheveux oints d’huile de coco fraîchement pressée : «Tout est là, à portée de main, pour vivre en autarcie, mais on aime partager.» Manioc, ignames, bananes, coco, la table déborde de victuailles à goûter ! Garder le tempo La nuit tombe et la musique s’élève. À Las Terrenas certains n’ont même pas attendu les derniers rayons pour célébrer la fin du jour. Au coin des rues, les petites échoppes se transforment en guinguettes modernes, illuminant les trottoirs. La vie de ces colmados cadence celle des Dominicains. Mérengué ou bachata, la rythmique locale emplit le lieu, se disperse dans la rue et se fond dans la nuit. Une histoire raconte que le pas de danse binaire de ces musiques serait né de la démarche des esclaves enchaînés à la cheville et récoltant la canne à sucre au rythme du tambour. Mais c’est un vent d’allégresse et de liberté que souffle aujourd’hui le mérengué. Ce soir, Rosario s’est emparé de la piste de danse improvisée sur la terrasse du magasin et valse avec ou sans partenaire. «La musique c’est comme la vie, parfois ça s’accélère, parfois ça ralentit. L’important est de garder le tempo…». Les jeunes filles regardent le danseur qui, à presque 70 ans, tournoie sans relâche et ne faiblit à aucun pas. «Baila en la calle de día y baile en la calle de noche», «danse dans la rue de jour, danse dans la rue de nuit» : le refrain d’une chanson célèbre est repris en chœur.| 119 Joueurs de dames, Saint-Domingue. Un colmado, échoppe locale, Las Terrenas. Playing checkers, Santo Domingo. A colmado, or local shop, Las Terrenas. THE MOTHER OF ALL LANDS History, nature and music: everything in the Dominican Republic is intense and prolific, especially Samaná Peninsula, a window facing straight onto the Caribbean. Dominos clatter on the wooden tables set under the banyan trees on Santo Domingo’s Parque Colón. It’s a lazy afternoon. Discussions are heated, jokes fly fast; dominos are a serious business in the Dominican Republic. Behind the players stands a bronze statue of Christopher Columbus, a reminder that Hispaniola Island has not always been such a peaceful place. The fate of the Americas was sealed here, when Columbus landed in 1492. The first colonies were established on Quisqueya, “the mother of all lands,” then populated by the Taíno people. The first city of the New World was built here, and used as a base from which to launch new conquests. The first cathedral, first university, first monastery, first tribunal: each structure on Santo Domingo, initially named Nueva Isabela, was built with the dream of a new society. The city’s gridded layout was used as a model for future cities throughout the entire continent. Sailing through forests — We leave the colonial city, heading northeast toward the Atlantic and the Samaná Peninsula. The conquistadores also took this route, as they understood the strategic location of the region and the safety of its deep and exceptionally well-protected bay. The city of Sánchez, at the entrance to this strip of land, was prosperous for years when it was the main port for sugarcane exports, brought by train from Cibao, in the west. The wood-fronted Victorian homes stand as witnesses to its past grandeur, even though Sánchez is once again a nearly forgotten shrimp-fishing town. We climb into Toro’s pirogue to reach the opposite shore, 10 kilometers away, where he plans to fish for shrimp at the edge of the Los Haitises National Park. The boat glides close to the coast, a nearly impenetrable tangle of intertwined branches. We follow an inlet to the heart of the mangrove forest. The treetops join to form a cathedral overhead, while their sprawling roots seem to be walking on water. For Toro, it’s nearly a ritual to rub the wood. “These trees are magical: a true blessing for us, because they protect the coastline from storms, they purify the water and air, and their leaves nourish the shrimp we fish.” His respect is similar to that of the Taíno people for nature, a spirit that modern mankind is rediscovering today after centuries of intensive exploitation. As we emerge from the plant-like tunnel, we see a pod of frigatebirds soaring in the sky. Toro knows the names of all the birds, trees and rocks, and is happy to observe them nonstop. He watches the pelicans and the parrots with their flamboyant necks. “I love coming here for the earthy smell of the forest and to watch all the different colors of green shimmer in the sun.” Tropical tastes — Back on land, we set out for the high ground, in the heart of the tropical forest. The road winds through villages, and we slow down, catching a few Quartier colonial de Saint-Domingue. Colonial neighborhood of Santo Domingo. 120 snatches of conversation here and there and a shout of welcome. Orga invites us to take a break from the road and follow her down an overgrown path. The coconut palm trees rise above the houses. “No structure can ever be higher than a coconut palm,” she says. “It’s the main architectural rule in Samaná province, and even the churches have to respect it.” The power of nature is omnipresent. The profusion of trees and plant species is overpowering; the colors of the flamboyant parrots compete with the brilliance of the red ginger; the mahogany grows alongside mangos in the middle of bougainvillea. Orga shakes out her hair, gleaming with freshly pressed coconut oil: “Everything we need to live in complete self-sufficiency is here, but we like to share.” The table is loaded with food: manioc, yams, bananas, coconuts. Keeping the beat — Once the sun goes, the music gets turned up high. A few earlybirds at Las Terrenas have started celebrating, even before sundown. Small shops, or colmados, transform into open-air cafés with live music, and the city streets are gleaming. Merengue and bachata, the local dances, take over the place and people spill out into the street, melting into the night. According to legend, the two-step dance of the Dominican music came from slaves chained together at the ankles, harvesting sugarcane to the sounds of a drumbeat. But the mood now is one of high spirits and freedom. Tonight, Rosario has taken over the improvised dance floor on the terrace and whirls around and around, with or without a partner. “Music is like life: sometimes it goes faster, sometimes it slows down,” he says. “What matters is keeping the beat.…” The young girls watch him dance non stop. He’s nearly 70 but never misses a step. “Baila en la calle de día y baile en la calle de noche” (Dance in the street during the day, dance in the street at night): the chorus rises as if from a single voice. | “No structure can be higher than a coconut palm; even the churches have to respect this rule.” Pêcheur de Las Terrenas. Las Terrenas fisherman. 122 J’AI MARCHÉ SUR LES TRACES DES INDIENS TAINOS Toro le pêcheur nous a laissé sur un débarcadère en bois : «Suivez le petit chemin et vous trouverez»… En quelques pas, nous sommes au seuil de la grotte San Gabriel, véritable cathédrale naturelle. Des rayons de lumière tombent de sa voûte à travers des trouées ouvrant sur le ciel. Stalactites et stalagmites forment un relief fantomatique. Un peu plus loin, d’étonnantes gravures sur la roche, des pétroglyphes représentant naïvement des animaux semblent prendre vie. Dernières traces émouvantes de la civilisation taino. Les Indiens se refugiaient ici lors de leurs campagnes de chasse et de pêche, et ont laissé en souvenir ces dessins éternels. I walked in the footsteps of the Taíno people — Toro, the fisherman, left us on a small wooden dock: “Follow the small path and you’ll find …” Just steps away, we discover the entrance to the San Gabriel cave, a natural cathedral of stone. Light glints through holes in the vault. Stalactites and stalagmites create a ghostly sight. Farther along, we discover incredible rock engravings, petroglyphs of roughly sketched animals. These are the final remnants of the Taíno civilization. The Indians took refuge here during their hunting and fishing expeditions and left behind these eternal images. Las Terrenas Jour 5 Péninsule de Samaná Jour 4 Itinéraire Las Galeras El Limón Sánchez Jour 6 Samaná Jours 1 et 2 Vol Paris / Saint-Domingue. Ville de Saint-Domingue. Jour 3 Presqu’île de Samaná. Port de Sánchez et navigation jusqu’à Parque Nacional los Haitises. Grotte San Gabriel. Jour 4 Las Terrenas et plages de Cosón, La Bonita, Las Ballenas. Jour 5 Cascade El Limón. Jour 6 Ville de Samaná, plage de Rincón. Jour 7 Saint-Domingue / Paris. Itinerary — Days 1 and 2 Paris / Santo Domingo. Santo Domingo. Day 3 Samaná Peninsula. Sánchez. Parque Nacional los Haitises. San Gabriel Cave. Day 4 Las Terrenas and the beaches of Cosón, La Bonita, Las Ballenas. Day 5 El Limón waterfall. Day 6 Town of Samaná, Rincón beach. Day 7 Santo Domingo / Paris. Océan Atlantique Parque Nacional los Haitises Jour 3 Jour 3 Jour 7 Jours 1 et 2 0 SaintDomingue Paris Mer des Caraïbes 10 km INFOS PRATIQUES PRACTICAL INFO S’y rendre… FRÉQUENCE DES VOLS LOCATION DE VOITURES Air France dessert Saint-Domingue Hertz, à l’aéroport. par 3 vols hebdomadaires Tél. +1809 549 04 54. au départ de CDG 2E. Air France has three weekly flights À LIRE from CDG 2E to Santo Domingo. République dominicaine Petit Futé. AÉROPORT D’ARRIVÉE La République dominicaine Santo Domingo Las Americas Christian Rudel, Karthala. International Airport. La fête au bouc Mario Vargas À 30 km à l’est. Llosa, Gallimard, coll. La Blanche. Tél. +1809 549 04 50. Au temps des papillons Julia Alvarez, Métailié, coll. Suites AGENCE AIR FRANCE KLM Littérature. Avenida Máximo Gómez, 15. Plaza El Faro, 1. À ÉCOUTER Ojalá que llueva café Juan Luis RÉSERVATIONS Guerra. — Depuis la France : Tél. 36 54. www.airfrance.com — Depuis la République dominicaine : Tél. +1809 686 84 32. Pour organiser votre séjour Îles du Monde Découvrir une autre République dominicaine : de la ville coloniale de Saint-Domingue à la péninsule de Samaná et la côte d’Ambre. Îles du Monde propose des voyages personnalisés, sur devis. 19, avenue Franklin-Roosevelt, Paris. Tél. +33 (1) 01 55 42 74 10. www.ilesdumonde.com