Les Midnight Movies - Bibliothèque de Sciences Po Lyon

Transcription

Les Midnight Movies - Bibliothèque de Sciences Po Lyon
Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
Les Midnight Movies: une « espèce »
cinématographique disparue ?
Mémoire de Séminaire
Préparé par Camille Durand
Sous la direction de Jean-Michel Rampon
Soutenu le : 6 septembre 2010
Table des matières
Epigraphe . .
Introduction . .
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies . .
A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies . .
1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le surréalisme.
..
2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies . .
B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un fourmillement créatif . .
1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes cinématographiques . .
2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin comme haut lieu
d’épanouissement d’une culture underground . .
Partie 2 : Que sont les midnight movies . .
A. Une tentative de définition par le genre. . .
1/ Le genre expérimental . .
2/ Le genre fantastique . .
3/ Le mélange des genres . .
B. Une convergence thématique : La perversion. . .
C. Un midnight movies est un film culte, produit de son audience. . .
1/ Description d’un public singulier . .
2/ Le film culte : définition et analyse . .
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète? . .
A. Les midnight movies : chronique d'une mort annoncée. . .
1/ Les raisons économiques d’un déclin . .
2/ Les raisons culturelles : Hollywood récupère l’esthétique de minuit . .
B .La télévision : un rôle néfaste pour la culture de minuit. . .
1/ La culture vidéo :l’entrée dans la postmodernité et le non public de la télévision
..
2 / Les talks shows : de l’horreur au voyeurisme . .
3/ La série télévisée culte : Twin Peaks , fille de l’esthétique de minuit . .
C. The big LEBOWSKI : La résurection du phénomène des midnight movies. R . .
1/The big Lebowski : un parcours similaire aux midnight movies . .
2/ Analyse de la séquence d’ouverture . .
3/ Conclusion : Une « critique postmoderne du rêve hollywoodien »: . .
4/ L’ adoption du film par une grande communauté de fans . .
D. Une nouvelle approche des fans : une coproduction d'objet de culte. . .
1/Les nouvelles formes de participation des fans , fanfictions :des formes de
coproduction du sens . .
Conclusion générale . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Articles . .
Issus de revues . .
5
6
13
13
13
16
18
18
20
22
22
22
26
27
29
30
30
31
36
36
36
38
39
39
41
41
43
43
44
48
49
51
51
57
60
60
60
61
Issus de la presse . .
Annexes . .
61
62
Epigraphe
Epigraphe
« Cinéma est un nom de l'art dont la signification traverse les frontières de l'art. »
Jacques Rancière
DURAND Camille_2010
5
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Introduction
A minuit, la dernière heure, heure mystique s'il en est, plusieurs événements très différents
prennent place: minuit est l'heure de la messe traditionnelle des catholiques la veille du
vingt-cinq décembre où une grande célébration prend place pour fêter la naissance de
Jésus. C'est aussi le moment, au réveillon de la Saint Silvestre, où l'on s'embrasse et
l'on fête le passage à la nouvelle année, dans le calendrier chrétien. Dans la littérature,
les contes et croyances populaires, minuit est le moment magique de l'irrationnel où les
sabbats de sorcière, sortes d’assemblées nocturnes, prennent place, où les vampires
s’éveillent, les loups garous s’animent, où Mr Jekyll laisse place à Mr Hide, et enfin, dans les
romans policiers, c'est la traditionnelle heure du crime. C'est une heure qui fait fonctionner
l'imaginaire collectif, qui suggère un affranchissement du domaine du rationnel, et donc du
réel.
Cette folie inhérente à l'heure de minuit est le vecteur d'une culture underground,
choisissant l'obscurité pour satisfaire les attentes d'un public avide de produits marginaux,
allant à contre courant de la culture dominante ; parmi ceux là, des films à petits budgets,
parfois dits « peu recommandables » devenus aujourd'hui des films culte grâce à leur
diffusion à minuit dans les années 1970: les « Midnight Movies ». En France , l'expression
n'a pas d'équivalent qui puisse désigner aussi bien ce qui est devenu un genre à part entière
aux Etats Unis, c'est pourquoi j'utiliserai l'expression américaine tout au long de ce mémoire.
L'idée première de ce mémoire m'est venue par la mise en relation de deux réalisateurs
que j'admire beaucoup au nom de leur rejet des conventions hollywoodiennes et de
leur capacité à créer dans leurs films un univers cinématographique très personnel et
pourvu de ses propres codes esthétiques déviants: il s'agit de Alejandro Jodorowsky_ le
réalisateur chilien, créateur avec Fernando Arrabal et Roland Topor du mouvement Panique,
scénariste de bandes dessinées, essayiste et poète_ et de David Lynch , un réalisateur
américain bien difficile à classer. Le caractère « protéiforme » de son art m'intéressait tout
particulièrement, car cet artiste passa de peintre à réalisateur de films, puis de séries, à
designer, photographe et plasticien, musicien, producteur de publicités et inventeur d'une
méthode de méditation transcendantale destinée à lutter contre la violence dans les écoles.
Cette sorte d'universalité artistique, le procédé de recyclage qu'il utilise pour utiliser d'un art
à un autre les mêmes figures et obsessions me plaisaient et m'ont encouragé à approfondir
mes connaissances. Le pont qu'il construit entre les arts m'intéressait particulièrement,
la question de la transversalité dans son esthétique a d’abord monopolisé mon attention.
Ces deux artistes, très influencés par le mouvement surréaliste auquel je me suis toujours
intéressée, et tout particulièrement en littérature, m'ont guidé vers les Midnight Movies.
Eraserhead étant le film que j'estime le plus, je me suis tournée vers ses particularités
esthétiques ; ce premier film de Lynch est quasiment expérimental, fait de manière artisanale
(Lynch assume durant la durée du tournage, soit 5 ans, tous les rôles, de décorateur à
chargé de bruitage, tout comme Jodorowsky, dans El topo, est à la fois acteur, réalisateur,
musicien, décorateur, peintre et costumier) avec un petit budget, et très influencé par
l'esthétique surréaliste. En 2004, Eraserhead a été « déclaré » culte dans l'histoire du
film américain, classé comme tel par le National Film Registry , ce qui suggère qu'il a été
sélectionné pour son « importance culturelle, historique ou esthétique » .
6
DURAND Camille_2010
Introduction
Ce film fait figure d’OVNI dans le paysage du film, et j'ai donc étudié, en mettant en
relation les premiers courts métrages de Lynch « the Alphabet », « The grandmother »,
« six men getting sick » avec ses peintures (que j'ai pu analyser grâce au catalogue de
l'exposition de la fondation Cartier qui lui était dédiée en 2007), les principales figures,
obsessions lynchiennes.
Dès lors il m'a fallu me questionner sur la forme du travail que je souhaitais accomplir
sur Lynch: était-ce l'esthétique du cinéma de Lynch, ou, d'un point de vue plus externe,
l'impact de son film le plus culte sur les spectateurs (c’est à dire une analyse plus tournée sur
la réception). Il m'est apparu évident que l'esthétique n'allait pas être l'objet de ce mémoire,
mais que l'enjeu se trouvait justement dans le lien entre les films et le contexte culturel
et social dans lequel ils s’ancraient. J'ai pensé qu'il était intéressant de se focaliser sur le
contexte de réception d'une telle œuvre et me suis dirigée ainsi vers les conditions qui ont
été celles de la sortie du film: j'ai alors découvert que le film Eraserhead, dont le financement
avait été interrompu en cours par L'American Film Institute en raison de sa singularité, de sa
« bizarrerie », de son caractère hybride dans le style de l'époque , avait été diffusé à petite
échelle dans des conditions uniques: à minuit, et sans aucune publicité , tout comme l'avait
été, six ans auparavant le film de Jodorowsky, El Topo. A ce moment précis, mes intérêts
premiers se sont donc retrouvés unis dans un même cadre de réception.
1
Le documentaire de Stuart Samuels, « Midnight Movies » a véritablement achevé
de fixer mon sujet, car il m'a aidé à problématiser ce sujet. Sans l'avoir trouvé d'une très
bonne qualité, il a levé le voile sur la singularité du dispositif de réception du premier long
métrage de Lynch: Eraserhead fait partie d'un ensemble de films connus sous le nom des
« midnight movies » qui ont fait date dans l'histoire du cinéma américain, devenus des films
culte. Ces films au contenu généralement « subversif », ont rassemblé des foules dans les
cinémas de grandes agglomérations comme à Manhattan dans la ville de New York. Le
documentaire se limite à l'étude de six des plus marquants de ces midnight movies : The
night of the living dead, de George Romero, Pink Flamingos, de John Waters, Eraserhead,
de Lynch The Harder they come, de Perry Henzell, The Rocky Horror Picture Show, de Jim
Sharman et El Topo , de Jodorowsky.
Ces six films, restant souvent des mois à l'affiche, vus et revus des dizaines voir des
centaines de fois pour certains, rapportant aux cinémas des millions de dollars, avaient donc
un statut unique. Aux Etats Unis, ils ont été l'objet d'étude de plusieurs critiques de cinéma
et de journalistes qui ont voulu se pencher sur un phénomène étonnant, concomitant d'une
période de libération des moeurs.
L' apparition des midnight movies
L'expression « Midnight Movies », apparaît dans les années 50 aux Etats Unis,
désignant à l'origine une pratique courante de quelques chaînes de télévision locale :
diffuser les films de genre à petits budgets, les fameux films de série B, à une heure avancée
dans la nuit, l'heure où l'audience chute, l'heure où une audience différente de celle de la
journée allume sa télévision, prête à y voir plus que de simples émissions de divertissement.
Ainsi en 1954, la télévision locale de Los Angeles (la chaîne KABC) lance la diffusion de
« The Vampira show », les samedis soir à minuit, un show qui diffuse des films d'horreur ou
à suspense, à très petits budgets. Avant le film, le présentateur qui introduit le spectateur au
programme nocturne est caractéristique: souvent adepte de l'humour noir, armé d'une ironie
fracassante et dans le cas de Vampira, très court vêtu. Ces présentateurs sont devenus très
appréciés par l'audience, et leurs noms restent aujourd'hui encore, connus, comme ceux
1
Midnight Movies : from the margin to the mainstream, Stuart Samuels, 2006
DURAND Camille_2010
7
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
de Vampira, Zacherley, Cassandra Peterson alias Elvira, « mistress of the dark », adulés
par les jeunes de l'époque.
Au cinéma, certains films des années 30 sont diffusés à minuit, comme Nosferatu ,
de Murnau,où les films surréalistes à Paris comme Un chien Andalou mais ces projections
restent encore des événements isolés, et prennent place aux Etats Unis lors de foires ou
fêtes foraines. Les Midnight Movies au sens donné par Stuart Samuels apparaissent dans
les années 1970: on situe traditionnellement la première, le film pionnier en la matière à El
Topoqui sort dans les salles du Elgin en décembre 1970, s'apprêtant à se maintenir 6 mois
à l'affiche. Comment expliquer ce soudain engouement pour les séances de minuit?
Après une période d'éveil culturel et de libération des moeurs, propice à la diversité
dans l'expression artistique, les Américains connaissent dans les années 1970 l'apparition
de projections à minuit dans certains cinémas de grandes métropoles comme New York,
Philadelphie, Los Angeles, San Francisco, Chicago. Ces projections ont en fait vu le jour
dans les années 1960, en lien avec le développement des mouvements underground de
contre-culture et, dont les avatars, dans le milieu du cinéma sont Andy Warhol, Jonas Mekas
ou Kenneth Anger. Ces cinémas vont initier les séances à minuit, peut être en vue de
découvrir une niche dans l'audience et de pouvoir répondre à un public de plus en plus
réceptif à ces thèmes. Surpris d'observer un accueil aussi favorable pendant ces projections,
qui sont de véritables événements de foules, ils remarquent de curieuses réactions dans
l'auditoire : il semble se dérouler un jeu entre les spectateurs, une connivence se crée,
encouragée par la circulation fréquente de marijuana. Il s'agit alors du commencement
d'un phénomène d'une grande ampleur car ces films, à la base peu commerciaux et dont
la distribution s'avérait problématique restaient parfois six mois à l'affiche, rapportant des
profits insoupçonnés;
Les réalisateurs du documentaire midnight movies délimitent l'étendue du phénomène
aux années 70. Ils sont d'autre part très focalisés sur un cinéma de Chelsea à Manhattan,
le « Elgin theater », qu'ils considèrent, avec son gérant Ben Barenholtz, comme le cinéma
où le phénomène des midnight movies a éclaté et a été le mieux représenté.
Dans le documentaire de Stuart Samuels, mon intérêt s'est porté sur les idées de
cérémonie, de rituel qui sont soulevées, répétées dans les commentaires de la voix off, et
qui m'ont vraiment intrigué. Je me suis demandée quel était le moteur de cette fascination
poussant les spectateurs à revenir encore et encore voir le même film. Etait ce pour profiter
de l'atmosphère festive unique de la salle, qui variait à chaque séance? Il semble que le
simple fait de projeter ce genre de film a eu pour effet de transformer le cinéma lui-même: ce
n'est plus un lieu de diffusion industrialisée mais un site urbain d'activités ritualisées. On voit
donc que la projection dépasse le simple visionnage d'un film et tire vers la représentation
théâtrale: c'est tout l'enjeu que soulève cette tradition iconoclaste, et c'est ce qui constitue
le fil directeur de cette étude et mise en perspective des midnight movies des années 1970.
Ce documentaire traçait une limite temporelle au phénomène, l'orée des années
1980, années qui marquent l'entrée du Midnight Movie dans le « mainstream », dans la
norme hollywoodienne, coïncidant avec l'arrivée de la vidéo. La fin des années 1970 serait
selon eux marquée par la réappropriation des thèmes autrefois subversifs par les grosses
productions hollywoodiennes.
A partir de ce constat d'une disparition du phénomène et des maigres conclusions qui
sont ébauchées dans le documentaire, j'ai décidé d'interroger les raisons de la disparition
du phénomène des Midnight Movies en tâchant de trouver d'autres témoignages, points de
vue afin de confronter les discours et de mener une enquête informée.
8
DURAND Camille_2010
Introduction
Méthode et sources bibliographiques:
J'ai donc poursuivi mes recherches, en découvrant que peu avait été écrit en France sur
ce sujet, même si le phénomène avait dépassé ses frontières: La Cinémathèque de Paris,
dans les années 60, avait aussi inauguré les séances à minuit, diffusant certains films , l’Age
d'or de Bunuel, ou l'amour fou de Jacques Rivette, Le roi de coeur de Philippe De Broca et
d'autres de la Nouvelle Vague. Pourtant, en France, les Midnight Movies n'existent pour ainsi
dire pas, car il ne s'agit pas comme aux Etats Unis d'un phénomène à part entière, ayant sa
propre signification. Les projections à minuit, même si elles étaient nombreuses, n'ont pas
eu le même retentissement dans les médias et la culture urbaine, et n’ont pas contribué à
la découverte de tels films cultes, car il s’agissait souvent de rediffusion de classiques du
cinéma ; Ainsi, aucun chercheur ne paraît s'être décidé à étudier le phénomène en France.
C'est donc via la littérature américaine que j'ai trouvé de quoi alimenter mes questions sur
les Midnight Movies: ma bibliographie de base se compose d'un ouvrage qui est voué à mon
sujet, paru en 1983 et réédité dans une version augmentée en 1991, appelé « Midnight
Movies » dont les auteurs sont Jonathan Rosenbaum, journaliste au Chicago Reader et
James Hoberman, critique de film pour The village Voice.
Ce livre m'a été d'une aide précieuse, car peu d'ouvrages se consacrent à l'analyse de
ce phénomène, qui est somme toute très peu connu. Néanmoins, les difficultés ont été d'une
nature double: d'une part, la langue anglaise , qui est tout de même un facteur ralentissant
la compréhension, d 'autre part, le fond même du livre: les détails et la description prennent
souvent une place trop importante, au détriment de l'analyse, de plus les auteurs digressent
beaucoup sur l'époque et ses acteurs, et ont aussi tendance à embellir l'époque par un
ton nostalgique, ce qui m'a poussé à procéder à un tri. A partir de là, j'ai voulu étayer ma
recherche en puisant dans les archives de la presse nationale, qui sont assez rares, mais
j'ai tout de même déniché dans les archives du New York Times deux articles traitant de
l'évènement sous un angle sociologique, c'est à dire de la fréquentation de ces séances de
minuit, et du regard des journalistes, contemporains de l’époque. Ils m'ont servi, confrontés à
l'ouvrage, à cerner une des clés du succès des midnight movies: les jeunes de l'époque. J'ai
obtenu grâce à eux une représentation mentale plus précise de l'audience. Ces articles sont
fondamentaux: le regard amusé et critique des journalistes, les témoignages des jeunes,
et la confrontation de plusieurs points de vue rapportés ont orienté mes recherches dans
le champ de la sociologie.
Il me manquait tout de même un point de vue plus interne sur le phénomène, même si
le documentaire de Stuart Samuels contenait des extraits d'interview de David Lynch , John
Waters et Jodorowsky, ces acteurs n'étaient pas vraiment bien placés pour rendre compte
de l'ambiance de ces séances de minuit.
C'est alors que j'ai eu accès à une interview des gérants du Elgin Theatre, ayant pour
titre « children of the sixties », faite en 1996 par un journaliste et écrivain, Ben Davis.
Celle ci a été capitale dans mon travail, car elle fournit une description sociologique du
phénomène, d'un point de vue moins « formel » que celui de l'ouvrage de Hoberman et
Rosenbaum. Le ton est volontiers empreint d'humour et peu sujet à l'auto censure, c'est une
chose importante pour comprendre le phénomène.
Afin de mettre en perspective ce qui se jouait parmi l'audience des midnight movies, j'ai
aussi puisé dans la littérature du domaine de la sociologie du cinéma , notamment autour
de la figure du fan , qui a été très peu étudiée jusqu'ici, ne bénéficiant pas d'une véritable
légitimité académique. Deux auteurs fondamentaux font figures de pionniers : John Fiske
et Henry Jenkins.
DURAND Camille_2010
9
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Philippe Leguern, maître de conférence en sociologie à l' IUT d' Angers et chercheur au
CNRS à Paris, a publié dans la revue « réseaux » une étude portant sur ces « ex fans des
seventies » , dans lequel il explique les enjeux de la métaphore religieuse qui est associée
au comportement de fan. Cette étude a donné de l'ampleur à ma réflexion sur les midnight
movies, et m'a permis de chercher, dans la culture contemporaine, des équivalents, des
manifestations voisines, comparables dans leur ferveur dédiée un objet de culte.
Néanmoins, ma démarche n'en est pas pour autant de nature sociologique, je n'ai
pas procédé à une enquête sociologique avec des entretiens, il n'y a pas d’enquête,
mais davantage une mise en perspective du phénomène, une étude de la réception et de
l'évolution de l'emploi qui est fait des séances de minuit dans les cinémas d'aujourd'hui.
Cette étude n'est pas dévolue à un descriptif esthétique des films de minuit, nous ne sommes
pas dans l'hagiographie de films devenus cultes mais dans la recherche d'une signification
culturelle et sociale de ce phénomène et du retentissement qu'il a connu.
Le corpus de films étudiés :
Je n'ai pas l'intention de dresser l'inventaire des films concernés par la diffusion à minuit
dans les années 1970 aux Etats Unis, ce qui ne dirait rien du sens à dégager du phénomène,
tant les films sont divers, c'est pourquoi je choisis de me focaliser sur quatre en particulier,
qui selon moi illustrent chacun des traits forts caractéristiques de l’esthétique des midnight
movies.
Au nom de mon attachement à une clarté et une concision essentielles à un travail de
cette ampleur, je ne parlerai que très peu de films qui pourtant ont connu une trajectoire de
midnight movies semblable à celle des films étudiés, comme « liquid eye » « showgirls »,
« reefer madness » « harold et maude », « the texas chainsaw massacre », « Mondo
Trasho », « The harder they come » et autres films cultes découverts par l'audience à minuit.
Eraserhead, d'abord, a été un déclic initial, car je fais partie des fans de David Lynch,
et parce que c'est un film pivot dans l'oeuvre de Lynch, contenant tous les thèmes qu
il développe encore maintenant dans ses films. De tous, c'est incontestablement le plus
expérimental, réalisé sur 5 ans dans des conditions extrêmes avec un budget minimal,
le plus hybride, car une légende disait que la bande son était dangereuse et nocive .
Eraserhead, sorti en 1977, relate la naissance d'un bébé monstrueux et déformé, image
de l'univers industriel glauque dans lequel il naît, dans un couple peu uni et qui est effrayé
par son propre rejeton. Après ce film, David Lynch connaît le succès avec Elephant Man,
film avec lequel il quitte le cinéma dit expérimental et adopte les codes hollywoodiens ; El
Topo est une oeuvre inclassable se situant entre le western, le film esthétique surréaliste,
l’épopée, la quête mystique, le film underground et la parodie, retraçant la recherche de la
sainteté par un homme, un pistolero, qui est mis au défi de tuer les quatre grands maîtres du
désert. Il est devenu l'emblème de l'idéologie des hippies, se regardant à l'époque volontiers
sous l'effet de stupéfiants. Il a achevé sa diffusion au Elgin à cause de l'achat de ses droits
par John Lennon, qui voyait en ce film un chef d'oeuvre, un poème sur la recherche de la
sainteté et de la sublimation.
The Rocky Horror Picture Show, de Jim Scharman, sorti en 1975, raconte l'entrée
d'un couple rangé, Janet et Brad, dans un château habité par les étranges habitants de
la planète Transexual Transylvania, dont le propriétaire, Frank N Furter, un transsexuel
travesti, séducteur et créateur d'un objet sexuel, Rocky, va travailler à les pervertir toujours
plus et leur faire découvrir les plaisirs sexuels. Ce film à petit budget est devenu l'emblème
suprême du film culte, car il a amassé durant trente ans des foules travesties imitant les
personnages du film, toutes plus érudites, capables de réciter réplique par réplique le film
10
DURAND Camille_2010
Introduction
dans son intégralité. Cette comédie musicale est déjantée, c'est un hymne à la libération
sexuelle et au vice, à la circulation des genres, un film qui fait exploser la morale chrétienne
et hétérosexuelle.
Enfin, Pink Flamingos, de John Waters, datant de 1972, est , si je puis dire, le plus
trash, celui dont les images figurent au dernier degré de la provocation. Il raconte les
pérégrinations de Divine, la femme la plus dégoûtante, repoussante du monde, reconnue
comme telle « the filthiest person alive », luttant pour maintenir son statut face à un
couple de concurrents, dont l'activité consiste à kidnapper des jeunes femmes qu'il font
féconder par leur majordome afin ensuite de leur enlever leur bébé, qu'ils revendent à des
couples lesbiens. Ce film est très important à prendre en compte, car c’est par lui, et donc
par les séances de minuit, que John Waters s'est fait connaître dans le milieu du cinéma
underground.
Ces films, tout en étant très différents les uns des autres, sont tous le reflet à la fois
d'une évolution des moeurs et sont devenus le miroir d'une expérience sociale inédite : une
communion des spectateurs autour de l'écran, et les documents d'époque, l’interview des
propriétaires du Elgin Theatre que j'ai pu rassembler confirment cette vision du midnight
movie comme un rituel, une tradition et une fête à la fois.
Afin de mettre en perspective le phénomène des Midnight Movies, je me suis penché
sur l'héritage , les illustrations plus récentes du pouvoir des cultes médiatiques. Certains
films ont connu le même sort nocturne, se sont faits connaître par le créneau de minuit; et
sont aujourd'hui cultes. J'ai choisi d'étudier le cas de The Big Lebowski, un des films des
frères Coen, sorti en 1998 qui, à défaut d'avoir connu un succès au box office, est le seul
ayant déferlé un mouvement de fans sans précédent, qui font aujourd'hui des kilomètres
pour se réunir afin de célébrer le film et la pensée forte qui en émane. Le Duc, « the dude »,
héros du film, est un magistral fainéant, que l’on qualifierait en France de paresseux, passant
son temps au bowling avec ses amis,et se trouve impliqué soudain dans une affaire d'argent
et de rançon qui est le fruit d'un quiproquo onomastique.
Ce film des frères Coen est un véritable pamphlet sur les valeurs diffusées dans la
culture hollywoodienne, et se plaît à déconstruire un à un les clichés du film hollywoodien.
Serait-il un descendant direct des midnight movies? J'ai analysé le film pour y répondre.
Il sera également question, dans une moindre mesure cependant, de la série de
David Lynch, « Twin Peaks », réalisée en 1986, reprenant les thèmes subversifs , la veine
transgressive des midnight movies et qui révolutionne les codes du genre de la série. Celleci offre, en un sens, une adaptation télévisuelle de l'esprit des Midnight Movies.
Définitions
Un film culte est un film qui réunit une communauté de fans:
Un film culte est un concept difficile à définir, cependant sa caractéristique majeure
reste ses fans. L'esthétique, en effet, ne joue pas le premier rôle, ce sont d'autres éléments
qui sont capitaux: ce film doit avoir eu une influence sur son temps, il jouit la plupart du
temps d'un faible succès commercial, est reconnu souvent dans la durée, restant longtemps
à l'affiche, tirant son effet par la répétition, l'accumulation. Le film culte est donc un film
qui obsède, se différencie sur ce point des films qui ne se regardent qu’une seule fois et
se consomment sans plus de réflexion: une certaine fascination, une adoration émanent
de cette catégorie de films. J'ai voulu approfondir cette thématique, qui est au coeur des
enjeux soulevés dans mon séminaire « récits, fictions et médias: les clés d'interprétation
du réel ». Un film culte est un film où l'illusion du cinéma continue à opérer, même une fois
sorti de la salle.
DURAND Camille_2010
11
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
La figure du fan:
Comme nous le savons, le terme « fan » est un anglicisme, une abréviation de fanatique
à l'origine. L'attitude de dévouement et de vénération d'un fervent croyant et d'un fan serait
donc pertinente à mettre en parallèle, de même que les séances rituelles des midnight
movies sont un lointain écho de la célébration de la messe.
Les films de minuit sont dits cultes, sans exception, et c'est la réalité que cache se
concept de culte qui focalise mon attention tout au long de ce mémoire. Pourquoi utiliser
un tel terme, qui emprunte à la religion? Y a t'il d'autres films cultes par la suite qui se sont
fait connaître à minuit ? Si oui, qu'ont ils en commun avec les midnight movies des années
1970?
Mon étude se développera donc en trois temps successifs:
Dans un premier temps, il sera question d'étudier les conditions d'apparition du
phénomène des midnight movies, de définir son ancrage spatio-temporel: les films cultes
des années 70 sont irrigués de toute la contre culture des années 60 et s'inscrivent dans
un espace urbain propice au mouvements underground.
Il sera ensuite temps de décrire et expliquer le phénomène des midnight movies en lui
même, à travers une étude des films et de leurs points de convergence. Nous mobiliserons
à ce titre plusieurs concepts, outils de taxinomie: une approche thématique qui s'intéresse
à rechercher des thèmes communs aux films comme la transgression sexuelle, la violence
comme revanche sur la société, les pulsions de vie et de morts « eros et thanatos »; une
tentative de définition par le genre, avec le genre du film d'horreur notamment, le genre
expérimental et le genre fantastique, ou par l'esthétique, avant d'avoir une approche plus
centrée sur la réception, qui sera l'occasion d’analyser le sens à donner aux rituels qui se
déroulaient pendant les midnight movies .
Enfin, nous partirons en quête de possibles résurgences du phénomène et
d'explications de l'évolution du film culte, qui est déplacé du lieu du cinéma à la maison,
apprivoisé et du même coup modifié dans son essence. Nous analyserons les objets
« héritiers » des midnight movies qui témoignent, en même temps d'une parenté, et d'une
mutation, en nous focalisant sur la série Twin Peaks et sur le film des frères Coen The big
Lebowski . Nous nous pencherons sur le phénomène de culte chez les fans et tenterons de
dépasser une lecture bourdieusienne qui tend à dévaloriser la figure du fan.
Nous tenterons aussi de chercher l'emploi actuel qui est fait du créneau de minuit dans
les salles, et ce qu'il nous dit sur l'évolution de la figure du fan.
12
DURAND Camille_2010
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
Partie 1: Origines et contexte
d'apparition des midnight movies
Il serait regrettable, pour une étude sur les Midnight Movies, de tenir ces films comme un
phénomène isolé de son contexte, un phénomène ex-nihilo, alors que leurs problématiques
ne se comprennent qu'à la lumière des soubassements historiques, idéologiques et sociaux
de l’époque, ainsi que des lieux qui ont favorisé leur diffusion.
Les Midnight Movies se révèlent être de véritables encéphalogrammes, mesurant le
pouls de la contre culture qui se développe à l'époque.
Parmi ces facteurs nécessaires à l'épanouissement des Midnight Movies, je
m'attarderai dans cette partie en premier lieu sur les mouvements artistiques qui sont
propédeutiques à l'avènement des Midnight Movies, à savoir l'expressionnisme allemand et
le surréalisme, ensuite sur l'oeuvre matrice des Midnight Movies, Freaks, de Tod Browning,
avant de faire un aperçu nécessaire du paysage culturel et cinématographique américain
des années 1960-70 , pour enfin effectuer un zoom sur un cinéma , le Elgin, qui est très
représentatif du brassage social et de l’ampleur inédite du phénomène des Midnight Movies,
mais aussi d’un esprit hippie et d’un climat favorable à la participation des spectateurs.
A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies
1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le
surréalisme.
a. L’expressionnisme allemand : définition
Le film d'horreur d'aujourd'hui s'est développé sur les bases des premiers films cultes des
années 1920 comme Nosferatu le vampire, de Murnau, Le cabinet du docteur Caligari,
de Robert Wiene (qui est, selon Hoberman et Rosenbaum le premier film culte, né à
Paris où il est diffusé durant 7 ans dans le même cinéma ), ou Docteur Mabuse de Fritz
Lang. Ce cinéma était très marqué par les atrocités , l'horreur au quotidien vécues par l'
Allemagne pendant la Première Guerre Mondiale, et met en scène le crime et la culpabilité
pesant sur des personnages denses, pétris de contradictions , le tout étant souligné par
l'esthétique expressionniste devenue très célèbre. Les personnages de ces films, dont
le maquillage épais exalte et exagère les traits, sont filmés sous l'angle de la contreplongée,la lumière venant du dessous éclairer le visage de manière effrayante, menaçante.
2
Ces personnages grimaçants sont, selon le critique Siegfried Kracauer , critique de cinéma
2
Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler, Une histoire psychologique de cinéma allemand 1947 p 32 et 36
DURAND Camille_2010
13
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
au journal Frankfurter Zeitung, le reflet des troubles psychologiques profonds du peuple
allemand, et annoncent les prémisses du régime totalitaire nazi.
3
Dans M le Maudit , , qui devait originellement s'appeler « Mörder ist unter uns », le
meurtrier est parmi nous, Fritz Lang met en scène un kidnappeur de petites filles qui sévit
dans la ville de Dusseldorf, semant la discorde entre la police et la pègre qui se disputent sa
poursuite. La dernière scène illustrerait , par le procès de la Pègre qui est fait au meurtrier,
procès acclamé par la foule en délire, la montée du nazisme qui est un mal intérieur
du peuple allemand. Cette scène est aussi marquée par l'esthétique expressionniste: les
visages de la foule apparaissent déformés par le peu de lumière qui les distingue de la
pénombre, et le meurtrier, piégé, avoue alors sa schizophrénie, en pleine lumière des
projecteurs braqués sur lui: cette scène finale renverse les rôles, et fait du meurtrier une
victime des bourreaux qui l'entourent, comprenant les bandes criminelles et les familles
avides de vengeance de la ville. Ainsi, l’expressionnisme se nourrit des malaises profonds
des individus pour styliser leurs images qui sont, par leur esthétique, l’extériorisation de
leur psychologie. Le personnage principal du film Eraserhead, Henry Spencer, interprété
par Jack Nance, pourrait être un personnage influencé de l'expressionnisme allemand, par
exemple: c'est un personnage dont les traits sont marqués, montrés toujours au travers
d'une lumière très faible, parcouru par les ombres d'une ville sans vie, parcourue de détritus.
Son costume noir, terne et élimé est proche de celui de Chaplin, son visage, comme celui
du Docteur Caligari est très blanc et les cheveux très noirs. C'est un personnage ambigu
dont on ne connaît pas les désirs, mais qui semble torturé , tout le long du film, par cette
faute originelle, ce péché de la chair qu'il a commis, donnant naissance à un bébé reptile
monstrueux. Henry semble travaillé par sa culpabilité vis à vis de son enfant, partagé
entre son dégoût pour la créature criarde et son sentiment d'humanité, de paternité qui lui
chuchote de prendre soin de son bébé, et par la culpabilité vis à vis de celle qui est la mère
de son enfant, qui a fui le foyer mais qui n'est pas l'objet de ses fantasmes, occupés par
la mystérieuse voisine.
De même, The Rocky Horror Picture Show, qui est une parodie des films adaptés
du roman de Mary Shelley « Frankenstein ou le Prométhée moderne», au moins pour les
deux premières versions de James Whale en 1931, « Frankenstein » et « la Fiancée
de Frankenstein ». Frank N Furter est un personnage complexe qui doit sa richesse
et son intensité à son esthétique, elle aussi inspirée des avatars de l'expressionnisme
allemand, avec son maquillage épais et son jeu très porté dans l’excès. Quant aux
personnages secondaires du film, inutile de dire qu'ils s'apparentent tous de près ou de loin
au Docteur Mabuse, à Nosferatu ou à Frankenstein. Le personnage de Riff Raff est d'ailleurs
directement inspiré par Nosferatu, de Murnau, avec sa figure blême et triste et ses cheveux
longs filasses jaunes. Magenta, la servante, est aussi un avatar moderne du personnage
de la fiancée de Frankenstein.
Les Midnight Movies sont donc nés sur les bases esthétiques de l’expressionnisme
allemand, puisqu’ils en ont non seulement repris les thèmes, mais aussi l’esthétique, qui
dessert la dimension fantastique des films.
b. Le surréalisme au cinéma
3
14
Ein Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang , 193
DURAND Camille_2010
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
« L'un des points de départs du surréalisme est l'observation selon laquelle tout ce qui
jaillit de l'esprit, même dénué de forme logique, révèle inévitablement la singularité de cet
4
esprit » .
A travers cette citation célèbre, l’on saisit l’importance prise par l’imaginaire individuel
sur la raison collective et la victoire de l’irrationnel sur le plausible, ce qui permet mieux de
comprendre pourquoi un surréaliste comme Breton s’est essayé à l’écriture automatique
et à un style très peu soucieux du cadre spatio-temporel, à l’opposé du roman réaliste, à
l’œuvre dans Nadja.
La source d'inspiration première des Midnight Movies, qui est la plus fréquemment citée,
reste celle des films surréalistes français, mouvement situé généralement dans l'entre-deux
guerres qui a inspiré de nombreux cinéastes comme Jodorowsky et Lynch. Aragon définit
le concept de cette façon : « Le vice appelé surréalisme: emploi déréglé et passionnel du
stupéfiant image ».
Ce mouvement, qui refusait pourtant de se revendiquer comme tel, déploie dans ses
films une logique onirique de métaphores, d'associations libres de figures mythiques et de
rêves, souvenirs parfois, enchaînés, comme dans Un chien andalou, dont l'histoire est le
fruit d'une conversation entre Bunuel et Dali portant sur leurs rêves respectifs.
Les figures maîtresses sont Cocteau (Le sang d'un poète de Cocteau, sorti en 1930,
la belle et la bête, de 1946, mais surtout Orphée, de 1950.) Bunuel et Dali, dans des films
comme Un chien Andalou, 1929, l'Age d'Or qui, en 1930 dont la projection fait scandale à
l’époque.
Au tout début d’Un chien Andalou, une femme se fait trancher l'oeil à l'aide d'une lame
de rasoir, scène très choquante, même aujourd'hui où nos moeurs sont plus habitués à la
violence visuelle. Les allusions à la masturbation dans l'Age d'Or sont claires, d'autant que
le film s'attaque aux institutions qui sont le fondement de la société: la famille, la patrie et
la religion.
Le film crée le scandale à Paris, donnant lieu à des évanouissements, avortements
et dénonciations au commissariat, et ensuite à un véritable lynchage de la part de ligues
d'extrême droite qui saccagent le cinéma où avait lieu la projection. Par la suite, elles se
dérouleront sous contrôle de la police, avant d'être complètement interdites. La censure du
film ne prend fin qu'en 1981, cinquante ans plus tard.
Ces films illustrent tous d'une certaine façon le célèbre aphorisme de Breton « la
beauté sera convulsive », et incarnent un véritable rejet de la tradition française du réalisme
poétique, incarnée par Renoir, Carné ou Clair, très focalisée sur les dialogues et les
personnages populaires. Ainsi, Un chien Andalou est un film muet sans personnages, et il
n'y a pour ainsi dire pas d'intrigue. Maya Deren est celle qui a officiellement importé aux
Etats Unis le surréalisme et l’avant-garde au cinéma. Son film le plus connu, « Meshes of
the afternoon », est un film muet qui instaure une poésie basée sur des images suggestives
et remplies de mystère : une femme rêve et poursuit dans son songe une femme toute
voilée de noir, sans visage, qui promène une fleur. Puis son mari apparaît, mais le rêve
ne s’achève que lorsqu’il rentre dans la maison et la découvre morte recouverte d’éclats
de miroirs. Le court métrage multiplie les gros plans , une caméra nichée dans des angles
anormaux, des effets de disparitions créés au montage qui réussissent à recréer l’ambiance
du rêve : une atmosphère instable pour une réalité fuyante et la puissance surréelle des
objets, symboles oniriques.
4
Goudal Jean, surréalisme et cinéma, 1925
DURAND Camille_2010
15
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Eraserhead est basé sur cette logique du rêve, qui est en fait un principe qui va guider
Lynch tout au long de sa filmographie, de ses courts métrages également: le réel est toujours
contaminé par le rêve, et sa logique irrationnelle. Les scènes dites réalistes sont en vérité
de véritables pastiches des impératifs de clarté et de réalisme hollywoodiens, comme dans
Mulholland Drive, son film le plus populaire, où la première partie du film, centrée sur l'arrivée
du personnage de Naomi Watts à Hollywood est à interpréter au second degré, tandis que
le rêve des jeunes femmes prend la conduite de la narration. Le rêve, l'aspect illogique sont
le moteur même de l'intrigue dans Lost Highway .
Ainsi, le surréalisme et sa volonté de rompre avec les codes du cinéma réalistes, de se
focaliser sur les mouvements de l’imaginaire, du rêve, d’utiliser la logique de l’association et
de la métaphore libres plutôt que le rythme canonique de la narration est un état d’esprit qui
a eu un impact sur l’idéologie des Midnight Movies, autant sur les films que sur la manière
de les regarder.
2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies
A mains égards, l'on peut considérer Freaks comme l'ancêtre, le parent de tous les midnight
movies réalisés pendant les seventies. Son statut est assez complexe, pourtant, car il a fait
partie des films diffusés à minuit dans les années 1970, alors même que c'est un film réalisé
en 1931. Tod Browning, son réalisateur, a été victime d'une censure impitoyable, puisque
sa diffusion a été interdite au Royaume Uni jusqu'au années 1950. Tourné dans un cirque
à l'aide d'acteurs non professionnels qui jouent leur propre rôle, il va au plus près de la
monstruosité, ce qui en fait un film très novateur pour l'époque. Elephant Man, le célèbre film
de David Lynch, est un hommage à Freaks, tout en retournant le thème de la monstruosité,
car le film est moins provocateur, et surtout beaucoup plus moral.
Avant sa sortie définitive, Freaks sera corrigé, car les tests effectués sur les spectateurs
sont catastrophiques, ces derniers partent avant la fin, et l'on raconte même qu'une femme
a menacé d'attaquer la production MGM en justice car le film avait déclenché sa fausse
couche. Ces premiers incidents passés et le public désertant les salles, on décide de couper
au montage les scènes les plus choquantes, notamment celles de la castration de Hercule
et de l'attaque de Cleopatra par les monstres, suggérant son viol, suivie de sa mutation
en poulet. Un nouvel épilogue est tourné, plus gai que l'autre. Mais ces modifications
n'augmentent guère les entrées en salle, si bien que même à Los Angeles, le film ne reste
à l'affiche que deux semaines. Comment expliquer qu'un film connaissant un tel échec
commercial soit considéré culte dans les années 1960, regardé comme une sorte de matrice
des Midnight Movies ?
Freaks est un film très violent, une sorte de pamphlet sur les valeurs maîtresses à
Hollywood: le culte de la beauté alliée à la vertu (cela correspond au célèbre concept grec,
kalos kagathos, allier le beau et le bon). L'intrigue se noue autour de l'opposition entre deux
camps au sein du cirque: les normaux, en minorité, composés d'Hercule et Cleopatra, et
les monstres, les Freaks. Ces groupes entrent en collision lorsque Cleopatra décide de
séduire le lilliputien Hans afin de réaliser un plan machiavélique avec Hercule, son amant:
lui dérober sa fortune. Celui ci se sépare de sa promise, Frieda, une autre freaks, séduit par
la beauté de la trapéziste Cleopatra qu'il décide finalement d'épouser. Néanmoins, celle ci,
dégoûtée par tous les monstres qui l'entourent durant le repas du mariage, finit par céder à
son horreur, et les insulte tous. Cette scène constitue le climax de l'intrigue, l'acmé, c'est à
dire le point où la tension dramatique se fait la plus forte: tous attablés autour du mariage de
Cleopatra et de Hans, les Freaks entonnent une chanson, un hymne triomphal (We accept
16
DURAND Camille_2010
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
her, we accept her, one of us, one of us, Nous l'acceptons, elle est des nôtres), qui sous
l'effet de l'alcool, rompt de calme de Cleo, incapable de se contenir davantage. Celle ci se
lève et se retourne contre eux, les congédiant et dévoilant par là même son mépris pour eux.
A ce moment du film, l'équilibre des forces se retourne, et la vengeance des Freaks
commence, telle une révolution.
Freaks est un film d'une étrange contemporanéité, doté d'une résonance politique
indéniable. Le film est basé sur le motif de l'inversion entre la monstruosité physique des
freaks qui est plus humaine que la monstruosité morale de deux êtres hypocrites comme
Hercule et Cleo. Ce retournement vient dénoncer les valeurs à la base de l'institution
hollywoodienne comme le culte de la beauté et du glamour, par une mise en avant de la
difformité physique. Le message est clair: la machine à rêves d'Hollywood n'est qu'une vaste
mascarade.
Dans un pays encore très conservateur, dans les années 1930, certaines organisations
puritaines, comme la National Association of Women appellent à boycotter le film qui, selon
eux, véhicule des clichés dégradants. En Grande Bretagne, le film est tout simplement
interdit pour trente ans. Au moment où la crise de 1929 touche les Américains et les contraint
à revenir à un niveau de vie archaïque, et pour les plus touchés à faire la queue pour
les soupes populaires, l'intrigue suggère aux spectateurs de ne pas s'identifier aux stars
d’Hollywood mais aux « petites gens », à des êtres qui, dans l'ombre, font preuve de plus
d'humanité que les autres. C'est une morale très singulière et novatrice pour l'époque.
Après sa sortie des affiches, le film est utilisé à des fins scientifiques, intégré dans des
publicités pour des remèdes scientifiques. La MGM va jusqu'à re-baptiser le film « Nature's
mistakes », un titre qui va à contresens de l'argumentation du film, occultant ce qu'il promeut
vraiment: l'égalité fondamentale entre tous les hommes.
La réédition du film, après la seconde guerre mondiale, sonne le début de sa re
légitimation fulgurante: le film est diffusé dans de prestigieux festivals comme Venise ou
Cannes, reconnu par la critique et le cinéma underground comme une inépuisable source
d'inspiration du cinéma fantastique. A partir des années 1960, il est diffusé régulièrement
dans les cinémas new-yorkais, et c’est parmi les cercles intellectuels, une référence
indiscutable, un film culte qu'il faut avoir vu.
Ce film va aussi être une référence commune pour Jodorowsky et Lynch, dans El Topo,
qui présente dans son casting de nombreux êtres difformes, et Eraserhead , qui transpose
la monstruosité dans la cellule familiale. Au delà de nos Midnight Movies, le film innerve la
veine fantastique chez des réalisateurs comme David Cronenberg ou Tim Burton.
Mais la réussite de Tod Browning tient dans son refus de recourir à la science-fiction,
puisqu'il utilise de vraies personnes handicapées, et s'inscrit dans leur milieu, le cirque. On
raconte d'ailleurs que le tournage a été parfois douloureux pour certains, qui ne supportaient
pas de dîner à table avec des êtres difformes.
C'est tout le réalisme de Freaks qui fait horreur et qui l’a consacré comme culte, et
c’est pour ces raisons qu’il a été diffusé, redécouvert dans les années 1960. Sa dimension
subversive vaut par son extrême réalisme. Les films de minuit ont tous plus tard exploité le
choc, le sens implicite de ce film très dissident pour l’époque .
DURAND Camille_2010
17
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un
fourmillement créatif
1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes
cinématographiques
La société Américaine des années 1960 connaît, comme nous le savons, des
bouleversements sociaux importants, dont les films des années 1970 sont le reflet.
Parmi ces mutations, la commercialisation de la pilule contraceptive en 1960, emblème
de l'éveil d'une sexualité libérée de tout impératif moral, le climat de contestation parmi
les étudiants qui naît d'un rassemblement autour de l'opposition à la guerre du Vietnam,
symbole du l'impérialisme américain qui est décrié, relayé par le mouvement Hippie, les
émeutes de Watts, et la lutte contre la ségrégation entreprise par Martin Luther King. Les
premiers pas sur la Lune, l'avènement d'une culture rock qui incite à la circulation de
drogues : tous ces enjeux culturels, sociaux sont en quelque sorte digérés par des films
emblématiques qui deviennent le miroir des évolutions en cours.
Psychose, de Hitchcock, sorti en 1960, provoque des réactions houleuses, en partie à
cause d'une scène, devenue mythique, qui défit la morale puritaine de l'époque, dans un
pays dont la production cinématographique reste sous contrôle du code Hays.
Cette scène conjuguait à l'époque deux éléments très subversifs: une violence visuelle
au premier plan: Janet Leigh, filmée en plan rapproché, meurt poignardée sous les multiples
coups de couteau de son agresseur, qui est à la place du spectateur, en caméra subjective.
De surcroît, Janet Leigh est nue, sous la douche : l’alliance entre sexualité suggérée et
violence est rarement portée à l'écran, condamnée par le code Hays.
Ce code de censure régissait la production des films, et fut adopté en 1934 par William
5
Hays , un sénateur, et le texte rédigé par deux ecclésiastiques comprenant un prêtre Jésuite,
Daniel Lord et un éditeur catholique Martin Quigley.
Imposé à Hollywood suite à des scandales d'acteurs filmés en état d'ébriété, il a pour
ambition de diffuser une rigueur morale dans le paysage hollywoodien: ainsi, dans les
scénarios, la représentation du crime, de la sexualité de la patrie et de la religion font l'objet
d'une attention particulière. Les réalisateurs sont tenus de ne pas tourner en dérision la loi
et le drapeau américain, de maintenir une certaine décence (le blasphème, l'obscénité et
la nudité sont interdits) et de promouvoir les institutions sociales traditionnelles comme le
mariage et la famille. Le crime ne doit jamais être représenté d'une façon élogieuse, tout
comme le péché de manière générale (« the sympathy of the audience should never be
6
thrown to the side of crime, wrongdoing, evil or sin » ).
De 1934 à 1954, le très conservateur Joseph Breen, alors président de l' administration
du code de production, fait régner l'austérité, avant que son successeur ne relâche quelque
peu sa surveillance, jusqu'à la suppression totale du code Hays en 1966.
Le moment va être propice à la création, à l'exploration de tabous à l'écran, d'autant
plus que la fameuse règle du happy ending disparaît elle aussi en 1970.
5
6
18
Horwath, King , Elsaesser, Last great american picture show: New Hollywood cinema in the 1970s, p. 67.
The Motion Picture Code of 1930, www.artsreformation.com
DURAND Camille_2010
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
Le Lauréat (the Graduate), sorti en 1967, de Mike Nichols illustre bien la libération des
tabous à l'écran. Il montre une histoire d'amour entre un jeune homme et une femme mûre,
et la rivalité entre une femme et sa propre fille, toutes les deux éprises de ce même jeune
homme. Ce motif quasi incestueux est très provocateur et illustre en outre deux petites
révolutions: celle du sexe en dehors du mariage et celle du démantèlement de la famille,
unité qui se désintègre complètement dans le film.
Robin Wood établit un lien entre ce phénomène de crise de l'unité familiale et le genre
fantastique. Selon lui, c'est à partir du film Psychose en 1960 que le genre fantastique
familial se développe, genre dans lequel s'inscrivent Eraserhead et La nuit des morts
vivants, de George Romero.
Eraserhead aborde le tabou de la monstruosité qui se développe au sein d'un couple,
dont la femme met au monde un bébé reptile repoussant. Nous traiterons cependant du
genre fantastique dans la seconde partie.
Les films des années 1960 et 70 vont puiser dans la richesse des évolutions sociales
pour nourrir de nouvelles problématiques cinématographiques. Les genres du fantastique
et de l'horreur sont en pleine expansion, influencés par un contexte économique et politique
singulier. Parmi des événements significatifs on trouve la récession, qui est la conséquence
des deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, portant la peur et l'angoisse économique à
leur apogée, d'autre part la reconnaissance de la maladie du Sida, qui explose durant cette
décennie, et enfin le scandale de Watergate qui éclate au grand jour en 1974, instaurant
une nouvelle forme de méfiance envers les arcanes du pouvoir et le sentiment d'insécurité.
La violence, la crainte de l'autorité corrompue deviennent des thèmes centraux, et la
provocation est au menu des avant-gardes au cinéma.
Andy Warhol et sa factory, Stan Brakhage et Jonas Mekas trouvent à New York
un terrain fertile pour la production de films expérimentaux, films qui passaient dans
certains cinémas underground, et qui ouvrent la voie aux Midnight Movies. Eraserhead est
particulièrement influencé par les expériences cinématographiques menées par les avantgardes des sixties, par des réalisateurs comme Brakhage qui utilisent les techniques de
superposition dans l’image, comme dans la séquence d’ouverture ou le visage d’ Henry
Spencer, à l’horizontal, apparaît superposé à ce qui ressemble à une planète, placée juste
à l’endroit de son cerveau.
Ce qui réunit cette « nouvelle vague »de réalisateurs expérimentaux, c'est la volonté
d'instituer un contre cinéma qui bouleverse les habitudes bourgeoises des spectateurs, leur
style de vie citadin: ils sont influencés par le surréalisme et le situationnisme dont l'avatar
le plus connu est Guy Debord. La ville est pour eux le lieu du merveilleux, de la licence et
de la poésie.
New York est alors le berceau d'une jeunesse qui se délecte de films provocateurs,
comme le célèbre Chelsea Girls de Andy Warhol, tourné dans un hôtel new-yorkais situé
dans le quartier de Chelsea. Le film montre, pendant trois heures, un écran séparé en deux,
filmant des moments de vie, discussions de jeunes hommes et femmes de l'hôtel ou de la
factory, jouant pour la plupart leur propre rôle. L'expérimentation touche autant à la forme,
car le dédoublement est une technique nouvelle, que la narration, qui est décousue et très
minimaliste.
Un autre film symbolique d' Andy Warhol, représentant l'avant garde new yorkaise
par excellence est Blow Job, qui, comme son nom l'indique représente en noir et blanc,
durant trente-cinq minutes un homme recevant une fellation. Tourné en 16 images par
seconde, c'est à dire à une vitesse un tiers plus lente que la norme, on ne verra dans ce
DURAND Camille_2010
19
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
court métrage muet que l'expression de l'homme, sans jamais apercevoir celui ou celle
qui lui fait. C'est donc une réflexion sur le voyeurisme au cinéma, car l'objectif, immobile,
frustre le spectateur, toujours désireux d'embrasser par la vue la totalité d'une scène afin
de la dominer et d'en comprendre l'économie. L'immobilité de l'objectif est accentuée par la
tension toujours grimpante de la montée vers l'orgasme, qui fait que le spectateur, n'ayant
rien d'autre à observer dans le plan, attend lui aussi la délivrance de l'acteur, sentiment
embarrassant pour le spectateur.
Dans des quartiers comme East village, Greenwich village, le Warehouse district à
7
Chicago, le South of market era à San Francisco, Chelsea, à l'ouest de Manhattan , le
8
fameux 'funky chelsea neighborhood , où les restaurants sont bon marché, où l'on trouve
des boutiques de nourriture diététique, bar à ambiance, où les artistes ne peinent pas à
trouver des studios bon marché ; s'épanouit la production de films expérimentaux, car les
studios y sont souvent très peu onéreux. Certains lieux deviennent des repères de la culture
underground, comme le Mini Cinema à Unionsdale, à Long Island qui a initié les séances
de minuit en 1971, ou comme Le Elgin.
Il est donc capital de saisir les Midnight Movies dans l’univers topographique,
sociologique et culturel qui a préparé leur émergence. Car ce phénomène était unique aux
quartiers alternatifs des grandes métropoles américaines, et il me serait impossible de le
relativiser dans l’espace.
2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin
comme haut lieu d’épanouissement d’une culture underground
Le cinéma Elgin, sur lequel se focalise le documentaire de Stuart Samuels, illustre à lui seul
cette ambiance typique des « revival movie houses », des sortes de cinémathèques diffusant
d'anciens classiques hollywoodiens, ou des films d'avant garde européens, endroits qui ont
souvent été les lieux de tournage des films de Woody Allen, comme dans Manhattan et
Annie Hall.
Au sein de ces lieux, le Elgin était un des cinémas les plus connus dans les années
1970.
Au départ , dans les années 1950, le Elgin était un cinéma espagnol, détenu par une
compagnie mexicaine « Azteca films », diffusant des films en version originale espagnole
car le quartier, à l'époque était habité en majorité par des Espagnols. Le Elgin prit ensuite sa
forme la plus connue à la fin des années 60, lorsque Ben Barenholtz rachète l'établissement,
et opère la transition en diffusant un film symbolique, Chelsea Girls dont nous parlions plus
haut, faisant du lieu un des bastions de la culture underground de New York. Sa devanture
un peu délabrée, son côté alternatif et la diversité culturelle de ses usagers en faisaient un
lieu hippie qui correspondait à l'état d'esprit du quartier qui, dans le passé, était un endroit
de mixité sociale.
Avec Chelsea Girls, le Elgin se lance finalement dans les séances de minuit avec El
Topo, le premier succès de ce qui deviendra au fil des années une tradition attirant des
spectateurs venus de toute la ville, tous avides de l’ambiance qui y règne. Le gérant du
7
Hawkins Joan “ Midnight sex horror movie and the downtown avant-garde”in Jancovitch Marc, defining cult movies: the cultural
politics of oppostitional taste, ,
8
20
Hoberman et Rosenbaum , Midnight Movies, p 193
DURAND Camille_2010
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
Elgin en témoigne lui même: « We had an underground opening...and it was like the entire
9
60s was invited to be there » , c'est toute une culture urbaine qui se rejoignait au Elgin.
L'article du New York Times interroge un des responsables de la distribution de ces
films qui parle cependant d'une audience très jeune et désoeuvrée qui n'a rien à faire de
mieux que de traîner en ville le soir et d'aller voir des films à minuit. Selon lui, les jeunes
de 18 à 25 ans forment le public privilégié de ces films, qui en soi n'ont rien d'original, mais
que leur diffusion à minuit rend spéciaux, attirants et mystérieux pour les jeunes citadins en
recherche de l'esprit de leur génération, de la culture des sixties.
Le cinéma Elgin était donc un lieu alternatif, et bien intégré dans son quartier, considéré
depuis déjà de longues années comme un lieu dédié au cinéma et favorable au mixage
des cultures. Il n’est pas anodin de savoir l’histoire d’un lieu qui a été le théâtre d’un
tel phénomène, car l’espace urbain est rempli de connotations que la mémoire collective
entretient comme des légendes, de bouche à oreille, le média même qui a servi les Midnight
Movies. Dans ce quartier à l’identité forte, la reconnaissance du lieu et de son emploi a
encouragé une intimité, une connivence entre les commerçants et résidents qui procuraient
au cinéma son côté familial et réconfortant. C’est dans cette inimité que naissent les cultes.
Nous avons donc vu, à travers cette première partie, que les Midnight Movies sont
le produit d’une effervescence culturelle qui se retrouve à la fois dans les avant-gardes
cinématographiques, le climat socio-politique, le phénomène de baby boomers et le
développement d’interstices alternatifs au sein des grandes métropoles américaines.
9
Ben Davis, Children of the sixties : an interview with the owners of the Elgin, , voir annexe
DURAND Camille_2010
21
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Partie 2 : Que sont les midnight movies
10
« Le réalisme n'est pas en soi une forme d'art »
“ A midnight movie has to be a personal vision, it has to be a total critique of society and it
11
has to be discovered by the audience ”
Qu’est ce qui fait d’un film un film de minuit? Comment le définir et peut-on même le
définir ? C’est la question que pose le journaliste du New York Times du 7 septembre 1975,
dans son article intitulé « So what do you do at midnight ? You see a trashy movie »,
à Jim Dudelson, de New Line Cinema, la compagnie de distribution de Pink Flamingos.
Celui-ci, troublé, lui répond « You can’t really put your finger right on it”, (tu ne peux pas
vraiment mettre le doigt dessus). Là est toute la problématique des Midnight Movies qui, bien
qu’unis dans la même catégorie par cette expression, reflètent des diversités stylistiques,
thématiques indéniables.
Nous tenterons dans cette partie de capter, en confrontant à la fois ce qui relève de la
forme et ce qui appartient au fond de ces films, ce qui les réunit et scelle leur appartenance
au même groupe, justifie leur projection à minuit.
A. Une tentative de définition par le genre.
Les Midnight Movies appartiennent ils au même genre ?
Un genre au cinéma est ce qui permet de catégoriser les films entre eux selon
leur caractères propres : l’esthétique des images, l’intrigue, le recours ou non aux effets
spéciaux, au surnaturel, les thèmes abordés et bien d’autres paramètres rentrent en compte
pour déterminer un genre.
Selon Stuart Samuels, une des caractéristiques communes des Midnight Movies est
qu’ils proposent tous une vision très personnelle. Comment comprendre cette expression
vague ?
1/ Le genre expérimental
Ces films sont souvent jugés excentriques, illustrant une déviance thématique ou esthétique,
donc classés comme expérimentaux et avant-gardistes, car ils utilisent des techniques
narratives et matérielles nouvelles visant à faire parler la forme même de l’oeuvre. On cite
souvent parmi leurs sources d’inspiration, leurs précurseurs, Andy Warhol ou Maya Deren.
La terme avant-garde a été importé de l’armée, où il désigne la première ligne de
combattants, celle qui affronte en premier l’inconnu. Dans le domaine artistique, on distingue
10
11
22
Carl Theodor Dreyer, Réflexions sur mon métier, cahiers, 1983, p 97.
Stuart Samuels in « a new time for midnight movies », International Herald Tribune,22.06.05, Lewis Beale.
DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies
12
selon Paul Young le film expérimental de la production commerciale grand public par sa
dimension esthétique, idéologique et/ou politique, sa capacité à contester la tendance à la
stabilité, au réalisme et à la clarté qui est à l’œuvre dans les films et surtout à « contester
13
les limites du symbolique ». Ainsi Le Grice délimite huit caractéristiques permettant, dans
un film, d’explorer les différentes possibilités du cinéma, et donc d’entrer dans le genre
expérimental : le travail sur le dispositif de la caméra, l’invention de nouvelles formes
narratives, la création de nouvelles formes d’organisation du discours, la diffusion d’images
occultées par la société, l’engagement politique, la capacité à articuler le cinéma avec
d’autres arts comme la philosophie ou la peinture, et le fait d’établir, créer par le cinéma un
autre monde, une altérité qui répond à ses propres codes.
Les Midnight Movies illustrent-ils la prise en compte, le travail d’une ou plusieurs de
ces perspectives ?
El Topo joue avec les codes du cinéma et a une vision très poétique du scénario,
car l’intrigue n’est qu’un prétexte aux images, qui se succèdent les unes aux autres, non
selon une logique narrative, mais plutôt au gré des métaphores et du visuel, comme dans
la tradition surréaliste de Dali, Bunuel qui ont révolutionné le genre expérimental. Il s’agit
pour lui de briser l’idée de rationalité qui conduit l’intrigue en mettant en place une forme
mythique, poétique de dramaturgie. Le début du film nous introduit bien à la décadence
narrative du film, car il frise l’absurde. Après avoir tué, de la main de son fils, le dernier
survivant d’un massacre de sanguinaires dans une ville, el Topo arrive dans une contrée
désertique où trois bandits vivent. Ces derniers passent leur temps à deux activités très
loufoques compte tenu du contexte : manger des bananes et caresser avidement des
chaussures à haut talons, qu’ils collectionnent. Cette caractéristique est complètement
invraisemblable : le spectateur s’attend, au lieu de trois fétichistes, à trouver en de tels
bandits des hommes aux mœurs dures et viriles.
Dépourvu de sens, d’ancrage spatio-temporel, cet incipit fait la belle part au gratuit et
à l’absurde. La violence visuelle est très présente dans le film, vraiment gore, et surtout
non légitime : il n’y a pas de morale dans le film, et on nous montre le pire sans aucune
explication, sans aucune excuse. Le personnage principal ne semble d’ailleurs pas affecté
par ce qu’il voit, et demande à son fils d’achever le massacre, et ce alors même qu’un
survivant fait appel à sa pitié. C’est un anti-héros : il abandonne son fils, qu’il a initié
et éduqué à la violence, pour poursuivre son chemin avec une femme. Le film est dans
le sillage du surréalisme et de Maya Deren, une des précurseurs aux Etats-Unis du
surréalisme au cinéma.
Eraserhead constitue un des- sinon le- films les plus expérimentaux de Lynch, c’est
pourquoi je m’attarderai plus sur cet exemple.
Le modèle de narrativité est complètement déviant, car il est sans cesse contaminé par
le rêve, qui est la seule porte de sortie d’un environnement hostile où le végétal est absent,
où la couleur, la vie, l’animation paraissent à jamais perdus. Les errances de Henry dans
son quartier sont marquées par la solitude la plus totale, le passage de longs tunnels dans
l’ombre.
Lynch dira dans son interview avec Chris Rodley qu’il a voulu recréer le Philadelphie
de son enfance, sa banlieue et ses usines, ses fumées industrielles et parvient ainsi à créer
un univers totalement autre, presque futuriste, où le soleil ne brille jamais, où le vent siffle
12
13
Le cinéma expérimental, Paul Young, Taschen
Cinémas d’avant-garde, Nicole Brenez
DURAND Camille_2010
23
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
en continu tel un murmure de fin du monde. La scène du songe dans le radiateur montre
comment la logique du rêve, de l’irrationnel conduit le récit, et occulte les principales normes
narratives d’un film. La définition des personnages est floue, dès le départ, on ne saura
jamais qui est Henry Spencer et ce qu’il éprouve pour Mary , la mère de leur enfant qui
le quitte peu après le début de leur vie commune. De leur histoire commune, rien n’est
dit, si bien que le spectateur est aussi surpris que l’est Henry d’apprendre que Mary a
mis au monde un bébé. On devine qu’il éprouve une forte attirance pour sa mystérieuse
voisine,avec qui il a eu une relation sexuelle, mais celle-ci reste dans l’ombre, comme c’est le
cas des autres personnages du film, qui sont des ombres fuyantes, des fantômes dans cette
cité industrielle désaffectée. Puisque Henry essaie de se réfugier dans le rêve, dans le songe
du radiateur, qui est une sorte d’Eden où Henry est apaisé par la présence d’une femme aux
joues démesurément grosses, qui chante en souriant « In heaven, everything is fine.. », tout
le reste, le morne quotidien reste de l’ordre de l’implicite. Le spectateur est invité à faire ses
propres suppositions, à se servir de son imagination pour comprendre ce qui se passe entre
la voisine et Henry, lorsque le bain lacté, qui est la transformation fantasmatique des draps
du lit de Henry les happe sous la surface : le liquide laiteux dans lequel le couple s’enfonce
suggère l’acte sexuel. Lynch rompt totalement avec le modèle traditionnel de narration. Dès
le prologue, où nous est montrée une planète qui est la métaphore du cerveau, le film est
placé sous le signe de l’imagination et du rêve.
Plus que les personnages, les dialogues et l’action, ce sont les matières et les sons
qui permettent de mieux comprendre ce qui est en jeu dans Eraserhead. Le film bouleverse
complètement nos habitudes perceptives.
Après la sortie du film, une rumeur circulait sur la bande son du film, qui affecterait
le subconscient du spectateur par un bourdonnement de très basse fréquence, presque
14
inaudible, donnant la nausée .
Le son donne, il faut bien le reconnaître, un sentiment de malaise continu, car il n’est
composé que de rumeurs d’usines, sifflements de trains, murmures de machines, sortes de
leitmotiv sonores qui contribuent à faire ressentir le silence du film, très avare en dialogue,
et faire par le même coup ressortir les cris assourdis du bébé montres.
Par exemple, lorsque Henry rentre dans son hôtel, le son n’est composé que du bruit
de fonctionnement de l’ascenseur et de ses portes s’ouvrant et se refermant, alors qu’en
arrivant près de sa porte se fait entendre une musique de jazz, suggérant l’univers subversif
de sa sulfureuse voisine. Le son est comparable à une voix off, expliquant au spectateur ce
qu’il ne peut deviner par les dialogues, et par sa richesse, le son comble le vide des images.
Le son qui représente le bébé monstre est un son d’eau qui boue : c’est un son
ronronnant, qui fait sentir au spectateur la présence du bébé, car il imite en quelque sorte
15
sa gêne respiratoire. Eric Dufour donne une fonction sensitive au son, qui selon lui donne
une image de la matière des choses, et, dans cette scène, du bébé : « A l’image du bébé
couvert de pustules et secoué par des spasmes correspond le bruit de l’eau qui boue, le
halètement et le bruit du vent. »
Ainsi, l’expérimentation par le son dans Eraserhead est vouée à suppléer au langage
du champ visuel, qui est évasif et incomplet.
Eric Dufour explique ainsi : « à la raréfaction de l’image s’oppose la saturation du son
qui grouille d’un monde qu’on ne voit pas et dont il ne se contente pas d’indiquer la présence
14
15
24
Zizek Slavoj, Lacrimae rerum p 89
Eric Dufour, David Lynch : matière, temps et image, p 27
DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies
puisqu’il la représente au ses littéral du mot. Le vide des zones visuelles traversées par
Henry s’oppose à la plénitude des zones sonores (…) ».
Le monde que crée David Lynch de toute pièce travaille également la matière, dans
un monde industriel composé de trous, de tas de terres, de flaques et de boue sans trace
de verdure, qui est un entre deux. Durant la scène du repas chez les parents de Mary, au
moment où Henry tente de découper le poulet, un liquide sombre s’échappe du postérieur ,
suggérant , comme un présage le fluide vaginal monstrueux qui symbolise la naissance du
monstre. Il trace par là un pont entre son cinéma et l’art plastique.
Mais que penser de Pink Flamingos ou du Rocky Horror Picture show, si l’on considère
les exigences du cinéma expérimental ? Ces films sont loin d’illustrer une recherche
esthétique, iconique typique au genre expérimental, même s’ils diffusent des images d’une
société qui sont traditionnellement occultées. The Rocky Horror Picture Show expose le
tabou de la transsexualité, et celui de l’adultère, dans une moindre mesure : Frank N Furter
parvient à séduire Janet autant que Brad, dans deux scènes parallèles avant que Rocky
soit découvert par toute l’assistance avec Janet, nus, après consommation de l’acte sexuel.
Mais on ne peut pas pour autant parler d’expérimentation visuelle ou dramaturgique, car
rien ne sort des canons de la parodie, qui par définition recycle des situations, des clichés,
un cadre d’une œuvre pour la tourner en dérision. Naturellement, on pourrait considérer
la parodie en elle-même comme une forme d’expérimentation, en tant qu’elle pervertit
un genre établi, mais sur le plan formel, le film ne présente aucune trace de recherche
cinématographique.
Mais Pink Flamingos va bien plus loin dans son traitement du tabou, car il le pousse
jusqu’à la perversion, et met des images sur des travers sexuels encore jamais portés à
l’écran : la coprophagie, la zoophilie, l’inceste et l’exhibitionnisme. Raymond Marble s’amuse
à exhiber son sexe devant les jeunes filles qu’il rencontre, tandis que le fils de Divine invite
une poule et la tue lors d’un rapport sexuel avec une femme espionne, qui se trouve couverte
du sang de la bête. Ces deux scènes sont encore, quarante ans après , très choquantes
pour le spectateur.
Pink Flamingos est une comédie sur le mauvais goût, que John Waters érige en principe
16
originel du divertissement « To me bad taste is what entertainment is all about » , et
l’explique dan son essai Shock value, publié en 1981 : « if someone vomits watching
one of my films, it’s like getting a standing ovation ». Plus qu’une recherche d’un nouveau
langage esthétique au cinéma, le film se singularise par son extrême provocation. Pourtant,
à sa sortie, le film est très remarqué par les avant-gardes et les critiques de cinéma.
Le New Yorker va jusqu’à le comparer à Un Chien Andalou, tandis qu’ Andy Warhol l’a
personnellement recommandé à Fellini, ce qui peut surprendre un peu. Pink Flamingos
n’est pas un chef d’œuvre ayant des qualités esthétiques intrinsèques, ne révolutionne pas
le style de narration. Le film est au contraire, comme l’Urinoir de Duchamp, une insulte
à l’art bourgeois classique , une provocation , comme une blague qui secoue les grilles
d’interprétation filmique des spectateurs . Montrer aux spectateurs un acteur ingérer les
excréments d’un chien, c’est un moyen de faire ce qu’on appellerait aujourd’hui du « buzz
médiatique », et donc d’avoir un impact sur les consciences individuelles.
Il est donc difficile, après avoir examiné notre corpus de rassembler les Midnight Movies
dans le genre expérimental, car si les images de Eraserhead et El Topo dénotent une
préoccupation formelle, une recherche plastique indéniables, les autres films ne sont pas
dans le même cas et arborent une esthétique plus canonique.
16
Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum p 327
DURAND Camille_2010
25
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
2/ Le genre fantastique
Pour essayer de comprendre ce qui fait la cohérence des Midnight Movies, nous posons
17
maintenant l’hypothèse du genre fantastique qui, selon rené Prédal, se définit par
l’absence d’opposition, « le constant balancement entre le réel et l’imaginaire ».
18
Robin Wood , critique de cinéma, rattache le genre fantastique à des problématiques
psychanalytiques, car les films fantastiques « reflètent spontanément certaines attitudes
symptomatiques du malaise collectif ». Il se représente le film d’horreur (compris en anglais
comme genre fantastique, car « horror movie » se traduit comme film fantastique), comme
« l’expression dramatisée d’un cauchemar collectif ». Celui si se concrétiserait par la
présence récurrente de formes d’altérité par rapport à la norme, se manifestant tantôt sous
forme du monstre, comme dans Eraserhead, tantôt sous forme d’êtres provenant d’un
monde différent, comme le monde de l’au-delà dans La nuit des morts vivants, la planète
« transexual transylvania » pour les proches de Frank N Furter dans The Rocky Horror
Picture Show, le monde du désert, irrationnel, dans EL Topo et, dans une moindre mesure,
le monde de Divine de Pink Flamingos, situé dans sa caravane. Cette altérité symbolise la
non-conformité, le rejet des normes sociopolitiques (le refus de l’ordre dominant, patriarcal
et hétérosexuel) et l’affirmation d’une contestation de leur légitimité. Selon Robin Wood, le
noyau dur du fantastique dans les films des années 1960 -70 se situerait dans le thème de la
famille, un espace privilégié pour le développement de l’altérité, du fameux « unheimlich »,
cette inquiétante étrangeté qui rompt avec un sentiment de confort quotidien . Ce concept
freudien à l’origine est bien illustré dans Eraserhead, puisque l’intrigue se déploie autour
d’un monstre né d’un couple, né de la chair d’une femme biologiquement normale.
Une scène importante du film éclaire bien le concept de unheimliche. C’est donc la
scène du repas, où Henry arrive chez ses beaux parents pour partager le dîner. Cette
situation est un topos du cinéma : la présentation du futur gendre aux parents est un
archétype, une sorte de déjà vu au cinéma. Pourtant, la scène est inquiétante : dans le
foyer sombre, seule une lumière basse nous donne à voir les visages froids et gênés
des convives, qui se taisent tous excepté le père et la configuration des places donne le
sentiment qu’ Henry passe un interrogatoire, épaulé à sa gauche par le père, qui préside
la table, face à la mère et la fille.
La scène bascule alors à la fois dans le grotesque et l’étrange, lorsque Henry, sur la
demande pressante du père, qui lui fait subir une sorte de mise à l’épreuve par cet acte,
commence à découper une des cailles qui sont présentées sur la table. A peine la fourchette
plantée, un liquide sombre commence à s’échapper de la caille par son derrière, dont le
flot est activé par les mouvements des cuisses arrières. Henry, stupéfait, seul dans le plan,
sous une lumière criarde, observe alors la réaction des deux femmes, en contre champ,
comme si l’événement avait un rapport avec elles, avec la féminité en général. Sa belle
mère, médusée, est soudain transportée, les yeux révulsés, comme prise de convulsions
légères , puis graduellement plus marquées, comme si elle était proche de l’orgasme, avant
finalement de quitter la table, suivie de peu par sa fille qui semble paralysée par la honte.
Juste après, Henry apprendra que Mary était enceinte de lui, et qu’elle a mis au monde
un bébé pas très normal (elle prononce cette phrase énigmatique mythique : « They don’t
know yet if it is a baby »). Cette scène qui passe des topos au grotesque et à l’angoisse
confirme cette importance du motif de la famille dans le cinéma fantastique qui est le théâtre
de la monstruosité.
17
René Prédal, Le cinéma Fantastique, 1970, Seghers
18
26
Robin Wood in Cauchemars Américains: le fantastique et l’horreur dans le cinéma moderne, Franck Lafond p. 25.
DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies
19
Robin Wood rattache cette caractéristique aux phénomènes sociaux qui fragilisent les
traditions patriarcales, comme l’émergence du féminisme. Il explique que le film fantastique
est, depuis les années 1960, dominé par cinq motifs, que l’on retrouve dans les Midnight
Movies : le monstre comme être humain psychotique ou schizophrène, la vengeance de la
nature, la satanisme, l’enfant comme objet terrifiant, dont eraserhead est l’illustration la plus
célèbre, et enfin le cannibalisme, qui est à l’œuvre dans La nuit des morts vivants de George
Romero. Néanmoins, en dépit de la présence de ces deux dernières caractéristiques , on
se rend compte que les autres ne sont pas représentées , et par conséquent que le genre
fantastique ne suffit pas à rendre compte de ce qui fait l’essence des Midnight Movies .
3/ Le mélange des genres
Comment classer El Topo dans le genre fantastique ? L’errance du cow-boy est davantage
une quête métaphysique, qui fait appel à l’horreur autant qu’à l’humour, sans se soucier de
situer son intrigue au sein de la famille, sans même établir de séparation entre le monde
normal et l’altérité, qui s’interpénètrent constamment. Il n’y a pas de normalité dans El topo,
tout y est métaphorique et illogique.
Quant au Rocky Horror Picture Show, même si son intrigue initiale répond aux codes
du genre fantastique, par la présence d’un monde parallèle, celui de la planète « transexual
transylvania », qui est contenu dans le château, qui en est la métonymie, le motif de la
comédie musicale met en exergue le dispositif ironique du film, et désamorce la portée
de l’imaginaire et de l’irrationnel du film. L’altérité n’est donc pas physique comme dans
Eraserhead mais de nature sexuelle car ce sont des êtres transsexuels, et il n’y a pas
de différence fondamentale entre le couple de normaux que forment Janet et Brad et les
prétendus extra terrestres de la planète Transylvania. Même la créature crée par Frank,
Rocky, n’est pas étrange en tant qu’il est très humain, bien que naïf, et cède à la pulsion
hétérosexuelle avec Janet. Dès lors, ne restent de fantastique que le maquillage, les
déguisements, le château et leur origine, qui sont davantage les attributs de la comédie
musicale que ceux du genre fantastique.
Pink Flamingos, tout en décrivant l’altérité fondamentale d’une famille à travers sa
perversité, montre combien cette qualité est plus répandue que l’on ne le pense, puisque
l’intrigue est basée sur la rivalité entre la perversité de Divine et celle du couple qui capture
des jeunes femmes pour les faire féconder par leur majordome et revendre leur bébé aux
couples lesbiens.
Malgré le dégoût que l’on éprouve devant des scènes comme celle où Divine ingère
les excréments d’un chien, le cinéma nous rend toujours sympathiques les héros qu’il met
en scène, et Divine, ainsi que sa famille, n’y échappent pas. Les scènes dans la caravane
nous inspirent un sentiment de « heimlich », de normalité et de familier, malgré tout le
grotesque et la laideur de la mère de Divine, qui passe son temps dans un parc pour bébé
à manger des œufs, elle nous inspire de la sympathie et surtout le sourire. John Waters,
à partir d’un film trash et très choquant, parvient à rendre humains des êtres déviants et
psychologiquement déficients, par le détour du grotesque et du rire. Là encore, c’est le
réalisme qui fait obstacle au fantastique, car la nécessaire altérité sur laquelle repose le
dispositif fantastique qui, selon la formule de Todorov, est une hésitation entre l’étrange et
le merveilleux, n’est qu’allégorique : elle n’est pas physique mais morale, car ce sont des
19
Robin Wood, le retour du refoulé , danscauchemars américains : fantastique et horreur dans le cinéma moderne, Franck
Lafond p 20
DURAND Camille_2010
27
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
gens aux mœurs différents. Malgré le maquillage outrancier de Divine, celle-ci n’est pas
considérée comme un monstre, malgré sa grosseur.
Dans ces deux derniers films (le Rocky Horror et Pink Flamingos), il y a une autre
caractéristique, plus évidente, qui vient ajouter à la complexité du genre et ne s’accorde
pas tout à fait avec le fantastique: c’est la présence soutenue d’une musique Rock ‘n roll,
du style musical né des sixties, qui accompagne l’action des protagonistes et la commente.
Dans le Rocky Horror, il s’agit d’une musique qui est dans le champ, car les acteurs
chantent et dansent à son rythme, le tout aboutissant à un dispositif théâtral. Le maquillage
exagéré, l’arrière plan sexuel, le jeu avec la circulation des genres et des identités sexuelles,
l’ambiance festive et encline à la rêverie, toute la philosophie du rock ‘n roll est là. ( « Rocky
Horror did make a rich connection between movies and rock ‘n roll- so much that it could
20
remain meaningful for successive generation of American kids » )
Dans Pink Flamingos, la musique est hors champ, elle se fait caution d’un univers
comique et grotesque, invitant à prendre au second degré des scènes qui seraient
choquantes. Les chansons commentent même les images, guidant le spectateur dans sa
recherche de cohérence, comme dans la scène où Divine sort en ville de sa voiture, très
apprêtée et, d’un pas coquet, gardant la tête haute se dirige vers le centre , accompagnée
d’une musique pop pour adolescents qui dit : « Girls can’t help it if they are born to
please » ( les filles ne peuvent rien au fait qu’elles sont nées pour plaire). La musique
introduit une distance ironique qui adoucit la violence des images.
On voit donc que la définition d‘un genre d’appartenance aux Midnight Movies est
sujette à débat car ils sont un mélange, une association de sensibilités et d’éléments
très divergents. On pourrait tout simplement postuler que les Midnight Movies sont
essentiellement éclectiques, mélangeant et recyclant les genres de façon ludique pour
ensuite en dresser la critique : ce sont des films hybrides qui se jouent des conventions
propres aux genres.
Par exemple, El topo est un mélange entre western spaghetti, film gore, film
métaphysique liturgique et film surréaliste. Le dispositif est celui du western, le héros
est un cow-boy qui enlève une belle femme, mais l’histoire ressemble davantage à une
quête mystique, et le traitement visuel correspond au genre surréaliste, qui a le souci des
symboles.
Eraserhead concentre en lui le genre fantastique, le film d’horreur et le voyage
métaphysique intérieur, le film ayant souvent été rapproché du célèbre film de Kubrick,
2001 : A space oddity, en particulier la scène du songe dans le radiateur, selon Olivier
21
Smolders en ce qu « ’elle inscrit le destin de l’homme dans sa dimension cosmique et
métaphysique ».
Pink Flamingos rassemble autour de lui aussi bien les profanes avides d’un spectacle
comique qui repousse les limites du gore que les érudits se gaussant du mauvais goût et
de la provocation du spectacle : le film réunit les couches populaires autant que les snobs.
Néanmoins, il ne présente pas les caractéristiques du film d’horreur. Selon Hoberman,
« Waters sets out to test te limits of hippie tolerance », c’est donc bien un défi pour les
spectateurs et non un film crée pour les fasciner.
20
21
28
Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum
Olivier Smolders, Eraserhead, Yellow Now 2005
DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies
The Rocky horror n’a pas bénéficié de cette caution des avant-gardes mais réunit des
22
éléments très divergents de la culture moderne : il fait appel à un dispositif de film d’horreur,
mais par le jeu médiocre des acteurs, l’omniprésence de la musique rock et le décor un
peu « carton pâte », invite au rire. Selon Hoberman, le film est un concentré de la culture
anglo-américaine d’après guerre : le goût pour les vieux films de montres, la naissance du
rock’n roll, Elvis Presley, les Hippies, les drogues et même un soupçon de punk : tous ces
éléments en ont fait un film indémodable à l’image du rock n’ roll qui ne l’est jamais devenu.
Nous voyons donc bien, après avoir constaté la pluralité des genres auxquels les
midnight movies font appel, que le concept stable de genre ne suffit pas entièrement pour
décrire et rassembler les midnight movies , car ces films sont chacun des « melting pot »
culturels, des creusets réunissant des genres différents .
B. Une convergence thématique : La perversion.
Il serait alors plus pertinent de saisir la cohérence des Midnight Movies par les sujets qui les
traversent. Selon Stuart Samuels, la deuxième caractéristique qui unit ces films est qu’ils
constituent tous une critique totale de la société, ce qui signifie qu’ils attaquent tous une
critique totale de la société.
Le premier outil de critique est l’utilisation d’un héros marginal, un héros de la contre
culture, excentrique, qui est vecteur de la critique. C’est le cas du héros d’ El topo, interprété
par Jodorowsky lui-même qui est l’image de la rébellion face à la morale, puisqu’il est cruel,
sanguinaire et sans pitié.
L’héroïne de Pink Flamingos est dès le début singularisée et pointée du doigt comme
« the filthiest woman alive », elle est donc à l’encontre des normes sociales et brise les
tabous les plus ancrés dans la société, comme celui de l’inceste, car le film la montre
procédant à une fellation sur son fils, un fait hautement blâmé dans la plupart des sociétés.
Tous les tabous de la société sont représentés, exposés afin de faire exploser les limites
du représentable et la morale bourgeoise. John Waters attaque les normes sociales en
montrant que la perversion, la déviance sexuelle peuvent être un idéal de vie, celui de
Divine qui l’assume avec fierté, prête à tout pour défendre son titre de femme la plus
23
dégoûtante sur Terre. Gary Edgerton voit à travers les midnight movies , la cristallisation
du cas de la perversité féminine. Celle-ci serait une attaque directe à la tradition patriarcale,
au stéréotype de la femme soumise.
Dans les Midnight Movies, on remarque en effet une représentation complexe et parfois
même menaçante de la sexualité féminine. Dans Eraserhead, par exemple, la féminité est
effrayante, que ce soit celle de la mère, prise de sursauts extatiques lorsque Henry découpe
le poulet à table, puis essayant d’aguicher Henry un peu plus tard, ou la fille qui accouche
d’un bébé reptile alors même qu’Henry croyait que leur relation était finie depuis longtemps.
Dans le Rocky Horror, Janet est celle qui franchit le plus facilement, le plus tôt le pas
de l’adultère, ne résistant ni aux charmes du transsexuel Frank, ni au charme juvénile de
sa créature avec qui elle consomme l’acte sexuel.La sexe est un jeu de rôle dans Rocky
Horror, et Frank est le chef d’orchestre de cet hymne, de cette symphonie. Le personnage de
22
23
Aude Weber-Houde, Le Panoptique, 2007
In the eye of the Beholder: Critical perspective in popular film and television, Gary edgerton, Michael Marsden, Jack Nachbar
DURAND Camille_2010
29
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Frank est profondément paradoxal : il assume et affiche sa féminité mais a un comportement
entreprenant, viril, ce qui fait de lui un personnage hermaphrodite, androgyne, un héros qui
transcende les genres. Cet arrière plan sexuel subversif se retrouve même dans El Topo,
mais dans une moindre mesure. Les bandits rencontrés dans le désert sont fétichistes et
procèdent à des attouchements sur des chaussures à talons qu’ils collectionnent comme
autant de métonymies de la féminité.
Les Midnight Movies sont donc marqués par une problématique culturelle de plus en
plus visible dans la société, qui est la question de la différence en sexualité, et apparaissent
24
révolutionnaires sur ce plan. Marcuse montre que la perversion défie le fondement de
la société capitaliste en faisant de la sexualité un acte autotélique, en ne le soumettant
pas au principe de performance qui structure et régit la société ». Cet engagement critique
contre les normes sexuelles, à travers la représentation d’un héros déviant et de son attitude
excessive est donc un élément clé du succès des Midnight Movies, et une des raisons du
culte dont ils sont l’objet.
C. Un midnight movies est un film culte, produit de
son audience.
1/ Description d’un public singulier
La troisième caractéristique des Midnight Movies, citée par Stuart Samuels, n’est pas un
facteur interne aux films mais une spécificité externe : ce sont les spectateurs qui consacrent
les films de minuit pour en faire des films cultes. Autrement dit, les Midnight Movies se
doivent d’être découverts par l’audience pour devenir cultes.
Il n’y a pas à proprement parler d’études sur l’audience des midnight movies, mais
certains documents d’archive, comme ceux que j’ai pu retrouver dans les archives du
New York Times, nous aident à cerner ce qui se déroulait vraiment durant ces projections
nocturnes. Un article du 7 juillet 1995 revient sur le sujet : « the midnight movies have
attracted inexplicably large and loyal cult followings that make what happens in the audience
as interesting as what happens on screen or on stage ; whether it’s water pistols suirted
into the crowd during the rain scene or fans playing catch and response with the screen, the
rocky horros picture show is a movie experience ».
Ainsi, les séances de minuit étaient de véritables shows où la scène était ce qui se
jouait parmi les spectateurs qui interagissaient, s’arrosaient d’eau avec des pistolets à eau
pendant la scène de la tempête, jouent à des questions réponses pour se faire deviner les
répliques. A cet égard, on peut considérer le Rocky Horror comme le film le plus culte de
tous les midnight movies, car c’est le seul à avoir attiré des foules déguisées , en délire,
revenant après des dizaines et des dizaines de fois . Ces séances étaient de véritables
25
événements sociaux , « like a party », selon les mots d’ Andy Warhol ,où les spectateurs
se lèvent, crient, reprennent à pleine voix les chansons entraînantes du film, une audience
qui , selon la critique de cinéma Pauline Kael , est « excitée, satisfaite par les images les
24
25
30
Marcuse, Eros et Civilisation
Cutting Edge
DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies
plus choquantes et révoltantes », un public qualifié par les journaux de l’époque comme
le New York Times de « rock’n’roll film type audience », qui prend de la drogue, envoie
des projectiles et de la nourriture dans la salle, s’esclaffe ouvertement, drague son voisin
et même parfois vomit.
Dans The cultural economy of fandom , John Fiske donne une analyse précise du
phénomène de participation, d’interaction entre les spectateurs et la salle .
L’objet de culte, le film passe d’un objet d’art à un événement social. Selon lui, le Rocky
Horror inaugure un spectacle qui se trouve dans la salle, une sorte de carnaval de fans,
déguisés à l’image de personnages du film, inventant de nouvelles répliques ou changeant
complètement le texte principal en le pervertissant : à travers cette participation, la distance
séparant un objet de fiction de l’audience est abolie, et les spectateurs sont immergés dans
la fiction.
Par exemple, quand le narrateur du Rocky horror, cette voix off, décrit les nuages de
l’orage qui sont « lourds, noirs et tombants », le silence précédant cette réplique est remplit
par la voix des spectateurs qui s’écrient « décrit tes testicules ». Ceci montre ce processus
d’appropriation du film par les fans qui développent les dialogues, leur donnent un nouveau
sens plus comique, cette activité contribuait à souder les communautés de fans, émetteurs,
producteurs d’une culture secondaire et co-constructeurs de l’objet de culte.
2/ Le film culte : définition et analyse
26
Umberto Eco explique qu’un film culte doit apporter un monde assez riche pour que ses
fans puissent en citer les passages, en imiter les personnages et épisodes, créer des quizz
et jouer à des jeux basés sur lui. C’est un film qui rassemble tous les autres, qui peut être
divisé en parties, scènes qui sont auto suffisantes et qui résument à elles seules l’esprit de
la totalité. « to transform a work into a cult object, one must be able to break, dislocate,
unhinge it so that one can remember only parts of it, irrespective of their original relationship
with the whole”. Pour transformer un film en un objet de culte, on doit être en mesure de la
casser, de le disloquer, de le diviser de telle façon qu’on se rappelle seulement des parties,
sans prendre en compte leur relation avec l’ensemble.
Ce programme est bien respecté par tous nos Midnight Movies, même dans
Eraserhead, qui pourtant encourage moins à une participation orale que les autres, la
narration passe au second plan derrière les images. Les scènes comme celles du songe
dans le radiateur ou celle du repas de Henry chez les parents de Mary restent plus
en mémoire , quand on évoque le film, que l’intrigue générale, qui n’a pas une grande
signification.
Les séances de minuit apparaissent effectivement comme de véritables rituels dotés
de leur propres codes : fumer, se lever, crier, protester, rituels qui se répètent, deviennent
27
des habitudes de fans et rythment leur soirée. L’historien Adams Sitney a même comparé
l’audience des midnight movies à celle de la messe, pour qui ces films sont des ersatz de
religion.
26
Umberto Eco, Casablanca ou la renaissance des dieux (1975) in La guerre du faux
27
Hoberman et Rosenbaum, Midnight Movies, p 32
DURAND Camille_2010
31
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
28
Pour Edgar Morin
celui qui fréquente les salles de cinéma n’est jamais vraiment
athée. C’est le dispositif même du cinéma qui soutient la comparaison avec la religion, selon
Hoberman et Rosenbaum, le cinéma est une sorte d’épiphanie religieuse, qui rompt avec
le quotidien et le temps profane, c’est un moment suspendu dans le temps qu’expérimente
le spectateur dans un état de passivité physique, prêt à effectuer un passage de situation
assise dans une salle sombre à une histoire imaginaire dotée de son propre espace temps.
Le New York Times du 12 octobre 1980 interroge des « pratiquants », des habitués des
séances de minuit qui témoignent de ce que cet événement représente dans leur quotidien :
« it’s a good option to have- we plan our whole evening around going to the show(…) the
movie capped an evening of dining at a Cedarhurst restaurant and listening to records at
a friend’s home ». C’est bien un rituel de jeunes qui se met en place, dont la dimension
dépasse celle du simple film du samedi soir. Le terme « show » est utilisé pour désigner le
film de minuit, terme qui, en anglais, renvoie aussi à l’idée de manifestation, de spectacle, de
représentation, et bien entendu à la notion de monstration, car » to show » signifie montrer.
S’il y a bien évidemment la représentation d’un film sur l’écran, les spectateurs assistent
en outre à la présentation d’un spectacle dans la salle, nouveau à chaque fois. Un autre
témoin le confirme dans le New York Times du 7 septembre 1975 « Everybody is digging
midnights » says a boy with a jean jacket thrown over his shoulder , a girl on his arm, and
plastic flowers tied in his hair » it is a scene to make , the funkiest thing since rock’n roll”.
C’est donc bien dans un contexte social et culturel précis que s’inscrit le phénomène
des spectacles de minuit, car ce spectacle est très à la mode pour les jeunes, s’adresse
à eux comme le rock’n’roll le faisait pour les adolescents des années 1950-60. Ils sont à
la recherche d’un divertissement un peu subversif, qui est un moyen de se rebeller et de
célébrer leur jeunesse, leur liberté.
Les Midnight Movies sont une sorte d’ersatz, de succédané de la culture sixties, du
mouvement hippie et son cortège d’illusions, c’est pourquoi le rituel passait pour un signe
d’appartenance à une même génération, celle des 18-25 ans, mais qui a , comme le
rock‘n’roll, traversé les générations. Le style vestimentaire, aujourd’hui toujours capital, est
l’affichage d’une même « identité sociale » et d’un même état d’esprit. Dans ce même
article, un observateur d’une compagnie de distribution new-yorkaise considère aussi les
midnight movies comme un phénomène de mode : « every kids who owns a pair of blue
jeans thinks he’s gonna find the spirit of his generation in a midnight movie house ».
Exactement comme le rock’n roll quelque temps auparavant, il est mal vu d’aller voir
les films de minuit, c’est une marque de désoeuvrement et un loisir illusoire pour la société,
et la réprobation de celle-ci ne fait qu’aiguiser l’envie des jeunes d’y aller afin d’afficher
leur rébellion. Bernard Goldberg, président de l’association des propriétaires de cinémas
indépendants en 1980, effectue dans cet article une séparation entre les films de minuit qui
attirent un public calme, respectueux et cultivé, et ceux qui attirent une audience rock ‘n roll,
qui consomment de la drogue, vomissent, vandalisent la salle durant la projection.
Ce dernier tableau est qualifié de « culturally bad » (littéralement culturellement
mauvais, nuisible) et forcément très éloigné des avant-gardes cinématographiques des
sixties ( « Cult films catered to a select , sophisticated audience, midnight movies have an
altogether different audience, an audience that goes to see something culturally bad ») .
Les midnight Movies ne seraient donc pas des films cultes, au vu de la composition de
l’audience. Cette vision très élitiste et méprisante n’est pas une exception, car un autre
article, celui du 7 septembre 1975, confirme le peu de considération donné aux films de
28
32
Edgar Morin, les stars
DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies
minuit. « the midnight hour as prime time for a generation looking for a little action, but
too apathetic to wander far in its search », une génération avide d’action, d’animation, mais
trop apathique pour aller loin dans sa quête. A travers l’analyse de ces deux articles, l’on
s’aperçoit du peu de considération dont jouissent les films de minuit, à qui on renie le statut
de culte.
29
Cependant, l’interview des propriétaires du Elgin qui est le cinéma ayant lancé le
premier les projections d’ El Topo, dévoile un autre point de vue sur l’audience et sur
l’événement social des films de minuit. Prenant le parti d’une programmation éclectique, ils
favorisaient durant ces séances une diversité sociale et ethnique, une politique d’inclusion
sociale, the « senior citizen policy », qui permettait aux personnes âgées d’avoir accès aux
séances pour seulement 25 cents. Cette décision, assez rare pour être remarquée dans
toute la ville, fut médiatisée à outrance pour sa modernité. En outre, à une période où, malgré
la vague d’émancipation hippie des sixties, l’homophobie était encore une réaction assez
courante, le Elgin favorisait les rencontres en accueillant la communauté gay. (« it was a
theater which was pretty close in its restrictions. It was a theater where the gay community
wouldn’t have any problems with cruising . we didn’t bother them, it was live and let live.
There were times when I would offer the theater on a cost basis to the local school, so that
they would be able to see some films.”
Le Elgin facilitait les rencontres de gays qui venaient aux séances de minuit en
pratiquant un tarif privilégié, car l’idéologie était à la liberté des mœurs : la philosophie du
lieu était donc très démocratique pour l’époque, car il représentait une sorte d’hors monde,
où les ségrégations s’exprimaient moins qu’ailleurs, où la circulation de drogues était licite
et faisait même parti du paysage des midnight movies, venait compléter leur magie, comme
El Topo dont le mode de visionnement optimal était sous influence de stupéfiants. Ainsi,
le lieu du Elgin évoquait l’utopie d’un monde unifié, et participait à faire régner le climat
libertaire des films au-delà de la sortie de la salle. Malgré la venue d’Andy Warhol et de
John Lennon, Woody Allen et tant d’autres intellectuels, Chuck le soutient, le lieu n’était
30
pas élitiste ou snob, car la sélection des films promouvait l’éclectisme. Marc Jancovitch
souligne l’importance de ce point. Selon lui, le film culte représente un genre essentiellement
éclectique réunissant des films ayant une idéologie commune, qui est peut être celle de
l’expérience des limites de la transgression que les jeunes aiment à vivre par la médiation
filmique, faute de le faire au premier degré.
Les Midnight movies transcendait le statut de simple fiction divertissante car ils
étaient l’objet d’appropriation des fans, leur monde flattait l’imagination du spectateur et
exacerbait son identification aux personnages. C’est un effet qui est inhérent au cinéma,
une expérience cathartique, exactement comme la messe qui, à travers la lecture de textes,
paraboles et les chants, est une expérience soulageante pour les croyants et stimulante.
31
Alain Riou rappelle la dimension séductrice intrinsèque au cinéma, et à fortiori aux films
d’horreur qui nous attirent avec ce que nous craignons le plus : la peur. « Nous sortons
soulagés d’un lieu où nos terreurs n’ont été que fictives ». C’est à peu près la définition la
plus courante donnée à la fonction catharsis.
29
30
31
Ben Davis, Children of the sixties, voir annexe
Jancovitch Marc, defining cult movies : the cultural politics of oppositional taste, p 26
Alain Riou, cinéma, ces peurs qui nous habitent, Imaginaire et inconscient, 73-82
DURAND Camille_2010
33
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Au sens Aristotélicien, la catharsis désigne à la fois un effet de transe et de distanciation.
32
Dans le livre VIII , il définit la Catarsis, à l’occasion d’une démonstration sur la valeur
éducative de la musique « sous l’influence des mélodies sacrées, nous voyons ces mêmes
personnes , quand elles ont eu recours aux mélodies qui transportent l’âme hors d’ellemême , remises d’aplomb comme si elles avaient pris un remède et une purgation . C’est
à ce traitement que doivent être nécessairement soumis à la fois ceux qui sont enclins à la
pitié et ceux qui sont enclins à la terreur. » Pour Aristote, le processus est donc plus médical
que moral. Qu’en est il au cinéma ?
33
Selon Alexandre Chirouze , le dispositif cinématographique est important pour
mesurer l’impact des films : l’obscurité, le silence, le corps au repos, l’isolement, l’attention
attirée vers une surface lumineuse, l’identification à l’œil de la caméra, tout cela met le
spectateur dans un état de concentration, de réceptivité optimales, conditions propices
à la catharsis. Celle-ci est d’autant plus poussée que les films de minuit, comme on l’a
souligné, prolongent la fiction en dehors de l’écran, dans la salle. L’émotion liée à la fiction
se transforme alors en action.
Cette réaction est donc ambivalente, car elle illustre à la fois la volonté de prolonger ,
de donner une seconde vie à la fiction dans la réalité, mais il peut être aussi une mise à
distance du spectateur d’avec ce qu’il voit sur l’écran : l’illusion permise par les conditions
citées ( corps au repos, immobilité, silence) est brisée, car le spectateur, en étant sollicité
dans la salle par les cris, les projectiles, les discussions, sort de la transe contemplative
dans laquelle il se trouvait plongé. L’état d’éblouissement et de peur se retourne en parodie.
Dès lors, après l’analyse de l’audience, on peut effectuer une échelle pour situer les
midnight movies les uns par rapport aux autres, avec, à un bout, les midnight movies qui
présentent une violence et une terreur véritables, comme Eraserhead, qui était pour ces
raisons déconseillé aux femmes enceintes par le directeur du Elgin, Ben Barenholtz, et à
l’autre le spectacle parodique et participatif du Rocky Horror Picture show. A partir de cette
échelle, on peut donc conclure qu’ils illustrent chacun des formes différentes de catharsis,
Eraserheadinaugure la catharsis au sens de terreur et de purgation d’une angoisse, celle de
la conception d’un monstre. El topo est un film contemplatif, où le spectateur peut méditer
sous l’usage de stupéfiants et expérimenter leurs effets visuels, c’est un film ne supposant
pas vraiment d’expérience collective, car chacun peut y voir ce qu’il y souhaite, et les mythes,
figures métaphoriques n’appellent pas aux cris mais à la réflexion.
Pour Pink Flamingos, il s’agissait d’un trip gore , appelant au comique et au rejet,
donc ayant un effet repoussoir sur les participants qui passaient toute la séance dans une
odeur nauséabonde car on y lançait des œufs et le poppers collé au sol dégageait une
odeur horrible : c’était en quelque sorte un moment dionysiaque, de défoulement ; Dans le
Rocky Horror Picture Show, il s’agissait plus d’une catharsis « négociée » , si je peux me
permettre cette expression malhabile, car le film , centré sur le tabou de la sexualité, permet
un assouvissement pulsionnel médiatisé mais aussi une distanciation totale par le rire , la
dérision des répliques et la parodie des déguisements, des personnages. Nous sommes
dans ce film dans un second degré, et la réception est une réappropriation parodique qui n’a
donc rien à voir avec l’impression d’effroi et de stupeur qui accompagne le spectateur devant
Eraserhead, dont la réception ne favorise pas le partage collectif et l’extériorisation. Le film
32
33
La politique, passages 1341a23, 1341b32
Alexandre Chirouze, les mécanismes d’influence d’un film : entre manipulation, éthique et co-construction du sens, Market
et Management n°14
34
DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies
fait donc figure d’exception dans le paysage des films de minuit, car il est une expérience
individuelle et intérieure.
Après examen des thèmes transversaux, esthétiques et genres auxquels les Midnight
Movies font appel, il m’apparaît donc très problématique de trouver de véritables points de
convergence entre les Midnight Movies, excepté si l’on considère que leur usage commun
du mélange des genres et l’association de plusieurs registres à la fois en font des films
frères.
DURAND Camille_2010
35
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Partie 3 : Les midnight movies : une
tradition obsolète?
« What was once culturally transgressive- sexually, thematically, esthetically34
has now been made mainstream »
Dansle documentaire “ Midnight Movies : from the margin to the mainstream”, Stuart
Samuels dresse en filigrane un exposé des raisons de l’historicité des midnight movies.
Il avance l’hypothèse de la récupération hollywoodienne de cette thématique typique des
Midnight Movies à savoir leur veine transgressive et fantastique, récupération qui serait à
l’origine d’un déclin des séances de minuit. En se popularisant, en entrant dans la culture
de masse, les midnight movies aurait disparu du paysage underground. C’est l’hypothèse
que nous développerons en premier temps. Mais peut on dire que le phénomène s’est
complétement éteint ? Si oui, l’industrie hollywoodienne est-elle la seule à mettre en cause ?
Le mécanisme de réception propre à la culture télévisuelle sera analysé.
Nous montrerons ensuite que les mutations entraînées par l’arrivée de la vidéo et de
programmes nouveaux à la télévision, comme les talk-shows et les séries, sont des legs
de l’univers des midnight movies et témoignent d’une nouvelle vision du cinéma subversif.
Nous prendrons l’exemple de la série culte Twin Peaks, réalisée par David Lynch et Mark
Frost, qui est la descendante directe de l’esprit des Midnight Movies.
A travers le parcours d’un film comme « The Big lebowski », qui est selon nous une
des résurgences du phénomène, nous expliquerons comment les thèmes chers du genre
de minuit se recyclent et comment les fans, toujours présents, ont fait de ce film de minuit
au succès modeste un film culte au sens propre de l’expression.
A travers l’analyse des formes de participation des fans, de leur production textuelle
et symbolique, nous montrerons combien la vision du fan comme consommateur aliéné et
passif est à remettre en cause, et comment d’une participation effective aux projections de
films de minuit, les fans sont aujourd’hui vecteur d’une culture secondaire dont ils sont les
co producteurs.
Enfin, et en guise de conclusion, nous montrerons comment sont utilisés maintenant
les créneaux de minuit, et où se sont réfugiés les midnight movies d’aujourd’hui, héritiers
de leur esthétique trash.
A. Les midnight movies : chronique d'une mort
annoncée.
1/ Les raisons économiques d’un déclin
34
36
Stuart Samuels, Midnight Movies, from the margin to the mainstream, 2006
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
Commençons d’abord par analyser les raisons de l’affaiblissement du phénomène au niveau
local. Prenons le quartier de Chelsea,à New York , témoin de l’extinction d’un emblème des
midnight movies, leur protecteur, et le cinéma le plus chéri du quartier, le Elgin, que nous
avons déjà présenté comme un des symboles forts du triomphe de l’esthétique de minuit.
Le Cinéma Elgin, le mythique « Elgin theater » a pourtant dû fermer ses portes, et
essentiellement pour des raisons économiques, que les anciens propriétaires expliquent
plutôt brièvement dans l’interview (cf annexe).
Il semble s’agir d’une lente complexification du processus de distribution .Le prix de
location des films a fortement augmenté, sous l’effet de la prise de conscience par les
distributeurs du succès des midnight movies. Ensuite, le marché s’est segmenté et il est
devenu plus difficile de récupérer des films n’ayant pas connu de succès commercial comme
ils le faisaient avant, en raison de nouvelles obligations contractuelles, de nouvelles lois.
Ensuite, certaines évolutions technologiques n’ont bien sûr pas aidé le cinéma : en 1978,
la télévision câblée apparaît, avec son lot de chaînes toutes disposées à diffuser des
films concurrençant les cinémathèques comme le Elgin. Avec Betamax, format sorti par
Sony en 1975, c’est la cassette vidéo qui fait son entrée, permettant les enregistrements
domestiques, et donc une pratique qui se développe : au sein de la famille, l’on consulte
le programme télévisé pour enregistrer des films, souvent des classiques qui passent tard
la nuit, et les visionner chez soi à un moment plus approprié, le week-end par exemple, et
souvent le samedi soir, ce qui bien évidemment exclut la sortie au cinéma.
Hoberman et Rosenbaum se posent la question de la raison profonde de la disparition
des midnight movies dans l’épilogue de l’ouvrage « Midnight Movies ». Rosenbaum parle
d’une incompatibilité fondamentale entre le régime politique des Etats-Unis qui favorise les
grandes entreprises et la philosophie marginale inhérente aux midnight movies, qui sous
entend que ceux là sont découverts par l’audience dans de petits cinémas de quartier.
« The secret and the marginal are both based on a certain tolerance of small
35
businesses”
entreprises.)
(Ce qui est marginal et secret a pour condition l’existence de petites
Une loi importante a permis à ces petites structures de se développer : la décision de
la Cour Suprême du 28 juillet 1949, qui interdit et brise le monopole des grands studios,
et qui, dans ses grandes lignes, permettait aux petits propriétaires de cinémas comme
le Elgin de louer des films sans avoir à payer un pourcentage de leurs recettes aux
distributeurs. Cette loi, dont je suis péniblement arrivée à retrouver la teneur, opposait
le gouvernement à Paramount, qui était accusé, après son renforcement suite à la
dépression de 1929, d’exercer un monopole nuisant à la compétition. Ainsi, il a été décidé,
concernant Paramount, que le studio devait limiter ses contrats à 600 cinémas. Ainsi, il
a été mis un terme au monopole des grands studios hollywoodiens, et la croissance des
cinémas indépendants, cinémas d’art et essai, cinémathèques a été exponentielle. Selon
Rosenbaum, c’est ce qui a débouché le phénomène des midnight movies.
Cependant, sous Reagan, président de 1981 à 1989, le système revient sur ses pas. («
Reagan reversed all of that, encouraging monololies and giving them such ilimited power
that they could force the Mom and Pop venues out of business »). Il devient compliqué pour
les cinémas indépendants d’échapper à la précarité. Selon Rosenbaum, cette période est
concomitante d’une réappropriation par le cinéma commercial de l’esthétique excentrique
des Midnight Movies, car Hollywood veut absorber ce qui est underground. « if the
35
Hoberman et Rosenbaum, Midnight Movies, p 322
DURAND Camille_2010
37
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
mainstream has broadened to include more alternatives, it’s in order to eliminate everything
36
that exists outside of it » .
C’est ainsi qu’Hollywood se mit à l’heure du trash.
2/ Les raisons culturelles : Hollywood récupère l’esthétique de minuit
Hoberman et Rosenbaum avancent l’hypothèse de la commercialisation de l’esthétique,
et font donc ce constat : « Much of the countercultural energy that used to keep midnight
movies going has relocated elsewhere.. » : ainsi, la véritable dynamique qui accompagnait
les Midnight movies s’est éteinte, progressivement, au début des années 80, pour se
réfugier autre part. Mais où ?
Si l’on se penche sur les plus grands succès hollywoodiens de la fin des années 1970
à la décennie 1980, on trouve une majorité écrasante de films de science-fiction : La guerre
des étoiles, de George Lucas sorti en 1977 ; E.T l’extraterrestre, de Spielberg, sorti en 1982 ;
Retour vers le futur, sorti en 1985, de Robert Zemeckis, Blade runner, de Ridley Scott en
1982, Gremlins, en 1984, etc... la liste est loin d’être exhaustive, mais montre à quel point
la science-fiction a pris une place écrasante dans les scénarios de l’époque.
C’est peut être le moment où Hollywood apprivoise les thèmes fantastiques de
l’angoisse, de l’altérité d’un autre monde, où la violence commence à être montrée
directement, reflet du contexte impérialiste de la présidence de Reagan.
Même pour nos réalisateurs underground des midnight movies, le vent tourne, et
leur apporte la reconnaissance et les moyens financiers du même coup. Hoberman et
Rosenbaum adoptent à cet égard une posture plutôt critique, au nom d’une idéologie de
l’underground trahie, car convertie à l’industrie hollywoodienne. Les Midnight Movies ne
sont plus connus par le bouche à oreille, qui leur procurait toute leur gloire, mais par
l’intermédiaire de la publicité.
C’est donc à regret qu’ils en font le constat : les midnight movies ont connu la gloire,
mais au prix de leur popularisation « You can say that midnight movies succeeded rather
than failed, in the sense that the major figures in this movement- Waters and his entourage,
37
Lynch and Georges Romero- have all made it into the mainstream »” .
Même Jodorowsky, avec La montagne sacrée, aux moyens financiers démesurés,
connaît une période de reconnaissance. Pourtant, il s’agit aussi de la fin d’un mythe, car ces
réalisateurs standardisent quelque peu leurs films. C’est du moins souvent cette analyse
qui est faite à propos de Elephant man, sorti en 1980, qui est un espèce de pendant à
Eraserhead, c'est-à-dire qu’il traite de la monstruosité depuis le point de vue des normaux
et la marginalise, au lieu de l’insérer dans le cocon familial, comme cela était le cas dans
Eraserhead. On a souvent reproché à Lynch de trahir la veine expérimentale d’ Eraserhead
dans un film formellement très conventionnel et teinté d’une morale peu typique du style
lynchien. Dans Elephant Man, tout repose sur l’individualisation d’un monstre qui peu à peu
est découvert comme étant doté de qualités humaines de gentillesse, de curiosité, doué de
culture et enfin sensible à la beauté. C’est donc un film qui « surfe » sur le grand principe qu’il
faut aller au-delà de l’apparence et que les qualités humaines peuvent se cacher derrière
un physique monstrueux, tandis qu’Eraserhead ne se préoccupe nullement de la morale et
va complètement à son encontre en présentant le monstre comme une abomination, qui
36
37
38
ibid p 323
ibid p 327
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
repousse même sa propre génitrice, quittant le foyer après quelques temps. Henry, le père,
va finir par éventrer le bébé en découpant la bande de tissus qui le protège, poussé par
le mystère qui entoure ce bébé monstrueux. Il n’y a donc aucune préoccupation d’ordre
éthique dans le film, mais seulement la représentation de cette chose sans corps et qui crie,
menaçante.
John Waters va aussi connaître un succès avec sa comédie Hairspray, sortie en 1988,
lui aussi en changeant ses positions radicales et extrêmes adoptées dans Pink Flamingos.
Cette comédie retrace le parcours d’une adolescente obèse, Tracy, qui souhaite passer
dans l’émission télévisée de danse « the Corny Collins show », une émission où l’on chante
et l’on danse. Son succès arrive et elle est consacrée égérie d’une marque de vêtement,
alors que sa rivale mince et blonde de fait quitter par son petit copain pour Tracy. Celle-ci
va peu à peu devenir un emblème de l’intégration des Noirs, car elle se bat pour l’arrêt de la
ségrégation tandis que la famille d’Amber affiche son racisme. A travers ce court synopsis,
on voit comment la caractéristique la plus importante de Pink Flamingos, le mauvais goût
et le tabou a laissé place à des thématiques beaucoup plus politiquement correctes, et plus
morales. C’est donc un peu le même « reproche » que l’on peut formuler à l’encontre de
Elephant Man et de Haispray : ce qui a fait le succès des midnight movies s’est évanouit
par la suite , dans la vague de « mainstreaming », de reconnaissance commerciale de ces
réalisateurs et films transgressifs. C’est ce que concluent Rosenbaum et Hoberman « Lynch
and John Waters had been maintreamed into commercial theatrical filmmaking in the 1980s
38
with releases such as Blue Velvet and Hairspray” .
Pour certains, comme pour le journaliste du Guardian qui nous livre son analyse
du phénomène des Midnight Movies, le point de rupture entre les midnight movies et la
commercialisation de leur essence, se situe dans la reconnaissance populaire du Rocky
Horror Picture show : « The success of the Rocky Horror Picture Show was the beginning
of the mainstreaming-perhaps the beginning of the end- of this defiantly marginal subculture
(…) and which was doomed by the advent of the VCR and cable television. » Cette culture
marginale s’est affaiblie avec la popularisation du Rocky Horror Picture Show et a été
condamnée par l’arrivée de la vidéo et des programmes cablés.
Ainsi, l’on retrouve ici la fréquente séparation opérée entre les films de minuit fidèles à
l’esthétique de minuit et le film le plus commercial, The Rocky Horror Picture Show, qui est
aussi le moins licencieux. Ce qui est aussi pointé par ce journaliste est le rôle très important
de la vidéo, qui a contribué à rendre désuètes les séances de minuit.
B .La télévision : un rôle néfaste pour la culture de
minuit.
1/ La culture vidéo :l’entrée dans la postmodernité et le non public de
la télévision
En 1985, après Betamax dix ans plus tôt, c’est VHS qui sort et permet l’appropriation du film.
5 ans plus tard, c’est The Rocky Horror Picture show qui sort en cassette vidéo, accompagné
38
ibid p 325
DURAND Camille_2010
39
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
du commentaire significatif d’un changement culturel certain : « Rêvez le chez vous, vivez
le au cinéma ».
L’idée de la séance de cinéma importée dans le salon se développe, avec une
culture, une pratique différente. Il ne s’agit plus de se déplacer, car la cassette permet de
programmer soi même sa projection, et de la regarder selon son propre rythme.
La cassette permet la répétition, et encourage le fan à s’approprier l’œuvre, s’en
repasser les passages favoris, en connaître les répliques par cœur.
La cassette entraîne un comportement de collectionneur, de fan mais sans la dimension
collective de partage et de sociabilité. D’autre part, la cassette désacralise l’acte de
visionnage d’un film. Là où le dispositif cinématographique permettait de capter l’attention
de l’audience, on a maintenant un contact plus médiatisé , plus distancié avec un écran plus
petit, une salle souvent illuminée , des personnes qui parlent et parfois exercent une activité
parallèle, donc une illusion moins effective, car l’attention du téléspectateur est sporadique.
Le public de la télévision peut dès lors être considéré comme un « non public », selon
39
Jean Pierre Esquenazi . Cette notion de réception est utilisée pour définir l’état de passivité
intellectuelle qui caractérise le téléspectateur qui rentre chez lui après sa journée de travail
et n’aspire qu’à se vider la tête dans un programme ne lui demandant aucune réflexion.
Jean Pierre Esquenazi sous entend par cette expression que la qualité d’un public est
sa capacité de réaction et de résistance face à ce que l’écran lui montre, débouchant parfois
sur la formation d’une opinion, d’un jugement après une argumentation.
Or, le téléspectateur selon lui est toujours plus ou moins en état d’assoupissement
intellectuel.
40
Selon Timothy Corrigan , cette idée de désacralisation que suppose la vidéo est liée
au concept général de postmodernisme tel que Baudrillard le définit dans Simulation et
simulacres . Nous sommes entrés, avec la vidéo, dans une ère d’instabilité , à l’image
d’un mode de vie où plus rien n’est structuré, hiérarchisé si bien que la fragmentation de
l’attention du spectateur s’inscrit dans ce processus de décentrement .
Avec la cassette, il n’y a plus d’original, et toutes ne sont que des copies, ce que
Baudrillard appelle des simulacres. Si bien que le savoir est complètement relativisé,
déshumanisé car l’empreinte authentique de l’artiste a disparu. C’est surtout vrai dans
les domaines de la musique et du cinéma où les Cds, cassettes, supports numériques
permettent la reproduction à l’infini d’un contenu artistique.
D’autre part, même si les films d’auteurs sont parfois aussi disponibles que les films
commerciaux, nous ne savons pas vraiment si la fracture entre low et high culture s’amoindrit
avec la vidéo. L’esprit de mixage culturel, de communion que représentait la séance au
cinéma a disparu avec l’arrivée de la vidéo, signe d’un repli de soi. Signe aussi que le public
des cinémas est désormais plus composé d’experts que de passants en recherche d’un
divertissement pour occuper leur soirée, car ces derniers ont maintenant la possibilité de
ne pas se déplacer dans le cinéma du quartier en regardant le film à domicile.
La vidéo démocratise l’accès aux films, mais porte un coup fatal aux cinémas,
désormais peuplés que par des passionnés .On ne se rend au cinéma que pour voir les
nouveaux films sortis que l’on désire vivement voir, mais plus pour découvrir un nouveau
spectacle.
39
40
40
Les non publics de la télévision , dans la Revue Réseaux 2002
Franck Lafond, Cauchemars américains : fantastique et horreur dans le cinéma moderne p 35
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
Pour le reste, les comédies sont regardées au foyer, lieu de la culture vulgaire, où l’on
regarde de nouveaux programmes, comme les talk-shows qui fleurissent aux Etats-Unis au
début des années 1990.
2 / Les talks shows : de l’horreur au voyeurisme
On peut considérer, à bien des égards, que les talk-show des années 1990 sont des héritiers
de l’esthétique trash des midnight movies, car ils mettent en scène des invités qui dévoilent
leur vie privée, celle-ci étant, pour les besoins du spectacle, en général très différente de
l’idée que l’on se fait d’une vie normale. Les invités dévoilent leurs tabous, leur vie sexuelle
sans plus d’embarras et le public se fait l’écho du présentateur ou de la présentatrice, Ricki
Lake en fut une des plus connues, et devient inquisiteur, avide de révélations loufoques.
Ces émissions sont tout de même présentées sous un prétexte thérapeutique, car il
s’agit d’éduquer l’audience, comme la fonction catharsis. S’effectue en amont une sélection,
qui va déterminer la production à choisir le plus excentrique, le plus drôle des candidats,
qui sont souvent des travestis, des Drag Queen .
Ces invités sont en quelque sorte les réincarnations de Divine, de Pink Flamingos, ou
de Frank N Furter, de Rocky dans The Rocky Horror Picture Show : ils sont les avatars
de l’extrême et permettent une mise à distance de la perversion et des tabous, car leur
cas est présenté sous un aspect pathologique. Ils représentent l’excès et leur prestation
est souvent pathétique. Pour les spectateurs, c’est un moyen de se rassurer sur leurs
propres problèmes, qu’ils relativisent grandement en voyant de tels individus. Par le rire, la
moquerie, la pitié ou la critique, le téléspectateur met à distance de lui-même la bizarrerie,
la déviance et s’inclut dans la norme.
C’est cela qui contribue au succès commercial des talk shows, qui ne se regardent pas
à minuit mais en pleine journée. Le cadre de réception a changé et il ne s’agit plus s’identifier
à des héros décadents mais de se moquer d’individus aux modes de vie différents.
3/ La série télévisée culte : Twin Peaks , fille de l’esthétique de minuit
Le premier épisode de Twin Peaks, « Northwest Passage » est diffusé aux Etats-Unis
le dimanche 8 avril 1990, à 21 heures et les épisodes sont ensuite diffusés le jeudi
soir est diffusée sur la chaîne ABC jusqu’au 10 juin 1991. Ce feuilleton dramatique, une
coproduction de Mark Frost et de David Lynch, raconte l’enquête menée après l’assassinat
de Laura Palmer, jeune habitante de Twin Peaks , un petit village près de la frontière
canadienne entouré d’une forêt épaisse où se déroulent d’étranges événements. Le fil
conducteur entre les épisodes est bien entendu, la question toujours renouvelée : Qui a tué
Laura Palmer ? Autour d’elle, une multitude de personnages qui enquêtent sur sa disparition,
tous enveloppés d’un halo de mystère et de fantastique.
L’héroïne Laura Palmer, que l’on découvrira davantage dans le film Twin Peaks : Fire
walks with me, est absente, car la série s’ouvre sur la découverte de son cadavre, mais
omniprésente, car la fin ultime de la série est de découvrir le meurtrier, même si cette
révélation sera, pour Lynch, un sacrifice à son esthétique.
Cette série, qui fut pourtant un échec commercial total, devient culte pour les
Américains, au point que lorsque la chaîne décide de mettre fin à la diffusion de la série,
faute d’audience, un collectif de fans se forme comme association nationale, baptisée la
DURAND Camille_2010
41
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
41
COOP, avec pour slogan « all we are saying is give Peaks a chance !» (donnez une
chance à Twin Peaks). En cela, la série a eu un parcours similaire aux Midnight Movies :
si elle n’a pas eu de succès au niveau commercial, ses fans, fidèles, ont su maintenir un
mythe autour de la série et contribuer par leur insistance à sa reconnaissance.
Ce « soap opera » a plû par son suspense, et a tenu en haleine les téléspectateurs
intrigués sur la base d’une question toujours en suspens, celle de l’identité du tueur de
Laura Palmer. Le côté mélodramatique a également fait recette, avec une myriade d’acteurs
séduisants, tout comme l’environnement, le campus et le milieu du lycée, qui sont somme
toute des canons du genre du soap opera et de ses stéréotypes.
Cependant, l’audience a tout de même l’impression de regarder un feuilleton sans
pareil : cette impression de déja vu n’est que très éphémère. Ce qui a rendu la série culte
reste son originalité, qui tient à un esthétique très peu conforme au format de la série, très
peu compatible avec le genre télévisuel.
On l’a vu à travers l’analyse d’ Eraserhead, David Lynch aime imbriquer le réel et le rêve
sans séparer les deux sphères, a une prédilection pour une narration instable et elliptique
42
qui est souvent loin d’être cohérente. Pour Twin Peaks, il en va de même, selon Guy Astic :
« L’évolution de l’intrigue, tellement déterminante dans le cadre feuilletonesque, ne procède
pas, ici, d’un ordre de cohérence évident ». Lynch travaille à faire varier les atmosphères
et les tonalités.
Ainsi, les rêves et plongées dans la Red Room, sorte d’antichambre surréelle, se situent
sur un plan différent de celui du quotidien de Twin Peaks, des rencontres au lycée entre
adolescents. Les ruptures de tons, cohabitation de registres très différents sont récurrentes
et contribuent à un style « syncopé », faisant fi des critères de vraisemblance et de
continuité. C’est le côté décalé de la série qui explique aussi le culte dont elle a fait l’objet,
43
selon David Lavery .
Certains détails détonnent avec l’ambiance et le contexte du moment, comme par
exemple dans l’épisode pilote, au moment où la standardiste Lucy demande au shérif
Truman de décrocher « le téléphone noir, pas le marron… sur la table près du siège
rouge », au moment où la nouvelle de la mort tragique de Laura Palmer est annoncée à
tous, le tout dans une consternation générale. De même, l’adjoint Andy Brennan, chargé
de photographier le cadavre de la défunte Laura, explose en sanglots convulsifs comme
un enfant, ce qui ne cadre pas avec son métier de policier. La dame à la bûche, celle
qui introduit l’épisode pilote, associe en elle le comique et le mystérieux, unis dans un
indécidable mélange qui fait le charisme du personnage. Ces détails incongrus sont des
sortes de thèmes rompant avec la continuité dramatique, et viennent à contretemps dans
le récit. Ce sont ces épisodes qui restent les plus commentés, récités par les fans.
C’est donc ici une première caractéristique démontrant la parenté de la série avec
l’esthétique de minuit, qui repose, comme nous l’avons dit plus avant, sur le mélange
des genres et l’association d’éléments divergents de la culture moderne. A l’image des
Midnight Movies, Twin Peaks joue avec les genres et les esthétiques pour les subvertir.
44
D’où l’expression de soap noir pour désigner la coexistence d’une tonalité tragique et
mystérieuse et de scènes légères et mélodramatiques, bercées par la douce musique
41
42
43
44
42
Philippe Le Guern, Fans et cultes médiatiques: les enjeux de la métaphore religieuse, Réseaux n°153
Guy Astic, Twin Peaks: les laboratoires de David Lynch, , 2008, Rouge profond
David Lavery, Full of secrets. Critical approaches to Twin Peaks, 1995 p11
Stefan Peltier, Twin Peaks: Une cartographie de l’inconscient, p 67
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
nostalgique et triste de Badalamenti. Dés le début, la découverte du corps sur la rivière
succède de peu à un générique où l’univers du village et ses environs est idéalisé, filmé
comme un Eden.
L’univers de Twin Peaks est un milieu où l’insolite et l’unheimliche ont élu domicile :
sous une façade idyllique et enchanteresse , un monde étrange et surnaturel bouillonne,
d’autant plus inquiétant qu’il a un visage familier : les lieux sont connus : le lycée, la station
service, la maison de Laura, sa chambre, l’hôtel, ce ne sont que des endroits connus, des
visages connus, en général des lieux destinés à faciliter le processus d’identification des
américains résidant dans des petites villes.
Le contraste né entre le côté familier des lieux et sa dimension sous-jacente fantastique
est illustré dans le générique : malgré les images d’une nature vierge et luxuriante, des
cascades, chutes d’eau et forêts vertes, la musique nous fait sentir toute la vanité de
l’univers, et l’on sent que tout l’artifice de cette mise en scène qui , par son emphase,
s’auto dénonce comme telle. Le générique en fait trop, exagère les traits du soap pour ainsi
dénoncer son caractère illusoire. Guy Astic note ce contraste ainsi :
« La simplicité et la naïveté des mélodies retenues contrastent, dans le cas de Twin
Peaks, avec la violence de l’histoire, insistant sur la perversion à l’œuvre et sr ce qui a
45
disparu avec la mort de Laura. ».
La musique de Badalamenti est ainsi à l’image des moments naïfs des films de Lynch :
assumés, sincères mais permettant de renforcer le contraste avec le reste.
Twin Peaks, par son emprunt à plusieurs styles et ambiances différents, a acquis une
modernité et une liberté de ton qui rappelle l’esprit révolutionnaire et déjanté des Midnight
Movies, et qui, par son usage de la dérision et de l’ironie présentes en filigrane, annonce
des films à contre courant de l’industrie hollywoodienne comme The Big Lebowski.
C. The big LEBOWSKI : La résurection du phénomène
des midnight movies. R
1/The big Lebowski : un parcours similaire aux midnight movies
The big Lebowski est sorti en 1997,en cette fin des années 1990, une ère de développement
accéléré de l'ordinateur et d'internet,l’ère des blockbusters de science fiction futuristes,
comme Men in Black , Armageddon, Independence Day, Le sixième sens, Jurassik Park,
The Matrix. Au milieu de ce panel de films dont les enjeux ne relèvent de rien moins que
de la survie du genre humain, The Big Lebowski fait figure d'incongruité dans l'espace
hollywoodien. Se tenant sur quelques personnages qui n'ont rien du physique de Bruce
Willis ou de Keanu Reeves, le film est loin d'être dans l'esprit de son temps: l'intrigue est
maigre, les effets spéciaux quasiment absents : le film n’a pas eu de véritable succès
45
Guy Astic, Twin Peaks: les laboratoires de David Lynch, 2008, rouge profond p 96
DURAND Camille_2010
43
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
commercial, mais a attiré un public grandissant grâce à son passage à minuit dans les
46
cinémas.
The Big Lebowski est une adaptation libre du roman de Raymond Chandler, The Big
Sleep, un roman noir qui est une critique du rêve américain.
Tout y fonctionne sur un système déceptif, et c’est ce que nous allons voir désormais
par l’analyse des cinq premières minutes du film, qui nous montrent par leur densité tout le
dispositif ironique qui sera déployé dans l’intrigue .
2/ Analyse de la séquence d’ouverture
introduction
Cette séquence d’ouverture présente à nos yeux un double intérêt : Dans un film, le
début est un équivalent de l’incipit en littérature, c'est-à-dire une scène traditionnellement
essentielle à l’intrigue, car elle vaut comme scène d’exposition. D’autre part, cette séquence
est un concentré de tous les thèmes qui seront développés par la suite dans le film, car une
séquence d’ouverture est par principe, riche en informations sur la fiction à venir et vaut
comme synthèse de tous les registres auxquels il sera fait appel dans la suite du film.
Dans une scène d’exposition, le spectateur a plusieurs types d’attentes : il s’attend par
exemple à ce que les personnages de l’intrigue à venir soient présentés, à ce que le cadre
spatio-temporel soit défini, en bref à ce que la situation initiale soit clairement exposée.
Ensuite, il s’attend à des thématiques, un genre précis qui formatent son appréhension
des images et du registre en général. Ici, notre analyse commence aux premières images et
s’arrête au moment du générique, que nous n’analyserons pas, soit une durée de 5 minutes
environ. Cette analyse ne se fera pas plan par plan mais selon les temps forts du passage
et les axes qui s’en dégagent.
A travers cette analyse de l’incipit de The Big Lebowski, je vais montrer comment la
séquence d’ouverture met en place un double mécanisme d’imposture et de déception qui
sert à la construction de la tonalité générale parodique du film.
Cette imposture est une entreprise de sape des clichés du film hollywoodien et un
discours ironique sur l’industrie du film : c’est en cela que le film peut être considéré comme
un des legs de l’esthétique de minuit. Nous le montrerons dans cette analyse de séquence.
. Développement
Son:
La chanson qui ouvre le film est un chœur traditionnel sur fond de musique country qui
introduit l’imaginaire du spectateur au genre du western, dans une ambiance bien déclarée.
Puis surgit la voix off, traînante et rauque, pourvue d’un accent de l’ouest aux sonorités
très rondes, qui nous raconte l’histoire de Jeffrey Lebowski en commençant par « there
is a man.. » L’imaginaire du spectateur construit une image mentale très connotée : un
équivalent de Buffalo Bill, Davy Crockett, bref un cow-boy mythique, légendaire dans tout
l’Ouest.
46 « Mr
Valen of Landmark theaters cited the Coen brothers « big lebowski » 1998 which was not received well when it was released
but attracted a huge and immensely loyal audience, thanks to midnight showings “ it’s got a very irreverent sense of humor, it’s kind
of trippy”he said. In New York Times, 19 Juin 2005
44
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
La musique qui ouvre un film est capitale car elle fixe d’entrée la note, le registre dans
lesquels s’inscrit l’intrigue, c’est un élément de compréhension d’une telle puissance qu’il
remplace parfois, dans certains films, la dramaturgie en elle-même. La musique est un
média riche, vecteur d’émotions et de connotations qui suppléent au régime narratif.
Dans notre cas, il en va de l’atmosphère générale du film, et celle-ci est placée sous le
signe du western, rappelant fortement (et là encore, ce n’est sûrement pas un hasard étant
donné la culture cinématographique des frères Coen) la musique de L’homme de la plaine,
d’ Anthony Mann, film dans lequel les chœurs chantent « The man from Laramie ». Par
cette musique, un réseau d’éléments culturels bien déterminés est convoqué, et donc un
horizon d’attentes des spectateurs.
Séquence 1:
Les premières images dévoilent un paysage de western typique, des steppes de désert
avec en plus, comme dans les westerns de Ford, cette caméra qui surplombe le désert et
qui est un symbole de la toute puissance américaine , le travelling sur les terres vierges
rappelant le mythe de la frontière toujours repoussée. La frontière est un mythe fondateur de
la philosophie du western, car cette limite invisible était comme un défi qui animait les rêves
ème
patriotiques des Américains tout au long du 19
siècle : la nature vierge à conquérir, des
espaces à civiliser, des populations indigènes à dominer, le tout dans un paysage aride et
idyllique à la fois, dont les films de John Ford se sont faits l’apologie. Le genre du western
est donc investit de significations très fortes pour les Américains, et ce n’est ni innocent ni
fortuit de la part des frères Coen, d’avoir inscrit l’accroche de leur film dans ce contexte.
Soudain, le paysage s’arrête, révélant derrière une côte les lumières d'une ville la nuit.
Une première fois, le mécanisme de la déception, de l’attente trompée est utilisé : nous ne
sommes plus dans l'eldorado sauvage et ses fantasmes qui lui sont associés, mais dans un
film bien ancré dans la civilisation et le temps présent. De plus, la vue qui est donnée sur la
ville n'est pas une vue « canonique » comme les films hollywoodiens en montrent, suggérant
le miracle des villes américaines et de leur gratte-ciel, de leur animation, mais on a affaire
à une vue brouillée par une brume qui augure déjà que l'on n'est pas dans une énième
apologie du paysage américain, mais dans un point de vue quelque peu désillusionné porté
sur Los Angeles des années 1990.
Le rond de brindilles qui a fait le lien du désert à la ville nous guide de plans en plans, par
sa légèreté elle annonce le côté ludique et amusé, mais surtout la distance entre le désert
du western, dont il est la métonymie, et la ville et ses laideurs , comme un pont au dessus
d'une autoroute en pleine nuit. Ce rond de brindilles est un élément exotique, incongru,
destiné à faire contraste avec l’environnement industriel glauque, il symbolise l'âge d'or du
western de l'Amérique glorieuse, dans un espace-temps nouveau, d'où les cow-boys et les
paysages purs sont absents.
Le plan d’après enchaîne en fondu sur une cafétéria glauque, une sorte de baraque à
frites plongée dans l’obscurité. L’intention est donc claire : les frères Coen montrent l'autre
visage de l'Amérique : celle de l’industrie et du quotidien gris.
Après la route vide le plan d'après est encore guidé par le rond de brindilles, sur une
plage de la côte , dont le sable est foulé par le passage, une plage après une après midi de
passage : c'est un peu l'envers de l'image de plage paradisiaque au sable vierge . Jusqu’ici,
la voix off nous promène dans l’entourage du Dude, Los Angeles et les clichés que la ville
véhicule comme celui de la plage, ainsi que l’envers des clichés : cette baraque à hot dog
et à frites.
DURAND Camille_2010
45
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Mais c'est après que la désillusion finit de s'installer comme principe directeur de ce
début de film. Contrairement à la présentation classique du personnage principal de western
qui est pris en plongée sur un paysage, on aborde le héros d'une façon biaisée, avec d’abord
un plan au ras du sol, au niveau des rayons, dans un supermarché vide et vaste, éclairé
de façon criarde par des plafonniers jaunes, dont les rayons apparaissent surchargés de
produits.
Nous sommes dans un supermarché de banlieue peu fréquenté, ou du moins pas du
tout à cette heure-là, une heure creuse sans doute, hypothèse qui semble se confirmer par
la suite au vu du regard agacé de la caissière. Les rayons pleins, le sol brillant et lustré,
les publicités de produits comme seul vis-à-vis : nous sommes bien dans une critique de la
société de consommation, où l’abondance, le surplus commercial sont devenus des valeurs
quotidiennes, là où la chasse, la pêche étaient de vrais challenges pendant la conquête de
l’Ouest.
Soudain, le héros apparaît, d’une démarche vulgaire , portant des lunettes de soleil
démodées et des claquettes de campeur , habillé en pyjama sous une robe de chambre
marron délavé. Une allure et une démarche peu élégantes, donc peu conformes à l’idée
que l’on se fait des habitants de Los Angeles.Le héros arrive dans l'intrigue comme par
effraction: c'est un imposteur, le portrait d'un rebus de la société qui apparaît immédiatement
déclassé. Déjà, la voix off se fait ironique et dévie de son rôle premier d’œil « objectif »,
omniscient, en nous disant que le héros (« fits right in there », « he is the man for his time
and place », « and that’s the Dude » « here in Los Angeles ») est parfaitement adapté à
son milieu, qu’il est un homme de son temps.
Dès lors, un double discours se met en place, à la fois ironique et complètement
réaliste : d’une part, affirmer que le Dude est bien adapté à son environnement est ironique ,
car Los Angeles est le lieu même du glamour et du prestige, alors que le Dude est l’exact
opposé de cela. Mais si l’on réfléchit bien, cette voix est sensée, car le Dude est représentatif
de ce qu’est vraiment Los Angeles, derrière ses strass et paillettes, son visage surfait : une
ville où vit une population pas plus élégante, pas plus exceptionnelle qu’ailleurs, comportant
elle aussi ses excentriques et marginaux qui vont acheter une brique de lait en robe de
chambre.
La voix off se fait petit à petit moins sûre et se répète, et finit par ne jamais finir sa
phrase, comme si la voix off était incapable d’en dire plus, de jouer son rôle de raconteur
d’histoire plus longtemps, car il se rend bien compte qu’avec l’image , tout est dit et ce
n’est plus la peine de faire croire au spectateur que le Dude est un homme exceptionnel :
le « sometimes there is a man.. » qui annonce une suite singularisant le Dude, une suite
étonnante, une histoire intrigante , tombe à l’eau.
A ce même moment, un gros plan sur le chèque qu’il est en train de rédiger montre
l’inscription 0,69 , ce qui rend encore plus ringard le personnage, se rendant dans un
supermarché immense pour n’y acheter qu’un article , qu’il paye par chèque :toute l’action
est frappée par le dérisoire .
Le regard méprisant de la caissière, dans le plan d'après, est le regard de la société
sur ce parasite, et pendant ce temps, le Dude jette un regard sur la télévision, qui montre
le président Bush dans un discours condamnant l’invasion du Koweit par l’Irak, disant «
this will not stand, this aggression against Koweit ». Ce clin d’œil à l’actualité du moment
est lui aussi important, car il montre combien, sur un arrière plan historique important, les
êtres anonymes et sans génie comme le Dude parait l’être ne sont pas affectés dans leur
46
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
vie quotidienne par une telle nouvelle. Donc le fait qu’il relève la tête, faisant mine de s’y
intéresser, est ironique.
Séquence 3 :
On l’a compris dès la scène précédente : le personnage drôle et pathétique à la fois qui
nous a été présenté au supermarché est le héros du film, et ici la scène le représente sur
le chemin de sa maison, au milieu d’une banlieue résidentielle, se hâtant dans son peignoir
d’une façon peu virile. Cette scène est un écho lointain de la scène canonique du cow boy
rentrant sur son cheval, comme Lucky Luke qui, à la fin de chaque album, chante « im
a lonesome cowboy, and a long way from home ». Ici, le Dude rentre chez lui avec une
bouteille de lait, à pied et non à cheval, en robe de chambre et de surcroît en trottinant d’une
façon efféminée, comique. Il va de soi que cette scène est un clin d’œil ironique qui singe
la scène du cow-boy sur sa monture avec un homme à pied, portant une brique de lait.
Quant au décor, il n’a rien à voir avec celui de l’ouest enchanteur, ni avec la steppe
qu’on nous montrait au début du film : il s’agit en réalité d’un quartier résidentiel composé de
petites maisons toutes semblables les unes aux autres, toutes dotées d’escaliers parallèles.
Le spectateur réalise qu’il a affaire à une sorte de pitre ou de ce que l’on appelle un
original, un looser qui n’a rien à voir avec un héros noble et fier chevauchant à travers la
steppe.
Séquence 4 :
Cette séquence au domicile du Dude est un véritable détournement de la scène d’action
canonique du film Noir, correspondant à l’élément perturbateur dans l’intrigue. Le suspense
et la terreur qui sont attendus dans ce genre de scène sont ici remplacés par l’ironie et le
comique de situation.Là où l’on pensait trouver une scène mystérieuse et intrigante, on nous
livre un quiproquo plein d’humour.
Imposture une nouvelle fois, car les deux bandits font deux actions ne cadrant pas avec
leur rôle : d’une part, plonger la tête dans la cuvette des WC, même si l’action est assez
violente, porte au rire, par l’incongruité de l’endroit , le tout accompagné d’une phrase qui
rime,répétée à 3 reprises, qui agit comme un comique de répétition car suivie à chaque
fois d’une plongée de la tête du Dude dans la cuvette des toilettes : « Where is the money
lebowski ? where is the money Lebowski ? ». Le comique de répétition est d’ailleurs repris
dans la réplique d’après où le bandit blond s’exclame en le pointant du doigt : « Your name
is lebowski, Lebowski ».
D’autre part, uriner sur un tapis est loin de faire l’unanimité si l’on pense aux différentes
manières de faire parler, de soutirer des informations à quelqu’un : il ne s’agit pas d’une
vraie stratégie d’intimidation : ce n’est pas une action violente mais c’est une humiliation
pure, et c’est là encore une preuve du climat de dérision qui règne.
Pourtant, c’est cette action qui peine le plus le Duc, qui se sent plus agressé par cette
action que par son immersion dans l’eau de la cuvette des toilettes.
Les bandits ne sont même pas « professionnels » car ils ne réalisent leur confusion
qu’après avoir attaqué « the Dude », sans avoir pris la peine de regarder l’aspect modeste
de l’appartement, fait qui les aurait sûrement fait comprendre que ce n’était pas le bon
Lebowski , milliardaire qu’ils étaient censés attaquer.
Ils ont aussi ridicules que le Dude, pestant à voix haute contre leur erreur.
Quant aux répliques du duc, elles sont à l’image de son comportement, drôles et
décalées pour une telle situation, car il ne fait que corriger son prénom en précisant que
DURAND Camille_2010
47
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
tout le monde l’appelle « the dude », au lieu de s’indigner du traitement que deux inconnus
entrés par effraction dans son domicile lui font subir.
Pire, il se met presque en colère d’entendre que les bandits le croyaient marié. Il se sent
presque insulté et, sa réplique, comique, finit de nous le rendre sympathique : « Do you see
a fucking ring on my finger ? does this place look like Im a fucking married ? the toilet sits up,
man ! ». Ce dernier et non moindre élément fait appel à un élément de complicité masculine
domestique, ce qui nous rend le duc très proche et renforce l’identification au personnage,
qui est une des plus grandes réussites du film, et qui explique son statut de culte.
Une autre caractéristique est capitale dans cette scène, c’est la découverte d’une boule
de bowling, dans un sac, qui achève de convaincre les deux bandits de leur erreur. L’attitude
du Dude est très sérieuse, et presque affligée de voir que les bandits ne jouent pas au
bowling et ne savent pas ce qu’ils tiennent entre les mains. Cet attachement annonce la
passion du Dude et qui est son lieu de sociabilité tout au long du film : le bowling et tous ses
adeptes. Cette passion est une des plus fortes caractéristiques de sa personnalité, et une
de ses seules activités, c’est donc important de fixer cela dans la séquence d’ouverture.
Celle-ci en devient vraiment un résumé condensé de tout le développement ultérieur.
Les dernières paroles échangées entre les deux bandits sont comme l’écho des
pensées du spectateur devant cet anti héros qu’on lui présente « isn’t this guy supposed
to be a millionaire ? » « he looks like a fucking looser » . On a ici l’exacte traduction du
sentiment d’imposture qui envahit le spectateur en ce début de film, ce dernier s’attendant
à faire face, pour un héros habitant à Los Angeles, à un millionnaire , ou une sorte de self
made man comme les films hollywoodiens savent bien les concevoir.
Enfin, la dernière image de cette séquence est devenue un topos du film : le Duc se
trouve , toujours dans sa robe de chambre marron, assit sur la cuvette des toilettes , les
cheveux mouillés par l’eau trouble de sa cuvette lui dégoulinant sur les épaules, les lunettes
de soleil sur le nez , les jambes écartées, avec en arrière plan le papier peint kitsch de
sa salle de bain. Cette scène est culte, et c’est devenue d’image emblématique du film,
qui, insérée dans n’importe quel contexte, rappelle immédiatement d’où elle vient. Elle sera
d’ailleurs reprise dans Lost in Translation, de Sofia Coppola, dont le personnage principal
incarné par Bill Murray est une sorte de Dude réincarné.
La même scène, avec Bill Murray assis de cette même manière molle et avachie sur
son lit de sa chambre d’ hôtel, le regard blasé, en robe de chambre et claquettes, est reprise,
c’est même l’affiche du film Lost In Translation. C’est donc devenu un topos, un stéréotype
dans la culture cinématographique américaine, alors que c’était à l’époque une manière de
lui tourner le dos.
Pour conclure, cette séquence d’ouverture instaure une esthétique de l’imposture, et de
la dérision qui fixe le registre du film dans un domaine comique et ironique. Cette séquence
innove par son entreprise de ruine des clichés hollywoodiens : elle manipule des images
stéréotypées, un paysage et un lieu fortement connotés pour en retourner le sens commun
et y exprimer toute la banalité.
3/ Conclusion : Une « critique postmoderne du rêve hollywoodien »:
47
47
48
Jean François Chagnon dans Cadrage, mai 2007
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
Selon Jean François Chagnon, The big Lebowski est l’illustration de la post modernité,
au sens où le film est structuré par le concept de dérision. Le film est une véritable remise
en cause des archétypes du cinéma hollywoodien, par sa dénonciation des valeurs ancrées
dans la société américaine comme celles de la réussite, du self made man.
Deux aspects sont centraux dans la construction de cette critique : le détournement des
codes du film noir hollywoodien, comme on l’a vu à travers la scène d’action chez le duc
et la distanciation par la présence d’un narrateur extradiégétique, celui qui nous annonce
d’histoire d’un héros qui n’en est pas un , s’exprimant « I wouldn’t say a hero, because what
is a hero ? » lorsqu’il nous présente le Duc.
Dès le départ, deux genres différents sont convoqués et subvertis l’un après l’autre :
le genre du western et le genre du film noir, les deux genres principaux qui ont contribué
à la gloire du cinéma américain.
Contrairement aux héros de films noirs, Jeffrey Lebowski est un anti héros, un homme
du commun des mortels qui n’a pas un physique exceptionnel et qui s’exprime sans
éloquence, en utilisant des expressions entendues à la télévision, comme la fameuse « This
will not stand » prononcées par Bush, qu’il répète pour désigner l’outrage que les bandits
lui ont fait connaître en urinant sur son tapis.
De plus, il n’y a pas de véritable résolution finale comme la dramaturgie hollywoodienne
l’impose. L’intrigue en elle-même est un non événement, et se déploie à partir de l’imposture
qui est décrite dans l’analyse de la séquence d’ouverture. Le kidnapping s’avérera être un
leurre, et tout revient à l’état initial sur la fin, sans le classique retour à l’ordre attendu.
Ce film est en outre dépourvu de la traditionnelle morale qui accompagne les héros
hollywoodiens : la psychologie des personnages n’évolue pas vers un état meilleur. Ainsi, le
fait que le Duc goûte aux plaisirs sexuels avec Maude ne modifie en rien sa conception de
la vie : le Duc fume de la Marijuana, préfère le bowling à toute autre activité et il n’est jamais
question d’amour et les valeurs qui jalonnent toute intrigue hollywoodienne comme la justice,
l’abondance, le droit, la richesse et le patriotisme sont ici absentes. La virilité, le patriotisme
sont bien entendue tournés en dérision, comme des extensions du rêve américain, et c’est
la répétition de la réplique peu spirituelle de Bush « This will not stand, this agression
against the Koweit » qui nous éclaire sur le regard moqueur des frères Coen sur la politique
impérialiste de Bush en 1991.
La réplique devient de plus en plus drôle, car elle fait référence dans le film à la scène
initiale où le bandit urine sur le tapis du Duc. A travers le détournement de son usage, les
Frères Coen tournent en ridicule le personnage présidentiel. La position des réalisateurs
par rapport à leur film parle d’elle-même , et concorde aussi avec ce point de vue de critique
post moderne de l’industrie hollywoodienne , car les frères Coen ont tout simplement refusé
de s’exprimer au sujet du film , sur leurs intentions à travers lui. Leur silence est une prise
de position à lui tout seul, car il prône l’ouverture dans les possibles significations à tirer
du film, là où la plupart des auteurs de l’industrie hollywoodienne prennent souvent très à
cœur les interviews comme moyen d’imposer de façon autoritaire le sens, les idées qu’ils
ont voulu diffuser.
4/ L’ adoption du film par une grande communauté de fans
The Big Lebowski a déclenché une vague de fans démesurée, si l’on tient compte du fait qu’à
sa sortie, en 1998, c’était un des pires échecs commerciaux jamais connu pour les frères
Coen. Le film est devenu une référence commune à toute une génération aujourd’hui, celle
DURAND Camille_2010
49
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
des 20-30 ans, qui se sont retrouvés dans le personnage de Jeff Bridges et son apathie ,son
refus de s’intégrer dans les valeurs mainstream de la réussite, du mariage et du stress.
Les fans, regroupés sous le nom de The Achievers, en hommage aux enfants
déshérités dont le riche Lebowski est le protecteur dans le film, et ont crée en 2002 à
Louisville, Kentucky, un festival annuel au nom du film , the Lebowski Fest, qui célèbre le
film et la culture qui s’y développe : le Bowling, bien sûr, la célèbre boisson favorite du Dude,
la « white russian », les costumes et déguisements rappelant le mode de vie du Dude, etc..
Le festival est l’occasion de projections du film, de concerts et de rencontres entre fans.
Outre le festival, un magazine se consacre au film, ou du moins son esprit, the Dudespaper,
« a lifestyle magazine for the deeply casual », un magazine sur l’ordinaire, la simplicité et
la légèreté.
Quant au producteur du film, Jeff Dowd, qui est en fait le modèle à partir duquel les
frères Coen ont puisé pour donner naissance au Dude, il a entamé une carrière parallèle ,
une sorte de one man show où il se présente comme « The real Lebowski ».
Tandis que des centaines d’essais, écrits et publications académiques se sont penchés
sur le sujet, comme l’étude d’un certain Edward Comentale, professeur d’Anglais à
l’université d’Indiana « The Year’s work in Lebowski Studies », les fans du film ont été l’objet
d’un documentaire qui leur est dédié, appelé The Achievers, documentaire réalisé par Eddie
Chung.
Nous le voyons, le film a eu un retentissement culturel dépassant complètement
son impact commercial. D’autant qu’il a inspiré une philosophie de vivre, une morale
sans précédent, comme le célèbre roman de Gontcharov, Oblomov, qui a donné fruit à
l’oblomovisme, une doctrine prônant la paresse, à l’image du personnage principal du livre,
Oblomov, rentier, qui passe ses journées dans l’oisiveté la plus totale, dan son canapé.
Le Duc est maintenant cité par tous ses fans, respecté à l’image d’un Dieu. C’est
d’ailleurs devenu, au sens propre, un Dieu fictif, qui est l’origine d’une religion, the dudeism,
dépassant le simple gag.
Nous avons donc affaire à la fabrication d’un culte au sens propre, d’où toute la
pertinence de la métaphore de la lithurgie religieuse pour parler des fans. Ici, le film a
vraiment fait naître une religion à part entière . Olivier Benjamin est le fondateur officiel de
48
« the church of the Latter-Day Dude » , une église consacrée au Dude.
Dans le documentaire d’Eddie Chung, The Achievers, un fan déguisé en moïse et
soutenant deux tables de commandements sur le Dude , explique leur croyance :
« Nous avons pensé que si Moïse était encore vivant aujourd’hui il serait fan de
49
Lebowski » . Tout en gardant un œil ironique sur cette religion, ses adhérents sont
sincèrement adeptes de cette philosophie de vivre.
Désormais, le dudeism compte plus de 70 000 convertis grâce à un procédé de
conversion sur internet, sur le site dédié à la religion. Sur ce site, on trouve de nombreuses
rubriques commerciales, vendant des produits dérivés du film, mais aussi une explication
de la pensée qui se rattache au Dudeism, avec les figures avatars de la pensée, comme
Jesus Christ, Buddha, Il est écrit que le Dudeism est la réponse à tout « your answer for
everything ».
48
49
50
Guardian , Wednesday 20 january 2010 , Ben Walters
Guardian , Wednesday 2O january 2010, Ben Walters
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
L’idée générale de cette religion est de proposer une alternative au rythme de vie
tendu par des objectifs de réussite qui nous empêche de profiter réellement du moment
présent. Il s’agit d’accepter son état, d’accepter sa propre impuissance à changer sa vie et
de profiter , de prendre les choses comme elles viennent. L’idée est assez proche du carpe
diem, mais parait tout de même plus compliquée. Cette religion a pour racine, selon ses
créateurs, le taoïsme chinois, qui est un mélange d’éthique libertaire, de pensée quiétiste
et de la philosophie des équilibres du yin et du yang. La pensée dudéiste est un véritable
syncrétisme culturel, une sorte de melting pot où s’amalgament le courant hippies, des
philosophies chinoises et bouddhistes.
A travers cette analyse de séquence, The Big Lebowski apparaît comme un authentique
film culte : il mélange les genres et fait appel à des registres différents, il met en scène un
anti-héros qui est devenu une icône d’une pensée hippie et libertaire, il regorge de scènes
mythiques qui, avec comme arrière plan une intrigue sans intérêt et stupide , prennent le
pas sur l’ensemble ; comme le dit Umberto Eco, le film culte est celui que l’on peut faire
éclater en saynètes , que l’on cite sans réfléchir au sens de l’ensemble de l’intrigue. Ce sont
les détails comiques, comme la richesse des personnages secondaires, la mise en scène
du sport du Bowling et des adeptes qui y jouent, les white russians qui sont des perles de
comique de situation et qui viennent à l’esprit en premier lorsqu’on songe au film.
Cette capacité à créer un univers réaliste composé de personnages attachants et
drôles, ne célébrant pas l’amour, l’argent ni la gloire mais l’amitié, l’humour et le plaisir de
l’instant a consacré le culte de The Big Lebowski et l’envie de la part de ses fans les plus
ardents de propager la pensée « take it easy » du film au-delà de ses strictes frontières
fictionnelles. Les fans, à qui l’on colle souvent l’étiquette de grandes victimes du système
médiatique, sont intervenus ici à contre courant de celui-ci, pour manifester leur rejet des
valeurs illusoires diffusées par l’industrie hollywoodienne.
D. Une nouvelle approche des fans : une coproduction
d'objet de culte.
1/Les nouvelles formes de participation des fans , fanfictions :des
formes de coproduction du sens
Ce qu’il est important ici de rappeler, et ce afin de mieux comprendre l’argumentation, c’est
toute la tradition sociologique dérivée de Bourdieu de dénigrement de la figure du fan,
considéré comme un consommateur passif dépourvu de sa propre faculté de juger ce qu’il
ingère à la télévision . Nous avons précédemment parlé du non public de la télévision, il
semblerait que plusieurs théoriciens de la figure du fan, comme John Fiske, héritier de Stuart
Hall et des travaux essayant de réfuter le modèle de l’aliénation culturelle par la culture de
masse établit par l’ Ecole de Francfort. Afin de mieux comprendre ce qui est en jeu dans
la problématique de la figure du fan, nous rappellerons dans un premier temps les théories
de Bourdieu.
L’approche du fandomisme comme consommateur aliéné :
DURAND Camille_2010
51
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Bourdieu n’a pas écrit en particulier sur la figure du fan, mais dans La distinction,
il soulève et formule tout de même la question du fan, et nous livre sa pensée sur le
50
phénomène que Philippe LeGuern nomme fandomisme , en écho à l’expression anglaise
« fandom ». Ce dernier nous expose la vision bourdieusienne du fan, pour en montrer
les limites. Bourdieu voit dans le fan une figure ne se rencontrant pas dans les classes
dominantes, mais uniquement dans la petite bourgeoisie et les classes populaires ; le fan
porte toutes les marques du dominé, car trois caractéristiques le définissent : l’aliénation,
la dépossession et l’accumulation.
Pour Bourdieu en effet, le fan obéit à un ordre qui s’impose à lui, les nouveaux
ingénieurs de la production culturelle de grande série lui dictent d’aimer des divertissements
préfabriqués, qui n’ont rien d’authentiques, il est « voué à un participation passionnée…
mais passive et fictive qui n’est que la compensation illusoire de la dépossession au profit
51
des experts » . Ainsi, selon Philippe Le Guern, Bourdieu envisage le fan comme le cousin
de « l’archétype du public dominé à qui s’imposent le sens des hiérarchies », donc une
figure de l’indignité culturelle.
Cela revient quelque peu à l’idée que développe l’ Ecole de Francfort, avec Adorno
notamment, qui produit une véritable critique à l’encontre de l’industrie culturelle, qui n’est
pas produit par le peuple mais vouée à l’aliéner, le nourrir de produits standardisés et ,
à terme, faire taire son individualité et sa capacité de rébellion face à la manipulation
industrielle, fruit direct de la société capitaliste et libérale , dont il est la cible. Dans l’Homme
unidimensionnel, Marcuse travaille le même sujet de l’industrie culturelle et la condamne ,
car elle écarte toutes les réactions antisystémiques, tous les comportements critiques
d’opposition à la pensée dominante.
C’est sur ces bases théoriques très engagées et très critiques que se développe
la réflexion sur la figure du fan, et c’est sûrement à cause de la radicalité de ces
soubassements philosophiques que la recherche académique s’est si peu penchée sur la
question du fan.
Heureusement , de nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre de la vision
bourdieusienne développée dans la distinction , par des sociologues comme John Fiske ou
Stuart Hall par exemple, qui , lui, remet en cause le radicalisme des théories de l’aliénation
culturelle de l’ Ecole de Francfort.
Le braconnage textuel et la coproduction du sens
Philippe Le Guern nous propose dans son article une remise en cause de la vision
du fan comme un objet de l’aliénation, en prenant exemple sur des théories formulées par
exemple par Certeau, qui théorise le modèle du « braconnage textuel », qui renvoie à la
capacité du fan à se réapproprier les éléments culturels, de recomposer ce que lui impose le
système économique dominant.Le braconnier, comme on le sait, est celui qui chasse dans
des contrées qui ne lui appartiennent pas. Certeau dresse un parallèle entre le braconnier
et le fan, qui, en se réappropriant le produit culturel, envahit le territoire du producteur qui
imposent des significations préconçues.
Cette théorie pourrait être une extension du modèle développé par les cultural studies
, un courant de recherche en sociologie , né dans les années 1960, qui s’est épanouit à
travers la revendication d’une critique de l’ Ecole de Francfort et des relations qu’elle instaure
entre culture et pouvoir.
50
51
52
revue Réseaux n°153, 2009 « Entre esthétique et politique : sociologie des fans, un bilan critique, Philippe Le Guern
ibid
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
Les cultural studies vont reconsidérer la capacité de discernement et de résistance des
classes populaires face aux produits de la culture de masse. Stuart Hall, une des figures
dominantes des cultural studies construit par exemple le modèle « encodage-décodage »qui
repose sur la distinction entre trois grands types de réaction du public face à un produit
culturel : le modèle dominant ou hégémonique, qui signifie que le spectateur reste passif
et accepte le sens tel que le producteur l’a dicté ; le modèle négocié suppose que ,
malgré l’acceptation du sens général, certains éléments sont refusés : enfin, le modèle
oppositionnel lui, suppose une compréhension en totale rupture avec l’intention originelle
des producteurs.
Ce modèle relativise l’aliénation systématique du spectateur et lui confère le pouvoir de
résister aux codes émanant du pouvoir économique dominant.
John Fiske va approfondir cette nouvelle conception en parlant d’une participation
52
active des fans à la construction de l’objet culturel qui les fascine . Selon lui, le fandomisme
est une caractéristique commune de la culture de masse dans les sociétés industrialisées,
qui est associée à ce que les dominants rejètent et dénigrent comme n’ayant ni légitimité
institutionnelle ni sociale. Pourtant, le public a une réception active car le fandomisme
retravaille certaines valeurs de la culture officielle et légitime à laquelle il est opposé. Par
exemple, John Fiske remarque que les fans ont une activité de production, qui est de trois
natures différentes ; le premier type de production est une production sémiotique, ce qui
signifie que les fans, à travers leur passion, définissent leur identité sociale. John Fiske
donne l’exemple des fans de Madonna, qui se servent de leur passion pour revendiquer
leur sexualité. Le deuxième type de production est une production énonciative, c'est-à-dire
que la passion, partagée avec d’autres fans, donne naissance à des discussions, où les
références, thèmes de l’objet de culte sont échangés, réinterprétés pendant des débats au
sein d’une communauté orale portant sur le sens de certaines scènes ou de personnages.
Cet échange est facilité par une connivence vestimentaire : coupe de cheveux, style des
vêtements servent à se reconnaître entre fans et à se rassembler plus facilement en
communautés.
Cette production débouche sur le troisième type de production, textuelle, cette fois ci,
plus concrète, qui est la mise par écrit de ces échanges entre fans. Les membres d’une
communauté de fans s’échangent des textes, vidéos et prolongent ainsi la vie d’un film audelà de la fiction. Les fans de The big Lebowski, par exemple, ont inventé une religion qui
s’inspire du personnage principal , the dude, et ont écrit la doctrine de cette religion, lui
ont donné une existence officielle en créant un son site , qui est destiné à expliquer à la
population les principes de cette philosophie. De même, le festival annuel, the Lebowski
Fest, est une production des fans, qui organisent et donnent une visibilité à leur passion
dans la société, produisent une culture secondaire tangible. De même, le festival de Twin
Peaks ,le Twin Peaks Fest qui a été inauguré en 1993, consiste en un week-end entier de
célébration de la série, qui prévoit des rencontres avec les acteurs de la série, une nuit
durant laquelle le film adapté de la série , Twin peaks, Fire walks with me, une visite guidée
en bus des lieux du tournage . Ces événements montrent comment la passion des fans est
projetée dans la sphère du réel , extériorisée dans la société.
Ces stratégies des fans recréent un nouvel espace culturel dérivé de ce que le système
économique dominant lui fournit. La production textuelle va petit à petit se détacher de l’objet
52
John Fiske, The Cultural economy of fandom, voir annexe
DURAND Camille_2010
53
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
duquel elle est née, pour apparaître comme activité autonome. Comme le dit Philippe Le
53
Guern ,
« La productivité des fans se nourrit des interstices du texte, de ses béances
sémiotiques ou idéologiques, pour élaborer de nouveaux para-textes ».
Ces nouveaux paratextes ont souvent pris la forme de fanzines ( voir en annexe celui de
Twin Peaks) , des journaux indépendants écrits par des fans à destination des passionnés
de l’objet culturel qu’ils célèbrent. Désormais, avec l’ère internet, une nouvelle forme de
participation textuelle des fans se développe : les fanfictions.
. Les fanfictions : approche d’un phénomène culturel symbolique
Que sont les fanfictions ? Bien que le néologisme soit assez transparent pour être
compris de tous, un article de Sébastien François m’a permis de mieux me représenter le
54
phénomène.
Les fanfictions renvoient à l’ensemble des récits de fans, textes écris par les
téléspectateurs pour prolonger, compléter ou amender leurs films ou séries préférés. Ainsi,
le fan invente de nouveaux possibles afin de, lui aussi, participer à l’élaboration de sa
passion, mais aussi de prolonger son plaisir , la fiction. Les fanfictions sont déposés sur des
sites prévus à cet effet, et sont lus par tous les membres de la communauté, qui ont , eux ,
le pouvoir de laisser des commentaires sur les récits : c’est donc une pratique socialisante
qui permet l’expression des avis, des goûts des fans.
Ces récits sont apparus dans les années 1960-70, sur les ruines des fanzines,
développés avec des séries télévisées comme Star Trek. A la base, c’est un moyen
de confronter ses perceptions avec d’autres fans et du même coup, pour reprendre les
mots de Sébastien François d’avoir « une attitude active, voire critique face aux produits
médiatiques ». Avec internet, le phénomène a pris une certaine ampleur, et dépasse
son cadre d’échange d’opinion, selon Sébastien François, car ce sont des écrits qui sont
médiateurs de la subjectivité de chacun, et permettent de projeter l’individualité de l’auteur
dans l’espace textuel. Il s’agit souvent de récits parallèles à l’action principale , permettant
souvent, comme dans l’exemple que nous avons choisi d’analyser, de développer plus la
vie d’ un personnage en particulier , ou une relation entre deux personnages. Cependant,
il arrive parfois que les récits se coupent complètement de leur trame initiale, c’est ce qui
est appelé le genre des Univers Alternatifs (alternative universe en anglais), et qui permet
de faire prendre une autre route au récit.
D’autres catégories de récits sont rangées dans des genres comme celui du « hurt/
comfort », qui rassemble les récits structurés en deux temps : une période de tension et
d’épreuve suivie d’une solution mettant fin au conflit, ou comme le genre « slashs », qui met
en scène une relation amoureuse et parfois sexuelle entre deux protagonistes masculins de
l’histoire principale. Sébastien François s’est surtout focalisé sur le Potterfictions, les récits
des fans de Harry Potter, qui, selon ses observations, portent plus majoritairement sur la
formation de couples entre des personnages que sur l’évolution de l’intrigue générale. Ces
récits reflètent donc, outre le besoin du fan de prolonger la fiction de leur univers favori,
également un besoin d’extérioriser, peut être même d’exorciser ses propres fantasmes, les
tabous et ses problèmes personnels par le biais de l’écriture.
53
54
Philippe Le Guern, fans et cultes médiatiques, Réseaux n °153
Sébastien François, « Fanf®ictions : tensions identitaires et relationnelles chez les auteurs de récits de fans.revue Réseaux
2009
54
DURAND Camille_2010
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète?
Les fanfictions peuvent dès lors être considérées comme un espace exutoire des désirs
inconscients de leurs auteurs. Pour preuve, Sébastien François remarque une abondance
de Potterfictions qui nouent leur intrigue autour de personnages victimes de suicides,
drogues ou incestes, comme si leurs auteurs essayaient de faire partager des angoisses
à travers leurs personnages.
Dans certains cas, les amateurs se regroupent pour modifier complètement l’histoire
initiale , et créent ce qui s’appelle des « fanons » , des fictions parallèles qui ont en général
autant de succès que les fanfictions.
Cependant, en général, les fanfictions se limitent au canon, c'est-à-dire à l’histoire
initiale, et les auteurs gardent en tête que leur texte est voué à être lu, donc ne divaguent
pas trop et essayent de prendre en compte les goûts d’autrui.
Analyse d’une fanfiction :
Sur le site des fanfictions, fanfictions.net, j’ai cherché une fanfiction de préférence en
lien avec les thèmes de cette étude, et j’en ai trouvé beaucoup sur la série Twin Peaks,
une série culte comme je l’ai expliqué précédemment. Parmi toutes celles écrites, le portail
d’entrée permet de sélectionner le genre dans lequel on souhaite avoir une fiction : si l’on
souhaite une romance, de la science fiction, de l’horreur, du drame etc.Les genres sont
assez diversifiés, et on en compte au moins 20 différents , allant même jusqu’au western,
ce qui prouve combien les auteurs , dans certains récits, réinventent ex nihilo une nouvelle
ambiance, un nouveau dispositif pour y inscrire leur histoire.
C’est le paratexte qui a d’abord focalisé mon attention : celui-ci est codé, et répond
à une organisation précise : on nous renseigne déjà sur l’auteur de la fiction, avec son
pseudonyme et le nombre de fictions dont il est l’auteur. Est renseignée ensuite la langue
de la fiction et son genre, ici « Friendship », annonçant le contenu de la fiction. L’histoire
possède également un titre, ici, « Déboires amoureux »qui nous renseigne sur le contenu
et permet de savoir à quoi s’attendre en lisant, et les personnages présents sont annoncés,
cités, ce qui fixe la situation d’énonciation.
De même, la lettre K désigne la note d’évaluation qui a été attribuée à la fiction. Cette
lettre n’évalue pas la qualité du texte mais si ce texte est lisible par tout type de public,
comprenant les enfants. Ici la lettre K correspond à un contenu convenant aux enfants de
tout âge, à partir de 5 ans.
L’objet de la fiction est ensuite exposé, qui est ici :
« Ecrit pour AnnaOz. Elle voulait une fic (=histoire) où Dale Cooper se retrouverait
confronté aux déboires amoureux d’un personnage masculin de mon choix (entre Andy,
Benjamin Horne ou Pete Martell). J’ai préféré écrire sur Andy car j’adore ce personnage. »
Nous découvrons notamment qu’il existe de réels échanges au sein des réseaux
d’auteurs de fanfictions, au point que certains commandent à d’autres des récits portant
sur un sujet qu’ils aimeraient voir s’épanouir dans les fictions ou qui n’est tout simplement
pas assez évoqué dans la série selon eux . C’est un système de défis, de demandes qui
motivent l’écriture des fanfictions.
Ici, nous avons l’exemple d’un récit centré sur le personnage de Dale Cooper, agent du
FBI, et a pour but de nouer une relation amicale entre deux personnages masculins dont la
relation n’est pas établie comme amicale à l’écran.
Le point de vue adopté est le point de vue interne du personnage de Dale, et tout est
fait pour montrer sa gentillesse et sa disponibilité à l’égard de l’adjoint Brennan, et l’on peut
DURAND Camille_2010
55
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
même décerner une certaine tendance à l’exagération, à l’embellissement, car une situation
de déboires amoureux, d’ébriété causée par la tristesse mène finalement à un constat de
satisfaction :
« Il avait tout ce qui lui fallait : le parfum des sapins et une belle nuit étoilée ».
Il est clair que l’auteur de la fiction est très influencé par le genre hurt/comfort dont nous
avons vu le fonctionnement : une période de tension succédant à un apaisement. Ici, il y a
clairement cette volonté de montrer que l’amitié peut sauver d’un chagrin d’amour.
On voit donc à travers l’analyse de cette fanfiction toute la tension qui règne entre la
volonté de répondre à la demande de fan, celle d’ « AnnaOz », qui aimerait une fiction
représentant Dale Cooper confronté aux malheurs sentimentaux d’un autre homme, la
volonté personnelle de traiter d’un sujet favori qui fait directement écho avec la vie du fan,
ici l’amitié et le personnage de Andy auquel il s’identifie, et l’exigence d’être raccord avec
l’intrigue générale en suivant ses actions ( ici, le lieu même du bar miteux, la conversation
avec Lucy auquel il est fait allusion, l’évocation de Washington suffisent à rappeler la
narration générale de Twin Peaks).
Les fanfictions sont de véritables écrits d’invention qu’il serait regrettable de
dévaloriser : ce sont des produits culturels à part entière, répondant à des contraintes
formelles propres : ils font le va et vient entre le genre autobiographique, l’écrit à destination
d’autrui et l’adaptation à une trame préexistante, une sensibilité originale qu’il ne faut pas
dénaturer.
Pour conclure cette partie, nous pourrions parler de la traditionnelle séparation entre
low et high culture, qui structure tous les débats sur la séparation entre le commercial et l’art.
Avec les fanfictions, nous avons la preuve que, malgré sa position de fan , celui-ci
est en mesure de reconquérir l’espace de la toile pour y laisser l’empreinte symbolique de
son identité. Les fanfictions sont des espaces médiateurs de personnalités propres, et non
d’aliénés déterminés par une industrie qui les dépasse. Peut être serait il judicieux, afin de
mettre fin au dénigrement du fan, de trouver un autre terme moins connoté. Un fan n’est
pas un fanatique, car même si l’industrie culturelle lui dicte les objets de sa passion, lui
restent toujours sa parole et sa plume pour modifier, contester, affirmer ses partis pris, ses
préférences et argumenter ses choix.
56
DURAND Camille_2010
Conclusion générale
Conclusion générale
Les Midnight Movies ne sont pas dépositaires d’une identité claire et fixée, malgré la volonté
de Stuart Samuels, dans son documentaire, de les déclarer comme relevant d’un même
genre. Cette tentative dénote un point de vue nostalgique des réalisateurs du documentaire
sur cette période, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres documentaires faisant
l’apologie de périodes idéalisées de l’Histoire.
C’est une façon de romancer qui prend le pas, parfois, sur l’analyse pure des
événements et de leur impact.
Cependant, on ne peut tout de même pas nier l’existence d’un contexte de réception
unique à l’époque, correspondant à la sortie de nombreux films décalés, décadents,
malpolis, peu complaisants à l’égard des normes hollywoodiennes de beauté et de grandeur.
Ces films n’avaient peut être rien d’autre en commun que leur goût pour la provocation,
chacun la stylisant, lui donnant un sens différent. La provocation est utilisée comme arme
esthétique, qui les pousse à investir de nombreux genres, thématiques et courants culturels
communs. Les films expérimentaux de Warhol ont été de vrais modèles, mais aussi les films
fantastiques des années 20, leur charme expressionniste désuet, le genre fantastique et
son obsession de la perversion dans le cercle familial.
Après donc avoir constaté toute l’inanité de ma tentative de regroupement des Midnight
Movies en un même genre, je me suis rapprochée de la définition d’un film culte, et c’est
ainsi que mon mémoire a pris une tournure plus sociologique qu’esthétique, car un film culte
se définit comme tel uniquement par la communauté de fans à qui il donne naissance. En
étudiant les phénomènes de communions spirituelles, de communautés spontanées, j’ai
découvert que c’était par la participation active des spectateurs que le spectacle du film à
minuit prenait tout son sens, ce qui a modifié complètement mon hypothèse initiale.
Si les Midnight Movies sont un phénomène historique et daté, c’est avant tout parce
que la télévision s’est accaparée l’attention et la soif de spectacle des spectateurs, en leur
proposant des programmes qui satisfont leur goût pour le trash et le choc, et en outre en
donnant la possibilité de voir les films culte en vidéo, à la maison. La baisse de fréquentation
a porté un coup fatal aux petits cinémas d’exploitation comme le Elgin, déjà affaiblis par
l’augmentation graduelle des coûts de distribution.
Outre la volonté de s’essayer au format d’une série, David Lynch a dû lui aussi en venir
à ce constat, et revoir ses choix esthétiques après Eraserhead , qui a été plus loin dans
l’étrange qu’aucun de ses autres films.
En ce qui concerne Twin Peaks, la série représente, pour Rosenbaum et Hoberman
l’ultime marque de postmodernité, c'est-à-dire de la fin de la période de créativité pure
de Lynch, car le réalisateur est déjà, selon eux, dans une démarche de recyclage de ses
propres thèmes et idées déjà investis dans ses œuvres les plus anciennes, comme je l’ai
dit. La série utilise tout un dispositif onirique déjà présent en germe dans Eraserhead : la
Red Room est peuplée d’êtres difformes qui s’apparentent à des Freaks ( monstres), et
emprunte à l’ambiance d’Eraserhead dans cette scène finale mythique où la tête de Henry
est ramassée dans une rue puis finit dans une usine qui l’utilise pour fabriquer des crayons.
DURAND Camille_2010
57
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
En France, certaines trajectoires de films rappellent celles des Midnight Movies, mais à
une échelle différente : à Lyon, le Graphique de Boscop, une comédie potache, a tenu plus
de trente ans à l’affiche du CNP Terreaux, et s’est brutalement arrêtée en février dernier
sans plus de cérémonie. Vient un moment où l’esprit des Midnight Movies est trahi : on vient
voir un vieux film rediffusé encore et encore, plus mû par la nostalgie d’un temps révolu
que pour y assister à une cérémonie prenant place dans la salle ; plutôt qu’un public non
averti venu par curiosité, on y rencontre des habitués en quête de souvenirs de l’ambiance
potache et seventies qui habite le film.
Mais quels films passent encore à minuit, si l’on écarte la rétrospective et la rediffusion ?
Ce qui fleurit encore à minuit est maintenant de l’ordre du commercial, car les avantpremières sont aussi des sortes d’événements sociaux, à leur façon. Souvent à minuit, les
épisodes de Harry Potter passent en avant première dans de gros multiplexes comme les
Mégas CGR et rassemblent des foules d’adolescents prêts à réserver leur place longtemps
à l’avance afin d’avoir droit de voir en exclusivité les dernières aventures du sorcier. En
un sens, le phénomène Harry Potter profite aussi d’une génération de jeunes avides de
spectacle, mais la cérémonie qui avait lieu dans la salle n’existe pas, une fois la lumière
éteinte. Programmer une avant première à minuit, c’est d’abord pour les propriétaires
du cinémas l’assurance d’attirer un public en nombre, prêt à dépenser sans compter,
accompagnés des parents qui achètent sans rechigner des bonbons et pop corn pour
plaire à leurs enfants. Ce rituel commercial est pourtant le dernier élément que l’on pourrait
considérer comme hérité des folles projections des seventies où le public mangeait et buvait
librement.
Harry Potter réunit autour de ses films et de ses livres une immense communauté
de fans, il faut bien le reconnaître. Que cela tienne aux personnages ou au traitement
fantastique original qui invente un monde parallèle légiféré par la sorcellerie, la saga est une
référence commune à toute la génération de jeunes de 12 à 25 ans désormais, même si ce
n’est évidemment pas grâce au bouche à oreille, au vu du tapage médiatique qui entoure
les sorties des films.
Mais peut-on pour autant considérer les fans de Harry Potter comme de simples
moutons asservis à l’économie médiatico-publicitaire, comme le soutiendraient Adorno et
d’autres sociologues théoriciens de l’aliénation de l’industrie culturelle ?
L’étude de la production littéraire des fans, en particulier des fanfictions, nous a éclairé
sur l’espace de contrôle, la liberté de création et la marge de réaction dont ils disposent à
leur échelle, ces moyens s’étant émancipés du support matériel et démocratisés avec le
développement de l’Internet.
Néanmoins, il n’est pas question de placer sur un même plan une saga commerciale
que représente un film de Harry Potter, dont la célébrité découle des œuvres littéraires qu’ils
adaptent et d’une publicité massive , avec un film culte comme The Big lebowski.
Telle est justement la raison pour laquelle mon mémoire ne traite pas des sagas
fantastiques devenues cultes comme Le seigneur des anneaux, Twilight, Saw ou autres
produits commerciaux profondément immergés dans l’océan du mainstream hollywoodien.
J’ai tenté d’approcher cette capacité de résistance, de rébellion artistique d’un film, mise
au service d’un discours anticonformiste qui démontre le refus de se prostituer aux canons
du plaisir filmique.
Car au fil des années, les méthodes d’Hollywood se sont radicalisées : les pratiques de
pré tests publicitaires, consistant à tester lors de projections anticipées la future réception
du film auprès du public, se sont étoffées. A la technique du sneak preview, qui avait
58
DURAND Camille_2010
Conclusion générale
pris une ampleur forte à Hollywood dans les années 1980 se sont ajoutées des pratiques
comme le « concept testing », qui oriente dans le choix du thème du film ou le « cast
appeal testing », qui teste la popularité pour une distribution d’acteurs donnée. Ces
stratégies directement importées du marketing détruisent donc toute la liberté de création
et marginalisent l’originalité.
Un blockbuster comme Harry Potter émerge donc de quantité d’épreuves qui en ont
formaté le contenu, ont épuré l’intrigue de toutes les éventuelles transgressions à l’égard
des normes de la société.
Si les films qui passent à minuit ne sont plus fidèles à l’esprit convivial de minuit,
dans quel contexte sont découverts les films excentriques, bizarres et inclassables comme
l’étaient nos Midnight Movies ?
Il est difficile de généraliser, car il me faudrait avoir étudié la programmation de tous
les cinémas, en France et ailleurs, pour pouvoir affirmer qu’il n’y a plus vraiment de films
dans la filiation du genre de minuit (même si ce genre se définit, comme nous l’avons vu,
dans sa négativité et sa dispersion).
Cependant, s’il y a un contexte permettant la découverte de films expérimentaux, c’est
indubitablement celui du festival, très en vogue aujourd’hui, permettant à des films qui ne se
rapprochent pas du genre commercial de trouver une place, un public pour y être remarqués.
55
Le festival du film de Toronto est celui qui a inauguré, en 1988 grâce à Mr Handling , la
catégorie Midnight Madness, une section spéciale qui récompense le meilleur film de minuit.
Le jury de cette catégorie doit donc se baser sur certains critères pour faire son choix. En
fait, cette cérémonie a une organisation différente, puisque ce sont les fans qui participent
au processus de décision, à travers, à partir de deux heures du matin après le film, des
sessions de questions/ réponses en présence du réalisateur. Le festival travaille ainsi ,
en même temps qu’à la perpétuation d’une tradition de minuit, à la promotion de jeunes
réalisateurs, comme ce fut le cas pour Peter Jackson, qui plus tard sera commercialement
reconnu comme réalisateur du Seigneur des Anneaux.
Par ce fonctionnement, le festival reconnaît enfin ce qui fait le succès des Midnight
Movies, et dont l’importance est minimisée dans le documentaire de Stuart Samuels, les
fans. En cela , c’est un authentique festival qui restitue aux fans leurs rôles et perpétue
l’esprit démocratique que cherchaient à instituer les propriétaires du Elgin à travers leur
« senior citizen policy », qui facilitait l’accès des personnes âgées aux films et leur politique
d’ouverture envers les homosexuels .
Le public des Midnight Movies continue ainsi d’assumer le double rôle qui lui est dévolu :
le rôle d’une audience, qui reçoit un contenu, et le rôle de jury et de législateur, qui élit et
prescrit les films assez dignes pour recevoir la distinction symbolique suprême pour un film,
celle de l’accession au statut de film culte.
55
Richard Corliss et Susan Catto, The freaks come out at midnight, The Time magazine du 12/O9/2007.
DURAND Camille_2010
59
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Bibliographie
Ouvrages
Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Rouge profond, 2008
Brenez Nicole, Cinémas d’avant-garde, cahiers du cinéma, 2007
Eco Umberto, La guerre du faux, collection Biblio/essai , 1991
Edgerton Gary R., Marsden Michael, Nachbar Jack In the eye of the beholder: critical
perspective in popular film and television, 1995
Dufour Eric, David Lynch : matière, temps et image, collection Philosophie et cinéma,
édition Vrin
GOUDAL Jean, surréalisme et cinéma, 1925
Guido Laurent, Les peurs de Hollywood, antipodes, 2007
Hoberman James et Rosenbaum jonathan, Midnight Movies, DaCapo Press, 1982
HAWKINS J., Cutting edge: art horror and the horrific avant-garde, Minnesota Press,
2000
Jancovitch Marc , Defining cult movies: the cultural politics of oppositional taste,
chapitre 1
Kawin Bruce , The cult film experience: Beyond all reasons, Austin, University of Texas
Press, 1991
Kracauer Siegfried, De Caligari à Hitler, 1947
Lafond Franck, Cauchemars américains: le fantastique et l’horreur dans le cinéma
moderne,
Lavery David, Full of secrets. Critical approaches to Twin Peaks, Wayne state university
Press, 1995
Morin Edgar, Les stars, collection Points 1972
Peltier Stefan, Le guide du téléfan, DLM éditions
Potemkin , Harry Alan, The compound Cinema. Teachers college Press, 1977
Smolders Olivier, Eraserhead, Yellow Now, 1998
Waters John, Shock Value: A tasteful book about bad taste, Dell Publishing Company,
1981
Articles
60
DURAND Camille_2010
Bibliographie
Issus de revues
Chirouze Alexandre, les mécanismes d’influence d’un film : entre manipulation, éthique
et co construction du sens, Market management n°14 ,2006
Esquenazi Jean-Pierre, les non-publics de la télévision, Réseaux n°112
Fiske John, the cultural economy of fandom
François Sébastien, “fan f( r )ictions : tensions identitaires et relationnelles chez les
auteurs de récits de fans, Réseaux n°157
Le Guern Philippe, Ex fans des seventies, Fans et cultes médiatiques : les enjeux de la
métaphore religieuse, in Réseaux n° 153
Riou Alain, Cinéma : ces peurs qui nous habitent, Imaginaire et inconscient n°22, 2008
Issus de la presse
Presse américaine
Anderman Joan, “The big Lebowski”, the Boston Globe, 15/09/2009
Beale Lewis, « The Midnight Movie », New York Times, 19/06/2005
Corliss Richard et Catto Susan, “The freaks come out at night”, The time, 12/09/2007
Edelstein Andy, “Movies at midnight”, New York Times, 12/10/1980
Walters Ben, “Dudeism, the faith that abides in the big Lebowski”, the Guardian,
20/01/2010
Wolff Michael, “So what do you do at midnight? You see a trashy Movie”, New York
Times, 7/09/1975
Presse française
Chagnon Jean-François, “Une critique post-moderne du rêve hollywoodien », Cadrage,
Mai 2007
Regnier Isabelle, “George Romero hante la nuit de l’horreur”, Le Monde, 15/05/05
Issus d’internet:
The Motion Picture Code: www.artsetformations.com
Weber Houde Aude, “Cinéma de minuit”, 01/09/2007Le Panoptique,
www.lepanoptique.com
DURAND Camille_2010
61
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Annexes
Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine
de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
62
DURAND Camille_2010

Documents pareils