Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance dans
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Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance dans
Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les auteurs néo-latins des anciens Pays-Bas entre la fin du XVe et le milieu du XVIIe siècle, thèse de doctorat présentée par Aline Smeesters, aspirant du FNRS, à l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve) le 12 décembre 2007 (promoteur : Prof. L. Isebaert). Objectifs. Ce travail s’inscrit dans l’étude de la poésie néo-latine des anciens Pays-Bas au cours de la période humaniste (de la fin du XVe au milieu du XVIIe siècle). Il se focalise sur un type de poème bien précis : le poème de célébration de naissance. Ce type de poème est parfois intitulé « généthliaque », d’après le nom donné par le commentateur Servius au seul grand modèle antique de poème de naissance : la quatrième bucolique de Virgile. Mais il ne faut pas perdre de vue l’ambiguïté du terme « généthliaque », qui dès l’Antiquité renvoie à toute une série de référents (textes en prose ou en vers célébrant une naissance ou un anniversaire de naissance d’une personne vivante ou décédée ; ou encore, astrologues spécialisés dans l’étude de la position des astres au moment de la naissance d’un individu). Ce travail s’intéresse uniquement aux textes poétiques célébrant sur le moment la venue au monde d’un enfant (quel que soit leur titre). Le projet ambitionne de prendre en compte trois niveaux d’analyse : l’histoire des genres littéraires, des coutumes sociales et des représentations mentales. Méthode. Face à l’absence d’étude de synthèse dans le domaine de la poésie de naissance (qu’elle soit latine ou vernaculaire), une stratégie de recherche en deux étapes a été mise au point. La première étape consistait à vérifier l’existence d’un éventuel cadre théorique gouvernant la composition des poèmes de naissance. Trois pistes ont été explorées pour approcher la pensée humaniste. La première fut bien sûr constituée par les traités de poétique des seizième et dix-septième siècles. La seconde fut offerte par les éditions et commentaires humanistes des textes de référence antiques (qu’il s’agisse de poèmes célébrant des naissances ou d’oeuvres intitulées « généthliaque »). Dans un troisième temps a été opérée une recherche par titres dans les catalogues informatisés des principales bibliothèques d’Europe, afin d’observer quel type d’écrit se voyait concrètement qualifier de « généthliaque ». Après cette première phase portant sur la reconstitution du cadre théorique, la seconde phase du travail a porté sur la recherche et l’étude de cas concrets. L’heuristique fut ardue : plus de six cents humanistes des anciens Pays-Bas sont connus pour avoir pratiqué la poésie néo-latine. La consultation d’environ 240 ouvrages anciens a permis de rassembler 121 poèmes de naissance - ce qui est beaucoup en soi, mais relativement peu par rapport aux nombreux poèmes de mariage et aux innombrables poèmes de deuil rencontrés en chemin. De ces 121 poèmes a été extrait un corpus de 53 textes, visant à refléter au mieux la diversité des contextes socio-culturels et des démarches littéraires. Les 53 textes ont été édités, traduits et annotés. Pour l’analyse, les poèmes ont été divisés en six groupes illustrant six milieux bien distincts : la cour des ducs de Bourgogne au moment du passage à la dynastie des Habsbourg (fin du XVe siècle); le chapitre et l’école capitulaire de la collégiale de Courtrai (1533-1620); deux poètes partis en exil pendant les troubles religieux de la seconde moitié du seizième siècle (1568-1582) ; un groupe d’étudiants et d’alumni des universités de Louvain et de Leyde, gravitant autour des figures de Ianus Dousa et de Juste Lipse (1571-1618) ; une série de poètes évoluant dans la Hollande du Gouden Eeuw (1624-1646) ; et enfin deux représentants d’ordres religieux dans les Pays-Bas espagnols (1629-1652). L’analyse a chaque fois visé a reconstituer de la manière la plus précise possible le contexte de production et de réception des poèmes. Cette interrogation sur le contexte s’est déclinée en différentes questions correspondant aux trois angles d’approche définis plus haut : quelles étaient les pratiques littéraires de l’auteur et de son entourage, leurs genres et leurs modèles de prédilection ? Dans quels milieux familiaux le poète et son destinataire évoluaient-ils, à quels usages sociaux étaient-ils accoutumés ? Et enfin, quelles étaient leurs convictions touchant la médecine, l’astrologie, la religion, la place de la femme dans la société… ? Pour répondre à ces questions, différents types de sources ont été consultés : des études modernes, les œuvres mêmes des auteurs concernés (en particulier les préfaces, lettres dédicatoires et pièces liminaires) et enfin la correspondance des humanistes (lorsqu’elle avait fait l’objet d’une édition). Le choix de présenter une large palette d’auteurs et de milieux différents s’opposait à un dépouillement systématique des archives locales : il y a là une éventuelle piste d’approfondissement. Résultats. Au niveau littéraire, on constate un grand flou dans la définition théorique et l’usage concret du terme « généthliaque ». Le seul poéticien à proposer une dissertation originale et détaillée sur le sujet est J.C. Scaliger (1561), mais il n’est pas suivi par les poètes. Dans la pratique, tout poème intitulé « généthliaque » n’est pas une célébration de naissance et toute célébration de naissance n’est pas intitulée « généthliaque ». Concernant maintenant le corpus étudié (contenant uniquement des poèmes de naissance, quel que soit leur titre), on constate une grande variété des mètres et des genres. Deux formes sont particulièrement appréciées : l’épigramme (genre bref et virtuose) et le poème solennel en hexamètres dactyliques (présentant souvent des accents messianiques inspirés de la quatrième bucolique de Virgile). Si l’Antiquité classique est le principal univers de référence, on constate aussi des allusions à la Bible, à des œuvres médiévales, à des écrits néo-latins ou encore à des textes contemporains en langue vernaculaire. Au niveau social, il est important de réaliser que les humanistes évoluaient dans des contextes familiaux fort différents des nôtres, marqués par la taille importante des familles et le taux élevé de mortalité infantile. La composition de poèmes de naissance semble avoir été un phénomène assez isolé sur le territoire des anciens Pays-Bas, qu’il s’agisse de nouveau-nés princiers ou de simples particuliers. Les poèmes documentés s’intègrent généralement dans des relations d’amitié et de protection : ils ne constituent pas des objets de commerce, mais bien plutôt des cadeaux personnalisés, régulièrement composés sur la demande du père de l’enfant (soit par recherche de prestige, soit par goût de l’érudition). La correspondance des humanistes révèle plusieurs exemples de défis littéraires lancés entre amis poètes. A part un cas unique de poème de naissance mis en musique (par le compositeur flamand Pevernage), rien ne permet de supposer que les poèmes faisaient l’objet d’une présentation publique : la règle semble avoir été la circulation épistolaire et la lecture dans un cercle privé. Au niveau de l’histoire des mentalités, les conclusions doivent être formulées avec la plus grande prudence. Une analyse valable en ce domaine demanderait en effet de prendre en compte une vaste panoplie de sources de diverses natures (mémoires, traités scientifiques, documents juridiques, iconographie…). Le corpus étudié permet néanmoins de dégager les réflexions types que la naissance d’un enfant inspirait dans le milieu des intellectuels humanistes et que ceux-ci jugeaient dignes d’êtres formulées dans un poème latin. Trois pistes de réflexion peuvent être proposées. La première piste concerne les réactions contrastées des humanistes face au caractère imprévisible de la génération humaine, dont le succès est attribué selon les cas à la volonté divine, au hasard, à la nature ou à l’homme lui-même. La deuxième piste découle de l’absence d’intérêt manifeste des poètes pour la période de la petite enfance : la plupart des auteurs proposent une projection à l’âge adulte, ce qui permet aussi de cerner les valeurs de leur société. La troisième piste enfin est constituée par la présence envahissante des signes et des présages, qui peuvent selon les cas se révéler de simples jeux littéraires ou, au contraire, les témoignages d’une vision analogique du monde, dans laquelle microcosme et macrocosme se trouvent en correspondance. Conclusion. Malgré son caractère apparemment pointu, le terrain de recherche choisi s’est révélé extrêmement riche et fertile en découvertes. De nombreuses pistes restent à explorer et pourront faire l’objet de recherches ultérieures.