Ode à l`histoire vivante
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Ode à l`histoire vivante
Solutions LUMIÈRE Le Haras du Pin Inauguré le 15 avril 2006, le plus célèbre haras de France a ouvert son musée vivant. Vivant parce qu’il abrite des chevaux, mais aussi parce que l’exposition est un parcours ludique sur le cheval et la vie animée du haras, de sa création en 1714 jusqu’à aujourd’hui. La scénographie chaleureuse, nourrie d’un travail muséologique considérable, est finement servie par la lumière. Ode à l’histoire vivante C 18 MAI/JUIN 2006 PHOTO MARC DUMAS Le sas d’immersion. Cinq grandes images représentent : les grottes de Lascaux, un cavalier mongol, un soldat de Napoléon, deux chevaux de trait, les courses. Projecteurs encastrés. OMMENT inventer dans un haras vivant un musée qui n’en soit pas un, un parcours ludique dans la longue histoire d’un site célèbre où la moindre pierre est vieille de trois siècles ? Comment raconter le patrimoine très riche du Haras du Pin, le « Versailles du cheval », sans le figer sur d’ennuyeuses photos accompagnées d’indigestes commentaires ? Comment montrer l’amour des hommes du cheval pour les grands animaux qu’ils soignent quotidiennement ? Et sensibiliser au rôle qu’ils ont joué dans l’agriculture, dans les guerres, aujourd’hui dans le sport ? Un long travail muséographique, une scénographie haute couture, servie par une composition graphique et un éclairage tout en finesse ont relevé ce défi proposé par les Haras nationaux. En 2003, l’atelier d’architecture Melh’usine, mandaté par les Haras nationaux, fait appel au cabinet Grahal pour la conception du programme muséologique. Ils forment équipe avec le graphiste Gérard Plénacoste et Dumas Lumière. Le parcours s’est ouvert le 15 avril 2006. « Cette équipe pluridisciplinaire a œuvré en concertation, détaille Muriel Meneux, responsable de l’association Haras du Pin Tourisme qui fut à l’origine du projet. Nous ne voulions ni une forme vide de contenu, ni un contenu sans dimension émotionnelle. Ici, on voit et on sent le cheval. Nous avons axé le parcours sur l’interprétation du patrimoine. Le contenu procède du travail muséologique et muséographique considérable de Grahal. C’était l’un de nos premiers souhaits. L’exploit des muséologues fut de rendre ce contenu savant facilement compréhensible. La scénographie a été pensée en lien très étroit avec ce travail pédagogique et de médiation. Elle a joué avec brio la carte du plaisir que doit ressentir le visiteur du premier site touristique de l’Orne. » LUX N° 238 lumière SOLUTIONS Les étapes NIVEAU 1 – RÉALITÉ ANIMALE DU CHEVAL • Sas d’immersion • L’anatomie • Les allures et la reproduction • Chevaux vivants : préparation, soins, pansage • Les métiers : maréchalerie et sellerie DEMI-NIVEAU • Exposition temporaire NIVEAU 2 – RÉALITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU CHEVAL • Cabinet de curiosités • Histoire : 300 ans de haras • Centre de ressources (livres, sites Internet, détente…) • Théâtre optique : mutation du monde du cheval • Filière économique • Carrousel : narration onirique sur écran à 360° Lorsqu’on pénètre dans l’« écurie numéro 1 » entièrement restaurée, la vie est déjà là : l’entrée, baignée de lumière naturelle, déploie sur un immense panneau courbe bordé de sable blond, 5 représentations du cheval (reproduction de peintures et photos en grand format) et 4 petits écrans de télévision où passent en boucle des extraits de films et de dessins animés. On entend le bruit des sabots. L’odeur des chevaux, présents à quelques mètres de là, dans 6 des 12 stalles d’époque conservées à la demande de la DRAC, parvient déjà un peu aux narines. Ce « sas d’immersion », habillé de rouge margaux, doucement éclairé, réveille mythes et légendes. De là on aperçoit l’enfilade de l’écurie, peinte à la chaux. La couleur cadence les étapes, que l’on devine déjà. La lumière naturelle joue avec la pénombre. Les projecteurs, dont la source n’est jamais visible, tracent de discrets contrastes. La lumière file et rythme l’espace, elle appelle le visiteur à poursuivre. Une surprise l’attend. Un cheval apparaît dans la pénombre, puis disparaît. Son squelette surgit – un vrai squelette, de vrais os. La lumière les caresse en plongée à l’extérieur et révèle, en contreplongée, le volume intérieur de la cage thoracique. Cet effet magique, théâtral, qui efface la morbidité du squelette, signe la personnalité très ludique du parcours (voir encadré ci-dessus). Le visiteur va y explorer comme une série de boîtes à secret, aménagées sur les deux niveaux de l’écurie. Elles le mèneront de l’anatomie du cheval à l’économie de la filière équine. « J’aime la couleur, les perspectives, les boîtes, les tiroirs, les meurtrières, raconte la scénographe Marie-Laure Mehl, architecte de l’atelier Mehl’Usine. Dans cette écurie tout en longueur (60 m), aménagée sur deux niveaux, on progresse pas à pas d’îlot en îlot, de boîte en boîte d’un étage à l’autre. Des zones intermédiaires – soin des chevaux, repos, consultation de documents, cabinet de curiosités – créent des soupirs dans le parcours. Chaque boîte est meublée d’éléments tiroirs – petits lutrins, La zone histoire. panneaux, bornes interactives – qui supportent l’inCouleur, formation. La couleur des parois ou des mobiliers cadreurs et crée l’ambiance et sert à se repérer. J’ai aussi projecteurs ménagé des meurtrières qui laissent le regard et la dichroïques lumière circuler entre les deux étages. » Au niveau halogènes sur zéro, les jeux de stalles s’intercalent entre les îlots. les panneaux Dans les premières, vides, sont nichés des lutrins de medium qui expliquent races et allures, sous une vidéo peint. Le flux projetée à même le mur. Dans les secondes, les perdu éclaire chevaux vivants viennent, une demi-heure par jour, la circulation. se prêter aux gestes des hommes de M M M PHOTO MICHEL PROTAT La vie, la couleur et l’odeur MAI/JUIN 2006 LUX N° 238 19 Solutions PHOTOS MARC DUMAS LUMIÈRE M M M cheval. « L’un des enjeux du projet consistait à respecter et valoriser le patrimoine bâti et le statut d’écurie. Il fallait l’allier à la modernité scénographique. C’est pour cela que nous avons voulu intégrer du vivant dans la scénographie », expliquent Michel Borjon (Grahal) et Marie-Laure Mehl d’une voix concertée, rodée par deux ans de travail en commun. Rythme Cette composition est servie par une mise en lumière qui relève de la scène, du cinéma, du musée, de l’exposition artistique, du parcours lumière et de l’éclairage intérieur dans deux espaces très différents du point de vue lumineux : l’un accueille largement la lumière du jour, l’autre est totalement confiné, sous la charpente visible du bâtiment XVIIIe. « Dans les espaces où la lumière du jour prédomine, la lumière artificielle s’y allie en demi-tonalité plus chaude, et à la nuit tombée les éclairages de teinte blanche prennent le dessus. Je voulais estomper la différence entre naturel et artificiel, confie Marc Dumas, l’éclairagiste. Cette conception concerne le niveau zéro, consacré à l’animal. La douceur imprègne cette zone où les chevaux peuvent être présents. Mais il faut aussi du contraste, une dynamique de découverte, un rythme, une mise en scène appropriée à chaque “boîte”, et la lisibilité de la longue perspective intérieure du bâtiment. » Marquant l’enfilade tout en apportant l’éclairage ambiant de la circulation latérale, des linéaires fluorescents atténués par des volets ajourés (4 000 K) font le raccord dans la circulation proche des fenêtres. Des projecteurs halogène sur rail, plus chauds (3 000 K), avec cadreurs ou verres striés, marquent les points de lecture ou valorisent le décor. « J’ai associé cadreurs et projecteurs à verres striés pour obtenir un rythme alternant effet précis et effet plus arrondi et pour éviter le dédoublement des ombres portées. Le cadreur attire vers le lutrin, tandis que les projecteurs à verres striés projettent une lumière enveloppante, soutiennent les couleurs et les bois. Dans les stalles, ils évoquent la robe du cheval, qu’ils font d’ailleurs très bien ressortir sur l’animal lui-même quand il est là. » Cette « chaleur » sert aussi à compenser l’aspect un peu blafard de l’éclairage fluorescent, lorsque la nuit tombe. « Le plus difficile a été de penser toute cette installation en amont, d’après les documents de Marie-Laure Mehl et du graphiste Gérard Plénacoste. Il fallait imaginer tout cela sans les 20 LUX N° 238 MAI/JUIN 2006 mobiliers, sans les objets, et sans les appareils ! Mais c’est souvent le challenge de l’éclairage muséographique. » Trouvailles Un éclairage frontal par cadreur halogène (300 W) met en valeur l’image imprimée sur Trévira, qui reste opaque. Puis deux cadreurs halogène TBT dichroïques sur rail en plongée révèlent l’échine du squelette qui apparaît derrière la toile, et des encastrés de sol éclairent en contreplongée l’intérieur de la cage thoracique. Confiné, sans lumière naturelle, le niveau supérieur sous les combles appelait un autre traitement, plus proche de l’éclairage muséographique. Les îlots de MarieLaure Mehl créent une perspective plus étroite. Moins perceptible, elle est soutenue par la charpente laissée nue. Le regard et l’attention sont plus nettement dirigés, par la couleur, la disposition spatiale, les imbrications en quinconce des espaces, et le flux très focalisé des projecteurs sur rail. « Ce niveau est consacré à l’histoire des haras et à l’économie de la filière. J’ai mis à profit la configuration linéaire de l’espace pour faciliter à la fois la lisibilité de l’information et la circulation, note Marie-Laure Mehl. Dans les deux zones principales du niveau (histoire, économie), textes, images, objets sont disposés à gauche lorsqu’il s’agit des haras et de l’économie nationale, à droite lorsqu’il s’agit du Haras du Pin et de la filière normande. La couleur a une importance majeure et pas uniquement ludique. Elle différencie les époques dans la partie historique, les domaines d’information dans la partie économie. » Cadreurs pour souligner un détail, faire danser une surface trop plate, filtres d’accentuation pour rehausser la couleur, iodures pour donner de l’éclat : les solutions d’éclairage choisies par Marc Dumas relèvent de techniques classiques, utilisées ici avec finesse. L’épreuve de force consistait à animer la partie économie – autrement dit à rendre agréables des chiffres. Comment introduire du ludique dans un thème rasoir, se demandait la scénographe. Il manquait quelque chose à ses gradins bas sur lesquels reposent panneaux, totems, histogrammes en volume. « Nous avons alors imaginé d’introduire la lumière dans l’image même, indique le graphiste Gérard Plénacoste, et utilisé des cadres en plexiglas transparent éclairés par la tranche. » Coquetterie de Marc Dumas, les gradins sont bordés d’une frise en tôle ajourée sur laquelle court un petit cheval rétroéclairé au néon. « Le graphisme qui accompagne une scénographie doit prendre en compte l’éclairage, poursuit le graphiste. La lumière est non seulement un effet mais aussi lumière SOLUTIONS Stalles et perspective du niveau 1. A gauche et au centre, projecteurs et cadreurs halogène donnent le rythme et attirent vers les lutrins et les stalles. A droite, des projecteurs avec masque ajouré et verre strié envoient un faisceau vertical sur les toiles de Trévira imprimé semitransparentes qui occultent les baies. un message. Elle informe à elle seule, elle dirige vers la zone l’information, l’image, le texte. Elle est parfois une solution scénographique à elle seule, comme dans le cas des petits totems lumineux, ou parce que, invitant à s’approcher, elle permet au graphiste de réduire la taille des caractères typographiques qu’il emploie. Le graphisme peut et doit être pensé pour l’éclairage. C’est comme cela que j’ai constamment travaillé avec Marc. L’épisode magique de l’apparition-disparition du squelette du cheval a été conçu autour de la lumière. Sans elle, la vie serait absente. » Et ce n’est pas le buste de Colbert, placé à l’entrée de l’espace historique, qui prouverait le contraire. Marc Dumas l’a légèrement déplacé sur sa stèle pour que le faisceau des projecteurs attrape le creux de la pupille et l’arête du nez. Pour un peu, Colbert se mettrait à parler. PHOTO MICHEL PROTAT ANNE LOMBARD Cadreurs et projecteurs dichroïques halogènes sur rail éclairent lutrins et objets.Les panneaux lumineux facilitent la lecture des textes tout en animant le gradin. Histoire • L’investissement : 4 M€, financés par le conseil régional de BasseNormandie (28 %), le conseil général de l’Orne (31 %), les Haras nationaux (25 %) et la Communauté européenne (16 %). • La réalité d’aujourd’hui : premier site touristique du département. 60 000 visiteurs en 2004. Objectif : 100 000 en 2008/2009. • L’histoire : en 1665, Colbert crée l’administration des haras. Le premier haras royal, conçu à Versailles pour la remonte des chevaux de guerre, ne convient pas à l’élevage pour des raisons sanitaires. Colbert meurt en 1683. 1714 : Louis XVI décide le transfert du haras royal dans le domaine du Pin (1 000 ha) en Normandie (Orne), herbagé et agricole. Il ne le verra pas sortir de terre. La construction est due à Pierre Le Moussaux, sur les plans de Robert de Cotte, successeur de Mansart. Le haras traversera plusieurs guerres sans dégâts (Révolution française, guerre de 1870 et Deuxième Guerre mondiale). En 1999, les Haras nationaux sont devenus un établissement public administratif, avec une gestion autonome. • Races du haras : pur-sang anglais, trotteur, percheron, arabe, barbe, selle français, selle étranger (hanovrien), anglo-arabe, poney français de selle, poney connemara, âne normand. 30 étalons. Le pur-sang Furioso y possède sa stèle. Il fut un chef de race, père de plus de 300 poulains dont certains ont marqué l’histoire du cheval d’obstacle. Les intervenants I Maître d’ouvrage : Les Haras nationaux I Assistance à maître d’ouvrage : Association Haras du Pin Tourisme I Architecte scénographe mandataire : Mehl’usine – Marie-Laure Mehl I Muséologie : Grahal – Michel Borjon I Graphisme : Gérard Plénacoste I Conception lumière : Dumas Lumière – Marc Dumas I Installation : ETC I Fournisseurs (éclairage) : Durango, Microlights, Panavision, Procédés Hallier, Targetti MAI/JUIN 2006 LUX N° 238 21